Des femmes dans les messages publicitaires télévisés
Television advertising and the portrayal of women
p. 205-229
Résumé
This article looks at the evolution of the portrayal of women in food commercials on ITV with 1983, 1990, and 2000 as landmarks. It shows that the appearance of women including hairstyles, clothes, colours, and styles of clothing has turned out to be less and less stereotyped and feminine. They have become multifaceted in a post-modem English society which favours heterogeneity and fragmentation. The analysis demonstrates that for women, youthfulness and leisure have become synonymous with happiness. It also reveals that although success is no longer solely achieved in the home and the family, it has not forcibly reached the professional sphere and has come to be associated with self-interest, beauty, love, and even sex. Over seventeen years, women have grown into autonomous beings who are more open to the outside world – which has remained a man’s world with deeply rooted traditional values.
Texte intégral
1La publicité est véhicule de communication et mode de représentation. Certes, elle diffuse à grande échelle des informations sur les produits qu’elle vante. Mais, en dotant ces derniers d’apparences, elle les transforme aussi en idées1. Ainsi, d’une part elle leur associe des valeurs imaginaires qui parlent du produit d’une façon mythique et du consommateur d’une façon utopique en lui présentant une image subjective de lui-même2 ; d’autre part, elle leur adjoint des valeurs symboliques qui font référence à des styles de vie et des modèles favorisant l’intégration sociale. En raison de ce mode de fonctionnement, les messages publicitaires tiennent un discours sur l’individu, le « moi » dont le consommateur ne se lasse jamais3, et sur la société à laquelle il appartient. Ils s’adressent donc à des hommes et à des femmes et leur indiquent comment il convient de vivre et d’être4. Aussi leur offrent-ils les critères du vrai, du beau et du bien, ou plus prosaïquement de la séduction, du succès, et du bonheur.
2Cette étude est orientée selon une perspective de production de sens, appréhendé comme un ensemble d’idées intelligibles.
3Elle n’aborde ni le problème de construction et d’interprétation du sens par une audience déterminée5, ni celui de l’évaluation de l’influence des spots. En conjuguant analyse de contenu et analyse sémiotique, elle vise à décrypter les messages publicitaires télévisés et à découvrir les valeurs qu’ils véhiculent de manière explicite et implicite, manifeste et latente. Plus particulièrement, elle se propose de peindre un tableau socioculturel changeant de la population féminine sur une période de presque 20 ans, jalonnée par trois dates : 1983, 1990, et 2000. En jouant le rôle d’instantanés, ces trois repères permettront de déterminer l’existence de constantes et de variations dans la peinture de ces portraits de femmes dont on se demandera s’ils sont à leur avantage ou désavantage. Hommes et femmes sont-ils numériquement représentés de manière égale ? Ces portraits de femmes correspondent-ils à l’éternel féminin ? La maison est-elle le lieu de prédilection des femmes ? Quels rôles ces femmes jouent-elles au sein de la société ? Quelles sont leurs fonctions ? Enfin, quelles relations entretiennent-elles avec leur entourage ?
4L’intérêt porté à la gent féminine s’inscrit dans un contexte de libéralisation bien installé qui a débuté après la Seconde Guerre mondiale et dans un mouvement d’entrée sans précédent des femmes dans le monde du travail6. Parallèlement, ce choix est conforté par l’affirmation de Jean Baudrillard pour qui la publicité assume un rôle féminin en séduisant sans en avoir l’air et en offrant sans cesse de nouvelles expériences7. Les trois dates retenues correspondent aux deux décennies qui ont vu se succéder conservateurs et travaillistes au pouvoir en Grande-Bretagne. Le point de départ, 1983, marque le début des années 1980 alors que les effets de la politique de Margaret Thatcher se font déjà sentir ; 1990 voit la démission de ce même Premier ministre et sa succession par John Major ; enfin 2000 ouvre le XXIe siècle et confirme l’installation au pouvoir de Tony Blair et du « Nouveau travaillisme » (New Labour).
5Le corpus de cette analyse se compose de spots publicitaires télévisés diffusés sur la chaîne commerciale ITV au cours des dimanches 25 septembre 1983, 25 mars 1990 et 20 février 2000. La préférence du message audiovisuel aux autres types de messages8 réside dans son efficacité. En effet, publicité et télévision participent toutes deux de la communication de masse. Lorsqu’elles sont réunies par le film et exercent leurs actions de concert, on peut affirmer que l’on est en présence d’un supramédia ou média supérieur9. Dans le même sens, Ignacio Ramonet écrit que : « L’arme la plus sophistiquée, la mieux étudiée des publicitaires reste le film publicitaire [...] surtout celui diffusé à la télévision10 »
6Les dates choisies sont assez éloignées d’événements traditionnels comme Noël et les vacances estivales pour ne pas subir leur influence commerciale de façon trop directe. Ce dénominateur commun les rapproche tout en offrant une diversité qui permet de mieux apprécier les constantes si elles existent. Les journées sélectionnées sont des dimanches entiers car ces jours-là font davantage appel à des audiences variées qu’à des audiences spécifiques comme un jour de semaine. Dans un premier temps, les journées ont été enregistrées dans leur globalité ; dans un second temps, les spots publicitaires ont été extraits des différents enregistrements. Au terme de ce travail préliminaire, on compte, répétitions comprises, 233 spots en 1983, 296 spots en 1990, et 372 spots en 2000. Si l’on ne tient pas compte du temps qui leur est imparti, on constate de nettes augmentations entre les trois périodes considérées. Mais si l’on prend en considération l’augmentation du temps de transmission de programmes entre ces trois dates repères, on observe une relative stabilité du nombre de messages à l’heure : 13,5 pour 1983, 15,7 pour 1990 et 15,5 pour 2000. Dans un troisième temps, il s’est avéré indispensable de mettre au point une typologie des messages publicitaires transmis en fonction des produits et services qu’ils vantent. L’élaboration de cette typologie a été déterminée par l’éventail même des messages et a été établie grâce à différentes sources qui ont servi de références11. Ce qui donne les répartitions suivantes
TABLEAU 1 : Typologie des spots publicitaires en fonction des produits vantés (en %)
Produits vantés |
1983 |
1990 |
2000 |
Alimentation |
30,5 |
31,1 |
28,5 |
Habitat |
12,9 |
3,4 |
2,2 |
Hygiène |
14,6 |
11,5 |
21 |
Informations publiques |
1,7 |
3,7 |
1,3 |
Loisirs |
9,9 |
20,3 |
16 |
Professionnels |
9 |
2,3 |
2,1 |
Services |
15 |
17,6 |
16,6 |
Transports |
4,3 |
8,8 |
10,2 |
Autres |
2,1 |
1,3 |
2,1 |
Total |
100 |
100 |
100 |
Source : L’auteur d’après les films enregistrés en 1983, 1990, et 2000.
7À la lecture de ce tableau, la suprématie des produits alimentaires12 (boissons froides et chaudes, aliments préparés13 et confiseries venant largement en tête) retient l’attention car elle se vérifie pour les trois années considérées. C’est donc le secteur de l’alimentation qui, en raison de sa domination sur l’ensemble des produits, constituera l’objet de cette étude. Ce choix défini par les statistiques est renforcé par une approche socioculturelle et commerciale du domaine concerné qui veut que, traditionnellement, les femmes se voient attribuer la confection des repas et la promotion des produits domestiques14. Dans cette perspective, il est aussi étayé par une singulière répartition des sexes dans les spots alimentaires, qui n’entretient aucun lien avec la réalité démographique de la Grande-Bretagne15. En effet, on compte 1,4 homme pour 1 femme en 1983, 1,9 homme pour 1 femme en 1990 et 2000. Ces constatations surprenantes voire paradoxales sont corroborées par des études menées en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis et qui confirment la domination numérique des hommes sur les chaînes et dans le paysage publicitaire16.
8Peindre un tableau socioculturel de la population publicitaire féminine qui se compose respectivement de 41, 55 et 45 femmes pour 1983, 1990 et 2000 nécessite un rappel et une reformulation adéquate du célèbre paradigme du sociologue et théoricien de la communication de masse Harold D. Lasswell17 : qui/où/fait quoi/comment/à qui ?
9Pour répondre à la question « qui ? », il faut tout d’abord définir l’âge des personnages, ce qui n’est pas toujours chose aisée. Lorsqu’il y a hésitation quant au classement par tranches d’âge, des critères contextuels tels que le contexte familial, l’activité entreprise, la tenue vestimentaire sont pris en compte et facilitent la tâche. De manière attendue les actrices des messages publicitaires sont plutôt jeunes. En 1983, 68,2 % de la population féminine filmée se situe entre 25 et 45 ans. En 1990 et 2000, on note un net changement puisque respectivement 87,2 % et 69 % de cette même population ont moins de 35 ans. En conséquence, la jeunesse est une valeur qui prime sur l’expérience dans le domaine culinaire. À l’appui de cette remarque, les 55-65 ans qui ne représentent que 4,8 % du groupe considéré en 1983 disparaissent totalement en 1990 et 2000, ce qui ne semble pas être le cas en France par exemple.
10Quel écho ce trait distinctif de jeunesse trouve-t-il dans les apparences physiques des femmes figurant dans les publicités télévisées alimentaires ? Tout d’abord, les personnages féminins portent davantage les cheveux longs que les cheveux courts. Pour les trois années considérées, les proportions sont importantes puisqu’elles se situent au-delà des deux tiers18. Ces chiffres ne sont guère étonnants car dans la pensée symbolique, « la chevelure [est] une des principales armes de la femme19 » lorsqu’il s’agit de séduire. De plus, le fait que, quelle que soit la date considérée, ces longues chevelures soient dans la majorité des cas dénouées concourt à une seconde lecture connotée. Elles sont signes de séduction, de disponibilité et de don de la personne. En revanche, la minorité de femmes qui retiennent leurs cheveux en chignons, en queues de cheval ou en tresses évoluent dans des contextes professionnels ou réclamant un certain degré de sophistication. Si les chevelures sont plutôt longues, elles sont aussi en majorité souples voire bouclées. Pour les publicités de 1983, 1990 et 2000, environ deux tiers des personnages féminins ne portent pas de cheveux raides. La souplesse et les boucles qui s’opposent aux cheveux longs rectilignes, et donc à la rigueur et à la rigidité, symbolisent la douceur, la délicatesse, l’harmonie et une possibilité d’alliance20. Quant aux teintes pour les femmes prétendument britanniques, le blond qui domine en 1983 avec un taux de 56 % recule au fil des ans au profit des chevelures brunes voire ébène en ne représentant respectivement que 50 % et 41 % des groupes considérés en 1990 et 2000. La blondeur, associée au soleil et au froment mûr, est manifestation de chaleur et de maturité, mais elle cède le pas aux différentes nuances de brun, plus masculin, connotant l’énergie et la vigueur. Il est à remarquer qu’une mise en relation des teintes des chevelures avec les tranches d’âge n’offre aucune conclusion pertinente. Contrairement à la longueur et texture des cheveux qui penchent en direction de l’éternel féminin caractérisé par le charme, la douceur et la délicatesse, la couleur annonce davantage de masculinité. Mais à ce stade, les portraits ne sont encore que des esquisses. Il faut s’intéresser maintenant aux tenues portées.
11On constate dans les garde-robes des femmes qui apparaissent dans ces spots une certaine évolution. Si les apparitions de hauts uniquement (chemisiers, débardeurs et caracos), restent stables entre 1990 et 2000, il n’en va pas de même pour les autres tenues. Comme l’indique le tableau ci-dessous, les pantalons et les bermudas, vêtements plutôt masculins, et en particulier les jeans, prennent la tête devant les jupes et les robes.
TABLEAU 2 : Garde-robes féminines en 1983, 1990 et 2000 (en %)
Tenues portées par les femmes |
1983 |
1990 |
2000 |
Hauts uniquement |
15,9 |
28,7 |
28,9 |
Robes et pantalons |
47,7 |
31,6 |
24,5 |
Pantalons et bermudas |
24,9 |
25 |
37,8 |
Autres |
11,3 |
15,1 |
8,8 |
Source : L’auteur d’après les films enregistrés en 1983,1990, et 2000.
12En 1983, les femmes portent des pantalons lorsqu’elles entreprennent de déménager (Kitkat)21 ou de faire de grands rangements (D Treatment, Mellow Bird’s), lorsqu’elles travaillent sur un marché (Mars) ou dans un supermarché (Wall’s) ou encore lorsqu’elles font preuve d’un grand dynamisme et apprécient un moment de décontraction (Kellogg’s Sultana Bran). En 1990, certaines le choisissent à la ville (Fanta, Whiskas) et les autres à la campagne ou pour bricoler (Jacob’s Choice Grain). En 2000, le pantalon est uniquement porté par des femmes âgées de moins de 35 ans et unanimement adopté par les moins de 25 ans (Oxo, Chupa Chups). C’est aussi la tenue préférée des femmes dont les préoccupations ont essentiellement trait au foyer (Oxo, McCain’s Oven Chips) ou qui, lors d’un moment de détente, se divertissent en dansant dans un lieu public (Guinness). En d’autres termes, les vêtements à jambes opèrent une large percée dans la vie au quotidien, à la maison comme à la ville (Nescafé). Leur port ne se cantonne plus à des situations requerrant une aisance de mouvements comme en 1983. Devenu populaire et à la mode, il embrasse à la fois des activités pratiques, fonctionnelles, professionnelles et ludiques. Aussi reste-t-il marque de dynamisme et devient-il signe de jeunesse. À l’inverse, robes et jupes qui reculent sur la période prise en compte demeurent le trait caractéristique des tenues affichant une certaine distinction. Mises en parallèle, ces différentes considérations montrent que les garde-robes des femmes considérées perdent de leur féminité en tendant vers plus de confort, de jeunesse, de liberté.
13Enfin pour vérifier cette atténuation de la féminité, il faut compléter cette étude vestimentaire par une analyse des coloris des tenues adoptées et un classement de leur style. Il est en effet difficile de parler de vêtements sans se préoccuper de leurs couleurs car « tout objet [...] est automatiquement lié à l’ambiance colorée de sa présentation22. » Les occurrences de couleurs, peu variées dans le domaine vestimentaire, se répartissent comme suit
TABLEAU 3 : Occurrences des couleurs pour les vêtements féminins en 1983, 1990 et 2000 (en %)
Couleurs des vêtements |
1983 |
1990 |
2000 |
Blanc, beige, écru, gris clair |
47,2 |
42,3 |
36,8 |
Rouge |
20 |
10,8 |
16,3 |
Bleu |
16,3 |
11,9 |
7,3 |
Noir |
5,4 |
29,3 |
26,4 |
Autres |
12,7 |
5,4 |
13,2 |
Source : L’auteur d’après les films enregistrés en 1983, 1990, et 2000.
14En dépit d’une régression régulière sur la période considérée, le recours à des teintes qui n’agressent pas l’œil, variant du blanc au beige en passant par le gris clair, reste prédominant. Cependant les valeurs symbolisées varient avec le temps et les contextes. Le blanc du peignoir (Delight, 1983), du pantalon (Kellogg’s Corn Flakes, 1990) et du tee-shirt (Yakult, 2000) symbolise, pour les trois dates prises en compte, la fraîcheur matinale, étayant les bienfaits des aliments vantés23 sur le corps. En revanche, le blanc des tutus (Batchelors Slim-a-Soup, 1983) et de la robe de Mia, (Wall’s Romanza, 1990) qui évoque la perfection et la pureté se teinte de sophistication et classicisme en 2000 tout en gardant ses connotations premières (Kenco, Dolmio). Lorsque le blanc perd de son éclat et devient écru ou beige ou encore gris clair, il représente la modestie, le calme, la sagesse et l’équilibre (D Treatment 1983, Whiskas 1990, Benecol 2000). Les vêtements noirs, qui connaissent une forte poussée en 1990 et se maintiennent en 2000 au rang de deuxième coloris le plus porté, répondent aux impératifs de la mode et de la jeunesse. Enfin, le rouge, après un recul en 1990 sur 1983, revient en 2000 avec un changement de symbolique. Cette couleur chaude qui traduit en 1983 la vivacité et le dynamisme des actrices (D Treatment, Walkers Trench Fries) se voit associée en sus en 1990 et 2000 au désir, à la sexualité et à l’amour (Sainsbury’s Be-Good-to-Yourself). Le choix, assez limité, des coloris vestimentaires semble donc aussi concourir à un affaiblissement de la féminité en comblant l’écart entre les teintes claires et le noir.
15Qu’en est-il maintenant des styles vestimentaires ? Les garde-robes des femmes de cette étude se divisent en sept catégories24. Premièrement, les toilettes sophistiquées sont peu communes : elles font preuve de recherche, d’affectation, voire d’extravagance et sont portées pour des occasions particulières. Deuxièmement, les tenues classiques sont composées de vêtements distingués de qualité qui n’appartiennent pas à une époque précise : la coupe est impeccable, les matières sont nobles. À l’opposé, les ensembles à la mode sont reconnaissables dans le temps et associés à des époques bien définies25. Puis viennent les tenues décontractées et informelles. Comme les tenues classiques, elles ne sont pas temporellement identifiables. Ce sont des vêtements confortables de détente et loisir. On trouve ensuite les tenues dites conventionnelles ou de tous les jours. Elles ne portent pas de marque particulière : ni la distinction des toilettes classiques, ni la fantaisie ni la singularité des vêtements à la mode, ni l’aisance des vêtements décontractés. Enfin, pour clore cette liste, on citera les tenues préétablies qui regroupent uniformes, tenues officielles ou réglementaires et costumes régionaux. Au cours des deux décennies considérées, la répartition se fait comme suit
TABLEAU 4 : Styles des tenues vestimentaires en 1983,1990 et 2000 (en %)
Styles des tenues portées |
1983 |
1990 |
2000 |
Tenues conventionnelles |
43,9 |
6,7 |
21,7 |
Tenues décontractées |
24,4 |
11,9 |
21,7 |
Tenues classiques |
14,6 |
16,9 |
13 |
Tenues à la mode |
9,8 |
28,8 |
21,7 |
Tenues préétablies |
7,3 |
27,1 |
10,8 |
Tenues sophistiquées |
0 |
6,7 |
10,9 |
Source : L’auteur d’après les films enregistrés en 1983,1990, et 2000.
16À la lecture du tableau 4, 2000 apparaît comme une armée qui tend à rééquilibrer les grandes disparités qui apparaissent entre 1983 et 1990. En 1990, la baisse des tenues conventionnelles et l’augmentation des : ensembles à la mode d’une part et le tassement des vêtements décontractés d’autre part s’expliquent respectivement par un rajeunissement de la population présentée et un effacement des tâches pratiques. En revanche, en 2000, on assiste à un rééquilibrage de ces trois catégories qui va dans le sens d’une diversification vestimentaire. Si l’utilisation des habits classiques est relativement stable, celle des toilettes sophistiquées intervient en 1990 et progresse en 2000, associant ainsi la nourriture à un caractère plus exceptionnel que quotidien, et renforçant ponctuellement la féminité des actrices.
17En une petite vingtaine d’années, les apparences des femmes montrées dans les publicités alimentaires télévisées présentent des constantes tout en subissant des modifications non négligeables. D’une manière générale, les excès de 1990 se stabilisent en 2000 même si les tendances de cette année charnière se poursuivent. Plus précisément, la jeunesse est devenue un critère important. Avec le temps, la féminité, toujours présente, cède le pas à un plus grand éventail d’apparences : les chevelures restent longues et souples mais les teintes se diversifient ; les tenues s’adaptent aux contextes, aux styles de vie. En somme, l’éternel féminin s’estompe ; les personnalités des femmes ne sont plus une mais multiples.
18Une fois les apparences des actrices décrites, il faut maintenant s’intéresser aux environnements dans lesquels elles évoluent (où ?), aux actions quelles entreprennent (que font-elles ?), à la façon dont elles interviennent (comment ?) et à leurs échanges avec autrui (à qui ?). Dans le domaine alimentaire, les lieux de prédilection des personnages féminins sont clos comme le montre le tableau suivant :
TABLEAU 5 : Apparitions féminines par type de lieux (en %) :
Lieux |
1983 |
1990 |
2000 |
Lieux intérieurs |
58,1 |
61,6 |
75,5 |
Lieux extérieurs |
41,8 |
38,3 |
24,5 |
Source : L’auteur d’après les films enregistrés en 1983,1990, et 2000.
19Plus précisément, en 1983, 68,7 % des lieux intérieurs sont les pièces de vie de la maison, la cuisine d’abord, la salle à manger ensuite contre 40 % en 1990 et 55,9 % en 2000. Force est donc de constater que dans le domaine alimentaire, le foyer n’occupe qu’une place relative au sein de l’ensemble des lieux intérieurs et extérieurs26 et que les femmes ne s’en éloignent pas aisément en raison de la nature des produits sans doute. En revanche, le mouvement s’inverse quelque peu lorsqu’il est question de lieux extérieurs. En 1983, 100 % de ces décors se situent en Grande-Bretagne contre 7,1 % en 1990 et 11 % en 2000. En d’autres termes, l’exotisme27 devient de mise et traduit une ouverture de la vie des femmes sur le monde. Ainsi, apparaît une divergence entre foyer et distances lointaines dont l’incidence sur les personnages féminins ne pourra être interprétée qu’en fonction des activités entreprises et des relations entretenues avec autrui.
20Pour les trois dates considérées, environ 60 % des femmes entretiennent un lien avec le produit en s’apprêtant à le consommer, en le consommant, en le préparant ou encore en le servant de la manière suivante
TABLEAU 6 : Évolution détaillée des modes de consommation

Source : L’auteur d’après les films enregistrés en 1983,1990, et 2000.
21Ces statistiques mettent en évidence le fait que les femmes deviennent avec le temps de véritables consommatrices au même titre que leur entourage, c’est-à-dire qu’elles sont montrées sur le point ou en train d’absorber les produits vantés par les films. Et si elles continuent à apprêter les aliments, elles assument de moins en moins la tâche du service. Aussi les femmes semblent-elles délaisser leur traditionnelle fonction de nourricière pour participer davantage à l’acte de consommation propre. Elles troquent en quelque sorte leur rôle contre celui de consommatrice. Mais elles sont aussi de plus en plus souvent mises en scène en s’investissant aussi dans des activités autres. En 1983, 56,1 % des femmes filmées sont engagées dans des occupations n’ayant pas trait à la consommation contre 65,4 % pour 1990 et 66,7 % pour 2000. Cet investissement d’énergie dans des domaines qui ne sont pas directement liés au produit mérite une grande attention car ils vont tenir sur les personnages un discours idéologique de consommation socioculturelle, en rendant compte de leur valeur imaginaire et symbolique. Les activités féminines sont regroupées comme suit
TABLEAU 7 : Types d’activités accomplies par les femmes hors consommation (en %)
Types d’activité |
1983 |
1990 |
2000 |
Activités de détente |
37,5 |
58,3 |
66,6 |
Travail |
16,6 |
30,5 |
21,2 |
Entretien du foyer |
33,3 |
2,7 |
12,2 |
Attente |
8,3 |
8,3 |
0 |
Source : L’auteur d’après les films enregistrés en 1983, 1990, et 2000.
22Ce tableau rend compte d’éléments importants. Au terme des 17 années considérées, les femmes ne se retrouvent plus en position d’attente. En 1983, les femmes patientent pendant que maris et enfants terminent leurs activités (Mars) ; en 1990, elles se tiennent aux côtés et à la disposition d’hommes qu’elles assistent ; en 2000, aucune femme n’est passive. Bien que fluctuant, l’entretien du foyer qui comprend surtout les courses, le rangement, le petit jardinage, reste largement minoritaire à la fin des années 1990. L’accès au marché du travail est bien présent mais semble avoir des difficultés à s’imposer. En 1983, les femmes occupent des postes de secrétaires (Kellogg’s), de vendeuses (Wall’s) et d’auxiliaires de police (Kellogg’s) dressant des contraventions. En 1990, l’éventail des professions s’élargit tout en demeurant particulièrement féminin : on retrouve le secrétariat (Mullerice) auquel s’ajoutent l’hôtellerie/restauration (Golden Wonder Pots), le mannequinât (Cadbury’s) et la danse classique (Batchelors Slim-a-Soup). En 2000, maîtresse d’école (Jaffa Cakes) et serveuse (Tetley) restent des professions féminines mais on assiste à la percée de métiers habituellement réservés aux hommes comme celui de pompier (Pasta Baké). L’égalité professionnelle est donc évoquée sans toutefois être présente dans des tranches socioprofessionnelles élevées. Les activités de détente et de loisir sont les plus prisées. En 1983, le champ de ces occupations est assez restreint : les femmes se promènent (Café Hag), s’amusent avec leurs enfants (Kellogg’s), prennent des bains de soleil (Kellogg’s). Mais avec le temps qui passe, il s’étoffe. En 1990, il s’enrichit de nouveaux passe-temps dépaysants, tels les voyages (Flora), ou narcissiques comme la prise en compte des soins du corps (Delight). En 2000, viennent s’ajouter des activités conviviales, comme la danse (Guinness, Chupa Chups), et surtout amoureuses (Sainsbury’s Be-Good-to-Yourself, Oxo, Nescafé). L’élargissement de ces occupations récréatives dans le temps traduit un dépassement de l’univers familial, une ouverture sur l’environnement social et géographique ainsi qu’une progression des intérêts sensuels, narcissiques ou amoureux.
23Afin d’affiner tous ces résultats et d’aboutir à une présentation plus synthétique des conduites féminines, un examen systématique de leurs comportements s’impose. Définir globalement les façons d’agir des personnages dans des circonstances déterminées, évaluer la manière dont ils se dirigent eux-mêmes, apprécier leurs réactions aux stimulations venues du milieu dans lequel ils se trouvent, est une tâche complexe. Si, pour être efficace et mémorisé, un message ne doit guère véhiculer plus d’une idée clef, les actrices, à leur tour, adoptent un comportement dominant, qui s’accompagne parfois de quelques variations. La première difficulté est de repérer les manières d’être et d’agir. La seconde difficulté réside dans la construction d’un système de classification émergeant du corpus et mettant en lumière les éléments cruciaux des attitudes adoptées, les conduites premières grâce à des preuves objectives. Cette démarche vise à mettre en ordre des comportements féminins dans un ensemble non structuré de situations juxtaposées. L’ordonnance des apparences, des façons d’être et des manières d’agir des femmes à l’écran conduit à l’élaboration d’un système de classification regroupant six types de comportements pour les trois dates considérées28.
24Le premier type de conduite repéré est raisonnable et rationnel. Il s’agit de femmes sages, au jugement sensé et à l’esprit pratique. Elles ont le sens des réalités et s’adaptent aux situations concrètes. Détentrices du savoir culinaire, elles savent ce qui est bon pour elles et leurs proches. Elles affirment la qualité des produits qu’elles consomment (Maxwell 1983, Whiskas 1990), renseignent sur les actions bienfaisantes des aliments (D Treatment 1983, Flora 1983, Benecol 2000), mettent en application leur savoir-faire et fournissent des modes d’emploi et des recettes (Cook-in-the-Pot 1983, Schwartz Authentic Mix 1990, Oxo 2000). Pour les trois années prises en compte, ces femmes évoluent principalement dans leur foyer et en particulier dans la cuisine ou la salle à manger qui sont des pièces claires, coquettes et confortables, meublées de bois clair. En 1983, les femmes ayant le sens du concret représentent 53,6 % de la population considérée contre 4,5 % en 1990 et 20 % en 2000 et passent donc en presque 20 ans de majoritaires à minoritaires.
25Le deuxième type de conduite féminine est dynamique. Ce sont des personnes indépendantes qui aiment à agir, à se dépenser en travaux et en entreprises. Elles s’investissent dans l’organisation d’événements (Twix 1983), exercent des activités productives et occupent un emploi (Taunton 1983, Golden Wonder Pots 1990, Tetley 2000, Pasta Bake 2000). En 1983, 29,2 % de la population féminine des messages alimentaires étudiés appartiennent à cette catégorie contre 12,7 % en 1990 et 11,1 % en 2000. En somme, le dynamisme, en perte de vitesse sur la vingtaine d’années prise en compte, ne conserve de sa valeur qu’en restant la marque d’une insertion dans le monde du travail.
26Le troisième type de comportement observé a trait à l’insouciance. Ces femmes se rapprochent des femmes dynamiques par leur énergie et leur vivacité mais s’en distinguent par la légèreté de leurs activités, par leur absence de souci et de responsabilité. Leur devise se résume à profiter de l’instant présent. Elles plaisantent, jouent au hoopla-hop (Fanta 1990), essaient des vêtements à la mode, font du scooter (Buitoni 1990) ; elles dansent (Guinness2000, Chupa Chups2000), campent (UncleBenz2000). L’évolution de cette rubrique qui passe de 4,8 % en 1983 à 38,1 % en 1990 pour revenir à 22,2 % en 2000 est liée au rajeunissement des actrices et à la progression des activités de détente.
27Le quatrième type de conduite remarqué est non conformiste. Ce sont là des femmes qui se distinguent de la norme. Elles font preuve d’originalité par leurs apparences peu communes, extravagantes, déroutantes voire étranges ou en accomplissant des actions qui ne sont pas conformes aux usages établis, aux opinions reçues, à l’étiquette ou encore à leur âge. Elles sont sujettes à des accès chroniques d’agitation (D Treatment 1983), portent des tenues voyantes et tape-à-l’œil (Walkers French Fries 1983, Harp 1990, Captain Igloo 2000), se transforment en punk à un âge avancé (Royal Crest Dutch Bacon 1990), dévorent le petit-déjeuner de leur client (Kellogg’s 1990) ou les biscuits de leurs élèves (Jaffa Cakes 2000) ou encore mélangent frites et chocolat (Cream Eggs 2000). En 1983, les comportements non conformistes, qui participent presque toujours du comique et contribuent à la création d’une atmosphère de gaieté et d’amusement, représentent 9,7 % des femmes filmées contre 16,7 % en 1990 et 17,8 % en 2000.
28Le type de conduite romantique correspond à des personnages féminins qui se caractérisent par leur sensibilité. Créatures éthérées, elles attribuent de l’importance aux sentiments tendres et elles les manifestent volontiers. Elles se remémorent un instant de bonheur passé dans la campagne anglaise (Mellow Birds 1983), acceptent une demande en mariage dans un cadre de conte de fée (Romanza 1990), dégustent une glace à partager avec l’être cher en rêvant (Carte d’or 2000). En 1983, 2,4 % des femmes sont romantiques contre 3,6 % en 1990 et 2,2 % en 2000. En somme, produits alimentaires, actrices féminines et romantisme ne constituent pas une alchimie concluante.
29Enfin le sixième type de femmes, bien qu’il concerne les messages publicitaires de 1990 et 2000 uniquement, est d’un intérêt capital puisqu’il représente respectivement 20 % et 24,4 % des actrices de ces années-là. Ce sont de belles femmes au physique attrayant et gracieux de mannequin qui savent mettre en valeur leur corps et leur visage. Cette mise en valeur s’opère de deux manières différentes qui peuvent se conjuguer : soit elles choisissent des tenues de fête riches et sophistiquées et des coiffures élaborées (KP Nuts 1990, Sainsbury’s Be-Good-to-Yourself2000), soit elles adoptent des pauses qui évoquent sensualité et volupté (Bounty 1990, Galaxy 2000). Toujours est-il que dans ces messages, les femmes filmées ne voient leur présence valorisée que par leur beauté, leur charme et la sensualité de leurs apparences29.
30Synthétisées sous forme de tableau, les conduites féminines dans les films publicitaires alimentaires en 1983,1990 et 2000 se partagent comme suit
TABLEAU 8 : Les comportements féminins (en %)
Types de comportement |
1983 |
1990 |
2000 |
Femmes pratiques |
53,6 |
4,5 |
20 |
Femmes dynamiques |
29,2 |
12,7 |
11,1 |
Femmes insouciantes |
4,7 |
38,2 |
22,2 |
Femmes non conformistes |
9,7 |
16,3 |
17,8 |
Femmes romantiques |
2,4 |
3,6 |
2,2 |
Femmes mannequins |
0 |
20 |
24,4 |
Non classables |
0 |
1,8 |
0 |
Source : L’auteur d’après les films enregistrés en 1983, 1990, et 2000.
31De 1983 à 1990, les femmes pragmatiques et raisonnables, soucieuses du bien-être de leur famille, ont posé leur tablier ; les femmes dynamiques et entreprenantes ont perdu du terrain au profit de personnes insouciantes ne pensant qu’aux loisirs ; les mannequins préoccupés par leurs apparences s’imposent. En revanche, l’année 2000 évince romantisme et dynamisme pour tenter un rééquilibrage des tendances fortes : esprit pratique, insouciance et beauté. S’il y a bien diversification des conduites féminines valorisées au fil du temps, elle reste limitée puisque les femmes sont majoritairement maîtresse de maison, jeunesse frivole ou Vénus.
32Pour être mieux appréhendée encore, cette évolution des types de comportements doit être complétée par une mise en perspective des conduites féminines avec celles de leur entourage, par une étude des liens de dépendance et d’influence entre les femmes et leurs proches.
33En 1983, 43,9 % des femmes montrées dans les films publicitaires sont des mères de famille qui s’occupent des leurs en prenant soin d’eux en veillant à leur bien-être. Leur existence est avant tout régie par leurs besoins de subsistance. Ces femmes existent moins pour elles-mêmes que pour et par les autres. Hormis la préparation et le service des mets qu’elles confectionnent (Tyne Brand), elles aident (Mars) et réconfortent (Maxwell). Douces, aimables, bienveillantes, attentionnées envers tous, elles font passer les besoins et les envies de leurs proches avant les leurs. Leur présence, en position de dépendance, est associée aux idées très traditionnelles d’abnégation de soi, de générosité et de dévouement pour les autres. En 1990, les mères de famille sont moins aux petits soins pour leurs proches que 7 ans auparavant. Elles représentent seulement 10,8 % de la population féminine considérée. Ces rapports qui les unissaient aux membres de leur famille ne sont plus guère d’actualité et le sont d’autant moins que certaines de ces femmes d’origine indienne et italienne appartiennent à des cultures qui privilégient une structure traditionnelle de la famille (Schwartz Authentic Mix, Buitoni). En 2000, effacement de soi, serviabilité et altruisme demeurent des valeurs minoritaires, principalement liées à l’Italie (Dolmio).
34En 1983, 21,9 % des femmes filmées n’entretiennent aucune relation avec autrui contre 10,9 % en 1990 et 22,2 % en 2000. Pour la première année, ce sont des femmes qui apparaissent seules (Batchelors Cup-a-Soup) ou qui vaquent à leurs occupations sans se soucier de leur entourage (Wall’s). Ces actrices qui n’entrent pas en contact avec d’autres personnages de la fiction, participent à des activités qui visent à l’entretien du foyer plutôt qu’à leur épanouissement ou bien-être personnels. Cette catégorie relationnelle accuse une forte baisse de 1990. Si aucun trait distinctif ne rapproche les personnages concernés, ce résultat confirme leur intégration et participation au tissu social. La remontée du pourcentage de l’année 2000 est intéressante à trois titres : premièrement, 13,3 % de ces actrices participent à des activités de détente (Guinness, Heinz) ; deuxièmement, dans un contexte humoristique, femmes et hommes, filmés selon des plans juxtaposés, sont présentés sur un pied d’égalité ; troisièmement, 8,9 % des personnages féminins entretiennent des relations avec elles-mêmes et avec leur corps (Galaxy). En effet, cette dernière sous-catégorie concourt à l’idée que les femmes commencent à être égoïstes et à se soucier d’elles-mêmes avant de se soucier des autres. Elégantes (Galaxy), saines (Yakult), mais toujours sensuelles, elles sont à la recherche de leur propre bien-être et font une expérience du plaisir toute personnelle.
35En 1983, 21,9 % des femmes figurent aux côtés de leur partenaire présent ou potentiel. Dans ce cas de figure, une relation de dépendance domestique subsiste vis-à-vis du mari (Flora, Maxwell, John Bull). Mais cette dernière, lorsqu’il s’agit de leur compagnon, s’efface au profit de liens affectifs qui s’inscrivent dans un climat d’échange et de complémentarité. Ces femmes partagent un instant de bonheur au côté de leur compagnon et profitent d’un moment de détente propice à la bonne humeur et au sentiment amoureux (Café Hag) ou à la connivence et à la plaisanterie (Kitkat). Toutefois, bien que ces rapports soient placés sous le signe de l’échange et de la réciprocité, les femmes continuent à être serviables et obligeantes en portant le panier du pique-nique ou le plateau du thé. En 1990, les femmes sont, dans 41,8 % des cas, mises en scène aux côtés d’un homme qu’elles aiment, quelles tentent de séduire ou avec qui elles vivent. Les liens qui les unissent sont donc essentiellement de nature sentimentale et amoureuse. Lorsque le couple joue le jeu de la séduction, ce sont davantage les femmes que les hommes qui se posent en séductrices. Elles fascinent par leur beauté, leur sensualité (Bounty), leur sveltesse (Fanta) et leur sophistication (KF Nuts), renforçant ici l’idée que l’identité féminine relève avant tout des apparences30. À la recherche du compagnon idéal et visant à éveiller le désir, elles séduisent moins ouvertement en lui lançant une œillade (KP Nuts) que subrepticement en adoptant plus ou moins innocemment des poses alanguies (Bounty).
36Une fois que le charme s’opère, elles ne passent pas à l’action, ce qui n’est pas toujours le cas pour les femmes de l’année 2000 qui sont 28,8 % à apparaître en compagnie de l’être aimé ou désiré. D’une part, ces dernières sont de plus en plus ouvertement tentatrices et n’hésitent pas à suggérer des rapports oraux-génitaux (Chupa Chups, Sainsbury’s Be-Good-to-Yourself), corroborant l’idée que les messages publicitaires sont associés à la pornographie soft31. D’autre part, le baiser qui était absent en 1983, discret et furtif en 1990, devient si fougueux et si intense en 2000 qu’il annonce l’acte sexuel (Oxo).
37En 1983, 9,7 % des femmes évoluent dans un contexte professionnel qui implique des relations avec des collègues (Kellogg’s), un patron (Kellogg’s) ou des clients (Taunton). Dans ce cas, les rapports ne sont pas conventionnels et s’instaurent sur le ton de la plaisanterie. En 1990, les femmes, de plus en plus nombreuses à travailler, nouent dans le cadre de leur profession des liens formels et conventionnels : les serveuses (Mello & Mild) et les réceptionnistes (Golden Wonder Pots) se veulent aimables, serviables, compréhensives avec leurs clients ; les mannequins (Cadbury’s) et les secrétaires (Mullerice), subalternes du photographe et du directeur, sont sérieuses et leurs rapports avec leur entourage restent distants. En 2000, 15,5 % des femmes filmées exercent une occupation salariale. Seule la femme pompier (Pasta Bake) se trouve en position d’égalité avec les hommes. Les relations professionnelles des femmes sont bien présentes dans les messages publicitaires alimentaires mais semblent avoir bien du mal à s’imposer. En outre, pour les trois dates considérées, aucune femme n’occupe un poste supérieur qui engendrerait une relation de domination.
38Enfin, 7,3 % des actrices de l’année 1983 entretiennent des relations amicales peu démonstratives, se limitant au partage d’une activité (Flora, Twix). En 1990, cette catégorie représente 21,8 % des femmes qui sont devenues plus expansives dans le partage d’occupations dynamiques comme le hoopla-hop. Ce pourcentage reste pratiquement stable en 2000 avec 20 % des personnages féminins. Néanmoins, deux remarques s’imposent ici. Premièrement, à la communauté d’actions, s’ajoute la connivence et la confiance : on est dupe des aventures amoureuses (Nescafé) et on se fait des confidences (Pork). Deuxièmement, lorsque l’amitié réunit les deux sexes dans un jeu de basket-ball, la jeune fille participe au match mais n’obtient jamais le ballon, se retrouvant dans une position plus passive et donc inférieure.
39Au terme de cette étude, la conclusion de l’analyse de Guy Cumbertatch32 continue à se vérifier : les femmes dans les messages publicitaires télévisés alimentaires vivent essentiellement dans un monde d’hommes. La première clef du bonheur est la jeunesse33. D’une manière globale, la féminité se diversifie en s’estompant : les critères de la beauté n’impliquent plus le port de la jupe ou de la robe et passent par des chevelures qui, en restant longues, perdent de leur blondeur pour aussi se décliner sur toutes les nuances de brun. Cette pluralité des apparences trouve un écho dans le choix des tenues portées qui, en quelques vingt ans, se diversifient et s’équilibrent en jouant sur les gammes de la décontraction, de la mode et du conservatisme. Ces portraits féminins qui tendaient à être univoques offrent au début du XXIe siècle une palette plus nuancée de femmes, répondant ainsi aux orientations d’une civilisation postmoderne tournée vers le pluralisme, l’hétérogénéité, la fragmentation, le mélange34. Si les compétences qui assurent les succès ne se limitent plus aux tâches culinaires et domestiques, elles n’appartiennent pas encore de manière franche au monde professionnel. En revanche, elles prennent en compte la mise en beauté du corps et l’art du divertissement dans une société où apparences et loisirs caracolent en bonne place. Régnant sur le foyer, les femmes pragmatiques dont l’existence se justifie par celle des autres occupent le devant de la scène en 1983. Entourées d’amis, les jeunes femmes insouciantes, vives et gaies dominent l’année 1990. L’an 2000 ramène ces deux portraits à des niveaux comparables tout en leur préférant sensiblement des femmes aux allures de mannequins à la recherche de plaisirs égoïstes ou libidinaux. Les maîtresses-femmes au caractère bien trempé et énergique et les femmes de tête, avisées et ne se laissant pas menées par leurs affects, sont les grandes absentes de ce paysage publicitaire. Bien que les actrices présentées acquièrent une certaine considération en tant que personnes autonomes, le sens du devoir, le dévouement et l’amour35, moins romantique que charnel avec le temps qui passe, restent les valeurs qui définissent l’ethos du monde féminin. À celles-ci viennent s’ajouter l’amitié et la récréation, en somme une ouverture sur les autres et sur le monde. Dans leur grande majorité, les relations dépeintes impliquant un autre masculin confirment la domination et le dynamisme des hommes. Seul, l’humour donne accès à une égalité entre les sexes. À la lumière de ces remarques, on peut affirmer que les stéréotypes sexuels sont, en apparence, moins marqués qu’on ne pourrait le croire. Cependant, les valeurs qui sous-tendent les spots publicitaires restent, dans leur ensemble, traditionnelles ; elles ne fonctionnent pas dans le sens d’une valorisation des femmes mais présentent plutôt des images qui les desservent. À quand une réelle évolution vers des valeurs plus égalitaires et plus universelles ?
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Notes de bas de page
1 Diane Barthel, Putting on Appearance. Gender and Advertising, Philadelphia, Temple University Press, 1988, p. 1.
2 Bernard Cathelat, André Cadet, Publicité et société, Paris, Payot, 1976, 251 p, p. 117.
3 Diane Barthel, op.cit., p. 18.
4 Louis Quesnel, « La publicité et sa philosophie », Communications, 1971,17, pp. 56-66, p. 57.
5 Voir David Morley, Family Television: Cultural Power and Domestic Leisure London, Comedia, 1986,178 p.
6 Noami Gerstel, Harriet E. Gross, Families and Work. Towards Reconceptualization, Philadelphia, Temple University Press, 1987, 539 p.
7 Jean Baudrillard, La Société de consommation. Ses mythes et ses structures, Paris, SGPP, 1970, 318 p., p. 213.
8 Messages radiodiffusés ou publiés dans la presse.
9 Bernard Cathelat, André Cadet, op.cit., p. 55.
10 Ignacio Ramonet, Le Chewing-gum des yeux, Paris, A. Moreau, 1980, 188p., p. 66.
11 Tableaux de l’économie française de l’INSEE, statistiques publiées par la revue Social Trends, les documents de L'IREP
12 G. Thoveron, How Women are Represented in Television Programmes in the EEC: Images of Women in News, Advertising and Series and Serials, Brussels, Commission of the European Communities, 1987. Dans cet ouvrage, l’auteur retrouve cette domination de l’industrie alimentaire dans les publicités de huit pays de la CEE.
13 Les aliments préparés comprennent les conserves, les desserts, les produits apéritifs, les produits congelés, les produits lyophilisés.
14 Barrie Gunter, Television and Gender Representation, London, John Libbey, 1995, p. 50.
15 D’après Social Trends 22, les hommes représentaient 48,8 % de la population britannique en 1990 pour 51,2 % de femmes.
16 Nancy Signorielli, Role Portrayal on Television, Wesport, Greenwood, 1985, XIX-214 p.; Nancy Signorielli, “Television and conception about sex-roles”, Sex Roles 21, New York, Plenum, 1989, pp. 341-360; Barrie Gunter, op.cit., p. 33.
17 Harold D. Lasswell, “The structure and function of communication in society”, in Wilbur Schramm, Donald F. Roberts, eds., The Process and Effects of Mass Communication, Urbana (I1L), University of Illinois Press, 1971, pp. 84-99.
18 En 1983, 70,7 % des femmes montrées à l’écran portent des cheveux longs contre 85,3 % en 1990 et 71,1 % en 2000.
19 Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, Paris, Robert Laffont, 1982,1060 p, p. 236.
20 Ibid., p. 236.
21 Les exemples cités entre parenthèses ne sont pas exhaustifs mais simplement cités à titre indicatif.
22 C.R. Haas, Pratique de la publicité, Paris, Dunod, 1983, 515 p., p. 113.
23 Il s’agit ici respectivement de matière grasse allégée, de céréales et de mini-yaourts à boire au réveil.
24 Inspirées et adaptées de Trevor Milium, Images of Women, London, Chatto & Windus, 1975, p. 99.
25 À titre d’exemples, OH peut citer la salopette en 1983, les pamtatems cigarettes en 1990 et les pantalons très larges en 2000).
26 Cette représentation du foyer ne dépasse pas les 42 %. Ce pourcentage est corroboré par l’étude de Guy Cumberbatch, Sam Woods, Olga Evans, Nick Irvine, « TV advertising and sex-role stereotyping: A Content Analysis”, Broadcasting Standards Council Research Working Paper IX, 33 p., p. 27.
27 En 1990, les dunes de gypse du site de White Sands au Nouveau Mexique pour Cadbury’s, le désert d’Arabie pour Turkish Delight, l’île paradisiaque de Bounty ; en 2000, les paysages italiens pour Dolmio et Kenco, les États-Unis pour Sunny Delight et la plage tropicale pour M&M’s.
28 D’après Muriel Cassel, Etude sociologique des messages publicitaires télévisés en Angleterre, Thèse de doctorat de l’Université de Paris III, 1999, 538 p - 274 p., p. 254.
29 A.C. Downs, S.K. Harrison, “Embarrassing age spots or just plain ugly? Physical attractiveness stereotyping as an instrument of sexism on American television commercials”, Sex Roles, 13, pp. 9-19.
30 Diane Barthe, op.cit., p. 62.
31 Anthony J. Cortese, Provocateur Images of Women and Minorities in Advertising, Oxford, Rowman & Littlefield, 1999, p. 43.
32 Guy Gumberbatch, op.cit., 33 p.
33 Cet élément est confirmé tant pour les hommes que pour les femmes par le travail de Barrie Gunter, op.cit., p. 138.
34 Nicolas Riou, Pub fiction. Société postmoderne et nouvelles tendances publicitaires, Paris, Les Editions d’Organisation, 1999, 183 p., p. 9.
35 Voir Jessie S. Bernard, The Female World, New York, The Free Press, 1981, 614 p.
Auteur
Université de Lyon III - Jean Moulin
Maître de conférences à l’université de Jean Moulin-Lyon III. Elle s’intéresse à la sociologie des femmes, à la communication de masse et aux médias, à l’image fixe et en mouvement, à la publicité sous ses formes économiques, politiques et sociales.
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