La déréglementation du secteur bancaire aux États-Unis : un long processus
p. 115-126
Résumé
This paper purports to show that the deregulation of the United States banking System is an absolute necessity. The US banking regulation has indeed had negative effects on the size, structures, risks, profitability and Prudential supervision of banks. Some progress was achieved in the 1970s and 1980s, largely due to external or specific factors such as banking innovation or the bankruptcies of Savings and Loans. However the preocess has remained uncompleted because the US Congress has been reluctant to alleviate regulations substantially. Therefore the US banking System still operates under a wide array of regulatory constraints.
Note de l’éditeur
Présentée en juin 1993, cette communication, n'intègre pas les développements nouveaux en date de septembre 1994 et relatifs à l'autorisation de l'interstate branching à compter de la mi-1997 (voir, infra, paragraphe 3.2)
Note de l’auteur
Les opinions émises dans cet article n'engagent que son auteur
Texte intégral
1L'objet de la présente communication est la déréglementation du secteur bancaire américain, c'est-à-dire essentiellement la déréglementation des conditions d'exercice de la profession bancaire et des taux d'intérêt créditeurs. Elle n'aborde pas en revanche, ou seulement de façon incidente, la question de la déréglementation des marchés financiers.
2Son propos s'articule autour des trois idées suivantes :
- la déréglementation du secteur bancaire est tout d’abord une nécessité aux États-Unis, car les règles qui ont été édictées entre le milieu du dix-neuvième siècle et le milieu du vingtième siècle ont abouti à la mise en place d'un mode d'organisation particulièrement contraignant et qui a contribué à fragiliser le système bancaire américain.
- les mesures d'assouplissement de la réglementation qui ont été mises en oeuvre jusqu'ici ont été la plupart du temps imposées, par les agents économiques eux-mêmes ou par des circonstances particulières de crise.
- au demeurant, la déréglementation est un processus encore inachevé, car de nombreuses contraintes subsistent encore en matière d'exercice de la profession bancaire.
1. Une déréglementation nécessaire
3La réglementation bancaire américaine vise principalement à organiser la concurrence afin à la fois d'éviter la constitution de grands groupes monopolistiques et de protéger les déposants. Dans cette perspective, les textes qui ont été successivement adoptés depuis le siècle dernier ont instauré un cloisonnement institutionnel et géographique très poussé.
4A la longue, cependant, ce mode d'organisation est apparu très contraignant pour les établissements de crédit, d'autant que les autres grands pays n'avaient pas adopté de telles règles, et il a induit plusieurs effets néfastes pour l'ensemble du système bancaire américain : surdimensionnement, concentration des risques et prise de risques excessifs, éclatement et insuffisance du contrôle, blocage des évolutions de structures.
5Le mouvement de déréglementation, qui est intervenu à partir des années 1970 largement sous l'influence d'un processus d'innovation financière spontané, est donc apparu comme tout à fait nécessaire, au niveau micro-économique aussi bien que macro-économique.
1.1. Une réglementation bancaire contraignante
1.1.1. Les principes généraux
6La réglementation bancaire américaine, mise en place au siècle dernier, présente deux caractéristiques majeures qui sont le cloisonnement institutionnel et la spécialisation géographique. Ces modes d'organisation, qui sont très contraignants dans l'exercice d'une activité bancaire, sont toutefois apparus à l'époque comme les garants les plus sûrs du respect de deux principes essentiels, la lutte contre les monopoles et la protection des déposants.
7Au demeurant, certains épisodes dramatiques de l'histoire américaine, tels que notamment la grande dépression des années trente, sont venus conforter cette conviction initiale, incitant le législateur à renforcer encore, et cela jusqu'au milieu du siècle dernier, le caractère contraignant de son dispositif.
1.1.2. Les principales étapes de la mise en place de la réglementation bancaire
8Le cloisonnement des statuts bancaires, qui date du siècle dernier, s'est doublé dans la première moitié du vingtième siècle d'une spécialisation géographique et d'un cloisonnement des métiers.
9 - Le cloisonnement des statuts bancaires : il apparaît dès le siècle dernier avec le vote du National Bank Act de 1863, puisqu'aux termes de ce texte fondateur les banques commerciales se divisent en deux catégories : celles qui se placent sous l'empire de la loi fédérale (national banks), et celles qui sont soumises à la loi des États (state banks).
10Les premières sont membres de droit du Système fédéral de réserve, ce qui leur permet de disposer de facilités quant à l'obtention de monnaie centrale et de participer à la compensation publique de la monnaie scripturale ; elles sont agréées par une autorité fédérale, le Bureau du Contrôleur de la monnaie (Office of the Comptroller of the Currency, OCC) et soumises à son contrôle ainsi qu'à celui de la Banque de réserve fédérale. Les secondes, quant à elles, ne participent que de manière optionnelle au Système de réserve fédérale et sont soumises, en matière de réglementation, d'agrément et de surveillance, aux organismes compétents de chacun des États.
11 - Le cloisonnement des autorités de tutelle : comme on vient de le voir dans le paragraphe précédent, la mise en place de plusieurs statuts bancaires s'est accompagnée, presque inévitablement, d'un cloisonnement des autorités de tutelle, la compétence des autorités fédérales coexistant avec celle d'autorités locales. Le Federal Reserve Act de 1913 illustre particulièrement ce choix, qui crée à la fois un Institut d'Émission chargé de réguler l’offre de monnaie (le Federal Reserve Board) et 12 banques fédérales de réserve en charge de la tutelle des banques dans leur district.
12- La spécialisation géographique : le législateur américain, dans son souci de préserver un cadre concurrentiel, a doublé ce cloisonnement institutionnel d'un principe de spécialisation géographique, applicable aussi bien aux banques d'État qu'aux banques fédérales, qui a été inscrit dans la loi McFadden de 1927.
13Aux termes de ce texte, l’activité bancaire entre États (interstate banking) était interdite. S'agissant de l'implantation des guichets, trois situations pouvaient alors exister : soit la banque, installée dans une ville d'un État n'a qu'un guichet (unit banking), soit elle peut ouvrir un nombre illimité de succursales dans le comté où est localisé le siège de la banque (limited branching), soit elle peut étendre ses activités à tout l'État (statewide branching). En 1956, le McFadden Act sera amendé par le Douglas Amendment Act interdisant l'acquisition par une banque d'une autre banque installée dans un autre État sans l'accord de ce second État.
14 - Le cloisonnement des métiers : à la suite de la crise de 1929, il est apparu comme un impératif essentiel, afin de mieux protéger les dépôts du public, de mettre fin à la confusion entre activités purement bancaires (prêts/dépôts) et opérations sur titres. Ce cloisonnement a été instauré par les lois bancaires de 1933 et 1935, dont les dispositions principales sont les suivantes :
15Ce cloisonnement des métiers a été instauré par les lois bancaires de 1933 et 1935, dont les dispositions principales sont les suivantes :
- séparation des activités de banques commerciales (commercial banking) et de banques d'investissement (investment banking) par le Glass Steagall Act de 1933 : les banques commerciales ne peuvent effectuer d'opérations sur valeurs mobilières (sauf titres publics) ou prendre des participations dans des entreprises industrielles, tandis que les banques d'investissement ne sont pas autorisées à recevoir des dépôts du public. Ainsi, les États-Unis mettaient fin au principe de la banque universelle et instauraient un cloisonnement supplémentaire, celui des métiers, afin d'assurer une meilleure protection des déposants.
- interdiction de rémunérer les dépôts à vue et mise en place de plafonds de rémunération des dépôts à terme et des dépôts d'épargne. Cette réglementation (Regulation Q) participe du même souci de souligner la spécificité de l'activité bancaire de réception des dépôts du public, en évitant dans ce domaine des surenchères et une concurrence excessives qui pourraient compromettre la sécurité de ces dépôts.
- création en 1933 (d'abord à titre temporaire, puis de façon permanente à partir de 1935) d'un système d'assurance des dépôts géré par une agence publique fédérale, la Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC), garantissant un certain montant par compte (2500 USD à l'origine). L’accès à cette assurance des dépôts a été refusé aux établissements chargés des placements des titres des sociétés, de la promotion immobilière et des opérations d'assurance.
16Par la suite, d'autres dispositions allant également dans le sens d'un cloisonnement des métiers et de la reconnaissance d'une spécificité de l'activité bancaire ont été incluses dans des lois de 1956 et 1970, les Bank Holding Company Acts. Ces deux textes relativement récents visaient principalement à :
- opérer une distinction entre l'activité bancaire (indirecte) des compagnies holding de banques et leurs autres activités ;
- placer les compagnies holding de banques sous la tutelle du Système fédéral de réserve ;
- éviter une concentration excessive du système bancaire.
17Au total, la réglementation bancaire américaine, telle qu'elle a été élaborée à la fin du siècle dernier et dans la première moitié de ce siècle, a abouti à la mise en place d'un système bancaire très compartimenté, et dans lequel la concurrence était présente mais organisée. Ces principes d'organisation devaient permettre d'assurer à la fois l'efficacité (grâce à la lutte contre les monopoles) et la sécurité (grâce aux dispositions organisant la concurrence) ; dans les faits cependant plusieurs inconvénients en ont résulté pour le système bancaire américain.
1. 2 Une réglementation partiellement responsable de la fragilisation du système bancaire américain
18Les dispositions précitées ont contribué à fragiliser le système bancaire par plusieurs canaux ; le surdimensionnement, l'érosion des ressources, la prise de risques excessifs et la concentration de ceux-ci, la dispersion de la tutelle, ainsi que le blocage des évolutions de structure.
1.2.1. Le surdimensionnement du système bancaire américain
19L'interdiction de l'activité bancaire inter-États, conjuguée aux insuffisances de la tutelle bancaire en matière d'exigence de capitalisation, a conduit à une multiplication des banques commerciales dont le nombre, bien qu'en diminution ces dernières années, s'établit toujours à un chiffre élevé (11.460 au dernier trimestre de 1992). A son tour, le nombre élevé d’établissements bancaires a été à l'origine d’une faible concentration de l'activité bancaire (en 1992, les 51 banques américaines les plus importantes détenaient 41,2 % des actifs totaux, tandis qu'en France ce sont 5 établissements qui concentrent cette proportion d'actifs), et d'une concurrence très vive qui pousse à une réduction trop marquée des marges bénéficiaires lors des phases hautes du cycle conjoncturel.
1.2.2. L'érosion des ressources et la prise de risques excessifs
20Le cloisonnement des métiers et les restrictions apportées aux interventions des banques sont en partie à l'origine de l'érosion progressive des ressources bancaires et de prises de risques excessifs :
- du côté des ressources, les dépôts ont été affectés dans les années 1970/1980 par un important mouvement de désintermédiation qui s'est traduit par des transferts d'épargne vers des instruments non réglementés, à intérêt non plafonné, tels que les fonds mutuels. On estime ainsi que les actifs des fonds communs de placement sur le marché monétaire sont passés de moins de 100 milliards de USD en 1980 à près de 500 milliards de USD dix ans plus tard.
- du côté des emplois, l'activité traditionnelle de crédit bancaire a été de plus en plus concurrencée au cours de la décennie 1980 par le développement des émissions de papier de trésorerie permettant aux entreprises de se financer directement auprès des investisseurs. Selon certaines estimations, la modification de ces modalités d'emprunt aurait porté sur des volumes financiers de l'ordre de 200 Milliards de USD durant la décennie 1980.
21Afin de compenser cette perte d'activité, les banques américaines ont été amenées à s'engager très, et sans doute trop, activement dans des activités moins traditionnelles, mais qui se sont révélées très risquées, telles que les prêts aux pays en développement, ou le financement de l'immobilier commercial. En définitive, la concrétisation de ces risques quelques années plus tard s’est traduite par une dégradation de la compétitivité.
22Ainsi, à fin 1987, les six principales banques américaines affichaient un encours total de prêts aux pays en développement d'environ 55 milliards de USD mais elles avaient dû accumuler près de 20 milliards de USD de provisions pour faire face à la montée des risques de défaut de paiement ou de rééchelonnement sur ces concours. De même, aujourd'hui, l'activité de financement de l'immobilier commercial est à l'origine d'une bonne partie des problèmes rencontrés par les banques américaines et, à fin septembre 1992, on évaluait que 22 % des créances sur les promoteurs dans les grandes banques commerciales américaines étaient douteuses.
1.2.3. La concentration géographique des risques
23L'inconvénient précédent est d'autant plus accentué qu'il se double d'une forte concentration géographique, de sorte que les banques américaines sont, plus que d’autres, très sensibles à toute récession locale. Cet inconvénient est particulièrement notable actuellement dans certains États tels que ceux de New-York, de Washington D.C. ou de Californie : dans ce dernier État, du fait du recul des industries militaires et aérospatiales et de la crise de l'immobilier, les banques sont très fragilisées, 29 % d'entre elles y affichant des pertes au 30 septembre 1992, contre 6,5 % à l'échelle nationale.
1.2.4. Le blocage des évolutions de structures
24La réglementation bancaire américaine n'a guère favorisé les évolutions des structures bancaires dans la mesure où elle a rendu plus difficiles les opérations de regroupement et de fusions. De ce fait, en période de difficultés économiques, c'est la faillite, et non la reprise ou la fusion, qui a eu tendance à devenir le mode normal de régulation du système.
1.2.5. Les insuffisances de la tutelle
25Le cloisonnement du système de contrôle et de réglementation est source de duplications, voire de contradictions ; surtout, il retarde l'adoption des mesures correctives qui sont nécessaires en cas de crise.
26Au total, c'est sans doute un paradoxe de constater que la réglementation bancaire américaine a plutôt contribué à accroître les faiblesses des établissements de crédit et à fragiliser l'ensemble du système bancaire.
2. Une déréglementation imposée
27Si la nécessité d'assouplir le cadre réglementaire de la profession bancaire est apparue clairement à partir des années 1960/70, les évolutions qui sont intervenues en ce domaine ont pourtant été largement imposées : que ce soit par les agents économiques eux-mêmes qui ont eu recours à diverses innovations financières afin de tourner des règles contraignantes ou par des circonstances particulières de crise.
2.1. Le mouvement d'innovation financière des années 1960-70 : facteur essentiel d'évolution de la réglementation bancaire
28Si les banques américaines se sont au début assez bien accommodées des restrictions apportées à leurs activités, à partir des années 1960 le poids de ces contraintes leur est toutefois apparu plus lourd quand elles ont été confrontées à l'érosion de leurs ressources (cf. première partie) due à la concurrence de plus en plus forte des non-banques et à des modifications dans les comportements de placement des entreprises et des ménages.
29Sous l'effet de ces évolutions, et en l'absence de déréglementation "spontanée" de la part des pouvoirs publics, les établissements bancaires ont multiplié les initiatives visant à contourner les règles existantes. En particulier, les banques ont lancé des produits originaux échappant à la réglementation Q, afin d'attirer les dépôts des agents économiques.
30Ainsi s'est développé dès les années 1960, sous l'impulsion des établissements bancaires eux-mêmes, un profond et durable mouvement d'innovation, lequel a lui-même (en grande partie) inspiré les politiques de déréglementation mises en oeuvre à partir du début des années 1980.
31Les principales manifestations de ce mouvement d'innovation bancaire ont été les suivantes :
- les certificats de dépôts négociables (negotiable certificates of deposits) sont apparus au début des années 1960, à l’initiative des banques qui voulaient limiter l'ampleur du mouvement de désintermédiation résultant de retraits de comptes à vue non rémunérés pour des investissements liquides sur le marché monétaire. Ces certificats, de montant et de durée variables, sont émis à l’initiative de la banque intéressée ou à la demande d'un investisseur, et sont placés auprès de particuliers ou de sociétés portant intérêt mensuel ou à l'échéance.
- les comptes NOW (Negotiable Orders of Withdrawal accounts) ont également été créés à l’initiative des banques, d’abord dans quelques États de l'Est en 1972, puis généralisés. Ce produit a permis aux banques de tourner la réglementation Q puisqu'il s'agit d'un compte à terme où les fonds placés sont donc rémunérés, mais sur lequel le titulaire dispose d'un service de chèques.
- les comptes ATS (Automatic Transfer Service Accounts) créés en 1978 associent un compte d'épargne rémunéré et un compte à vue, qui est automatiquement alimenté par le compte d'épargne lors du tirage d'un chèque.
- les certificats du marché monétaire (Money Market Certificates), qui correspondent à des fonds communs de placement investis en valeurs à court terme sur le marché monétaire, ainsi que les certificats d'épargne (Savings Certificates), dont la rémunération est proche de celle des Bons du Trésor, ont été créés en 1978, rencontrant un vif succès auprès des épargnants.
32A partir du début des années 1980, la multiplication des produits s'est accélérée et de nombreuses innovations sont également apparues sur les marchés financiers ; de nouvelles techniques de couverture des risques (de taux d'intérêt), copiées sur celles déjà existantes sur les marchés à terme de matières premières, ont ainsi été imaginées, donnant naissance à de nouveaux marchés d'instruments financiers à terme (futures) et d'options négociables.
2.2. Dans les années 1980, ce sont les difficultés du système bancaire américain qui ont constitué le motif le plus fort d’évolution du cadre réglementaire
33Ce sont, tout d'abord, les difficultés rencontrées par les caisses d’épargne à la fin des années 1970 qui ont incité le législateur à assouplir la réglementation. En effet, ces établissements avaient été durement touchés à cette époque par la hausse des taux d'intérêt qui avait renchéri le coût de leurs ressources, sans qu'ils puissent répercuter cette augmentation sur des emplois, très spécialisés (essentiellement des crédits immobiliers) à long terme et à taux fixe.
34La déréglementation est alors apparue au Congrès comme la solution la mieux adaptée aux problèmes rencontrés par ces établissements qui ont été autorisés par une loi de mars 1980, le Depository Institutions Deregulation and Monetary Control Act, à diversifier leurs emplois (financement des entreprises et de la consommation des ménages) et à offrir des comptes rémunérés aux particuliers.
35Dans les faits, cependant, la déréglementation n'a pas permis de résoudre la crise des caisses d'épargne qui s'est encore aggravée durant la décennie 1980. D'une certaine façon, elle a même contribué à détériorer la situation car elle provoqué une augmentation du coût des ressources et une progression des actifs douteux, les nouveaux concours autorisés ayant souvent été mis en place sans discernement par des dirigeants peu compétents. On peut à cet égard citer la remarque du professeur Barry Eichengreen à propos des banques : "durant de nombreuses années les banques ont joui d'une protection contre les vents glacés de la concurrence. La soudaineté de la déréglementation a brusquement exposé le management à un environnement hautement concurrentiel".
36La nette détérioration de la rentabilité des banques commerciales durant la décennie 1980 et l'augmentation du nombre des faillites ont également incité les responsables américains à déréglementer l'activité bancaire.
37Les projets élaborés en ce sens au début de 1991 par l'Administration américaine ont été très ambitieux (cf. les "recommandations sur la modernisation du système financier" présentées par le Ministre des finances, M. Nicholas F. Brady) puisqu'ils proposaient une réforme fondamentale du cadre législatif et réglementaire de la profession bancaire comprenant notamment l'autorisation de l'interstate branching, l'ouverture du capital des banques aux sociétés industrielles et commerciales et l'extension de leurs activités aux valeurs mobilières et aux produits d'assurance. Ces propositions répondaient à trois soucis principaux : restaurer la compétitivité des banques américaines, remédier à l'éclatement du système de contrôle et de réglementation préjudiciable à la mise en oeuvre d'actions correctives rapides, et reconstituer un fonds d'assurance dépôts désormais sous-capitalisé.
38Cette réforme ambitieuse n'a cependant pu aboutir et, après presque dix mois de débat, seul le dernier point a pu être inclus dans la nouvelle loi bancaire votée par le Congrès en novembre 1991 (FDIC Improvement Act). Les raisons de cette impuissance doivent, semble-t-il, être recherchées dans une conjonction de plusieurs facteurs : le poids du lobby des compagnies d'assurances et de celui de l'industrie des valeurs mobilières, la division de la profession bancaire (les petits établissements défendant le statu-quo), la peur du législateur de provoquer dans le système bancaire de nouvelles crises alors que les faillites des caisses d'épargne pesaient toujours lourdement sur les contribuables américains et, enfin, la relative discrétion du Président Bush sur ce dossier.
3. Une déréglementation inachevée
39Du fait de l'échec des projets précités, la déréglementation reste à ce jour inachevée aux États-Unis. Si elle est effective en matière de collecte des ressources et de taux d'intérêt créditeurs, elle est encore partielle pour les règles de spécialisation géographique et de cloisonnement des métiers.
3.1. Libération de la collecte des ressources et déspécialisation des emplois des caisses d'épargne
40C'est en mars 1980 que le Congrès a voté une nouvelle législation fédérale, le Depository Institutions Deregulation and Monetary Control Act qui a prévu une élimination progressive sur six ans des réglementations financières limitant la concurrence. Le Congrès habilitait un organisme ad hoc — le Comité pour la déréglementation des institutions collectant des dépôts (DIDC) — à fixer les étapes de l’abandon de la réglementation Q et de la mise en oeuvre de la déspécialisation des emplois. Au DIDC, siégeaient notamment le Secrétaire au trésor, les présidents de la Fed, du FDIC et de l'autorité de tutelle des caisses d'épargne.
41Les principales étapes du démantèlement de la réglementation Q ont été : l'extension des comptes NOW sur tout le territoire américain le 31 décembre 1980, la création de Money Market Deposit Accounts (MMA) ou comptes du marché monétaire investis en valeurs à court terme le 14 décembre 1982, et le 5 janvier 1983 la création des comptes Super Now qui sont des comptes à terme comparables aux comptes Now mais dont la rémunération est libre. Depuis le 31 mars 1986, la rémunération des dépôts dans les banques et les caisses d'épargne (hors dépôts à vue stricto sensu) est librement fixée par les établissements ; en contrepartie, il existe une tarification des services bancaires modulable selon le type de compte et le montant des avoirs déposés.
42La déspécialisation des emplois des caisses d'épargne a permis à ces dernières, dont l'activité était traditionnellement concentrée sur l'octroi de crédits hypothécaires, de prendre part au financement des entreprises et de la consommation des ménages.
3.2. Atténuation du principe de spécialisation géographique3
43Depuis l'amendement Douglas au Bank Holding Company Act de 1956 (cf. supra), l'acquisition d'une banque d'un autre État par une holding bancaire n'est autorisée que si l'État où est situé le siège de la banque le permet. C'est dans ce cadre que les établissements bancaires les plus importants ont multiplié les pressions sur les États de leur siège afin d'obtenir de telles autorisations : à la suite de ces initiatives, plusieurs États (35) ont adopté les lois nécessaires pour permettre l’exercice bancaire à l'échelle nationale (nationwide entry with or without reciprocity laws) par l’intermédiaire de holding bancaires, tandis que 15 ont autorisé ceci sur une base régionale c'est-à-dire dans les États voisins (regional or contiguous State entry).
44Dans la plupart des cas, les autorisations qui ont ainsi été données par les États ont pris la forme d'un achat d'une autre banque avec des structures de capital et de direction (Interstate banking) et non pas d'une ouverture de succursales (interstate branching), bien que cette dernière formule soit certainement la plus efficace et la moins coûteuse pour les banques.
3.3. Ouverture limitée vers de nouvelles activités financières
45L'abandon de la séparation entre activités de banques commerciales d’une part, et activités de marché et d'assurance d’autre part, proposée par l'Administration, n’a pas été acceptée par le Congrès en 1991, malgré le souhait de plusieurs grandes banques d'exercer une large gamme de services et de métiers.
46Cette restriction demeure donc, même si des mécanismes existent qui permettent déjà aux banques commerciales d'intervenir :
47- Les opérations dites de la section 20 : aux termes du Glass Steagall Act les banques ne peuvent s'engager directement dans des activités de valeurs mobilières (autres que la souscription et la vente d'obligations gouvernementales). Toutefois, à la suite d'interprétations récentes par la Federal Reserve de la section 20 de cette loi, les holdings bancaires ont été autorisées à créer des filiales non bancaires pour une large gamme d'activités auparavant interdites, dont la souscription et la vente de papier de trésorerie, les titres représentatifs de prêts hypothécaires, les actifs titrisés, les obligations municipales et les actions et obligations d'entreprises. Les profits dégagés au titre de ces activités nouvelles ne peuvent cependant représenter plus de 10 % des bénéfices de chaque banque.
48Au 31 mars 1991, la Fed avait ainsi autorisé 35 holdings bancaires à créer des firmes de section 20, dont 26 actives, qui ne représentaient cependant qu'une faible partie du chiffre d'affaires de la profession (5,28 % au 31 décembre 1990).
49- L’activité d'assurance : cette activité est très protégée et ne peut être exercée par les banques, mais des échappatoires existent encore qui permettent d'atténuer la rigueur de cette règle. La principale concerne la possibilité ouverte aux banques à charte d'Etat enregistrées dans l'État du Delaware de vendre de l’assurance à l'échelle nationale, en tout cas dans les États qui l'autorisent. La banque Citicorp a été la première à bénéficier de cette possibilité.
50En définitive, la déréglementation bancaire est aujourd'hui encore inachevée aux États-Unis, et les banques ne peuvent intervenir en-dehors du cadre contraignant qui leur est fixé que grâce au recours à des dispositions spécifiques et peu usuelles, ce qui a pour effet de rendre, dans la pratique, leurs opérations plus coûteuses et plus complexes.
3.4. Les perspectives d’évolution : l'allégement du poids de la réglementation bancaire
51A la suite de l'adoption de la dernière loi bancaire de novembre 1991, le Federal Deposit Insurance Corporation Improvement Act, (cf. supra) la déception a été grande parmi les établissements bancaires les plus importants car ce texte n'entraînait aucun allégement des règles relatives à la spécialisation géographique et au cloisonnement des métiers. Au surplus, la nouvelle loi bancaire ayant prévu le renforcement des modalités d'intervention des régulateurs face à une banque sous-capitalisée (et le classement des établissements bancaires en 5 catégories en fonction leur ratio de fonds propres), il en a résulté au total un alourdissement du poids de la réglementation bancaire. C'est pourquoi, depuis la mise en place de ce nouveau texte, le débat a été vif sur le poids et le coût de la réglementation bancaire, celle-ci étant accusée de provoquer une réticence accrue des banques à développer leurs activités de crédits et d'aggraver le phénomène de credit-crunch.
52Dans ce contexte, le Président Clinton a annoncé le 10 mars 1993 une série de mesures administratives visant à alléger la réglementation bancaire afin de faciliter la mise en place de concours bancaires :
- les institutions "suffisamment" ou "bien" capitalisées seront exonérées du respect d'un certain nombre de contraintes administratives lors de l'instruction de demandes de prêts émanant de PME ;
- les méthodes d'évaluation de la qualité et de comptabilisation de certains actifs, notamment immobiliers, seront modifiées ;
- la coordination entre les agences de régulation sera renforcée.
53Ces mesures ont été généralement bien accueillies par la communauté bancaire, mais leur modestie a aussi été mise en évidence..
54En définitive, la déréglementation de l'exercice de l'activité bancaire est incontestzablement un long et difficile processus aux États-Unis. Pourtant, une véritable modernisation du système bancaire américain dépend sans doute au premier chef de l'élargissement des métiers bancaires et de l'abaissement des barrières géographiques.
Bibliographie
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Références bibliographiques
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Notes de bas de page
3 Présentée en juin 1994, cette communication n'intègre pas les développements importants intervenus à ce sujet en août-septembre 1994, en l'espèce le vote par la Chambre des Représentants (le 4 août 1994) puis par le sénat (dans la nuit du 13 au 14 septembre 1994) d'une nouvelle loi, Interstate Branching Bill, qui permettra aux banques d'ouvrir des succursales ou des filiales sur l’ensemble du territoire de l'Union, les États perdant le droit de refuser ces opérations. Ce nouveau texte entrera en vigueur mi-1997.
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