Isaac Newton, adversaire des innovateurs et des enthousiastes
p. 185-194
Résumé
Newton's interpretation of his own scientific endeavour as an attempt to restore the wisdom of the ancients is a well-established fact. As a theologian, he developed a strikingly similar attitude to the Christian religion. A closer examination of his theology reveals a link between innovation and “enthusiasm,” two attitudes that he equally condemned. In many cases, Newton seems to ascribe innovation to individuals (such as Athanasius) or groups (such as the Montanists) who substituted or supplemented the divine revelation with the products of their own imagination. Just as reality guarantees the veracity of scientific experiments, the Bible guarantees the veracity of genuine Christianity. The corruption of the latter by the introduction of inventions parallels, in Newton's thought, the corruption of primitive science by metaphysical constructions.
Texte intégral
1Dans le contexte large du XVIIe siècle on rencontre le plus souvent l'utilisation du terme d'innovation dans des discours visant à discréditer un adversaire. En particulier, deux catégories de groupes religieux appellent fréquemment ce genre d'invective : les catholiques (fréquence de la formule “popish innovations”), les sectes protestantes. Dès le début de la période le discrédit est jeté sur le désir d'innovation. Ainsi le roi Jacques Ier affirme-t-il, dans son discours de prorogation du Parlement du 7 juillet 1604 : “It is the most dangerous sect that daims to novelty”1. En vérité on serait bien embarrassé s'il fallait trouver un groupe religieux qui revendique la nouveauté.
2Dans le domaine de la découverte scientifique, pourtant, il est difficile de se représenter la même période autrement que comme une période d'intense renouvellement des théories et des pratiques. On n'en finirait pas d'accumuler les exemples de découvertes proprement dites, qu'il s'agisse de l'optique, de la mécanique, de la dynamique, de l'astronomie, de l'anatomie, de la physique. Le développement sans précédent aussi bien des sociétés scientifiques que de la technologie scientifique semble ouvrir à l'infini l'espace de l'investigation scientifique aussi bien que celui de sa diffusion et de sa discussion2. Considérée sous cet angle, la figure de Newton peut sans peine passer pour emblématique. Entre 1660 et 1704, son nom est associé à l'accomplissement de progrès fulgurants et décisifs en mathématiques (invention du calcul infinitésimal), en optique (découverte du spectre lumineux), en mécanique céleste (découverte de la loi d'attraction universelle), pour ne citer que les jalons les plus spectaculaires.
3Pourtant, pour peu que l'on s'intéresse à la vision des choses qui était celle de Newton lui-même, force est d'admettre qu'il en était, de son point de vue, tout autrement. Cela constituera pour nous un premier point. Les articles pionniers de McGuire et Rattansi puis de Casini sur ce qu'il convient désormais d'appeler les “scholies classiques” des Principia sont depuis longtemps des références obligées de toute réflexion sur la conception newtonienne de l'histoire des sciences de l'Antiquité au dix-septième siècle3. Il ressort de l'étude de ces sources que Newton adhérait à la doctrine de la prisca sapientia qui attribuait aux Anciens un savoir oublié que la science moderne a en réalité pour objectif de reconstituer. Au contraire de certains défenseurs contemporains de la science moderne tels que Thomas Sprat ou Joseph Glanvill, Newton choisit donc de souligner non pas la dimension de rupture et de progrès qui caractérise la révolution scientifique, mais de présenter ses investigations comme une restauration du savoir perdu. S'agissait-il de sa part d'une stratégie visant à “faire passer” ses découvertes auprès d'une communauté scientifique a priori hostile ? La présente étude ne se propose pas de répondre à cette question, et il n'est pas certain que les sources existantes renferment les éléments de réponse nécessaires.
4Je me contenterai de soumettre l'hypothèse que l'originalité de Newton tient peut-être à ce que, en tant que théologien, il développa en matière d'histoire des religions un schéma tout à fait identique de corruption et de restauration qui présente la plus grande partie de l'histoire de l'humanité croyante et connaissante comme le voilement d'un savoir initial. Conception apocalyptique s'il en est, puisque Newton lui-même s'attribuait un rôle non négligeable dans l'entreprise de dévoilement de ce savoir. En outre, dans un manuscrit intitulé “L'Origine des religions”, il développe l'idée selon laquelle, dans les premiers temps de l'histoire de l'humanité, les fonctions de prêtre et de savant étaient assumées par une seule et même caste : les Brahmanes dans la civilisation indienne, les Mages chez les Perses, etc.4. La combinaison, chez Newton, des recherches scientifiques et théologiques pourrait bien trouver un de ses mobiles dans la tentative de recréer non seulement le savoir des Anciens, mais également la figure primitive du philosophe-prêtre.
5Quelle était, pour Newton, la source du voilement du savoir primitif ? Il semble bien que la responsabilité en incombe principalement à des personnages historiques qui ont ajouté à la vérité, c'est-à-dire en règle générale à un texte clos (les sept préceptes de Noé, les Dix Commandements, les Deux Commandements christiques, les évangiles), des compléments produits par leur propre imagination. S'il est un facteur qui, dans le corpus newtonien, permette d'unifier la théorie de la corruption qui s'y réfracte, c'est bien la notion d'imagination, ou plutôt, pour s'en tenir à la formulation de Newton lui-même, la “fantaisie” (fancy), laquelle, explicitement ou non, renvoie invariablement à l'interférence de la personne privée. Il est donc tentant de reconstituer la pensée de Newton en reliant la notion d'innovation à celle d'imagination et, par voie de conséquence, à l'enthousiasme, en prenant appui sur l'affirmation de Michael Heyd pour qui, du temps de Newton, le terme d'enthousiasme était fréquemment appliqué à toutes sortes d'innovations, dans des domaines aussi divers que la religion, la médecine, la science et la philosophie5.
6L'innovation en matière de religion a été très tôt une préoccupation de Newton, ainsi que l'atteste une section de son carnet intitulée “Of Innovations, & ye Authors thereof” dans laquelle il a copié notamment un passage de The Naked Truth relatant l'introduction de toutes sortes de nouveautés superstitieuses dans le christianisme des quatre premiers siècles6. L'un des manuscrits religieux les plus importants et les plus achevés de toute l'œuvre de Newton est une longue enquête sur la corruption de versets du Nouveau Testament dont la finalité est de démontrer que la doctrine trinitaire est une innovation tardive rendue plausible au moyen de textes frelatés7. Le rejet de l'innovation religieuse n'est pourtant pas, chez Newton, réductible à un souci purement historique ou philologique : ainsi, un manuscrit fait obscurément allusion à “ceux qui s'emploient toujours à innover”8.
7L'attitude de Newton envers l'innovation religieuse fournit un moyen de préciser sa propre position théologique d'une manière qui déroge quelque peu à l'orthodoxie actuelle des études newtoniennes. En effet, il est courant de trouver, sous la plume de chercheurs anglo-saxons qui font autorité, l'affirmation selon laquelle Newton était “arien”9. Or, du point de vue qui nous occupe ici, pareille affirmation risque d'induire en erreur, dans la mesure où il paraît difficile, tant au XVIIe siècle que par la suite, d'isoler la doctrine religieuse à laquelle adhère un individu de son attitude à l'égard de l'autorité religieuse qui valide ou qui condamne cette doctrine. Il se peut bien que, dans ses grandes lignes, la conception newtonienne de la Trinité recoupe celle qu'Arius chercha à répandre au IVe siècle de notre ère. En revanche, il n'est pas du tout certain que Newton ait jugé acceptables les moyens par lesquels Arius exprima sa doctrine. Bien au contraire, Newton condamne explicitement la stratégie d'Arius, qui innova en matière de terminologie religieuse, contribuant ainsi, non moins qu'Athanase, à corrompre le christianisme en déplaçant ses enjeux de la morale à la métaphysique10. Le rôle corrupteur d'Arius et d'Athanase fait sous sa plume l'objet d'un parallélisme très clair :
Dans ces querelles (au sujet d'homoousios etc.), Arius et Athanase avaient l'un et l'autre plongé l'Église dans l'embarras par des opinions métaphysiques et avaient exprimé leur opinion dans un langage nouveau non autorisé par l'Écriture. Les Grecs, afin de préserver l'Église de ces innovations et de ces sources de confusion métaphysiques, anathématisèrent le langage nouveau d'Arius dans plusieurs de leurs conciles et, aussitôt qu'ils en furent capables, répudièrent le langage nouveau des homousiens et rétorquèrent qu’il fallait adhérer au langage de l'Écriture.11
8L'adoption par l'Église, au IVe siècle, de la doctrine de la consubstantialité du Père et du Fils constitue dans l'histoire newtonienne du christianisme un événement particulièrement préoccupant, qui a corrompu pour longtemps le cœur même de la doctrine chrétienne. L'un des aspects les plus scandaleux, selon Newton, de cet épisode crucial est l'introduction d'un théologème non attesté par l'Écriture, le mot homoousios, d'abord employé par Paul de Samosate, qui fut pour cela condamné par un concile :
Le mot homoousios avait été universellement rejeté sous le règne de Constance parce que c'était un mot nouveau et que son introduction était une infraction de la règle apostolique de s'en tenir aux formules authentiques, parce qu'il avait été rejeté longtemps auparavant par le concile d'Antioche qui s'était réuni contre Paul de Samosate et que ce rejet avait été promptement approuvé par les Églises d'Orient aussi bien que d'Occident auxquelles ce concile avait adressé ses lettres circulaires, et parce que c'était un mot que le peuple ne comprenait pas et susceptible de significations variées.12
9Il est peut-être bon de rappeler, à ce stade de ma démonstration, que, selon Newton, le sens de la révélation chrétienne est avant tout “monarchique”, c'est-à-dire que Dieu se fait connaître aux hommes dans un rapport de seigneurie (dominion) qui exclut du champ de la théologie proprement dite toute spéculation sur la nature divine. Un des textes newtoniens les plus connus, le Scholie Général des Principia, porte la trace de cette spéculation. Or, aux yeux de Newton, non seulement les questionnements sur la consubstantialité du Père et du Fils méconnaissent le rapport de subordination qui lie ces deux personnes divines, mais, en affirmant leur stricte identité de substance, ils ouvrent la voie à l'idolâtrie, désormais inextricablement liée au destin du christianisme officiel, exprimé dans les conciles et à Rome. Dans le même mouvement, l'introduction dans la théologie chrétienne du langage de la métaphysique autorise la ratiocination, que Newton n'aura de cesse de débusquer, tant dans le domaine de la théologie que dans celui de la “philosophie naturelle”. C'est en ce sens qu'il faut comprendre la célèbre formule “hypotheses non fingo”. Or, la fiction, chez Newton, est le produit de l'imagination lorsque celle-ci s'exerce sans objet. Il semble que Newton ait adhéré à une conception physiologique de l'imagination également développée par Boyle13, selon laquelle un individu doué d'une force d'imagination suffisamment vive serait capable, par un effort particulier, de susciter des hallucinations (Newton et Boyle parlent de “fantasmes”) ayant l'apparence de la réalité14. C'est ainsi que Newton attribue les visions des moines orientaux à l'exacerbation de l'imagination provoquée par un ascétisme excessif15. Or Newton reproche aussi aux moines de constituer un nouveau type de chrétiens non “autorisés”16.
10De la même façon, roman philosophique (dans le cas de Descartes) et théologie métaphysique trouvent leur principe dans l'exercice anarchique de la subjectivité17. Dans l'accusation portée par Newton contre Arius et Athanase, il est important de relever que Newton dénonce l'introduction, du fait d'un langage nouveau non garanti par l'Écriture, d'“opinions métaphysiques”18. Dans un cas au moins, celui des montanistes, on découvre chez Newton un cas empirique de lien historique entre les deux notions19. Les montanistes ont d'ailleurs, selon Newton, leur part de responsabilité dans la corruption trinitaire du christianisme primitif au moyen d'un langage non attesté par l'Écriture20.
11C'est dans le domaine de l'interprétation des prophéties que la critique newtonienne de l'enthousiasme est la plus explicite. De manière caractéristique, Newton pose l'existence d'un texte préalable, ici une sorte de dictionnaire des symboles, qui devrait contraindre absolument notre interprétation des prophéties, laquelle doit s'effectuer en deux étapes : traduction, puis application. Toute interférence d'associations subjectives dans ce travail d'interprétation porte chez Newton le nom de “fantaisie” due à l'enthousiasme21.
12Il semble donc que, dans la pensée de Newton, enthousiasme et innovation aient partie liée. L'un et l'autre consistent en un exercice des facultés (imagination et raison) dénué de tout garant réel ou scripturaire (on retrouve les deux livres divins de la formule galiléenne) assurant en particulier la médiation entre l'individu et Dieu. Certes il n'existe pas, du moins à ma connaissance, de texte de Newton qui livre une théorie explicite de ce lien. Il est cependant certain que son combat contre l'innovation passe par la critique du rôle corrupteur de l'imagination, ce qui suffit à faire de l'affaiblissement théorique de l'enthousiasme une étape nécessaire de ce combat. La défense de la religion vraie et celle de la science vraie ont chez Newton partie liée, ce qui est peut-être une façon de répondre aux attaques des adversaires de la “nouvelle science” dont la nouveauté est au contraire revendiquée par Glanvill ou Sprat (Heyd, chapitre 5).
13Surgit cependant, alors, une difficulté qui tient au fait que Newton tolère parfois l'innovation. Si bon nombre de ses thèses s'apparentent de façon troublante à celles que développèrent simultanément ou un peu plus tard un Toland ou un Tindal, il n'en demeure pas moins que sur quelques points essentiels Newton se distingue nettement de la pensée déiste. Cela vaut en particulier pour un point qui nous intéresse aujourd'hui, à savoir le fait que, à la différence de ce qu'affirme par exemple l'auteur de Christianity as old as the Creation (1730), le christianisme ne se réduit pas à la répétition de la religion la plus antique. Selon Newton, la personne et la doctrine du Christ ne s'épuisent pas dans la “republication” (selon le terme usité par Tindal) d'un vieux fond de sagesse occulté par des siècles de déviation idolâtre, même s'il reste vrai que, pour l'essentiel, le rôle historique du Christ se ramène à cela. Le Christ est en effet aussi porteur d'un message original, qui remplace l'ancienne dispensation autant et plus qu'il ne la restaure. De même, Moïse ne se contente pas de restaurer la religion la plus primitive mais innove, selon Newton, en contraignant le peuple hébreu à contracter des obligations inédites :
Alors Moïse réforma les Israélites pour leur faire abandonner ces corruptions et ajouta de nombreux préceptes nouveaux à la loi morale, qu'il inscrivit tous dans un livre, et il imposa le tout au peuple d'Israël par l'alliance de la circoncision.
14À quoi l'on opposera, tiré du même manuscrit :
Quand on demanda au Christ quel était le grand Commandement de la Loi, il répondit, Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur et de toute ton âme et de tout ton esprit. C'est le premier et le grand commandement, et le second est semblable, Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Sur ces deux commandements reposent toute la Loi et les Prophètes. Mat. 22.36. C'est la religion des fils de Noé instituée par Moïse et le Christ et encore en vigueur.22
15Il est tentant d'appliquer à ce genre de dichotomie une analyse de type weberien qui distinguerait le prophète (ou plutôt, en l'occurrence, le fondateur — ou refondateur — de religion) et le prêtre, réservant au premier la possibilité de régénérer l'Église, par exemple au moyen de l'innovation, tandis que le second doit se contenter de gérer les biens de salut dont il est le dépositaire. C'est ce que semble confirmer l'interprétation newtonienne du moment historique que constitue l'adoption du dogme de la consubstantialité des personnes de la Trinité à la suite du concile de Nicée :
Les Églises devaient s'en tenir à cette formule de mots authentiques sans aucune variation et elles le firent sous le règne des empereurs romains païens. Elles n'avaient pas plus d'autorité pour corriger leurs credos qu'elles n'en avaient pour corriger les Écritures, et elles ne s'avisèrent pas de le faire avant que l'Empire ne fût devenu chrétien. À l'époque de l'Empire païen, elles eurent de nombreuses querelles avec les Hérétiques mais elles n'altérèrent pas leurs credos pour s'opposer à eux, jusqu'à ce que Constantin le Grand, venu en personne au concile de Nicée, prévalût auprès des évêques de ce concile pour qu'ils insérassent dans le credo de l'Église de Césarée un article nouveau qui n'avait jamais figuré jusqu'alors dans aucun credo. Et cette innovation eut toutes les conséquences funestes décrites par l'Apôtre. Car elle occasionna des querelles véhémentes et durables et des contentions qui enflammèrent les Églises de tout l'Empire romain pendant plus de cent années consécutives et firent décréter plusieurs articles de foi nouveaux par plusieurs conciles d'évêques, chaque concile décrétant ce pourquoi l'empereur régnant l'avait convoqué et l'Empereur faisant appliquer le décret par la force de l'épée.23
16Newton dit bien, en effet, qu'il s'agit d'un problème d'autorité, dont on peut recueillir la théorie sous sa forme compacte dans maint passage manuscrit, par exemple celui-ci, qui fonde le rejet de l'innovation sur la permanence nécessaire des conditions d'admission à la communion :
Imposer n'importe quelle condition de communion nouvelle qui ne puisse être admise par tous les chrétiens, c'est refuser la communion à ceux qui y ont droit en vertu de l'institution du Christ. Altérer le symbole de la religion chrétienne par la récitation duquel les chrétiens de toutes les nations se reconnaissaient entre eux, c'est rendre difficile pour les chrétiens de se reconnaître les uns les autres. Les hérétiques ont leurs propres credos et des chrétiens aux credos différents risquent de se prendre mutuellement pour des hérétiques. Et par conséquent, toutes les altérations du credo mènent à la discorde, au schisme et à la dissolution de l'Église. Les hommes peuvent être anathématisés ou excommuniés pour blasphème, idolâtrie, profanation du culte divin ou autre impiété et pour faction, mensonge, tromperie, injustice, impureté ou autre immoralité et pour impureté et pour immoralité ou pour avoir nié ou corrompu la foi dans laquelle ils furent baptisés...24
17Il est clair, à la lumière d'une telle analyse, que Newton insiste sur l'hétérogénéité entre l'institution, nécessairement suffisante, et la transmission, exposée à tous les dangers. Tout se passe donc comme si, en reconstituant l'histoire des religions, Newton exacerbait l'opposition entre l'instant fondateur, dominé par la figure charismatique d'un porteur de salut, et le long processus de routinisation qui lui succède, et qui s'accompagne inévitablement d'un phénomène de corruption que vient corriger un nouvel épisode fondateur. Dans le cas du christianisme, cette corruption s'opère au travers d'une innovation doctrinale et langagière, initiée ou propagée en grande partie par des “enthousiastes” qui s'arrogent abusivement l'autorité divine pour introduire la métaphysique dans la religion. Le même processus est à l'œuvre dans le domaine de la science, où l'interférence de l'imagination ou de la ratiocination vient parasiter la physique ou l'astronomie avec des notions métaphysiques. La cohérence de l'entreprise newtonienne (cohérence il est vrai quelque peu mise à mal par la part d'innovation réelle de l'investigation scientifique menée par Newton) consiste à tenter de résister à cette double corruption.
Notes de bas de page
1 J.P. Kenyon, The Stuart Constitution, Cambridge, Cambridge University Press, 1986 (2e éd.), p. 37.
2 J.-F. Baillon, “Aspects de l'impact culturel et idéologique des découvertes de Newton”, Bulletin de la société d'études anglo-américaines des XVIIe et XVIIIe siècles 38 (juin 1994), pp. 73-83.
3 J. E. McGuire et P. M. Rattansi, “Newton and the ‘Pipes of Pan’”, Notes and Records of the Royal Society 21 (1966), pp. 108-43; P. Casini, “Newton: the Classical Scholia”, History of Science xxii (1984), pp. 1-58; voir aussi P. Rattansi, “Newton and the Wisdom of the Ancients”, in J. Fauvel et al. (eds.), Let Newton Be! A New Perspective on his Life and Works, Oxford, Oxford University Press, 1989, pp. 185-201.
4 Newton, écrits sur la religion, Paris, Gallimard, 1996, p. 68.
5 ‘“Enthusiasm’ was a label often ascribed to innovators, whether in religion, medicine, science and philosophy” (M. Heyd, “Be Sober and Reasonable”: The Critique of Enthusiasm in the Seventeenth and Early Eighteenth Century, Leiden-New York-London, E. J. Brill, 1995, p. 8).
6 Cambridge University Library, Keynes MS.2, f. 25.
7 “Relation historique de deux corruptions remarquables de l'écriture” (Écrits sur la religion, pp. 176-222).
8 “But because the quaestion which at this present time is started by those who are always labouring to innovate, being passed over in silence by those of the former age because it was not denied, was left indiscussed, I mean the question concerning the holy ghost; we must add the explication of this also according to the meaning of the holy Scripture: namely that we beleive accordingly as we are baptized, & give glory as we beleive” (Yahuda MS. 15.4, f. 165 v, mes italiques).
9 Par exemple B. J. T. Dobbs dans The Janus Faces of Genius. The Role of Alchemy in Newton's Thought, Cambridge, Cambridge University Press, 1991; et surtout R. S. Westfall, Never al Rest. A Biography of Isaac Newton (Cambridge, Cambridge University Press, 1980), dont l'affirmation selon laquelle dès avant 1675, Newton était devenu arien “au sens originel du terme” est relayée sans distance critique dans bon nombre d'études plus récentes. Une exception récente est Thomas C. Pfizenmaier, “Was isaac Newton an Arian ?” (Journal of the History of Ideas, vol. 58 n° 1, January 1997, pp. 57-80) qui rejoint en partie une analyse développée dans ma thèse (non publiée) Newtonisme et idéologie dans l'Angleterre des Lumières (Université de Paris IV-Sorbonne, 1995), pp. 272 sq.
10 Voir encore Newton, Écrits sur la religion, op. cit., p. 39.
11 “In these disputes (about homoousios etc.) Arius & Athanasius had both of them perplexed the Church with metaphysical opinions & expressed their opinions in novel language not warranted by scripture. The Greeks to preserve the Church from these innovations & metaphysical perplexitys anathematized the novel language of Arius in several of their Councils, & so soon as they were able repealed the novel language of the homousians, & contended that the language of the scripture was to be adhered unto” (Yahuda 15.4 154r); voir aussi Yahuda ms. 1.4, f. 104r-105r: “To summ up all therefore, it has been shewn that after Athanasius presented his new doctrin to Jovian, & the western Bishops brake their words & oaths given at ye Counsel of Ariminum & made a schism in the Church to follow him, & together with their novel faith brought in an abominable superstitious & idolatrous worship: the Clergy degenerated conspicuously in their manners also, & with the Clergy the people too all the reign of Valentinian & Valens Gratian & Theodosius; & then having by a severe persecution overcome & thrown out the Church to the Barbarous nations, they propagated their manners as well as their religion all over the Empire so that in the judgment of the soberer men of their own party it became from thenceforward sensibly more corrupt & vitious then the Barbarous nations themselves & thereby heavily provoked God to send in the Barbarians to invade & ruin it but yet was so little mended by those judgments that it grew still more & more vitious. This was the violent & filthy original of the present Roman Church: & whether it be yet mended let the World judge”.
12 “The word homoousios had been universally rejected in the reign of Constantius because it was a novel word & to introduce it was a breach of the Apostles rule of holding fast the form of sound words, because it had been rejected long ago by the Council of Antioch which met against Paul of Samosat & the rejection had been quickly approved by the Churches of both east & west to whom that Council sent their circulatory letters, & because it was a word not understood by the people & liable to various significations” (Yahuda MS. 15, f.50 r).
13 Robert Boyle, Experiments and Observations upon Colours (1663), Works, éd. Peter Shaw, London, W. and J. Innys, 1725, 3 vol. , II, pp. 1-105; Some Uncommon Observations upon Vitiated Sight, Works, III, pp. 595-600.
14 Un texte crucial est la lettre de Newton à Locke de 1692 sur les images rémanentes (W. H. Turnbull et al. [eds], The Correspondence of Isaac Newton, 7 vol., Cambridge, Cambridge University Press, 1959-1977, vol. 111, pp. 152-154).
15 Yahuda MS. 18.1, f. 2v, cité in Frank E. Manuel, The Religion of Isaac Newton, Oxford, Clarendon Press, 1974, p. 13.
16 “The Moncks were a new sort of Christians not instituted by Christ or his Apostles nor heard of in the primitive Churches. You may know them by their fruits. For they were the ringleaders in bringing into the Christian Churches all manner of heathen superstitions & particularly the doctrine of ghosts, the invocation of the dead, the worshipping of dead mens reliques & pictures & images & the feigning of miracles & legendary stories for promoting their superstitions. And from that time the religion of the Moncks became the religion of the Empire. There remain to this day among the heathens of Persia & India certain sects of religious men who place their religion in abstinence from marriage & meats & in bodily austerities, & by comparing them with the Moncks you will find that they are all of a piece” (Yahuda MS.7.1, f. 11 r).
17 J'ai développé cette thèse dans “De l'optique à l'interprétation des prophéties : l'herméneutique d'Isaac Newton” (Université de Nantes – Journée de travail sur herméneutique et philosophie [1er juin 1996), non publié).
18 Voir aussi Yahuda MS.15 : ‘The grand occasion of errors in the faith has been the turning of the scriptures from a moral & monarchical to a physical & metaphysical sense & this has been done chiefly by men bred up in the metaphysical theology of the heathen Philosophers the Cabbalists & the Schoolmen. For men tainted with the metaphysical principles of Philosophers Cabbalists & Schoolmen, upon reading the scriptures have been apt to strain everything to their own opinions” (f. 97 r, extrait directement lié au Scholie Général).
19 Yahuda MS. 15.1., f.38r; Yahuda MS. 15.3; Yahuda MS. 15.4, f. 116 v (‘This oeconomy of the Montanists consisted in explaining how the father Son & holy Ghost were one by unity of substance...”); manuscrit Yushodo (reproduit et transcrit — fautivement — dans M. Watanabe et I. Tanaka, “A Newton Manuscript in Japan”, Annals of Science 41 [1984], pp. 159-164); Sotheby's 255.2, f. I r (“this metaphysical theology... amounted to a deniall of the father & the son”).
20 “While these things were in dispute the language of Tria prosopa tres personae was also invented. It was used by the Montanists in the second & third centuries as I find by Tertullianus but I did not find it used in the churches of God before the Council of Serdica or in that Council & therefore reccon that it began a little a little after suppose when Emperor Constantius conquered the western Empire & the latines were prest with the charge of Sabellianism” (manuscrit Yushodo, face A, p. 162).
21 “Fragments d'un traité sur l'Apocalypse” (Écrits sur la religion, pp. 225-247) et Trattato sull'apocalisse, a cura di M. Mamiani (Turin, Boringhieri, 1994) ainsi que les textes introductifs de ces deux publications.
22 “Then Moses reformed the Israelites from these corruptions & added many new precepts to the Moral law, writing all down in a book & imposed the whole upon the people of Israel by the covenant of circumcision. [...] When Christ was asked which was the great Commandaient of the Law, he answered, Thou shalt love the Lord thy God with all thy heart & with all thy soul & with all thy mind. This is the first & great commandaient, & the second is like unto it, Thou shalt love thy neighbour as thy self. On these two commandments hang all the Law & the Prophets. Mat. 22.36. This was the religion of the sons of Noah established by Moses & Christ & is still in force” (Cambridge University Library, Keynes MS.3, f. 5 r-7 r).
23 “This form of Sound words the Churches were to hold fast without variation & did so during the reign of the heathen Roman Emperors. They had no more authority to correct their Creeds then to correct the scriptures, & did not venture to do it before the Empire became Christian. In the limes of the heathen Empire they had many disputes with Hereticks but did not alter their Creeds in opposition to any of them untill Constantine the Great Corning in person into the Councill of Nice prevailed with the Bishops of that Council to insert into the Creed of the Church of Caesarea a new article which had never been in any Creed before. And this innovation had all the ill consequences described by the Apostle. For it occasioned vehement & lasting disputes & contentions setting the Churches of the whole Roman Empire in flame for above an hundred years together, & caused several new articles of faith to be decreed by several Councils of Bishops every Council decreeing whatever the reigning Emperor convened them for & the Emperor putting the decree in force by the power of the sword” (Yahuda MS. 15, f. 80v, mes italiques).
24 ‘To impose any new condition of communion which all Christians cannot admit is to deny communion to those who by the institution of Christ have a right to it. To alter the Symbol of the Christian religion by the recital of which the Christians of all nations knew one another to be Christians is to make it difficult for Christians to know one another. Hereticks have their Creeds & Christians which differ in their Creeds may be apt take one another for hereticks. And therefore all alterations of the Creed lead to discord schism & dissolution of the Church. Men may be anathematized or excommunicated for blasphemy idolatry profaness of God's worship or other impiety & for faction lying, deceiving, injustice uncleanness or other immorality & for impurity & for immmorality or for denying or corrupting the faith into which they were baptized...” (Yahuda MS. 15.4., f.67r, mes italiques).
Auteur
Ancien élève de l'ENS-Ulm, est maître de conférences à l'Université Michel de Montaigne-Bordeaux III. Auteur d'une thèse (non publiée) sur “Newtonisme et idéologie dans l’Angleterre des Lumières” (Paris IV, 1995), il a traduit deux ouvrages sur la pensée politique de John Locke, une anthologie d'écrits sur la religion d'Isaac Newton (Paris, Gallimard, 1996) et écrit une dizaine d'articles sur la pensée religieuse de Newton. Ses recherches en cours portent sur le newtonisme dans la première moitié du XVIIIe siècle. Il travaille aussi à la traduction de textes de Robert Darnton sur les Lumières.
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