“Gaule chevelue” et “chevalier Descartes” : quelques clichés de la France par Pierre Bergounioux
p. 257-264
Texte intégral
1Depuis le début de la décennie 1990, Pierre Bergounioux a publié de nombreux textes peu volumineux, mêlant écriture de soi et pensée, penchant parfois du côté du récit, parfois du côté de l’essai. Le Matin des origines (1992), Le Grand Sylvain (1993), L’Empreinte (1993), Le Chevron (1996), La Demeure des ombres (1997), Simples magistraux et autres antidotes (2001), et bien d’autres encore1, explorent chacun un thème privilégié – la mémoire, l’entomologie, la pêche, la « sidothérapie », la mécanisation des campagnes –, tout en constituant plus largement, dans leur succession même, le grand répertoire où viennent se consigner les marques d’une époque – la seconde moitié du vingtième siècle – et d’un lieu – Brive et ses alentours. « On écrit un seul et unique livre, des “Essais”, et c’est l’affaire d’une vie ou de ce qu’il en reste après qu’on s’est avisé qu’elle demandait réflexion pour la conduire moins mal, la rendre nôtre autant qu’il est permis », explique l’écrivain2, et ses essais prennent ici la forme d’un bréviaire3 rassemblant le petit nombre de mots récoltés au fil des ans, dont le pouvoir est de désigner adéquatement un monde jusqu’alors innommé. Si le lexique est extrêmement étendu, précis, parfois rare et technique, quelques noms, adjectifs, verbes électifs s’imposent, se répètent d’un texte à l’autre : ils s’assemblent jusqu’à trouver une combinaison éclairante, sonnant juste, la paronomase semblant d’ailleurs parfois soumettre le sens à son injonction. L’univers bergouniounien trouve ainsi ses fondations dans un petit nombre d’expressions, d’images, de maximes, de références révélatrices : dans les pages des petits récits méditatifs, le chevron est bien souvent adouci, l’eau merveilleuse, l’humeur chagrine, la Gaule chevelue. De même l’heure ne va pas sans le lieu, le corps sans l’esprit, le paysage paraît modelé, froissé par une main invisible, et il est tranquillement répété qu’on est les choses auxquelles on naît, que nous sommes doubles et divisés, que nous ne faisons qu’intérioriser l’extérieur. Un petit nombre de figures, enfin, habitent cet univers : Descartes, le chevalier, enfermé dans son poêle, ou encore Marx, le penseur capital, du Capital et des capitales.
2La série des textes brefs construit ainsi obsessionnellement une histoire et une géographie françaises, polarisées autour d’un mitan du siècle fondateur et de son éternité brisée, avec un côté de Corrèze (pluvieux), un côté du Quercy (lumineux), subsistant dans l’ombre de « la grande ville » lointaine, de la cité des signes, incarnée par Paris. Si ces courts textes s’attachent à dire l’essentiel d’un monde restreint, personnel, elle mobilise aussi des représentations et un horizon référentiel communs. Sur le mode, certes critique, de l’émiettement, le bréviaire fait ainsi vivre, et même fabrique, un mythe de la France. Un mythe qui cependant multiplie les effets de porte-à-faux : tout d’abord parce qu’il est mythe négatif ou plutôt mythe de la France négative, de la France niée, confinée dans l’ombre de la « Grande » France. Ensuite parce que le récit méditatif se présente comme discours rationnel, essai d’explication, et non mythification, enchantement. Le texte s’élabore ainsi selon une logique contradictoire, qui semble ne faire que projeter un ethos clivé : la figure de celui qui s’adresse au lecteur est incertaine, on discerne mal parfois si elle est joueuse ou sérieuse, et elle fait naître alors un sourire troublé, dont la mécanique mérite d’être éclairée.
L’écriture paradigmatique
3Le vocabulaire, les images, les références, qui constituent le matériau élémentaire des récits méditatifs publiés en volume depuis 1993, chez Verdier et Fata morgana notamment, trouvent également leur place au sein des récits longs publiés depuis 1980 chez Gallimard. Cependant, la forme des premiers rend plus évident encore le travail de forge qui les initie. En effet, les petits récits méditatifs segmentent ce que les récits longs tentent d’appréhender dans une globalité. Le « fait de s’engager dans la relation avec un certain nombre d’événements [soulève] des questions de fond qui n’ont pas véritablement leur place dans la narration4 », explique Pierre Bergounioux. Ainsi, les réflexions et les détails que L’Orphelin, Miette, La Mort de Brune et Le Premier Mot avaient dû laisser de côté, ces textes brefs les ont pris en charge. En retour, ces derniers se sont faits les laboratoires de nouveaux textes longs : il semble que les formules heureuses, les idées-forces avancées au fur et à mesure par les récits brefs constituent autant de repères pour la suite, autant de jalons pour reprendre une prochaine fois le même cheminement. Elles sont sans cesse reprises, ou encore améliorées par le livre suivant, et les petits récits méditatifs montrent de façon évidente combien le ressassement, chez Pierre Bergounioux, se fait méthode. Ils imposent ce faisant des représentations par la répétition, mais aussi plus profondément en ce qu’ils favorisent « la posture réflexive, [qui] est verticale […] creuse, s’enfonce au lieu de rebondir et de glisser5 ». Ils travaillent ainsi sur un axe paradigmatique à même de faire émerger des invariants, quand le récit agence et relie les événements en une syntaxe. C’est cette verticalité, le ressassement propre à la multiplication des références intra- et intertextuelles, à la confusion des voix auctoriales, qui font accéder la parole à un degré de généralité, et font des « Essais » de Pierre Bergounioux un lieu propice à la fabrication du mythe.
Un peu de bleu dans le paysage ou les mythologies négatives
4Si tous les récits brefs de Pierre Bergounioux participent à l’élaboration d’une représentation de la France négative, Un peu de bleu dans le paysage s’y attache avec systématicité. Les six textes6, réunis a posteriori, qui le composent ont pour point commun de traiter d’un élément caractéristique de Brive et sa région. On y découvre sa géographie (son pays de « Millevaches », son « pont de Bonnel »), ses us et coutumes (la « Vie domestique »), ses « caractères » (tels ces vieux célibataires que met en scène le texte éponyme et qui rappellent fortement ceux du bal des célibataires de Pierre Bourdieu). La saisie du lieu qui s’y dessine se fait aussi saisie d’un temps, celui des années cinquante, et de ses objets mythiques. L’esprit des Mythologies n’est ainsi jamais loin. Le texte de Pierre Bergounioux sur « La Traction » n’est pas sans évoquer celui de Roland Barthes sur la DS. De même, « La vie domestique » est l’occasion d’une description des parquets passés à l’encaustique, qu’on n’a le droit d’aborder que munis de patins, et qui alimente une réflexion sur l’opposition entre dedans et dehors, un peu comme les publicités sur les détergents amenaient Roland Barthes à débusquer une idéologie de la surface et de la profondeur. Cependant, là où Roland Barthes vise clairement le collectif et plus particulièrement l’idéologie bourgeoise, Pierre Bergounioux cherche en premier lieu à faire revivre des zones de sa mémoire. Certes le choix des objets par Roland Barthes est subjectif, mais l’approche est d’abord sémiologique. Roland Barthes analyse des discours, fait apparaître des formes de pensée, il explore un matériau divers, commun : des articles de presse, un film, une exposition. Pierre Bergounioux pourra incidemment faire apparaître une structure de pensée cachée propre au groupe qui fut le sien, mais d’abord il explore les traces en lui d’une époque et d’un endroit. Il se fait autosociologue, ego-historien, autoanalyste et c’est par le prisme de son expérience qu’il vise le collectif. Enfin, l’un et l’autre ne visent pas le même collectif. Barthes traque l’idéologie commune, bourgeoise, dominante. Pierre Bergounioux, tout au contraire, s’attache à faire vivre une communauté tout entière sous le signe de la négativité.
5Si Pierre Bergounioux met à distance, diagnostique, critique, son entreprise ne saurait se calquer sur celle de démystification de Roland Barthes, pour la simple raison que le monde qu’il décrit n’a pas de mythe à déconstruire. La suite des « Essais » vise précisément à donner sa légende à ce qui n’en a pas, comme on légende une image dont le sens n’est pas immédiat, à donner son récit explicatif, son récit des origines à un monde qui en était jusqu’alors privé. Les Limousins du xxe siècle, commente Pierre Bergounioux, ont vécu dans l’ombre de Paris, comme les Lemovices dont ils descendent vivaient dans celle de Rome : « On était sans légende. Le peu qu’on possédât, c’est de Rome justement qu’on le tenait7. »
Ce qui serait bien, ce serait qu’on trouve [les mots] écrits à la surface des choses, gravés dans le marbre, en capitales, comme aux ruines de Rome, ou seulement griffonnés dans un coin, sous la poussière, la mousse, les toiles d’araignée. On parcourrait paisiblement les chapitres de sa vie8.
Et la géographie continue ainsi de se faire palimpseste d’un temps passé :
En cherchant un peu, on aurait sûrement trouvé une louve et ce n’est pas sept, ce sont sept fois sept et soixante-dix-sept collines qui nous servaient de berceau. Mais on ne comptait pas Mars en personne dans notre ascendance directe ni de jumeaux divins ni l’empire du monde ou son souvenir9.
6Se mettent ainsi en place deux paradigmes, celui de la France non pas éternelle mais historique, et celui de contrées figées hors du temps, où le présent n’advient jamais, où l’histoire ne peut opérer ses transformations. Comme toujours chez Pierre Bergounioux, la géographie est affaire d’histoire ; et si Paris est constamment rapportée aux grandes origines, à l’Antiquité, l’époque classique, à la civilisation, à un monde égocentré, Brive, au contraire, est associée au Moyen Âge, à l’ère de l’obscurantisme, de l’irrationnel, des parlers brutaux, barbares, elle est une zone de non-civilisation. Pierre Bergounioux explique ainsi ses peurs enfantines, alors qu’il abordait certains quartiers de Brive, par le fait qu’ils restaient encore entièrement marqués par le temps médiéval : ils concentraient « les hantises que l’on associe spontanément, à l’ère mérovingienne, à l’an mil, à la guerre de Cent ans. Des ruelles concaves, pavées de galets de rivière, sinuaient entre les façades lépreuses, bombées qui parlaient de la peste, des famines10 ». L’écrivain fait ainsi appel à des représentations collectives, et ce faisant reconduit d’anciens clichés. Peu importe ici, bien entendu, la vérité historique : il s’agit de donner une image à ce qui n’en a pas, quitte à ce que la légende se fasse vraiment légendaire, quitte à ce que le récit explicatif tienne du mythe.
Mythos et logos
7Le recours assumé au cliché, au stéréotype, à la vignette, et de manière générale à la simplification, n’emporte cependant pas le sérieux de l’entreprise. Il s’agit bien d’engager un processus de compréhension, perçu comme essentiel, vital même. Reste que le discours est curieusement tendu entre mythos et logos. D’une part, il fait appel à l’imaginaire, fait rejaillir des représentations dont il semble peu importer qu’elles soient illusoires, d’autre part il multiplie les arguments d’autorité, il se fait conceptuel, raisonnant, discipliné. À la manière des « essais-mémoires » de Pierre Michon, Pascal Quignard et Gérard Macé, décrits par Marielle Macé dans Le Temps de l’essai11, les textes de Un peu de bleu dans le paysage renouent avec l’encyclopédisme, glanent des bribes de souvenirs érudits, citent abondamment – César, Élias, Hume, Marx…–, multiplient les rappels historiques et pratiquent avec automaticité l’étymologie. Les essais de Pierre Michon, Pascal Quignard et Gérard Macé sont des « musées littéraires, espaces d’analogies saturées de mémoire », ils sont des « lieux de mémoire et de factualité, pièces authentifiées mais aussi sources d’histoires et de vies possibles, où les références savantes nourrissent les méditations »12, et parfois les inventions. Il existe cependant entre ces textes et ceux de Pierre Bergounioux plusieurs lignes de fractures. La référence, chez Pierre Bergounioux, n’est pas volontiers rêvée voire truquée, comme chez Pierre Michon. Elle est aussi moins nettement le point d’ancrage d’une dérive littéraire que chez Pascal Quignard ou Gérard Macé. Le texte de Pierre Bergounioux est en effet beaucoup plus étroitement surveillé. Là où les autres pratiquent le vagabondage, lui exhibe une systématicité par des annonces de plan en ouverture ou encore un agencement typographique réglé.
8Cependant, cette rigueur même a un effet contrasté. L’abondance des références, l’ordre rigoureux de l’exposé produisent un troublant effet de mécanique. Pour qui a lu la série des récits méditatifs, les références finissent par être attendues, la récurrence de mots-clés cocasse. Mais il n’est pas que ce comique de répétition qui fasse sourire un lecteur complice. C’est la raideur même du discours, pour reprendre un terme de Henri Bergson13, qui peut être un ressort du comique. L’auctor compilateur ne manque d’ailleurs pas de souligner ses tics : « un peu d’étymologie, pour qui douterait de l’empire des grandes permanences, des fatalités de la périphérie14 », écrit-il avec emphase dans l’avant-dernier texte du volume, qui n’aura eu de cesse de prouver que son auteur était philologue. Cette raideur se retrouve dans le processus même des raisonnements, et notamment dans une pratique machinale de l’analogie, un recours outrancier à l’induction et à la déduction. Superposant mécaniquement la marginalité des Limousins à celle des Lemovices, l’auteur commente : « Je sais bien qu’il s’est produit, dans l’intervalle, quelques événements15. » « Quelques événements », certes, mais qui ne l’intéressent pas, le raccourci est souligné avec désinvolture et n’en sera pas davantage modulé. L’emploi du pronom « on » suscite d’identiques effets de raccourcis, en étant systématiquement l’instrument d’une induction ou d’une déduction : le texte passe sans transition du « je » à un « on » qui désigne le groupe, ou encore, et le saut est plus remarquable encore, l’humaine condition. Le texte intitulé « La vie domestique », par exemple, s’ouvre sur l’affirmation d’un dégoût personnel pour la vie domestique, raconte au paragraphe suivant l’histoire de Brive (« on avait exploité la roche sombre des gorges de la Corrèze »), puis induit une loi générale au paragraphe d’après : « On n’est qu’une fois. On ne se refait pas. » Comme si le mouvement inductif n’était pas assez puissant, le paragraphe qui suit se fait soudainement théorique : « [la] faiblesse du travail productif, les rapports déterminés que les hommes ont entre eux […] étaient bien faits pour éveiller les pires appréhensions16. » Le texte « Guerriers de l’orme », à l’inverse, commence par énoncer une loi et passe, sans paliers et avec une certaine incongruité, au récit personnel. Ici se dévoile une philosophie déterministe, sévère, et même un matérialisme mécanique, plus tellement dialectique. Hippolyte Taine, Jules Michelet sont convoqués pour rappeler qu’on ne fait qu’intérioriser l’extérieur : « Jusqu’à une date récente, nous avons été de la châtaigne organisée comme le paysan français – de l’Île de France –, selon Michelet, nourri de blé, est un homme-silex, dont les riches limons de la Beauce et de la Brie sont truffés17. » Et ce matérialisme désenchantant trouve certainement une expression plus tranchée encore dans cette image qui ouvre le texte :
Il me semble que mon âme, ou ce qui en tient lieu, s’il m’était permis de l’examiner dehors, par terre, sur une table de cuisine, ressemblerait en plus petit, en bien moins étendu, consistant, durable, à la cuvette de grès grossier, brun-ocre ou blanc sale, d’une demi-lieue de diamètre, où elle a été jetée pour commencer. Et son épaisse frange d’ignorance, ses bords confus – c’est ainsi que je me la représente – seraient l’ombre portée du taillis qui coiffait la ligne de faîte toute proche des collines et au-delà18.
9Le modalisation qui marque cet extrait (« il me semble », « c’est ainsi que je me la représente », le conditionnel) n’est d’ailleurs pas toujours de rigueur.
10La métonymie, la symbolisation, l’allégorie, qui sont les outils de la mythification, concourent de même à ce jeu de superposition. La théorie se plaque ainsi sur l’exemple, l’explication sur la chose, le général sur le cas particulier, le tout sur la partie, le collectif sur le singulier, l’objectif sur le subjectif, produisant immanquablement une gêne, un effet de mécanique plaqué sur du vivant. On ne sait alors comment recevoir cette figure de l’auteur qui fait autorité, dont la tête encyclopédique est gage de sérieux, de crédibilité, mais se fait sa propre caricature : autoritaire, théoriciste, doctrinaire. Pierre Bergounioux joue ainsi en dernier ressort avec un mythe de l’écrivain, typiquement français, en tirant de sa fameuse malle l’habit inconfortable, toujours un peu ridicule, du lettré, ce pédant, cet antiquaire s’intéressant aux choses du passé19. Il endosse alors le costume par excellence de l’homme de cour, celui de la France du Grand Siècle, centralisée, civilisée. La raideur de l’habit trahit alors, et c’est exprès, l’escolier limousin qui s’y cache. Pierre Bergounioux aime d’ailleurs rappeler cet épisode chez Rabelais, où un jeune escolier limousin, jouant le docte, retrouve vite sa parlure quand Panurge le chatouille. La tension irrésolue entre mythos et logos, imagination et érudition, simplification et explication, si caractéristique des petits récits méditatifs de Pierre Bergounioux semblent ainsi vouloir témoigner de son ethos contradictoire, de son habitus clivé qui fait cohabiter, en lui, le savant et le barbare.
11Les textes de Pierre Bergounioux font ainsi circuler citations et idées de penseurs, sociologues, philosophes, écrivains, mais aussi maximes et idées reçues, que, d’une certaine manière, ils nivellent. Ce travail de reprise se fait d’autant plus évident que l’écrivain compose à partir d’un matériau en partie limité, qui forge ses propres clichés. Ce faisant, le texte sélectionne dans les représentations de la France, d’où qu’elles viennent, des traits qui en organisent une vision cohérente, ressuscite le mythe de la Grande France pour mieux constituer une mythologie des zones oubliées qui survivent dans son ombre. Cette fixation, cette sédimentation d’un imaginaire, n’accéderait pas cependant à une dimension mythique, si le texte n’avait clairement pour vocation de construire une explication du monde, ou au moins d’un monde. Les petits récits de Pierre Bergounioux rapportent bien un événement primordial, le temps (ou la géographie) des « commencements » (la « cuvette », le « trou »), et comment une réalité, celle d’une ville de province française à la fin des années 1940, est venue à l’existence. Or telle est bien la vocation fondamentale du mythe, selon Mircea Eliade, qu’il tente de rendre compte de « la réalité totale, le Cosmos, ou seulement d’un fragment », par exemple, « un comportement humain, une institution20 ». Véritablement totalisant, le récit bergouniounien se fait d’ailleurs non seulement cosmogonie mais eschatologie. La quatrième de couverture de Un peu de bleu dans le paysage, programmatique, annonce bien cette double dimension : ce morceau du grand bréviaire aura pour vocation de montrer comment un monde naît et meurt :
Du début de la Gaule romaine à la fin du deuxième millénaire, la zone imprécise, plissée, qui sépare l’Auvergne de l’Aquitaine a vécu séparée. De là les sombres permanences, les bizarreries, les particularités qu’on pouvait, tout récemment encore, y observer. Lorsque le mouvement, le présent, l’ont tirée du sommeil, elle n’a pas hésité, elle s’est retirée sans bruit, les yeux ouverts, dans le passé.
Le mythe est bien ici une survivance par la parole, les paroles mêlées, de ce qui fut et n’est plus.
Notes de bas de page
1 Voir aussi La Casse (1994), Points cardinaux (1995), D’abord nous sommes au monde (1995), Le Bois du chapitre (1996), Haute tension (1996), Les Choses mêmes (1996), La Ligne (1997), François (2001), Un peu de bleu dans le paysage (2001), Univers préférables (2003), Le Fleuve des âges (2004), Une chambre en Hollande (2009).
2 Entretien de Pierre Bergounioux avec Yves Charnet, Prétexte, « Ultimum », octobre 1999. (http://perso.club-internet.fr/pretexte/revue/entretiens/entretiens_fr/entretiens/pierre-bergounioux-2.htm)
3 « Bréviaire n. m., du lat. breviarum “abrégé”, de brevis “bref”. Litt. Livre auquel on se réfère souvent et que l’on considère comme un guide », ainsi que le rappelle la quatrième de couverture du Bréviaire de littérature, à l’usage des vivants (Rosny-sous-Bois, Éd. Bréal, 2004) de Pierre Bergounioux.
4 Entretien de Pierre Bergounioux avec Marie-Laure Picot, Le Matricule des Anges, juin-juillet 1996, p. 20.
5 « Rencontre avec Pierre Bergounioux », entretien avec Paul Martin, L’Œil de la lettre, juillet 1994, p. 6.
6 Pierre Bergounioux, Un peu de bleu dans le paysage, Lagrasse, Verdier, 2001. Contient : « Le pont de Bonnel », « Sauvagerie », « La traction », « Vie domestique », « La voix du bois », « Millevaches », « Guerriers de l’Orme », « Un peu de bleu dans le paysage ».
7 Un peu de bleu dans le paysage, op. cit., p. 49.
8 Ibid., p. 50.
9 Ibid., p. 48-49.
10 Ibid., p. 53.
11 Marielle Macé, Le Temps de l’essai, Histoire d’un genre en France au xxe siècle, Paris, Belin, « L’extrême contemporain », 2006.
12 Ibid., p. 290 et 285. Marielle Macé désigne le corpus large suivant (où ne figure pas Pierre Bergounioux) : « La situation de l’écrivain reflue vers un contexte lettré, qui, de Mauriès à Macé, Michon, Bailly, Buisine ou Fernandez privilégie quelques univers d’érudition, et transforme l’espace vénérable de la culture en écran de projection affectives. » (p. 286)
13 Henri Bergson, Le Rire. Essai sur la signification du comique [1899], Paris, P.U.F, « Quadrige », 1991.
14 Un peu de bleu dans le paysage, op. cit., p. 82.
15 Ibid.
16 Ibid., p. 45.
17 Ibid., p. 85.
18 Ibid., p. 81.
19 Alain Viala, Naissance de l’écrivain. Sociologie de la littérature à l’âge classique, Paris, Éd. de Minuit, 1985.
20 Mircea Éliade, Aspects du mythe [1963], Paris, Gallimard, « Folio/Essais ; 100 », 2002, p. 16-17.
Auteur
Professeure à l’université du Québec à Trois-Rivières, auteure d’une thèse sur Pierre Bergounioux et François Bon à la Sorbonne Nouvelle. Elle travaille sur les littératures française et québécoise des trois dernières décennies, selon la perspective d’une histoire littéraire du contemporain. Elle a publié plusieurs articles sur François Bon, Pierre Bergounioux ou encore Christian Prigent, et a coédité Le Mot juste. Des mots à l’essai aux mots à l’œuvre aux Presses de la Sorbonne nouvelle (2006), ainsi que « Synthèses. Perspectives théoriques en études littéraires » dans les Cahiers du Ceracc (2009).
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