La jeunesse en République fédérale d’Allemagne au début des années cinquante
Éléments d’un portrait
p. 153-166
Texte intégral
1Dans la société allemande des années cinquante, le problème de la jeunesse était loin d’avoir l’acuité qu’il connaîtra à partir de la seconde moitié des années soixante. Comparée à la masse d’études, de diagnostics et de pronostics qui analyseront, à partir de 1968 notamment, les aspirations, les perspectives, les valeurs et les refus de la jeune génération, la « littérature » sur la jeunesse est relativement peu abondante dans la première décennie qui suit la fin de la guerre. Il existe malgré tout un certain nombre de travaux et de témoignages intéressants, qui nous permettent de nous faire une idée de la situation des jeunes Allemands en RFA à cette époque.
Que disent les sondages ?
2Une des enquêtes les plus vastes et les plus sérieuses sur la jeunesse allemande au début des années cinquante a été entreprise par l’Institut d’opinion publique EMNID en 19541. Elle faisait suite à un sondage plus restreint datant de 1953 et portait sur environ 1500 jeunes. La composition de cet échantillon de population correspondait assez précisément à celle de la totalité des classes d’âge de 15 à 25 ans dans la société ouest‑allemande de l’époque, pour ce qui était de la répartition par âge, par sexe, domicile, statut social, etc. Un paramètre supplémentaire permettait de tirer des conclusions intéressantes en distinguant les réponses des jeunes dont les familles étaient originaires du territoire de la RFA de celles des jeunes dont les familles ne s’étaient établies en Allemagne de l’Ouest que depuis 1945 (expulsés ou réfugiés). Signalons tout de suite que les réponses des jeunes de ce second groupe dénotent une tendance très nette à privilégier les valeurs de sécurité, de stabilité et d’ordre.
Sociabilité et loisirs
3La manière dont les jeunes occupent leurs loisirs est particulièrement révélatrice de leurs goûts et de leurs tendances, car elle correspond le plus souvent à des choix, tandis que la vie scolaire et professionnelle est pour l’essentiel déterminée du dehors.
4Interrogés sur leurs activités de loisirs préférées, près de la moitié des jeunes (51%) mentionnent des formes de loisirs solitaires. Pourtant, près des deux tiers ont déclaré qu’ils avaient au moins un ami ou une amie. Parmi ces loisirs, la lecture tient la première place (35% des réponses)2. Elle est davantage prisée par les filles (42%) que par les garçons (27%). Viennent ensuite, dans l’ordre, les « hobbies » (29%), les activités artistiques (9%) et les activités destinées à accroître leur culture (3%).
5Pour ce qui est de la lecture, une autre série de questionnaires3 montre la très grande place qu’y tient la littérature « légère », romans d’amour ou d’aventures, lorsqu’il ne s’agit pas, tout simplement, de « Leseheftchen ».
641% préfèrent les loisirs collectifs, principalement la pratique d’un sport ou les randonnées (32% au total ; 45% chez les garçons, 19% chez les filles). Parmi les autres mentions, citons les « discussions et jeux » (10%), la « danse, le flirt et les distractions » (5%) et les voyages (1%). La radio et la télévision sont nommées comme occupation de loisir favorite par 7% des jeunes, le cinéma par 6%, le théâtre et les concerts par 1% seulement, tandis que 3 % préfèrent simplement se reposer4.
7Au total, c’est l’image d’une jeunesse plutôt casanière et « sage » qui se dégage de ces réponses. Parmi ceux qui indiquent qu’ils aiment la danse (sans mentionner forcément la danse comme distraction favorite), c’est-à-dire 82% des filles et 53% des garçons, la valse et le tango jouissent d’une faveur très marquée (respectivement 20 et 18%), alors que les danses « modernes », comme le boogie‑woogie et le jitterbug ne recueillent que 2% des voix5.
8Un seul point noir : 60% des jeunes interrogés déclarent préférer des boissons alcoolisées, contre 36% d’amateurs de limonade, de coca‑cola et autres boissons non alcoolisées6.
9Dans une société à peine sortie de douze années de dictature où toutes les catégories de la population, et particulièrement la jeunesse, s’étaient trouvées enrégimentées dans des organisations étatiques et soumises à l’endoctrinement idéologique, il était intéressant de connaître l’opinion et l’attitude des jeunes à cet égard.
10Il semble que le traumatisme ait été surmonté rapidement et que les leçons du passé aient été vite oubliées par une bonne partie de la jeunesse. En 1954, 36% des jeunes font partie d’une association de jeunesse. Si l’on y ajoute ceux qui ne font partie d’aucune association, mais qui aimeraient adhérer s’ils en avaient la possibilité, les réponses positives à l’égard des organisations atteignent 58%. Sur ces 58%, 24% s’intéressent à des organisations de jeunesse sportives, 12% à des organisations confessionnelles, 9% à des groupes se consacrant à des activités comme par exemple le chant choral, 7% à des mouvements de jeunesse du type scoutisme, 4% à des clubs d’excursionnistes. En revanche, seulement 4% sont intéressés par des mouvements de jeunesse politiques et 2% par des organisations syndicales7.
11Plus qu’une nostalgie des « jeunesses hitlériennes », il faut sans doute voir dans cet engouement pour les mouvements de jeunes la survivance de la tendance traditionnelle de la jeunesse allemande à mener une intense vie associative, Pourtant une réponse donne à réfléchir : interrogés sur le point de savoir s’ils étaient en faveur d’une multitude d’organisations de jeunesse indépendantes ou d’une organisation unique sous la tutelle de l’État, 25% des jeunes se sont prononcés en faveur de l’organisation d’État (67% contre). Les chiffres correspondants étaient en 1953 : 23% pour, 70% contre8. Il y a là un solide noyau de nostalgiques d’un État plus fort, plus autoritaire, sinon totalitaire, qu’on retrouve aussi dans les réponses faites à d’autres questions,
Les jeunes et les puissances éducatives
12En 1954, 85% des jeunes de 15 à 25 ans interrogés vivent au domicile familial : 22% dans une famille incomplète, 63% dans une famille où les deux parents sont présents9. Cette cohabitation ne semble pas poser trop de problèmes, ni être trop pénible. En effet, dans la plupart des cas des relations de confiance semblent exister : 54% des jeunes déclarent pouvoir s’adresser, en cas de problèmes moraux, aux parents (en particulier à la mère, dont le rôle paraît plus important que celui du père, sans doute trop absent). Indice encore plus révélateur d’une vie familiale peu perturbée : 86% des jeunes se déclarent décidés à avoir des enfants à leur tour et 70% à élever plus tard leurs enfants de la même manière qu’ils ont été élevés eux‑mêmes. Seulement 15% veulent les élever autrement, dans le sens « d’une plus grande indépendance », « d’une meilleure instruction », avec « plus d’amour, de bonté et de confiance mutuelle »10.
13Lorsqu’on demande aux jeunes quel modèle ils se proposent de suivre dans la vie, leurs réponses marquent une très forte dispersion. 40% des jeunes ne peuvent pas donner de réponse à la question. Pourtant, parmi les réponses, le pourcentage le plus fort va aux parents (24%), suivis par le groupe des autres éducateurs, pasteurs, curés, professeurs, supérieurs dans le travail, etc. (12%) ; 9% vont chercher leur modèle parmi des artistes connus, 5% parmi les gloires sportives, 9% se répartissent entre diverses autres catégories11.
14On n’est donc pas étonné de constater que les jeunes ne mettent pas non plus en question l’enseignement qu’ils reçoivent. Parmi les jeunes qui fréquentent encore l’école (10% de l’échantillon interrogé), les trois quarts estiment que l’école leur apprend exactement ce dont ils ont besoin ; 10% se plaignent de trop apprendre, 10% de n’apprendre pas assez12.
15On retrouve les mêmes réactions chez ceux qui exercent déjà une activité professionnelle. Ils sont 79%, parmi lesquels 45% qui ne trouvent rien à redire au travail qui leur est demandé, contre 25% qui s’en plaignent pour diverses raisons13.
Attitudes politiques
16Plusieurs questionnaires ont directement ou indirectement trait aux attitudes politiques des jeunes. Priés de nommer la personnalité qu’ils admirent le plus, 37% des jeunes citent des noms d’hommes d’État ou de militaires, 16% des philosophes, inventeurs, écrivains et musiciens, 59% des personnages de l’antiquité ou du moyen‑âge, 2% des sportifs (7% de réponses diverses).
17Les personnalités les plus citées sont, dans l’ordre : Bismarck 13%, Frédéric II de Prusse 6%, Adolf Hitler 5%, Goethe 4%, Hindenburg 3%, Luther 3%14. Il est intéressant de regarder de plus près les motivations indiquées : il apparaît qu’en général ce n’est pas la personnalité ou le caractère des grands hommes cités qui les désigne à l’admiration des jeunes, mais leur rôle et ce qu’ils ont fait pour la grandeur de l’Allemagne : c’est ce qui explique le bon classement de Bismarck, de Frédéric Il... et d’Adolf Hitler.
18Les jeunes de sexe masculin ont été plus nombreux à citer Adolf Hitler que les filles (6% contre 3%), les 21‑25 ans (6%) plus nombreux que les 15‑18 ans (3%), les enfants de familles originaires d’Allemagne de l’Ouest (5%) plus nombreux que les enfants de réfugiés et d’expulsés (4%)15.
19Même si les réponses à cette question ne permettent que partiellement une interprétation en termes de préférences politiques, les choix effectués sont néanmoins inquiétants. D’autres questionnaires permettent de préciser et de nuancer cette opinion.
20Parmi les jeunes interrogés, 42% (57% des garçons, 27% des filles) déclarent s’intéresser à la politique. Cet intérêt croît avec l’âge, la taille des agglomérations, le statut social de la famille et le degré d’instruction16. En revanche, 57% avouent qu’ils ne s’intéressent pas à la politique et ils expliquent principalement ce désintérêt en affirmant que « de toute manière ils n’y comprendraient rien »17.
21Le manque d’intérêt va de pair avec le manque d’information. Peu de jeunes sont capables de nommer correctement plus d’un Land de la République fédérale18, plus d’un territoire situé à l’Est de la ligne Oder‑Neisse19 ou plus d’un ministre du gouvernement fédéral20. Parmi les membres du gouvernement, le plus connu est le Chancelier Adenauer, mentionné par 61% des jeunes.
22À la question : « Pensez‑vous que le gouvernement fédéral fait tout ce qu’il faudrait en faveur de la jeunesse ? », une majorité de 47% répond par l’affirmative. Les réponses négatives sont pourtant en augmentation par rapport à 1953 et passent de 41% à 45%21. Ces mécontents attendent du gouvernement fédéral surtout un accroissement des efforts en faveur de l’éducation et de la formation professionnelle, ainsi qu’une augmentation de l’aide aux activités sportives et culturelles22.
23D’une manière générale, l’attitude des jeunes vis‑à‑vis du système politique en place à Bonn est positive. 73% (contre 71% l’année précédente) portent un jugement positif sur leur État et se déclarent prêts à soutenir cette opinion dans une discussion. À remarquer que parmi les enfants de réfugiés le pourcentage des réponses positives n’atteint que 69%23. Mais cet engagement peut être plus ou moins fort. Si on met d’un côté ceux qui se montrent résolument favorables (33%), de l’autre ceux qui sont résolument contre (21%), on trouve un groupe de 40% d’indécis qui expriment une opinion très nuancée24.
24Cette attitude politique est cernée de plus près par une batterie de questions supplémentaires. Interrogés pour savoir s’ils estiment que chaque citoyen doit se sentir concerné par la politique de son pays ou s’il doit s’en remettre aux hommes qui sont au pouvoir, 60% seulement sont pour une participation des citoyens25 et 37% des jeunes interrogés estiment qu’il vaut mieux s’en remettre aux hommes politiques et à eux seuls. Pourtant le pourcentage des partisans de la participation est passé de 57 à 60% entre 1953 et 1954.
25Ce qu’on peut interpréter comme un vieux fond d’apolitisme et de soumission à l’autorité ressort encore mieux des réponses à la question suivante : « Comment jugez‑vous l’affirmation suivante : les jeunes n’ont pas à critiquer les ordres, mais à obéir ? », 51% des jeunes se sont déclarés d’accord avec cette assertion (dont 12% sans aucune restriction) ; 47% sont contre (dont 17% résolument)26.
26Interrogés sur leur opinion au sujet du national‑socialisme, 50% des jeunes expriment des jugements exclusivement négatifs (contre 43% en 1953). Ces jugements concernent principalement l’absence de liberté (22%), le racisme (9%) et le militarisme (5%). Mais il y a aussi 11% d’opinions positives, tandis que pour 1% les aspects positifs et négatifs s’équilibrent. 36% des jeunes interrogés ne répondent pas à cette question. On peut certainement dire, en l’occurrence, que la Vergangenheitsbewältigung, la liquidation des fantômes du passé, a encore des progrès à faire, puisque seulement un jeune Allemand sur deux condamne le national‑socialisme.
27Un autre questionnaire intéressant pour connaître les attitudes politiques de la jeunesse en RFA en 1954 concerne leurs opinions au sujet des tâches prioritaires de la politique allemande. Dans le domaine de la politique extérieure, une majorité de réponses classe en tête la réunification du pays (43%), 24% le problème de la garantie de la paix, 8% la réconciliation en Europe. 2% demandent au gouvernement d’œuvrer en priorité en faveur du réarmement, 1% demande qu’il œuvre contre ce réarmement. Parmi ceux qui se sont prononcés en faveur du régime, aucun (0%) ne considère la lutte contre le réarmement comme une tâche prioritaire27.
28En politique intérieure (au total 17% des réponses), les problèmes économiques sont au premier plan (8%), suivis des problèmes sociaux (6%). Les tâches culturelles ne sont considérées comme prioritaires que par 1% des jeunes28.
29Une dernière question sur les orientations politiques est particulièrement intéressante, compte tenu de la date du sondage : elle concerne le problème du réarmement et de l’attitude de la jeunesse à l’égard de ce problème. La question est posée de manière très concrète, d’abord sous la forme : « Aimeriez‑vous être soldat ? » La proportion globale (parmi les jeunes de sexe masculin) des réponses affirmatives est de 27% (28% en 1953). Cette proportion décroît avec l’âge (32% chez les jeunes de 15 à 18 ans, 23% parmi ceux de 21 à 25 ans). Elle est plus forte dans les communes rurales (35%) que dans les villes (22%). Parmi les jeunes originaires d’Allemagne de l’Ouest, la proportion de oui est de 26% contre 33% chez les jeunes issus de familles de réfugiés ou expulsés. Enfin, elle est nettement plus forte chez ceux qui se sont déclarés en faveur de la République fédérale (39%) que chez ceux qui refusent cet État (14%) ou chez les indécis (26%)29.
30La seconde question était : « Accepteriez‑vous d’être soldat dans certaines conditions ? ». Elle n’a été posée qu’à ceux qui avaient répondu non à la précédente question (71%) : 36% ont répondu par oui (42% en 1953), 34% non. Si on additionne ceux qui aimeraient porter les armes et ceux qui accepteraient de le faire dans certaines conditions, on arrive au total de 63%. Un tiers des jeunes Allemands interrogés ne veut devenir soldat sous aucun prétexte ; les autres le feraient avec plaisir ou en « cas d’agression contre le pays » (16%), ou pour « libérer la zone d’occupation soviétique » (3%)30. Cependant, le nombre de ceux qui répondent « ohne mich » est en augmentation.
31L’attitude des jeunes vis‑à‑vis de l’étranger et de leur propre nation est éclairée par deux questionnaires31. Le premier pose la question de savoir si les Allemands peuvent apprendre quelque chose des autres peuples : 70% des jeunes répondent affirmativement, 24% par la négative (29% en 1953). Ils classent les pays pouvant servir de modèles dans l’ordre suivant : États-Unis (27%), Angleterre (11%), Suisse (7%), France (5%), Suède (3%), Russie (sic) (2%), Hollande (1%). À la question parallèle : les autres peuples pourraient‑ils prendre exemple sur les Allemands ? 80% répondent par oui (13% par non).
32Pour ce qui est des domaines dans lesquels les nations étrangères pourraient servir de modèles aux Allemands, les réponses mettent en tête les réalisations dans les secteurs de l’économie, des prestations sociales et de la technique. On cherche des modèles de réussite matérielle, non des modèles politiques, des exemples de démocratie. En revanche, lorsqu’il s’agit des domaines où l’Allemagne pourrait servir de modèle, ce qui vient en tête ce sont des traits du « caractère national allemand » : ardeur au travail (28%), amour de l’ordre et talent d’organisation (8%), idéalisme et courage (7%)32. Les jeunes reproduisent ici l’autostéréotype le plus traditionnel des Allemands.
33Les deux derniers questionnaires que nous analyserons33 cherchent à cerner les rêves et les espoirs des jeunes Allemands. « Si on vous donnait mille marks à dépenser à votre guise, qu’en feriez‑vous ? ». à cette question précise, les réponses sont, elles aussi, sans ambiguïté : 52% dépenseraient cette somme immédiatement pour acheter des biens de consommation (vêtements, véhicules, mobilier, trousseau), 25% l’utiliseraient pour assurer leur avenir (logement, épargne, études, etc.), 12% feraient un voyage et seulement 7% songeraient à soulager quelque misère autour d’eux.
34Interrogés pour savoir quel vœu ils exprimeraient si une bonne fée leur proposait de réaliser sur le champ leur souhait le plus cher, les jeunes donnent des réponses qui ne nous étonnent plus : 43% exprimeraient des souhaits matériels immédiats (par exemple, beaucoup d’argent), 12% des vœux concernant leur avenir familial, 8% songeraient d’abord à leur avenir professionnel ; 2% demanderaient à pouvoir retourner dans leur patrie perdue et 1% souhaiterait la réunification de l’Allemagne.
35Cette jeunesse, décidément, ne place pas ses rêves très haut. Les questions politiques et les problèmes de société ne l’intéressent guère. Elle songe surtout à assurer son propre avenir, à réussir sa vie personnelle et professionnelle. Elle est prête à accepter l’ordre établi, les choix politiques des adultes et tout leur système de valeurs dans la mesure où cette société lui garantit la sécurité, le bien‑être et un espoir de progrès matériel.
36Conformisme et matérialisme sont les traits les plus frappants qui se dégagent de ce portrait de la génération des 15‑25 ans au début des années cinquante. Faut‑il s’en étonner ? N’est‑ce pas le reflet fidèle du comportement des adultes, de leur acharnement à vouloir effacer le plus vite possible les traces terribles laissées par la guerre, à oublier les blessures morales causées par la défaite, à reconstruire le pays et leur propre existence ?
37Il est d’autant moins étonnant de voir cette jeunesse se conformer aux valeurs du monde adulte qu’elle reste étroitement attachée au milieu familial. On a constaté de manière concordante34 que la famille avait repris au cours de ces années de l’après‑guerre un rôle important. En ces temps de difficultés et d’incertitudes, elle constituait le refuge et le recours par excellence. Son influence éducatrice allait dans le même sens que celle de l’école. Là aussi les principes du travail, de la réussite et de l’ordre avaient été restaurés et élevés au rang de valeurs essentielles.
La restauration du système éducatif
La notion de « restauration », souvent employée pour caractériser l’évolution de la société en République fédérale au cours de la période adenauerienne, s’applique aussi, et peut‑être avec plus de pertinence que dans beaucoup d’autres domaines de la vie publique, au système éducatif.
Pouvait‑on, à vrai dire, faire autre chose que restaurer le système ancien ? Beaucoup estimaient que les temps n’étaient pas bien choisis pour l’innovation et l’expérimentation, notamment à cause des énormes difficultés matérielles dans lesquelles se débattait l’Allemagne au lendemain de la défaite et aussi parce qu’il n’était pas possible de procéder à une véritable concertation avec les différents groupes concernés, notamment les parents et les Églises : une réforme de l’enseignement exige du temps, de la réflexion et des moyens. À cela, d’autres répliquaient qu’il fallait profiter du fait que tout le système éducatif était en ruines, comme les autres institutions de la société allemande, pour construire du neuf. Éternel dilemme de toute période de reconstruction, dont on peut voir les traces dans l’urbanisme d’après-guerre des villes allemandes détruites.
Cette discussion était compliquée par les conditions dans lesquelles se faisait le redémarrage d’une vie réglée en Allemagne : d’abord sur le plan local, sous le contrôle et suivant les directives des puissances occupantes, qui cherchaient à imposer dans leurs zones respectives leurs propres vues et traditions nationales dans le domaine de l’éducation. Mais les occupants ne pouvaient rien faire sans le concours des Allemands eux‑mêmes. Il en est résulté de nombreuses difficultés et disparités, non seulement selon les zones, mais aussi suivant les réactions locales des populations allemandes et de leurs responsables civils et religieux35.
Sur un point, l’accord semblait facile à réaliser : il s’agissait de liquider l’héritage des douze années de dictature, de faire disparaître les institutions et organisations créées pendant ces années et de changer l’esprit de l’enseignement. Mais le désaccord se manifestait dès qu’il s’agissait de savoir jusqu’à quel point il fallait remonter pour extirper les racines du mal. Devait‑on considérer comme « irrécupérables » les éducateurs qui s’étaient mis trop servilement au service de la dictature, les jeunes qui avaient écouté avec trop d’enthousiasme ses mots d’ordre36 ? Pouvait‑on se contenter de rétablir la situation existant avant 1933 ? Ne devait‑on pas considérer que les carences de l’éducation de la jeunesse allemande avant 1933 ont été en partie responsables de la fin pitoyable de la République de Weimar ? La discussion a eu lieu, mais elle n’a guère abouti.
Dans leur grande majorité, les Allemands ne demandaient qu’à renouer avec les traditions d’avant le Troisième Reich. C’est ainsi que les organisations de jeunesse confessionnelles, politiques ou syndicales et les mouvements de scoutisme, qui avaient été interdits en 1933, ont été rapidement reconstitués, De même, les enseignements primaires et secondaires furent rétablis dans les formes connues avant 1933 avec les mêmes programmes pour l’essentiel et souvent avec les mêmes maîtres. Seules les villes‑États comme Brême, Hambourg et Berlin ont mis en chantier des réformes de l’enseignement.
Le Conseil interallié de Contrôle, installé à Berlin, a proclamé dans sa Directive du 25 juin 1947 les principes qui devaient garantir une démocratisation de l’enseignement en Allemagne, une plus grande égalité des chances d’accès à l’éducation, l’unification du système éducatif, le développement de l’instruction civique37. Mais ces instructions sont restées pour l’essentiel lettre morte. De même les recommandations des Ministres de l’Éducation des Länder (des quatre zones d’occupation) réunis en février 1948 n’eurent pas beaucoup d’effets.
Au lieu de la réforme en profondeur, souhaitable et sans doute possible, le système éducatif qui s’est reconstitué sous le régime d’occupation puis consolidé dans les premières années de la République fédérale, se caractérisait par la restauration des formes et des valeurs traditionnelles, ainsi que par une tendance au particularisme (le domaine de l’éducation étant de la compétence exclusive des Länder). Le « chaos scolaire » qui s’est instauré en Allemagne à cette époque n’a cessé de provoquer des cris d’alarme de la part de la Conférence permanente des Ministres de l’Éducation. Dès 1953, le gouvernement fédéral créa la Commission allemande pour l’éducation et l’enseignement (Deutscher Ausschuß für Erziehungs‑ und Bildungswesen) qui a cherché des voies et moyens pour réformer et rationaliser le système éducatif allemand. Ni le Deutscher Ausschuß, ni le Bildungsrat qui lui a succédé en 1966 n’ont abouti à ce jour.
Les difficultés de l’éducation civique
38Avec le problème de l’unification du système éducatif, c’est sans doute la question de l’éducation civique qui a fait couler le plus d’encre dans la discussion pédagogique en RFA.
39La nécessité, affirmée avec insistance par les puissances d’occupation et admise, semble‑t‑il, par la majorité des Allemands, d’éduquer la jeunesse dans un esprit nouveau, démocratique, afin d’éviter un retour aux errements du passé, s’est heurtée dans la pratique à de fortes oppositions. Beaucoup d’enseignants refusaient de sortir du cadre de leur mission traditionnelle : transmettre du savoir. Dès 1951 un groupe d’experts a lancé dans la « Résolution de Tübingen » une mise en garde : en demandant aux élèves trop de travail, en privilégiant l’acquisition de connaissances, l’école néglige la véritable action éducative et toute vraie vie intellectuelle38.
40La discussion sur l’éducation civique a commencé très tôt39. La première grande conférence (Waldleiningen, 1949) a donné lieu en 1950 à la publication des « principes provisoires de la formation politique ». Mais outre le fait que la plupart des Länder ont interprété ces principes à leur manière, généralement très restrictive, leur mise en œuvre s’est heurtée dans la pratique à de nombreuses difficultés. En tout cas, en 1955, un rapport du Deutscher Ausschuß dresse un bilan très négatif sur la situation en cette matière et se trouve obligé de réaffirmer, en les actualisant et en les précisant, les objectifs de l’éducation civique. C’est seulement à partir de 1960 que cet enseignement a commencé à être pris au sérieux, mais aujourd’hui encore les experts signalent périodiquement les difficultés et les insuffisances d’une discipline manifestement « mal aimée » des enseignants.
41Cette carence de l’éducation civique ne pouvait pas manquer d’influer sur les jugements et attitudes politiques de la jeunesse allemande et de les conforter dans leurs tendances à l’indifférentisme et au conformisme en matière de politique. Elle explique aussi les résultats catastrophiques de toutes les enquêtes faites au cours des années sur les connaissances des jeunes Allemands dans le domaine du civisme40.
Das Treibhaus : le roman d’un échec
42Pour finir, nous allons tenter de proposer une lecture du roman de Wolfgang Koeppen, Das Treibhaus à la lumière de ce qui précède41. Ce roman ne se présente‑t‑il pas clairement comme un tableau de la réalité sociale et politique de la République fédérale au début des années cinquante, vue à travers une intrigue qui a pour cadre la capitale, Bonn. Que le problème de la jeunesse y soit évoqué n’a rien d’étonnant. Pourtant on est surpris par la place que Koeppen lui accorde, alors que d’autres secteurs de la réalité sociale (par exemple le monde rural ou le monde du travail) n’y sont guère représentés.
43Nous ne prétendons pas donner ici une interprétation globale du roman, Une des particularités de l’œuvre de Koeppen – ce qui en fait à la fois l’intérêt et la faiblesse – c’est précisément la richesse foisonnante des thèmes qui s’y entrecroisent. Les références culturelles, bibliques ou mythologiques, les allusions à l’histoire ou à l’actualité s’y pressent et parfois se contrarient, donnant une certaine impression de confusion. En tout état de cause, notre propos ne peut être que de suggérer une lecture possible parmi d’autres.
44Trois générations d’Allemands s’agitent dans la « serre » qu’est Bonn. La première est celle des sexagénaires et septuagénaires : ils occupent les positions dirigeantes et déterminent la vie politique de la république. On y compte le Président (ainsi que son alter ego, son valet de chambre) et le Chancelier, tout comme le chef de l’opposition et le Nestor des journalistes accrédités. La deuxième génération est celle des quadragénaires : Keetenheuve, le héros du roman, en fait partie, ainsi que la plupart de ses compagnons et adversaires politiques. Enfin il y a la génération des 15 à 25 ans qui ne joue aucun rôle actif dans ces événements et qui est pourtant au centre de ceux‑ci.
45Le premier personnage de jeune que nous rencontrons est celui d’Elke, la femme de Keetenheuve. Agée de 16 ans à la fin de la guerre, elle en a donc 24 au moment de sa mort en 1953 quelques jours avant que ne s’ouvre l’intrigue du roman. Née en 1929, elle n’a pour ainsi dire connu que l’Allemagne national‑socialiste. D’ailleurs, en tant que fille de haut dignitaire nazi, elle a profité du régime (elle se souvient des détenus qui sarclaient les allées du parc de la somptueuse villa qu’occupaient le Gauleiter et sa famille). Malgré tout, étant donné son âge, elle ne peut pas être tenue pour responsable des crimes nazis. Pourtant le poids des souvenirs, auquel s’ajoutent les traumatismes provoqués par l’écroulement du régime, les derniers combats, la mort des parents, l’emprisonnement, l’ont profondément marquée. Elle tente de revivre grâce à l’amour de Keetenheuve. Lui aussi l’aime, d’un amour à la fois sensuel et paternel ; il sait tout ce qu’elle a souffert et qu’elle a besoin de lui pour revivre. Pourtant il se laisse accaparer par ses tâches politiques et la néglige, passant son temps à Bonn. Elle tombe aux mains des forces du mal, qui sont aussi les forces du passé (« eine pervertierte Frauenschaftsführerin », TH 19). De déchéance en déchéance, Elke aboutit à la mort. Et Keetenheuve prend conscience qu’il n’a rien fait pour la sauver, qu’en choisissant de se dévouer pour le bien public, il a abandonné le seul être sans doute qui avait vraiment besoin de lui.
46Débarquant de la gare de Bonn, Keetenheuve rencontre un groupe de jeunes dans la salle d’attente. Il s’agit d’écoliers : des jeunes vieillis avant l’âge. Leurs visages n’ont rien de juvénile, ce sont des visages de fonctionnaires : déjà ils ne pensent qu’à leur avancement et à leur carrière. « Eux aussi travaillent beaucoup, comme le Chancelier » (TH 43). Plus tard Koeppen parlera des groupes d’étudiants qui se hâtent vers les « amphithéâtres et les salles de cours peuplés d’arrivistes » (TH 148).
47Les comportements de loisirs de ces jeunes mêlent le morne ennui et la gaîté factice. Traînant dans les rues, les adolescents attendent le début de la séance de cinéma (TH 127‑128). Deux fois par semaine, ils y entrent, le reste du temps ils s’ennuient. Ils attendent que commence la vie et se contentent du pâle et mensonger reflet que leur montre l’écran. D’autres se réunissent dans des bars enfumés. Ils cherchent l’oubli, sans doute l’oubli du vide de leur existence (TH 148). Ils cherchent à s’étourdir, à perdre leur personnalité. C’est leur seule manière de manifester leur opposition à la société. Après cela ils se remettent au travail.
48La société encourage la jeunesse dans ces comportements infantiles, et elle ne le fait pas sans arrière‑pensée. S’attardant devant une vitrine où sont exposées des rapières et d’autres instruments pour duels estudiantins, Keetenheuve songe que ce commerçant vit de l’exploitation des sentiments pubertaires, comme ceux qui proposent aux jeunes des sucreries écœurantes ou des films sentimentaux (TH 119‑120). Pourquoi flatter le goût de l’uniforme, l’agressivité, si ce n’est pour pouvoir jeter ensuite la jeunesse en pâture au Moloch de la guerre ? Nous sommes ici en plein dans le sujet du roman.
49Un deuxième personnage de jeune joue un rôle important dans la vie de Keetenheuve : Lena, âgée de 16 ans en 1953, est une réfugiée de la zone d’occupation soviétique. Son expérience d’enfance englobe aussi la guerre et l’écroulement de l’Allemagne ; mais elle a gardé de cette expérience un farouche désir de vivre et de réussir. Elle a été apprentie mécanicien et veut devenir ingénieur. Elle attend de Keetenheuve qu’il l’aide à réaliser son rêve. Lui, par un renversement des rôles complet, voudrait se « cramponner » à Lena, comme s’il attendait d’elle qu’elle le retienne au bord du gouffre par lequel il se sent irrésistiblement attiré : la mort. Mais Keetenheuve prend conscience de la vanité de cet espoir. Il s’arrache aux bras de Lena et va se jeter dans le Rhin, la seule issue qui lui reste.
50Ce n’est pas par hasard que Koeppen a placé au début et à la fin du roman la rencontre de Keetenheuve avec une femme‑enfant. Au rapport des sexes se mêle indissociablement le rapport des générations. En encadrant ainsi par ces deux rencontres les huit années de vie que son héros a passées à faire de la politique après son retour en Allemagne en 1945, l’auteur veut attirer l’attention du lecteur sur le problème des générations et ouvre ainsi la voie à notre interprétation.
51Le personnage de Keetenheuve, sa psychologie et sa mort, ont valu à Koeppen des remarques critiques de la part de différents commentateurs et non des moindres. C’est ainsi que Marcel Reich‑Ranicki42 estime que Koeppen n’a pas fait un bon choix en confiant à un personnage aussi rongé par le doute, aussi faible, le rôle de champion des bonnes causes dans la jungle bonnoise. Hamlet, Don Quichotte, un « Parcifal pas très pur », tels sont quelques‑uns des rapprochements que le personnage a inspirés à la critique. Mais Koeppen a‑t‑il voulu vraiment montrer la fin tragique d’un valeureux combattant ? Nous ne le croyons pas. Il nous semble que W. Rasch43 est plus près de la vérité lorsqu’il fait remarquer que le sujet du roman n’est pas le conflit qui oppose Keetenheuve au monde politique qui s’agite sur la scène de Bonn, mais l’échec et « l’incapacité d’un représentant de cette génération de laquelle on aurait pu attendre un renouveau »44.
52Cette génération des hommes qui ont la quarantaine vers 1950 (qui est aussi la génération de Koeppen) a failli au début des années trente, car elle n’a pas su éviter l’arrivée au pouvoir d’Hitler. Rentrée d’exil, elle s’est jetée dans le travail, hantée par le désir d’aider, de reconstruire, de panser les plaies, de procurer du pain. Mais elle a échoué une nouvelle fois en ne réussissant pas à s’imposer face à la génération des anciens qui ont pris les rênes en main : ils ont construit la République fédérale sans tenir compte comme il aurait fallu le faire des enseignements d’un passé tragique. La génération de Keetenheuve a échoué aussi – et c’est beaucoup plus grave – en ne sachant pas parler à la jeune génération pour l’attirer de son côté.
53En ce sens le roman de Koeppen est l’histoire d’un échec pédagogique. L’on comprend mieux ainsi les innombrables allusions aux fonctions éducatrices. Pour Elke, Keetenheuve aurait dû être un maître « ein Schullehrer ». Mais il a préféré exercer son magistère à Bonn, où personne ne l’écoutait, plutôt que là où quelqu’un avait besoin de lui. (TH 17, 19). Son malheur, c’est qu’il ne croyait pas à l’éducation (TH 15) et Elke a trouvé quelqu’un d’autre pour lui dire ce qu’elle devait faire.
54Le destin personnel du héros et le destin de sa génération s’entremêlent constamment, de même qu’il y a un va‑et‑vient constant entre la sphère de sa vie publique de député et sa vie privée. À Bonn aussi il est un maître d’école et cherche à donner des leçons dans cette Académie pédagogique où est logé le Parlement (TH 74, 114). Mais il prêche dans le désert.
55Keetenheuve n’a pas réussi à réaliser les rêves de sa propre jeunesse, et il partage ce sort avec la plupart des gens de sa génération. Par un trait d’amère ironie, Koeppen cite, au moment où son héros quitte le Bundestag le lundi soir, les premiers mots d’une chanson qui fut beaucoup chantée dans les mouvements de jeunesse socialistes dans les années vingt : « Mit uns zieht die neue Zeit » (TH 116). Mais où sont passés ces « temps nouveaux » ? Dans l’Allemagne vaincue les « rats se sont cachés dans les ruines » mais ils n’attendent que le moment propice pour ressortir de leurs trous. Keetenheuve ne pouvait qu’échouer. Fait significatif, le dernier combat qu’il livre, en le sachant d’ailleurs perdu d’avance, concerne la question du réarmement allemand, c’est‑à‑dire une décision par laquelle de nouvelles générations de jeunes Allemands risquent d’être envoyées au sacrifice sanglant.
56À l’échec politique s’ajoute l’échec personnel. La faute tragique de Keetenheuve est de n’avoir pas compris qu’il avait une responsabilité envers sa jeune femme. Il aurait dû rester aux côtés de la jeunesse, aux côtés de sa femme, aux côtés de « son enfant » (TH 101, 102). Elle aurait été pour lui la chance d’une autre vie (TH 150), mais il n’a pas su saisir cette chance. Tout cela vaut pour Keetenheuve, en tant qu’individu, mais aussi pour toute sa génération et pour l’Allemagne tout entière. Elle n’a pas su saisir la chance du renouveau : au lieu de miser sur sa jeunesse, elle a préféré transformer les jeunes en vieillards.
57En se jetant dans le Rhin, Keetenheuve tire les conséquences de tous ces échecs : son échec personnel et sa faute qui a coûté la vie à sa femme (« denn er hatte doch gemordet », TH 12), l’échec de sa génération pour imposer sa vision de l’avenir de l’Allemagne, l’échec de l’Allemagne pour trouver la voie d’un renouveau. On conçoit que dans ces conditions l’acceptation d’un poste d’ambassadeur au Guatemala ne pouvait pas avoir été sérieusement envisagée par Keetenheuve.
58Nous n’irons pas plus loin dans l’interprétation du roman de Koeppen, car ce qui nous importait c’était avant tout de retrouver à travers ces différentes approches les éléments d’un portrait de la jeunesse. On a pu se rendre compte que les traits que Koeppen prête aux jeunes qu’il nous montre (à l’exception d’Elke et de Lena qui ont une autre fonction dans le roman) sont tout à fait ceux qui ont été mis en lumière par l’enquête EMNID, C’est une génération froide et calculatrice, désireuse de réussir vite et bien. Mais tout cela va au détriment des valeurs du cœur, de la générosité, de l’idéalisme. C’est une génération « égoïste et sans pitié » (TH 111).
59Nous avons pu montrer déjà à propos du commentaire du sondage que les jeunes reproduisaient essentiellement les comportements de la génération des adultes et des valeurs qu’on leur enseignait dans les écoles. En scrutant les traits de sa jeunesse, la société allemande se voit elle‑même dans un miroir et peut reconnaître ses propres rides et ses propres cicatrices.
60La société allemande, nous dit Koeppen, a laissé passer une chance de renouveau qui ne se présentera plus jamais, parce qu’elle a tout sacrifié à la reconstruction, au rétablissement de sa situation économique et politique dans le monde. Ce faisant, elle a perdu son âme et sacrifié sa jeune génération.
61C’est un des aspects les plus lourds de conséquences de ce qu’on a appelé la « Restauration » en République fédérale d’Allemagne.
Notes de bas de page
1 Jugend zwischen 15 und 25. Zweite Untersuchung zur Situation der deutschen Jugend im Bundesgebiet, EMNID‑Institut für Meinungsforschung, Bielefeld, 1955. Gedruckt im Auftrag des Jugendwerkes der Deutschen Shell, 335 p. (cité : EMNID 55).
2 EMNID 55, tableau 9, p. 139.
3 EMNID 55, tableaux 82‑86, pp. 287‑292.
4 Le total des différentes mentions est supérieur à 100. Cela est dû au fait que certains jeunes interrogés ont indiqué deux choix.
5 EMNID 55, pp. 23‑24.
6 EMNID 55, p. 25.
7 EMNID 55, pp. 26‑27, 130‑133. Cf. également note 4.
8 EMNID 55, tableau 7, p. 134.
9 EMNID 55, p. 50 et tableaux 23‑31.
10 EMNID 55, p. 56.
11 EMNID 55, tableau 21, pp. 171‑175.
12 EMNID 55, p. 62.
13 EMNID 55, p. 62 et tableau 34.
14 EMNID 55, p. 47.
15 EMNID 55, tableau 19, p. 165.
16 EMNID 55, tableau 50, pp. 227‑228.
17 EMNID 55, tableau 52, p. 232.
18 EMNID 55, tableau 58, p. 254.
19 EMNID 55, tableau 59, p. 254.
20 EMNID 55, tableau 60, p. 257.
21 EMNID 55, tableau 61, p. 259.
22 EMNID 55, tableau 62, p. 260.
23 EMNID 55, tableau 56, pp. 246‑247.
24 EMNID 55, p. 335.
25 EMNID 55, tableau 54, pp. 239‑240.
26 EMNID 55, tableau 53, pp. 235‑237.
27 EMNID 55, tableau 55, pp. 241‑243.
28 EMNID 55, tableau 57, pp. 248‑249.
29 EMNID 55, tableau 63, p. 263.
30 EMNID 55, tableau 65, pp. 266‑267.
31 EMNID 55, tableaux 66‑70, pp. 269‑278.
32 EMNID 55, tableau 70, pp. 275‑277.
33 EMNID 55, tableaux 17 et 18, pp. 157‑164.
34 Cf. Andreas Flitner u. Günther Bittner, Die Jugend und die überlieferten Erziehungsmächte , München, Juventa Verlag, 1965.
35 Cf. Angelika Ruge‑Schatz « Le revers de la médaille. Contradictions et limites de l’apport culturel du gouvernement militaire français en Allemagne », in J. Vaillant, La dénazification par les vainqueurs, Lille, Presses Universitaires de Lille, 1981, pp. 105‑120. On y trouve notamment un intéressant échange de correspondance entre le gouvernement militaire français et l’évêque de Mayence.
36 Cf. Henri Humblot, « La jeunesse en Wurtemberg du Sud », in : J. Vaillant, op. cit. pp. 37‑51.
37 Cf. Theodor Wilhelm, Pädagogik der Gegenwart, Stuttgart, Kröner, 1963, p. 461.
38 Ibid. p. 210.
39 Nous avons pu consulter le seul travail en français, malheureusement encore inédit, qui fasse le point sur cette question. Aloysius Schumacher, L’instruction civique en RFA. Facteur d’intégration ou de contestation de la société ouest‑allemande, Thèse. Université de Paris 1, 1977.
40 Cf. A Schumacher, op. cit. pp. 65‑67.
41 Nous citons le roman de Wolfgang Koeppen d’après l’édition de poche, Suhrkamp taschenbuch Nr. 78, 4. Aufl. Frankfurt/M. 1972 (dans le texte en abrégé TH, suivi du numéro de la page).
42 M. Reich‑Ranicki, « Der Zeuge Koeppen » in : U. Greiner (Hg.) Uber Wolfgang Koeppen, Frankfurt/M, Suhrkamp, 1976, p. 144.
43 Wolfdietrich Rasch « Wolfgang Koeppen », in : U. Greiner, op. cit. pp. 198‑222, en particulier p. 212.
44 Ibid. p. 213.
Auteur
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Médiations ou le métier de germaniste
Hommage à Pierre Bertaux
Gilbert Krebs, Hansgerd Schulte et Gerald Stieg (dir.)
1977
Tendenzen der deutschen Gegenwartssprache
Hans Jürgen Heringer, Gunhild Samson, Michel Kaufmann et al. (dir.)
1994
Volk, Reich und Nation 1806-1918
Texte zur Einheit Deutschlands in Staat, Wirtschaft und Gesellschaft
Gilbert Krebs et Bernard Poloni (dir.)
1994
Échanges culturels et relations diplomatiques
Présences françaises à Berlin au temps de la République de Weimar
Gilbert Krebs et Hans Manfred Bock (dir.)
2005
Si loin, si proche...
Une langue européenne à découvrir : le néerlandais
Laurent Philippe Réguer
2004
France-Allemagne. Les défis de l'euro. Des politiques économiques entre traditions nationales et intégration
Bernd Zielinski et Michel Kauffmann (dir.)
2002