Contexte événementiel d'advertising for peace : ancrage des « troubles » et repères fondamentaux
p. 27-44
Texte intégral
1Les événements plus connus sous l'appellation « troubles » en Irlande du Nord révèlent une grande complexité. Souvent controversés, ils reflètent des divergences et des luttes profondément enracinées dans l'Histoire de la Province. Quelques repères historiques de la question de l'Irlande du Nord permettront au lecteur de mieux appréhender la situation dépeinte dans les campagnes publicitaires qui accompagnent, de facto, les événements mentionnés ci-après. Dans un contexte nécessairement confus où la notion de point de vue prime, où l'information flirte volontiers avec la désinformation, la stratégie de communication retenue par l'agence McCann-Erickson s'appuie sur des arguments plus ou moins familiers par le public visé, sur des arguments simples susceptibles de rallier l'ensemble de la population autour d'objectifs, à défaut d’idéaux, communs. Nous procéderons d'abord à un aperçu des principaux facteurs qui ont contribué à une avancée latente vers l'établissement d'un processus de paix. Dans un contexte où « durabilité » rime presque systématiquement avec éternel éphémère et fragilité inéluctable d’une conception de la paix, il est un dur dilemme que de concilier la volonté et la possibilité de rétablir, puis de maintenir, la paix.
2Nous commencerons notre étude par une brève présentation de l'Irlande du Nord qui se compose de six des neuf comtés constituant initialement la province historique de l'Ulster. D'après le rapport de l'Office for National Statistics du 29 juin 1999, 1,6 millions d'habitants vivent en Irlande du Nord. Le taux de natalité, en 1997 — taux le plus élevé du Royaume-Uni — s'élevait à 1,93 enfants par famille. Le recensement de 1996 nous fournit une répartition de la population en fonction des confessions de chacun : 50,6 % se disent protestants et 40 % catholiques. Pour faire simple et court, la plupart des protestants descendent des colons anglais et écossais qui s'établirent au nord-est de l'Irlande au dix-septième siècle. De culture et de tradition britanniques, ils souhaitent globalement maintenir l'union avec la Grande-Bretagne. Quant aux catholiques de souche irlandaise, ils sont, culturellement et historiquement, plutôt en faveur de la réunification de l'Irlande. Il importe bien sûr de nuancer ces affirmations.
3Entre 1921 et 1972, l'Irlande du Nord bénéficiait de son propre parlement. Les unionistes — représentant la communauté protestante — siégeaient en majorité au Stormont près de Belfast, formant un gouvernement qui s'occupait principalement des affaires locales et dont la mission n'incluait ni la défense, ni les forces armées, ni les affaires étrangères, ni la politique commerciale, financière et foncière. Du fait de l'accroissement de la violence dans les rues et du terrorisme à la fin des années 1960, le gouvernement britannique s'est saisi de la gestion de la province et de la responsabilité du maintien de la sécurité de l'Irlande du Nord à partir de 1972. Depuis lors, les divers gouvernements britanniques ont tenté, par le biais de négociations, d'établir une administration locale. De l'avis du gouvernement britannique, l'Irlande du Nord restera partie intégrante du Royaume-Uni, tant que ses habitants en exprimeront le désir. C'est du moins l'esprit de la loi concernant la constitution de l'Irlande du Nord (Northern Ireland Constitution Act) entrée en vigueur le 18 juillet 1973. Cette volonté semble se confirmer dans l'Accord anglo-irlandais (Anglo-Irish Agreement) de 1985, ainsi que dans la Déclaration de Downing Street (Downing Street Declaration) de 1993, dans le document cadre établi entre les gouvernements britanniques et irlandais (British-lrish Joint Framework Document1) de 1995 et, plus récemment, dans l'accord de paix signé le 10 avril 1998.
4Ces quelques données synthétisées à partir d’articles de journaux et d’analyses d’historiens de tendances diverses (cités en bibliographie) n'ont nullement la prétention d'être exhaustives, elles nous aident tout au plus à établir un cadre utile, nous semble-t-il, pour notre réflexion future et constituent des pré-requis indispensables pour cerner la conjoncture conflictuelle caractéristique de l'Irlande du Nord. Nous incluons donc ci-après quelques idées-forces qui ont influencé, de près ou de loin, les publicités Advertising for Peace.
Les racines de la « division »
5Face aux revendications territoriales de l'Irlande du Sud, après le Government of Ireland Act de 1920, une majorité d’Irlandais du Nord avait opté pour un gouvernement unioniste et pour la présence de députés nord-irlandais à Westminster afin de maintenir la position constitutionnelle de la Province au sein du Royaume-Uni. La plupart des catholiques se sentirent exclus des décisions gouvernementales. Ils continuèrent d'afficher leurs convictions nationalistes et de militer en faveur de l'union d'une Irlande indépendante du Royaume-Uni. Si nous schématisions les principaux domaines de discrimination, nous pourrions dire que, selon leurs convictions, tous les Nord-Irlandais n'étaient pas logés à la même enseigne : les nationalistes souffraient d'une ségrégation dans la répartition des emplois, des logements, et dans leur représentation au sein du gouvernement local. À la fin des années 1960, les catholiques, las d'être exclus, avaient manifesté la volonté d'être traités à égalité avec les protestants, socialement et économiquement parlant. Une série de marches et de ralliements fut organisée, allant à l'encontre de la volonté des unionistes. De violentes manifestations sectaires se déroulèrent, et, en août 1969, la violence anarchique qui envahit les rues de Belfast et de Derry poussa le gouvernement d'Irlande du Nord à solliciter auprès du gouvernement britannique un renforcement de l'aide militaire. Ceci suscita un élan dans les activités des groupes paramilitaires, qui surent exploiter cette division sectaire, donnant ainsi à de simples troubles publics une dimension de violence politique. À partir de 1969, la principale menace contre le rétablissement de l'ordre provenait de l'IRA2 (ou de groupes sympathisants) dont les campagnes terroristes ponctuées de meurtres, d’attentats, avaient pour objet d'évincer l'occupant britannique et de reprendre possession de la Province nord-irlandaise. Une sempiternelle vague de violence déchira l'Irlande du Nord pendant vingt-cinq ans jusqu'à l'annonce du cessez-le-feu du 31 août 1994.
6Toute action armée ne peut se concrétiser sans moyens. Les origines du financement de l'IRA sont assez opaques et, à en croire certains journalistes et historiens, souvent illégales (vols à main armée, extorsions de fonds, rackets et fraudes diverses). Des bienfaiteurs américains, par le biais de l'Irish Northern Aid Committee, ont contribué, à leur façon, à la perpétuation de la violence en envoyant des dons d'argent, destinés à soutenir la cause défendue par l'IRA. De même, des pays tels que la Libye furent à une certaine époque de fidèles fournisseurs d'armes et d'explosifs. Au début des années 1970, des groupes paramilitaires loyalistes3 se créèrent dans la communauté protestante. L'association pour la défense de l'Ulster (Ulster Defence Association — UDA) émergea de la fusion de plusieurs groupes armés en 1971 ; en outre, deux autres groupes extrémistes, les forces volontaires de l'Ulster (Ulster Volunteer Force — UVF) et les combattants de la liberté pour l'Ulster (Ulster Freedom Fighters — UFF) furent à l'origine de meurtres en série à l'encontre des catholiques et avaient, à l'instar de l'IRA, des sources financières occultes.
7La violence, de quelque origine qu'elle soit, fut vivement condamnée par les dirigeants politiques, les chefs religieux et par la majorité de la communauté des Irlandais du Nord. L'ampleur du fléau était énorme. À partir de 1969, il y eut peu de jours sans incidents, sans victimes, le plus souvent parmi des civils innocents. De même, les membres de la police et de l'armée ne furent guère épargnés. Des bombes ont explosé dans des endroits publics et privés et nombreux furent ceux à être fusillés, chez eux, devant leurs familles, voire devant leurs jeunes enfants. Ces événements violents sont abondamment illustrés dans les publicités conçues par l'agence McCann-Erickson et diffusées avant le cessez-le-feu du 31 août 1994. Enfin, pour terminer ce tableau sanglant, des centaines de personnes furent victimes de représailles et subirent des tortures, telles que les knee-capping et les elbow-capping4 À partir de 1973, les activités de l’IRA s'étendirent au sol britannique et parmi les attentats les plus spectaculaires fut l'explosion d'une bombe, le 12 octobre 1984, dans un hôtel de Brighton où se tenait le congrès annuel du parti conservateur (5 morts). Quelques années plus tard, en 1991, une attaque au mortier visait la résidence officielle du Premier ministre britannique à Downing Street ; à la même époque d’autres attaques éclataient contre des bases militaires britanniques en Allemagne.
L'héritage des années 1970
8Brossons maintenant un rapide tableau de faits ou événements marquants suggérés, directement ou indirectement, dans les publicités de notre corpus. C'est à partir de 1969 que la gradation de la violence monte d'un cran et que l'on assiste aux premiers pas vers la militarisation du conflit. Devant l'échec de la police en matière d'ordre public, le gouvernement de Belfast demanda à Londres l'envoi de l'armée. Dès 1970, le nouveau gouvernement conservateur d'Edward Heath, permit à l'armée de prendre des initiatives sur le terrain. Le couvre-feu imposé dans le quartier catholique de Belfast, la Falls Road, contribua à la naissance d'une opposition de la minorité envers les militaires. Diverses attaques se firent à l'encontre des media audiovisuels ; la plus symbolique est sans doute la destruction par une bombe de l'un des émetteurs de la BBC situé dans le comté de Fermanagh, le 6 janvier 1971.
9Une date qui fait référence dans notre étude est, bien sûr, celle de la première mise en service, le 21 août 1972, par la Royal Ulster Constabulary (RUC), d'une ligne téléphonique « confidentielle » et anonyme dont la mission n'était autre que d'enregistrer des informations concernant les meurtres, les attentats à la bombe, bref, tous les délits. Le numéro fut largement diffusé dans les media et par voie d'affiches. Le 25 octobre de la même année, la RUC installa huit lignes supplémentaires de téléphone confidentiel dans plusieurs villes de la Province, une extension qui fut poursuivie avec l'installation de trois autres lignes opérationnelles à partir du 3 novembre 1972. Parmi les actes symboliques relatifs au contrôle de l'information, précisons le congédiement de neuf membres du conseil d'administration de la radio et de la télévision nationales (RTE) par le gouvernement de Dublin, le 24 novembre 1972, suite à une interview de Seán MacStiofáin5 (diffusée avant son arrestation).
10Après 1973, une année de grands espoirs politiques, la violence reprit et l'on se souvient des explosions de bombes dans deux pubs de Birmingham, le 21 novembre 1974. C'est dans un contexte de violence accrue que le Parlement de Westminster adopta, le 5 décembre 1974, une loi d'exception, la Prevention of TerrorismAct, pour l'Ulster. Cette loi permettait, entre autres, d'arrêter une personne et de la garder en prison, sans motif d'inculpation, pendant sept jours. Ces mesures furent vivement critiquées et l'image de la justice britannique et, par extension, de la police fut ternie. 1975 fut une année d'accalmie sur le front de la violence politique en raison du cessez-le-feu des républicains.
11Parmi les plus grandes manifestations en faveur de la Paix (Peace People), nous retiendrons celle du 20 août 1976 (Peace Rally) où 20 000 personnes (protestants et catholiques réunis) se rassemblèrent à Belfast. Le Parlement de Dublin vota une nouvelle loi punissant plus sévèrement les membres de l’IRA (Criminal Law Bill) ; puis, suite à l'assassinat de l'ambassadeur de la Grande-Bretagne, l'état d'urgence fut décrété en République d'Irlande à partir du 1er septembre 1976. Les dirigeants des principales églises irlandaises soutinrent publiquement, le 9 septembre 1976, le mouvement pour la Paix. Enfin, près de 15 000 personnes manifestèrent, à Londres, le 27 décembre 1976, leur soutien au mouvement de la Paix.
Tendances et temps forts des années 1980
12Le début de 1980 fut marqué par de sérieuses dissensions au sein du mouvement pour la Paix. Quelque temps plus tard, le 5 mai 1981, Bobby Sands, le commandant des prisonniers républicains à la prison de Maze, mourut après 66 jours de jeûne (il avait entamé une grève de la faim afin d'obtenir le statut de prisonnier politique). Cet acte militant mit, en quelque sorte, le feu aux poudres. Il permit le développement du Sinn Féin donnant ainsi au mouvement républicain une raison supplémentaire d'exister. Les activistes tels que Gerry Adams6 ne se sont pas privés d'exploiter les tristes conséquences de cette grève. L'intransigeance du gouvernement britannique, qui refusait toute concession, contribua à accroître la tension.
13Les années 1980 connurent des tensions diverses, certaines années furent plus meurtrières que d'autres comme nous aurons l'occasion de le souligner. Un bref bilan nous aide à mieux cerner la complexité des enjeux, des inimitiés et des intérêts de chacun. À chaque groupe paramilitaire, ses prétentions, ses exigences, ses faiblesses et ses temps forts. Les paramilitaires loyalistes ont, apparemment, toujours été moins organisés et équipés que les républicains : la grève du conseil des travailleurs de l'Ulster (Ulster Workers' Council — UWC) en 1974 fut un point culminant dans leurs actions. De part et d'autre, le recrutement se fit, de surcroît, difficile. Quant à l'IRA, il semblerait qu'elle sut exploiter l'aliénation de la minorité catholique, qui voyait d'un mauvais œil la présence de la police et de l'armée. En fait, l'IRA réussit à attirer des sympathisants de divers milieux sociaux. Les loyalistes n'ont jamais véritablement eu l'aura politique du Sinn Féin, leurs porte-parole n'ayant ni la verve ni le charisme de leurs concurrents républicains. Ainsi, dans les années 1980, les forces de sécurité eurent plus de succès dans leurs actions contre les loyalistes que contre les républicains, ceci, en dépit des graves accusations de l'IRA envers les forces de sécurité soupçonnées de complicité avec les paramilitaires loyalistes7.
14.Le gouvernement conservateur de Margaret Thatcher, arrivé au pouvoir le 3 mai 1979, attacha d'emblée une grande importance aux questions de sécurité alors que certains comportements de la police furent remis en cause et la condamnation des suspects devint plus difficile. Dans cette période d'arrestations massives, les forces de sécurité se servirent amplement des témoignages d'indicateurs (« supergrasses ») dont les dépositions contribuèrent à arrêter 600 suspects entre 1981 et 1983. Avec l'accession de Charles Haughey au poste de Taoiseach8 et la condamnation irlandaise de l'action du Royaume-Uni dans la guerre des Malouines, les gouvernements irlandais et britannique traversèrent une période très conflictuelle, selon certains analystes de la situation. Le gouvernement britannique tentait assez maladroitement d'améliorer les conditions sociales : le taux de croissance économique de la Province restait plus faible que celui de la Grande-Bretagne et, parmi les catholiques, le chômage était deux fois plus élevé que chez les protestants.
15Toutefois, le 15 novembre 1985, et sans accord préalable avec les unionistes, Margaret Thatcher et Garret FitzGerald signèrent l’Accord anglo-irlandais. Cette tentative constitutionnelle, la plus ambitieuse depuis les années 1920, accordait à Dublin un droit de regard, prévoyait des consultations régulières entre ministres irlandais et britanniques concernant les questions politiques, légales ou sécuritaires. Dès lors, les Irlandais du Sud avaient leur mot à dire quant au fonctionnement des autorités dans la Province. Les catholiques du nord entrevoyaient également la possibilité d'une évolution vers la réunification de toute l'île. Pour rassurer les unionistes, le premier paragraphe de l'accord spécifiait que le changement du statut constitutionnel de la Province ne pouvait intervenir qu'avec le consentement de la majorité des citoyens nord-irlandais. Les Articles 2 et 3 de la Constitution irlandaise, qui disent que l'ensemble de l'île constitue le territoire national, restèrent inchangés9.
16Au cours de l'année 1986, les protestations unionistes contre l'Accord anglo-irlandais se poursuivirent. La police, la RUC, a su réagir avec un indéniable professionnalisme lorsqu'elle fut prise à partie par des manifestants protestants. 1987 fut ponctué par deux actes de violence spectaculaires : le 8 mai, l'armée abattit huit membres de l'IRA (suite à l'attaque d'un poste de police à Loughgall dans le comté d'Armagh), puis, le 11 novembre, un attentat revendiqué par l'IRA, à Enniskillen dans le comté de Fermanagh, fit 11 morts et 63 blessés devant le monument aux morts. Selon le rapport annuel de la RUC, publié en avril 1988, 1987 fut classée l'année la plus violente depuis 1981. Cette information explique, en partie, l'initiative de la création et de la diffusion des publicités Advertising for Peace dès janvier 1988.
17Suite à l'accord signé en 1985, les deux gouvernements semblaient partager des objectifs similaires, du moins à court terme, sur des questions telles que la dévolution en Irlande du Nord, la reconnaissance et l'acceptation de deux traditions, irlandaise et britannique, et l'adoption de pratiques d'emplois équitables et loyales. D'autre part, le rôle accordé à la République d'Irlande dans les affaires nord-irlandaises permit à la critique internationale de moins s'offusquer de la politique britannique. Les aléas de l'histoire montrent que les ambitions et les propositions du gouvernement britannique afin de résoudre le conflit nord-irlandais étaient loin de faire l'unanimité. Le retour de la paix devait encore se faire attendre. En effet, le Sinn Féin dénonça les structures mises en place par l'accord, les considérant comme un mécanisme supplémentaire de verrouillage de la sécurité, ce qui eut pour résultat de renforcer la fracture, la scission. À l’époque, l’IRA intensifia sa campagne dans le seul but de pousser la Grande-Bretagne dans des retranchements qui allaient au-delà des termes contenus dans l'accord. L'IRA pouvait se prêter à ce jeu car elle se sentait forte stratégiquement et politiquement. Entre octobre 1985 et juillet 1986, l'IRA se procura environ trente tonnes d'armes et en octobre 1986, 105 tonnes d'armes en provenance de Libye furent livrées à Wicklow avant d'être acheminées en Ulster. Plusieurs livraisons de ce type furent effectuées ; ainsi, un an plus tard, un autre arrivage de 120 tonnes fut intercepté par les autorités irlandaises10. Les années 1985-1988 furent fertiles en tractations de tout genre et le terme mobilisation résume à lui-même l'état d'esprit dans lequel se trouvaient les divers groupes paramilitaires. À en juger par la recrudescence des activités des loyalistes, et par la ferveur d'un recrutement toujours accru, ce fut une période où régnaient l'intimidation, les émeutes, les saccages ; les cibles privilégiées étant les logements des catholiques et des agents de la force publique qui tentaient, tant bien que mal, de préserver un semblant d'ordre. Quelques chiffres nous permettront de comprendre la situation de l'époque : dans la période du 1er au 26 avril 1986, 79 familles catholiques et 50 familles de membres de la RUC, furent victimes d'attentats à la bombe incendiaire. La violence dégénéra, d'autant plus que le climat économique était plus maussade que jamais ; les lendemains étaient peu prometteurs du côté de l'emploi11. De 1985 à 1988, la violence ne cessa de s'amplifier : les fusillades passèrent de 237 à 537 et les explosions crûrent de 148 à 253. Ce fut une période sanglante qui n'est pas sans rappeler les troubles de 1970. Le lancement de la publicité réalisée, début 1988, par l'agence McCannErickson12, intitulée AFuture, illustra, à sa façon, la réalité du moment.
18Bien que la République d'Irlande consentît à signer un accord d'extradition en décembre 1987, les bévues répétées de la Grande-Bretagne furent une entrave à toutes relations intergouvernementales. Un grand malaise sévissait dans la médiatisation étalant le dysfonctionnement apparent du système judiciaire britannique, notamment avec la libération, en mars 1991, de la « bande des six de Birmingham », injustement inculpée d'actes terroristes. La critique se fit sévère : la justice britannique13 était perçue comme étant trop expéditive et légère sur les chefs d'inculpation. L'amalgame des affaires14 aida à ternir l'image d'une justice désormais qualifiée d'incompétente. Commença à s'imposer la nécessité d'une réforme du système judiciaire. L'escalade de la violence poussa Westminster à repenser les points saillants d'une législation trop rigide, voire dépassée. Déjà plusieurs mesures avaient été prises dès octobre 1988 avec l'application d un principe de censure audiovisuelle, qui allait dans le sens des mesures de la Section 3115, interdisant aux porte-parole et aux sympathisants des groupes paramilitaires de parler en direct. De même, les candidats aux élections durent ouvertement déclarer leur opposition à l'usage de toute violence à des fins politiques. L'heure était à la répression : des condamnations furent distribuées lors de manifestations incitant à la haine, des défilés furent supprimés.
19La démarche de Margaret Thatcher16 fut peu fructueuse. La dame de fer avait mésestimé l'opposition virulente des unionistes qui condamnèrent massivement l'accord qu'ils qualifiaient d'acte de conspiration : les négociations avaient été tenues secrètement les laissant à l'écart de toute décision. Les unionistes craignaient que le gouvernement britannique ne négligeât leur représentativité ; ils s'opposaient au fait que Dublin eût un rôle consultatif dans l'administration des six comtés, contestant ainsi un vice constitutionnel intolérable. La campagne de protestation orchestrée par les unionistes eut pour effet de déstabiliser le pays pendant les mois qui suivirent la signature de l'accord. Des grèves furent organisées et les habitants furent incités à ne pas payer leurs impôts. L'ère était donc au boycott, un boycott qui avait d'ailleurs gagné les instances décisionnelles. Les partis unionistes d'Ulster menèrent une campagne tonitruante qui visait à anéantir l'Accord anglo-irlandais et reprirent le slogan, pour le moins catégorique : « Ulster Says No. » Journalistes, hommes politiques, universitaires s'accordèrent à demander aux leaders des deux principaux partis unionistes de James Molyneaux (Ulster Unionist Party — UUP) et d'Ian Paisley (Democratic Unionist Party — DUP) de proposer des solutions concrètes. Leurs objectifs essentiels étaient donc bien de réaffirmer le statut de la Province et de lever l'ambiguïté sur les rapports entre Londres, Belfast et Dublin. Parmi ses revendications, le DUP exigeait l'établissement d'une assemblée élue à Belfast dont les pouvoirs seraient semblables à ceux du Stormont avant sa dissolution. Les paramilitaires loyalistes tentèrent, quant à eux, une approche qui se voulait constructive, en rédigeant un document intitulé Common Sense en janvier 1987, mais leurs propositions n'eurent qu'un accueil très mitigé. Entre 1988 et 1990, une vague d'arrestations se fit dans le milieu des paramilitaires loyalistes. Les plus actifs demeuraient les terroristes républicains qui commettaient deux fois plus de meurtres que leurs homologues loyalistes. C'est pendant cette période riche en événements que furent diffusées les premières publicités (de notre corpus) pour le téléphone confidentiel.
Une volonté générale de changement
20L'idée des avantages d'un cessez-le-feu commença à émerger des réflexions menées au sein du Sinn Féin et de l'IRA ; était-ce le résultat d'une usure après une vingtaine d'années de « troubles » et de sacrifices finalement non productifs ? Avec 2 400 décès, dans la période de 1969 à 1985, et un nombre considérable de catholiques tués par l'IRA, un profond sentiment de répulsion à l'égard de la violence se manifesta. Les élections parlementaires de 1983 représentèrent le summum de la force du Sinn Féin durant ces années. En effet, lors des élections de 1983, le Sinn Féin compta 13,4 % des voix, alors qu'en 1987 le pourcentage n'atteignit que 11,4 %, le SDLP enregistra une hausse de soutien non négligeable qui allait de 17,9 %, en 1983 à 21,1 %, en 1987. La tendance générale était plus modérée au sein des communautés catholiques et protestantes. En fait, si l'on en croit les sondages d'opinion effectués en 1986 et en 1989, 60 % des catholiques nord-irlandais et 80 % des protestants étaient en faveur d'une certaine autonomie accordée à la Province tout en la laissant dépendante du Royaume-Uni. À la fin des années 1980, les Irlandais du Sud semblaient aspirer à un renouveau. L'élection de Mary Robinson, en novembre 1990, laissait présager un changement de l'alignement politique du sud de l'Irlande.
21Les négociations qui eurent lieu entre John Hume, leader du SDLP, et Gerry Adams, de janvier à septembre 1988, montrèrent, de part et d'autre, une volonté d'évolution dans la logique du processus de paix. Les leaders s'accordaient sur les objectifs à atteindre à long terme : la réunification de l'île et la condamnation de tout droit de veto émanant des unionistes. Les vues divergeaient, par contre, quant au besoin et à l'utilité de la force pour atteindre ces objectifs. Bien que les négociations ne conduisissent pas à une conclusion définitive, elles laissèrent entrevoir une amorce de réflexions sur le processus de paix. Le temps était venu de mettre fin aux tergiversations et de permettre au Sinn Féin de participer aux négociations avec les autorités britanniques. L'accord de 1985 n'ayant abouti ni à la paix ni, d'ailleurs, à une réconciliation, le ministre chargé des affaires nord-irlandaises, Peter Brooke, devait affronter les pressions internationales.
22Les troubles nord-irlandais coûtaient cher, soit environ 400 millions de livres sterling17 par an. Dès le 30 avril 1991, les négociations entre les unionistes et le SDLP recommencèrent. Le processus était réamorcé et chacun partait du principe que rien ne serait concédé jusqu'à ce que tout soit accordé (“nothing was agreed until everything was agreed”). Toutefois, à partir du 16 juillet 1991, les négociations furent de nouveau gelées. Dans ce contexte fluctuant, la violence paramilitaire alla bon train.
1992 : une année charnière ?
23Les élections de 1992 en Irlande et au Royaume-Uni furent caution à des revirements. Peu avant les élections, Charles Haughey fut amené à démissionner et fut remplacé, le 6 février, par Albert Reynolds. John Major fut réélu le 6 avril, avec une majorité précaire de 21 voix aux Communes, renforçant ainsi l'influence des unionistes. Dans le remaniement ministériel qui s'ensuivit, Peter Brooke fut remplacé par Patrick Mayhew. Ce dernier, notoirement moins conciliant que son illustre prédécesseur, avait vivement critiqué, pendant son mandat au poste d'Attorney General, l'attitude de la République d'Irlande à l'égard des extraditions. La période fut turbulente, meurtrière. En novembre 1992, les négociations entamées par Brooke et poursuivies par Mayhew se retrouvèrent dans l'impasse. L'opinion était polarisée par les vagues successives de violence de 1991 et 1992 : des bombes de l’IRA explosèrent à Belfast, mais aussi à Lisburn (comté d'Antrim), Lurgan (comté d'Armagh), Bangor (comté de Down) et à Coleraine (comté de Londonderry). Les loyalistes ripostèrent en tuant des catholiques, au hasard. Même si la perspective d'un processus de paix semblait encore lointaine, des négociations secrètes eurent lieu entre représentants du gouvernement britannique et des républicains, mais les résultats ne furent, encore une fois, guère probants. Le point d'achoppement était que les républicains réclamaient le retrait des troupes britanniques sous trois semaines, alors que les Britanniques ne pouvaient concevoir un débat tant que la violence continuait de sévir. Une partie de bras de fer s'annonçait.
24À l'inverse du SDLP, le Sinn Féin sortit affaibli des élections d'avril 1992 traduisant l'essoufflement d'un conflit nourri d'attaques constantes, aux perspectives peu réjouissantes. La position des forces de sécurité britanniques demeurait forte et invincible, et de l'avis de la RUC, l'accroissement des tueries loyalistes chez les catholiques fut un facteur déterminant dans ce revirement. Dans cette situation extrême, un cessez-le-feu devenait une option stratégique, d'autant plus que les fonds dont disposait l’IRA s'amenuisaient. En Grande-Bretagne, une forte majorité de la population semblait être en faveur d'un retrait des troupes basées en Irlande du Nord, la présence de l'armée britannique dans la Province se faisant de plus en plus coûteuse18
Le processus de paix
25Le 20 mars 1993, une bombe explosa dans un centre commercial de Warrington (Angleterre) causant la mort de deux enfants. Cet acte barbare, vivement condamné, fut suivi d’un mouvement en faveur de la paix en Irlande. Le leader du SDLP rencontra Adams, le 10 avril, afin de se mettre d'accord et ils publièrent un rapport sur le droit de l'Irlande à une autodétermination nationale. Il fallait, à leur avis, faire bouger les Britanniques ; se rallièrent à eux le gouvernement irlandais et l'opinion irlando-américaine. En juin 1993, le parti travailliste britannique proposa que les Irlandais et les Britanniques gouvernent l'Irlande du Nord en tandem pendant une période de vingt ans, un aménagement transitoire nécessaire à la réunification. Puis, Reynolds chercha l'appui d'organisations irlando-américaines dont l'influence au sein du parti démocratique n'était pas moindre. Bill Clinton envoya un émissaire pour la paix en Irlande et proposa un visa américain à Adams. Après d'autres pourparlers, Hume et Adams établirent un document en commun, le 25 septembre 1993, qu'ils présentèrent le 7 octobre à Washington. Ainsi s'amorça une véritable réflexion sur le processus de paix. En fait, l'idée générale, en 1993, reposait toujours sur la reconnaissance par les Britanniques du droit à l'autodétermination en Irlande.
26Fin octobre 1993, le gouvernement de Dublin sembla se distancier des propos du document rédigé par Hume et Adams, ceci principalement du fait de la recrudescence des activités terroristes en Irlande du Nord. Le 3 novembre 1993, eut lieu l'annonce de la reprise des travaux intergouvemementaux visant à créer « a framework for peace, stability and reconciliation »19. Après une vague de fuites et de rumeurs contradictoires, la Downing Street Declaration fut publiée le 15 décembre 1993. Ce fut un document décisif, car il semblait prendre en considération les objectifs communs aux différentes tendances. Le gouvernement britannique accepta le droit à l'autodétermination de l’Irlande et le besoin de changement, mais il spécifia que toute évolution vers la réunification ne pouvait se faire sans le consentement de la majorité des Irlandais du Nord. L’optimisme d’Albert Reynolds, qui pensait que le Sinn Féin et l'IRA ratifieraient la déclaration, fut vain, les paramilitaires républicains avaient en effet intenté de nombreuses attaques à l'encontre des loyalistes fin 1993 et début 1994. Certains membres du conseil de l'IRA étaient également convaincus de la nécessité d'un accroissement des attentats, afin d'obliger Westminster à faire les concessions qui s'imposaient. Le 24 avril 1993, la bombe qui explosa à Bishopsgate (Londres) causa des dégâts considérables s'élevant à 350 millions de livres sterling20.
27L'IRA subit une pression intense de la part du gouvernement irlandais. Reynolds tenta d'apporter des clarifications sur la déclaration, en promettant, dans l'hypothèse où la violence cesserait, de supprimer la censure audiovisuelle qui muselait les porte-parole de l'IRA dans le Sud de l'Irlande, promesse qui allait aussi dans le sens de la libération des prisonniers républicains et de l'obtention du visa américain pour Gerry Adams. L'autre point crucial fut d'inclure le Sinn Féin aux pourparlers dans l'hypothèse d'un cessez-le-feu définitif. Selon Adams, il fallait trouver un terrain d'entente avec le SDLP. À son avis, des négociations, avec le concours des Irlandais du Sud, du SDLP et des États-Unis, seraient plus productrices que la perpétuation de la violence ; l’IRA se réservait néanmoins le droit de garder ses structures militaires intactes. Le 24 juillet 1994, le Sinn Féin rejeta la déclaration de Downing Street. Toutefois, un mois plus tard, le Sinn Féin et l'IRA furent confortés dans leurs souhaits. L'IRA déclara une cessation complète des opérations militaires qui devait prendre effet à minuit le 31 août 1994. Les paramilitaires loyalistes annoncèrent, le 13 octobre 1994, qu'eux aussi observeraient un cessez-le-feu tant que les républicains garderaient leur promesse et ils en profitèrent pour exprimer publiquement leurs remords pour les actes commis dans le passé. Cette volonté mutuelle d'apaisement fut exploitée dans une publicité au nom pour le moins évocateur : Time to Build.
Constat et bilan après vingt-cinq ans de « troubles » : perspectives de fin de siècle
28Pendant vingt-cinq ans, les troubles ont engendré 3 172 morts en Irlande du Nord, toutes tendances confondues. De plus, selon Brian Barton dans A Pocket History of Ulster, on a dénombré 37 000 blessés, dont 25 000 civils, 35 000 fusillades, 20 000 attentats et 19 000 vols à main armée. Jusqu'en 1995, le gouvernement britannique dépensa 1 100 millions de livres sterling dans les dédommagements versés aux victimes ou destinés à la reconstruction de biens publics.
29En dix-sept mois de cessez-le-feu, soit de septembre 1994 à février 1996, on a pu observer des signes encourageants d'intégration, de retour à la normalité et l'émergence d'une unité civique. Une effervescence régnait parmi les différents groupes et organisations de la société nord-irlandaise. L'ère était au changement21. Élu en novembre 1995, l'adjoint au maire de Belfast fut pour la première fois un catholique. De même, 9 % des recrues souhaitant incorporer la RUC étaient de confession catholique. Les contacts commerciaux entre le Nord et le Sud s'amplifièrent. En revanche, le Sinn Féin et l'IRA estimèrent avoir pris de grands risques en arrêtant leurs opérations militaires. Le portrait d'Adams était celui d'un homme courageux, mais était-ce là le début de l'affaiblissement d'un groupe paramilitaire qui ne supporterait pas d'être « diminué ». Les responsables du Sinn Féin22 tirèrent profit du cessez-le-feu, en saisissant l'abrogation de la censure audiovisuelle afin de réaffirmer une crédibilité auprès du public et en usant de leur liberté de mouvement en voyageant à volonté en Irlande, en Grande-Bretagne ou aux États-Unis. Les media étaient rivés sur eux.
30L'accession de John Bruton, le leader de Fine Gael, moins en faveur des propositions de Hume et d'Adams, au poste de Taoiseach réduisait les chances d'un retrait britannique, d'autant plus que le parti travailliste britannique (avec son nouveau chef, Tony Blair) se distanciait de sa position traditionnelle en appuyant toutes les démarches du gouvernement conservateur pendant le cessez-le-feu. En réponse à la pression des unionistes, dont le gouvernement britannique devenait de plus en plus dépendant à la Chambre des Communes, ce dernier émettait de plus en plus de réserves par rapport à la validité et à la permanence de la cessation de la violence par l'IRA. Dans son communiqué du 31 août 1994, rien ne laissait présager une paix durable, d'ailleurs un nombre assez considérable d'incidents violents, eurent lieu pendant les douze mois qui suivirent l'annonce du cessez-le-feu. Un retour à la violence semblait inévitable. Adams avait d'ailleurs déclaré, le 15 août 1995, qu'il fallait encore compter avec l'IRA. La situation restait tendue. Il était quand même permis d'espérer, c'était du moins dans l'esprit de la série de publicités diffusées au cours de 1995, dont le slogan indiscutablement optimiste était Time for the Bright Side.
31En novembre 1995, l'instauration d'une commission internationale sous l'égide de l'ancien sénateur américain, George Mitchell, dont la délicate mission était de conseiller sur l'art et la manière de désarmer les terroristes, permit de faire avancer la situation. Le rapport de la commission, rendu public le 26 janvier 1996, suggérait une troisième voie, c'est-à-dire que le dépôt des armes se fasse en même temps que la poursuite des négociations. Poussé par les unionistes, Major proposa la création d’une assemblée politique à partir du 30 mai, après quoi des discussions sur la structure politique de l'Irlande du Nord, incluant tous les partis, pourraient débuter. Les pourparlers devaient recommencer le 10 juin 1996, avec la participation du Sinn Féin, à la condition sine qua non du maintien du cessez-le-feu par l'IRA. Cette proposition, faite sans consultation avec Dublin, réduisit encore les possibilités du maintien de la paix. Le cessez-le-feu fut rompu par l’IRA le 9 février 1996 avec l'explosion d'une bombe à Canary Wharf, à Londres. Ainsi, après une période d'espoir, des actes de violence extrême, revendiqués ou non, sévirent à nouveau. L'année 1996 vit renaître le spectre de la terreur généralisée et montra un processus de paix en pleine décomposition surtout après les affrontements de juillet. Pendant l'été 1996, la tension s'intensifia à Londonderry à la veille des marches organisées par l'Ordre d'Orange. Le contexte paraissait, par conséquent, peu propice à un retour à la réconciliation et à la paix23
32Les clauses sur l'Irlande du Nord incluses dans les manifestes des deux principaux partis britanniques, les conservateurs et les travaillistes, affichaient des volontés différentes quant à l'évolution du processus de paix. Le manifeste des conservateurs était pour le moins évasif dans son implication dans la résolution du conflit. Le manifeste des travaillistes, quant à lui, était plus éloquent sur la question ; il insistait sur le rejet du statu quo constitutionnel, s'engageait à œuvrer pour un nouvel accord politique favorablement accueilli par les deux communautés. La période électorale fut accompagnée, en Irlande du Nord, de violence politique mais avec un degré d'intensité moindre que lors des élections de 1992.
33L'année 199724 fut riche en discussions et l'élection25 du Premier ministre britannique Tony Blair raviva quelque espoir de rétablissement du processus de paix. L'été 1997, bien que période à haut risque, si l'on se souvient des heurts causés par les marches politico-religieuses de l'année passée, fut marqué par la déclaration du mouvement de Gerry Adams de s'engager dans la voie de la non-violence et du processus démocratique. La proposition de Tony Blair de considérer la troisième voie, imaginée en décembre 1995, par le médiateur américain George Mitchell, refusée par John Major à l'époque, réjouit Gerry Adams. Les signes semblaient plus prometteurs, de part et d'autre ; à la différence de 1994, lorsque l'IRA avait décrété un cessez-le-feu, les négociations ne devaient pas rester vaines.
34Une trêve suscitée par le Sinn Féin entra en vigueur le 20 juillet 1997, il ne restait plus qu'à convaincre les unionistes d'Ulster de la bonne foi du bras armé des républicains, ce qui fut fait quelques semaines plus tard. Le mois d'août, étonnamment calme, de l'avis de la Royal Ulster Constabulary, se distingua par un événement inhabituel et symbolique : la diffusion, en direct, sur la BBC (mardi 10 août) du premier débat télévisé entre Martin McGuinness du Sinn Féin et l'unioniste Ken Maginnis. Le 29 août 1997, Marjorie Mowlam, ministre britannique chargée de l'Irlande du Nord, invita officiellement l'aile politique de l'IRA à participer aux pourparlers sur l'avenir de l'Ulster prévus le 15 septembre 1997. De leur coté, les plus durs des loyalistes firent savoir qu'ils ne participeraient pas aux négociations. L'autre événement significatif, qui se produisit au cours de l'automne 1997, est la rencontre de Tony Blair et de Gerry Adams au Stormont de Belfast26, une rencontre suivie d'une autre au no10 Downing Street, début décembre 1997.
35Voici l'état d'avancée des pourparlers, à l'heure où notre étude s'achève. La tentative de réfléchir autour de solutions communes, malgré une situation ambivalente et complexe semble trouver un écho favorable, d'autant renforcé par la signature de l'accord de paix du 10 avril 1998, auprès des participants aux négociations. Le référendum sur les accords de paix du 22 mai 1998 est une étape majeure mais il faudra encore beaucoup de patience et d'énergie afin d'aboutir à une paix durable, irrévocable. C'est dans une conjoncture où les tensions et les clivages allaient bon train, où les faisceaux de relations convergentes ou divergentes abondaient, où les rumeurs étaient en terrain conquis, qu'il a semblé opportun au Northern Ireland Office (NIO) de lancer Advertising for Peace. Comment le NIO a-t-il choisi de présenter les troubles, les dissidences, les points de vue nécessairement variables et variés selon les expériences et les vécus des personnes concernées ? De quelle réalité, s'est inspirée l'agence publicitaire McCann-Erickson, responsable du projet Advertising for Peace ? Comment le contenu des publicités s'est-il adapté aux événements ? Dans quelle mesure peut-on alors suggérer que les publicités réorganisent, restructurent les événements et offrent un spectacle orienté, conditionné ? Dans quelle mesure peut-on inférer que Advertising for Peace contribue à retisser le lien social et guide le citoyen nord-irlandais ? Avant d'entrer dans ces considérations, il nous appartiendra de préciser qui sont les défenseurs d'Advertising for Peace, quelles ont été leurs motivations et leurs intentions officielles.
Notes de bas de page
1 Dans son article intitulé « Nouvelle donne pour l'Irlande du Nord », dans Les élections générales de 1997 en Grande-Bretagne, Paris, CRÉCIB, vol. 9 no 3, 1997, p. 90, note 1, Paul Brennan résume les grandes lignes de ce document ainsi : « Il propose une nouvelle forme de gouvernement pour la Province, une considération égale pour les deux traditions culturelles, une charte des droits fondamentaux, un engagement de la part de Londres à se comporter de façon impartiale, la création d'institutions communes au Nord et au Sud et la modification de la Constitution irlandaise ».
2 Avant 1969, seule l'IRA (Irish Republican Army) existait. L'IRA Provisoire (PIRA) fut créée en décembre 1969 par les républicains qui voulaient maintenir la lutte armée jusqu'au retrait définitif des Britanniques. Les membres réformateurs du mouvement républicain, majoritaires lors de la réunion du Conseil de l’IRA en décembre, préconisaient des activités plutôt politiques et recherchaient une solution marxiste en alliant les prolétariats catholiques et protestants ; ils prirent l’appellation IRA Officiel. L'IRA Officiel (OIRA) déclara un cessez-le-feu en 1972. Quand on parle de l’IRA au cours des vingt-cinq dernières années, il s'agit plus ou moins exclusivement de la PIRA. Pour plus de détails, lire : Wesley Hutchinson, La question irlandaise, Paris, Ellipses, coll. Les essentiels — Civilisation anglo-saxonne, 1997 ; et Agnès Maillot, IRA, Caen, Presses Universitaires de Caen, 2000.
3 Le début des années 1990 fut plus particulièrement marqué par la menace des paramilitaires loyalistes. Pour plus de détails, voir Paul Brennan et Richard Deutsch, L'Irlande du Nord, chronologie, 1968-1991, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 1993.
4 C'est-à-dire recevoir des balles dans les genoux ou dans les coudes. Ceci est illustré dans la toute première publicité intitulée A Future.
5 Seán MacStiofáin est l'un des leaders de l'IRA.
6 Adams, député républicain à Westminster, est élu président du Sinn Féin, le 13 novembre 1983.
7 La campagne publicitaire Advertising for Peace propose un discours consensuel qui gomme les dissensions et brouille les éventuelles accusations envers les auteurs de la violence politique.
8 C'est-à-dire le Premier ministre.
9 Rien de cela n’est mentionné dans Advertising for Peace.
10 Le rapprochement de l'IRA avec la Libye s'explique en partie par les sentiments antibritanniques du régime Kaddhafi suite au bombardement de la Libye en 1986, effectué par des avions américains basés en Angleterre.
11 Ceci vient en écho dans les publicités A Future et I Wanna Be Like You.
12 Il est légitime de s’interroger sur le pourquoi du choix de McCann-Erickson d’autant qu’à notre connaissance aucune étude de marché n’a été réalisée au préalable et que les agences Shandwick et Burson-Marsteller n’ont pas été sollicitées, comme elles le furent par le passé.
13 Nous pensons aux tribunaux d'exception, les Diplock Courts, toujours présents dans la mémoire collective, et aux internements sans jugement.
14 Un exemple : le Guildford Four, en octobre 1989.
15 Ne confondons pas les mesures britanniques avec la censure audiovisuelle promulguée par le gouvernement de la République d'Irlande dès 1960 (Broadcasting Authority Act, I960, section 31) et supprimée en janvier 1994. Le Television and Radio Ban britannique du 19 octobre 1988 fut renouvelé en février 1994, puis prit fin en septembre 1994. Pour plus de détails à ce sujet, lire l’article de Catherine Maignant, « Liberté d’expression et raison d’État : la réponse irlandaise », Les media en Grande-Bretagne : le quatrième pouvoir depuis 1855, Paris, CRÉCIB, vol. 5 no 4, janvier 1990, pp. 93-103 ; et celui de Richard Deutsch, « Les media, l'État et le conflit », Études Irlandaises, no XX 1, printemps 1995, pp. 149-163.
16 Voir Paul Brennan, « L'Accord anglo-irlandais », dans Monica Charlot, L'effet Thatcher, Paris, Économica, 1989, pp. 137-154.
17 Selon Brian Barton, A Pocket History of Ulster, Dublin, The O'Brien Press, 1996, p. 195.
18 Pour l'année fiscale 1993-1994, les dépenses annuelles du gouvernement en Irlande du Nord s'élevaient à 7,5 milliards de livres sterling, selon Brian Barton, op.cit., p. 200.
19 Un cadre de réflexion sur la paix, la stabilité et la réconciliation.
20 Chiffre qui équivaut à l’ensemble des attentats orchestrés en Irlande du Nord en l'espace de vingt ans, selon Brian Barton, op.cit., p. 207.
21 Le slogan publicitaire du moment était : Time for the Bright Side.
22 Rappelons-nous le triomphe du Sinn Féin, lors des élections locales en mai 1993, à Belfast, avec 22,7 % des voix exprimées.
23 C’est le contexte décrit dans Timebomb.
24 Voir chronologie de diffusion des publicités en annexe.
25 Pour plus de détails, lire l'article de Paul Brennan, « Nouvelle donne pour l'Irlande du Nord », op. cit..
26 C’était, en effet, la première fois en soixante-quinze ans qu'un Premier ministre britannique s'entretenait en direct avec un responsable du mouvement républicain. Rappelons-nous, l’entrevue de 1921 entre Lloyd George et les nationalistes Eamonn de Valera et Michael Collins s’était déroulée à Londres et avait conduit à la partition de l’Irlande.
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