Manès Sperber, l'espoir sans illusions
p. 46-51
Note de l’auteur
Communication présentée le 7 décembre 1991 à l’Institut Goethe.
Texte intégral
1C'est une tâche particulièrement ardue que d'évoquer la mémoire d'un homme que l'on n'a jamais connu personnellement, et avec lequel on a pourtant passé des heures, des semaines, des mois de travail, d'étude, de questionnement, de passion. C'est bien de cette catégorie que relèvent mes relations avec Manès Sperber, dont j'essaie aujourd'hui, pour publier ou republier en France son œuvre gigantesque, de retrouver, en faisant preuve d'une aussi grande fidélité que possible, les préoccupations, les centres d'intérêts – qui varièrent constamment, en apparence, tout au long de sa vie.
2Par quel miracle un écrivain né au début de ce siècle, qui a consacré la majeure partie de son œuvre romanesque et de son écriture journalistique à commenter des événements historiques dont la plupart se sont déroulés bien avant ma naissance, a-t-il pu autant m'intriguer, m'emporter dans ses colères, me faire vivre ses espoirs et ses craintes ? Comment Manès Sperber, qui avait trente ans sous le Front Populaire, à une époque où toutes les illusions étaient permises, peut-il toucher aujourd'hui ceux qui ont trente ans à une époque où toutes les illusions paraissent dissipées ? En un mot : quel message cet homme, qui était tout, sauf un gourou, un maître à penser, nous a-t-il laissé ? Et pourquoi ce message me paraît-il aujourd'hui chargé d'une telle urgence, d'un tel poids historique et existentiel ? C'est une réponse à cette question que je voudrais tenter d'esquisser ici.
3Comme tous les grands écrivains, Manès Sperber ne se laisse pas réduire à une personnalité unique. Dans mon travail de lecteur et de traducteur, la dimension de son œuvre, la diversité de ses écrits, depuis le roman jusqu'à la critique littéraire, en passant par les études psychologiques et les journaux de voyage, m'ont poussé dès le début à prendre garde à ce piège : il ne fallait surtout pas coller une étiquette sur cet auteur-là, le réduire à son activité politique, à son métier de psychologue, à son état de juif né dans un chtettl dont il ne reste presque plus aujourd'hui que le souvenir du martyre, ou encore à cet éditeur passionné qui fit découvrir tant d'auteurs étrangers à notre pays. Pourtant, dans chacun de ces domaines, Manès Sperber nous parle encore, et sa voix a souvent une présence stupéfiante.
4Le premier Manès Sperber qui me fût apparu avait pourtant les traits d'un homme de politique – ou plutôt : d'un visionnaire politique. Cet homme-là m'a emporté, m'a plongé dans un récit dont les protagonistes avaient vécu voici plusieurs décennies, mais donc chaque ligne me concernait autant que s'il l'avait écrite à l'instant même où je la lisais. Dans la préface qu'il rédigea voici quinze ans, où il rappelle comment il écrivit Et le Buisson devint cendre, Manès Sperber fixe d'emblée la portée de son œuvre. Je le cite :
"J'écrivais pour tous et pour personne : en vérité, je pensais à ceux qui n'étaient pas encore nés à l'époque et qui sont jeunes aujourd'hui. Les jeunes, auxquels je songeais pendant cette longue nuit, auront moins de mal que tant de mes critiques si bienveillants dans le monde entier à comprendre que je n'ai pas de certitudes à proposer: mon seul rôle est de faire en sorte que les questions puissent être posées."
5Et il concluait :
"L'auteur n'a offert qu'une chose à ses lecteurs : partager sa solitude. Peut-être est-ce la seule forme de communauté réunissant ceux qui doivent puiser à la même source le courage de vivre sans illusions".
6J'ignorais, en lisant et en traduisant ces lignes, avec quelle force nouvelle elles résonneraient encore ce soir.
7Cinquante ans se sont écoulés depuis que Manès Sperber a rédigé les premières lignes de sa trilogie, Et le Buisson devint cendre. Pourtant, le décor historique où Manès Sperber a fait évoluer les personnages du Buisson est toujours là : la Croatie, la Dalmatie, les déchirements ethniques de l'Europe centrale, pour ne citer qu'eux, sont de nouveau au centre de l'évolution historique. À Moscou, nombre de Doïno, de Vasso ou de Karel guettent encore aujourd'hui, les uns avec terreur, les autres avec espoir, la moindre étincelle qui pourrait annoncer que le buisson ardent du communisme va de nouveau s'enflammer, les uns se battant au nom des innombrables victimes qu'il a faites, les autres espérant retrouver l'ombre d'un idéal, aussi ravageur soit-il. De nouveau, la bête brune relève son échine en Europe, et l'on se demande dans quel pays se trouvera la prochaine “Place des Héros”, quels seront les von Stetten qui viendront une dernière fois y écouter les braillards acclamant l'arrivée d'un quelconque dictateur. L'histoire balbutie. Et l'œuvre de Sperber, qui ne bafouillait pas, lui, n'a pas perdu une once de son actualité.
8Pourtant, l'essentiel, ce n'est pas cette coïncidence, cette simultanéité qui fait que le Buisson sortira enfin en Union Soviétique à l'heure où tous les Doïno paraissent avoir gagné leur partie contre les Karel, et où, ailleurs, les Slavko recommencent à sévir contre d'autres partisans. L'actualité prodigieuse de Manès Sperber ne réside pas uniquement, ni même essentiellement, dans la clarté de sa vision politique, dans la manière dont il a su, en un livre, cerner le cœur des problèmes de l'Europe centrale et orientale au XXe siècle. Non, le point crucial, pour moi, n'est pas tant ce qu'il a vu et décrit que le regard qui était le sien, et la manière dont ses personnages, reflets fragmentés de sa propre réalité, observent le monde.
9De Socrate, auquel il portait une grande estime, Manès Sperber appréciait sans aucun doute avant tout ce questionnement ironique sur le monde, qui permet de démasquer ceux qui se cachent derrière leur propre statue, de soulever la réalité, les idées toutes faites, de chercher l'homme derrière l'idéologue, la situation réelle derrière les tableaux de propagande, la tendresse derrière la haine, l'homme derrière l'histoire.
"Le sujet de mes œuvres à caractère narratif", a dit Manès Sperber, "est déterminé par quelques problèmes qui sont d'actualité depuis des siècles, mais qui, au cours de ce siècle, sont devenus inéluctables : quelle est la valeur de l'individu dans l'Histoire ? Qu'en est-il de sa responsabilité ? Comment peut-il vivre sans devenir complice ? La relation de l'homme à ses actes constitue le cœur de toutes mes réflexions."
10C'est sans doute ce regard-là qui permet à Manès Sperber de rester d'une totale actualité lorsqu'il évoque les grands noms de notre siècle et se penche sur notre histoire récente. Quand il décrit Lénine, par exemple, cet homme, qui a, pendant des décennies, défendu les victimes du "socialisme réel", cherche d'abord à comprendre comment le théoricien marxiste a su exploiter ses défaites, et comment ceux qui l'ont suivi ont su exploiter sa mort. Quand il parle, autre exemple, de Charles de Gaulle, un homme dont il ne partageait pas les idées, il se penche sur l'homme de lettres, sur l'échec du politique, sur le "grand homme". Dans un cas comme dans l'autre, il évite la confrontation militante, cherche le fond, le paradoxe, celui qui explique, au-delà des idéologies, au-delà des illusions, pourquoi vivent les petites gens et les grands de ce monde :
"la grandeur de de Gaulle", dit Sperber, "est tragique parce que chacune de ses victoires a contribué à détruire les échelles de valeur avec lesquelles il croyait devoir évaluer et juger. Elle est devenue tragicomique parce qu'il croyait tout de même à sa victoire – et a, à cause de cela, manqué la sortie".
11De telles phrases résument une existence en quelques mots. C'était l'un des arts de Manès Sperber.
12Ce regard qui ne tolérait aucune idole est sans doute l'un des plus précieux exemples qu'il nous ait laissés. Ce double souci de ne se soumettre à personne et de toujours considérer l'homme derrière l'officiel et l'anonyme, la victime et même le bourreau (ce qui n'impliquait aucune espèce de complaisance – je pense ici au personnage de Slavko, ce policier alcoolique, brutal, cynique et prêt à toutes les compromissions que Sperber, malgré son profond mépris, arrive presque à nous faire prendre en pitié dans Le Buisson), ce double souci, donc, me paraît être un élément essentiel de cette attitude à la fois sans illusions et pleine d'espoir, sans complaisance et sans haine, que Sperber posait sur les petits et les grands de ce monde. La foi dans l'homme de Manès Sperber est absolue. Jointe à son espérance lucide, non-utopique, elle constitue sans aucun doute un messianisme, parfaitement athée même si, nous allons le voir, ses racines religieuses sont indiscutables. Et c'est peut-être, paradoxalement, ce messianisme là qui peut nous guider, aujourd'hui, nous aider à décrypter ce monde moderne où, successivement, l'on a proclamé la mort de Dieu, puis celle de l'Eglise marxiste. Je voudrais d'abord rappeler l'origine de ce messianisme, puis tenter d'expliquer quelle valeur il peut aujourd'hui avoir pour les hommes et les femmes de ma génération, et sans doute de celles qui suivent.
13Manès Sperber était un athée convaincu. Mais cet homme qui ne renia jamais totalement ce à quoi il avait renoncé, que ce fût le sionisme, l'idéal révolutionnaire, l'adlérisme ou l'esprit religieux de son enfance, a gardé pour sa culture, celle qu'on lui enseigna au chtettl, à l'âge où nos enfants entrent à l'école maternelle, en lui faisant lire la Bible quotidiennement, un amour, une passion qui contribuent sans aucun doute à porter son œuvre, mais qui donnent aussi à son style d'écriture cette flamme, cette poésie puissante, ce lyrisme pourtant si difficilement conciliable avec l'analyse politique ou historique. Je voudrais citer ici un passage d'un texte splendide, encore inédit en France pour quelques mois, où Manès Sperber parle de la Bible – lui qui affirme dans Porteurs d'eau, qu'il n'a d'autre religion que celle de la "Bonne mémoire".
14Je le cite :
"Voici donc la réalité : je suis resté fidèle à l'essentiel du commandement juif, et je crois qu'il ne s'applique pas aux seuls juifs – le christianisme a repris ce commandement.
"Toute ma vie a été guidée par cette fidélité. Mes décisions politiques, tout ce que j'écris est placé sous le sceau de cette idée : si tous ne jouissent pas de la même justice, notre existence est un défi insupportable à ce que nous avons d'humain et, si vous voulez, à ce que nous avons de "divin" en nous. (...)
"Je ne suis pas croyant, je vous l'ai dit, et je pense que les hommes arriveront à maturité quand ils n'auront pas besoin du tonnerre et de l'éclair, ni de la monstrueuse autorité d'un dieu pour agir comme la Bible l'exige d'eux. Ma morale est peut-être plus rigoureuse que la plus rigoureuse des morales religieuses. Mais je ne la justifie pas en me référant à une source surhumaine. Dans cette mesure, ma position est beaucoup plus difficile, elle est très dure, c'est une reconquête quotidienne du terrain que l'on reperd – peut-être – pendant la nuit."
15Et il ajoute, plus loin, une fois encore :
"oui, je crois que l'être humain ne deviendra adulte que lorsqu'il trouvera le courage de vivre sans ce genre de croyances, débarrassé de toutes ses illusions."
16Ce messianisme-là, qui a parfois des accents kantiens, traverse toute l'œuvre de Manès Sperber. C'est lui qui porte le héros du Buisson, Doïno Faber, et d'une autre manière le professeur von Stetten. Reste à déterminer, puisque c'est le but que je me suis fixé, par quel biais cette passion qui paraît parfois un peu abstraite parvient à nous concerner tellement aujourd'hui.
17Pour apporter un élément de réponse, je voudrais, très concrètement, évoquer le regard que Manès Sperber portait sur des problèmes profonds du XXe siècle, et notamment sur deux fléaux dont lui-même a terriblement souffert : le totalitarisme, et l'injustice.
18Doïno Faber, tout au long du Buisson, est poursuivi par les sbires de deux totalitarismes différents. L'un est le régime stalinien, avec sa logique implacable qui requiert même de ses serviteurs une "obéissance de cadavres". L'autre, le régime nazi, avec ses déportations, ses poètes torturés, ses enfants massacrés, et surtout sa haine, sa haine omniprésente, toute puissante, contre celui qui est différent, quel qu'il soit”.
19Le premier de ces deux monstres étant, au moins provisoirement, empêtré dans les cordes du ring de l'histoire, entouré par une armée d'arbitres qui comptent les semaines du knock-out avec une délectation bien compréhensible, je parlerai ce soir du deuxième, et du regard que Manès Sperber portait jadis sur lui. Les termes qu'employait alors Sperber pourraient paraître aujourd'hui, sans qu'on en change une ligne, dans n'importe quel quotidien français ou allemand*.
20Manès Sperber, en 1956, déjà, parlait fort bien de cette forme de haine qui s'empare d'une société comme un mauvais virus :
"Que l'antisémitisme soit le 'socialisme de l'imbécile' ou l'expression fervente d'un christianisme de mauvaise conscience (...), qu'il soit l'ultime promesse pour les pillards, les assassins et les ratés ambitieux ; qu'il soit une allophobie raciste, religieuse ou chauvine, qu'il se dise révolutionnaire ou contre-révolutionnaire –, il est une haine totale qui devient collective chaque fois que des forces sociales ou politiques font appel à lui. Car la haine se fixe sur l'objet qu'on lui désigne, quel qu'il soit.
"On peut essayer de guérir la haine totale en tant que phénomène individuel, par une éducation thérapeutique. Pour lutter contre elle en tant que phénomène social, il faut s'engager dans le combat contre toutes les impostures, religieuses, sociales et nationales qu'une époque fait surgir chaque fois qu'elle hésite à faire face à ses vrais problèmes."
21J'aurais sans doute pu conclure sur ces derniers mots, qui en disent bien plus long sur la nature et les conséquences de cette gangrène qu'est le racisme que bien des commentaires actuels. On pourrait aussi trouver des dizaines d'exemples où le regard de Sperber éclaire d'une lumière extraordinairement vive les problèmes de notre temps. Voici cinq ans, à la même époque, lorsque les bombes explosaient partout dans Paris, j'aurais pu citer quelques lignes de son texte sur les héritiers d'Erostrate, où il démonte avec la même clarté d'esprit le mécanisme qui permet aux terroristes d'exercer leur besogne :
"Tout comme les criminels banals ou les pilleurs de banques professionnels, tout comme les tueurs à gages et les kidnappeurs, les terroristes politiques obtiennent essentiellement leur succès grâce à un principe fondamental que nous régénérons chaque jour et que nous ne pourrions supprimer, même si nous le voulions : il s'agit tout simplement du principe fondamental de la confiance réciproque sur lequel repose la vie en commun des êtres humains dans les petites ou grandes agglomérations".
22J'aurais aussi pu, il y a deux ans, quand on démantelait le Rideau de Fer, citer des extraits de l'Analyse de la Tyrannie ou des Conférences sur la Force d'attraction des régimes totalitaires, où l'on trouve quantité d'éléments qui expliquent fort bien que les régimes de l'Est aient pu d'une part se maintenir aussi longtemps et d'autre part s'effondrer aussi rapidement :
"Pourtant", explique-t-il dans L'Analyse de la Tyrannie, un texte encore inédit en France, "dans un premier temps, les sujets s'adaptent totalement à la tyrannie. Et les contemporains assistent à cette levée en masse de la lâcheté qui dépasse toute l'imagination, tout ce que peut concevoir un contempteur de l'humanité. La loi de la clique, qui a, dès le début, été en vigueur autour du tyran, est à présent imposée à tout un peuple".
23Ou encore, l'an passé à la même époque, lorsque le monde libre s'apprêtait à sanctionner par la force un nouvel Anschluß, ces quelques phrases extraites du discours écrit à l'occasion de la remise du Prix de la Paix, en 1983 :
"Oui, je le répète : Je suis contre toute guerre, sans exception. Mais je sais, je le savais aussi durant la décennie du Troisième Reich, qu'un régime totalitaire se croit menacé tant qu'il n'a pas étendu son pouvoir illimité sur ses voisins directs et indirects – et, un beau jour, sur la planète entière."
24Oui, les exemples de la lucidité, de l'actualité de Manès Sperber sont légion. En 1991, ses propos sur le racisme me paraissaient les plus urgents.
25Je crois pourtant que ce serait aussi restreindre la portée de Manès Sperber que d'en faire un simple analyste brillant, ou même un auteur messianique, une sorte de prophète de la morale rigoureuse, du refus de la haine ou de la violence. Et je voudrais évoquer brièvement une autre passion, tout à fait positive, qui a animé Manès Sperber toute sa vie, celle-là même qui nous permettra peut-être, un jour, de trouver ce "courage de vivre sans illusion" dont il parle si souvent : je veux parler de sa passion pour la justice. Toute son existence, c'est cette cause-là que Manès Sperber a défendue. Quel que soit le camp qu'il avait choisi, c'est dans celui d'en face que l'on trouvait l'iniquité. Et quand il pensait que ses camarades devenaient injustes à leur tour, il les abandonnait. Cette passion, on la retrouve dans toute son œuvre.
26Dans Porteurs d'eau, le premier volume de son autobiographie, il la décrit en ces termes, auxquels leur naïveté donne sans doute toute leur force :
"Ainsi", dit-il, "en nouant mes lacets, ce que j'avais fini par savoir faire tout seul, je prenais bien soin de ne pas désavantager l'un des deux souliers par rapport à l'autre. Si j'avais enfilé le droit d'abord, par souci d'équité je laçais le gauche en premier, et j'alternais toujours scrupuleusement la droite et la gauche. Ce n'était pas de ma part un jeu où les objets auraient été personnifiés ; d'ailleurs, ce n'étaient même pas les objets qui importaient, mais ma façon d'agir à leur égard, et le respect du principe selon lequel on ne doit jamais se rendre coupable de la moindre injustice".
27Aussi amusante qu'elle puisse paraître ici, cette attitude me paraît pourtant essentielle, même sous sa forme la plus simple, telle que Sperber, qui était tout sauf naïf, la présente dans ces quelques lignes. Elle me semble être l'une des clefs du comportement qui était le sien face au monde, et dont nous pourrions peut-être nous inspirer, nous qui avons trente ans aujourd'hui : la quête de la justice, à tout prix. Elle seule, vraisemblablement, peut nous donner ce courage de "vivre sans illusion" sans sombrer dans le cynisme et l'indifférence.
28Voilà, très brièvement résumé, certains des éléments qui me font considérer Manès Sperber comme l'un des plus grands écrivains, et des plus actuels, de ce siècle. Je le répète : il ne faut faire de Manès Sperber ni un gourou, ni un idéologue. Si sa pensée est incontestablement politique – au moins dans une partie de ses œuvres –, elle est de celles dont la probité, l'indépendance, le refus d'allégeance empêchent à tout jamais qu'on la classe dans un camp ou dans un autre. "Mon seul rôle", écrivait-il, “est de faire en sorte que les questions puissent être posées”. Il n'empêche que les quelques principes simples et forts qu'il énonce tout au long de ses livres peuvent nous servir, sinon de ligne d'action, du moins de points de repère extraordinairement utiles. C'est de cela que les écrivains majeurs de notre civilisation tiennent leur autorité et leur constante actualité. Je crois simplement, pour conclure que si les lecteurs de Manès Sperber, dans ma génération et les suivantes sont suffisamment nombreux et passionnés, on n'oubliera peut-être pas de sitôt cette phrase qu'il fait prononcer à Doïno Faber dans Le Buisson : "Un monde où nul n'aura plus le droit d'être juge ne connaîtra plus la paix".
Notes de bas de page
* Ce texte a été rédigé en octobre 1991, peu de temps après les exactions racistes et les défilés néo-nazis dans l'ancienne RDA, et le congrès du Front National français où l'on a vu, entre autres, les militants lever le bras ... à l'horizontale, pour faire le "v" de la victoire. (N d l'A).
Auteur
Traducteur et responsable des œuvres de Manès Sperber aux Editions Odile Jacob.
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