Wenceslao Ayguals de Izco : de « l’Eugène Sue espagnol » au « regénérateur1 » du roman national2
p. 119-135
Texte intégral
1Dès la parution de María ο la hija de un jornalero, récit de l’ascension sociale d’une jeune ouvrière, Wenceslao Ayguals de Izco se place sous les auspices d’Eugène Sue3. Ce dernier rédige en effet, en novembre 1846, une introduction très élogieuse qui dégage le patriotisme de l’écrivain espagnol, le caractère libre penseur et précurseur de son œuvre. Ce « parrainage », et surtout le grand succès en Espagne des Mystères de Paris, traduits pratiquement au moment de leur parution entre 1842 et 18434, expliquent sans doute les rapprochements immédiats faits entre les deux auteurs. Les critiques, dans l’ensemble très favorables à María, ne manquent pas de souligner la dette d’Ayguals de Izco envers l’écrivain français5, comme le feront un peu plus tard, Pereda6, Menéndez y Pelayo7 ou des critiques plus récents. Cependant, dans le même temps, certains commentaires rejettent la notion d’imitation servile et tentent de dégager l’originalité d’Ayguals8.
2Ce dernier ressent d’ailleurs lui-même la nécessité de se démarquer d’Eugène Sue, et l’hommage qu’il adresse à l’auteur des Mystères de Paris dans la dédicace de María..., se double d’un manifeste littéraire et patriotique. En effet, il précise son intention de plaider en faveur des classes pauvres, et affirme son propos moralisateur, mais il veut tout autant corriger l’image que les étrangers, et Eugène Sue en personne, ont des Espagnols :
Trato también de describir las costumbres del pueblo; costumbres españolas que os son enteramente desconocidas a vosotros los extranjeros, si hemos de juzgar por vuestros escritos. [...] Y si os comprendo en el número de los que habéis penetrado mal el carácter e índole de los españoles [...] es porque así lo patentizáis al describir nuestras costumbres andaluzas en vuestras novelas marítimas» (M.1, X)9.
3Cette volonté de Wenceslao Ayguals de Izco, illustrée également par l’expression «puro españolismo», nous conduit donc à nous interroger sur la revendication identitaire qui sous-tend le roman. Dans quelle mesure cet écrivain réussit-il à concilier des théories importées de l’étranger et une exaltation du caractère espagnol ? Doit-il être considéré comme un simple imitateur d’Eugène Sue, adepte des théories du socialisme utopique, ou au contraire, fait-il œuvre d’innovateur, au moment où la production nationale connaît une crise ?
Eugène Sue et Ayguals de Izco : fraternité politique et littéraire
4Eugène Sue et Wenceslao Ayguals de Izco sont deux auteurs contemporains, aux convictions politiques souvent très proches. Le premier commence la rédaction des Mystères de Paris, alors qu’il s’est récemment « converti au socialisme »10. Sa sincérité a souvent été mise en cause11, mais l’on peut raisonnablement affirmer que ce socialisme de circonstance devient ensuite plus sincère, en partie à cause de l’interaction entre le public et le romancier12. Certes, l’écrivain n’est pas un militant à part entière, mais les projets de réformes sociales présentés dans les deux ouvrages étudiés ont, plus que certains discours politiques, inspiré les idéaux révolutionnaires de 1848.
5Le parcours politique de Wenceslao Ayguals de Izco est, à première vue, beaucoup plus engagé, comme en témoignent surtout ses mandats de député progressiste de la province de Castellón. L’écrivain se qualifie lui-même de « démocrate », terme qui, à l’époque, n’exclut pas des convictions monarchistes13. Les écrits d’Ayguals de Izco nous révèlent d’ailleurs, dès les années 1840, une connaissance des socialistes européens, et plus exactement de Fourier, dont les théories eurent une grande résonance en Espagne, surtout en Andalousie14. Toutefois, son évolution vers le conservatisme s’affirme avec le temps15.
6En conclusion, à la relative radicalisation de la pensée d’Eugène Sue, s’oppose la « frilosité » de plus en plus grande d’Ayguals, surtout face à la notion de lutte des classes, à laquelle il oppose celle de réconciliation.
7D’autre part, la production de ces deux auteurs s’inscrit dans deux genres littéraires relativement récents, le roman-feuilleton et le roman par livraisons16, liés avant tout à des facteurs sociologiques : développement de la presse et d’un lectorat particulier. En France, le genre en vogue est surtout le roman-feuilleton. Cette littérature, destinée à conquérir le plus large public, implique l’emploi de techniques narratives « héritées des littératures orales et des contes de fées »17. Le recours au manichéisme, à une typologie souvent réductrice, au suspense, à la multiplication des ressorts dramatiques, la conception d’un héros surhomme, la réitération, l’allongement excessif de certains épisodes, sont autant de moyens mis en œuvre pour captiver l’attention du lectorat et augmenter les ventes. Mais ces romans ont aussi un caractère didactique, et surtout dans les Mystères, ils tentent de sensibiliser l’opinion aux problèmes sociaux de l’époque18.
8En Espagne, le roman-feuilleton apparaît également dans les années 1840, mais sa diffusion est plus limitée, surtout en raison du taux élevé d’analphabétisme19. En revanche, entre 1840 et 1860, se manifeste un engouement très fort pour le roman par livraisons, cependant peu accessible aux classes populaires, en raison des prix pratiqués20. Quoi qu’il en soit, roman-feuilleton et romans par livraisons ont une orientation générale commune, excepté dans leur structure, car au contraire du feuilleton, la fin de la livraison ne correspond que très fortuitement au terme d’un chapitre.
9Ainsi donc, convictions politiques et contexte littéraire marquent d’un même sceau les auteurs concernés, surtout dans les années 1840. Ayguals ne se contente pas de devenir le principal propagateur et diffuseur de l’œuvre d’Eugène Sue en Espagne, il publie, en octobre 1844, sa propre traduction du Juif Errant, accueillie par des critiques élogieuses21. Par ailleurs, dans les deux premiers tomes de la trilogie, il adopte plusieurs jugements et propositions de réformes sociales avancés par l’écrivain français.
Ayguals de Izco, épigone d’Eugène Sue
10Dès les premières pages de María, l’influence d’Eugène Sue est perceptible dans plusieurs domaines : l’orientation morale et didactique, les procédés d’écriture et enfin, le traitement de certains thèmes sociaux.
11Tout d’abord, les deux auteurs choisissent de placer l’action de leurs romans à l’époque contemporaine, fait relativement nouveau pour leur temps ; d’autre part, Madrid et Paris apparaissent en toile de fond.
12L’intention morale commune est clairement annoncée : il s’agit de rendre horrible le vice, et de critiquer les maux, les carences de la société, tout en tentant de proposer des remèdes. Cependant, si l’auteur français attend la 5ème partie des Mystères pour déclarer clairement ses intentions22, Ayguals expose son propos dès sa dédicace à Eugène Sue, et le réaffirme dans l’épilogue de María : «Abogar, cual vos, por las clases menesterosas, realzar sus virtudes, presentar el vicio en toda su deformidad» (M1, p. X)23.
13En deuxième lieu, les procédés d’écriture, propres à la paralittérature, instaurent des repères pour le lectorat. Lieux et personnages sont souvent stéréotypés. La gargote de la Tía Mantecas rappelle le « tapis-franc » du Lapin Blanc ou la taverne du Cœur Saignant des Mystères ; ces lieux sordides sont facilement associés au vice, au crime, à la corruption ; tout au contraire, les palais somptueux comme ceux de la Marquesa de Bellaflor ou d’Adrienne de Cardoville (JE) indiquent immédiatement le statut de leurs maîtres. La symbolique des patronymes est encore plus évidente : María est aussi Marquesa de Bellaflor et nous rappelle Fleur de Marie dans les Mystères ; toutes deux incarnent une vertu angélique. La Marquesa de Turbiasaguas, ancienne prostituée reconvertie, nous plonge en revanche dans un monde de débauche, de cupidité, ainsi que de nombreux personnages affublés de surnoms : citons par exemple la Chouette, l’Ogresse, Tortillard ou Bras-Rouge, ainsi que La Tía Mantecas, Curro el Desalmao, Patizambo. Le procédé d’animalisation souligne les vices des personnages : la Chouette est aussi comparée à un singe, Rodin le Jésuite est reconnaissable à son regard de vipère ; le noir Tomás est assimilé à une bête féroce et la tía Mantecas, obèse, est comparée à une oie. L’adéquation est parfaite entre le milieu social des personnages et leur langage : ainsi, dans le cabaret des Mystères, les protagonistes peu recommandables s’expriment en argot ; dans les romans d’Ayguals l’accent andalou ou l’usage d’une langue populaire et déformée sont souvent l’apanage des voleurs qui fréquentent l’estaminet de la tía Mantecas, à l’enseigne emblématique (MB1, p. 142-143). La création de types immédiatement identifiables sous-tend une vision manichéenne du monde, où bons et méchants sont clairement opposés.
14Pour maintenir en éveil la curiosité du lecteur, les procédés les plus employés sont les coups de théâtre : par exemple, une mort subite et violente (celle de la Baronne del Lago dans un accident de cheval, le suicide de Monsieur d’Harville). L’événement annoncé n’est parfois qu’une fausse nouvelle : décès imminent de Maria, condamnée par le médecin, disparition prochaine de sa mère Luisa, menace de vitriolage de Fleur de Marie par la Chouette.
15Le thème de l’enfant abandonné accompagne celui de la reconnaissance intuitive : c’est le motif central des Mystères où Rodolphe retrouve par hasard Fleur de Marie ; le Baron del Lago éprouve un amour vaguement incestueux pour Paquita, qui est en réalité sa fille ; le Condesito del Charco, est immédiatement attiré par Adolfo, «el niño de la Inclusa», avant d’apprendre qu’il est son père.
16Ces quelques exemples révèlent clairement l’existence de « codes » qui permettent une identification rapide des lieux et des personnages, également facilitée par des interventions du narrateur ou par des procédés de répétition.
17Le propos didactique et moralisateur est souvent présenté de façon similaire chez les deux auteurs : de longues digressions théoriques et parfois militantes étayent les critiques sociales et proposent des remèdes.
18La vision que nous offre E. Sue est fondée sur un postulat : la société est coupable et non l’individu ; il faut donc modifier le milieu et non l’homme24 : « Oui, l’ignorance et la misère conduisent souvent les classes pauvres à ces effrayantes dégradations humaines et sociales » (MP, p. 635)25. Selon Ayguals, cette société a le devoir d’aider et de traiter dignement le peuple : «La miseria es un espantoso germen de maldades [...] y el gobierno que trate de moralizar al pueblo, es preciso que empiece por atenderle como su dignidad reclama» (M1 p. 258). L’Etat est accusé de dilapider les richesses en dépenses somptuaires et inutiles, alors que des institutions de bienfaisance seraient indispensables au peuple exploité26.
19Cette identité de vues se retrouve à propos de la prostituée, présentée comme une victime de la société qui ne lui laisse souvent pas d’autre choix qu’une vie infamante ou la mort27. Cette indulgence commune face à la prostitution féminine rappelle les théories des socialistes utopiques, et E. Sue, encore plus qu’Ayguals, insiste sur l’insuffisance des salaires, source de bien des vices et écarts : « L’insuffisance du salaire force inévitablement le plus grand nombre des jeunes filles, mal rétribuées, à chercher le moyen de vivre en formant des liaisons qui les dépravent », (JE, p. 378).
20Par ailleurs, les deux auteurs dénoncent avec insistance l’existence d’une justice de classes. Chez E. Sue, la famille Morel est la victime emblématique de l’iniquité qui frappe les démunis, impuissants face aux riches28. Ayguals souligne, lui aussi, le manque de justice dans son pays, et sans réclamer une égalité des classes, qu’il juge impossible et même peu souhaitable, il déclare fermement : «Lo que nosotros deseamos en favor del pueblo es: igualdad ente la ley; castigo contra el delincuente, no contra el pobre, justicia en pro de la inocencia, y no consideraciones al rico» (M1, p.101)29. Les deux écrivains plaident à diverses reprises en faveur d’une profonde réforme du système pénitentiaire ; ils s’insurgent contre la promiscuité des prisons qui fait se côtoyer des hommes, arrêtés arbitrairement ou par erreur (comme François-Germain dans les Mystères ou Anselmo, le père de Maria) et de dangereux criminels (Le Squelette, le meurtrier du frère de Maria). E. Sue préconise un isolement rigoureux des prisonniers qui, selon lui, aurait un effet dissuasif (MP, p. 1019).
21Cependant l’idée que les deux écrivains défendent avec le plus de force est l’abolition de la peine de mort. Cette « législation barbare » peut, selon E. Sue, apparaître comme « un dernier refuge » pour les meurtriers (MP, p. 1019), elle ne laisse pas de temps au repentir, et pour que le criminel soit véritablement châtié, il propose l’isolement perpétuel, doublé de « l’aveuglement » (MP, p. 1020)30. Ayguals s’oppose aussi à la peine de mort, mais il réprouve la sauvagerie des théories d’E. Sue (M2, p. 200-201) ; il plaide en faveur de conditions d’emprisonnement plus humaines et d’une rédemption et réinsertion du prisonnier par le travail (M2, p. 198-199). A ce sujet, E. Sue s’indigne de penser que les criminels vivent mieux en prison que des honnêtes gens (MP, pp. 956-957).
22La présence du noir Tomás dans la trilogie, tout comme celle du docteur David dans les Mystères, donne lieu à une dénonciation de l’esclavage. Ayguals de Izco critique le commerce d’esclaves à Cuba31. De la même façon, E. Sue condamne sans appel ce système en dépeignant M. Willis, riche planteur de Floride, injuste, vénal et cupide (MP, pp. 200-203). La critique de l’Eglise, et en particulier de la Compagnie de Jésus, force occulte et maléfique, est le thème principal du Juif errant. La fin du roman dénonce avec vigueur les méfaits de cette Compagnie : vol, adultère, viol, meurtre (JE, p. 1106). Dans María, le personnage de Fray Patricio, lascif, intrigant, cupide, rappelle celui de Rodin, et le rôle attribué aux jésuites dans l’épidémie de choléra est identique32. La société de «El ángel Esterminador» (sic) fait penser à la Compagnie de Jésus ; Ayguals a certes pu s’inspirer de Sue, mais il traduit aussi une réalité espagnole : le climat d’anticléricalisme qui agitait le peuple de Madrid, surtout au moment de la première guerre carliste.
23Néanmoins, les deux auteurs tentent de corriger cette vision trop manichéenne de l’Eglise, en opposant aux prêtres dénaturés que sont Rodin, Fray Patricio ou Fray Ambrosio, des modèles de vertu de charité chrétienne : Gabriel, au nom symbolique, devenu jésuite contre son gré, s’efforce d’appliquer les vertus chrétiennes ; don Claudio, entré dans les ordres à la suite d’un chagrin d’amour, se voue aux pauvres et défend aussi le célibat des prêtres (MB1, p. 37).
24En conclusion, les deux écrivains dénoncent l’ignorance, le manque d’éducation qui touchent les classes laborieuses et engendrent la superstition et le fanatisme (JE, p. 814). La misère et son cortège de malheurs-faim, mort, emprisonnement-est représentée par la famille Morel (MP, Chapitres XIX, XX, XXI, 5ème partie) et par celle de Maria ; toutefois, elle n’entraîne pas toujours criminalité et vice, et l’image qui nous est donnée est celle d’un peuple vertueux, bien éloigné des turpitudes des riches.
25Enfin, E. Sue et Ayguals de Izco ne se contentent pas de dénoncer toutes les carences de la société ; ils proposent des solutions à la misère du peuple et plaident pour une moralisation des mœurs. Le développement d’un système de prêts gratuits destinés aux ouvriers dans le besoin, opposé aux taux excessifs des usuriers ou des monts-de-piété, est illustré par la banque des travailleurs sans ouvrage créée par Rodolphe de Gerolstein (MP, pp. 1089-1095) ; cette création de fiction a son pendant bien réel dans la «Caja de Ahorros Agrícola de Castilla la Vieja», dont le fonctionnement est décrit avec orgueil par Ayguals (M1, p. 27-28 et 250-253).
26Une autre mesure réclamée avec insistance par les deux écrivains est la récompense des ouvriers méritants, désignés pour représenter la classe ouvrière (JE, p. 380) ; elle est pratiquée par M. Hardy dans sa fabrique modèle33.
27Mais les auteurs ne font pas seulement appel à des établissements institutionnels ; la bienfaisance et la philanthropie peuvent être prises en charge par les classes privilégiées ; ainsi l’action de María, devenue marquise, et mère des déshérités, a une valeur tout aussi exemplaire que celle de Clémence d’Harville, convertie à la charité par Rodolphe. La rédemption et la réhabilitation de Paquita sont confiées par María à doña Águeda, ce qui rappelle étrangement les fonctions de madame Georges, qui accueille la Goualeuse dans la ferme de Bouqueval (MP). Cette foi un peu naïve dans les vertus de la philanthropie est fondée sur la conviction très chrétienne que les classes privilégiées peuvent aussi être vertueuses et charitables. La réflexion de Morel, tentant d’excuser les riches, qui ne connaissent même pas les malheurs des pauvres (MP, p. 430), est reprise abondamment par Sue. A la fin du Juif errant, le cri du narrateur « SI LES RICHES SAVAIENT ! ! ! » (JE, pp. 690, 1107) prouve, comme chez Ayguals, le désir et la conviction d’un possible rapprochement des deux classes sociales. Il est vrai que Sue va plus loin dans les réformes proposées, à l’image de la ferme modèle de Bouqueval (MP, pp. 337-343) ou la fabrique de M. Hardy (JE, pp. 646-647 et 684-693), en passant par une timide mise en cause de l’héritage. Toutefois, dans les œuvres citées, les deux écrivains n’adhèrent jamais à la théorie de la lutte des classes. La sentence biblique « Aimons-nous les uns et les autres », prononcée à plusieurs reprises dans le Juif errant, est symbolique à cet égard, et Ayguals la fait sienne. Il remplace la traditionnelle dichotomie riches-pauvres par vice-vertu : «Todas las personas virtuosas son iguales; sólo hay una barrera que divide el vicio de la virtud» (M1, p. 463). Le désir d’unir les deux classes, dans l’épilogue de La Marquesa de Bellaflor, prend des accents fouriéristes : «Lejos de pretender atizar con mis escritos la antipatía que por des gracia reina entre el pobre y el rico, ha sido uno de mis objetos morales ensalzar la virtud en ambas categorías para hermanarlas» (MB2, p. 618).
28En conclusion, les ressemblances sont nombreuses entre les œuvres, tant en ce qui concerne la forme que le fond ; cela explique sans aucun doute le qualificatif « d’Eugène Sue espagnol » donné à Ayguals de Izco. Cependant, les déclarations d’allégeance de l’écrivain n’excluent pas une revendication identitaire.
Ayguals de Izco et la recherche d’une identité espagnole
29Dans la dédicace à Eugène Sue qui précède le premier tome de María, Wenceslao Ayguals de Izco, après lui avoir rendu hommage et souligné leur unité de vues, exprime le souhait de donner une orientation bien particulière à sa trilogie. Tout d’abord, il veut dépeindre avec exactitude les coutumes de son pays pour corriger et effacer l’image négative que les étrangers, et particulièrement les Français, ont de l’Espagne34. Il s’insurge contre tous les topiques et images réductrices :
Figuránse además muchos extranjeros (estoy muy lejos de incluiros en este número) que en España no hay más que manolos y manolas [...], que tanto en las tabernas de Lavapiés como en los salones de la aristocracia no se baila más que el bolero, la cachucha y el fandango [...] y que los hombres somos todos toreros. (M1, pp. X-XI).
30Mais son projet est double : donner une image de l’Espagne qu’il veut exacte et impartiale, et trouver un mode d’expression qui soit authentiquement national et original. Il annonce donc son intention : «Enseñar la historia, ataviándola con las poéticas galas de la fabula» (M1, p. XI) ; mais loin de s’inscrire dans le genre déjà existant du roman historique, il veut faire œuvre de précurseur en écrivant des histoires qui soient aussi des romans. C’est ainsi que naît peu à peu le concept d’« histoire-roman », sous-titre donné, dans un premier temps, à la deuxième partie de María35. La dédicace à E. Sue est une profession de foi et un véritable manifeste littéraire ; elle révèle aussi un désir de répondre à l’avance aux possibles comparaisons. Mais comment Ayguals réalise-t-il son propos ? Comment peut-on définir ce « pur espagnolisme » qu’il revendique à plusieurs reprises et surtout dans l’épilogue de la Marquesa (MB2, p. 617) ?
31Au moment où Ayguals publie le premier tome de sa trilogie, dans les années 1840, le roman espagnol connaît une période de mutation, que d’aucuns n’hésitent pas à qualifier de crise. L’intérêt pour le roman historique traditionnel, caractéristique de la période romantique, fait place à une orientation progressive vers l’histoire contemporaine et la peinture des mœurs. L’écrivain poursuit alors souvent un double but : peindre plus fidèlement la réalité, mais aussi faire œuvre utile pour ses lecteurs. Cette préoccupation « costumbrista » est très bien définie par Ramón de Navarrete dans un article du Semanario Pintoresco Español de 184736. L’observation des coutumes contemporaines débouche alors, surtout grâce à l’influence des traductions françaises, sur un roman dit social, qui peut acquérir une dimension critique. Face à cette diversité d’orientations, un écrivain comme Ayguals est alors tenté d’adopter une formule hybride qui lui permette d’appréhender complètement la société de son temps, en pleine mutation libérale. L’analyse d’Antonio Ferraz Martínez peut parfaitement s’appliquer à son cas :
Debe bien tenerse en cuenta que a algunos novelistas de comienzos del período postromántico los mueve un afán de totalidad, el deseo de crear obras plurales que se hagan eco de la compleja sociedad contemporánea y de sus agitaciones políticas. [...] Esta tendencia al hibridismo se nos ha revelado ya en las postrimerías del período anterior; mas es ahora, en la fase postromántica, cuando, con el triunfo de la narrativa a lo Sue, se acentúa37.
32En composant sa trilogie, Ayguals, conscient de ses dettes envers Sue, se déclare pourtant désireux de créer un roman national. Pour ce faire, il entreprend de donner une dimension historique à son œuvre et il a recours à deux éléments : des références historiques précises à la période où se déroule l’action et mêlées à la fiction, une localisation dans un cadre géographique défini. L’analyse de la proportion de ces deux éléments dans les deux premières parties de la trilogie révèle une évolution très nette : dans María, les références à l’Histoire espagnole sont assez limitées (12 sur un ensemble de 62 chapitres), tandis qu’abondent les descriptions détaillées des monuments ou sites de Madrid (17 références ; certaines descriptions occupent même un chapitre entier). Dans La Marquesa de Bellaflor, la situation est inversée, et les faits historiques gagnent de l’espace ; ils sont contés souvent dans un style journalistique (22 références sur un total de 89 chapitres, et seulement 6 allusions aux monuments). Certes, la période historique concernée par le deuxième tome de la trilogie est plus longue et plus agitée (abdication de Marie-Christine, Régence d’Espartero), mais cet argument n’explique pas tout ; la part plus importante donnée à l’Histoire correspond à un changement d’attitude d’Ayguals de Izco. Dans la deuxième partie de La Marquesa, l’orientation est clairement politique, et l’écrivain tente de faire partager au lecteur sa foi dans le peuple et son attachement à la souveraineté nationale ; ainsi, il prône sans cesse la justice et l’égalité (M2, pp. 232-234). Le ton est de plus en plus critique vis-à-vis du gouvernement, et en particulier d’Espartero, dont l’action l’a déçu. Les nombreux rappels de l’histoire nationale permettent de dénoncer l’exploitation des pauvres, l’enrichissement rapide de certains, la corruption (MB2, p. 399). En fin de compte, Ayguals s’attache plus à montrer une opposition entre les gouvernants cupides et le peuple qu’entre les classes sociales. Bien que l’épilogue de María affirme se démarquer d’un quelconque Guide pour étrangers (M2, p. 448), la peinture détaillée des divers sites de Madrid et les illustrations nombreuses rappellent certains articles «costumbristas» de Ramón de Mesonero Romanos, ou les rubriques du Semanario Pintoresco Español consacrées au patrimoine culturel. Tout en s’efforçant d’instruire ses lecteurs de façon plaisante, Ayguals poursuit son propos : dénoncer l’exploitation du peuple, les injustices, et réclamer la modernisation de son pays, la création d’établissements de bienfaisance. L’évocation souvent très élogieuse de lieux publics ou de monuments lui permet d’exalter les richesses de sa terre, et surtout de rejeter l’image d’une Espagne pauvre et sous-développée, diffusée par certains voyageurs : «No hay duda que cuando los extranjeros contemplan con asombro estas gigantescas obras, huélgase nuestro orgullo nacional en oírles confesar su admiración» (M2, p 301).
33Les deux tomes de la trilogie tentent aussi d’offrir au lecteur un tableau complet de la vie à Madrid. En voulant peindre les coutumes de son pays, et particulièrement celles des madrilènes, dont il célèbre les vertus, Ayguals répond à un double désir, qui est aussi celui des «costumbristas» traditionnels38 : instruire ses contemporains tout en les incitant à moraliser leurs mœurs, et donner une image authentique de l’Espagne. Cette revendication identitaire est d’ailleurs liée à son sentiment patriotique.
34La peinture des mœurs, qu’Ayguals nomme aussi « description des coutumes sociales » (M1, p. 175), doit emprunter un style qui, à l’inverse de celui des Mystères de Paris, respecte la morale et le bon ton, rejette tous les écarts39. Ainsi, l’évocation des rues de Madrid est rythmée par les fêtes (le Jour du Carmen, Noël, Carnaval...) ; le but est de dépeindre avec force odeurs, couleurs, bruits, les occupations du bon peuple, qui tente d’oublier ses misères quotidiennes. Ayguals n’est pas seulement le peintre du monde de l’aristocratie qu’il fréquentait ; il sait aussi parfaitement faire revivre l’ambiance de la rue, des tavernes où les personnages doivent autant au monde de la picaresque qu’au roman populaire. Cette incursion dans les couches populaires lui donne, à maintes reprises, l’occasion de distinguer le bon peuple vertueux de la populace, qu’il critique sévèrement ; de la même façon, il incite le lecteur à faire la différence entre bonne et mauvaise aristocratie.
35La description des fêtes n’obéit pas seulement à une intention morale, elle permet de dégager et d’affirmer une identité espagnole. Le meilleur exemple est celui de la corrida, même si l’écrivain paie son tribut à l’exotisme romantique40. A cette occasion, la vérité est quelque peu malmenée au profit de clichés, tout aussi déformants et simplificateurs que la vision topique présentée par certains récits de voyageurs étrangers. Dans María par exemple, le jeune Luis de Mendoza, d’origine aragonaise, s’exprime avec une grâce et un esprit tout aussi andalous que son accent (M1, pp. 294-295) et Ayguals insiste sur l’ambiance pittoresque de la corrida (bruits, couleurs, description du public). Dans La Marquesa, la revendication identitaire est plus évidente ; l’écrivain s’oppose aux accusations des étrangers, et en particulier des Français, qui jugent ce divertissement violent, sanguinaire et bien à l’image de l’Espagne (M1, p. 83) ; il rejette aussi les critiques de certains autochtones, les aristocrates «afrancesados» qui, comme le Conde del Rosal, font de la corrida un spectacle populaire, vulgaire, tout juste bon pour le peuple ignorant et fruste41. Il s’attache à prouver que les jeux de l’arène ne sont pas plus sanguinaires que ceux du cirque (MB2, p. 363). La course de taureaux est alors présentée comme une distraction « très espagnole », aux vertus fédératrices, car elle permet la communion de tous ses compatriotes dans un même spectacle. Comme l’affirme Anselmo, l’ouvrier vertueux, «En ese espectáculo verdaderamente nacional he observado siempre con placer cierta fraternidad que iguala todas las categorías» (MB2, p. 362). De la même façon, la description de la fête de la Pradera de San Isidro (M1, pp. 274-278), vivante et pittoresque, est un sujet digne de récits de voyageurs étrangers, mais elle rappelle aussi le célèbre tableau de Goya, bien qu’Ayguals fasse une référence aux Borrachos de Velazquez. Ayguals en fait surtout un symbole d’union nationale, de convivialité même passagère : «Todo el bello ideal de una república hacíase ostensible en la fraternal alegría que animaba a todos los habitantes de aquella momentánea colonia» (M1, p. 276).
36Ainsi donc, le « costumbrismo » d’Ayguals se nourrit de la peinture des mœurs, mais il est aussi défense de l’identité nationale, de la dignité du peuple, menacée par des clichés ; il est étroitement lié aux déclarations de patriotisme que l’écrivain fait à plusieurs reprises dans les deux ouvrages étudiés. Ainsi, dans l’épilogue de María, il se déclare prêt à être jugé comme un mauvais écrivain, pourvu que l’on fasse de lui un bon Espagnol : la création d’un roman national unit donc étroitement recherche de l’authenticité et affirmation d’un patriotisme. Le désir de réhabiliter son pays révèle son profond amour pour sa patrie ; d’ailleurs, l’expression « notre Espagne aimée » apparaît à plusieurs reprises dans María (M2, p. 259 ; M2, p. 446). Ce premier tome de la trilogie traduit « la vengeance de l’Espagne », c’est-à-dire le rejet de l’image déformée et négative proposée par certains étrangers ; l’œuvre d’Ayguals, souvent encensée par la presse, acquiert alors une valeur emblématique42. L’écrivain s’insurge à plusieurs reprises contre la fausse image d’un pays sauvage, sous-développé, donnée selon lui par Guizot, et surtout Alexandre Dumas dans Cartas sobre España y África, œuvre que l’auteur espagnol connaît fort bien pour l’avoir traduite (MB2, pp. 154, 340). Pour rétablir l’honneur de son pays, il multiplie les références aux établissements créés, tant dans le domaine économique (Epilogue de María) que dans celui de l’éducation, des arts (M1, p. 398 ; MB2, pp. 340-343). Les remarques faites par les prospectus publicitaires et les différentes revues sur la qualité de l’édition, du papier, des gravures de María participent de cette même intention. Revendication identitaire et patriotisme sont aussi intimement liés à la critique des Espagnols de l’aristocratie et de la haute bourgeoisie qui imitent trop servilement les modèles étrangers, en particulier français, et ignorent délibérément les mérites de leurs concitoyens43. La référence à la littérature espagnole, source d’inspiration pour la France et exemple pour les autres nations, apparaît à plusieurs reprises ; le nom de Cervantès est alors brandi comme un étendard (M1, pp. 230-233).
37Cependant, il serait faux de réduire le patriotisme d’Ayguals de Izco et sa défense des valeurs authentiques à un simple chauvinisme. A l’instar de don Luis de Mendoza, noble dont la conduite vertueuse est souvent célébrée, l’écrivain affirme que tous les étrangers ne méprisent pas l’Espagne et que si les Espagnols n’ont rien à envier aux autres peuples, ils doivent leur emprunter ce qu’ils ont de bon, sans se laisser aveugler par la jalousie ; la « noblesse castillane », trait identitaire appliqué à tous ses concitoyens, s’accommode mal de la mesquinerie et du chauvinisme :
Juzgamos que la patria de un artista es el mundo, y tributamos elogio al talento, sin curarnos del país do ha germinado. Nada tenemos que envidiar a los extranjeros, si nos ciegan ruines pasiones que mal pudieran hermanarse con la hidalguía castellana (MB2, p. 154).
38Au terme de cette étude, il apparaît clairement que Wenceslao Ayguals de Izco partage les idées sociales d’Eugène Sue et sa conception du roman populaire dans les deux premiers tomes de sa trilogie. Mais cette inspiration n’exclut pas la revendication d’une identité espagnole ; bien au contraire, elle la nourrit et s’inscrit dans la genèse du roman de coutumes contemporaines. Si l’on s’en tient au jugement d’Eugène Sue, placé en exergue à María, et aux articles parus dans la presse française à l’occasion de la sortie de Marie l’Espagnole ou la victime d’un moine, on peut penser qu’Ayguals a réussi son pari de changer l’image de son pays44. Il est sans aucun doute exagéré de qualifier cet écrivain de « régénérateur du roman espagnol », mais on peut cependant reconnaître qu’il s’efforce de concilier, de marier plusieurs genres jusqu’alors bien séparés : le roman historique traditionnel, le tableau « costumbrista », le roman social. Sa vision du roman national est fondée sur une intégration de tous les éléments étrangers pouvant contribuer au progrès et à l’évolution de son pays, tant dans le domaine esthétique que politique, économique et social. Certes, l’affirmation d’une identité espagnole est associée à des sentiments patriotiques, mais ce patriotisme se défend d’être étroit et intolérant. La citation extraite de La Maravilla del Siglo, œuvre publiée en 1852 illustre cette démarche, et le message biblique « Aimez-vous les uns et les autres » rappelle un des leitmotivs du Juif Errant :
Yo admito el patriotismo como sentimiento noble y generoso, siempre que se limite en cualquier individuo a interesarse por la prosperidad del pueblo que meció su cuna; pero cuando el patriotismo español, por ejemplo, se funda en amar aun cuando con frenesí, a su patria y a aborrecer todo lo extranjero, patriotismo que en estos mismos términos tenían tal vez nuestros padres por muy liberal, es en mi concepto un patriotismo bárbaro [...]. En resumen, amiga mía, yo amo con delirio a la patria que me dio el ser; pero si por esta razón odiase todo lo que no es español, creería faltar a los principios del Evangelio que dice a los hombres: AMAOS UNOS A OTROS. Más diré, yo estoy en la firme inteligencia de que la patria del hombre es el mundo, y que este mundo no es más que una familia de hermanos45.
Notes de bas de page
1 Expression de Blas María ARAQUE, auteur d’une biographie très élogieuse : Biografía del señor D. Wenceslao Ayguals de Izco, Madrid, Imprenta de la Sociedad Literaria, 1851, p. 41.
2 Pour des raisons pratiques, nous avons choisi de limiter le corpus de cette étude à deux romans d’Eugène Sue, Les Mystères de Paris (19 juin 1842-15 octobre Le Juif Errant (25 juin 1844-2 juillet 1845) et aux deux premiers tomes de la trilogie de W. Ayguals de Izco : María ο la hija de un jornalero (1845-1846) et La Marquesa de Bellaflor ο el hijo de la Inclusa (1846-1847).
3 Ayguals utilise la popularité d’Eugène Sue pour les feuillets destinés à la propagande des deux premiers romans de la trilogie. Selon Rubén BENÍTEZ, «El propósito central es conseguir una inmediata reacción del público, el mismo que convirtió El judío errante en uno de los best-seller de la época», in Ideología del folletín español : Wenceslao Ayguals de Izco, Madrid, Ed. Turanzas, 1979, p. 40.
4 On compte 12 traductions des Mystères entre 1843 et 45, et 13 du Juif errant entre 1844 et 48. La consultation de la thèse de Sylvie BAULO, La trilogie romanesque de Ayguals de Izco. Le roman populaire en Espagne au milieu du XIX° siècle, soutenue en 1997 à l’Université de Toulouse-Le Mirail, sous la direction du Professeur Yvan Lissorgues, nous a été très utile, en particulier les annexes regroupant les articles de presse parus après la publication des deux premiers tomes de la trilogie.
5 Tous les commentaires publiés dès la parution de María... font référence à l’introduction d’E. Sue et aux Mystères..., sans toujours prononcer le mot d’imitation. Quant à l’article très critique de La Censura en janvier 1849, il fait de María... «un remedo de El Judío Errante». S. BAULO, op. cit., p. 448.
6 Selon Pereda, «Ayguals de Izco se había propuesto ser el Eugène Sue de acá y no quiero decir como lo lograba». Leonardo ROMERO TOBAR, «Forma y contenido de la novela popular: Ayguals de Izco» in Prohemio III, Barcelona, CSIC, abril 1972, p. 56, n° 36.
7 Rubén BENÍTEZ, Ideología..., p. 2.
8 Ainsi, dans un article de El Telégrafo de septembre 1849, Antonio RIBOT Y FONSERÉ souligne l’originalité du romancier : «El señor Ayguals, si bien en las tendencias más humanitarias parece haber tornado por modelo en algunos puntos a Eugene Sue, ha sabido separarse tanto de este escritor y de todos los demás novelistas extranjeros y nacionales, que bien pudiera titularse autor de un género enteramente nuevo», S. BAULO, op. cit., p. 434. Plus récemment, Rubén BENÍTEZ, dans Ideología del folletín español : Wenceslao Ayguals de Izco, s’emploie à dégager l’originalité de l’auteur, p. 47.
9 L’édition de María...utilisée est la 10e édition, Madrid, Imprenta de Miguel Guijarro, 1877. (désormais M1 et M2). L’édition de La Marquesa... est la première : Madrid, Imprenta de W. Ayguals de Izco, t.I, 1846, t. II, 1847. (Désormais MB1, MB2).
10 Voir la très complète biographie d’Eugène Sue par J.L. BORY, Eugène Sue, le roi du roman populaire, Paris, Hachette, 1962, Chapitre V.
11 Marx et Engels sont très critiques à l’égard de Sue, comme le rappelle Umberto ECO in De Superman au surhomme, Paris, Grasset, 1978, p. 56. (Chapitre intitulé « Eugène Sue : le socialisme et la consolation »).
12 Selon ECO, à la fin de sa vie et dans Les Mystères du Peuple, l’écrivain prend conscience de la nécessité d’une lutte des classes, Id., pp. 60-63. D’autre part, le critique affirme : « S’il était encore besoin de souligner la nature éclectique et naïve du socialisme de Sue, il suffirait d’ajouter que l’ossature de sa théorie des classes est empruntée aux théoriciens de la droite ou du conservatisme libéral », p. 61, n° 1.
13 Selon R. BENÍTEZ, «La palabra se aplica en la primera mitad del siglo XIX del mismo modo que filántropo ο humanitarista, [...] sin que eso implique, en todos los casos y necesariamente, un apartamiento de la doctrinas monárquicas», Ideología..., p. 76.
14 Pour toute référence, le lecteur peut consulter l’anthologie El fourierimo en España, selección de textos y estudio preliminar de Antonio ELORZA, Madrid, Ed. de la Revista del Trabajo,1975, ainsi que «Socialismo y literatura: Ayguals de Izco y la novela española», Iris M. ZAVALA, in Revista de Occidente, n° 80, Nov. 1969, pp. 167-168.
15 R. BENÍTEZ, Ideología... pp. 85-88.
16 Dans un article consacré au développement du feuilleton en Espagne, M.C. LECUYER et M. VILLAPADIERNA situent l’apparition du premier feuilleton en France en 1800, dans le Journal des Débats et elles soulignent le décalage de 30 ans avec l’Espagne (p. 16), «Génesis y desarrollo del folletín en la prensa española», in Hacia una literatura del pueblo : del folletín a la novela, Barcelona, Anthropos, 1995, pp. 15-45.
17 Le Juif Errant, Paris, Ed. Laffont, Collection Bouquins, préface de F. LACASSIN, pp. 3-7. (Désormais JE)
18 On peut consulter le chapitre de l’essai de U. ECO, De superman... consacré à E. Sue.
19 Dans l’article de M.C. LECUYER et M. VILLAPADIERNA, la comparaison entre les abonnés en France (22 000 à 30 000 souscripteurs pour Le Siècle, Le Constitutionnel), et en Espagne (4 500 pour El Heraldo ou 2 400 pour El Español) est très éloquente, in «Génesis y desarrollo del folletín...», art. cit., p. 20.
20 Pour cette question, consulter la thèse de S. BAULO, op. cit., pp. 109-110. A propos du roman-feuilleton, L. ROMERO TOBAR écrit : «Cabe la duda seria de si fueron realmente las clases proletarias las consumidoras masivas de la novela de folletín», p. 118, Novela popular española del siglo XIX, Madrid, Fundación J. March, 1976, p. 118.
21 R. de CARVAJAL exalte la traduction de W. Ayguals de Izco, présentée comme «la más fiel, la más cumplida, la más en castellano que se publica en España», article publié dans Dómine Lucas en février 1845, S. BAULO, op. cit., p. 381.
22 Les Mystères de Paris, Paris, Ed. R. Laffont, 1989, Introduction d’Armand LANOUX (Désormais MP) : « Ce qui nous soutient dans cette œuvre longue, pénible difficile, c’est la conviction d’avoir [...] inspiré le dégoût, l’aversion, l’horreur, la crainte salutaire de tout ce qui est impur et criminel », pp. 606-607.
23 Dans l’épilogue Ayguals réaffirme : «Pero precisamente para dar realce a la virtud hemos presentado el vicio con toda su deformidad ; era indispensable hacerlo para lograr ese contraste moralizador que forma el claro oscuro de los bellos cuadros de Walter Scott, Cooper, Balzac, Hugo, Dumas, Süe y otros famosos novelistas » (M2, pp. 446-447).
24 André GUESLIN, Gens pauvres, Pauvres gens dans la France du XIXe siècle, Paris, Aubier, 1998.
25 Idée reprise par Sue à propos de l’évocation de la prison de la Force (MP, p. 958).
26 E. Sue dénonce les sommes dépensées pour construire la Madeleine (MP, p. 1192). Ayguals, après une description très détaillée de San Ildefonso, déplore le gaspillage des fonds publics «[...] que salen siempre del sudor de las masas populares» (M2, p. 301).
27 La formule lapidaire de María... «Huérfana ya en el mundo, solo dos sendas presentábanse ante sus pasos: la prostitución y la muerte» (M2, p. 359) fait écho à celle utilisée par E. Sue pour expliquer le suicide de Céphyse dans Le Juif errant : « Un nombre effrayant de femmes n’ont que le choix entre : une misère homicide, la prostitution, le suicide » (JE, p. 865).
28 La discrimination sociale est soulignée par l’accusation de Pique-Vinaigre, enfermé à la Force : « La justice ! [...] c’est comme la viande... c’est trop cher pour que les pauvres en mangent... » (MP, p. 978).
29 La réflexion à la fois optimiste et désenchantée d’Anselmo confirme cette idée : «El triunfo de la justicia Ilegará, porque los españoles ya todos conocemos nuestros derechos. El más infeliz de los jornaleros es tan ciudadano como el más encopetado personaje» (M1, p. 41).
30 Dans le même roman, Rodolphe, Dieu justicier, rend aveugle le Maître d’école pour le punir de ses forfaits et provoquer son repentir ; celui-ci se manifeste quand le truand évite à Fleur de Marie le supplice du vitriol.
31 Il reprend une déclaration de Ramón de CARVAJAL dénonçant «un comercio altamente inmoral y repugnante» (M1, pp. 336-340) ; il luttera toute sa vie en faveur de l’abolition de l’esclavage.
32 Dans les deux romans, les Jésuites sont accusés par le peuple d’avoir empoisonné les fontaines, ce qui provoque des scènes de violence et de vengeance. Ayguals, conscient de la ressemblance frappante avec le roman d’E. Sue, déclare que les scènes décrites par lui l’ont été avant la parution du Juif (M1, p. 49).
33 Cette idée est aussi présente dans les Mystères : « La JUSTICE tiendrait d’une main une épée, de l’autre une couronne ; l’une pour frapper les méchants, l’autre pour récompenser les bons » (MP, pp. 645-646). Ayguals, inspiré par E. Sue (M2, p. 365), prône l’établissement de « Tribunaux de la vertu » en concurrence avec les « Tribunaux du crime » (M2, pp. 363-365).
34 Dans la revue El Fandango qu’il dirige, il fustige les étrangers qui trahissent son pays : «No hay regla sin excepción, y si bien es verdad que la misión del FANDANGO es hacer crujir el rebenque en la pámpana de miserables estranjeros (sic), más que no sea con otra intención que la de vengar a la patria de las castañuelas, de los insultos que le prodigan los mazacotes de allende» «Eugène Sue», 15-06-1845. S. BAULO, op. cit., p.90, n° 138.
35 L’indication générique «historia-novela original» apparaît dans la première édition de la seconde partie de la trilogie, mais ne figure pas en 1845-1846 ; il faut attendre 1849 pour qu’elle réapparaisse, S. BAULO, op. cit., p. 207.
36 «Todas las obras de la inteligencia humana han de tender a un objeto grave y determinado [...]: el de enseñar, el de ilustrar», Iris M. ZAVALA in Ideología y política en la novela española del siglo XIX, Madrid, Anaya, 1971, pp. 264, 265.
37 A. FERRAZ MARTÍNEZ, La novela histórica contemporánea del siglo XIX anterior a Galdós, Madrid, Editorial de la Universidad Complutense de Madrid, 1992, p. 384.
38 Dans son œuvre Escenas Matritenses, Ramón de MESONERO ROMANOS souligne son désir de «hacer trente a las menguadas pinturas que de nuestro carácter y costumbres trazan los novelistas extranjeros», Escenas Matritenses, I, p. V.
39 Ayguals désire «no faltar nunca a las leyes del decoro» (MB1, p. 24) ; il avait déjà tenté de se démarquer d’Eugène Sue dans l’épilogue de María. « Ni) nos hemos dejado alucinar por ciertas monstruosidades de grande efecto por más que novelistas insignes cuyo nombre acatamos las hayan prohijado» (M2, p. 446).
40 R. BENÍTEZ, op. cit., pp. 148-153.
41 Le Comte évoque en effet «esta asquerosa plebe que se complace en las escenas de sangre y matanza» (MB2, p. 485).
42 El Vergel de Andalucía de 1845 évoque «el deseo que se advierte en la obra de vindicar a España de las enconadas inculpaciones de los extranjeros», p. 413. Cette idée est traitée par Ayguals dans María : «España tan vilmente calumniada y combatida por la asquerosa envidia de los pedantes de otros países», S. BAULO, op. cit., Annexes, pp. 408-463.
43 On peut citer un exemple de cette idée répétée à satiété : «La [...] prevención para ponderar el mérito de los artistas extranjeros, en desdoro de los que hacen honor a esta patria ingrata que dejó perecer de hambre al gran Cervantes» (M1, p. 112).
44 E. Sue affirme qu’Ayguals initie « le lecteur à la vie sociale des habitants de Madrid, dans toutes les conditions » (M1, p. VI). La presse française est aussi très élogieuse. Ainsi, dans Le National de 1834, publié en 1846, on peut lire : « Après avoir lu ce livre, on a de Madrid et de ses édifices, des mœurs et des usages actuels de ses habitants une connaissance infiniment plus exacte que celle qu’en ont donnée les écrivains jusqu’à ce jour », S. BAULO, op. cit., p. 444.
45 La Maravilla del Siglo, 1852, t. II, p. 366.
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