Communication et information gouvernementales : approximation, métadiscours, manipulation
p. 45-76
Texte intégral
1L'étude du contexte événementiel nous a permis de mieux percevoir les méandres du conflit nord-irlandais. Cette synthèse, loin d'être exhaustive, a privilégié les faits qui ont concouru à l'émergence d'un processus de paix dont l'aboutissement est toujours fragile et incertain, malgré des avancées notables. Le flux des événements décrits a, par conséquent, mené à des initiatives gouvernementales en matière de communication avec le public. Si l'on dresse un bref bilan des étapes cruciales franchies, il semble que 1988 ait été une année charnière au moins à deux titres : les entretiens de John Hume avec Gerry Adams et le lancement de la campagne publicitaire Advertising for Peace. Avant d'aborder les conditions de mise en œuvre du projet Advertising for Peace et d'étudier son métadiscours, nous procéderons à une rapide présentation des instances gouvernementales et considérerons en quoi la politique de communication et d'information adoptée par le Northern Ireland Office (NIO) est unique et répond à un besoin apparent. De même, nous tenterons de mettre en avant le mode de fonctionnement, la structuration, les préoccupations avouées de ces instances. Entrer dans des considérations d'ordre communicationnel ou informationnel, c’est pénétrer dans un territoire opaque surtout lorsque le maître d'œuvre s'avère être un appareil étatique. La complexité s'accroît si le contexte est celui d’une lutte contre la violence politique. À quelles ruses les autorités auront-elles recours afin de gérer au mieux l'opinion publique en Irlande du Nord ? Les points de vue s'annoncent nécessairement unilatéraux ; les données fournies sont vouées aux approximations. Un flou communicationnel s'instaure donc d'emblée et résulte d'une bataille des « vraies vérités » qui s'opposent aux « fausses vérités ». La fiabilité du dispositif de manipulation mis en place par le gouvernement est continuellement testée et, nous émettrons au fur et à mesure, autant que faire se peut, des hypothèses relatives à la nature de la manipulation en question.
2La toile de fond de la campagne publicitaire Advertising for Peace est tissée de « faits réels » et de fiction. Les histoires de vies, le croisement d'histoires privées et publiques ont aidé à construire l'Histoire de la Province. La vision du conflit est nécessairement autre selon que l'on adhère à telle idéologie ou que l'on soit (ou non) victime d'actes de violence politique. L'usage d'une terminologie non maîtrisée peut engendrer des connotations malheureuses en fonction du camp auquel on se réfère. Ainsi, que comprendre par des termes tels que propagande, publicité ou communication politique ? Les témoignages de hauts responsables contribuent à nous faire une opinion, même s'il faut demeurer réservé quant aux nuances que peuvent sous-tendre leurs commentaires — ces témoignages nous convient, néanmoins, à émettre des hypothèses et à proposer quelques pistes de réflexion sur la pertinence de la communication choisie. Un éclairage, inspiré d'articles de quotidiens irlandais et nord-irlandais (Irish News, Belfast Telegraph, etc.), montre non seulement les subterfuges de la communication pratiquée par les hauts fonctionnaires mais aussi attire l'attention sur la manifestation, plus ou moins latente, d'une censure démocratique dont la mission serait d'occulter l'évidence de certaines déviances ou « pensées non conformes ».
3Alors l'innovation communicationnelle de la campagne publicitaire Advertising for Peace s'inscrit-elle dans la matérialisation d'une propagande, tellement évidente et visible, que l'on ne se méfie plus des répercussions qu'elle peut engendrer ? Y-a-t-il téléscopage, antinomie ou complémentarité, entre les notions de propagande et de publicité ? Dans un premier temps, interrogeons-nous sur la fiabilité des diverses informations recueillies, essayons de comprendre les rouages des instances concernées par « la circulation et la dissémination des idées », puis concentrons-nous sur le discours officiel et les jugements portés par Sir Patrick Mayhew et Andy Wood, deux membres éminents des autorités nord-irlandaises.
Parodie informationnelle ou la « grande illusion »
4Il importe, bien entendu, d'être très prudent et de jauger avec une vigilance accrue la fiabilité des informations divulguées. Il apparaît donc légitime, dans un souci de préserver une distance critique optimale, de confronter certains renseignements (à caractère financier, par exemple) en questionnant des sources diverses, qu'elles soient étatiques ou médiatiques. Nous sommes vite entrés dans un véritable parcours du combattant car les données fournies, selon qu'elles émanent de tels bureaux ou de tels ministères, divergent voire se contredisent. Cet état de fait étaye la thèse d'une manipulation politique manifeste que certains tenteront de dédramatiser en privilégiant le principe d'une communication transparente, généreuse en justifications statistiques. Pénurie ou profusion de données, rumeurs, accusations de désinformation font généralement les choux gras d'une presse friande de faits croustillants et de sensationnalisme ; curieusement, dans le cas qui nous occupe, il n’en fut rien. Il y eut, en effet, peu d’allusions au lancement de cette campagne publicitaire dans la presse (britannique ou irlandaise).
5Les budgets alloués aux publicités Advertising for Peace ont défrayé la chronique. Pour ne prendre qu'un exemple, les trois mini-films, I Wanna Be Like You, Lady et Car Wash, auraient coûté, selon le Sunday Mirror du 27 juin 1993, 250 000 livres sterling alors que Scotmedia, de juillet 1994, parle de 373 000 livres sterling (cette somme est confirmée par Sir Patrick Mayhew, ministre chargé de l'Irlande du Nord). Le prix d'achat des espaces publicitaires assurant la diffusion d'Advertising for Peace de 1988 à 1995, s'élevait, selon l'Independent du 28 août 1995, à un million de livres sterling — une somme, semble-t-il fantaisiste, qui ne correspond à aucunes des (quelques) précisions insérées dans les communiqués du Northern Ireland Office ou mentionnées dans la correspondance que nous avons échangée avec Andy Wood1 dans le cadre de cette étude. Il est intéressant de souligner que la référence au budget prévu pour cette campagne publicitaire est restée approximative même dans les rapports du parlement britannique (Hansard) qui couvrent la période concernée et que les rares études réalisées (en particulier celle de David Miller dans son ouvrage Don’t Mention the War) ont suscité bien des critiques. Le constat est bien celui d’un travestissement de l'information, d’un accès dédaléen aux sources primaires. Le dispositif communicationnel existant semble reposer sur le jeu incertain de l’ambiguïté, sur les approximations et les contrevérités.
6La difficulté majeure vient, par conséquent, de l'impossibilité symptomatique de disposer de statistiques comparables, dans des questions touchant au financement (ou au budget) consacré à certaines actions. Les exemples sont multiples. Pour preuve, nous considérerons les données fournies par MEAL Nielsen — organisme indépendant spécialisé dans la recherche sur les recettes publicitaires et les études de marchés — qui ne nous ont pas permis de dresser un tableau comparatif des répartitions des dépenses annuelles prévues pour les différentes campagnes publicitaires, lancées ou commanditées par le Northern Ireland Office. Les seules informations, incomplètes, que nous avons pu obtenir sont les suivantes :
Années |
Noms des campagnes |
Sommes allouées (tous media confondus) |
1996 |
Northern Ireland Electricity (McCann-Erickson)
|
£ 392900** |
1995 |
Northern Ireland Peace Campaign (McCann-Erickson)
|
£ 463800 |
1994 |
Northern Ireland Fire Brigade(Direct)
|
£ 309300 |
1993 |
Northern Ireland Electricity Flotations (McCann Erickson)
|
£ 884700 |
1992 |
Northern Ireland Electricity (McCann-Erickson)
|
£ 196300 |
*Cet intitulé est flou, il ne donne aucune indication quant au type de campagne(s) menée(s).
** £ = livres sterling
7Les statistiques sont calculées selon des paramètres différents, d'un service à un autre, ce qui constitue un obstacle sérieux pour l'analyste. Brouillage de pistes, absence délibérée de croisement des données, incompétence, cloisonnement des services, conduisent à autant d'interrogations frustrantes auxquelles nous ne sommes pas en mesure de répondre. La volonté de l'État se fait connaître grâce à des interviews ou lors de discours tenus au cours de manifestations médiatiques et médiatisées qui vont du débat télévisuel au festival de créativité publicitaire, en passant par les revues de presse. L'État se positionne en véritable « communicologue » à la recherche d'un espace d'échanges avec le peuple.
8La solution du recours à la communication publicitaire est, toutefois, ambiguë car elle présuppose une intrication inévitable avec la communication politique. Où se trouve, dans ces conditions, la frontière entre la manifestation d'un pouvoir occulte et l'expression d’une « transparence » médiatique ? Où situer la liminalité du concept de manipulation ? Ce type de questionnement a certes fluctué selon les conjonctures. Ainsi, pendant la Deuxième Guerre mondiale, la diffusion — au cinéma — de « bonnes nouvelles » ou, si l'on préfère, de « films de propagande » (Pathé News) a aidé à gérer le moral des citoyens. La technique de communication publicitaire diffère cependant (nous aurons loisir d’en reparler plus avant dans cet ouvrage). Dans les deux cas, les aspirations politiques sont soupçonnées mais elles cautionnent des jugements qui semblent conduire au bien-être de la population et qui se réunissent autour d’arguments consensuels. En quoi alors la publicité se distingue-t-elle de la propagande ? Gageons que le but d'une propagande diffère par le simple fait que le terme « publicité » semble s'associer à une activité commerciale même si cette impression n'est guère fondée. Dès que la publicité a été utilisée pour servir de grandes causes publiques, il y a eu confusion et perte de repères, d'autant que les enjeux semblent parfois si proches.
Le Central Office of Information et le Northern Ireland Office
9Parmi les « annonceurs gouvernementaux » qui sont partie prenante dans la régulation des « affaires politiques », nous citerons le Central Office of Information (COI) — issu du Ministère de l'Information créé pendant la Deuxième Guerre mondiale— et le Northern Ireland Office (NIO). La spécificité du Royaume-Uni vient de ce qu'il n'y a pas, à proprement parler, de Ministère de l'Information et/ou de la Communication. Une réelle indépendance semble être laissée à chaque ministère, doté de son propre service d'information. Il est, en outre, dans la tradition que les ministres s'adressent régulièrement à l'opinion grâce à leur participation aux débats de la Chambre des Communes. Toutefois, depuis 1946 —au regard des campagnes publicitaires — le Central Office of Information, agit en véritable intermédiaire entre les différents ministères, les principaux organismes d'État et les agences de publicité. Il arrive toujours au Central Office of Information de créer ses propres publicités puisqu'il dispose d'un service qui se consacre exclusivement à cet effet ; néanmoins, selon l'ampleur des demandes effectuées par les différents ministères, le COI passe des commandes auprès d'agences publicitaires et agit ainsi, purement et simplement comme un annonceur. Le choix des agences contractées au nom des organismes d'État, s’effectue après accord de l'Advisory Committee on Advertising, groupe indépendant composé de professionnels des media et du marketing nommés par des responsables politiques. D'autre part, les services du COI de Londres produisent pour le compte du Foreign & Commonwealth Office (FCO) des films qui seront diffusés dans le monde entier.
10Le COI, instance gouvernementale nommée Executive Agency depuis la réforme d'avril 1990, est devenue beaucoup plus autonome qu'auparavant et fonctionne à bien des égards comme une agence de communication. Autre détail significatif, le COI est placé sous l'autorité du Ministre des Finances. Les organismes d'État, qui traitent avec le COI, ont ainsi pu faire des économies considérables, ne serait-ce que par le simple fait d'acheter des espaces publicitaires à des prix moindres. L’ensemble des responsables de l'information sont des fonctionnaires, ce qui signifie qu’ils peuvent être amenés à collaborer avec des tendances politiques différentes selon le gouvernement élu. Périodiquement, le Northern Ireland Office (NIO) fait appel aux compétences du COI, le plus souvent pour les campagnes devant être insérées dans la presse. Pour la communication télévisuelle, le NIO s'adresse, en revanche, plus facilement à des agences publicitaires conventionnelles comme ce fut le cas pour Advertising for Peace.
11Comme il est précisé dans notre premier chapitre, à partir de 1972, suite à l'accroissement de la violence politique intercommunautaire en Ulster, le gouvernement britannique a pris en charge le contrôle des autorités nord-irlandaises et a multiplié les initiatives. Le Northern Ireland Office, sous la responsabilité d'un ministre2 (Secretary of State), membre du Cabinet, se charge, plus particulièrement, des affaires politiques et constitutionnelles, de la sécurité et, plus généralement, de l'économie. Comme tous les ministères, le Northern Ireland Office dispose d'une cellule d'information : le Northern Ireland Information Service (NIIS). S'ajoute à cela la présence d'organismes périphériques, intra-ou extra-gouvernementaux, établis suite à la Standing Advisory Commission on Human Rights (1986) —ces services ont pour objectif d'affirmer et de développer une « confiance culturelle » et de faire accepter le principe d'une diversité culturelle. C'est dans cet esprit de transparence et d'ouverture que fut créée, en 1987, la Central Community Relations Unit3 La CCRU, unité centrale de l'administration nord-irlandaise jouit d'une mobilité certaine au sein des structures gouvernementales et d'une flexibilité administrative qui, en théorie, lui permettent une écoute plus attentive des besoins émanant du terrain. Il en résulte que la CCRU instaure de véritables initiatives politiques et gère, en quelque sorte au jour le jour, une « politique culturelle » dans la mesure où elle recense, analyse et génère tout ce qui touche au domaine des relations intercommunautaires. C'est en 1990 qu'est apparu le Community Relations Council (CRC) sous l'impulsion de la CCRU. De par la nature de ses activités, le Community Relations Council mérite d'être brièvement présenté. C'est un organisme extra-gouvernemental indépendant qui agit en tant qu'intermédiaire entre décideurs et praticiens. L'engagement du CRC est clair : restaurer un climat de confiance au sein de la société nord-irlandaise, renforcer une reconnaissance de son pluralisme et de sa diversité ; l'implication est d'autant plus forte qu'elle vise à la valorisation d'une tradition culturelle, souvent mal accueillie car étrangère — reflet d'un ailleurs familier vaguement menaçant.
12Identifier l'origine et les responsabilités réelles de ces organismes n'est pas simple. On peut néanmoins s'accorder à dire que les objectifs du NIIS et du CRC convergent : ils contribuent, à des degrés divers, bien que complémentaires, à améliorer les relations intercommunautaires en Irlande du Nord en s'insèrant au vaste programme de réconciliation. C'est dans cet esprit que, début 1997, Michael Ancram, député, membre du CRC, accueillait avec bienveillance la décision du NIO de rediffuser un spot publicitaire Boys4 — à une modification près : le slogan « Heal the Hate, Free the Future » est nouveau, de même que la sentence finale « Respecting Another Tradition Doesn't Mean Losing Your Own ». Ces formules percutantes résument finalement assez bien les missions assignées aux organismes en question.
Les incidences du Northern Ireland Information Service
13Peu ou prou d'études ont été, jusqu'à présent, réalisées sur les techniques de communication pratiquées par le NIIS, tutelle du gouvernement britannique dont la tâche principale est de diffuser des informations sur la situation en Irlande du Nord. Les buts, les stratégies et les tactiques de cet organe d'information figurent au cœur de notre réflexion. Ils se manifestent à l'aide d'un medium précis, la télévision, dans un contexte bien défini, un pays déchiré par vingt-cinq ans de violence politique. Les témoignages dont nous faisons état sont accessibles au public désireux de s’informer. Le NIIS commente régulièrement les événements qui se déroulent en Irlande du Nord — d'une façon qui se veut objective — aux organismes de presse nationaux et internationaux et actualise périodiquement les données diffusées sur son serveur Internet5. Nous sommes, bien entendu, conscients d'aborder un problème majeur : celui de la fiabilité des sources. La version officielle est invariablement confrontée à une multiplicité de points de vue qui alimentent l'inéluctable accusation d'une manipulation de l'information, voire de la manifestation d'une guerre psychologique. Un réel danger, d'après une étude réalisée par l'équipe de recherche sur les media de l'Université de Glasgow, vient de ce que :
Le flot continuel d'incidents violents “décontextualisés” et apparemment irrationnels “s'intègre” volontiers, à en croire de nombreux critiques, aux stratégies de la guerre psychologique de l'État et permet ainsi aux sources officielles de dominer les informations. Schlesinger a argué qu'une couverture unidimensionnelle de ce type “reflète, du moins en partie, la stratégie d'usure, efficace sur le long terme, employée par l'État britannique dans sa campagne de guerre psychologique, laquelle implique des techniques de relations publiques de plus en plus sophistiquées”6.
14Les avis sont partagés, parfois contradictoires, lorsqu'il s'agit de décrire les actions d'un groupe paramilitaire considéré comme une bande d'agitateurs — criminels pour d'aucuns, héros pour d'autres. Les hypothèses abondent : ainsi, par exemple, pour l’IRA l'absence de motivation politique la réduirait à une conspiration criminelle de type mafieux dont les ramifications divergentes et multiples remonteraient vers l'Europe de l'Est ou le Moyen-Orient.
15Dans le cadre de cette étude, il ne nous incombe pas d'analyser les activités de LIRA ou autres organisations semblables, nous essayons tout au plus de montrer qu'il n'est pas si facile d'étiqueter les desseins de tel ou tel groupe. Certes, les commentateurs officiels stipulent que l'UVF et l'IRA sont des organisations terroristes régies par des parrains7. Quoi qu'il en soit, la perception du rôle de l'armée britannique et de la Royal Ulster Constabulary (RUC) est conditionnée par les sources d'information. Selon les autorités nord-irlandaises, la mission de ces forces de défense est préventive puisqu'elle vise à éviter la menace terroriste et à maintenir la paix. Le point de vue ici est qu'il ne faut pas transgresser, enfreindre les règlements définis par l'appareil gouvernemental dont la présence vise à établir une « normalité ». Ne nous interrogeons pas sur qui doit obéir à qui ? qui transgresse quoi ? qui a tort ? qui a raison ? puisque cela nous amènerait à traiter de l'insoluble problème de la légitimité de l'État. Beaucoup d'encre a coulé afin d'apporter des éléments de réponse à ces questions ; des efforts restés vains, car après tant d'années de désaccord, il arrive aux belligérants de se contredire quant à leurs motifs de combat. Alors que penser de ce qu'écrivait Robert Maxwell, le 5 juillet 1991, dans l'éditorial du Daily Mirror où il critiquait la profusion de pourparlers sponsorisés par le Northern Ireland Office qui n'avaient, à son avis, pour autre vocation, que de perpétuer le conflit ? En d'autres termes, les troubles persisteraient tant qu'il y aurait des fonds. Robert Maxwell condamnait avec une certaine virulence la médiatisation et la surexploitation publicitaire du phénomène. De nombreux témoignages suivent cette logique. Le Général Sir James Glover, ancien commandant en chef de l'armée britannique en Irlande du Nord, avait, de même, déclaré lors de son passage à la télévision, le 29 février 1988, au cours de la prestigieuse émission de BBC1 Panorama :
L'IRA Provisoire ne pourra, en aucune manière, être militairement vaincue... la longue guerre durera aussi longtemps que l'IRA en aura la force, la motivation politique — c'est ce que j'appelais autrefois le nerf de la guerre — et les moyens de soutenir ses actions, [cette guerre durera] aussi longtemps que l'Irlande sera divisée8.
16Ces prises de position laissent deviner un dilemme incontestable et il ne semble pas judicieux de s'engouffrer dans un raisonnement peu éclairant. La question centrale de la place de la Grande-Bretagne dans le conflit n'est aucunement remise en cause dans les publicités de notre corpus. D'ailleurs, l'image que le NUS essaie de projeter est celle d'un « pays » qui, malgré les troubles, attire les capitaux et les investisseurs étrangers9. Les années 1990 symbolisent renouveau social et économique et décollage industriel, c'est du moins l'un des messages véhiculés au fil des publicités Advertising for Peace. De manière générale et aux dires du ministre de l'économie au NIO, la diminution du chômage devrait entraîner la régression du terrorisme, débouché lucratif s'il en est. Le NIIS, à partir de 1988, déclare ouvertement que les actes terroristes entravent le processus démocratique, et que les habitants de l'Ulster appartiennent à une communauté en pleine évolution où l'enthousiasme des entrepreneurs locaux ne peut qu'être encouragé. Bref, l'essentiel des dépenses publicitaires du NIO misait sur le retour de l'Irlande du Nord à la normalité10.
17La difficulté du service d'information du NIO vient de ce qu'il doit faire face à des actualités souvent contradictoires et conflictuelles. La stratégie est donc d'insérer de « bonnes nouvelles » dans des magazines ou des journaux internationaux afin de justifier les campagnes menées sur le terrain en Ulster. Ces informations sont divulguées par le bureau de presse du Central Office of Information de Londres. Les autorités ulstériennes (et plus subtilement le gouvernement britannique) mènent une politique d'information volontaire qui va dans le sens d'une représentation optimiste des initiatives économiques, sociales et culturelles de la Province. Depuis 1993, la diffusion internationale et gratuite du magazine semestriel Omnibus — A Northern Ireland Review — édité par Maggie Stanfield sous l'égide du NIIS en est la preuve tangible. En septembre 1997, l'Irish News — GLOBAL Edition, proposait un article extrait de l'ouvrage de David Miller, au titre évocateur : Don't Mention The War —Northern Ireland, Propaganda And The Media. L'auteur réfléchissait sur la manipulation des messages émanant du Northern Ireland Office qui, selon ses dires, canalisait avec habileté et efficacité une certaine désinformation. David Miller expliquait que ce magazine officiel comprenait des histoires où l'optimisme prévalait. En effet, Omnibus propose des articles consacrés exclusivement à la vie en Irlande du Nord, des articles rédigés par des journalistes renommés et des personnalités du monde des Arts et du Spectacle. Rien ne laisse transparaître la responsabilité directe du gouvernement britannique, seule l'allusion au plus « anonyme » NIIS est faite dans cette publication. Cette équivoque n'est pas sans entretenir la thèse de la désinformation et de la propagande.
18La gestion de l'information est une affaire de crédibilité mais aussi de remise en ordre d'idées forgées au gré des tendances, des événements, des points de vue. Le NIO est, par conséquent, contraint de tenir un double langage. Sa mission est ambitieuse : reconstruire l'image de l'Ulster, affirmer sa représentation identitaire et redéfinir les rôles des principaux acteurs du rétablissement de la paix et du retour à une stabilité, à une normalité quotidiennes. Parmi les prérogatives du NIO figure la réhabilitation des forces de défense. Ainsi, l'image du policier, fortement connotée dans une situation de terrorisme permanent, ne peut indéfiniment rester ternie. Des efforts particuliers ont donc été faits afin d'apporter une autre définition au statut du policier, celle d'un individu souriant, serviable et prêt à sympathiser avec la population11. Opérer un changement en profondeur et modifier l'apparence d'un pays, non plus « en guerre », mais en pleine mutation tant économique, sociale, culturelle que politique se trouvent parmi les priorités du NIIS.
Témoignages de Sir Patrick Mayhew et d'Andy Wood : entre obséquiosité et manifestation d'une communication politique « manipulée »
19L'expérience de la campagne publicitaire Advertising for Peace est unique à bien des égards. Elle vient en contrepoint des diverses tentatives gouvernementales de raisonner la population d'Ulster. Advertising for Peace est un matériau précieux car « sa promesse de vente » n'est autre que de promouvoir la paix. Remise en cause des attitudes et des comportements des habitants d'Irlande du Nord, justification de la présence des forces de l'ordre, sans négliger la nécessaire mise en relief d'un héritage commun sont des maillons indispensables dans une logique de tissage d'informations ralliant le plus grand nombre et dans la construction d'un raisonnement fondé sur le principe d'un retour irréversible de la paix.
20La « publicité », le métadiscours effectués autour de cette campagne hors du commun justifient la concrétisation de ce projet et confortent les thèmes choisis afin de « frapper » les esprits et d'alerter les citoyens. L'aura médiatique connue, suite au lancement d'Advertising for Peace, est à nuancer. Les interventions de hauts dignitaires, à la télévision, à la radio, dans les journaux locaux et nationaux mais aussi les interviews de Julie-Anne Bailie et de David Lyle de l'agence McCann-Erickson, ont alimenté le débat autour du processus de paix. Les paroles « officielles » de Sir Patrick Mayhew et d'Andy Wood méritent d'être citées dans la mesure où elles s’inscrivent dans le processus de médiatisation de la campagne publicitaire. Il est clair que les propos tenus par ces hauts responsables ne peuvent que corroborer l'idéologie en vigueur et répondre à une logique d'homogénéisation de la pensée.
Sir Patrick Mayhew, QC : défenseur des campagnes publicitaires pour la paix en Ulster
21Les témoignages d'hommes politiques tels que Sir Patrick Mayhew personnalisent les choix politiques envisagés. Le métadiscours qu'ils tiennent n'est autre que l'expression d'une volonté politique affirmée. Dans un communiqué du Northern Ireland Information Service, datant du 7 juillet 199312, Sir Patrick Mayhew, à l'occasion du lancement de nouveaux spots — Lady, I Wanna Be Like You et Car Wash — dresse un bref bilan de la campagne publicitaire Advertising for Peace qu'il replace dans un arrière-plan historique. En 1993, les publicités télévisuelles en question contiennent, nous confie-t-il, « des représentations choquantes de faits tragiques, d'horribles meurtres terroristes qui réveilleront probablement de douloureux souvenirs chez ceux qui, en Irlande du Nord, ont perdu un être cher suite à un acte terroriste. Le gouvernement ne souhaite pas réouvrir de douloureuses et cruelles blessures, cependant, les actes terroristes perdurent, emportant ou détruisant maintes vies humaines. Le gouvernement doit s'attaquer aux affres du terrorisme par tous les moyens dont il dispose. Ces films font partie intégrante de cet effort. Ils poursuivent la campagne publicitaire, assurée initialement par la diffusion d'un film fort, A Future, et lancée, il y a cinq ans, pour promouvoir l'utilisation du téléphone confidentiel. Ce film montrait des scènes de torture dans des ruelles. Si une seule vie est sauvée suite à la diffusion de ces films, ceux-ci auront rempli leur mission »13.
22En dehors de ces propos philanthropiques, Sir Patrick Mayhew insiste sur le fait que le message de la campagne s'applique à toutes les organisations terroristes de la Province et ne saurait se restreindre à l'IRA. Les précautions oratoires sont de mise, il ne s'agit ni de froisser, ni de heurter les sensibilités. Nous en conviendrons, le choix du traitement du sujet, la conception et le mode de création de ce genre de publicités relèvent d'une grande minutie. Sir Patrick Mayhew considère cette campagne télévisuelle comme « [u]n message visuellement impliquant pour tous ceux concernés de près ou de loin par le terrorisme... C'est aussi une supplique pour tous ceux qui ont eu vent de la fomentation de quelques actes terroristes ou qui sont, eux-mêmes, susceptibles d'être victimes de ces actes, si ceux-ci ne cessent pas. Nous voulons que ce message soit diffusé dans chaque foyer »14. Nous constatons là un exemple de quête de légitimité de la part de l’État britannique dont le discours hégémonique met l’accent sur l’argument sécuritaire et sur la protection de la famille, de la communauté.
23Ces quelques lignes insistent lourdement sur une nécessaire diffusion massive de ce message moralisateur. Sir Patrick Mayhew s'empresse d'ajouter qu'en raison de la nature explicite des scènes de violence, les publicités ne seraient transmises qu'après le seuil des 21 h 0015. Une grande vigilance s'impose. Plusieurs mesures d'ordre sécuritaire ont été prises, comme, par exemple, le recrutement des acteurs en dehors de la Province, car, selon Sir Patrick Mayhew, la présence de visages familiers aurait été susceptible de dévier l'atmosphère « réaliste » des histoires. Après avoir fait valoir la fibre humaine du dispositif, Sir Patrick Mayhew met en avant l'argument financier. Le coût de production des trois films s'est élevé à 373 000 livres sterling, chiffre qu'il s'empresse de comparer avec la réalisation de A Future qui coûta, en 1987, 90 000 livres sterling. De plus, il spécifie que le tournage en Irlande du Nord et en Écosse16 dura douze jours suivis de trois semaines de post-production et de montage. Travailler dans un état d'urgence semble en effet inévitable puisque les messages publicitaires évoluent au gré des circonstances, des événements. Pour être efficace, le spot se doit de coller à la conjoncture du moment, c'est là, selon Sir Patrick Mayhew, le secret de la réussite. Il est clair que cette interprétation officielle, quelque peu rigide, est conforme aux espérances des autorités gouvernementales. Tous les mots sont soupesés dans le but de justifier l'action menée et éventuellement de convaincre.
Advertising for Peace : la voix d'Andy Wood, une autre version officielle
24À l'instar de Sir Patrick Mayhew, Andy Wood17 a été convié à témoigner ponctuellement de la volonté politique de lutter contre le terrorisme. Ce haut fonctionnaire du gouvernement britannique était directeur du Northern Ireland Information Service à Belfast jusqu'en 1996, un poste qui le conduisait à participer à des débats télévisés mais aussi à des colloques et des manifestations culturelles (le festival du film de Venise, par exemple). Le 7 mars 1995, il est invité à paraître dans The Late Show, une émission de BBC2, afin de retracer les moments saillants et d'exposer la finalité de l'ensemble de la campagne Advertising for Peace. Il lui revenait donc de donner son « opinion » et d'apporter un jugement a posteriori sur l'impact des publicités en question. Son témoignage (consensuel) validait la démarche entreprise par le gouvernement britannique. Selon ses dires et sous le couvert d'un « rayonnement politique », le lancement du (nouveau) numéro de téléphone confidentiel — accessible, aisément mémorisable et reconnu de tous — apparaît comme une nette amélioration et une simplification du dispositif déjà existant. Jusqu'alors, chaque poste de police était doté d'un numéro individuel, ce qui impliquait de contacter un numéro de proximité avec tous les avantages et les inconvénients18 qui en découlaient : être identifié par quelqu'un, se tromper de numéro, etc., d'où le besoin de pouvoir accéder rapidement à un numéro unique centralisé et plus neutre.
25Pourquoi choisir de diffuser cette campagne publicitaire à la télévision ? Globalement, parce que les événements l'exigeaient, le contexte le justifiait et la nature du medium se prêtait à viser le grand public. En effet, de l'avis d'Andy Wood, l'ensemble de la population souhaitait collaborer avec la police pour que les trouble-fête, les adversaires de la paix soient mis hors d'état de nuire. Il s'agissait mutatis mutandis d'aider la police à arrêter les détracteurs de l'ordre public, ceux qui, par leurs agissements, donnaient le mauvais exemple, dégradaient le lieu dans lequel ils habitaient et qui, par conséquent, affectaient la qualité de vie. Bref, il s'agissait de responsabiliser les gens et leur permettre d'intervenir directement19. Andy Wood semble refléter l'opinion publique et étale généreusement ce qui paraît réunir les ingrédients du bon sens commun. Ce commentaire, bien entendu à prendre avec les réserves qui s'imposent dans pareil « témoignage », s’inscrit dans la théorie, défendue notamment par le penseur politologue marxiste, l’italien Antonio Gramsci (1891-1937), qu’est l’hégémonie de l’État. Comme nous le rappelle Brian McNair dans An Introduction to Political Communication (Routledge, 1999), dans ce concept de l’hégémonie qui prend pour ancrage la thèse du consensus, il apparaît clairement au fil des interventions des hauts responsables du gouvernement britannique ce besoin incessant de vouloir redéfinir, reconstruire tout ce qui appartient au domaine de la conjoncture et de l’événement.
Les subtilités d'un contrat tacite : appel à la connivence ou expression d'un paternalisme bienveillant ?
26La motivation du projet Advertising for Peace semble relever « du bon sens ». Sa genèse et les termes de la commande passée auprès de l'agence McCann-Erickson, en 1988, demandent à être plus amplement explicités. Selon Andy Wood, « la commande initiale était : “donnez-nous un produit, un service qui permettra aux Irlandais du Nord, ceux qui souffrent directement ou indirectement des activités paramilitaires, de déclarer [...] la disparition inopportune d'une voiture, de dénoncer des activités illégitime”. Je pense que tout reposait sur le sentiment que beaucoup de gens souffraient les conséquences du terrorisme directement ou indirectement. On leur volait leurs voitures, leurs camionnettes étaient détournées, leurs maisons étaient spoliées ; ils voyaient toutes ces choses se produire, il fallait leur donner les moyens de riposter »20.
27L'appel d'offre consistait à trouver un concept efficace susceptible d'aboutir à une solution satisfaisante même si cela revenait à « consommer » des principes de citoyenneté — comme on consomme du Nescafé ou des barres de chocolat Mars. Certes, cette démarche s'inscrit dans une longue tradition de publicités gouvernementales aux thèmes inhabituels pour un public français tels que le viol ou l'inceste. La philosophie du spot A Future, évoqué précédemment, visait à interpeller un maximum de citoyens — acteurs ou victimes — impliqués de près ou de loin dans le terrorisme. Le prix à payer ne pouvait donc se résumer à de simples considérations de vie ou de mort, à l'apitoiement face à des blessures ou à la destruction de son bien. La perpétuation des activités paramilitaires ne pouvait qu'être une entrave au bien-être des habitants de la Province ; elles empêchaient toute possibilité d'investissement, détruisaient l'environnement, dégradaient les propriétés privées et anéantissaient les bâtiments publics. L'allusion faite ici est celle d'un mal visible, d'un mal physique, d'un mal à combattre. Les arguments utilisés font appel à l'émotion, au respect de la propriété, au sens d'un civisme responsable, et condamnent tout acte de subversion.
28Plusieurs étapes dans le processus de communication se devinent. La démarche entreprise était, dans un premier temps de s'imprégner de l'esprit des publicités, il s'agissait ensuite d'extrapoler le contenu d'une publicité qui montrait, par exemple, un homme tuer un autre homme ou l'explosion d'une bombe détruisant un commerce. Le message devait se faire plus direct : « Vous ne devez plus vous accommoder de cela. Si vous voyez quelque chose, si vous entendez quelque chose, nous vous donnons les moyens de changer l'avenir »21. Les citoyens se devaient d'être dans un état d'alerte permanent — condition sine qua non d'une garantie de survivance et d'une tranquillité a posteriori. Nous pouvons noter une évolution dans les stratégies employées au fil des publicités diffusées à partir de 1988 et dans celles qui envahissent les écrans avant le cessez-le-feu de 1994. Lady et I Wanna Be Like You sont visuellement beaucoup plus explicites, beaucoup plus dures : elles montrent des crimes en train d'être commis, tandis qu'en 1988, la technique du montage consistait à s'appesantir sur le résultat d'actes violents.
29Au cours de son entretien télévisé de mars 1995, Andy Wood insiste sur la nécessité de suivre une stratégie sur le long terme. La démarche adoptée et cautionnée par le gouvernement s'appuie sur une présentation des conséquences de plusieurs années de terrorisme. On n'hésite plus à montrer la violence la plus crue, la plus lâche, comme par exemple tuer un père de famille devant son jeune fils ou à filmer une fusillade au ralenti avec le sang qui gicle des corps et qui éclabousse le décor. Ces images marquent un contraste avec les images de violence édulcorées, diffusées au cours des bulletins d’informations de la BBC et de UTV. Toutefois, dans son analyse, Andy Wood prétend — ce qui peut surprendre — que les publicités de 1993 étaient plus subtiles, plus « neutres » et s'en explique :
À bien des égards, les publicités de 1993 étaient, paradoxalement, plus subtiles car elles ne martelaient pas le message de la même façon que pouvaient le faire les voix off utilisées dans les premiers spots. Elles laissaient les gens se forger leurs propres opinions. Dans une certaine mesure, elles laissaient les gens commencer et poursuivre leurs propres débats. Bien évidemment, nous espérions, en fin de compte, que cette réflexion irait dans le sens de l'évolution générale des attitudes22.
30Quant à dire que le choix des scènes filmées était judicieux, il convient de rester prudent. Il est possible, en effet, que ces publicités, très fortes, aient réveillé un traumatisme ou déclenché des réactions de violence banalisée ou qu'elles aient suscité une impression de déjà vu dans des films de guerre ou des films policiers, surtout chez les personnes non directement concernées par les troubles. Ceci dit, il appartient aux téléspectateurs de faire la part des choses, de relativiser. Filmer des « terroristes » dans leurs tâches quotidiennes était une première, du moins selon un objectif publicitaire. Il fallait oser franchir la frontière des possibles en matière de publicités télévisuelles et surprendre le public pour le convaincre, l'impliquer davantage. Selon Andy Wood, parler de façon générale d'activités paramilitaires aurait été moins convaincant et aurait peut-être favorisé le jeu des terroristes. L'une des subtilités de ces publicités réside dans le fait que la voix n'est pas, en apparence, celle du gouvernement britannique, ni même celle des autorités nord-irlandaises, elle semble provenir du citoyen moyen, de celui qui doit prendre en main son destin et agir en personne responsable envers les siens et les générations futures. Le nom de l'annonceur n'apparaît jamais à l'écran, il n'y a aucune identification directe des sources émettrices. C'est peut-être cette absence qui conforte l'hypothèse d'une manipulation insidieuse, d'un pouvoir occulte. Quelle logique sous-tend la stratégie choisie ? Andy Wood avoue être conscient de l'éventuelle ambiguïté du message bien que, selon lui, la fin en justifie bien les moyens. Il souligne non sans perplexité les aléas résultant des décisions prises dans la façon d'aborder le message en question, ainsi :
Vous cautionnez et en quelque sorte vous validez les actes pervers [des paramilitaires] en les montrant. En d'autres termes, si le gouvernement déclare : « vous êtes de mauvais sujets », « le gouvernement vous considère de la sorte », ceci légitime votre action, vous marquez des points23
31L'ingéniosité qui réside à amener toute une communauté à aspirer à un même objectif repose sur un raisonnement médiatique très hasardeux et sur l'usage d'une rhétorique savamment dosée. Dans pareil cas, il n'est pas permis de se tromper. Le message, délicat et intime, frôle un thème où la bonne conscience, le passage à l'acte, qualifié, selon les points de vue, de délation, de dénonciation, peut également s'interpréter comme la satisfaction du devoir accompli à défaut d'être un acte de bravoure. D'après ce processus d'épuration, fournir des noms à la police est une première étape vers une négation de la perpétuation des actes terroristes. Dans le spot intitulé Lady, il n'était plus question de montrer des individus rendant visite à un détenu, ni de dépeindre les déboires d'un ménage devant affronter une situation financière difficile, il s'agissait d'élargir le message sur les effets du terrorisme, de l'étaler au quotidien, de montrer comment le bonheur de deux êtres devient éphémère et fragile dans un environnement imprégné de violences terroristes. Combattre ce fléau et conjurer la fatalité sont les mots d'ordre et c'est ce que tente de faire avec plus ou moins de bonheur cette publicité.
32 Lady vise apparemment un large public. Son but est bien d'inciter toute personne ayant connaissance d'un fait précis — susceptible d'être utile à la police — de téléphoner. Leçon de morale, responsabilisation citoyenne face à l'acte terroriste se cachent derrière l'objectif initial de la publicité. Le cœur de cible des téléspectateurs concernés est les personnes touchées directement par le crime. Les exemples les plus évidents, car symboles de vulnérabilité, sont les femmes délaissées, les jeunes veuves, les mères ayant perdu leurs enfants, etc. Il est clair que les préconceptions sur la violence en Irlande du Nord sont multiples ce sur quoi Andy Wood n'est pas avare de détails imagés et d'anecdotes. Son témoignage est saisissant :
Selon les dires d'un groupe paramilitaire, il n'y a que trois façons de s'en sortir après s'être enrôlé. C'est soit le cimetière, soit la prison, soit la cavale. Or, un jeune paramilitaire macho est libre d'accepter ces conditions, mais je pense que chacun a le droit de choisir des solutions autres. En disant aux épouses « Regardez donc ! Voici ce qui vous arrive » et en disant aux mères « Voulez-vous vraiment vous pencher sur le cercueil de votre fils ? », nous affirmons qu'il n'appartient pas aux paramilitaires de tout décider. Il y a d'autres personnes dont la vie risque d'être affectée par votre comportement24.
33Stéréotypes et clichés forment la base des histoires narrées dans les spots publicitaires. La volonté créative sous-jacente dans Lady et I Wanna Be Like You repose sur l'implication des gens et laisse une part plus grande à la cruauté, à l'émotion devant des scènes forcément pénibles, déchirantes. L'ambivalence joue, bien entendu, sur l'humain « maîtrisable » face à l'inhumain, l'infernale machine à tuer. À l'évidence, Andy Wood, qui parle à la première personne, essaie, dans ses tentatives d'interprétation des publicités, de se rapprocher du public, de se mettre à sa portée et constate :
Au bout du compte, vous observiez les dégâts causés par des créatures dépourvues d'humanité car ce n'était pas l'œuvre de machines. Les machines n'étaient que les moyens qui engendraient la mort et la destruction. Au bout de la chaîne, se trouvait un autre être humain. Il ne m'appartient pas de dire “oubliez et pardonnez”. Je ne suis pas, personnellement, une victime, mais je pense qu'il est possible de distinguer entre le péché et le pécheur25.
34Sermon, bon sens, paternalisme bienveillant, exercice de démagogie, toujours est-il qu'il convient de ne pas perdre de vue le contexte de la diffusion de ces publicités. Cette période fut fertile en petites phrases prononcées par les hommes politiques de tous poils et en commentaires proférés par/dans les media et/ou lors de débats parlementaires. Ainsi employait-on des expressions telles que « people beyond society » ou encore « mindless men of violence ». Les publicités n'utilisent pas ce vocable apparemment convenu. L'objectif visé n'était pas d'accuser les hommes mais plutôt de condamner leurs actions, le but n'était pas d'inciter à une rationalisation pseudo intellectualisée, le public ciblé n'aurait pas été réceptif. L’idée défendue à l’époque était celle d’une dé-diabolisation de la situation, celle d’une humanisation des terroristes devenus des victimes entraînées dans un engrenage fatal. D'autre part, la grande cause publique à défendre se limitait à un territoire précis, peuplé d'habitants aux habitudes, aux mentalités spécifiques. Sagacité rimait avec rejet des agissements des terroristes, véritables freins à tout rétablissement de l'ordre. Faute de soutien actif, le conflit cessait et le vieil adage « la violence engendre la violence » devait être banni. Aussi peut-on se demander à quel point montrer des scènes brutales dans les spots s'imposait, même si dans ce cas il s'agissait de condamner et non de glorifier la violence — un choix que défend Andy Wood :
Nous étions très conscients de la nécessité d'éviter, autant que faire se peut, de rouvrir les plaies chez ceux qui avaient effectivement perdu des parents pendant ces vingt-cinq dernières années et quand nous avons lancé les publicités, nous nous sommes efforcés d'insister sur le fait que nous n'étions pas en train de faire de la surenchère mais que nous souhaitions bel et bien ne pas avoir eu à les faire. Nous nous sommes excusés, lors de leur lancement, de la peine qu'elles pouvaient provoquer en ressassant de vieux souvenirs... J'espère profondément que la peine ravivée dans les esprits des gens ne fut pas trop forte et que les gens avaient suffisamment de recul pour dire : « J'ai eu beaucoup de chagrin lorsque cela s'est produit. La douleur est toujours là et reste ancrée dans ma mémoire ; il y a cependant un objectif plus important qui consiste à faire cesser la souffrance d'autres personnes et de leur éviter de vivre ma propre souffrance »26.
35Les propos d'Andy Wood se veulent bienveillants, compatissants ; ils font naturellement écho à ceux de Sir Patrick Mayhew. Andy Wood donne néanmoins l'impression d'être plus proche des « réalités ». En effet, nous ressentons, chez lui, un souhait de rendre le message accessible aux téléspectateurs, à tel point qu'Andy Wood ne renâcle pas à interpréter, à expliquer les publicités en reprenant un vocabulaire plus simple, plus relâché. Andy Wood met beaucoup de circonspection dans son discours, il adopte une attitude modératrice, médiatrice. Il se veut conciliant, fait valoir sa bonne foi et met en avant des arguments d'un professionnalisme sans faille. Propension à « positiver », ancrage psychologique inconditionnel, moralisation, peu importe, sa mission consiste, dans un premier temps, à impulser des attitudes et, à plus long terme, à modifier les comportements (en profondeur). Alors, quelles sont les véritables intentions d'une telle déclaration ? Acte démagogique, opportunisme exacerbé, critique ou apologie, quoiqu'il en soit, son témoignage répond avec d'adroits ménagements aux besoins du public et tente de justifier le pourquoi et le comment de cette campagne publicitaire sans précédent.
Advertising for Peace : apologie et dénonciation de manipulation politique
36La réception et la perception de ces publicités par le public nord-irlandais furent, de l'avis de l'agence McCann-Erickson et du Northern Ireland Office, globalement positives, la sensibilisation à l'utilisation du téléphone confidentiel fut, de même, bénéfique. Cet avis n’a pas toujours été partagé et les verdicts de certains journaux — version papier ou en ligne — n’ont pas toujours été tendres surtout lorsqu'il s'est agi de justifier les dépenses engagées. C'est le cas de l'Irish News et du Belfast Telegraph qui ont systématiquement réagi et commenté l'évolution des publicités Advertising for Peace au gré des événements.
37L’Irish News, journal pro-nationaliste publié à Belfast, déclare œuvrer, avec impartialité, en faveur de la lutte contre l'intolérance et de participer au travail de réconciliation entrepris au sein des communautés d'Irlande du Nord. L’Irish News a archivé dans son édition en ligne27 (Global Edition) des articles sur la paix en Ulster contenant des résumés de réactions à la campagne publicitaire Advertising for Peace. Dans un article au titre évocateur — NIO painting rosy picture to win a war— l'Irish News résume l'esprit de la campagne dans l'expression Happy Together et commente cette expérience médiatique en s'inspirant de la réflexion de Michael O'Toole. L'objectif d'Advertising for Peace de « conquérir » les cœurs et les esprits (to win hearts and minds) n'est pas une nouveauté. Déjà dans les années 1970, une publicité dénonçait les atrocités perpétuées par les groupes sectaires et tentait de montrer un côté plus humain de l'armée britannique. Certes, si ce qui est désormais appelé le « feel-good factor » a fait du chemin, ce n'est qu'avec le lancement d’Advertising for Peace que ce concept a pris tout son sens. En fait, cet article se situe dans le cadre d'une série d'articles intitulée Dirty War qui rappelle les objectifs et les manœuvres « propagandistes » du gouvernement britannique. Dans un autre article de ce dossier en ligne — Dirty War 8 — Michael O'Toole dénonce le but des autorités britanniques : « Like the British government's attempts at media manipulation, or propaganda, or smear campaigns or even its official advertising campaigns, cover-ups serve one major purpose. They show the image of Northern Ireland to the world that the British government wants presented - one of normality ». L'Irish News situe la campagne dans un contexte de manipulation exercée par le NIO. Selon cet organe de presse, Advertising for Peace projette une certaine image de la Province et adopte un discours qui légitime la présence de l’État britannique. Une culture du mensonge semble prédominer. Dans Dirty War 9, par exemple, Brian Feeney voit dans le terme « cover-up » un subterfuge des « fausses vérités officielles ». Le journaliste n'hésite pas à interpréter sans ambages l'attitude et le discours tenu par Sir Patrick Mayhew qualifié de « usual slippery rhetoric ». Ce commentaire fait étrangement écho aux activités supposées du quartier général de l'armée britannique, connu sous l'appellation « Lisburn lie machine », et se confirme dans l'expression « more sophisticated “spindoctoring” at the NIO ». Le non-dit prend des proportions extraordinaires dans une situation de tensions et de violence politique telle qu'elle existe en Ulster.
38Ainsi, dans le journal à tendance unioniste Belfast Telegraph, du 27 mars 199828 un document révèle subtilement les stratégies d'information et de communication du NIO. Outre les comptes-rendus régulièrement rédigés sur les publicités diffusées, le Belfast Telegraph informe ses lecteurs sur la tournure que prend la campagne Advertising for Peace et plus particulièrement en ce qui concerne la dernière tentative des publicités contre la propagation de la violence politique, réalisées en mars 1997, s'est effectuée autour d'un thème aux connotations peu réjouissantes. Timebomb — à l'instar des bulletins d'informations qui ponctuent le spot — évoque des actes de violence qui vont des meurtres en série aux commandos de paramilitaires ou autres incidents terroristes. Michael Ancram, ministre chargé des relations communautaires (Community Relations) au NIO, précise alors le montant de la production de ce film publicitaire qui s'élève à 185 000 livres sterling — une dépense inutile, si l'on en juge par les propos tenus le 29 juillet 1997 par Mo Mowlam. Elle condamne, en effet, une action qui coûte cher aux contribuables — un avis partagé, d'après le Belfast Telegraph, par d'autres hommes politiques tels que Mark Durkam (SDLP) et Ian Paisley Jr (Unioniste). Steve McBride, président du parti de l'Alliance, va jusqu'à remettre la philosophie même de ces publicités en question en affirmant : « People either understand the reality of violence and division here or they don't ». Ce commentaire catégorique laisse poindre les limites de cette communication politique, une communication qui montre, à en croire certains responsables politiques, des signes d'essoufflement.
39Il ne faut pas, toutefois, perdre de vue que le but d'Advertising for Peace devait conduire à renforcer, d'une façon ou d'une autre, les démarches susceptibles de déboucher à l’établissement d’un cessez-le-feu, d'autant que ces publicités s'associaient à un climat social et politique qui — à partir de la fin 1993 — se prêtait à un retour de la paix. Quelques exemples de cette volonté étaient perceptibles dans les manifestations d'écoliers en faveur de la paix (trains de la paix), les marches vers Belfast, les accords entre les membres de conseils municipaux de différentes tendances, les résultats des sondages téléphoniques effectués par des journaux d'horizons divers. Symboles de miroir, de réfraction, d'occultation ou de dénaturation, difficile à dire, ces publicités reflétaient, à leur manière, les aspirations du moment. Même s'il est peu aisé de quantifier les pouvoirs de conviction des spots, on peut s'accorder à dire qu'ils n'allaient pas à l'encontre de l'opinion prédominante, bien au contraire, ils confortaient les téléspectateurs dans leurs pensées.
40À l'époque de la création des spots Advertising for Peace, des rencontres officieuses et officielles avaient lieu entre des dirigeants britanniques et des membres du Sinn Féin et autres organismes paramilitaires. D'un côté, des négociations se faisaient à huis clos, tandis que les spots étaient médiatisés. Dans ces conditions, il est assez surprenant d'apprendre qu'Andy Wood n'ait pas reçu de consignes officielles particulières quant à l'élaboration de ce projet publicitaire. Chacun semblerait donc avoir travaillé indépendamment pour atteindre une cause commune et salutaire ; tout ceci semble paradoxal.
41Le tissage informationnel d'Advertising for Peace s'appuie sur la construction d'un redoutable raisonnement graduel, cyclique. Par exemple, l'annonce du premier cessez-le-feu a influé sur le contenu des publicités qui présentaient désormais une image plus positive de la Police. Présupposant qu'il y aurait une campagne « mensongère » et stéréotypée, allant à l'encontre de la police et de l'acceptation de la Royal Ulster Constabulary, il a semblé bon au NIO d'entamer une nouvelle phase publicitaire où l'on insisterait sur la légitimation de la présence de la RUC. La période dont on fait allusion ici marque le terme de la campagne pour le téléphone confidentiel et signale le début d’une ère plus optimiste comme l’indique le slogan générique de la série de publicités réalisées à cette époque : Time for the Bright Side. Le numéro et son utilité étant bien connus du public, l'étape suivante consistait à dire que la RUC était une force de police méritant d'être acceptée et valorisée. D'après les études menées par le NIO sur la perception de la police dans la communauté nord-irlandaise, les deux tiers des catholiques trouvaient que la présence de la police avait sa raison d'être, une idée à laquelle les protestants étaient également très attachés. Il importe de nuancer ce commentaire. Dans l'Irish Times du 3 septembre 1996, Chris Ryder précisait qu'en 1994 moins de 8 % des membres de la RUC étaient de confession catholique même si l'on pouvait noter une augmentation substantielle (près de 10 %) de ces derniers lors de récents recrutements. Cette décision, encore timide, semble aller dans le sens d'une meilleure intégration des catholiques ; les protestants restent, cependant, majoritaires et continuent d'imposer leur « canteen culture »29 Lutter contre un étiquetage simpliste des « bons » et des « méchants » et promouvoir la tolérance devaient finir par aller de soi, selon le NIO. En temps de paix, la représentation de la police ne pouvait être que celle d'une police sociable, souriante, proche de la population, son rôle étant de s'intégrer à la communauté en participant au bien-être de chacun (aide à la sortie des écoles, etc.). Par conséquent, l'image ne pouvait qu'être optimiste, solidaire, porteuse d'espoir. C’était là, du moins, l’un des buts avoués de la campagne publicitaire.
Communication politique et goût des nuances terminologiques
42Dans un tel dispositif de communication politique, la phase la plus complexe est peut-être celle qui consiste à découvrir une terminologie adéquate susceptible de correspondre aux référents sous-jacents dans les spots. À cet égard, le discours d’Andy Wood mérite d’être étudié. Le haut fonctionnaire trouvait, par exemple, plus pertinent de parler de « documents journalistiques » plutôt que de « publicités », en raison de leur fort effet de réel, car, prétendait-il, tout ce qui était montré était « vrai », il s'agissait de véritables images d'archives assemblant des événements qui s'étaient effectivement produits. Défi ou désir d'auto-justification, en tout cas, Andy Wood saluait le professionnalisme des télé-journalistes et semblait d'autant plus satisfait que certains d'entre eux avaient utilisé les publicités dans leurs reportages — véritables gages de crédibilité, à ses yeux. Les media apparaissent donc garants de la bonne foi du gouvernement. Au nom du NIO, Andy Wood appuie le triomphe d'une vérité médiatique. L'utilisation des faits par les journalistes cautionne, toujours à son avis, ces mêmes faits qui constituent des preuves irréfutables et deviennent des certificats d'authenticité. « They [les publicités] have stood the journalistic test », disait-il et insistait sur la validation des publicités en ces termes :
Ce sont des documents journalistiques pour lesquels nous payons la diffusion — un journalisme centré sur un message — ce sont des publicités fréquemment utilisées par les journalistes. Il ne m'appartient pas de les cautionner. Tout au plus, je ne peux que me réjouir de la qualité du contenu, fidèle dans chaque détail technique, narratif, voire vestimentaire30
43Habile mélange de « faits réels » et de fiction, le choix créatif des publicités a été effectué en fonction du contenu de l'actualité — une actualité modulée, recréée pour une plus grande compréhension du sujet. Andy Wood les distinguait comme étant « plus ancrées dans une logique esthétique, dans la création d'une atmosphère émotionnelle que dans une logique narrative ou événementielle... Il s'agissait d'associer une image, un scénario, un message à une ambiance plus générale — celle que ressentaient profondément les gens en septembre, octobre et novembre, tout au long de l'automne 1994 — une ambiance de changement. Pour s'en apercevoir, il n'y avait qu'à observer les visages des gens »31
44Cette déclaration — aveu dosé d'une manipulation de l'information — n'est pas sans soulever le problème de l'adaptation des messages publicitaires au contexte événementiel. En fait, les publicités se concevaient selon une logique double : incitation au changement, consolidation et projection des effets positivement ressentis au sein de la population qui, de l'avis d'Andy Wood, constituaient un véritable baromètre conjoncturel. Du côté des concepteurs et des commanditaires, la campagne Advertising for Peace a remporté un franc succès, le seul point sur lequel Andy Wood reste évasif est celui de la terminologie adéquate pour décrire cette nouvelle approche publicitaire caractéristique du dispositif de communication du gouvernement britannique. Réfutant les implications péjoratives du terme propagande, Andy Wood défend plus ou moins adroitement les desseins de son employeur. Il déclare :
La propagande ne peut exister (ce qui n'est nullement le cas ici), que lorsqu'un gouvernement, un État ou un régime politique contrôle intégralement les moyens de diffusion et punit les dissidents. Nous ne faisons rien de cela. On ne peut donc pas nous accuser de faire de la propagande. En tant que journaliste, vous pouvez vérifier le contenu de chaque publicité. Il n'y a rien là qui n'a pas été répété, filmé, écrit des douzaines, des centaines de fois par vos confrères32
45.Cette notion de « vérité » — véracité serait peut-être un terme plus correct — est au cœur du raisonnement d'Andy Wood. Une distinction terminologique semble opposer la réalité, — l'objet même dont on parle, et qui est plus ou moins identifiable selon les cas — à la vérité dont l'ingéniosité consiste à entretenir un rapport entre la connaissance (fidèle et vérifiable) et la réalité. Tout reviendrait-il à dire qu'il faut systématiquement s'appuyer sur un principe dichotomique séparant le vrai du vraisemblable, le fait de la fiction ? Les journaux dénoncent régulièrement le danger et la subversion d'une communication en apparence loyale car elle semble s'appuyer sur des « faits réels », qu'elle réinterprète, qu'elle présente sous des éclairages autres. Vigilance et justesse du discernement sont, par conséquent, les maîtres mots.
Propagande versus publicité ?
46Multiples ont été les accusations de manipulation gouvernementale. Dans un article de Broadcast du 16 avril 1993, Richard Life faisait allusion aux pratiques des chaînes de télévision qui, sous l'emprise d'une décision gouvernementale, devaient différer la diffusion de films ou d'émissions en fonction des événements liées au terrorisme. Le film de Ken Loach Hidden Agenda (Secret défense) ne fut pas transmis à la télévision à la date prévue, par exemple, suite à l'explosion d'une bombe à Warrington. Le réalisateur qualifia cette pratique de déloyale et ajouta qu'il pensait que le chagrin des gens avait été manipulé par les media à des fins politiques (« I think people's grief has been manipulated by the media for political purpose »). La condamnation d'une désinformation pourrait se résumer par les propos tenus dans le Guardian du 30 avril 1990, lequel accuse le NIO de coups bas (« dirty tricks ») et de déformation propagandiste (« twisted propaganda »)33.
47Mais c'est d'un autre type de manipulation dont il est question dans la campagne publicitaire Advertising for Peace où la voix officielle — celle du gouvernement britannique — rejette tout excès dans le vocable cherchant à analyser un contexte complexe. Nous avons insisté sur le témoignage d’Andy Wood, présumé responsable du projet Advertising for Peace, car par son discours tissé au fil des entretiens officiels il justifiait (de façon plus ou moins implicite) l’action et la légitimité de l’État britannique. Le fait qu’Andy Wood se soit expliqué publiquement sur le bien-fondé de cette campagne publicitaire après le cessez-le-feu de 1994 n’est certainement pas anodin. Il faut donner le temps au temps, dit-on et, dans ce cas, une preuve tangible du succès réel de cette campagne publicitaire devait être justement un retour à la paix, à une paix désormais rendue visible. Lors de son lancement, en 1988, Advertising for Peace offrait les moyens aux citoyens d’Irlande du Nord de se défendre grâce à un instrument fondamental dans une logique de renseignement : le téléphone confidentiel. Le concept, bien que non vraiment nouveau, était remis au goût du jour et devait déclencher des comportements plus responsables et conduire à une prise de conscience volontaire et solidaire de la part des habitants de cette communauté déchirée. Le ton des publicités (que nous étudierons en détails plus avant dans cet ouvrage) est donné avec le lancement de A Future en 1988. Les stéréotypes du mal sont présents. Une diabolisation du terrorisme se manifeste par l’apparition de « héros » masqués. La menace est au cœur des publicités même dans les périodes de pacification. Les propos des publicités diffusés en 1995 sont mièvres, idylliques, euphoriques. Le problème, difficile à gérer par les instances étatiques, fut le mode de traitement à adopter suite à la rupture du cessez-le-feu et au retour « officiel » de la violence. Fallait-il diaboliser l’ennemi (et qui, d’ailleurs, était l’ennemi) ? Au stade de l’élaboration du spot Timebomb, tourné en 1997, le rejet d’une symbolique du mal inspirée de l’imagerie nazie est significatif. Cela aurait constitué une erreur de registre, la stratégie de communication gouvernementale était autre : l’objectif (officiel, du moins) n’était pas d’entrer dans une logique de propagande.
48Fut un temps apanage des dictatures, la propagande, mot difficile à cerner, implique des clichés fortement enracinés dans la mémoire collective et varie selon les situations. Nous n'envisageons pas dans cette analyse de prouver s'il s'agit ou non de propagande, nous tenterons de dégager les caractéristiques les plus évidentes du dispositif mis en place. Ce sujet34, vaste, controversé, a souvent été associé à un mal, à une diffusion de propos mensongers faisant partie intégrante d’un processus de désinformation, ou encore à un mode d'information cher aux régimes totalitaires. Le terme propagande a des résonances péjoratives. Cependant, dans le contexte qui nous occupe, il ne s'agit pas d'entrer dans un moule de définitions hâtives, simplistes et quelque peu passéistes du type « la propagande est tout effort pour changer les opinions ou les attitudes »35
49.Dans notre corpus d'analyse, est-il, en effet, adéquat de parler de propagande en tant que facteur de manipulation de symboles psychologiques ayant des objectifs dont l'auditeur est inconscient ? Pas vraiment puisque le public est « averti » et probablement conscient des impératifs et des conséquences soulevés par les messages diffusés. Après tout, n'est-il pas dans l'essence même de la publicité que d'influencer, de persuader ? Dans quelle mesure peut-on alors parler d'influencer l'opinion ou l'action d'autres individus ou groupes ? Il y a, nous l'avons compris, une volonté délibérée de persuasion de la part du NIO, une volonté affichée de changement dans les attitudes et les comportements des gens face au fléau qu'est le terrorisme. Est-il pertinent d'affirmer que la campagne publicitaire Advertising for Peace est un instrument de médiation qui vise à faire adhérer les citoyens nord-irlandais à un ordre normatif ? L'intention est à peine voilée ; les publicités posent une question directe, presque intime, s'appuyant essentiellement sur le principe d'une relation de confiance qui débouche, plus ou moins immédiatement, sur un accord civique tacite unissant la population nord-irlandaise à la Royal Ulster Constabulary. Avec le lancement des publicités d'information sur les bienfaits du numéro de fil vert confidentiel (0800 666999), la RUC a diffusé une charte des citoyens36 destinée à améliorer les rapports entre les habitants d'Irlande du Nord et la Police. La RUC affiche, avec complaisance, son sens du professionnalisme, affirme sa mission de protéger la population contre les actes terroristes, de prévenir les crimes et de préserver la paix. D'après un document fourni par la RUC, cinq mots résument sa fonction au sein de la communauté nord-irlandaise : l'honnêteté, l'impartialité, la courtoisie, la compassion, le courage. Redorer l'image de marque de la Police importe dans le dispositif communicationnel adopté dans la campagne publicitaire Advertising for Peace.
50Il serait peut-être plus judicieux de se demander si Advertising for Peace s'insère dans un processus plus large, celui d'une propagande « ouverte » ou « transparente »37, deux termes que l’on ne peut se permettre de confondre. Certes, la publicité et la propagande ont pour rôle d'exercer une influence et accessoirement seulement de délivrer des informations ; elles s'accordent cependant à utiliser les moyens adéquats pour modifier la conduite des gens par l'intermédiaire de la persuasion. Pourtant, la publicité et la propagande ont, en principe, des domaines d'application différents dans la mesure où la publicité a des visées plutôt commerciales alors que la propagande s'occupe de questions d'ordre politique ou d'intérêt général. Nous abordons là un problème de fond, d'autant que dans le cadre d'Advertising for Peace, la publicité et la propagande semblent emprunter des méthodes semblables et poursuivre un but commun.
51Au-delà de la propagande de Périclès ou d'Auguste, la « propagande moderne » s'adresse à la fois à l'individu et à la masse. En fait, elle vise une foule composée d'individus. La propagande moderne repose sur des analyses scientifiques de la psychologie et de la sociologie dans la mesure où il importe de connaître l'être humain, ses tendances, ses désirs, ses besoins, ses mécanismes psychiques, ses automatismes. L'individu est alors considéré dans la masse, il n'est pas pris dans son individualité mais dans ce qu'il a de commun avec les autres aussi bien en ce qui concerne ses tendances que ses sentiments supposés ou ses mythes. Il est, en quelque sorte, englobé dans une moyenne.
52Les publicités intitulées Advertising for Peace sont programmées38 et suivent la logique d'une orchestration. En un sens, elles répondent à des principes de propagande totale, surtout si l'on considère que pour réaliser leurs desseins les responsables du projet n'hésitent pas à utiliser l'ensemble des moyens techniques mis à leur disposition pour habituer le public à une vision du problème posé et pour faire naître en lui une conviction quant à l'acte à accomplir. L'efficacité réside, dans pareil cas, dans une constance et une répétition du message. Ce type d'endoctrinement suppose un facteur institutionnel. Ce que recherche la propagande moderne, ce n'est plus tant de modifier des idées mais plutôt de provoquer une action ; ce n'est plus d'amener à un choix mais de déclencher des réflexes, et c'est de cela dont il s'agit dans nos publicités. Lorsque l'on s'appuie sur un centre d'intérêt collectif, il est indispensable de tabler sur une cristallisation psychologique, qui permet de rassembler des éléments épars en un tout cohérent et d'opérer un modelage en profondeur. Pour arriver à ces fins, il importe d'insister sur la véracité et l'exactitude des faits et des propos tenus. Les publicités de notre corpus jouent sur une grande ambiguïté dans la mesure où elles réunissent les deux paramètres que sont d'une part, l'information qui fournit des faits et qui s'adresse à la raison, à l'expérience et, d'autre part, la propagande qui s'adresse aux sentiments, aux pressions et qui oscille entre le rationnel et l'irrationnel.
53Les publicités Advertising for Peace ne représentent, en fait, qu'un volet d'un dispositif plus général, plus abscons (nous avons soulevé ce point dans notre réflexion sur les divers acteurs impliqués dans la genèse du projet et dans les différentes étapes du processus d'information et de communication). Nous préférerons l'appellation « communication politique » pour décrire ce phénomène issu des intérêts émanant des autorités nord-irlandaises. Cette stratégie qui s'appuie essentiellement sur une action psychologique vise à conforter les opinions dans un but que nous qualifierons de semi-éducatif. Le point de vue d'Andy Wood et, par extension, du gouvernement britannique est sans équivoque. L'affichage communicationnel est celui d'un souci apparent de « transparence », celui d'un rapprochement avec le public. Le 4 novembre 1995, lors de la présentation de la campagne publicitaire télévisuelle Advertising for Peace au festival de créativité de Venise, Andy Wood39 soulignait, outre l'originalité de l'expérience, le nécessaire recours à des stratégies de communication uniquement applicables en Irlande du Nord en raison de la nature du sujet traité d'une part, et de la spécificité identitaire, d'autre part. Remarquons ce souci constant d'auto-justification des instances, sans doute afin de se convaincre qu'en agissant de la sorte, elles obéissent à la raison. Postulons qu'un « matraquage publicitaire »40 trop lourd est susceptible d'engendrer l'éventuelle mithridatisation d'un public devenu soupçonneux d'une quelconque manipulation.
54À n'en point douter, l'irruption de la violence politique dans une démocratie déclenche une crise dans l'existence sociale et politique. Les autorités nord-irlandaises et les media ont su s'adapter à cette crise et développer des arguments, qui procèdent de leur place et rôle dans un régime démocratique et ont su, en un sens, répondre à des nécessités publiques. Cette communication politique est ici synonyme de médiation puisqu'elle tente de lever les malentendus et repose sur des relations de confiance incontournables pour une avancée décisive vers un processus de paix. La médiation est, en fait, un élément constitutif d'une culture du compromis inhérent aux considérations suivies par le NIO.
55Plusieurs logiques sous-tendent la gestion des « troubles » : la logique politique et, bien entendu, la logique médiatique qui se charge, entre autres, de gérer l'opinion publique, en rassurant la population et en essayant de la convaincre d'un nécessaire accord avec l'action étatique. Établir un consensus capable de rassembler d'emblée l'État, les media et la société civile est ce qui importe. Gérer l'opinion publique signifie une visibilité maximale de la communication gouvernementale, garante de la mobilisation des pouvoirs publics contre le mal social. Cette légitimité symbolique n'existe que parce qu'elle défend l'intérêt général. Le type de communication suggéré joue, par conséquent, un rôle de régulation sociale dans la mesure où la communication est ici synonyme d'action et suit une stratégie double : d'un côté, elle assure une visibilité sociale du mal, d'un autre côté, elle dévoile la « visibilité » de l'action gouvernementale. Nous venons de brosser un portrait des organismes qui ont commandité les publicités Advertising for Peace et de considérer les motivations qui les animent, nous allons ensuite présenter les moyens de communication et d'information disponibles en Irlande du Nord, avant de passer en revue les stratagèmes particuliers qui entrent dans la démarche argumentaire et créative des spots télévisés. L’intérêt de cette démarche est de faire émerger les points saillants d’un discours double : celui des représentants du gouvernement britannique (plus particulièrement, Andy Wood qui justifie sa politique par voie médiatique, proposant une interprétation type de la campagne publicitaire Advertising for Peace) et celui qui sous-tend les messages publicitaires.
Notes de bas de page
1 Lors de son passage au NIO, Andy Wood a été très discret et a fait peu de déclarations. Ce n’est véritablement qu’après le cessez-le-feu de 1994 qu’il s’est montré plus disposé à faire preuve d’une loquacité plus entraînée. Depuis son départ du NIO en 1997, il semble plus enclin à se confier. C’est là une piste qu’il nous faudra suivre et approfondir dans les années à venir.
2 À partir de 1985, il s'agissait de Tom King ; à partir de 1989, de Peter Brooke ; à partir de 1992, de Patrick Mayhew et en 1997, de Marjorie Mowlam.
3 Pour en savoir plus sur les rouages caractéristiques de cet organisme, lire Wesley Hutchinson, « Le gouvernement britannique et les “traditions culturelles” en Irlande du Nord », et Richard Deutsch, « Une politique culturelle britannique derrière le processus de paix anglo-irlandais ? dans Études Irlandaises, N° XX-1, printemps 1995.
4 (New) Boys fut diffusé en mars 1997.
5 Géré par le NIIS, The Northern Ireland Office Website ou NIO ONLINE est régulièrement remis à jour. Cette stratégie a l'avantage d'établir un lien avec un public qui s'étend de la scène locale à la scène internationale.
6 David Miller, « The Northern Ireland Information Service and the Media », in John Eldridge, Getting the Message, Routledge, Glasgow University Group, 1993, p. 73 ; traduction de « the continuing flow of decontextualised and seemingly irrational violent incidents are assumed by many critics to “fit” unproblematically with the psychological warfare strategies of the State and thus to allow official sources to dominate the news. Schlesinger has argued that one-dimensional coverage of this type “reflects at least in part the effective long-term strategy of attrition waged by the British State in its psychological warfare campaign, one which has involved increasingly sophisticated public relations techniques” ».
7 Cette image est évoquée à maintes reprises, c'est le cas dans la publicité « I Wanna Be Like You » (1993).
8 David Miller, op.cit., p. 76. Traduction de : « In no way can or will the Provisional IRA ever be defeated militarily... the long war will last as long as the Provisional IRA have the stamina, the political motivation — I used to call it, the sinews of war — the wherewithal to sustain their campaign and so long as there is a divided island of Ireland. »
9 C'est l'un des objectifs (non déclarés) de la « série publicitaire » intitulée Northern Ireland Humour.
10 Il est intéressant, par exemple, de noter que dès la deuxième année de la diffusion de la campagne Advertising for Peace, en 1989-1990, seul un montant global des dépenses publicitaires était communiqué, il s’agissait d’une enveloppe de 18 486 726 livres sterling qui comprenait les dépenses du NIO, de l'Industrial Development Board (IDB) et du Northern Ireland Tourist Board (NITB).
11 Ceci est perceptible dans les publicités Advertising for Peace après le cessez-le-feu de 1994.
12 Ce n’est véritablement qu’à partir de 1993 que les hauts responsables du gouvernement britannique chargés de la question irlandaise ont fait des déclarations publiques et médiatisées à propos de la campagne publicitaire Advertising for Peace.
13 Traduction de « They contain shocking portrayals of tragic occurrences, of horrifying terrorist murders — these may well, and perhaps inevitably will, reawaken painful memories for those in Northern Ireland who lost a loved one to terrorism. It is not the Government's wish to reopen grievous and painful wounds, but terrorist crime continues to extinguish lives and blight many more. Government must tackle the evil of terrorism by every practical means. These films are part of that effort. They are successors to the powerful film, A Future, which five years ago we used to promote the confidential telephone campaign. It showed scenes of back alley tyranny. If only one life is saved as a resuit of these films, they will have been worth while. »
14 Traduction de « A visually compelling message to anyone who may be on the verge of, or actively involved in, terrorism... It is also a plea to those in our society who may know anything about planned terrorist acts and who may, in turn, suffer if those acts are not stopped. We want that message to go into every home. »
15 À partir de 21 h 00, la déontologie de la télévision britannique prévoit l'éventualité de diffusion d'émissions violentes ou peu aptes pour un public jeune ou vulnérable.
16 Ce détail a son importance si l'on en juge les commentaires du Sunday Mirror du 27 juin 1993. En raison du caractère sensible du sujet, le tournage fut gardé secret par craintes de troubles de la sécurité publique et pour éviter des heurts avec l'IRA et l'UVF. Le mot d'ordre de l'agence McCann-Erickson était de ne rien divulguer avant l'achèvement du projet (« Confidentiality is in everybody's interest »). Le film I Wanna Be Like You comprend des prises de vues de l'intérieur de la prison de Crumlin Road, à Belfast. Les scènes extérieures ont été filmées à Glasgow provoquant, de par la nature violente de certaines scènes, la peur du voisinage dans lequel se déroulait le tournage.
17 Nous insisterons beaucoup sur le discours tenu par Andy Wood. Son témoignage est d’autant crucial qu’il constitue une sorte de mode d’emploi à l’interprétation (version gouvernementale) du contenu des messages publicitaires d’Advertising for Peace.
18 Dans un article de Scotmedia intitulé « Breaking the lies of silence » (juillet 1994, p. 23), John Ivison cite les propos édifiants de David Lyle sur ce point précis : « Gerry Adams has said that anyone living in west Belfast knows the penalty for informing is death ».
19 La citation exacte était : « To help the police to bring to justice people who were having a bad effect on their environment, on their prospects, the area they lived in and people who were affecting their quality of life. In a word, I suppose you can call it “empowering people” to do something about something which was very directly affecting them in a bad way. » Ce commentaire établit un lien de cause à effet beaucoup moins perceptible dans les publicités de notre corpus.
20 Traduction de « The initial brief was “give us a product, a service which will enable people in Northern Ireland, the people who are suffering directly or indirectly as a result of paramilitary activity, [...] to report the car that went missing when it shouldn’t have done, to report suspicious activity.” I think it was all based on the feeling that there were a lot of people out there who were paying, indirectly as well as directly, the price of terrorism. Their cars were being taken, their vans being hijacked, their houses being taken over, or they were seeing these things happening and it was a means of giving them the chance, as it were, to fight back. »
21 Traduction de « You don't have to continue to put up with this. If you see something, if you hear something, we can give you the means of actually changing the future. »
22 Traduction de « In many senses, the 1993 ads were, paradoxically, rather more subtle in that they didn't hammer home the message in the same way that the voice-over did in the early ads. They left people to draw their own messages. They left people to, in a sense, start and continue their own debates. The obvious hope in the end being that that debate would play into the wider scene. »
23 Traduction de « In a perverse sense, you almost underpin and validate their perverted view of what they're doing. In other words, if the Government is saying “we are bad boys, the Government is calling us this, the Government is calling us that, we must be getting something right, we're having an effect” ».
24 Traduction de « One particular paramilitary grouping has said there are only three ways out, once you join up. It's either the graveyard, or it's jail or it's life on the run. Now, it's one thing for a young macho paramilitary to accept those options, but I think we were suggesting that there are other people who are entitled to a view about whether those options were the only ones. And by saying to the wives “look ! this is what happens to you”, and saying to the mothers, “do you really want to stand over your son's coffin ?”, we were actually saying it is not just a simple thing for the paramilitaries themselves to decide. There are other people whose lives are affected by what you do. »
25 Traduction de « At the end of the day, the phenomenon was that you had some pretty inhumane things, but they weren't being done by machines. The machines were only the means, the method of delivery of the death and destruction. It was at the end of the process, another human being. It's not for me to say, “Forgive and forget”. I haven't suffered directly, but I think you can make a distinction between the sin and the sinner. »
26 Traduction de « We were highly conscious of the need to avoid, as far as possible, reopening wounds among people who had actually lost relatives in the last 25 years and when we launched the ads we were at great pains to stress that we were not in the business of simply out-Peckinpah-ing Peckinpah”, but we actually frankly wished we didn't have to make these ads and that we were quite specific when we launched them about apologising for any hurt, any associative memories it brought back... I very much hope that the hurt that may have been brought back into people's minds was kept to a minimum and that people could actually say, “well, it hurt me enough for real in the first place. This continues to hurt, this continues to remind me, but there is a bigger aim behind the whole thing which is stopping other people hurting, other people going through what I'm going through”. »
27 L'adresse Internet où l'on pouvait lire les dossiers en question jusqu’en septembre 1999 était : <http://www.irishnews.com/dirtywar.html>.
28 <http://www.belfasttelegraph8/March/27/POLITlCS/docl>, mai 1998.
29 Un ancien membre de la Police Authority décrivait cette « culture » en ces termes : « RUC “canteen culture” is stubbornly male, Protestant, British, unionist and laddish... Orange and Masonic membership is widespread ; only one in 14 officers is from the Catholic faith », extrait de Chris Ryder, « On course to meet the RUC double Challenge », The Irish Times, 3 sept. 1996, cité dans Roger Mac Ginty, Policing the Northern Ireland Peace Process (March 1997), http://cain.ulst.ac.uk/events/peace/rucpp.htm (Apr. 1999).
30 Traduction de « The validation for the ads as pieces of journalism which we pay to get on the screen, journalism with a message, [...] is the number of times they are actually used by journalists. It's not for me to validate them. I can be satisfied that it's absolutely true to life in every technical detail, in every narrative detail, costume and that sort of thing. »
31 Traduction de « much more image-and feel-and emotion-based than narrative-based and event-based... it was a case of matching the image, the narrative, the message to the wider mood, to what people were feeling out there and it was palpable in September, October and November, right through the autumn of 1994 that people's mood had changed. You could see it just by looking at people's faces. »
32 Traduction de « Propaganda only Works when, as is not the case here, a Government or a state or a regime totally and absolutely controls the means of disseminating information and of people hearing it about and punishes dissent. That is not the case. I don't believe it's a sustainable charge. You can test all these ads as a journalist, there's nothing in there which dozens, hundreds of journalists haven't reported, haven't filmed, haven't written pieces about. »
33 Pour plus de détails voir Liz Curtis, Ireland, The Propaganda War, Belfast, Sásta, 1998, pp. 279-299.
34 Pour plus de détails sur la question de propagande(s), trois ouvrages nous offrent des pistes intéressantes et éclairantes : Jacques Ellul, Propagandes, Classiques des sciences sociales, Paris, Économica, 1990, 361 p. ; Fabrice D'Almeida, Images et Propagande, XXe Siècle, Florence, Casterman-Giunti, 1995, 191 p. et Guy Durandin, Les mensonges en propagande et en publicité, Le psychologue, PUF, 1982, 256 p.
35 Définition de M. B. Ogle, Public Opinion and Political Dynamics, chapitre VI, Boston, Houghton Mifflin, 1950, p. 225.
36 Ceci est dans l’esprit des chartes élaborées pendant le mandat de John Major.
37 Terme utilisé par Andy Wood dans l'Irish News du 9 janvier 1997.
38 La série Time for the Bright Side, lancée en 1995, fut perçue par la presse comme une « offensive » de charme qui coïncidait avec la visite du Président Clinton.
39 Voici les propos d'Andy Wood tels qu'ils ont été proférés lors du discours adressé aux jurys du festival de Venise : « In Northern Ireland as in so many parts of the world, nothing is quite what it seems : on closer examination, the stereotypical groupings do not hold — life is more complicated, more subtle, more full of often-overlooked qualifications and exceptions to the rule : it is certainly not the simple picture that you would produce if you relied on news bulletins alone for your understanding.
And in its programme of public service advertising over the years, the Government has had to be aware of those subtleties and has had to try to understand the psychology of the terrorist. Crucially we have had to recognise that terrorism comes from both communities and is visited on both communities and draws its support — to varying degrees — from both communities. Equally important : the characters and the voices that the viewer sees and hears have to be identifiably from Northern Ireland. That has been a constant feature of our 8-year long-evolving campaign. There would be little chance of success, I suggest, if an English voice came on TV in Northern Ireland telling Northern Ireland people where they were going wrong ».
40 À titre d'exemple, précisons que pas moins de 152 spots d'Advertising for Peace furent diffusés de janvier à mars 1997.
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