Les âges de la vie selon William Blake
p. 89-105
Texte intégral
For books are not absolutely dead things, but do contain a potency of life in them to be as active as that soul was whose progeny they are; nay, they do preserve as in a vial the purest efficacy and extraction of that living intellect that bred them.
….
Who kills a man kills a reasonable creature, God’s image; but he who destroys a good book, kills reason itself, kills the image of God, as it were in the eye. Many a man lives a burden to the earth; but a good book is the precious life-blood of a masterspirit, embalmed and treasured up on purpose to a life beyond life1.
1Parler des âges de la vie selon le poète William Blake nous place immédiatement face à un paradoxe : celui qui consiste à diviser en périodes temporelles (enfance, âge mûr et vieillesse, par exemple) une vision mystique qui se réclame de l’au-delà de l’espace et du temps et qui s’affranchit par conséquent de leurs contingences.
2La définition que Blake donne de la vie écarte en effet toute possibilité de réduire celle-ci à la dimension du fil des ans. Il y a par exemple quatre Zoas en l’homme parce que dans l’opération théosophique chère à Blake, la somme des chiffres composant un nombre va donner sa valeur symbolique : 4 équivaut à 4+3+2+1 = 10, qui lui-même est égal à 1+0 = 1, le chiffre de l’unité que ces quatre Zoas sont appelés à reformer lorsqu’Albion, l’homme universel, retrouve Jerusalem et la Vision Divine. L’alchimie des chiffres évoque une alchimie spirituelle :
Four Mighty Ones are in every Man; a Perfect Unity
Cannot Exist but from the Universal Brotherhood of Eden,
The Universal Man....2
3Ces paroles rappellent bien entendu celles du Christ dans l’Evangile selon St Jean :
That they all may be one; as thou, Father, art in me, and I in thee, that they also be one in us: that the world may believe that thou hast sent me.
And the glory which thou gavest me I have given them; that they may be one, even as we are one:
I in them and thou in me, that they may be made perfect in one; and that the world may know that thou hast sent me, and hast loved them, as thou hast loved me3.
4Dès lors, toute référence aux âges de la vie selon Blake doit impérativement se faire dans l’optique d’un langage spirituel qui cherche à exprimer cette union mystique :
And they conversed together in Visionary forms dramatic which bright
Redounded from their Tongues in thunderous majesty, in Visions In new Expanses, creating exemplars of Memory and of Intellect, Creating Space, Creating Time, according to the wonders Divine Of Human Imagination throughout all the Three Regions immense Of Childhood, Manhood & Old Age.... (Jerusalem K746)
5Les âges de la vie terrestre ne sont plus que la pâle image déchue de la manifestation divine du logos créateur. Il existe entre les quatre Zoas, tombés dans les quatre éléments de ce monde, où l’homme se trouve sous l’emprise de ses quatre sens (l’ouïe, la vue, l’odorat, le quatrième sens rassemblant chez Blake le goût et le toucher), d’une part, et d’autre part l’Un, qui constitue leur Origine et leur Fin, le même rapport qu’entre les 60 années de la vie terrestre et les 6000 ans de la création : “The ancient tradition that the world will be consumed in fire at the end of six thousand years is true, as I have heard it from Hell” (MHH K154).
6Toujours selon l’opération théosophique décrite ci-dessus, 60 est égal à 6, et 6000 est égal à 6. Ces deux durées sont donc placées sous le sceau de l’antéchrist qui, dans la Bible, porte le chiffre du triple 6 : 666, et qui, dans l’œuvre de Blake, apparaît sous les traits de Satan ou de Urizen, représentant à la fois le Dieu créateur de ce monde, le législateur de l’Ancien Testament, et le culte de la raison, qui s’oppose à la libre expression de l’Imagination.
7Or, l’Imagination est précisément le domaine privilégié du poète-prophète : elle est la base-même de sa vision de la vie en termes spirituels.
This world of Imagination is the world of Eternity; it is the divine bosom into which we shall go after the death of the Vegetated body.
This World of Imagination is Infinite & Eternal, whereas the Generation, or Vegetation, is Finite & Temporal. There Exist in that Etemal World the Permanent Realities of Every thing which we see reflected in this Vegetable Glass of Nature. All things are comprehended in their Etemal Forms in the divine body of the Saviour.... (VLJ K605)
8Il serait probablement restrictif de parler à cet égard d’un simple néo-platonisme car si Platon et Blake ont en commun la définition d’un monde immatériel d’Idées-formes au dessus du monde terrestre, leurs façons d’y accéder marquent une divergence profonde et irréductible. Platon symbolise en effet le barrage de la raison à l’épanouissement de l’imagination, seule voie possible selon le poète pour accéder à la vision divine : "Plato has made Socrates say that Poets & Prophets do not know or Understand what they write or Utter ; this is a most Pernicious Falsehood" (VLJ K605).
9Le poète assimile Platon et les vertus morales, qu’il oppose aux visions de la Bible :
The whole Bible is fill’d with Imagination & Visions from End to End & not with Moral Virtues; that is the business of Plato & the Greeks & all Warriors. The Moral Virtues are continuai Accusers of Sin & promote Etemal Wars & Dominency over others.
....
What Jesus came to Remove was the Heathen or Platonic Philosophy, which binds the Eye of Imagination, The Real Man. (AB K774-5)
10Blake s’attache donc plutôt à ce qui relève d’une inspiration éminemment chrétienne et de cet esprit permanent qui imprègne même l’Ancien Testament : "what then did Christ Inculcate ? Forgiveness of Sins. This alone is the Gospel, & this is the Life & Immortality brought to light by Jesus, Even the Covenant of Jehovah" ("EG" K757). A travers ces paroles, comme à travers celles des citations précédentes, se révèle donc une conception du Christ comme esprit permanent : c’est une vision inspirée des paroles qu’il prononce dans l’Evangile selon St Jean (VII : 58) : "Before Abraham was, I am". C’est également sur ce mode qu’un autre théosophe comme Jacob Boehme considère la présence du Christ : "Selon saint Jean, III, 13, le Christ dit qu’il est venu du Ciel ; il s’agit de son Etre. Car le verbe n’avait point besoin de venir ; il était là avant la venue du Christ et n’avait qu’à se mouvoir"4.
11Ainsi, après avoir rendu compte de la création selon Blake, il s’avérera nécessaire de faire non seulement un descriptif analytique des âges de la vie selon Blake, mais aussi une étude de leur fonction à l’intérieur du mythe blakien. La lecture de la Bible par William Blake pourra alors être précisée en termes de d’états spirituels ; sa vision du monde et sa définition de l’homme rendront compte du caractère cohérent de sa mythologie, lue comme manifestation d’un esprit chrétien universel.
12Les âges de la vie que l’on rencontre dans la poésie de Blake sont d’abord les périodes de la vie de l’homme : "And Los beheld his Sons and he beheld his Daughters, / Everyone a translucent Wonder, a Universe within, / And every one has the three regions, Childhood, Manhood & Age” (Jerusalem K635).
13Mais bientôt, chaque unité de temps, chaque battement de coeur devient un âge en lui-même : ce sont d’abord les âges de la création, envisagée comme un processus permanent qui donne temps et espace à ce qui n’a pas encore de forme. C’est le début du compte-rendu de la création par Blake :
But others of the Sons of Los build Moments & Minutes & Hours
And Days & Months &Years & Ages &Periods, wondrous buildings;
And every Moment has a Couch of gold for soft repose,
(A Moment equals a pulsation of the artery),
And between every two Moments stands a Daughter of Beulah
To feed the Sleepers on their Couches with maternai care. (Milton K516)
14Dans cette vision, un âge peut aller de 60 secondes à 6000 ans, du spirituel à l’actualisé :
Every Time less than a pulsation of the artery
Is equal in its period & value to Six Thousand Years,
For in this Period the Poet’s Work is Done: And all the Great
Events of Time start forth & are conciev’d in such a Period,
Within a Moment, a Pulsation of the Artery. (Milton K516)
15A l’intérieur de chaque âge, la création des hommes est elle aussi un processus permanent qui est en partie le fait de Theotormon, de Sotha, des fils de Los et de ceux d’Ozoth :
They contend with the weak Spectres, they fabricate soothing forms.
The Spectre refuses, he seeks cruelty: they create the crested Cock.
Terrified the Spectre screams & rushes in fear into their Net
Of kindness & compassion, & is born a weeping terrer.
Or they create the Lion & Tiger in compassionate thunderings:
Howling the Spectres flee: they take refuge in Human lineaments.
....
They give delights to the man unknown; artificial riches
They give to scom, & their possessors to trouble & sorrow & care,
Shutting the sun & moon & stars & trees & clouds & waters
And hills out from the Optic Nerve, & hardening it into a bone
Opake and like the black pebble on the enraged beach,
While the poor indigent is like the diamond which, tho cloth’d
In rugged covering in the mine, is open all within
And in his hallow’d center holds the heavens of bright eternity. (Milton K515)
16Ces travaux titanesques font référence à la mythologie de Jacob Boehme, ce théosophe du XVIIe siècle allemand qu’admirait tant William Blake : si la chute de Satan, après sa révolte contre Dieu, est éternelle, celle de l’homme a une fin, ou plus exactement un moment d’arrêt, qui lui est offert par Dieu sous forme de la vie sur terre. C’est là que l’homme trouve la possibilité de son rachat et du retour à son Origine divine. Les développements de Boehme sur ce sujet, articulés dans un langage mythologique très particulier sont trop longs pour faire ici l’objet d’une analyse détaillée. On se contentera pour l’heure de renvoyer le lecteur aux œuvres principales du théosophe : Mysterium magnum, De la Triple vie de l’homme, Des Trois principes de l’essence divine, tous publiés après la mort de leur auteur dans l’édition dite d’Amsterdam, en 16825. En accord avec cette tradition, la création apparaît dans le mythe blakien comme don de Dieu : "Etemity Exist, and All things in Etemity, Independant of the Creation which was an act of Mercy" (VLJ K614). Comme Boehme, pour qui les sept jours de la création représentent sept esprits, Blake reprend, dans sa version de la création, la chronologie symbolique des sept jours :
And a first Age passed over, & a State of dismal wo.
….
And a second Age passed over, & a State of dismal woe.
….
And a seventh Age passed over, & a State of dismal woe. (Milton K482-3)
17Toute la création se fait en termes d’âges ou d’époques : ainsi de Golgonooza, qui symbolise la re-création de l’homme déchu : "They builded Great Golgonooza Times on Times, Ages on Ages" (Milton K483).
18L’imitation de l’imagerie biblique semble toutefois relever ici d’une intention ironique, puisque cette création est celle d’hommes qui ont perdu l’idée de leur Origine : c’est le début de l’Histoire...
Six days they shrunk up from existence,
And on the seventh day they rested,
And they bless’d the seventh day, in sick hope,
And forgot their eternal life. (FBU K236)
19Ainsi, pour Blake, la création a un double aspect : elle est acte de miséricorde de Dieu, mais elle est aussi, pour l’homme, synonyme de perte de la vision divine, car elle est dominée par un dieu déchu. Et les âges de la vie, qu’il appelle States, deviennent une sorte de moule où se fondent toutes les vies individuelles pour entrer dans ce monde de Satan-Urizen :
‘We are not Individuals but States, Combinations of Individuals.
‘We were Angels of the Divine Presence, & were Druids in Annandale,
‘Compell’d to combine into Form by Satan, the Spectre of Albion,
‘Who made himself a God & destroyed the Human Form Divine”. (Milton K521)
20Les States sont, dès lors, les étapes d’une progression spirituelle, et les chiffres précédemment mentionnés suggèrent le parallèle fondamental entre les dimensions spirituelle et individuelle des âges de cette vie sur terre, qui n’est qu’un état transitoire à l’intérieur duquel se trouvent d’autres états transitoires.
But the Divine Humanity & Mercy gave us a Human Form
Distinguish therefore States from individuals in those States.
States Change, but Individual Identities never change nor cease.
You cannot go to Eternal Death in that which can never Die.
Satan & Adam are States Created into Twenty-seven
Churches,
And thou, O Milton, art a State about to be created.... (Milton K521)
21Ainsi ces "états" spirituels font-ils l’objet d’une définition bien précise dans le mythe. Ils peuvent être représentés par un individu, par exemple Milton ("He hath enter’d into the Covering Cherub, becoming one with / Albion’s dread Sons") ou Scofield, ce soldat du premier régiment des dragons qui, à la suite d’une querelle, traîna Blake devant les tribunaux pour propos injurieux envers l’armée : le poète fut aquitté, mais, fortement perturbé par cet incident, il prit par la suite Scofield comme symbole de l’égarement de l’homme incarné, "Adam, who is Scofield, the Ninth / Of Albion’s sons and the father of all his brethren in the Shadowy/Generation" (Milton K507 et Jerusalem K626). Mais ces individus sont les représentants d’états dont la véritable signification est spirituelle : "these are Caiphas & Pilate — Two States where all those reside who Calumniate & Murder under Pretence of Holiness & Justice" (VLJ K608). Les personages bibliques sont aussi des States :
It ought to be understood that the persons, Moses & Abraham, are not here meant, but the States Signified by those Names, the Individuals being representatives or Visions of those States as they were reveal’d to Mortal Man in the series of Divine Revelations as they are written in the Bible; these variou-States I have seen in my Imagination; when distant they appear as One Man, but as you approach they appear Multitudes of Nations. (VLJ K607)
22Satan, par exemple, est l’état de mort spirituelle, d’aveuglement à la Vision Divine : "Satan is the State of death & not a Human existence ; / But Luvah is nam’d Satan because he has enter’d that State" (Jerusalem K680). Le State Satan est la limite de l’opacité qui découle de la perte de la vision divine : "the Limit of Opakeness" (Jerusalem K713), et de cet état relèvent toutes les doctrines qui reposent sur la limite des cinq sens et de leurs observations, comme l’empirisme :
Some people flatter themselves that there will be No Last Judgement & that B ad Art will be adopted and mixed with Good Art, That Error or Experiment will make a Part of Truth, & they Boast that it is its Foundation; these People flatter themselves: I will not Flatter them. (VLJ K617)
23C’est ainsi que Los (l’esprit de prophécie) dénoncera Satan : "Art thou not Newton’s Pancreator, weaving the woof of Locke ?" (Milton K617).
24"My kingdom is not of this world" dit le Christ dans l’Evangile selon St Jean (19. 36), et Blake applique ces paroles au XVIIIe siècle dont il rejette les idées rationalistes, sceptiques et empiristes qu’incarne Urizen, figure mythique et emblématique des défenseurs de ces idées :
‘I am God O Sons of Men! I am your Rational Power!
‘Am I not Bacon & Newton & Locke who teach Humility to Man,
‘Who teach Doubt & Experiment? & my two Wings, Voltaire,
Rousseau? (Jerusalem K685)
25Dans le mythe blakien, un State peut aussi être défini par des nations :
And all Nations wept in affliction, Family by Family:
Germany wept towards France & Italy, England wept & trembled
Towards America, India rose from his golden bed.... (Milton K519)
26Les juifs et les chrétiens, ainsi que les déistes, à qui Blake adresse les préfaces des différents chapitres de "Jerusalem", correspondent aussi, dans son optique, à des états spirituels. Enfin, ces autres âges de la vie de l’humanité que sont les périodes historiques sont aussi des States : “There are States in which all visionary men are accounted Mad Men ; such are Greece and fcome...” (“The Lacoon” K777). Qu’ils concernent donc des figures bibliques ou mythiques, des individus, des nations ou des périodes historiques, les States, qu’on pourrait presque traduire par "états d’esprit", recouvrent donc la succession des époques comme le déroulement des vies individuelles, ainsi que le montrent ceux qui sont représentés par les personnages des Canterbury Tales de Chaucer, pour lesquels Blake exécuta une illustration intitulée "Chaucer’s Canterbury Pilgrims, Being a Complete Index of Human Characters as they appear Age after Age". Les Chants d’innocence et d’Experience sont d’ailleurs aussi présentés comme "Showing the Two Contrary States of the Human Soul" (Jerusalem K691 et SIE K210) : quel est le rôle de ce concept ?
27La première fonction de ces States n’est pas d’enfermer l’homme dans un état d’esprit particulier et définitif, mais au contraire de lui permettre de se libérer, comme Albion, par exemple, devra se libérer de Satan :
Albion has enter’d the State Satan! Be permanent, O State!
And be thou for ever accursed! that Albion may rise again.
And be thou created into a State! I go forth to create
States, to deliver Individuals evermore! Amen. (Jerusalem K662)
28En effet, l’état d’esprit particulier s’oppose à la vision divine illimitée et en ce sens incarne l’erreur. La création est donc d’abord création de States, erreurs appelées à disparaître. Ce sera leur deuxième fonction : "Error is Created. Truth is Eternal. Error, or Creation, will be Burned up, & then, & not till Then, Truth or Eternity will appear" (VLJ K617). C’est pourquoi au sein de cette création, chaque être humain se définit par le State dans lequel il se trouve incarné : "Every Man’s Wisdom is peculiar to his own Individuality" (Milton K483).
29Certains prendront par exemple la forme de l’auto-satisfaction self-righteousness — "In Hell all is Self Righteousness" (VLJ K616) — et seront ainsi en accord avec leur maître Urizen : "he is the Great Selfhood, / Satan, Worship’d as God by the Mighty Ones of the Earth" (Jerusalem K659). Ceux-là sont appelés à découvrir une terrible vérité : "In selfhood, we are nothing” (Jerusalem K657). D’autres States sont définis à l’occasion de la description du travail de répartition confié aux fils de Los :
‘Therefore you must bind the Sheaves not by Nations or Families,
‘You shall bind them in Three Classes...
‘The Elect is one Class: You
‘Shall bind them separate: they cannot believe in Etemal Life
‘Except by Miracle & a New Birth. The other two classes,
‘The Reprobate who never cease to Believe, and the Redeem’d
‘Who live in doubts & fears perpetually tormented by the Elect,
‘These you shall bind in a twin-bundle for the Consumation:
‘But the Elect must be saved [from] fires of Eternal Death,
‘To be formed into the Churches of Beulah that they destroy not the Earth.
‘For in every nation & every Family the Three Classes are born,
‘And in every Species of Earth, Metal, Tree, Fish, Bird & Beast.
‘We form the Mundane Egg, that Spectres coming by fury or amity,
‘All is the same, & every one remains in his own energy. (Milton 510-11)
30Une telle vision suscite naturellement quelques commentaires sur la position de Blake vis-à-vis des enseignements traditionnels. Une de ses caractéristiques est qu’il se réclame d’une nouvelle lecture de la Bible. Après le compte-rendu de la création, voici par exemple comment Blake lit l’épisode de la femme adultère dans le Nouveau Testament :
Was Jesus Chaste? or did he
Give any Lessons of Chastity?
The morning blush’d fiery red:
Mary was found in Adulterous bed;
Earth groan’d beneath, & Heaven above
Trembled at the discovery of Love,
lesus was sitting in Moses’ chair,
They brought the trembling Woman There.
Moses commands she be stoned to death,
What was the sound of Jesus’ breath?
He laid his hands on Moses’ Law:
….
‘Good & Evil are no more!
‘Sinai’s trumpets, cease to roar!
‘Cease, finger of God, to write! ("EG" K753)
31Contrairement à l’Eglise Officielle, Blake, en effet, oppose l’Ancien Testament au Nouveau :
Thinking as I do that the Creator of this World is a very Cruel Being, & being a Worshipper of Christ, I cannot help saying: ‘the Son, O how unlike the Father!’ First God Almighty comes with a Thump on the Head. Then Jesus Christ comes with a balm to heal it. (VLJ K617)
32De plus, le concept des States s’enrichit de cette nouvelle lecture : la Bible n’est plus récit d’événements historiques mais description d’états d’esprit universels : la crucifixion, par exemple, n’est plus tant la mise à mort d’un individu réel qu’un State correspondant au culte des lois morales de l’église établie, comme l’évoque Albion dans Jerusalem : “O Human imagination, O Divine Body I have Crucified, I have turned my back upon thee into the wastes of Moral Law” (K647). C’est ce qu’explique le critique Bernard Nesfield Cookson :
Interpreting the Cruxifixion as a Symbol, Blake sees in every instance of restriction, or inhibition, of Creative imagination, perpetrated by the will of Urizen, or Satan, a renewed crucifixion of the Lamb, of the Christ in man, on the ‘Tree of Mystery’, the symbol of man’s spiritual enslavement by the moral law. The crucifixion is a perpetually recurring event in the life of every true Christian6.
33Cet état d’esprit est donc celui qui fait que l’homme se détourne du Christ pour se perdre dans les cruautés des lois religieuses, au nom desquelles il accuse son prochain de pécher. Toute sa vie, Blake s’opposera à cette erreur capitale de l’église officielle, the accusation of sin. Ce qui est surprenant, c’est qu’un théologien anglican aussi conformiste que William Law (dans le sens de la défense des intérêts de la Church), et par conséquent aussi opposé aux conclusions de Blake, a construit sa doctrine, dans le même siècle, sur les mêmes références à Jacob Boehme :
The Gospel is not a History of something that was done and past 1700 years ago, or of a Redemption that was then present, and only to be transmitted to posterity as a matter of History ; but it is the Declaration of a Redeemer, and a Redeeming Power that is always in its redeeming State, and equally present to every Man7.
34Jacob Boehme, William Law et William Blake seraient donc d’accord pour dire que c’est dans leur dimension spirituelle et individuelle que les concepts bibliques revêtent toute leur signification : c’est à travers eux que les hommes trouvent la possibilité de leur rachat. Mais c’est indiscutablement à Blake que revient le mérite d’avoir élevé la notion de state au rang de concept opératoire des âges de la vie. En effet, sa définition a pour corollaire la vision de la vie comme un voyage, celui-là même qu’évoque l’image de la traversée du désert dans la Bible, et à propos de laquelle on retrouve le chiffre 4 : quarante ans d’errance dans le désert pour Israël, quarante jours de tentation pour le Christ :
As the Pilgrim passes while the Country permanent remains
So Men pass on, but States remain permanent for ever.
Learn therefore, O Sisters, to distinguish the Eternal Human
That walks about among the stones of fire in bliss & woe
Alternate, from those States or Worlds in which the Spirit travels.
(Jerusalem K680)
35Ces états sont des étapes : étapes d’une progression spirituelle dont le voyageur est l’esprit qui passe de l’un à l’autre :
Man passes on, but States remain for Ever; he passes thro’ them like a traveller who may as well suppose that the places he has passed thro’exist no more, as a Man may suppose that the States he has pass’d thro’ Exist no more. (VLJ K606)
36C’est pourquoi le thème majeur des œuvres de Blake demeure permanent, chaque fois réitéré sous une forme différente :
His [Man’s] fall into Division & Resurrection to Unity:
His fall into the Generation of decay & death, and his
Regeneration by the Resurrection from the dead. (Vala K264)
37On le retrouve tel quel dans Jerusalem : "Of the Sleep of Ulro ! and of the passage through / Eternal Death ! and of the awakening to Eternal Life" (K622).
38Les soixante années de la vie du ver de terre qu’est l’homme ne sont donc qu’un pélerinage "a pilgrimage of sixty years" (Milton K497). Il est par conséquent du devoir de l’homme de progresser à travers ces états, en luttant contre ses tendances égoistes. C’est ce qu’explique à nouveau clairement Bernard Nesfield Cookson à propos de ces paroles de Los : "‘Those who dare appropriate to themselves Universal attributes / ‘Are Blasphemous Selfhoods, and must be broken asunder’" (Jerusalem K736) :
The ultimate sin of the individual, Los is saying here, lies in appropriating to himself eternal States. States such as David or Eve have valid existence, but it is the task of the individual to pass through them, not to rest in them. To ‘appropriate’ one particular state is to create a selfhood. (Nesfield-Cookson 346)
39On trouve dans la poésie de Blake lui-même la confirmation de cette lecture, puisqu’il y interprète ainsi l’épisode biblique de la femme de Lot transformée en colonne de sel alors que, s’enfuyant de Sodome avec son mari, elle se retourne : “Lot’s Wife being Changed into a Pillar of salt alludes to the Mortal body being render’d a Permanent statue, but not Changed or Transformed into Another Identity while it retains its own Individuality” (VLJ K607).
40Nouvelle vision de la création et nouvelle lecture de la Bible débouchent donc sur une définition de la vie qui, pour être cohérente, doit avoir pour corollaire une vision de ce monde comme désert. Selon Blake, le dieu créateur de la Bible n’est pas le véritable Dieu, mais un être déchu. Et bien que spirituelle, la progression de l’homme doit se faire en ce bas monde, le monde de Satan - Urizen :
Then rose the Builders. First the Architect divine his plan
Unfolds. The wondrous scaffold rear’d all round the infinite,
Quadrangular the building rose, the heavens squared by a line,
Trigons & cubes divide the elements in finite bonds.
….
They dug the channels for the rivers, & they pour’d abroad
The seas & lakes; they rear’d the mountains & rocks & hills
On broad pavilions, on pillar’d roofs & porches & high towers,
In beauteous order... (Vala K283)
41Ce monde, dont la description n’est pas sans évoquer celui de la révolution industrielle de la Grande-Bretagne du XVIIIe siècle, n’est pas le royaume du Christ :
While we are in the world of Mortality we Must Suffer. The Whole Creation Groans to be deliver’d; there will always be as many Hypocrites born as Honest Men, & they will always have superior Power in Mortal Things. (VLJ K616)
42Les hommes n’y vivent pas dans l’amour mais dans la terreur :
‘What! are we terrors to one another? Come O brethren, wherefore
‘Was this wide Earth spread all abroad? not for wild beasts to roam”.
But many stood silent, & busied with their families. (Vala K283)
43C’est un monde où l’on a perdu la vision essentielle et où les préoccupations terre-à-terre prennent le dessus :
I am really sorry to see my Countrymen trouble themselves about Politics. If Men were Wise, the most arbitrary Princes could not hurt them. If they are not wise, the Freest Governement is compell’d to be a Tyranny. ("Public Address" K600)
44C’est un monde où même l’art est corrompu : "there can be no Art in a Nation but such as is subservient to the interest of the Monopolizing Trader” ("Public Address" K595). C’est enfin un monde de contradictions :
we all go to Eternal death,
To our Primeval Chaos in fortuitous concourse of incoherent
Discordant principles of Love & Hate. (Vala K282)
45Et ses contradictions sont inévitables : "Do what you will, this Life’s a Fiction / And is made up of Contradiction" ("EG" K751).
46Ainsi, en accord avec la tradition boehmienne, ce monde illusoire dans lequel nous vivons n’est que le produit de la malédiction de Dieu à l’égard de cette partie de Nature Eternelle enflammée par Satan lors de sa révolte contre la volonté divine. Il est aussi une limite fixée à une chute qui, autrement aurait été sans fin. Il est donc entre l’abîme sans fond dans lequel est tombé Satan, et, d’autre part, les cieux de la Nature Eternelle. De là provient son caractère de lieu déchiré par les contradictions. Adam, placé au dessus de ce monde pour régner sur lui, voulut en connaître les sensations, ce qui lui valut d’être envahi par elles, d’“inqualifier" avec elles. Lui aussi connaît donc maintenant cette double nature de l’être partagé entre son désir christique de réveil spirituel et sa tendance au sommeil dans les ténèbres :
And all rhe Living creatures of the Four Elements wail’d
With bitter wailing; these in the agregate are named Satan
And Rahab: they know not of Regeneration, but only of Generation:
The Fairies, Nymphs, Gnomes & Genii of the Four Elements
Unforgiving and unalterable, these cannot be Regenerated
But must be Created, for they know only of generation:
These are the Gods of the Kingdoms of the Earth, in contrarious
And cruel opposition, Element against Element, opposed in War
Not Mental, as the Wars of Eternity, but a Corporeal Strife....
(Milton K519-20)
47Cette vision duelle est en fait caractéristique de la condition humaine : elle définit l’homme et explique en particulier l’appréhension de Dieu sous deux formes contradictoires dans la Bible :
For the LORD thy GOD is a consuming fire, even a jealous God
….
For the LORD thy GOD is a mercyful God. (Deut. 4: 24-31)
48Chaque homme est le reflet, le microcosme des oppositions qui régissent son univers temporaire : “Good & Evil are Qualities in Every Man” (VLJ K615). Tout est donc placé sous le sceau du double et de l’ambigu, et il ne dépend que de l’homme que le plateau de la balance penche d’un côté ou de l’autre. Dans ce monde, l’homme rencontre les misères les plus noires :
‘The misery of unhappy Families shall be drawn out into its border,
‘Wrought with the needle with dire sufferings, poverty, pain & woe
‘Along the rocky Island & thence throughout the whole Earth;
‘There shall be the sick Father & his starving Family, there
‘The prisoner in the stone Dungeon & the Slave at the Mill”. (Milton K499)
49Mais la démarche blakienne trouve son sens dans le fait que c’est précisément dans ce monde cruel que l’homme trouve une chance de se racheter :
‘What seems to Be, Is, To those to whom
‘It seems to Be, & is productive of the most dreadful
‘Consequences to those to whom it seems to Be, even of
‘Torments, Despair, Eternal Death; but the Divine Mercy
‘Steps beyond and Redeems Man in the Body of Jesus. Amen.
‘And Length, Bredth, Highth again Obey the Divine Vision.
Hallelujah”. (Jerusalem K663-4)
50Le monde d’ici-bas, en effet, n’est pas celui que perçoit le mystique :
I feel that a Man may be happy in this World. And I know that This World Is a World of imagination & Vision. I see Every thing I paint In This World, but Every body does not see alike. (Letter to Dr Trusler K793)
51Le concept opératoire des States s’inscrit donc dans une conception binaire qui oppose le monde terrestre au monde spirituel tout en conservant entre eux la possibilité d’un passage. Alors, loin de se lamenter au sujet des tensions de cette vie, le poète déclare au contraire : "Without Contraries is no progression. Attraction and Repulsion, Reason and Energy, Love and Hate, are necessary to Human existence" (MHH K149).
52Ainsi, même en ce monde, l’homme peut-il être heureux, s’il s’attache à y faire ce pour quoi il s’y trouve, c’est-à-dire rejeter les erreurs matérialisées par les States, activité essentielle que Blake résume ainsi : "Giving a body to Falsehood that it may be cast off for ever" (Jerusalem K631). De nouveau, le drame cosmique, le drame terrestre et le drame individuel ne font qu’un, ce en quoi Blake rejoint une fois de plus Jacob Boehme, qui déclarait :
II faut qu’il en soit ainsi, afin que la lumière se manifeste dans les ténèbres, autrement la lumière resterait immobile dans les ténèbres et ne produirait pas de fruit. Mais parce que la lumière prend en elle la qualité et la sensation de même que la sensibilité des ténèbres en les tirant de la torture du feu : De même chaque chose est opposée à l’autre, afin que l’une se manifeste dans l’autre : la joie contre la torture et la torture contre la joie, afin qu’on connaisse ce qui est bon et ce qui est mauvais.(Boehme, Mysterium 2. 334)
53Ainsi, chaque chose et chaque être trouve son sens et son utilité, selon Blake : "He who is out of the church and opposes it is no less an Agent of religion than he who is in it ; to be an error and to be Cast out is a part of God’s design" (VLJ K613). De plus, ce mode opératoire permet aux States de devenir la base d’un autre concept éminemment chrétien ; celui du pardon. Même ceux qui contribuent à l’aveuglement et à l’égarement de l’homme ne doivent pas être tenus pour responsables :
‘Yet they are blameless, & Iniquity must be imputed only
‘To the State they are enter’d into, that they may be deliver’d.
….
‘This is the only means to Forgiveness of Enemies”.
(Jerusalem K680)
54Mais surtout, le fait que les States soient l’occasion de donner forme à l’erreur pour la rejeter permet à Blake de redéfinir le Jugement Dernier, annoncé pour la fin des temps, comme moment suprême du drame de la progression individuelle : "Whenever any Individual Rejects Error & Embraces Truth, a Last Judgement passes upon that Individual" (VLJ K613).
55La vie et l’évolution de l’individu ne se comprennent en effet que par rapport au drame cosmique dont le mythe blakien dans son intégralité se fait l’évocation, comme dans ces paroles qu’il fait prononcer à Dieu : "Such is My Will that Thou Thyself go to Eternal Death / In Self Annihilation, even till Satan, Self-subdu’d, Put off Satan / Into the Bottomless Abyss, whose torment arises for ever and ever " (The Ghost of Abel K781).
56C’est, bien sûr, dans cette perspective que s’inscrivent les appels répétés du poète à l’éveil spirituel des hommes. Ils sont le corollaire du thème central dégagé plus haut :
Hear the voice of the Bard!
Who Present, Past, & Future, sees; Whose ears have heard
The Holy Word
That walk’d among the ancient trees,
Calling the lapsed soul,
And weeping in the evening dew;
That might controll
The starry pole,
And fallen, fallen light renew!
‘O Earth, O Earth, return!
‘Arise from out the dewy grass;
‘Night is worn,
‘And the morn
‘Rises from the slumberous mass.
‘Turn away no more;
‘Why wilt thou tum away?
‘The starry floor,
‘The wat’ry shore,
Is given thee till break of day”. (SoE: "Introduction" K210)
57ou encore :
Awake, Albion awake! reclaim thy Reasoning Spectre, subdue
Him to the Divine Mercy. Cast him down into the Lake
Of Los that ever burneth with fire ever & ever, Amen! (Milton K530)
58Ainsi, si les States sont la marque de la division des hommes — "as you approach they appear as Multitudes of Nations" —, ils n’en sont pas moins le moyen de retourner à l’unité —"when distant they appear as One Man" (VLJ K607) — : c’est la fonction qu’ils remplissent finalement dans Jerusalem, le poème qui couronne le mythe de William Blake :
Mutual in one another’s love and wrath all renewing
We live as One Man; for contracting our infinite senses
We behold multitude, or expanding, we behold as one
As One Man all the Universal Family, and that One Man
We call Jesus the Christ; and he in us, and we in him
Live in perfect harmony in Eden, the Land of life,
Giving, recieving, and forgiving each other’s trespasses. (K 664-5)
59C’est en fonction de cette vision que s’explique pour le lecteur étonné l’attitude du poète face aux églises ou face aux philosophies rationaliste, sceptique et empiriste :
The Imagination is not a State: it is the Human existence itself
Affection or Love becomes a State, when divided from Imagination
The Memory is a State always, & the Reason is a State
Created to be Annihilated & a new Ratio Created.... (Milton K522)
60Toutefois, les individus qui incarnaient ces States de la raison sont eux aussi appelés à l’éveil spirituel final et, lors de l’accès à la vision divine retrouvée, les philosophes vilipendés pour l’étroitesse de leurs vues se retrouvent aux cotés de Milton, de Shakespeare et de Chaucer, les hommes d’imagination, autour de la figure divine :
And at the clangor of the arrows of Intellect
The innumerable Chariots of the Almighty appear’d in Heaven,
And Bacon & Newton & Locke, & Milton & Shakspear & Chaucer,
A Sun of blood red wrath surrounding heaven, on all sides around,
Glorious, incomprehensible by Mortal Man.... (Jerusalem K745)
61C’est alors qu’est dépassée la vision urizénique qui sépare les 60 ans de l’homme ou les 6000 ans de l’histoire du domaine divin, et qu’est atteint la vision unifiante de l’esprit chrétien universel :
Let the Human Organs be kept in their perfect Integrity,
At will contracting into worms or expanding into Gods,
And then, behold! what are these Ulro Visions of Chastity?
(Jerusalem K686)
62C’est alors que les religions redécouvrent leur essence commune :
The Jewish & Christian Testaments are An original derivation from the Poetic Genius; this is necessary from the confined nature of bodily sensation.... As all men are alike (tho’infinitely various), so all Religions &, as all similars, have one source.
The true Man is the source, he being the Poetic Genius.
("All Religions Are One" K98)
63Cette réunion dans l’harmonie se fait dans l’esprit permanent du Christ, qui, quand à lui, n’est pas un State, mais un but ; "Ye are united, O ye Inhabitants of earth, in One Religion, The religion of Jesus, the most Ancient, the eternal & Everlasting Gospel" (Jerusalem K649). Ces visions évoquent bien sûr celles de William Law, pour qui chaque être est a member of the mystical body of Christ, ou de Jacob Boehme, pour qui l’union des Ancien et Nouveau Testaments passe par l’appréhension de l’esprit véritable :
Ce n’est pas celui qui en a le titre verbal qui est né dans la figure et dans la Loi mais celui qui naît de la promesse dans la foi d’Abraham.... Celui qui a été véritablement un juif et qui a revêtu dans la loi la foi d’Abraham, celui-là a reçu l’être de Christ, Abraham.... (Boehme, Mysterium III : 88)
64Le Christ, en tant qu’esprit d’Union, est en effet la fin de l’homme, de chacune de ses activités, et donc de son passage à travers les States :
Le Christ Lui-même est la grâce à nous destinée ; il est le don en même temps que le mérite. Celui qui renferme tout cela en lui et qui l’a réalisé en lui-même dans son fond intérieur est un Chrétien ; il a été crucifié et mis à mort avec le Christ et vit dans sa résurrection8.
65Selon Blake, l’institutionalisation de la religion a fait oublier aux hommes que le divin ne leur est pas extérieur, mais se trouve en eux-mêmes : "men forgot that All deities reside in the human breast" (MHH K133). Cette présence divine en l’homme, qui permet son salut travers sa vie sur terre, c’est le Christ :
Awake! awake O sleeper of the land of shadows, awake! expand!
I am in you and you in me, mutual in love divine:
I am not a God afar off, I am a brother and a friend;
Within your bosoms I reside, and you reside in me;
Lo! we are One, forgiving all Evil, Not seeking recompense.
Ye are my members, O ye sleepers of Beulah, land of shades!
(Jerusalem K622)
66Lorsque l’homme atteint enfin son but, après le passage à travers les âges de la vie, a lieu la rencontre de l’Homme Universel, Albion, et du Christ : c’est l’avènement des âges de l’éternité : "Then Jesus appeared standing by Albion as the Good Shepherd/... & they conversed as Man with man in Ages of Eternity” (Jerusalem K743).
67En conclusion, les States apparaissent comme un concept fondamental de la mythologie blakienne. Leur mode opératoire permet d’établir le lien entre la manifestation divine spirituelle, le discours biblique, l’évolution historique des nations et les âges de la vie de l’individu. Tous ces niveaux d’existence sont rassemblés et s’assimilent en une vision unifiante où l’individu et les nations n’ont plus d’importance que par le State qu’ils représentent ou qu’ils sont en train de traverser.
68William Blake, malgré une opinion largement répandue, n’a rien d’un romantique qui laisserait libre cours à l’expression lyrique de sentiments personnels. Caractéristique du mysticisme, sa vision de l’être humain en fait le produit d’une chute, ce qui interdit le culte des sentiments égocentriques, rejetés sous le terme de selfhood. Le combat contre les tendances égoistes d’un être centré sur lui-même, l’effort pour retrouver la vision divine perdue par delà les systèmes rationnels, les philosophies et les religions, l’accès à la conscience de soi comme membre du corps mystique du Christ : tels sont les objectifs du passage de l’individu à travers les erreurs matérialisées par les States, d’un âge de la vie à l’autre.
69La vision de Blake rejoint celle de Jacob Boehme, de William Law et d’autres mystiques pour tisser avec elles un réseau de références aux Ecritures. Ce n’est que dans cette optique qu’elle peut s’appréhender et devenir signifiante même pour un public du XXe siècle. Le poète-prophète vise en effet l’universel : se posent maintenant la question de son autorité, de l’éthique qu’il propose et des applications pratiques (et littéraires) de sa vision. Tels seront les objets de prochaines études.
Notes de bas de page
1 John Milton, Areopagitica [1644] in Prose Writings (London: Dent, 1974).
2 William Blake, Complete Writings, ed. Geoffrey Keynes (1969; Oxford, 1984) Vala K 264. Cette édition étant annotée par Geoffrey Keynes, les numéros des pages sont précédés de la lettre “K”.
Abbréviations:
AB= Annotations to Berkeley
“EG”= “The Everlasting Gospel”
FBU= The First Book of Urizen
MHH= The Marriage of Heaven and Hell
SIE= Songs of Innocence and Experience
Vala= Vala or the Four Zoas
VDA= The Visions of the Daughters of Albion
VLJ= A Vision of the Last Judgement
3 Bible, Authorized King James Version (1611) John 7: 21-23.
4 Jacob Boehme, De la Signature des choses (1682 ; Milan : Archè, coll. Sebastiani, 1975) 107.
5 Jacob Boehme, Mysterium Magnum 4 vols (1682 ; Plan de la Tour : Editions d Aujourd'hui, 1978) ; Des Trois principes de l’essence divine (1682 ; Plan de la Tour : Editions d’Aujourd hui, 1985) ; De la Triple vie de l’homme (1682 ; Plan de la Tour : Editions d’Aujourd'hui, 1982).
6 Bernard Nesfield-Cookson, William Blake, Prophel of Universal Brolherhood (London: Aquarian Press, 1987) 257.
7 William Law, A Demonstration of the Gross and Fundamental Errors of a Late Book, Called "A Plain Account of the Sacrament of the Lord's Supper" in Complete Works, 9 vols. (London, 1762) 5. 104.
8 Jacob Boehme, De l'Election de la grâce (1682 ; Milan : Arché, coll. Sebastiani, 1976) 200.
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