1866 l’année du destin
p. 51-59
Texte intégral
1La guerre austro-prussienne de 1866 a eu des consequences incalculables pour l’Allemagne, la Monarchie autrichienne et l’ensemble de l’Europe en donnant une réponse définitive à la question posée par le parlement de Francfort en 1848 qui, dominé par une vaste majorité libérale-nationale, songeait à réunir tous les Allemands dans un même État. Cette solution était incompatible avec le maintien d’un Empire d’Autriche peuplé non seulement d’Allemands, mais aussi de Hongrois, de Slaves et d’Italiens.
Les débats de 1848
2Le Parlement préparatoire (Vorparlament) en convoquant une Assemblée constituante élue au suffrage universel à raison d’un député pour 50.000 habitants délimita par avance les contours de la Fédération en invitant des représentants de la Prusse orientale (qui ne faisait pas partie de la Confédération germanique), du Schleswig-Holstein, de la Bohême-Moravie et de l’Autriche. Si le comité central viennois constitué à la suite de la révolution du 13 mars 1848 se prononça pour le respect de l’intégrité de l’Autriche, il accepta néanmoins d’envoyer des représentants à Francfort le 18 mai 1848 dans l’église Saint-Paul, qui devint le symbole du parlementarisme allemand. Les 880 députés, en majorité des bourgeois et des intellectuels, regroupés en clubs (libéraux-conservateurs, droite conservatrice, gauche démocratique) se trouvèrent confrontés au problème de la place à donner à l’Empire d’Autriche dans le nouvel État fédéral. Deux questions se posèrent rapidement : quelle place accorder aux Tchèques si l’on incluait la Bohême et la Moravie dans le Reich ? Devait-on opter pour une Petite-Allemagne à direction prussienne excluant l’Autriche ? Si l’on intégrait l’Empire d’Autriche que devait-on faire en particulier de la Hongrie, qui n’avait jamais appartenu à la Confédération germanique et qui était prête à conquérir son indépendance ?
3C’est pourquoi le Parlement de Francfort vit naître la première crise germano-tchèque. Se référant à la tradition du Saint Empire, selon laquelle la Bohême et la Moravie faisaient partie du Reich, le président de la Commission des cinquante, Soiron, invita Palacky à prendre la tête d’une délégation tchèque qui assisterait aux travaux de l’assemblée. Celui-ci dissipa toute équivoque en envoyant une réponse négative courtoise mais ferme dès le 11 avril, qui peut être considérée comme le texte fondateur de l’austroslavisme : il ne se sentait pas allemand, mais tchèque et il demeurait fidèle à sa petite nation ; comme le Parlement de Francfort préparait l’avènement d’une Grande-Allemagne dont la Bohême ne faisait pas partie, Palacky, contre les idéaux pangermanistes professés par certains députés de l’église Saint-Paul, prenait la défense d’un Empire d’Autriche rénové, libéral, où les Allemands pourraient vivre en paix avec les Slaves, qui n’auraient désormais plus rien à craindre de l’impérialisme russe et du panslavisme.
4Il terminait sa lettre en souhaitant la création de deux États : une Allemagne fédérale indépendante, unie étroitement à l’empire d’Autriche, seul garant de la liberté des différentes nationalités qui le constituaient.
En vérité si l’Empire d’Autriche n’existait pas depuis bien longtemps il faudrait, dans l’intérêt de l’Europe et dans l’intérêt de l’humanité, se dépêcher de le constituer
5ce qui voulait dire qu’il fallait maintenir l’empire des Habsbourg pour empêcher le nationalisme allemand de transformer l’Autriche en une province du nouvel État fédéral et pour contrer le panslavisme. Dans la même lettre il ajoutait
pour le salut de l’Europe Vienne ne doit pas tomber au rang d’une capitale provinciale
6se déclarant prêt à collaborer à
toutes les mesures qui contribueraient à maintenir l’indépendance, l’intégrité et la puissance de l’Autriche en particulier vis-à-vis de l’Est.
7Tous les délégués tchèques du Comité National suivirent Palacky ; ainsi naquit l’austroslavisme qui provoqua le divorce avec une partie des Allemands de Bohême : ceux des villes frontières (Eger, Karlsbad, Reichenberg) se prononcèrent en effet pour la participation aux élections, l’envoi de députés à Francfort et l’intégration du royaume de Bohême dans la Grande-Allemagne. Et l’assemblée de Francfort ne tarda pas à se diviser sur la place qu’il fallait accorder aux Tchèques dans leur propre pays. Si un projet du député de Gratz, Marek, reconnaissait aux minorités les mêmes droits politiques qu’aux citoyens allemands, ainsi que l’utilisation de leur langue dans l’administration communale, l’enseignement et la justice, l’immense majorité des députés de Francfort considérait la formation d’un gouvernement provisoire à Prague comme une trahison et bientôt la bourgeoisie allemande de Bohême refusa à ses compatriotes tchèques l’égalité des droits, position que résume assez bien l’intervention du député morave Giskra le ler juillet 1848 devant l’assemblée de Francfort :
C’est par la force que le tchéquisme devait être contenu et réprimé. Et ce serait un crime contre tous les droits de l’humanité si en Bohême, en Moravie, en Silésie on allait sacrifier une civilisation reposant sur une culture allemande à un nouvel essai d’organisation politique. Non je ne pourrais pour ma part admettre ces vues cosmopolites et j’attends de vous, Messieurs, qui siégez dans une ‘Assemblée allemande’ que vous ne les admettiez pas non plus. Ce ne serait d’ailleurs pas seulement l’évolution morale, mais encore la prospérité des territoires allemands qui se trouverait menacée. Je suis le porte-parole et l’ami de nombreux industriels qui connaissent le danger dont ils sont menacés si la Bohême constituant un État englobant la Moravie et la Silésie s’isolait par des barrière douanières.
8Le propos de Giskra avait le mérite de poser clairement le problème : l’existence d’une Bohême indépendante était contraire aux intérêts fondamentaux de la minorité allemande, qui représentait à cette date moins de 40% de la population totale du royaume et cette thèse sera répétée inlassablement durant un siècle jusqu’à son expulsion en 1945. Cette harangue n’est pas un discours de circonstance mais l’expression des aspirations profondes de ceux qu’on appellera plus tard les Sudètes qui croient en toute bonne foi être supérieurs aux Tchèques.
La rivalité austro-prussienne
9La rivalité austro-prussienne, déjà visible dans le compromis que représentait en 1815 la création de la Confédération germanique, se manifesta à nouveau. En 1849, le roi de Prusse Frédéric-Guillaume IV se voyait, après le triomphe de la réaction, à la tête d’une Allemagne à direction prussienne ou “Union restreinte” constituée par les chefs d’État allemands (et non par une assemblée populaire) à laquelle on associerait l’Autriche a posteriori, quitte à offrir à François-Joseph la présidence de l’union élargie. C’était compter sans la détermination du nouveau Président du Conseil (Ministerpräsident) autrichien, le prince Félix Schwarzenberg, l’homme fort du gouvernement autrichien qui venait d’écraser la révolution à Prague, à Milan et à Vienne en attendant de reconquerir la Hongrie qui avait fait sécession. À la note prussienne du 10 mai 1849 qui exposait ce plan, Schwarzenberg fit une réponse dilatoire qui ménageait l’avenir et lui laissait le temps de régler de manière satisfaisante les affaires hongroises et italiennes, c’est-à-dire d’écraser les Honved et l’armée piémontaise. Au cours de l’automne 1849, la Prusse dut faire face à une coalition d’États allemands (Bavière, Saxe, Wurtemberg, Hanovre) qui redoutaient l’hégémonie prussienne. Au printemps 1850, le monde germanique était partagé en deux camps : d’un côté les États qui, derrière la Prusse, souhaitaient l’Union restreinte, de l’autre les États qui, avec l’Autriche, voulaient rétablir la Confédération germanique telle qu’elle avait fonctionné de 1815 à 1848 et qui pour cela acceptèrent l’invitation adressée par François-Joseph de se réunir à Francfort le 1er mai 1850.
10Le conflit entre la Prusse et l’Autriche éclata à propos de la Hesse-Cassel lorsque le Grand-duc, contesté par ses sujets, demanda l’intervention de la Confédération, ce qui était parfaitement légal. Mais comme la Confédération ne possédait pas d’armée, elle chargea l’armée bavaroise de rétablir le Grand-duc dans la plénitude de ses droits, ce qui provoqua la réaction de la Prusse. Celle-ci, se sentant menacée dans ses intérêts vitaux puisque le territoire de la Hesse-Cassel séparait la Prusse rhénane du reste du royaume, dénia à la Confédération germanique toute ingérence dans les affaires d’un État membre de l’Union restreinte. En octobre, l’Autriche se prépara à la guerre ; François-Joseph rencontra à Bregenz les rois de Bavière et de Wurtemberg et arrêta un plan de campagne au cas où la Prusse s’opposerait à l’intervention bavaroise en Hesse-Cassel. Comme la Russie de Nicolas Ier appuyait l’Autriche contre la Prusse et que celle-ci occupa la Hesse le 25 octobre on put croire un instant la guerre austro-prussienne inévitable. L’Autriche était alors dans une positon de force qu’elle ne retrouva jamais plus ; en face d’une Prusse profondément divisée isolée diplomatiquement, ne disposant que de 50.000 hommes, l’Autriche outre le soutien de tous les États allemands et de la Russie avait concentré 130.000 hommes en Bohême.
11Schwarzenberg qui, avec l’État-major impérial, souhaitait éviter une guerre fratricide imposa un compromis honorable pour les deux parties, que l’on a appelé à tort reculade d’Olmütz. Le 2 novembre 1850 Frédéric-Guillaume IV prononça la dissolution de l’Union restreinte, décréta la mobilisation générale en Prusse, mais envoya le général Manteuffel, Président du Conseil prussien, négocier avec Schwarzenberg à Olmütz en Moravie. L’entrevue du 27 novembre entre Manteuffel et Schwarzenberg aboutit à un accord. La Prusse accepta d’évacuer la Hesse-Cassel, de démobiliser son armée et de participer à la conférence de Dresde, afin de réorganiser la Confédération germanique. Le Premier ministre bavarois tira sur le champ les conclusions de l’apparent succès autrichien : le conflit pour l’hégémonie en Allemagne est tranché et l’Autriche a perdu. La conférence de Dresde (avril 1851) adopta la restauration pure et simple de la Confédération germanique. En raccommodant la vieille Confédération germanique le cabinet de Vienne avait adopté une solution de facilité mais elle devenait un obstacle à deux forces croissantes en Allemagne le sentiment national unitaire et l’impérialisme prussien. La détente entre Vienne et Berlin masquait mal l’antagonisme persistant entre les deux grandes puissances allemandes.
L’évolution de la situation en Allemagne (1862-1865)
12À partir de 1860, l’Autriche essuya une série de revers diplomatiques et vit sa position menacée dans la Confédération germanique, alors que la Prusse était depuis 1862 dirigée d’une main ferme par Bismarck qui ne cachait pas son dessein de réaliser l’unité allemande sous la direction des Hohenzollern. L’entourage de François-Joseph était désormais persuadé qu’un conflit austro-prussien était inéluctable. Rechberg, qui avait succédé à Buol-Schauenstein au ministère des Affaires étrangères, pensait qu’il fallait se garder de tout geste inamical à l’égard de la Prusse tant que l’Empire d’Autriche n’aurait pas reconstitué ses forces et modernisé son armée après la défaite de Solférino (1859). François-Joseph s’imaginait que la constitution autrichienne de février 1861 séduirait la bourgeoisie libérale et favoriserait une Grande-Allemagne à direction autrichienne. Pourtant les intellectuels comme Treitschke, Heinrich Sybel, Lassalle, continuaient à défendre la Petite-Allemagne et n’avaient pas de mots assez durs pour l’Autriche ; celle‑ci trouvait tout de même des défenseurs dans les milieux catholiques d’Allemagne du sud qui redoutaient une Allemagne unifiée protestante à direction prussienne. Le président du Conseil autrichien Schmerling, lui aussi partisan d’une Grande-Allemagne autour de l’Autriche, voulait soutenir les princes allemands dans leur résistance à l’impérialisme prussien. Contre Rechberg, il s’appuyait sur le baron de Biegeleben, un Hessois passé au service de l’Autriche qui dirigeait la section allemande au ministère des Affaires étrangères et prônait la fermeté afin de ramener la Prusse à la modeste place qu’elle occupait en 1740 avant les conquêtes de Frédéric II. Il souhaitait, pour y parvenir, s’appuyer sur la France en utilisant les bons rapports qu’entretenait avec Napoléon III le prince Richard de Metternich, ambassadeur d’Autriche à Paris.
13En 1863, Bismarck infligea un camouflet à l’Autriche en l’excluant du Zollverein. Ainsi se constituèrent deux blocs économiques étrangers ; d’une part l’empire d’Autriche, d’autre part le Zollverein à direction prussienne, préfiguration de la Petite-Allemagne. Cette exclusion fut considérée par l’opinion comme un véritable Villafranca économique que l’Autriche va tenter de compenser en réaménageant la Confédération germanique. Pour faire pièce à la campagne du Nationalverein libéral, qui réclamait l’élection d’un Parlement fédéral limité à la Petite-Allemagne, François-Joseph proposa la création d’un directoire exécutif de 4 membres présidé par l’Autriche. Le 1er août 1863, il réunit à Francfort un congrès des princes qui fut boycotté par la Prusse, et Bismarck avait transformé la contre-offensive diplomatique en défaite pour le cabinet de Vienne.
14Rechberg persuada alors François-Joseph de renouer la collaboration avec la Prusse, entraînant l’Autriche dans la malheureuse affaire des duchés d’où devait sortir la guerre de 1866. En intervenant aux côtés de la Prusse contre le Danemark, l’Autriche tombait dans le piège tendu par Bismarck car elle se désolidarisa de la Confédération germanique pour avoir le plaisir d’occuper le Holstein dont elle n’avait rien à faire ou que, plus exactement, poursuivant une chimère séculaire, elle espérait échanger contre la Silésie prussienne. Bismarck en éveillant certaines convoitises autrichiennes a été aussi habile qu’en promettant au même moment des compensations territoriales à Napoléon III lors de l’entrevue de Biarritz. En fait, la suite logique de la convention austro-prussienne de Gastein (1865) qui établissait un condominium sur le Schleswig-Holstein était, soit la reconnaissance de la parité des deux puissances en Allemagne, soit le recours à la guerre pour imposer la prééminence des Habsbourg.
Sadowa et la guerre austro-prussienne (juin-juillet 1866)
15Bismarck abattit ses cartes au mois de janvier 1866. D’une part, il dévoila son plan de réorganisation de la Confédération germanique basé sur l’élection d’un Parlement allemand au suffrage universel qui avait le double avantage de recueillir l’appui des libéraux allemands et d’exclure définitivement l’Empire d’Autriche de la Confédération. Bismarck se donnait ainsi le beau rôle. D’autre part il adressa le 28 janvier une note comminatoire à Rechberg concernant l’administration des duchés. Puis à la fin de mars la Prusse commença à concentrer des troupes de sorte qu’à la mi-avril le cabinet de Vienne demandait à Bismarck d’interrompre des préparatifs militaires que rien ne semblait justifier. Pour toute réponse Guillaume 1er donna l’ordre de mobilisation générale le 12 mai 1866 pour finalement dénoncer la convention de Gastein et envahir le Holstein occupé par des troupes autrichiennes le 7 juin 1866. C’était le premier acte d’une guerre-éclair qui dura moins de six semaines et se solda par une retentissante défaite autrichienne. Le 10 juin il proposait de réorganiser la confédération germanique en excluant formellement l’Empire d’Autriche.
Les forces en présence
16Diplomatiquement la situation de l’Autriche, isolée sur l’échiquier européen, n’était guère meilleure qu’en 1859. La Russie, alliée de la Prusse, ne voulait rien faire en faveur d’une puissance qui l’avait trahie pendant la guerre de Crimée. La Grande-Bretagne n’avait pas d’armée et depuis la mort du prince Albert (1861), époux de la reine Victoria, son gouvernement s’intéressait beaucoup moins aux affaires du continent. Le rapprochement franco-autrichien n’avait pas abouti, car Bismarck avait neutralisé Napoléon III lors de l’entrevue de Biarritz (octobre 1865) ; en France l’opinion publique peu clairvoyante était bien disposée à l’égard de l’unité allemande, même si elle était l’œuvre de la Prusse ; l’armée avait été désorganisée par la malheureuse expédition du Mexique ; en outre, la gauche était favorable à l’achèvement de l’unité italienne et viscéralement hostile à l’Autriche catholique. Enfin Bismarck avait signé le 8 avril un traité d’alliance avec l’Italie, qui était prête à attaquer l’Autriche pour libérer la Vénétie, de sorte que François-Joseph a dû mener la guerre sur deux fronts. Cependant, à la différence de 1859, il avait l’appui de la Confédération germanique, qui décréta le 14 juin 1866 une procédure d’exécution fédérale contre la Prusse. Par conséquent, la Bavière, le Wurtemberg, le grand duché de Bade, la Saxe, la Hesse et le Hanovre se sont engagés aux côtés de l’Autriche, qui a formellement déclaré la guerre à la Prusse le 15 juin 1866.
17Militairement, la situation était moins favorable qu’elle n’y paraissait. L’armée autrichienne comptait bien 528.000 hommes dont 460.000 en état de combattre, mais le corps de bataille ne dépassait guère les 300.000 hommes, répartis en 10 corps d’armée et 5 divisions de cavalerie ; le reste des troupes était laissé dans les forteresses à Vienne et en Hongrie pour des raisons de sécurité intérieure. Il fallut laisser en Italie 3 corps d’armée sous le commandement de l’archiduc Albert ; ces 74.000 hommes étant jugés suffisants pour tenir tête à l’armée italienne. L’armée principale concentrée en Bohême était forte de 7 corps d’armée sous le commandement du “brave général” Benedek, un entraîneur d’hommes, médiocre stratège ; avec les 23.000 Saxons, il disposait de 270.000 hommes, soit un effectif équivalent à celui des deux armées prussiennes qui lui font face, car 70.000 Prussiens avaient été chargés de neutraliser les troupes de la Confédération. Toutefois l’armée prussienne était de qualité supérieure à ses adversaires, car, sous le commandement de Moltke, elle a su opérer une révolution tactique et comprendre la supériorité du feu sur le choc. Devant le fusil Dreyss à tir rapide, se chargeant par la culasse, toute attaque à la baïonnette était en effet devenue dérisoire et ne pouvait conduire qu’au massacre. Or l’État-major autrichien n’avait pas su tirer les leçons de la campagne de 1859 et il fera inutilement massacrer ses fantassins à Sadowa. En outre, les Prussiens ont su tirer parti des innovations techniques récentes (chemin de fer, télégraphe) pour manœuvrer et concentrer. Depuis 1861 les troupes prussiennes ont participé à des manœuvres annuelles, alors que les Autrichiens se contentaient de parades et de défilés. Enfin Moltke a organisé un corps d’État-major et élevé le niveau d’instruction des officiers.
18L’Autriche s’engageait dans la guerre sans conviction. François-Joseph redoutait une défaite, mais engageait un combat qu’il savait perdu d’avance, pour défendre l’honneur, et le commandant en chef en Bohême, Benedek, était persuadé qu’il serait vaincu par les Prussiens.
Les opérations militaires
19Elles se déroulèrent sur deux fronts et quatre théâtres d’opération : en Italie, dans l’Adriatique, en Allemagne et en Bohême.
20La campagne de Bohême. Sur le théâtre d’opérations principal, c’est-à-dire en Bohême, où les Prussiens avaient décidé de porter le gros de leur effort, la sanction fut rapide et sans appel. Après avoir envahi la Saxe le 15 juin, les Prussiens entrèrent en Bohême à la fois par le nord-ouest, le long de l’Elbe, et par le nord-est. Les deux armées, dont les mouvements étaient coordonnés par le chef d’État-major, Moltke, firent sans difficulté leur jonction le 3 juillet à Koeniggraetz (en tchèque Hradec Kralove) où les attendait Benedek avec son armée.
21Ce fut la bataille de Sadowa où les Autrichiens subirent une grave défaite, qui décida de l’issue de la guerre. Ils perdirent 20.000 soldats et 150 canons, mais ne furent pas écrasés et se replièrent en bon ordre. La victoire prussienne était due essentiellement à la puissance de feu de l’infanterie prussienne équipée du fusil à aiguille, mais aussi à la médiocrité du général autrichien Benedek, incapable de coordonner l’action de grandes unités. Après quelques jours d’hésitation, François-Joseph se décida à demander la médiation de Napoléon III et à traiter avec Bismarck, bien qu’il ait disposé de deux corps d’armée en Moravie et de l’armée d’Italie, qu’il ait commandé 300.000 fusils modernes en France et qu’il ait songé à défendre Vienne, puis à prolonger la résistance en Hongrie. De toute manière la conjoncture ne lui était guère favorable sauf en Italie où son armée et sa marine eurent des satisfactions d’amour-propre.
22La campagne d’Allemagne. En effet en Allemagne la IVe armée prussienne a vaincu sans difficulté les alliés de l’Autriche, Hanovriens, Hessois et Bavarois ; dès le 27 juin sa mission est terminée et l’Autriche est isolée militairement avant la défaite de Sadowa.
23La campagne d’Italie. En revanche l’armée italienne avait été battue le 24 juin à Custozza par l’archiduc Albert. Si les Italiens étaient militairement hors jeu, la Vénétie était de toute manière perdue pour l’Autriche, car le 16 juin 1866, par une convention secrète, François-Joseph l’avait cédée à la France, afin que celle-ci la rétrocédât à l’Italie, quelle que fût l’issue de la guerre. François-Joseph espérait acheter ainsi l’appui français, mais il fut bien vite déçu ; lorsqu’après Sadowa, il demanda la médiation armée de Napoléon III, ce dernier n’accorda le 8 juillet 1866 qu’une médiation simple, veillant toutefois à ce que l’Autriche ne perdît aucun territoire. Napoléon III pour des raisons complexes (pression de l’opinion de gauche, espoir d’obtenir des compensations territoriales) avait manqué la dernière chance d’arrêter l’expansion prussienne et d’empêcher la réalisation de la Petite-Allemagne.
24Si la défaite navale italienne de Lissa, le 20 juillet 1866, n’eut aucune conséquence diplomatique, elle donna une satisfaction d’amour-propre à la marine autrichienne. L’escadre du contre-amiral Tegetthof composée de six unités démodées éperonna et coula deux cuirassés italiens flambant neufs (Rè d’Italia et Palestro) et mit trois autres navires hors de combat, grâce à une tactique audacieuse. Il avait en effet ordonné aux navires autrichiens de couper la ligne italienne et les six vaisseaux mixtes éperonnèrent sans difficulté les navires adverses. La bataille de Lissa eut un immense retentissement sur l’évolution de la guerre navale : pendant quarante ans les marins furent persuadés que l’abordage à l’éperon, tactique héritée de l’Antiquité, était efficace et jusqu’au début du xxe siècle tous les navires de ligne furent munis d’un éperon.
L’armistice de Nikolsburg (2 août 1806)
25Bien que l’archiduc Albert ait suggéré à François-Joseph de défendre Vienne et que l’impératrice Elisabeth ait préparé l’évacuation en Hongrie, François-Joseph demanda l’armistice, qui fut signé à Nikolsburg (Mikulov) en Moravie le 2 août. C’était certainement une décision précipitée, car la Prusse aurait été financièrement incapable de soutenir une guerre longue. À cette date, son armée cantonnée en Moravie était touchée par le choléra, mais François-Joseph n’était pas l’homme de la lutte à outrance, qui n’était d’ailleurs pas conforme à la pensée militaire du temps : on préférait accepter le verdict d’une campagne décisive pour éviter les aléas de la guerre totale.
26La paix de Prague (23 août 1866) ratifia les clauses de l’armistice de Nikolsburg. La Prusse gagnait sur tous les tableaux. Outre une indemnité de guerre de 20 millions de florins (50 millions de francs), elle obtenait des agrandissements territoriaux en Allemagne et, point essentiel, la dissolution de la Confédération germanique. La Prusse annexait le Hanovre, la Hesse-Cassel, Francfort, le Schleswig et le Holstein. Comme le gouvernement autrichien redoutait les ambitions territoriales de Guillaume Ier et qu’il n’était pas sûr de l’appui français, il crut s’en tirer à bon compte, même si l’article V du traité de Prague laissait à la Prusse toute latitude pour organiser une Confédération en Allemagne du Nord. En prenant le commandement de toutes les troupes de cette nouvelle Confédération, le roi de Prusse exerçait déjà son hégémonie sur l’Allemagne. La Confédération de l’Allemagne du sud, imaginée par Napoléon III comme contrepoids à l’expansion prussienne, ne vit jamais le jour et Richard Metternich l’ambassadeur d’Autriche à Paris, plus perspicace que Napoléon III, avait parfaitement prévu l’évolution de la situation dès le 11 juillet 1866 :
Dans deux mois l’Autriche jetée hors de l’Allemagne, la nationalité allemande, unifiée par l’esprit révolutionnaire, sera compacte, la figure tournée contre la France.
27La disposition la plus grave du traité était en effet l’exclusion de l’Empire d’Autriche et c’était le but de guerre essentiel de Bismarck. Ainsi la question posée par le Parlement de Francfort en 1848 était résolue au détriment de l’Autriche et en 1866 “l’année du destin”, selon l’historien autrichien Adam Wandruszka, François-Joseph a subi le plus grave échec de son règne. C’est la fin de la politique menée obstinément par les Habsbourg depuis le début du xviiie siècle qui visait au maintien de leur prépondérance en Allemagne et en Italie. En 1866, ils étaient chassés d’Allemagne, berceau de leur Maison et leur véritable raison d’être. En même temps, ils perdaient définitivement le royaume lombard-vénitien et devaient accepter la formation d’un royaume d’Italie, auquel il ne manquait plus que Rome pour réaliser l’unité de la péninsule.
Les conséquences de la défaite de 1866
28Devant l’effondrement de la grande politique traditionnelle, il ne restait plus aux Habsbourg qu’à se replier sur le bassin danubien en attendant une hypothétique revanche. En pratique, François-Joseph devait désormais tenir compte de l’opinion publique, de la presse et des partis libéraux au pouvoir à Vienne et à Budapest. Or, ni les libéraux autrichiens ni la classe politique hongroise, ne souhaitaient prendre une revanche sur la Prusse et une alliance franco-autrichienne eût été illusoire, car ni le parti de la Cour avec l’archiduc Albert, ni l’État-major de l’armée, n’étaient assez forts désormais pour entraîner l’Autriche-Hongrie dans une guerre impopulaire, et le rapprochement avec Napoléon III entre 1867 et 1870 n’aboutit à aucun résultat précis, en dehors d’un échange de lettres anodines où Napoléon III écrivait à François-Joseph :
Si par impossible l’Empire de Votre Majesté se trouvait menacé par quelque agression difficile à prévoir je n’hésiterais pas un instant à mettre toutes les forces de la France de son côté. Elle peut être sûre que je n’entamerai jamais aucune négociation avec une puissance étrangère sans m’être préalablement entendu avec elle. (citée par J.‑P. Bled “Une occasion manquée : le projet d’alliance franco-autrichienne 1867-1870”, Etudes danubiennes VI/2 1990 p. 107).
29En effet les libéraux autrichiens et leurs journaux (en particulier la Neue Freie Presse), qui avaient fait la guerre pour conserver une Allemagne à direction autrichienne, soutenaient la formation d’une Petite-Allemagne à direction prussienne, tandis que les libéraux hongrois, hostiles à toute aventure, ne cachaient pas leurs sympathies pour la Prusse dont la victoire à Königgrätz leur avait permis de vaincre les hésitations de François-Joseph et d’obtenir le compromis de 1867.
30Avec la défaite française de Sedan et la proclamation de l’Empire allemand le 18 janvier 1871, tout espoir de revanche s’évanouissait pour l’Autriche. Dès lors Beust suggéra à François-Joseph un rapprochement avec Bismarck et le nouvel Empire allemand afin de tourner définitivement la page des querelles austro-prussiennes.
Bibliographie
Jean Bérenger, Histoire de l’Empire des Habsbourg de 1273 à 1918, 809 pages, Librairie A. Fayard, Paris, 1990.
Jean Bérenger, L’Autriche-Hongrie (1815‑1918), 196 pages, Coll. Cursus, Paris, A. Colin, 1994.
Christoph W. Clark, Franz Joseph and Bismarck. The Diplomacy of Austria before the War of 1866, Cambridge/Massachusetts, 1936.
Die Protokolle des Österreichischen Ministerrates 1848-1867, VI Das Ministerium Belcredi, vol. 2, 8. April 1866-6. Februar 1867, Vienne, Bundesverlag, 1973, avec une introduction de Friedrich Engel-Janosi.
Heinrich von Srbik, Deutsche Einheit. Idee und Wirklichkeit vom Heiligen Römischen Reich bis Königgrätz, Munich, 1942.
Adam Wandruszka (sous la direction de), Geschichte der österreichisch-ungarischen Monarchie (1848-1918), tome VI/2, “Die Außenpolitik von 1848 bis 1918”, Vienne, 1993.
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