Chapitre 3. Le détour par le romanesque : la fictionnalisation du fait divers
p. 75-95
Texte intégral
Si encore les journaux se contentaient d’enregistrer froidement ces faits à mesure qu’ils se produisent ! Mais bien loin de là, ils en font des récits souvent très pittoresques ; ils en recherchent avec soin les causes plus ou moins cachées, et souvent les inventent lorsque celles-ci leur échappent ; ils en dramatisent toutes les circonstances même les plus futiles1.
1C’est en ces termes que le docteur Lisle, en 1856, rend compte du goût des journaux pour la fictionnalisation (ici dans les cas de suicides). La recherche des causes dont il est question correspond à cette exigence de cohérence et de clarté précédemment mise en évidence. Quant au « pittoresque », à l’invention et à la dramatisation qu’évoque également le médecin, ils seront au centre du présent chapitre2 : il ne s’agit pas de distinguer les faits divers vrais ou faux, mais bien de montrer comme ceux-ci usent de procédés de fictionnalisation. Le récit factuel est en effet toujours orienté dans son appréhension des événements, car il résulte d’un choix dans la narration : « Le récit met en ordre et relief : il sélectionne et hiérarchise » (Bres 1994 : 75). Le fait divers est ainsi parfois à la frontière d’un récit de fiction, et partage également certains de ses traits génériques avec le roman. Il sera alors intéressant de se demander comment le fait divers tend non pas à déréaliser le crime (en l’inventant, en le fictionnalisant), mais comment il le rend d’autant plus lisible pour le lecteur, en se fondant sur des procédés bien connus de lui.
L’« effet feuilleton »
2De la même façon que les journalistes lient une affaire à une autre pour susciter un effet de reconnaissance ou la faire entrer dans un script, ils peuvent lier les épisodes d’une même affaire : on a là une autre manifestation de ce « roman du discontinu » qui constitue l’un des axes d’étude de ce travail. Alors qu’en rez-de-chaussée les feuilletons appellent « (La suite à demain.) », les faits divers parfois imitent la périodicité de ces publications auxquelles ils empruntent le suspense dilué et les informations distillées au compte-gouttes.
3Mais les faits divers à épisodes sont-ils toujours des faits divers à proprement parler ? Lorsqu’une suite d’articles concerne la même affaire, « littéralement, ce sont des fragments de romans », suggère Roland Barthes ([1964b] 2002 : 443). Le fait divers, lui, doit pouvoir être lu sans référence et sans savoir extérieurs : « il s’apparente à la nouvelle et au conte, et non au roman » (ibidem). Or dès qu’un fait divers sort de l’indifférenciation de la rubrique parce qu’il appartient à l’affaire X3, il constitue un autre objet textuel, qui trouve sa place dans un ensemble – il n’y a qu’à voir comment certains faits divers paraissent hors rubrique, avec leur titraille spécifique. Ces articles restent des faits divers, mais le sont sans doute moins que ceux qui, purement, existent sans être continués ou précédés par d’autres informations portant sur les mêmes événements. Et les faits divers à épisodes reposent volontiers sur la répétition, voire le ressassement ou le piétinement.
4Le roman-feuilleton ne procède lui-même pas autrement que par piétinement, dilution de l’action et digressions, et à son image le fait divers à épisodes entretient le suspense de sa continuation. Dans le cas du drame de la rue d’Hauteville, on peut souligner la façon dont l’urgence de l’information, déjà exprimée grâce aux gros titres, se traduit par « À demain d’autres détails ». Puis, lorsque le titre réintègre la rubrique des « Faits Paris », l’urgence se réduit à « À bientôt d’autres détails » ou « À bientôt de nouveaux détails »4. De même pour « Le drame de la rue Laffitte », dont un article annonce « À demain des détails5 », etc. Cette tendance du fait divers à imiter explicitement la formule prototypique du roman-feuilleton « (La suite à demain.) » est davantage caractéristique du dernier tiers du XIXe siècle6 : le développement du reportage et l’attention nouvelle portée à la progression de l’enquête multiplient les faits divers à épisodes. Ils existent cependant déjà dans les années 1830, mais ils n’usent pas alors encore de ces effets d’annonce feuilletonesques.
5La durée et la médiatisation des faits divers à épisodes ne sont pas identiques, et il y a bien peu de points communs entre, par exemple, l’affaire Troppmann en 1869 et la vengeance du cocher Clérac sur son maître M. Brun, le maire de Bordeaux, en 18387. Toutes deux sont cependant traitées en plusieurs articles, et en tant que telles ne peuvent apparaître strictement comme des faits divers parce qu’elles créent une continuité textuelle. Les faits divers à épisodes sont rarement des récits : le premier de la série, certes, peut raconter le crime. Mais ensuite, l’information judiciaire prend le pas sur la narration – même si l’on trouve parfois, incidemment, de brèves séquences narratives. Au sens large, Annik Dubied choisit d’appeler « macro-récits » ces faits divers à épisodes (1997 : 161 et 2004a : 202), en ce qu’ils sont des fragments de la même histoire. Mais la fin de chaque épisode est temporaire – sauf quand l’affaire est enfin résolue, si elle l’est.
6Certains faits divers sont liés de façon plus lâche : ils ne forment pas deux épisodes d’un même événement, mais les mêmes personnages peuvent faire leur réapparition dans d’autres conditions. Ainsi, le fait divers conserve une autonomie actancielle, le premier et le second articles racontent deux événements distincts, mais ils sont liés par l’identité de leurs acteurs. Le Siècle rapporte ainsi l’histoire d’une jeune fille fiancée à un Polonais dont elle était folle ; lorsque le jeune homme rompt les fiançailles, elle « fut saisie de violentes douleurs d’entrailles » et meurt. Lors de l’enterrement, le fiancé se tire une balle de pistolet dans la bouche8. Une dizaine de jours plus tard, le journal rappelle ce fait et ajoute que le jeune homme a guéri très rapidement – non pas pour donner la suite du fait précédent, mais pour introduire un autre fait divers : « Cela fit dire aux mauvais plaisants, que le coup de pistolet avait été choisi exprès d’une nature tout à fait bénigne. Le Courrier de la Manche, dans son numéro du 9, accueillit cette version ; mais il a été obligé de la soutenir sur le terrain9. » Le journaliste du Courrier de la Manche et le Polonais se battent en effet en duel, et se blessent.
7De tels cas rappellent que les survivants d’un drame continuent à exister hors du texte du journal, et qu’ils peuvent réapparaître de loin en loin, comme des personnages du roman social. Prenons l’exemple du « double parricide d’Auxerre », titre d’un fait divers paru dans Le Gaulois. Dans l’un des épisodes de cette affaire, on lit : « Nous avons recueilli, aujourd’hui, des renseignements nouveaux sur l’arrestation de Barré, le complice de Perrot, que nous avons racontée hier à nos lecteurs10. » Le journaliste fait ensuite le récit de l’arrestation des deux jeunes hommes. Une dizaine de jours plus tard, Le Petit Journal, sous le titre « LA BANDE À TITI », rapporte l’arrestation d’une bande de malfaiteurs qui volait la nuit dans des maisons de la banlieue parisienne. Cela n’a aucun rapport avec le parricide d’Auxerre, mais on voit réapparaître fugacement l’un des protagonistes : « Au poste de Montreuil, l’un d’eux fut reconnu pour le nommé Louis Barré, le frère de Charles Barré, complice de Porel, le parricide d’Auxerre11. » Deux crimes différents, à des moments différents, et dans des lieux distincts – mais le texte ne saurait cependant être « immanent », selon le mot de Barthes, puisqu’il est lié à un autre (à d’autres, à la production journalistique qu’a engendrée ce double parricide d’Auxerre) par ce lien familial établi entre deux criminels.
8De tels phénomènes d’échos sont rares, et surtout caractéristiques du dernier tiers du siècle ; et ils ne concernent pas seulement les criminels. D’un fait divers parisien à l’autre se constitue en effet la mosaïque12 d’un monde parisien avec ses lieux, comme les hôpitaux (Saint-Louis apparaît par exemple sept fois dans le corpus13), le Dépôt ou les prisons (Mazas en particulier), mais également certains quartiers dont les faits divers écrivent l’histoire, par superposition des crimes14 ; avec ses policiers, également. Le commissaire Fouqueteau apparaît par exemple deux fois dans le corpus en 1878 : c’est lui qui est chargé de l’arrestation de « la bande à Titi » dont il vient d’être question, et il constate quelques jours plus tôt un décès à la suite d’une bagarre15. Les noms reviennent bien plus souvent quand on progresse dans la hiérarchie policière : en 1878 toujours, Jacob est le chef du service de Sûreté, et Clément le commissaire aux délégations judiciaires. Ils sont cités plusieurs fois dans le corpus, ensemble ou non : dans l’affaire de la rue Poliveau, « MM. Guillot, juge d’instruction ; Aucellin, procureur de la République ; Clément, commissaire aux délégations, et Jacob, chef de la sûreté, ont procédé à une enquête dans la chambre n˚ 216 ».
9L’espace criminel est ainsi quadrillé par des noms connus des lecteurs, et les désignateurs rigides conservent, même si ce n’est qu’un temps, la mémoire des faits antérieurs. Se constitue alors un effet textuel de feuilleton : le lecteur de l’époque, jour après jour, d’un journal à l’autre, voit se former, par fragments qui entrent en résonance, le roman criminel de son époque. Et cet « effet feuilleton » est d’autant plus prégnant qu’aux références journalistiques peuvent se superposer les lieux romanesques – car le roman (feuilleton, balzacien ou zolien, pour ne citer que ces exemples) ne manque pas, lui aussi, de quadriller l’espace parisien.
10Avec le roman, le fait divers peut donc partager le découpage en épisodes, le suspense qui permet de passer de l’un à l’autre, une topographie urbaine. Au roman, il emprunte parfois aussi l’imagination et l’invention : du récit factuel, le fait divers glisse alors vers le récit fictionnel.
Faits divers inventés
11« Les liens entre faits divers et fiction paraissent dire que le fait divers s’adresse à l’imagination du lecteur plus qu’à sa soif d’information », écrit Marine M’Sili (2000 : 98). La mise en récit, la dramatisation de l’événement, la soumission du journaliste à un script ou à des collocations très courantes et caractéristiques du genre éveillent sans doute davantage la reconnaissance d’un certain type d’histoire qu’un intérêt réel pour l’information exacte et fidèle17. Ainsi la part de faits divers fictifs ou fictionnalisés semble à l’époque relativement importante, et les contemporains n’hésitent pas à le signaler, voire à le dénoncer. Dans son Histoire de l’imprimerie qui paraît en 1854, Paul Dupont met en évidence cette pratique courante des journaux :
Enfin, sans parler de ces nouvelles inventées à plaisir, de ces mystifications désignées sous le nom de puf18, et dont les journalistes régalent quelquefois leurs lecteurs, on reproche encore à la presse périodique un empressement irréfléchi à rapporter des faits dont un examen plus attentif et des informations plus sérieuses auraient démontré la fausseté, et qu’on est obligé de démentir le lendemain19.
12L’auteur traite ici de deux phénomènes : premièrement, des faits divers volontairement fictifs, les puffs ; deuxièmement, des faits divers inexacts parce qu’ils n’ont pas été vérifiés : ces derniers restent, dans le traitement urgent de l’information, invérifiés plutôt qu’intentionnellement fictifs ou fictionnalisés – mais la distinction est parfois difficile à établir, et le démenti ne venant pas toujours, la fiction peut passer totalement inaperçue. Il est facile en effet pour le journaliste, qui dispose de modèles tout prêts et qui a connaissance des tournures à employer, d’inventer un fait divers pour étoffer une rubrique un peu trop maigre. Il est facile également de se saisir du moindre incident pour en faire un drame. On peut distinguer ces deux manières de procéder, même si elles sont parfois très proches : il s’agit alors moins d’une différence de nature que de degré de fictionnalisation.
13Chargés de fournir chaque jour leur ration de sang frais aux lecteurs, les faits-diversiers n’hésitent pas à raconter des événements fondés sur des ragots, ou même à inventer un crime, quand ils ne se contentent pas de remettre un ancien récit au goût du jour en changeant simplement les dates et les noms.
14Si le but des faits-diversiers est alors de remplir la rubrique avec des textes correspondant aux attentes des lecteurs, certains articles inventés ont une visée perlocutoire plus ou moins implicite. La Presse publie par exemple une lettre en provenance de Millay, datée du 8 décembre 1837 – on n’en sait pas beaucoup plus sur l’origine de l’information –, dans laquelle il est question de l’assassinat d’un M. de Cussy dont le meurtrier n’a pas été arrêté20, puis d’autres tentatives de meurtres que l’auteur de l’article considère comme « de la véritable vendetta corse ». On lit à la fin :
Nous regardons comme un devoir pour nous, amis du gouvernement, d’appeler toute sa sollicitude sur l’arrondissement de Château Chinon (Nièvre), afin qu’il puisse faire déployer par la magistrature locale une énergie et une rigueur capables de comprimer ces passions haineuses et criminelles21.
15L’affirmation politique laisse penser que, comme dans le cas des faits divers sur les désordres des soldats (ou l’éloge de leur sang froid, selon la sensibilité du quotidien), le fait divers entre dans un dispositif pragmatique qui le dépasse – il est peut-être donné à lire au lecteur pour discréditer le préfet de la Nièvre22. Les crimes impunis dont il est question n’ont en effet aucune réalité : deux semaines plus tard, le 28 décembre 1837, La Presse publie une lettre du procureur de Château-Chinon qui récuse les accusations soutenues par le journal. Il n’y a eu, d’après le magistrat, ni meurtre ni tentative de meurtre : « Vous pouvez juger, maintenant, monsieur le rédacteur, de la bonne foi et de la véracité de votre correspondant de Millay. » Alors même qu’il paraît dans la rubrique « Faits divers », l’article initial n’est pourtant pas un fait divers à proprement parler : il veut se faire passer pour tel afin de dissimuler ses intentions (à l’encontre du préfet ou d’un parti), et d’influencer en cela le lecteur du quotidien.
16De tels procédés sont cependant plus rares que la fiction issue de rumeurs reprises sans vérification (et généralement sans arrière-pensée politique) par le journaliste. En pleine affaire Troppmann, la rubrique « Nouvelles diverses » de L’Univers daté du 27 septembre 1869 publie par exemple ce communiqué (l’italique est utilisée par le journal) :
– L’Opinion nationale et, après cette feuille, d’autres journaux ont affirmé que la justice recherche en ce moment les auteurs d’un sextuple empoisonnement commis à Aubervilliers.
Ces allégations sont complètement erronées, et les détails donnés par quelques journaux sont de pure invention.
17L’Univers ne dément pas ses propres informations, mais celles « d’autres journaux » : l’adverbe « complètement » et l’adjectif « pure » viennent renforcer le démenti, et l’on suppose que les rumeurs comme celles-ci allaient sans doute bon train à l’époque. Au sextuple meurtre commis par Troppmann (que la presse nomme « le crime d’Aubervilliers ») aurait ainsi parfaitement répondu ce sextuple empoisonnement commis au même endroit. Il n’est alors pas question de vérifier l’information, parce qu’elle serait évidemment inexacte – et les journalistes doivent le savoir23 –, mais de la relayer pour maintenir le climat de tension et d’ébullition qui entoure le crime et fait vendre plus que d’ordinaire. Cette rumeur d’empoisonnement n’avait sans doute aucun fondement, ou un fondement très lointain : le bouche à oreille déforme alors si bien la situation réelle que le fait divers paraît « pure invention ». Les degrés de déformation de l’événement ne poussent cependant pas toujours vers la fiction – ils peuvent ne rendre compte que d’une forme de fictionnalisation.
18Les exemples sont nombreux dans le corpus, mais je commencerai par présenter un document trouvé dans les archives de la Préfecture de police qui montre fort bien la façon dont un contemporain perçoit ces exagérations. Il s’agit d’une lettre à la signature illisible, écrite par un inspecteur des ventes en gros sur un papier à en-tête de l’Inspection générale des halles et marchés ; elle est datée de « Paris, le 15 mars 186924 ». Je transcris ci-dessous cette lettre en conservant sa graphie :
Dans la nuit de vendredi à samedi, le sr Baudoin, Auguste, compteur mireur, rentrait chez lui, lorsqu’arrivé rue st André des arts, à la hauteur du passage du Commerce, il entend les cris au secours, à l’assassin et aperçoit en même temps une femme aux prises avec un individu qui voulait l’entraîner de force, et auquel elle résistait énergiquement : le sr Baudoin, aidé d’un autre passant, parvient à dégager cette femme, qui prend aussitôt la fuite : le prétendu agresseur de la femme (car c’était un agent des mœurs dans l’exercice de ses fonctions) voyant celle-ci lui échapper, crié au voleur, dit qu’elle lui a volé son porte-monnaie, et la fait arrêter de nouveau par un sergent de ville : celui-ci mis au courant de l’affaire par l’agent, conduisit au poste voisin la femme et ses deux protecteurs improvisés. Là tout s’expliquez ; la fille publique, brouillée depuis longtemps avec les règlements de police concernant sa profession.
Le sr Baudoin s’excusa de son mieux auprès de l’agent, qui ne voulut rien entendre, et qui le fit consigner par le chef de poste jusqu’à sa comparution devant le commissaire de police. Ce magistrat, après avoir interrogé le sr Baudoin, l’a mis en liberté. Par suite de cet incident ce compteur n’est venu que tard à son service (10 heures du matin).
P.S. Je joins à mon rapport la petite presse d’aujourd’hui lundi. Le fait concernant le sr Baudoin est relaté dans ce journal sous les couleurs les plus sombres ; on donne presque à ce fait les proportions d’un crime : l’auteur de l’article dont il s’agit a voulu évidemment mystifier ses lecteurs, car il n’y a pas un mot de vrai dans ce qu’il raconte ; ce qui le prouve, c’est qu’après les explications fournies au commissaire de police par le Sr Baudoin, celui-ci a été immédiatement relaxé. Il n’en est pas moins regrettable de voir avec quelle facilité ce journaliste a accueilli des renseignements erronés, et de nature à porter atteinte à l’honorabilité d’un employé dont la conduite est irréprochable, qui dans l’espèce n’a eu d’autre mobile que de porter secours à une personne lui paraissant courir un véritable danger. Dans l’intérêt de la vérité, et aussi afin que les employés de l’administration ne soient pas publiquement assimilés à des assassins, j’ai cru devoir rectifier l’erreur dans laquelle est tombée bien volontairement sans aucun doute le journal la petite presse.
19La première partie du texte est un calque parfois un peu maladroit des faits divers du temps, qui rectifie la version des événements donnée par La Petite Presse – dans son article, ce quotidien annonce en effet : « Un scandale énorme, qui a failli tourner au crime, a mis en émoi, cette nuit, entre une heure et deux heures du matin, la rue Saint-André-des-Arts. » Selon ce journal, le compteur mireur aurait frappé, avec deux autres individus, deux agents de police qui arrêtaient une femme ; seul Auguste B…, compteur et mireur d’œufs, est arrêté – or d’après l’inspecteur des ventes, les faits n’étaient pas si graves.
20La seconde partie de la lettre du fonctionnaire, qui tient dans le post-scriptum, souligne la criminalisation des actes du sieur Baudoin par le journal. Ce qui est particulièrement intéressant dans ce cas, c’est la conscience répétée d’une fictionnalisation plus qu’acceptée, ménagée intentionnellement par les journaux : « l’auteur de l’article […] a voulu mystifier ses lecteurs », et l’inspecteur corrige « l’erreur dans laquelle est tombée bien volontairement sans aucun doute le journal ». Les contemporains connaissent donc bien la façon dont procèdent les journalistes ; si l’on n’avait pas connaissance de la lettre du fonctionnaire, l’article de La Petite Presse paraîtrait digne de foi, calqué sur ces récits nombreux d’individus empêchant, la nuit, certaines arrestations.
21Il est des cas pourtant où les faits-diversiers soulignent eux-mêmes le peu de véridicité de leurs informations. Un article intitulé « ENTRE MÈRE ET FILLE » du Gaulois débute par exemple de la sorte :
Nous n’avons pas voulu jusqu’ici entretenir nos lecteurs d’un mystère des plus singuliers qui depuis trois jours est l’objet de toutes les conversations dans le quartier des Champs-Élysées. Les détails que l’on va lire appartiennent plutôt, en effet, au roman qu’au domaine de l’information, et c’est ce qui nous avait fait hésiter25.
22Il est ensuite question d’un jeune diplomate qui est à la fois l’amant d’une mère et de la fille de celle-ci. Parce que les deux femmes se jalousent, il rompt momentanément, et sur leur invitation va un soir dîner chez elles. Mais pendant la nuit, il est pris de vomissements et dit à sa sœur qu’il a été empoisonné, accusant implicitement sa maîtresse la plus âgée ; il meurt quelques jours plus tard. Dans la Pn0 citée plus haut, la fictionnalisation est introduite par le superlatif « un mystère des plus singuliers26 » et la référence explicite au roman – encore soulignée par une narration qui présente ainsi les personnages : « l’employé d’ambassade, que pour l’intelligence de notre récit nous nommerons Z… » Le journaliste incite le lecteur à ne pas considérer l’histoire comme un fait avéré, mais l’invite à seulement l’apprécier comme récit mystérieux, voire romancé. D’ailleurs le lendemain le même journal publie un démenti plaisant, présenté ici en entier :
UN PSEUDO-DRAME PARISIEN27
Les reporters parisiens sont gens de fantaisie, et c’est à cela souvent qu’ils doivent leurs succès… jusqu’au jour où, pour aller au fond d’une histoire particulièrement intéressante, les journaux s’aperçoivent du truc et remercient les porteurs de semblables informations.
C’est le cas pour le mystère parisien que nous avons publié hier et dans lequel nous avons coupé comme la plupart de nos confrères.
Dame !dans le racontar en question, il y avait de quoi faire un véritable roman.
C’est ce que nous avons tous essayé. Il s’agissait, dit un de nos confrères, d’un jeune homme d’excellente famille, élève, attaché à une ambassade étrangère ; d’un jeune diplomate étranger, a écrit le rédacteur qui a écrit chez vous ce romanesque article.
Et, chez tous, d’une grande dame et de sa fille qui recevaient ce noble jeune homme, l’aimaient toutes deux et avaient fini par l’empoisonner.
Un journal a même été jusqu’à dire qu’il n’était question que de cette mystérieuse aventure dans les salons des Champs-Élysées.
La chose était si tentante que nous avons voulu être les premiers à donner des détails précis sur ce chapitre de la vie parisienne ; hélas !c’est l’éternelle histoire des bâtons de la fable.
S’il a été question de cette aventure, c’est dans les antichambres des salons des Champs-Élysées ; car les héros de l’aventure, qui date de plus de trois semaines, sont une concierge de la rue du Colisée et sa fille, et un huissier de l’ambassade d’Italie.
Cet individu était, en effet, attaché à une ambassade étrangère, mais par une chaîne qu’il portait au cou.
L’huissier en question était, en effet, l’amant de la concierge ; il y a dîné un soir, a éprouvé des vomissements et est mort le lendemain.
Les constatations médicales ont établi que cette mort avait été causée par une péritonite, et, si une nouvelle enquête vient d’être ouverte, c’est à la requête de la famille.
D’après nos renseignements, elle ne changerait rien aux conclusions premières28.
23La première phrase porte un enseignement général intéressant sur le métier de fait-diversier en usant du pluriel et du présent gnomique ; on retrouve la référence explicite au genre romanesque29. N’importe quel « racontar » donne la tentation du roman, et cette tentation est bien celle des faits-diversiers : « C’est ce que nous avons tous essayé. » Le reste de l’article corrige la version des faits, et en particulier celle du quotidien – puisque, tout en procédant à son mea culpa, le journaliste rappelle quand même qu’ils ont été « les premiers à donner des détails précis », et travaille tout autant à renforcer son ethos discursif qu’à le nuancer. Il faudrait ajouter qu’il justifie habilement sa fable par une autre, la fiction par une allusion à une autre fiction – « Le Chameau et les Bâtons flottants » est une fable de La Fontaine dont la deuxième partie pourrait constituer une vraie poétique du démenti de reportage30.
24Ces articles métajournalistiques, discours d’époque interne au journalisme faisant écho au discours externe de l’inspecteur des halles cité plus haut, sont assez courants dans les quotidiens populaires qui publient beaucoup de faits divers, et l’on se doute que le démenti est pour les reporters un exercice qui permet de briller tout autant, voire plus, que la fictionnalisation d’un événement – c’est ainsi qu’on voit apparaître beaucoup plus facilement, dans de tels articles, le je du professionnel, qui d’ordinaire reste absent du fait divers31. Dans la rubrique « Paris au jour le jour » du Gaulois du 7 mai 1877, un article s’intitule ainsi « Une fausse affaire. Billoir32 ». Il commence de la sorte :
Nos reporters ont eu hier un accès de fausse joie ; – il faut vous dire que ces malheureux, toujours à la piste de nouvelles, ne rêvent que plaies et bosses, meurtres et assassinats.
Or, hier matin, on annonçait qu’on avait découvert une nouvelle femme coupée en morceaux, et je sais des journalistes qui avaient déjà préparé pour leur article une entête à sensation dans le genre de ceci :
« Billoir vient à peine de payer sa dette à la justice qu’un nouveau crime, identiquement semblable, nous est signalé… etc. »
25Le ton plaisant est encore employé ici dans ce début métajournalistique, et plutôt que de railler les délires des faits-diversiers, il s’applique à les plaindre de façon humoristique, en mettant en scène l’écriture de l’article à faire – qui, on le voit, recourt au lien avec un autre crime commis au même endroit. Cette femme, dont les jambes avaient été sectionnées de façon très nette, paraissait avoir été assassinée et coupée en morceaux par son meurtrier. Le reporter ajoute avec malice :
On voit s’il y avait matière pour l’imagination d’un reporter à se donner carrière dans l’horrible. L’autopsie, confiée à M. le docteur Saimon, a fait écarter toute idée de crime. Le docteur a simplement conclu que ces blessures avaient été faites après la mort de la victime et qu’il fallait les attribuer à l’hélice d’un bateau à vapeur.
Quelle déception !
26La dernière proposition, ironique, vient conclure avec humour cette mise en évidence, par un homme du métier, des espoirs que suscite paradoxalement l’horreur chez ses collègues – et l’« imagination » apparaît comme l’un des outils principaux des reporters dans l’exercice de leur profession33 : à partir de ce cadavre de femme, ils auraient en effet pu inventer le récit du crime. Ce qui est intéressant ici, ce n’est pas que la femme qu’on pensait avoir été assassinée et coupée en morceaux ne l’a pas été – les policiers eux aussi s’y sont laissés prendre – ; c’est le discours porté par le fait-diversier sur sa pratique.
Quelques procédés de fictionnalisation
27J’aimerais à présent, par la mise en évidence de quelques procédés, montrer comment les journalistes travaillent au romanesque34 de leurs articles. Notons que le romanesque est plus facile à déployer dans le récit du crime que dans celui de l’enquête – c’est d’ailleurs ce premier ordre narratif qui domine le fait divers du siècle.
28Je m’appuierai pour commencer sur un paragraphe d’un fait divers retraçant le meurtre de la domestique Joséphine35 – c’est l’affaire de la rue des Petites-Écuries. Le début de l’article est édifiant : les maîtres de Joséphine lui versaient ses étrennes « en lui témoignant combien ils étaient satisfaits de sa probité et de son zèle », et elle avait déjà « une petite somme qu’elle avait pu amasser grâce à beaucoup d’ordre et d’économie ». Ce jour-là, elle est « toute joyeuse » parce qu’elle va pouvoir aller se promener avec son cousin ; ce tableau du bon travailleur modeste va voler en éclats avec l’apparition, dans la chambre de la domestique, d’un voleur qui est entré par effraction. Voici donc le paragraphe du récit qui témoigne le plus de la fictionnalisation ou de la dramatisation :
Cependant, glacée d’épouvante et muette d’effroi, l’infortunée Joséphine n’a pas proféré une seule parole, poussé un seul cri ; elle tombe ; et l’assassin, repoussant du pied sa victime, sort de la chambre en tirant la porte derrière lui, descend lentement les escaliers et traverse lentement le vestibule pour gagner la rue, sans avoir éveillé aucun soupçon.
29Notons que personne n’a assisté au crime – l’enquête l’établit – et que Joséphine meurt avant d’avoir pu le raconter : le journaliste n’a donc aucune information sur la manière dont la scène s’est déroulée, et à partir de la conséquence, il construit le récit qui mène au meurtre en adoptant un point de vue omniscient, qui prête à Joséphine « épouvante » et « effroi », et décrivant les actes de deux personnages sur lesquels il ne sait rien. Ce passage prend place dans un récit qui a commencé au passé simple et qui recourt assez rapidement au présent de narration. Il revient ensuite aux temps du passé avant l’arrivée de la police qui est annoncée au passé composé. Les qualificatifs détachés qui se rapportent à Joséphine jouent à plein le stéréotype de la victime horrifiée, et le journaliste dramatise à outrance la scène du meurtre encore amplifiée par le balancement de la construction parallèle, avec adjectif et complémentation « glacée d’épouvante et muette d’effroi » : la victime est « infortunée », et la négation renforcée « pas […] une seule parole, […] un seul cri » souligne la rapidité barbare du crime, encore rendue par la parataxe qui introduit la proposition très courte : « elle tombe ». L’assassin paraît d’autant plus inquiétant qu’il agit méticuleusement : « lentement » est ainsi répété, et la négation finale est encore renforcée par « aucun ». Le journaliste a bien narré le scandale d’un crime affreux commis sur un élément actif et honnête de la société.
30Cette narration dramatique, orientée et omnisciente, est assez commune dans les faits divers : le public y est habitué, et c’est ce type de récit, plus que le compte rendu sec du drame, qu’il cherche dans les journaux – « Fictionnaliser le réel, ce n’est pas le transformer mais en proposer un mode de représentation immédiatement compréhensible et accepté par tous » (Thérenty 2007 : 151). Or, par la fréquentation du roman-feuilleton, par l’habitude des canards, le lecteur participe de la composition romanesque du fait divers en l’exigeant comme une règle du genre.
31Dans l’extrait de fait divers mentionné ci-dessus, le journaliste ne va pas jusqu’à imaginer un dialogue entre les protagonistes du drame. Dans l’ordre narratif linéaire cependant, qui retrace la chronologie du crime, la présence de dialogues est un procédé de fictionnalisation assez souvent utilisé par les faits-diversiers. Le fait divers n’hésite pas à entrer dans l’intimité des couples ou des familles, pour y dresser des scènes qui n’ont peut-être jamais eu lieu, ou dont on n’indique bien souvent jamais la source – ainsi de ce dialogue entre un mari qui vient de tuer son créancier, et sa femme qui ne se doute de rien :
» Il arrive pâle, haletant. Sa femme était au coin du feu.
» – D’où viens-tu ? lui dit-elle.
» – Je viens du bois.
» – Il est près de huit heures, qu’est-ce que tu pouvais faire dans la forêt à pareille heure, malheureux ?
» – C’est bien, couche-toi ; je vais panser mes chevaux36.
32Il s’agit du fait divers le plus long du corpus : à bien d’autres endroits, il présente des dialogues. Le rapport de police est sans doute le document sur lequel se fonde ici le journaliste, mais ce dernier n’indique pas sa source et décrit la scène comme s’il y avait assisté – à l’instar d’un narrateur de roman37. Les critiques sont nombreux à renvoyer à Käte Hamburger pour rappeler que les dialogues ainsi rapportés de façon littérale sont un des indices de fictionnalité qu’elle retient (Genette 1991 : 74, Schaeffer 1995 : 593-594) – ces indices de fictionnalité « sont, sinon des preuves, au moins des présomptions de fiction » (Thérenty & Vaillant 2001 : 234)38. Alain Rabatel mentionne quant à lui un autre de ces indices relevés par Hamburger, « le fait que le narrateur puisse accéder de manière certaine aux pensées d’autrui » (1998 : 142) – ainsi lorsque le fait-diversier nous peint Joséphine « glacée d’épouvante et muette d’effroi » ou, un peu auparavant : « Pressée de s’habiller, et craignant sans doute de faire attendre celui qui devait bientôt venir lui offrir son bras. »
33Au rang des procédés de la fictionnalisation, il faudrait aussi citer l’excessive dramatisation de certains faits divers racontant le crime – à l’image du crime de la rue des Petites-Écuries : la fiction de l’urgence, la mise en scène de la rapidité, en sont de bons exemples. Ainsi l’ouverture phrastique en À peine est-elle très courante dans les faits divers :
À peine l’honorable négociant était-il dans sa cour, que son ancien ouvrier court à lui, le saisit par le bras avant qu’il ait pu se dégager de son manteau, et le frappe de violents coups de poing au visage39.
À peine rentré, son maître, se livrant au plus cruel emportement, le frappa avec violence, le renversa, le foula aux pieds, et comme s’il s’exaltait à mesure que ses sévices devenaient plus graves, il s’arma d’un couteau, lui en porta cinq coups qui l’atteignirent au visage, sur le crâne, aux bras et à la poitrine40.
34Dans ce dernier exemple, la dramatisation s’appuie sur des hyperboles, avec gradation et double énumération, qui renforcent la violence du crime. On pourrait aussi mentionner ces formules de dramatisation : quel(le) ne fut pas… (sa surprise, son désespoir, son effroi)41, le circonstant à ces mots (le criminel agit)42, les cris à l’assassin43, à tel moment une détonation se fait entendre44, etc. Relever ces quelques procédés permet d’appuyer la réflexion sur une fictionnalisation qui tend à s’exercer à travers des formes ou des expressions bien connues du public, et qui contribuent elles à la reconnaissance du genre de texte – qui « fonctionnent comme des signaux d’identification », pour reprendre l’expression d’Ambroise-Rendu parlant des adjectifs hyperboliques (2004 : 35). En cela aussi, même dramatisé à outrance, le fait divers rassure ; cette outrance en effet est commune, et de convention, presque redondante avec le fait lui-même.
35L’épithète véritable, directement importée des canards45, est un bon exemple de cette dramatisation redondante et paradoxale (ou antiphrastique) dans la mesure où l’événement annoncé comme véritable, bien souvent, ne l’est pas. Dans l’exemple de la lettre en provenance de Millay démentie par le procureur de Château-Chinon et citée plus haut, le journaliste écrit ainsi : « c’est de la véritable vendetta corse. » Mentionnons encore : « Ces deux crimes, à un si court intervalle dans un pays aux mœurs si douces et si pacifiques, ont jeté un véritable effroi dans la contrée46. » L’épithète est redondante dans la mesure où, si le journaliste rend compte du crime, celui-ci est vraiment arrivé – c’est la rubrique qui le suppose. Le mot n’a alors qu’un rôle rhétorique de renforcement, qui entre dans les procédés de la dramatisation.
36Je voudrais m’attacher pour finir au fait divers qui paraît le plus fictionnalisé du corpus – voire, au plus fictif. Il est publié en 1843 par La Presse ; je le reproduis ici intégralement pour pouvoir ensuite l’étudier précisément.
– M. N…, ancien courtier de commerce retiré des affaires, était sorti lundi dernier, accompagné d’un superbe chien de Terre-Neuve qu’il a élevé. De retour, M. N…, qui vit seul, s’aperçut que la porte de son appartement avait été ouverte à l’aide d’effraction, et bientôt il reconnut qu’un voleur s’était introduit chez lui ; mais il s’était borné à dépouiller le buffet de tous les comestibles qu’il contenait, et à s’emparer de quelques vêtements de peu de valeur. Une mauvaise casquette appartenant au voleur, selon toutes les apparences, était restée dans la salle à manger. M. N… la fit flairer à son chien, puis il dit : « Cherche, Surin, cherche bien ! tu dois le trouver ! cherche !… »
Le chien sortit, tourna deux ou trois fois sur lui-même, puis il prit sa course, se dirigeant vers la rue de l’Hôtel-de-Ville. Arrivé devant une maison de l’apparence la plus misérable, il s’arrête, flaire de nouveau, puis il s’élance dans une allée sombre et étroite. Son maître le suit, et tous deux arrivent à la porte mal jointe d’un grenier ; là ils s’arrêtent, et ces paroles arrivent aux oreilles de M. N… : « Mangez, enfants, mangez bien aujourd’hui, car demain je n’aurai rien et je n’aurai pas le courage de recommencer. »
Puis, après quelques instants de silence, il se fit un bruit terrible… On entendit des cris, des hurlements, le bruit de meubles que l’on brisait. M. N… pénétra alors dans la mansarde, où il aperçut trois enfants en bas âge cherchant à se soustraire à la fureur de leur père, qui, l’œil hagard et les traits décomposés, semblait vouloir exterminer ces pauvres petits, dont l’aîné n’avait pas dix ans. M. N… courut droit au père et le désarma. Il tenta ensuite de le calmer ; mais ses efforts furent vains… Le malheureux, poussé au vol par les cris de ses enfants mourant de faim, était devenu fou. Ce malheureux père a été conduit à l’hospice de Charenton, en même temps que ses enfants étaient recueillis par une association religieuse.
Comment se fait-il que, dans la première ville du monde, un malheureux ne puisse avoir, sur la seule constatation de sa misère, un morceau de pain à donner à ses enfants succombant aux premiers besoins de la vie47 !
37Le fait divers paraît fictif, et inventé pour les besoins de la rubrique et de la morale finale : la PnΩ reproduit un mouvement d’indignation en faveur des « misérables » qu’on trouve par exemple dans le Claude Gueux (1834) de Victor Hugo ou dans Les Mystères de Paris (1842-1843) d’Eugène Sue48. Le chien s’appelle d’ailleurs Surin (alors que dans de très nombreux faits divers les protagonistes humains ne sont même pas nommés), le mot qui donne, dans ces mêmes Mystères de Paris, son nom au Chourineur, l’un des personnages (par la déformation de surineur)49. Ici la fictionnalisation du discours social sous-tendrait une portée perlocutoire, en poursuivant un but de divertissement autant que politique.
38Par ailleurs les deux héros de l’histoire reproduite dans ce fait divers de La Presse, M. N… et le chien, paraissent presque trop héroïques pour être vrais : le chien mène au coupable avec une facilité déconcertante, et M. N… arrive derrière la porte au bon moment, de sorte à intervenir on ne peut plus opportunément : il « courut droit au père et le désarma. » Le fait divers est au moins fictionnalisé dans le recours au discours direct, de M. N… à son chien et du père à ses enfants, et dans la façon dont le récit repose sur le point de vue de M. N…, avec « s’aperçut », « ces paroles arrivent aux oreilles de M. N… » et « il aperçut »50.
39La dramatisation de la situation du voleur est également un élément de fictionnalisation : il habite dans « une maison de l’apparence la plus misérable » (on passe à ce moment au présent de narration), au fond d’« une allée sombre et étroite », derrière « la porte mal jointe d’un grenier ». Le terme « malheureux » est répété trois fois en l’espace de quelques lignes, et la peinture de la folie – « l’œil hagard et les traits décomposés » – et des enfants est très stéréotypée. L’enquête rapide à laquelle se livre M. N… et qui comme par magie le conduit au coupable repose sur une casquette abandonnée par le voleur. Cet indice intervient effectivement très fréquemment dans les faits divers : « L’assassin, en fuyant, avait laissé tomber sa casquette. La saisie de cette pièce à conviction amena les plus graves constatations, et l’on arriva à savoir par quel chapelier et à qui la casquette avait été vendue51 », lit-on par exemple dans Le Petit Journal. Mais dans les autres cas du corpus où la casquette est abandonnée par le criminel sur la scène du drame, comme dans cet extrait du Petit Journal, c’est au cours d’une lutte ou d’une fuite. Or rien de cela dans notre article : le voleur n’a pas été interrompu dans ses activités et ne s’est pas battu. On a donc l’impression que le journaliste a repris l’un des motifs courants des faits divers, mais de façon peu vraisemblable, simplement pour servir son récit.
40Il serait possible d’analyser de la sorte de nombreux faits divers, en faisant la part de la mise en intrigue (le présent de narration qui isole une des péripéties pour la mettre en évidence en ferait partie, de même que la focalisation, etc.), de la dramatisation et de la fictionnalisation.
De la mise en récit à la mise en spectacle
41« Le décor préféré du fait divers est une scène extérieure » (M’Sili 2000 : 91) – et le terme de scène n’est pas innocent lorsqu’il est employé par les reporters : il appartient au domaine du théâtre, lui-même très souvent convoqué dans les faits divers.
Omniprésent dans le registre lexical, le terme de théâtre est une métaphore pleinement signifiante : c’est un spectacle qui se donne avant tout dans les colonnes des journaux, et si certaines des pièces méritent leur appellation de « drames », bien des représentations relèvent du seul divertissement (Kalifa 1995 : 293).
42Le crime devient l’objet de la description, et la fictionnalisation tend justement au « seul divertissement ». Il est par exemple question de « la maison que la rumeur publique indiquait comme ayant pu être le théâtre d’un drame52 » – ou encore : « La nuit dernière, la maison centrale de Clairvaux vient d’être le théâtre d’un drame terrible53. » Quant à l’expression le théâtre du crime, elle est particulièrement présente dans les quotidiens. Les exemples en sont légion, et bien souvent, au seuil du fait divers comme dans ce dernier cas, ou au moment où les témoins découvrent le crime, le fait divers s’attarde sur la description théâtralisée des victimes54.
43Cette description théâtralisée, c’est tout d’abord celle qui présente la foule au spectacle55, avec les témoins qui les premiers découvrent la victime, et dont la fictionnalisation du fait divers permet de retranscrire les sentiments et le point de vue. Dans l’affaire Pierre Rivière, Michel Foucault reproduit par exemple cet extrait du Pilote du Calvados du 12 novembre 1835 (1973 : 208) : « Tous nos lecteurs se rappellent la douloureuse sensation que produit dans tout le bourg d’Aunay, le 3 juin dernier, le spectacle de trois cadavres égorgés par la main forcenée du fils et du frère de ces malheureuses victimes. » Ici, c’est supposément tout le bourg qui put assister au spectacle. Dans les faits divers du corpus, la description est plus généralement introduite par le seul regard des témoins. Les verbes de perception accompagnés d’un lexique théâtral sont alors très fréquents :
Au spectacle qui frappe leurs regards, ils ne savent lequel ils doivent le plus plaindre, ou du meurtrier, ou de sa victime involontaire, étendue sans vie à ses pieds, et à laquelle il prodigue d’impuissants secours56.
Pendant ce temps, un affreux spectacle s’offrait aux yeux de ceux qui pénétraient dans la maison57. Aussitôt des passants, apercevant cet affreux spectacle, donnèrent l’alarme. Des gardiens de la paix arrivèrent58.
44Dans ces exemples, le spectacle par deux fois est qualifié d’« affreux » : la mise en scène du crime et sa dramatisation s’appuient sur les effets rhétoriques hyperboliques déjà évoqués. Ici ce sont les témoins qui arrivent sur le lieu du crime, ou qui s’y trouvent déjà59.
45Mais la dramatisation du fait divers bien souvent repose sur le mythe d’un crime commis en plein jour, aux yeux de tous – et non plus seulement des témoins, mais du monde entier : l’audace du ou des criminels renforce ainsi l’indignation à leur égard, et l’horreur du forfait. Alain Corbin mentionne par exemple l’ouvrage intitulé Le Crime d’Hautefaye, écrit en 1871 par le journaliste Charles Ponsac ; l’historien en rapporte l’avant-propos : « Jamais dans les annales du crime, on ne rencontra un meurtre aussi épouvantable. Quoi ! cela se passe sous le soleil, en pleine frairie devant des milliers de gens ! » (Il s’agit d’un jeune noble supplicié par la foule parce qu’il aurait crié « Vive la République » ; Corbin s’intéresse à cette affaire dans Le Village des « cannibales », 1990 : 7). Or si effectivement le crime ne s’est pas passé de nuit, il n’y avait cependant pas plus d’une centaine de personnes présentes, et l’indignation du journaliste républicain provoque un effet de dramatisation – dans Les Mystères de Londres, Paul Féval reprend d’ailleurs le stéréotype en écrivant : « Ceci s’était passé en plein soleil, devant mille témoins60. » On croirait lire cet extrait d’un fait divers du Moniteur Universel : « Cette scène s’était produite au milieu de la foule, en plein jour61. » La dramatisation peut être davantage soulignée :
Un père, magistrat honorable, vieillard respectable, de soixante-dix ans, frappé, assassiné tout à coup par la main d’un fils, au milieu et sous les yeux de ses concitoyens, c’est là un de ces faits heureusement fort rares, qui jettent toute une ville dans la stupeur62.
46Les hyperboles ici sont très visibles, et l’on peut insister particulièrement sur la fiction de la rapidité avec « tout à coup », ainsi que sur cette dimension spectaculaire du crime, qui se fait « au milieu et sous les yeux » de tous. La foule est ainsi un personnage que l’on trouve dans de très nombreux faits divers63 : le spectacle du crime parvient au lecteur par l’intermédiaire de témoins qui le découvrent, mais également, ensuite, par les regards et les rumeurs des curieux.
47On va alors trouver, mise en abyme, une image de la curiosité du lecteur64 dans ces foules qui vont à la Morgue65, affluent sur les lieux du crime66, commentent les derniers événements. Ici par exemple « Une foule énorme stationnait sur les trottoirs, jetait des regards curieux sur la maison portant le numéro 3, interrogeant, racontant67 » ; ailleurs la foule accompagne jusqu’au poste de police un jeune homme venant de tirer sur sa maîtresse68. Dans son roman La Fabrique de crimes, parodiant le feuilleton et les poncifs de la presse à grand tirage, Paul Féval se gausse ainsi de la mention récurrente de cette présence populaire à proximité des crimes : « Au-dessous d’eux, tout était silence, car la foule des curieux n’avait pas eu le temps de se masser sur le lieu du sinistre69. » Et Madame Pipelet, la concierge des Mystères de Paris, reprend le même script ressassé par les journaux et vécu par le peuple de Paris – jusque dans l’argot marqué par l’italique :
Il y a un monsieur qui suit la petite dame. C’est sans doute le mari, le jaunet ; j’ai deviné ça tout de suite, je l’ai fait monter. Il va se massacrer avec le commandant, ça fera du bruit dans le quartier, on fera queue pour venir voir la maison comme on a été voir le n˚ 36, où il s’est commis un assassin70.
48Le futur vient sanctionner le déroulement du script, et l’on voit apparaître cette mémoire des lieux du crime parisiens dont il a brièvement été question plus haut. La foule y afflue comme au spectacle, même lorsque celui-ci est bel et bien fini ; il lui reste alors les rumeurs à échanger et les journaux à lire. Et dans ces derniers, le fait-diversier fige volontiers la scène du crime, dans un spectacle offert aux yeux des témoins – et partant des lecteurs ; mais il peint parfois également le crime au seuil de l’article, pour le donner à voir comme dans un tableau. C’est le dernier procédé de dramatisation que je voudrais mettre en évidence.
49L’imparfait narratif ouvrant le fait divers permet d’introduire un ordre narratif différent de ceux qui ont déjà été étudiés – à l’ordre linéaire et à l’ordre rétrospectif du récit ou de la relation des événements, il faudrait en effet ajouter cette organisation du fait divers qui propose un spectacle initial du crime, avant de remonter à ses causes ou de rapporter les avancées de l’enquête. Ce spectacle initial consiste en une scène figée par l’imparfait, un tableau sanglant dans lequel on fait parfois entendre les cris de la ou des victimes. Ce tableau constitue une sorte de frontispice au fait divers ; l’imparfait utilisé correspond à une scène qui se révèle aux yeux du public, et dont le lecteur même devient témoin :
– Nous lisons dans le Mémorial d’Aix : Un drame émouvant s’est passé lundi au soir, dans notre ville. Un individu sortait, en courant, d’une maison du Cours, en criant : À l’assassin ! et venait tomber ensanglanté sur le seuil de la librairie Garibal. On s’empressa de lui porter secours ; il était atteint d’une blessure assez profonde à l’avant-bras71.
50Dans la Pn0, le mot « drame » introduit bien l’immobilité de cette scène initiale : alors même que le fait divers commence par des actions rapides, l’imparfait donne ici l’impression de les saisir en les figeant dans une représentation qui s’anime ensuite et qui correspondrait à une gravure du crime72 – les canards étaient friands de ces frontispices gravés73 et écrits :
Le 7 décembre 1843, à 4 heures du soir, une horrible scène de meurtre venait tout à coup jeter l’épouvante et l’horreur parmi les habitants de Saint-Amand-en-Pusaye. Des cris affreux, des cris d’assassinat, des cris de mort, se faisaient entendre dans l’auberge du sieur Dubois ; une jeune femme échevelée, couverte de sang, se précipitait hors de la maison et venait tomber mourante dans la rue, mortellement frappée de quatre coups de couteau74.
51La rhétorique mélodramatique est alimentée par des termes comme « horrible », « épouvante », « horreur », et par le redoublement des déterminations, comme « des cris d’assassinat, des cris de mort ». L’expression des cris se faisaient entendre est très courante dans ces faits divers ou canards qui commencent par la peinture figée d’un instant du crime, et la ressemblance entre les deux extraits ci-dessus est assez frappante : dans chacune, une victime ensanglantée sortant du lieu du meurtre vient tomber ensuite devant les témoins – l’incipit correspond alors à ce que voient ces derniers. Au sujet de cet emploi de l’imparfait, Pouillon note :
par ce moyen on peut présenter l’action comme un spectacle. C’est là en effet le véritable sens romanesque de l’imparfait : ce n’est pas un sens temporel, mais, pour ainsi dire, un sens spatial ; il nous décale de ce que nous regardons. Cela ne veut pas dire que l’action est passée, car on veut au contraire nous y faire assister, mais qu’elle est devant nous, à distance et que c’est justement pour cela que nous pouvons y assister (1993 : 144-145)75.
52Cette citation rend parfaitement compte de l’usage de l’imparfait au début de ces faits divers – imparfait pittoresque en ce qu’il donne l’impression de peindre la scène dans une hypotypose théâtrale, imparfait narratif plus largement, comme le défend Jacques Bres. Dans un livre synthétique intitulé L’imparfait dit narratif qui résume et discute les différentes théories, Bres range sous la même étiquette ces imparfaits qui créent des effets impressionnistes, perspectifs, d’ouverture, de clôture, de rupture, de premier plan, de nouvel état, etc.76. Pour l’imparfait narratif ouvrant un récit, Bres donne l’exemple d’un article du Midi Libre : la presse en particulier a recours à cette valeur temporelle en début d’article – surtout dans le fait divers (Bres 2005 : 214, 223-224)77. Lorsqu’il ouvre le récit, l’imparfait est alors « accompagné d’une datation, le plus souvent antéposée » (ibid. : 136)78. La forme prototypique de cette indication temporelle (ouvrant généralement la phrase) est x temps plus tard, mais elle peut également être chronique, comme c’est le cas pour le canard de la fin des années 1840 (« Le 7 décembre 1843, à 4 heures du soir »), ou déictique, comme c’est le cas du premier fait divers (« lundi au soir »).
53La presse fait un grand usage de cet imparfait narratif tout au long du XIXe siècle, alors qu’en littérature il est particulièrement utilisé dans la seconde moitié du siècle, dans l’écriture artiste des Goncourt par exemple79. À l’entrée des faits divers, on le trouve dans le corpus dès 1836 :
– Hier soir, à neuf heures et demie, les cris au meurtre ! à l’assassin ! retentissaient rue Traversière Saint-Honoré. Ces cris étaient proférés par une nymphe de ce quartier, qui, du milieu de la rue, les cheveux en désordre et les traits bouleversés par la frayeur, indiquait du doigt la direction suivie par le meurtrier, qui, de son côté, décampait à toutes jambes80.
54Le circonstant embrayé ouvre le fait divers, et si on ne trouve pas formellement l’expression des cris se faisaient entendre, le tableau débute malgré tout par leur mention ; on voit à nouveau la victime se révéler aux yeux des témoins, « au milieu de la rue », et si elle n’est pas en sang, du moins son aspect physique traduit à un grand trouble. L’imparfait narratif permet ainsi de détacher la scène initiale du reste du texte, comme dans le cas d’une dispute conjugale déjà mentionnée :
UNE SCÈNE CONJUGALE. – ARRESTATION. – Les cris au secours ! à l’assassin ! se faisaient entendre hier matin rue de Vaugirard. On voyait une femme demi-vêtue, couverte de sang, fuir devant un homme qui, le couteau à la main, la poursuivait en la menaçant de mort.
C’était le nommé Jules E…, âgé de trente-deux ans, cocher, qui, après avoir cassé un poêlon sur la tête de sa femme et lui avoir fait une blessure grave, la poursuivait en cherchant à la tuer81.
55Le circonstant ici n’ouvre pas le texte, mais on le trouve bien dans la première phrase, reprenant par ailleurs le stéréotype des cris qui se faisaient entendre. La scène n’est pas intégrée au récit, qui d’ailleurs n’advient pas : après la description initiale, on trouve une explication à celle-ci, et l’annonce de l’intervention de la police. Dans ce dernier cas, le « On voyait » témoigne du point de vue d’un narrateur anonyme, et non d’un agent de police ou d’une personne précise82. L’imparfait dans ce cas peut être analysé en termes de présentification ou de point de vue (Rabatel 1998 : 42, 47) : il met sous les yeux du lecteur un crime dont la perception est introduite par un verbe ou un terme comme le spectacle, la scène, etc. (ibid. : 78).
56J’ai tenu à pointer ici ou là une forme de perméabilité, ou de porosité, entre textualité littéraire et textualité fait-diversière : toutes deux peuvent partager avec les théories médicales des discours stéréotypés sur la folie ou le suicide. Mais s’il y a perméabilité du discours littéraire et du discours journalistique, c’est aussi parce que le fait divers emprunte certains de ses procédés à la narration romanesque.
57Ces analyses semblent tracer certaines des spécificités génériques du fait divers criminel au XIXe siècle, en particulier dans la circulation, au sein de la rubrique, des discours narratifs, factuels comme fictionnels. C’est toujours la circulation des discours du fait divers à l’intérieur du fait divers qui sera l’objet de la partie suivante : mais cette fois-ci, c’est la façon dont un article en cite un autre, ou même le copie ou le plagie sans le signaler, ce sont ces pratiques de découpage, de reformulation et de collage, qui vont nous intéresser.
Notes de bas de page
1 P.-É. Lisle, Du Suicide, op. cit., p. 466.
2 Lisle est de bien mauvaise foi, comme je le soulignais plus haut (p. 54) : alors même qu’il reconnaît le mensonge auquel se livrent les journaux, il cite la lettre d’un suicidé publiée par un quotidien et l’étudie comme un cas médical alors qu’elle pourrait bien être fictive. Sur la fictionnalisation des faits divers, voir aussi ibid., p. 308-309.
3 C’est le cas par exemple de l’affaire de la rue Poliveau, qui bénéficia d’une importante couverture médiatique en 1878. Les journalistes constituent explicitement le cas en « affaire » : « L’affaire de la rue Poliveau est toujours inexpliquée » (11 avril 1878. La Presse, « Faits divers », « Paris ») ou « Le prétendu Émile Gérard, arrêté pour l’affaire de la rue Poliveau, a été mis en liberté » (14 avril 1878. La Presse, « Faits divers », « Paris »). Dans le corpus initial, l’affaire de la rue Poliveau est traitée dans la rubrique « Faits divers » de La Presse du 8 au 15 avril 1878. Le terme d’affaire a déjà cours dans la première moitié du siècle : « L’instruction se poursuit avec activité dans l’affaire de l’assassinat de la rue des Petites-Écuries » (15 janvier 1838. La Presse, « Faits divers »).
4 Faits divers des 5, 6 et 7 avril 1878 dans Le Petit Parisien.
5 4 novembre 1878. Le Gaulois, « Paris au jour le jour », « Crimes et délits ». Au début du fait divers, on peut également trouver son inscription explicite dans un ensemble : notons par exemple le titre « Le meurtre de lord Leitrim (Suite) » (8 avril 1878. Le Petit Parisien, « Faits Paris », « Étranger »).
6 La formule appartient sans doute depuis longtemps aux journaux : Stendhal la reprend dans son journal, par exemple en date du Dimanche 19 ventôse XIII (10 mars 1805) : « Nous avons passé douze heures ensemble. À demain les détails » (Journal, Gallimard, « Folio Classique », 2010, p. 294). Voir aussi le jeudi 27 mars 1806, p. 452 : « À une autre fois les détails » – et la p. 588 (12 mai 1809), etc.
7 Des centaines d’articles contre, dans La Presse, trois articles parus dans les « Faits divers » des 13, 15 et 21 janvier 1838.
8 8 juillet 1836. Le Siècle, « Bulletin départemental ».
9 19 juillet 1836. Le Siècle, « Bulletin départemental ».
10 1er novembre 1878. Le Gaulois, « Paris au jour le jour », « Crimes et délits ».
11 12 novembre 1878. Le Petit Journal. Perrot est devenu Porel : ces confusions ne doivent pas étonner dans la composition du journal et la transcription de documents de police ou de rumeurs (on pourra se reporter en particulier à la partie suivante). Ce n’est sans doute pas un hasard si le journaliste mentionne le nom de Barré : c’était aussi celui d’un des deux assassins dans l’affaire de la rue Poliveau, pendant cette même année 1878 (Le Petit Journal du 1er août 1878), et cela ne coûte pas grand-chose au fait-diversier d’attirer l’œil du lecteur par ce nom qui a occupé une partie de l’espace médiatique quelques mois auparavant.
12 Ce mot de mosaïque donne son titre à l’ouvrage que Marie-Ève Thérenty a tiré de sa thèse de doctorat sur les rapports entre presse et roman entre 1829 et 1836 (2003). Il me semble bien rendre compte de cet effet feuilleton étudié ici, et qui contribue à cette appellation de « roman du discontinu ».
13 Certains faits divers précisent même la salle ou le numéro du lit occupé par la victime à l’hôpital : par exemple « Mlle Ollivier est toujours à l’hôpital Necker, salle Sainte-Cécile, lit n˚ 7, dans le service du docteur Guyon » (3 janvier 1881. Le Figaro, « Nouvelles diverses »).
14 Le quartier des Champs-Élysées par exemple tend à cristalliser certaines représentations journalistiques, fictionnelles ou non – le rez-de-chaussée fait alors écho au haut de page : « Ces Champs-Élysées ne sont pas les nôtres, luxueux et badauds, mais l’orée d’un sinistre bois » (préface d’Armand Lanoux aux Mystères de Paris d’Eugène Sue, op. cit., p. 9-10). Sue y fait référence pour décrire un cabaret mal famé, « un de ces cabarets souterrains que l’on voyait, il y a quelques années encore, dans certains endroits des Champs-Élysées » (ibid., p. 135). Simone Delattre écrit : « Les Champs-Élysées sont aussi connus pour associer demi-nuit et obscénité » (2000 : 413). Ainsi, à la fin de l’année 1837, la police trouve sur les Champs-Élysées le cadavre d’un vieillard (28 décembre 1837. La Presse, « Faits divers »).
15 12 novembre 1878. Le Petit Journal et 10 novembre 1878. Le Petit Journal, « Paris ». Il s’agit bien de la même personne : il est désigné comme le « commissaire de police du quartier Saint-Merri » dans le premier article, et comme le « commissaire de police du quartier » dans le second – or le crime a lieu au 34 boulevard de Sébastopol, soit en plein quartier Saint-Merri.
16 9 avril 1878. La Presse, « Faits divers », « Paris ».
17 « L’imaginaire journalistique du XIXe siècle paraît dominé par le mode fictionnel, mode pendant longtemps considéré à la fois comme distractif, cognitif et pédagogique », propose ainsi Marie-Ève Thérenty (2007 : 122). Sur « la fiction comme attribut de l’information, recours utilisé non pas pour “désinformer” mais pour mieux informer », voir Thérenty & Vaillant 2001 : 233.
18 Voir aussi H. de Balzac, Monographie de la presse parisienne, op. cit., p. 66 : « Depuis quelques années, on substitue le mot puff au mot canard. » Mais également : « PUFF, s. m. Charlatanerie. / Vient du verbe anglais to puff, bouffer, boursoufler, faire mousser » (A. Delvau, Dictionnaire de la langue verte, op. cit.), ou le Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, de Pierre Larousse, à l’entrée CANARD (1867). L’auteur annonce un canard, et ajoute : « D’ailleurs il vient d’Amérique, ce pays qui nous en remontrera toujours en fait de puff et de réclame. » Marie-Ève Thérenty, présentant le puff romanesque, explique : « Le puff, adaptation d’un mot anglais signifiant souffle de vent, est une pratique fort ambiguë. Le mot peut désigner à la fois une blague mais également – et sans doute ce sens est-il de plus en plus courant – une mystification publicitaire » (2008 : 223). On renverra à cet article sur la question du puff romanesque.
19 Paul Dupont, Histoire de l’imprimerie, t. II, Dupont, 1854, p. 225. Voir également Kalifa 1995 : 94 et 1993a : 589.
20 Ce meurtre est déjà évoqué au début du mois dans les « Faits divers » de La Presse du 3 décembre 1837.
21 14 décembre 1837. La Presse, « Faits divers ».
22 Barthélémy Badouix, qui reste en place de 1831 à 1840 : or en 1837, « il entra en lutte avec Dupin, qui ne le trouvait pas suffisamment docile et lui reprochait de n’avoir pas soutenu la candidature de Brunier, son beau-frère. L’affaire donna lieu à une violente polémique et se termina par un duel entre le préfet et le candidat évincé » (Roger Baron 1974 : 287). Il est ainsi possible que La Presse publie un papier envoyé depuis Millay par un agent de Dupin (à moins que ce soit directement Dupin qui ait fourni la lettre au quotidien) pour discréditer son ennemi le préfet Badouix et provoquer peut-être sa destitution. C’est une simple hypothèse de lecture : la seconde partie très politique de Lucien Leuwen, en peignant la façon dont se font, à la Chambre, dans la presse et en province, les élections, les grâces et les disgrâces ministérielles, m’a mise sur cette piste peut-être sans fondement.
23 « Pour le journaliste, tout ce qui est probable est vrai » est le dernier axiome que Balzac formule un peu amèrement dans sa Monographie de la presse parisienne (op. cit., p. 209), et qu’il énonce déjà dans Illusions perdues (voir l’introduction, p. 21).
24 Archives de la Préfecture de police, DA 222, « Renseignements généraux ». C’est la 4e pièce du 3e carton, qui en compte 11.
25 5 novembre 1878. Le Gaulois, « Paris au jour le jour », « Informations diverses ».
26 Le mystère est encore rappelé en PnΩ : « Tels sont les faits relevés par l’enquête. On comprend que nous ne puissions entrer dans des détails circonstanciés, et que nous laissions à cette affaire son caractère mystérieux. »
27 Faut-il penser qu’il s’agit là d’un titre figé ou en voie de fixation ? Alphonse Allais fait paraître par exemple en 1891 la nouvelle « Un drame bien parisien » (À se tordre !, Œuvres anthumes, Robert Laffont, « Bouquins », 1989, p. 44-48). Le texte est commenté entre autres par Adam (1985), Eco (1985) et Corblin (1995) ; ce dernier rappelle qu’il a aussi intéressé Lacan et Breton. Le titre pourrait bien pasticher une collocation courante dans la presse.
28 6 novembre 1878. Le Gaulois, « Paris au jour le jour », « Crimes et délits ».
29 Dans une lettre au comité de la Société des gens de lettres (Archives nationales, 454 P), le reporter Georges Grison se plaint en août 1900 que les faits divers qu’il fournit à La République sont recopiés sans son autorisation dans Le Voltaire ; et il précise que « fort souvent – et c’est mon cas – certains de ces petits romans sont œuvre d’imagination pure » (in Thérenty 2007 : 139). Le genre romanesque est encore mobilisé ici pour qualifier les faits divers : cette tendance à l’« imagination pure » que le reporter de 1900 met en avant est sans doute plus largement caractéristique du genre même du fait divers au XIXe siècle.
30 Jean de La Fontaine, Fables, IV, 10, Gallimard, « Folio Classiques », [1668] 1991, p. 133-134 :
On avait mis des gens au guet,
Qui voyant sur les eaux de loin certain objet,
Ne purent s’empêcher de dire
Que c’était un puissant Navire.
Quelques moments après, l’objet devient Brûlot,
Et puis Nacelle, et puis Ballot,
Enfin Bâtons flottants sur l’onde.
31 Mais non pas du reportage naissant : voir Muhlmann 2004 : 59 ou Thérenty 2007 : 290, 310, etc. Notons par ailleurs que ces commentaires se font dans l’espace même du journal, qui expose alors autant sa production que ses pratiques.
32 Cet article n’appartient pas au corpus d’origine : j’en ai trouvé la trace à partir des archives de la Préfecture de police, BA 916, Puteaux 1871-1899. Le rapport n˚ 245 daté du 4 mai 1877 et signé par le commissaire de police de Puteaux mentionne le « repêchage dans la Seine du cadavre d’un individu de sexe féminin dont la mort paraît être le résultat d’un crime » : le commissaire décrit pour le Préfet de police le cadavre en question, dont les jambes ont été sectionnées. La pièce suivante a été écrite à Paris et est datée du lendemain. Elle est signée par Jacob, le chef du service de Sûreté : le fonctionnaire rapporte les résultats de l’autopsie. Celle-ci a permis de conclure que la femme n’a pas été victime d’un crime, contrairement à ce que la première expertise avait supposé.
33 Voir également le Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle (t. VIII, 1872), à Faits divers : « Un fait divers dépourvu de montant est dédaigné de l’abonné, ce que sait bien le cuisinier du journal ; aussi son imagination est-elle sans cesse en éveil ; quand le fait divers lui semble maigre, il l’arrange et le pimente par quelque trait de sa façon et dont l’effet ne manque jamais […]. D’autres fois, lorsqu’il y a disette de nouvelles et que les journaux de province ou de l’étranger ont été dépouillés infructueusement par lui, il imagine quelque anecdote à sa façon. »
34 Je donne à l’adjectif romanesque le sens qui le lie à la fictionnalisation : faire du roman, c’est inventer des circonstances qui ne sont pas exactes, et qui de plus sont racontées avec des procédés de fictionnalisation – l’expression romancer le fait divers irait dans le même sens. Le journaliste qui rédige le démenti du Gaulois dans « Un pseudo-drame parisien » mentionné plus haut qualifie d’ailleurs le fait divers précédent de « romanesque article ».
35 4 janvier 1838. La Presse, « Faits divers ».
36 17 février 1863. Le Petit Journal, « Départements ».
37 Au sujet de la presse qui nous est contemporaine (et à partir d’un corpus de faits divers parus dans France Soir et Libération du 9 septembre au 9 décembre 1985), André Petitjean note de même : « Soucieux de donner à leurs lecteurs l’illusion d’assister à l’événement, les journalistes vont jusqu’à inventer des dialogues » (1987 : 76).
38 Notons toutefois que dans les rapports de police, on trouve aussi des dialogues entre les acteurs du crime rapportés in extenso : il s’agit alors moins d’un procédé de fictionnalisation que d’une mise en évidence de la preuve – des menaces précédant le crime, d’un aveu, etc. En cela, la présence de dialogues dans le fait divers est ambiguë : elle signifie autant la fiction que la copie du document officiel – et joue sans doute sur les deux tableaux.
39 1er janvier 1838. La Presse, « Faits divers ».
40 5 février 1843. La Presse, « Nouvelles et faits divers ».
41 Par exemple « On peut s’imaginer quelle fut sa douleur quand, éveillée par son mari, elle contempla ce triste spectacle » (12 juillet 1860. Le Droit, « Paris, 11 juillet 1860 »).
42 « À ces mots, saisissant un verre à boire, elle se jette comme une furie sur son mari, le frappe à coups redoublés sur la figure, sur la tête, l’égratigne, le mord » (11 octobre 1874. La Patrie, « Faits divers »).
43 « En recevant le premier coup, la victime avait fait entendre les cris : Au secours ! à l’assassin ! » (28 février 1863. La Patrie, « Faits divers »).
44 « Un instant après, une seconde détonation se faisait entendre : c’était l’assassin qui se faisait justice à lui-même, en se brûlant la cervelle avec la même arme, qu’il avait rechargée » (6 février 1863. Le Constitutionnel, « Nouvelles diverses », « Paris, 5 février ») ou « Au moment où le magistrat, suivi du docteur de Villers, pénétrait dans la pièce qui précédait celle où s’était réfugié l’assassin, un nouveau coup de pistolet se fit entendre ; c’était Obry qui se tuait » (14 janvier 1838. La Presse, « Faits divers »). Dans ces deux cas, le présentatif qui vient ensuite tend également à dramatiser la scène en faisant ressortir le personnage du meurtrier.
45 « Les titres proclament à l’envi la bonne foi et le souci d’exactitude des éditeurs. Ils commencent souvent par Discours véritable, Histoire véritable, Discours très véritable, Le vray discours, etc. » (Seguin 1964 : 21 ; il est question de canards parus entre 1529 et 1631). Pour le XVIIIe siècle, Arlette Farge note également : « Les feuilles volantes, achetées dans la rue aux colporteurs égosillés, relatant la noirceur des crimes des malandrins, commencent souvent par là : détail de ce qui s’est réellement passé, relation véritable de ce qui est arrivé, etc. » (1986 : 104).
46 22 et 23 mai 1854. Gazette des tribunaux, « Chronique », « Départements ».
47 11 février 1843. La Presse, « Nouvelles et faits divers ».
48 Dans ce dernier ouvrage, on peut renvoyer par exemple à un passage du chapitre « Comparaison » : E. Sue, Les Mystères de Paris, op. cit., p. 982-984 – ou bien à la note 2 p. 1192, dont cet extrait ressemble assez au paragraphe conclusif du fait divers étudié : « Comment la ville de Paris, si puissamment riche, ne fait-elle pas jouir les classes pauvres des avantages que leur offrent, ainsi que je l’ai dit, beaucoup des villes du nord et du midi de la France, en prêtant soit gratuitement, soit à 3 ou 4 pour cent d’intérêt ? »
49 Voir A. Delvau, Dictionnaire de la langue verte, op. cit. : « CHOURINER, v. a. Tuer, – dans l’argot des ouvriers qui ont lu les Mystères de Paris d’Eugène Sue, et qui, à cause de cela, n’ont que de fort incomplètes et de fort inexactes notions de l’argot des voleurs. / V. Suriner. / CHOURINEUR, s. m. Assassin, – par allusion au personnage des Mystères de Paris, qui porte ce nom, lequel avait, à ce qu’il paraît, grand plaisir à tuer. / L’étymologie voudrait que l’on dît Surineur ; mais l’euphonie veut que l’on prononce Chourineur. »
50 Ce sont de telles expressions qui permettent de repérer le focalisateur. Voir Rabatel 1998 : 89.
51 19 février 1863. Le Petit Journal, « Départements ». On peut également citer « L’assassin prit la fuite, laissant sur le lieu du crime sa casquette et le fourreau de sa canne à épée » (12 février 1843. La Presse, « Nouvelles et faits divers », « Départements »), ou « La casquette de Platé a été retrouvée avec un couteau sur le théâtre de la lutte » (3 juin 1881. Le Temps, « Faits divers »).
52 14 février 1863. Gazette des Tribunaux, « Chronique », « Départements ».
53 8 octobre 1874. Le Moniteur Universel, « Départements ».
54 Lorsque l’événement lui-même a lieu sur la scène d’un théâtre, la mise en abyme en est encore renforcée. Par exemple : « vers la fin du spectacle, M. Carré, notre ténor, qui chantait le quatrième acte de Lucie, emporté sans doute par l’émotion de la scène, qui exige qu’il se poignarde, s’est enfoncé la lame de son poignard assez profondément dans la poitrine » (20 mars 1851. Le Moniteur universel, « Intérieur », « Faits divers », « Départements »).
55 Sur la question de la foule dans le fait divers au tournant des XIXe et XXe siècles, voir Ambroise-Rendu 2004 : 107-116.
56 19 février 1843. La Presse, « Nouvelles et faits divers », « Départements ».
57 17 février 1863. Le Petit Journal, « Départements ». La même expression est employée dans ce fait divers : « Là s’offrit à leurs yeux un affreux spectacle » (7 juillet 1860. La Presse, « Faits divers »).
58 4 mars 1874. Journal des débats, « Faits divers ».
59 À la fin du siècle, Alphonse Allais pastiche cette tendance dramatisante du fait divers : dans « Faits-divers et d’été », le narrateur prend le prétexte d’une fausse lettre de lecteur – qui lui reproche son style et ajoute qu’il ne saurait pas même écrire un fait divers – pour proposer plusieurs articles de son cru. Il imite l’ordre de la rubrique en présentant d’abord la météo, puis propose des textes loufoques, comme « L’accident de la rue Quincampoix ». La forme du titre est déjà stéréotypée ; on lit dans le corps du texte : « L’accident avait amassé une foule considérable et ce ne fut qu’un cri d’horreur dans toute l’assistance. » Et plus bas, on trouve également l’expression figée déjà soulignée plus haut : « quelle ne fut pas la surprise de la foule. » L’un des faits divers suivants s’intitule « Encore les bicyclettes » – le titre reprend un modèle figé de l’époque. Le texte lui-même en revanche est – si l’on ose filer la métaphore – totalement déjanté : « Encore, hier matin, une bicyclette s’est échappée de son hangar et a parcouru à toute vitesse la rue Vivienne, bousculant tout et semant la terreur sur son passage » (Alphonse Allais, Vive la vie !, 1892, Œuvres anthumes, op. cit., p. 148-151).
60 Paul Féval, Les Mystères de Londres, 1843, Phébus, « Libretto », 1998, p. 337.
61 6 octobre 1874. Le Moniteur Universel, « La Journée ».
62 18 juillet 1836. Le Siècle, « Bulletin départemental ». Notons que cette version est totalement inexacte : on apprend dans l’édition du lendemain (20 juillet 1836. Le Siècle, « Bulletin départemental ») que le crime a en réalité eu lieu à l’intérieur de la maison du juge de paix.
63 La foule peut être criminelle, dans le cas de mouvements de foule, les émeutes, etc. ; je négligerai volontairement cet aspect pour me concentrer surtout sur la foule spectatrice du crime.
64 Lorsqu’il s’agit de « spectacles d’horreur », le lecteur est toujours spectateur des crimes qui lui sont donnés à lire – comme dans les canards, ou dans l’ouvrage de Camus qui interpelle ainsi son lecteur : « Vous allez voir un jeu sanglant en ce Spectacle, & une imitation enfantine, qui coûta la vie à trois innocents » (Jean-Pierre Camus, Les Spectacles d’horreur, où se découvrent plusieurs tragiques effets de notre siècle, Soubron, 1630, spectacle xviii, p. 203).
65 « La foule s’y est portée et l’établissement d’un service d’ordre a été nécessaire », lit-on dans l’affaire de la rue Poliveau (11 avril 1878. La Presse, « Faits divers », « Paris »).
66 « Un grand nombre de personnes n’ont cessé de stationner devant la maison dans laquelle s’est passé ce dramatique événement » (6 juillet 1860. La Presse, « Faits divers »).
67 5 avril 1878. Le Petit Parisien.
68 27 juin 1836. Le Constitutionnel, « Intérieur », « Paris, 26 juillet ».
69 P. Féval, La Fabrique de crimes, op. cit., p. 32.
70 E. Sue, Les Mystères de Paris, op. cit., p. 292.
71 17 septembre 1857. Le Siècle, « Nouvelles diverses ».
72 La Grammaire méthodique du français rend ainsi compte de cet emploi : « quand il s’agit plutôt de dépeindre un procès comme dans un tableau, on parle d’imparfait “pittoresque” » (1994 : 308).
73 Pour des exemples de canards et des gravures qui les accompagnent, voir par exemple Seguin 1959 et 1964.
74 Archives de la Préfecture de police, DB 642. Le canard est vendu 10 centimes et compte 8 pages de petit format. Son titre est : « Détails sur la Vie, les Crimes et le Jugement de Jean Gondran dit Papart, Condamné à la peine de mort par la Cour d’assises de la Nièvre, pour avoir assassiné sa concubine ». Il contient trois rubriques : « Histoire de Gondran », « Détails sur l’exécution de Gondran », et « Complainte sur la vie de Gondran ». Il a été imprimé à Nevers, par Fay. D’après Seguin, les impressions des canards Fay datent de 1848-1849 (1959 : 221) ; celui-ci n’est pas plus précisément daté.
75 Cité par Jean-Michel Adam 1997b : 165-166.
76 Pour un résumé des différentes thèses sur le sujet, on se reportera en particulier au chapitre 12 (2005 : 193-204).
77 Bres explique l’effet créé par cet imparfait narratif de la sorte : « c’est la demande cotextuelle d’incidence qui, en interaction avec l’imparfait qui n’y répond pas, produit l’effet narratif » (ibid. : 136). Voir aussi 82 et 238. Notons que Gustave Guillaume s’appuyait, dans son étude de l’imparfait perspectif se substituant au prétérit défini, sur un fait divers commençant de la sorte : « Il y a trois mois environ, un homme très bien mis et de grandes manières se présentait chez un bijoutier parisien et lui demandait un bijou exceptionnel, pierre ou perle. » Dans ce cas, son « rôle est de piquer la curiosité du lecteur en lui faisant pressentir que quelque chose de singulier et d’inattendu se prépare » ([1943-1944] 1990 : 196-197). Bres (2005 : 25) indique que ce texte a été souvent réutilisé par le linguiste depuis Temps et Verbe ([1929] 1993 : 68), et par ses héritiers dans l’étude de l’imparfait narratif.
78 Dans leur Précis de grammaire historique, Brunot & Bruneau indiquent déjà que cet imparfait de « rupture » qui correspond à l’imparfait narratif étudié par Bres « est toujours accompagné d’une indication de temps précise » ([1919] 1969 : 331). De même Gustave Guillaume : « Les imparfaits perspectifs sont souvent amenés par l’introduction dans le discours d’une expression de temps, elle-même perspective » ; « L’imparfait perspectif […] se présente souvent dans le discours comme la suite d’une indication de moment à laquelle il est, en quelque sorte, adossé » ([1943-1944] 1990 : 197, 203).
79 « Les occurrences d’IN sont significativement plus nombreuses dans Les Misérables [1862] que dans Notre-Dame de Paris [1831] : 4 dans ce roman-ci, 42 dans ce roman-là. Ce qui n’était qu’un tour syntaxique qui se cherchait dans l’œuvre de 1831 est devenu un tour qui s’est pleinement trouvé et s’éprouve dans celle de 1862 » (Bres 2005 : 208). J’aurais tendance à penser, après avoir rencontré de nombreux imparfaits narratifs dans les faits divers, que cet emploi verbal passe du journal à la littérature, et non l’inverse, comme le dit le Grand Larousse de la langue française à l’entrée Imparfait : « L’imparfait narratif, né peut-être dans les Mémoires (Chateaubriand, A. Dumas), gagna le roman (Hugo, Balzac, Eugène Sue) et devint avec les Goncourt “un des traits de l’écriture artiste”. L’abus qu’ils en firent, ainsi que Maupassant, A. Daudet, provoqua l’inquiétude de Brunetière. L’usage gagnait les historiens et les journalistes, tout en restant étranger à la langue parlée » (t. III, 1989).
80 27 juin 1836. Le Constitutionnel, « Intérieur », « Paris, 26 juillet ».
81 13 mars 1874. Le Droit, « Paris, 12 mars 1874 ». On voit, aux dates qui sont données dans les notes précédentes, que ce modèle de scène initiale à l’imparfait narratif court le siècle et n’est pas l’apanage d’un moment journalistique particulier.
82 Alain Rabatel analyse bien cette expression du point de vue (1998 : 107).
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