Des « trous noirs » dans notre perception historique
p. 86-87
Texte intégral
1Je voulais enchaîner sur ce qui a été dit tout à l’heure, en apportant deux ou trois exemples ou témoignages concernant le "trou de la perception historique". Effectivement, je crois qu’il y a quelque chose comme des trous noirs dans notre perception historique, qui se manifestent sans doute sans mauvaise intention, mais qui sont quand même assez navrants.
2J’ai remarqué, entre autres choses, mais je vous prie de me corriger si je dis des bêtises parce que je ne suis pas historien, que nous n’avons pas en France, par exemple, une perception vivante de l’espace qui s’étend autour de la Baltique et de la Mer du Nord. Les jeunes Français, même lycéens, ne se rendent pas compte qu’il y a quelque chose au Nord qui est l’équivalent de la Méditerranée, qui est un centre culturel, un pôle culturel énorme sur tous les plans, qui est vraiment l’équivalent nordique de la Méditerranée, c’est-à-dire l’espace baltique. Cela n’existe pas dans notre conscience historique courante.
3Autre exemple, il n’y a pas un mot adéquat, à mon avis, en français pour Völkerwanderung qui est un phénomène long de cinq siècles et que les Allemands appellent la "période des migrations des peuples" (traduction littérale) et que nous appelons bizarrement "les invasions barbares". Le barbare étant le Franc, le Viking, les Arabes, les Huns et je ne sais pas qui encore. Admettons qu’il y ait quelque chose qui ne tourne pas rond dans ce terme là, mais vraiment pas. Alors que le terme allemand "migrations des peuples" me semble plus neutre et plus adéquat.
4Troisième exemple, il y a deux ans l’Autriche a fêté avec discrétion mais aussi avec un certain faste un des plus grands hommes européens, qui n’était ni Autrichien ni Français, qui s’appelait Eugène de Savoie Carignan dit Le Prince Eugène. Ce n’était pas un Autrichien ni un Savoyard ni un Français, c’était vraiment, à mon avis, la personnification d’un grand homme européen sur tous les plans. J’ai pris la peine de regarder mon dictionnaire historique français, le «Mourre», qui est très sérieux, tout à fait conventionnel, et j’ai trouvé là la définition suivante : "Peut-être l’un des plus grands hommes de guerre, diplomate, etc., de tous les temps". «L’un des plus grands hommes de tous les temps» ! Je n’ai pas vu un seul écho en France pour commémorer cet homme il y a deux ans, sauf un article tout à fait valable et sérieux, dans Historama ou Historia, mais c’était un an plus tard.
5Et puis une autre remarque, qui s’adresse à Madame Citron. Je n’ai pas été d’accord avec vous quand vous avez dit : "L’Islam, seconde religion de France". Je sais que cela se dit de plus en plus, mais je ne suis pas d’accord, parce que c’est une remarque d’ordre quantitatif et la religion, pour moi, c’est une question qualitative. La seconde religion de France pour moi c’est le protestantisme parce c’est le protestantisme qui a formé la France, l’Europe et même le monde, même s’il n’y a que 2% de Français qui sont protestants. Alors que l’Islam, malgré sa splendeur, n’a jamais formé l’Europe c’est quelque chose qui se situe totalement en dehors de l’Europe.
Auteur
Professeur d’allemand, Péronne.
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