Chapitre IV. Lexique des marqueurs de structuration de la conversation dans le corpus CIO
p. 79-101
Note de l’éditeur
* Ce lexique a bénéficié des suggestions et commentaires de Mary-Annick Morel et Hwang Flater Dag. Qu’ils trouvent ici l’expression de nos remerciements.
Texte intégral
Corpus étudié : | Phase I n° 1-2-3-4-5 |
Phase II n° 1-2-3 |
1Les exemples cités sont extraits en majorité de la Phase I et quelques-uns de la Phase II
2Nous avons établi un lexique de quelques marqueurs de structuration de la conversation. Il s’agit de morphèmes qui permettent au locuteur de souligner l’articulation de son énoncé, ou la fin de celui-ci. Egalement, ils lui permettent de garder la parole ou de meubler un temps d’hésitation. Les articulateurs concernés sont « bon », « alors », « quoi » et « voilà ». Nous y avons ajouté les termes qui font appel, explicitement ou implicitement, à un interlocuteur, et que nous pourrions qualifier de phatiques (R. Jakobson 1963). Parmi les morphèmes phatiques, nous avons, par exemple, « hein ? » et « d’accord ? ». Enfin, nous avons retenu des morphèmes dont le locuteur se sert lorsqu’il existe des contraintes communicatives et rituelles ; « enfin » et « disons » sont des exemples de ce dernier genre de morphèmes.
3Le lexique contient les marqueurs de structuration de la conversation (notés MSC) suivants (dans l’ordre énoncé) :
4Alors
Bon
Disons
Enfin
Quoi
Marqueurs de Recherche d’approbation discursive
Voilà
Vous savez que
Alors
5Habituellement, on distingue deux catégories de « alors », à savoir « alors » consécutif et « alors » opérant au plan de l’activité énonciative. Nous nous consacrerons dans cette section à l’étude du deuxième type de « alors », c’est-à-dire, « alors », en tant que « trace de méta-opération discursive » (A. Ali Bouacha 1981). Cet « alors » n’a ni valeur temporelle ni valeur logique, mais il indique le ni veau de textualisation des constituants. Nous classerons la catégorie de « alors » en question selon sa fonction dans la hiérarchie de textualisation.
1. « Alors », marque d’ouverture absolue (sans indexation des niveaux de structuration)
6Considérons l’exemple suivant :
E1 – bon/alors e : tout d’abord f voudrais poser des questions sur les débouchés en : ergonomie
02 – sur les débouchés en ergonomie (h) c’est-à-dire une fois que vous : avez obtenu un dess d’ergonomie (1-2)
7Ici, « alors » révèle le caractère d’ » attaque » du discours (A. Ali Bouacha 1981, p. 45), et il figure donc au début du discours. Notons que, dans l’intervention de l’étudiant (E), « alors », n’est pas l’unique élément qui réalise cette attaque du discours. Il y a des éléments qui coopèrent pour cette fonction, par exemple, le morphème « bon » et la tournure « tout d’abord ». Ce dernier indique la première opération dans l’ordre chronologique. Nous avons remarqué que le locuteur se sert le plus souvent de la forme associative de « bon » et de « alors » pour l’attaque du discours, et d’une façon générale, pour l’ouverture du discours. La forme associative « bon alors » amorce une nouvelle unité de la séquence, et elle a ainsi une fonction de « totalisateur proactif » (A. Zenone 1982, p. 132).
8A. Ali Bouacha (1981, p. 44) considère les occurrences de « alors » comme des éléments de jonction entre trois dimensions, à savoir les dimensions assertive, narrative et argumentative. Dans l’exemple ci-dessus, « alors » serait un « alors » narratif dans la mesure où il précède un énoncé métadiscursif, c’est-à-dire un commentaire sur l’énoncé qui va être produit.
9« Alors » de cette catégorie est « sans indexation des niveaux de textualisation », en adoptant la terminologie de Auchlin (1981). En fait, il n’est pas précédé d’un constituant avec lequel il entretiendrait une relation « spécifiable ».
2. « Alors » indiquant l’enchaînement linéaire
10Soit l’exemple :
E44- ... quelqu’un qui remplirait : donc e ce (t) cette e : (h)/ sur quels critères serait choisi quelqu’un qui remplirait ses conditions préalables
044 – bon (h) alors : les conditions d’accès au dess d’ergonomie bon vous avez... (1-4)
11Au moyen de « alors » le locuteur répète ou se pose à lui-même la question de son interlocuteur, comme s’il précisait le cadre de sa réponse. Sûrement, il fait ainsi pour meubler le temps d’hésitation, pour avoir le temps de réfléchir et de préparer sa réponse. Cet « alors » marque un enchaînement linéaire par rapport à l’intervention de son interlocuteur. Donc, entre l’intervention initiative et l’intervention réactive, introduite par le morphème « alors », il n’y a pas de changement de niveau de textualisation.
12Regardons ensuite l’exemple ci-dessous :
E1 – et : e : , bon j’aim’rais savoir si : : e : : / toutes les : maîtrises sont équivalentes pour e : faire psychologie du travail
Oq1 – oui alors e : toutes les maîtri : ses, ne sont pas équivalentes pour faire la psychologie du travail, , bon des enseign’ ments, /e : particuliers e sont conseillés... (1-4)
13Dans cet exemple, l’occurrence de « alors » se trouve encore au début de l’intervention réactive de la machine (M), immédiatement après le « oui » d’acceptation de prise de parole. Zenone (1982, p. 133) pense que cet « alors » a pour fonction de qualifier l’appropriété du rapport entre l’intervention réactive et l’intervention initiative. « Alors » annoncerait également la pertinence de l’intervention qui le suit par rapport à l’intervention qui le précède.
3. « Alors » indiquant un décrochement ascendant
E13 – ... les bruits d’couloirs hein : radio couloir m’a dit que : une certaine chantal avait fait un (h) deux dess d’abord p(u) is un dea ensuite alors tout ça/ ça/ ça : / ça : (h) bon ça m’excite beaucoup pa (r) c’ que i(l) va falloir qu’j’décide pour la maîtrise (1-1)
14L’intervention de l’étudiant est formée d’un acte de préparation (« les bruits d’couloirs... ensuite ») et d’un acte d’information (« alors tout ça... beaucoup ») qui a un acte subordonné introduit par « pa (r) c’que ». Dans l’exemple cidessus, « alors » indique l’acte directeur dans la mesure où le locuteur procède à une affirmation à partir de l’acte ayant une fonction interactive de préparation. Donc, « alors » marque un niveau de textualisation supérieur par rapport à l’acte précédent.
4. « Alors » indiquant un décrochement descendant
017 – .. .néanmoins on peut/ vous conseiller des enseignements, [.] pour postuler à ce dess, d’ ergonomie (h) alors j’vais vous donner des couples d’enseignement, d’accord ? [claquement]
E14 – oui
018 – alors psychologie expérimentale psychologie sociale (h) psychologie expérimentale psychologie différentielle... (1-2)
15La seconde intervention de l’opératrice (018) est introduite par « alors » et subordonnée à son intervention antérieure (017). « Alors » figure au passage d’un acte d’affirmation (017) à un acte d’explicitation (018), donc il marque un décrochement vers le bas des niveaux de textualisation.
5. « Alors » enchaînant sur l’acte d’énonciation
16D’après C. Sirdar-Iskandar (1980, p. 172), « alors » ne peut pas être introduit par un acte d’énonciation. Quant à A. Zenone (1982, p. 133) et J. Jayes1, ils affirment que, dans certains cas, le morphème « alors » est capable d’enchaîner sur l’acte d’énonciation. Nous sommes encline à soutenir cette dernière thèse. En effet, dans l’exemple ci-dessous, « alors » enchaîne sur l’acte d’énonciation et non sur le contenu propositionnel2.
E2- et l’ergonomie ben j croyais qu’c’était la même chose
02 – bien, alors on va définir ce que sont ces deux : enseignements, ces deux professions (1-3)
Bon
17Nous avons fait un classement de « bon » en trois catégories différentes. Nous regarderons successivement « bon » embrayeur de discours, « bon « indiquant un décrochement ascendant et « bon » en tant qu’idiotisme du locuteur.
1. « Bon », embrayeur de discours
E1 – bon/alors e : tout d’abord j’ voudrais poser des questions sur les débouchés en : ergonomie (1-2)
E1 – et : e : , bon j’aim’rais savoir si : : e : : / toutes les maîtrises sont équivalentes pour e : faire psychologie du travail (1- 4)
18Dans ces exemples, le morphème « bon » se trouve en tête du tour de parole, et en plus, il apparaît tout au début de la communication (remarquons qu’il s’agit de la première intervention de l’étudiant (E). De ce fait, « bon » joue le rôle d’embrayeur dans le dialogue. E. Gülich (1970,p. 298) le définit comme une marque d’ouverture. Pour assumer cette fonction d’embrayeur, « bon » est le plus souvent accompagné du morphème « alors ».
19Selon le classement des MSC de A. Auchlin (1981, p. 96), « bon » embrayeur de discours appartiendrait à la catégorie des MSC « sans indexation des niveaux de textualisation », étant donné qu’il n’y a pas de segment qui le précède.
2. « Bon » indiquant un décrochement ascendant
20D’après D. Luzzati (1982, p. 206), le morphème « bon » a une fonction d’ » actualisateur ». Cet actualisateur signalerait que « immédiatement ou pas, on va tirer une conclusion de ce qui vient d’être dit ». Prenons l’exemple suivant :
049 – (h)– vous pouvez être am’né : : à travailler en tant qu’ ergonome dans une entreprise en tant que/ ergonome : enfin psycho-ergonome dans une entreprise (h) vous pouvez égal’ment vous diriger vers la r’ cherche (h) e : : /bon c’est à peu près les deux secteurs : e : qui : dominent (1-5)
21Dans cette intervention, « bon » annonce l’acte directeur. Au moyen de « bon », le locuteur récapitule ou résume ce qu’il vient d’énoncer, ou en quelque sorte, il le met en relief. On peut donc penser qu’une des principales fonctions de « bon » est de « signaler l’intégration des constituants en un constituant plus vaste » (E. Roulet et al. 1985, p. 104). Cette utilisation de « bon » implique donc une articulation de nature conclusive.
22En articulant deux segments au moyen de « bon », ou plus précisément, en prononçant « bon » et le second segment, on caractérise l’énonciation du second segment comme impliquant la présence en mémoire de l’information déjà obtenue à travers le premier segment. C’est la raison pour laquelle E. Roulet et al. (1985, p. 103) considèrent « bon » comme un « anaphorique de mention ».
030 – ...au niveau des dess oui les places sont restreintes (h) les places diminuent un : petit peud’année enannée, (en) finje n’sais si cela va continuer mais pour l’instant (h) la : / cette an/ l’ année prochaine, / pour l’ année prochaine (h) e : : bon on n’peut pas savoir d’une année sur l’autre hein d’une année en avance mais pour l’année prochaine (h) le nombre total... (1-2)
23Dans l’exemple ci-dessus, « bon » introduit un acte localement directeur, et celui-ci s’intègre ensuite dans un mouvement discursif de concession. Par conséquent, le MSC « bon » réalise, par rapport aux constituants qui le précèdent, un décrochement ascendant des niveaux de développement3.
010- en tant qu’ ergonome (h) e qu’est-c’que vous faites concrèl’ment (h) bon pouvez travailler au niveau d’l’aménag’ment des postes de travail (h)... § (h) §§
E7 – §- oui §§
011 – donc cette amélioration est tant d’un point d’vue physique c’(es) t-à-dire au niveau d’l’éclaira : ge (h)... § (h) §§
E8 – §-oui §§
012 – et puis égal’ ment tout c’qui est amélioration des postes de travail au niveau psychologique...
E9 – m d’accord [oui]
013 – bon vous avez égal’ment : e : / vous pouvez égal’ment travailler au niveau de : l’ adaptation technologies nouvelles...
E10- oui
014- (h) bon ben c’est à peu près e : c’est à peu près tout : / c’(es) t-à-dire que/ (h) en fait l’ergonomie bon c’est l’application d’la psychologie de... (1-2)
24Dans l’exemple ci-dessus, « bon ben » permet d’intégrer tous les échanges précédents dans la dernière intervention de l’opératrice (O) et de les traiter comme un constituant unique. D’où nous pouvons dire que ce « bon ben » permet un enchaînement global rétroactif sur une séquence considérée comme un tout Le locuteur prend appui sur la mention de cette intégration pour indiquer un décrochement ascendant des niveaux de structuration. En conséquence, les interventions précédentes assument une fonction de préparation par rapport à l’intervention en question.
3. « Bon » en tant qu’idiotisme du locuteur
25Une des fonctions principales de « bon » est de « faire mention d’une séquence de constituants » (E. Roulet et al. 1985, p. 104). Nous avons l’impression que le morphème « bon » peut apparaître dans tous les points de charnière des unités discursives, aussi bien au commencement de chaque segment de discours qu’à l’endroit òu l’on aborde un nouveau sujet ou un nouvel aspect du thème, « bon » apparaît au commencement de chaque segment du discours. « Bon » est alors employé par préférence aux autres « appuis du discours », et il semble indiquer un phénomène d’idiotisme chez le locuteur.
26Notons toutefois qu’une occurrence fréquente de « bon » peut également refléter les difficultés qu’a le locuteur pour formuler son énoncé.
051 – §- justement §§ (h) justement elle elle envisage (h)/e : qu‘ il y ait e : bon qu’ il y ait/ bon elle envisage bon le fait que bon/ y a beaucoup d’étudiants... (1-1)
Disons, disons que, je dirais
1. « Disons »
27Comme la signification lexicale de « disons » implique l’activité énonciative, nous rencontrons ce morphème principalement dans le français parlé. Quand nous produisons un énoncé, nous avons moins de temps pour réfléchir et faire le choix des mots, que lors d’une rédaction. Par conséquent, la construction syntaxique des énoncés diverge lors de la conversation. Ceci exige l’existence de morphèmes à l’aide desquels nous pouvons corriger ou rectifier notre discours. Le morphème « disons », comme le morphème « enfin », est typique à cet égard. Quant au type d’enchaînement, « disons » et « enfin » indiquent tous les deux l’acte directeur. Ainsi, en ce qui concerne leur fonction discursive, il y a beaucoup de ressemblances aussi bien du point de vue de l’autocorrection du discours que du point de vue de l’enchaînement des niveaux de structuration.
28Etudions d’abord l’exemple suivant où le morphème « disons » est antéposé à l’énoncé-doublon.
012 – et puis également tout c’ qui est amélioration des postes de travail au niveau psychologique, / et là bon l’aspect psycho : /logique et : : disons l’aspect e(h) comment dire sociologique/ psychosociologique intervient, d’accord ? (1-2)
29« Disons » sert à signaler le caractère provisoire de l’énoncé qui vient d’être produit. Il a un effet rétroactif en ce sens que le locuteur définit après coup la nature provisoire de son énoncé. Sous cet aspect, nous pouvons considérer « disons » comme marqueur d’auto-correction et de rectification. Dans l’exemple cidessus, la correction porte sur un mot – c’est-à-dire, le locuteur remplace « psycho : / logique » par « sociologique/psycho-sociologique »-ce qui est une correction métalinguistique. D’ailleurs, nous constatons que le locuteur a des difficultés pour produire l’énoncé ; il hésite sur le choix des mots. Le segment « comment dire » le prouve bien.
30L’emploi de « disons » varie selon sa position dans l’énoncé. A la différence de ce qui était le cas dans l’exemple précédent, le morphème « disons » est postposé à « l’énoncé-doublon » dans les deux exemples suivants4.
072- ... c’est quand même que les gens pour a/actuell’ ment diplomés en : (h) en clinique et en patho (h) e. bon : pour la majorité e de ceux qui sont diplomés d’puis deux ans disons (h) bon ben la majorité n’ont pas quand même trouvé d’travail encore... (1-1)
070 – .. .cela dépend les cours ne durent pas tous toute l’année (h) et une vingtaine en psychologie du travail mais là encore vous avez des enseignants qu’vous n’avez pas toujours vous avez des cours tous les quinze jours : des cours e ! (h) c’(es) t assez varié disons (1-5)
31Dans le premier exemple, « disons » souligne un choix aléatoire (arbitraire) mais nécessaire au niveau discursif ou au niveau du contenu, alors qu’il souligne, dans le deuxième exemple, un choix aléatoire effectué au niveau de la formulation ou des mots. Dans ces énoncés, l’emploi de « disons » n’a certainement pas une fonction rectificative. Dans le deuxième exemple, il nous semble plutôt que l’opératrice (O) cherche une manière de résumer ce qu’elle vient d’énoncer ou de tirer une conclusion de son propos précédent. Donc, nous pouvons dire que ce « disons » marque un commentaire conclusif de l’énoncé-source.
2. « Disons que », « je dirais »
32Passons à deux autres expressions. Il s’agit de « disons que » et « je dirais » qui assument à peu près la même fonction que « disons ».
33« disons que » peut être soit une marque explicative, soit une marque de soulignement, soit une marque rectificative. Dans l’exemple ci-dessous, l’expression « disons que » joue le rôle d’une marque de rectification. En effet, le locuteur restreint le champ de l’affirmation précédente à l’aide de « disons que ».
038- vous pouvez être égal’ment am’nés à travailler au niveau d’la formation (h) e : : bon je vous ai dit qu’un ergonome pouvait égal’ment être am’ né à faire cette formation mais disons que c’est plutôt dans un (h) contexte particulier, je dirais (h) au niveau d’l’informatisation d’ un secteur auquel il partici : pe... (1-2)
34Nous remarquons que l’expression « disons que » peut être combinée avec « mais » en vue d’une autocorrection. Le « mais » qui accompagne « disons que » est alors un « mais » de rectification. En effet, par « mais », le locuteur apporte des restrictions à la proposition qu’il a déjà soutenue. Ensuite, au moyen de « disons que », cette proposition est remplacée par une autre, afin de procéder à une rectification de la qualification. Ainsi, nous pouvons constater chez le locuteur l’existence d’une divergence d’assertion.
35« Je dirais » joue le même rôle que « disons ». C’est une variante qui, dans l’exemple dernier, introduit une explication de ce qui a été dit avant. Mais contrairement à « disons », « je dirais » est personnalisé, et il implique que le locuteur seul est concerné par la correction ou rectification de son énoncé. En revanche, quant à « disons », le locuteur considère que son interlocuteur s’accorde sur cette correction, en utilisant la première personne plurielle (« disons »). En fait, il pense que le consentement de ce dernier est déjà acquis et que « son interlocuteur est en quelque sorte associé à la correction apportée » (M.-A. Morel 1983, p. 50). Ceci est une des stratégies visant à soutenir l’attention de l’interlocuteur, et donc, « disons » sert à la fonction phatique.
Enfin
36Nous classons les emplois de « enfin » en deux catégories, à savoir celle des « enfin » introduisant un décrochement ascendant, et celle où « enfin » indique un enchaînement linéaire. La première catégorie est constituée de « enfin », marque d’autocorrection, de réajustement, de rectification de la portée de la vérité et de récapitulation justificative. En revanche, la deuxième catégorie comprend « enfin », marque de clôture d’une énumération et de protestation.
1. « Enfin » indiquant un décrochement ascendant
E7 – d’accord, oui, , [–] (h) bien et : e : / est-c’que vous avez les renseign’ ments sur les : : débouchés possibles du dess de psychologie du travail/ est-c’qu’il y a beaucoup de : / d’offres (et)/ est-c’ qu’ il y a beaucoup d’ emplois e : proposés (en) fin : / sur l’marché du travail ? [claquement] (1-3)
37Les rapports entre les différents constituants de ce passage peuvent être représentés de la façon suivante :

38(Comme l’a fait E. Roulet etal. (1985), nous représentons, par le symbole i/I, une intervention qui est subordonnée rétroactivement)
39Au premier niveau, l’acte directeur (A1) de l’intervention (12), à savoir « e : /est-c’que vous avez les renseignements sur... », s’appuie sur deux actes subordonnés qui sont « est-c’qu’il y a beaucoup de : /d’offres » et « est-c’qu’il y a beaucoup d’emplois... ». Le rôle de ces actes subordonnés est de constituer des arguments ou une sorte d’explication pour l’acte directeur (A1). La conjonction de coordination « et » entre ces deux actes subordonnés nous permet de dire qu’ils sont au même niveau de textualisation. L’intervention (12) toute entière est ensuite subordonnée rétroactivement (donc marquée i/12) par le morphème « enfin », à l’acte directeur (A2), dans une nouvelle intervention de rang supérieur (13). Alors, afin d’assurer la cohésion du discours, il faut reconstituer, après le MSC « enfin », la partie de l’ellipse « est-c’que vous avez les renseignements ».
40Donc, nous pouvons dire que la première catégorie de « enfin » marque un décrochement ascendant et introduit l’acte directeur dans la mesure où le locuteur réévalue les constituants, au moyen de « enfin », en les remplaçant par d’autres constituants qui sont plus appropriés ou plus adéquats. Les constituants qui précèdent « enfin » sont alors subordonnés aux constituants suivant le morphème « enfin ».
A. Marque d’autocorrection
41L’emploi de « enfin » correctif consiste à remplacer un terme, une expression ou une proposition par d’autres éléments. Nous classons cet emploi de « enfin » en deux sous-catégories.
a) Le cas où l’autocorrection porte sur un mot
42Parfois, l’autocorrection a lieu sur un mot. Il peut y avoir plusieurs raisons à cela.
43D’abord nous avons des cas où le segment antéposé au morphème « enfin » n’apparaît pas entièrement, parce que le locuteur s’aperçoit de son erreur avant même d’achever l’énonciation du segment entier. Par conséquent, il interrompt son discours, et il ne le continue qu’après avoir corrigé avec « enfin ». Soit l’exemple :
E21 – (h) le : : (h) (en) fin la maîtrise elle porte sur l’expérimentale hein (1-5)
080 – §- non non ps né§§/ cela n’/a mon : : [.] e : enfin à ma connaissance cela n’existe pas...[claquement] (1-2)
44Il y a également des cas où « enfin », tout en mettant fin à un développement, sert aussi à opposer le second segment à une intention communicative qui le précède. Comme nous le constatons dans l’exemple ci-dessous, l’énonciateur peut renoncer à exploiter l’orientation argumentative de son discours. Alors, l’acte directeur introduit par « enfin » correspond à une intention communicative opposée à celle prévue par ce qui précède. Donc, dans cet exemple, nous pouvons dire qu’il y a une modification de la visée, c’est-à-dire une question alternative ; « beaucoup de places » s’oppose à « restreint ».
E26 – (h) e : : oui : et alors : e : : ya beaucoup de : / de places (en) fin c’est : , , § c’est restreint ou : §§ (1-2)
b) Le cas où l’autocorrection porte sur une formule
45Dans l’exemple suivant, a lieu un processus d’autocorrection sur une formule. Le locuteur fait comme si, pour exprimer son intention communicative, une inattention ou même un lapsus lui avait d’abord fait utiliser une certaine expression, alors qu’il fallait en dire une autre.
E56- qu’est-c’qu’i(l) y a à : / (en) fin quel est/ quel est l’programme (1-2)
B. Marque de réajustement
46L’emploi de « enfin » réajustif consiste à redoubler un terme, une expression ou une proposition, en y adjoignant une nouvelle détermination, une précision. un nouveau jugement ou un commentaire. Dans l’exemple suivant, le locuteur réajuste un terme à l’aide de « enfin » en y adjoignant une précision.
081 – § il e : faut §§ à mon sens e : ! enfin à mon sens pas au mien e spécial’ment il faut e : : nécessair’ment : e : u : ne certaine expérience professionnelle auparavant (1-2)
47A la différence de l’exemple ci-dessus, il existe des cas où le réajustement a lieu après une sorte d’incise explicative. L’incise explicative, qui est « est-c’qu’il y a [...] proposés », se trouve entre l’énoncé-source, qui est « est-c’que vous avez les renseign’ments sur les [...] du travail », et l’énoncé-doublon qui est « sur l’marché du travail ».
E7 – d’accord, oui, , [–] (h) bien et : e : ! est-c’que vous avez les renseign’ments sur les : : débouchés possibles du dess de psychologie du travail/est-c’qu’il y a beaucoup de : / d’offres (et)/ est-c’ qu il y a beaucoup d’ emplois e : proposés (en) fin : / sur l’marché du travail ? [claquement] (2-3)
C. Marque de rectification de la portée de vérité
48Soit l’énoncé :
030 – .. .au niveau des dess oui les places sont restreintes (h) ces places diminuent un : petit peu d’année en année, (en) fin je n’sais pas si cela va continuer mais pour l’instant... (1 – 2)
49Nous constatons que le locuteur, en se servant de « enfin », fait une auto-interruption pour corriger ou préciser ce qui a été énoncé au préalable. Ici, « enfin » introduit un énoncé qui restreint le champ temporel de la vérité de l’énoncé précédent.
D. Marque de récapitulation
50Dans certains cas, l’énoncé introduit par « enfin » représente comme une justification plus générale ce qui précède ; il est en quelque sorte une récapitulation justificative.
068 – oui tout à fait vous pouvez très bien être am’nés à faire une recherche ou : vous pouvez très bien avoir un travail e : (h) plus bibliographique ou plus e : (h) (en) fin, / cela dépend avec qui vous travaillez... (1-2)
51Dans l’exemple ci-dessous, l’énonciateur renonce au mouvement discursif amorcé préalablement et préfère donner un trait générique introduit par « enfin ».
041 – ...bon donc améliorer les conditions d’travail/ non par exemple c’est/ c’est pour les : / les systèmes d’éclairage (en) fin les : les choses comme ça quoi... (1-3)
E. Marque de résumé des propos de l’interlocuteur
52Dans certains énoncés, le locuteur précise ou résume ce que son interlocuteur vient de dire. Dans l’exemple suivant, le locuteur remplace des propos de son interlocuteur par d’autres constituants de même nature. L’intention communicative de l’intervention de l’étudiant (E) correspond à celle de l’opératrice (O). Pour l’essentiel elle est maintenue mais modifiée dans sa présentation5. Le locuteur reprend par « beaucoup », qui est un synonyme de « énorme », ce que son interlocuteur vient de dire.
067 – (h) donc e vous devez effectuer en f (ai) sant deux dess six mois de stage en entreprise, ce qui semble énorme
E70 – (en) fin dans une année oui ça fait beaucoup.
53Dans l’exemple suivant, « enfin » introduit une sorte de résumé de paroles antérieures de l’interlocuteur.
E39- ...sinon vous m’avez dit que :/e/enfin on avait intérêt aussi à prendre : : (h) informatique en : : , en maîtrise (1-2).
2. « Enfin » indiquant un enchaînement linéaire
54Nous regroupons dans cette catégorie les emplois de « enfin » qui indiquent le même niveau de textualisation. Autrement dit, il n’y a pas de changement de niveau de textualisation entre deux constituants articulés par « enfin ».
A. Marque de clôture d’une énumération
55Ce type d’emploi de « enfin » concerne le « enfin » dont le locuteur se sert pour la clôture d’une énumération, cette clôture n’étant qu’une forme particulière de l’arrêt du discours. Ci-dessous, nous allons étudier deux exemples où « enfin » sert à indiquer la clôture d’une énumération.
E82- ...j’aurais bien aimé prendre : trois matières quoi en maîtrise c’est ça qui m’embête
080 – trois matières au niveau d’la maîtrise
E83 – ben c’(es) t-à-dire j’ aurais bien voulu faire expé et puis bon e informatique enfin math hein (1-5)
56L’intention du locuteur peut être par exemple de faire savoir à son interlocuteur les matières auxquelles il s’intéresse. Pour cela, il choisit de faire une énumération. « Enfin » signale que son intention est entièrement réalisée lorsqu’il indique son intérêt pour « math » après celui des deux autres et que seules donc étaient intéressantes les trois matières mentionnées. Cet effet explicite de clôture est caractérisitque de « enfin ». « Enfin » signale qu’il y a une énumération commencée à partir d’un élément premier et que la liste de l’énumération est complète. Tous les éléments énumérés sont de même niveau de structuration, étant donné qu’il y a la possibilité de les coordonner au moyen de la conjonction de coordination « et ». Cependant, il y a une nuance lorsque nous remplaçons « enfin » par « et » ; « enfin » indique que le discours n’a pas à être continué, tandis que « et » marque simplement que le discours va s’arrêter.
M2 – .. .nous pouvons distinguer trois champs d’investigation très imbriqués et complémentaires, d’une part l’étude des processus de l’homme au travail, d’autre part l’étude des astreintes de tout ordre et enfin l’ étude des aménagements techniques des postes de travail... (2-2)
57Dans l’énoncé ci-dessus, le locuteur signale, en énonçant le segment suivant « enfin », qu’il réalise complètement son intention, c’est-à-dire qu’il est arrivé au terme de ce qu’il avait à dire sur le thème considéré. Ainsi, le segment qui suit « enfin » non seulement prolonge l’énumération commencée, il l’épuise aussi. Comme nous le constatons dans cet exemple, « enfin » peut être combiné avec « et », et cette combinaison a une fonction plus claire que « enfin » seul. Les trois MSC « d’une part », « d’autre part » et « et enfin » indiquent que trois segments énumérés (ou reliés) par eux sont du même niveau de structuration.
B. Marque de protestation
58Dans l’énoncé ci-dessous, « enfin » nous semble être une marque de protestation. Le locuteur reproche à son interlocuteur de ne pas faire de précision ou de ne pas fournir une explication suffisamment détaillée. Nous pouvons également le remarquer par son intonation indignée, en écoutant la conversation. Donc cet « enfin » articule les constituants non-verbaux.
02- ... vous avez des débouchés dans les entreprises,/ dans les grosses entreprises, surtout (h) mais également vous avez des débouchés au niveau d’la recherche
E3 – e : : oui mais alors c’est : /e/ de la recherche dans/ dans quel secteur enfin (1-2)
Quoi
59La fonction principale de « quoi » est de ponctuer le discours ou de délimiter les propositions. Sans aucun doute, ceci explique que « quoi » se trouve toujours à la fin d’une intervention ou d’un acte, et c’est la raison pour laquelle E. Gülich (1970, p. 297) le classe comme un marqueur de clôture. Nous pouvons donc dire que « quoi » a une fonction de ponctuation, c’est-à-dire que sa fonction est similaire à celle des facteurs prosodiques.
60Du point de vue de la fonction d’articulation assurée par le morphème « quoi » entre deux constituants, nous pouvons dire que « quoi » sert à « marquer une relation de paraphrase ou une relation d’explication entre eux ; d’où l’existence d’une équivalence sémantique entre ces deux constituants ». Il en résulte que « quoi » peut être traité comme un marqueur de reformulation paraphrastique (MRP) (E. Gülich et T. Kotschi 1983, p. 319). Le MRP « quoi » postpose toujours l’énoncé-doublon.
61Le morphème « quoi » peut articuler aussi bien les propos du même locuteur que ceux de l’interlocuteur. Cependant, il faut souligner que, le plus souvent, le morphème « quoi » sert à articuler des constituants en rapport monologique, et n’apparaît que rarement dans des contextes dialogaux. En ce qui concerne le type d’enchaînement des constituants, A. Auchlin (1981, p. 96) estime que « quoi » indique un décrochement descendant dans les deux cas. Nous ne partageons pas cette opinion. A notre avis, le type d’enchaînement des constituants est différent dans les deux cas. Lorsque « quoi » sert à articuler des constituants en rapport monologique, il indique un décrochement descendant ; c’est-à-dire, il marque le passage d’une affirmation à une explication. En revanche, dans l’autre cas, il marque un décrochement ascendant. Notre point de vue sera expliqué plus loin à travers quelques exemples.
62En écoutant les communications téléphoniques de notre corpus, nous remarquons que certains locuteurs emploient le morphème « quoi » plus souvent que n’importe quel autre appui du discours. Par exemple, dans la communication 3 de la phase I, nous avons relevé 5 occurrences de « quoi » (sur 10 pages transcrites, soit une occurrence moyenne par page de 0,5), tandis que dans la communication 1 de la phase I, « quoi » n’apparaît qu’une seule fois (sur 15 pages transcrites, soit une occurrence moyenne par page de 0,07). Bref, certains locuteurs s’en servent principalement comme une simple marque de soulignement, voire comme leur marque de soulignement « préférée », ce qui nous permet de rapprocher cet aspect de « quoi » au phénomène d’idiolecte.
1. Le cas où « quoi » articule les propos du même locuteur
060 – ben i(l) va baisser c’(es) t-à-dire qu’ i(l) doit être à peu près i(l) va baisser p (eu) t êt (re)à : soixante et si il est à cent c’tte année i(l) va passer à soixante-dix quoi (1-1)
63Le locuteur fait d’abord une affirmation (« ben i(l) va baisser... »), et il explique ensuite cette affirmation en donnant un chiffre concret. Le morphème « quoi » fait partie des constituants de l’acte d’explication, c’est-à-dire de l’acte subordonné. L’acte d’explication – »i(l) va passer à soixante-dix quoi» – est un argument pour l’acte directeur (« ben i(l) va baisser »). Dans l’intervention citée cidessus, le locuteur cherche à transmettre ses connaissances à son interlocuteur par le discours. Autrement dit, l’énoncé est un énoncé déclaratif. Nous constaterons également dans tous les exemples qui vont suivre, que l’empoi de « quoi » est réservé à des énoncés déclaratifs.
2. Le cas où « quoi » articule les propos de l’interlocuteur
062 – oui, , (h)/ (en) fin on choisit vous choisissez e : psychologie sociale (h) vous n’choisissez pas réell’ment les enseignants, dans lesquels vous allez faire votre § certificat principal §§
E63 – §-/ (en) fin ce : / ce dont ils §§ traitent quoi
063 – voilà c’est ça oui, , et... (1-2)
64Il nous semble que l’intervention de l’étudiant (E) n’est pas une explication du propos de son interlocuteur ; elle est plutôt la conclusion de ce que son interlocuteur vient de dire. En nous fondant sur cet exemple, il apparaît que le morphème « quoi » peut marquer un décrochement ascendant, alors que A. Auchlin (1981, p. 96) était arrivé à la conclusion contraire. Ainsi, nous pensons que le morphème « quoi », lorsqu’il articule le constituant de l’interlocuteur, peut marquer un décrochement aussi bien ascendant que descendant, selon le cas.
65L’intervention de l’étudiant (E) a une valeur illocutionnaire littérale, de type assertif, mais elle a une valeur contextuellement dérivée, c’est-à-dire de type confirmatif. Le locuteur tire une conclusion à partir de ce que son interlocuteur vient de lui communiquer, mais en même temps, il veut confirmer l’énoncé de ce dernier, en le paraphrasant D’ailleurs, par l’intervention réactive qui suit (« voilà c’est ça oui »), nous pouvons être sûre que l’intervention initiative de l’étudiant (E) est une demande de confirmation.
019 – donc là on a abordé les deux e : les : : / les deux parties où le psychologue travaille dans : des : cabinets/e : spécialisés dans une, , e : des : : , une des fonctions du psychologue d’accord la formation le recrut’ment
E21 – mm d’accord, et/ ou pour le sèv/ça r’ couvre l’ensemble de la psychologie du travail quoi en fait (1-3)
66L’intervention de l’étudiant (E) est ici une récapitulation conclusive faite à partir du propos de son interlocuteur. Cette récapitulation est soulignée par le morphème « quoi ».
Marqueurs de recherche d’approbation discursive
67Nous traiterons dans cette section les marqueurs que W. Settekom (1977, p. 195) appelle « particules à fonction de recherche d’approbation discursive ». Nous appellerons ces marqueurs des marqueurs de recherche d’approbation discursive ( MRAD). Il s’agit de tournures que l’on trouve à la fin d’une interrogative tels que « d’accord ? »« vous êtes d’accord ? », « okay ? », « hein ? », n’est-ce pas ? », « ... oui ? » et « ... non ? ». Nous pouvons considérer ces tournures comme des marqueurs interrogatifs post-déterminants qui se caractérisent par l’intonation montante de l’interrogation.
68Nous examinerons les fonctions des MRAD à travers quelques exemples.
05- ...bon il faut savoir que l’ergonomie (h) est un facteur d’évolution de la technologie par les exigenxes : d’adaptation (h) e : plus rigoureuses qu’elle présente aux techniciens, d’accord (h) donc elle suit la technologie... (1-2)
010- ... si l’on vous demande d’intervenir au niveau d’la construction d’un secteur ! d’un nouveau ! d’une nouveauté dans une entreprise (h) là ce n’est plus d’l’ amélioration c’est d’la conception, vous êtes d’accord (h) bon mais... (1-2).
69Apparemment, les tournures « d’accord ? » et « vous êtes d’accord ? », accompagnées d’une intonation montante, représentent une caractéristique de la question, comme si le locuteur veut savoir si son interlocuteur partage sa position sur son énoncé. Mais, en vérité, en écoutant la conversation, nous remarquons que le locuteur n’arrête pas son discours et n’attend pas vraiment une réponse de son interlocuteur. Il cherche plutôt à le convaincre. « D’accord ? » et « vous êtes d’accord ? » sont donc des questions de nature rhétorique, et nous pouvons en déduire que les tournures ci-dessus sont des marqueurs de recherche d’approbation discursive (MRAD).
067 – ...ce sont les titres que vous aurez et non pas psychologue
E67 – ben oui c’est ça/ c’est quand même important au niveau des : / des rémunérations des choses comme ça non ? (1 -4)
70Dans l’énoncé ci-dessus, nous pouvons substituer à « non ? »« n’est-ce pas ? », qui est également une autre forme de MRAD. Il nous semble que le locuteur emploie la particule « non ? » non seulement pour la recherche d’approbation, mais aussi pour raison de contrainte rituelle. Autrement dit, il l’utilise par prudence ou pour ménager sa « face négative » au cas où son affirmation ne serait pas correcte. Sans cette particule, le locuteur aurait l’air plus imposant en assertant quelque chose sans réserve, et alors, il risquerait sa « face positive »6. Dans l’énoncé ci-dessus, nous pouvons également considérer que joue une des lois conversationnelles dites maximes de Grice7.
Voilà
71Dans notre corpus, nous avons rencontré trois différents types d’emploi du morphème « voilà ». Premièrement, il y a l’emploi de « voilà » qui indique l’ouverture d’un constituant directeur. Deuxièmement, il y a des « voilà » qui marquent une confirmation. Dans ces deux cas, « voilà » renvoie au constituant précédent Un troisième type d’emploi est relatif aux « voilà » qui renvoient au constituant suivant et qui effectuent une ouverture de constituant sans donner d’indications sur les niveaux de textualisation respectifs du constituant introduit et de celui qui le précède.
1. « Voilà » marquant un décrochement ascendant
72Ce type de « voilà » introduit le constituant du niveau de développement le plus haut de la séquence en cours. En d’autres termes, le constituant accompagné par « voilà » est l’acte directeur de la séquence. Pour cet emploi, le morphème « voilà » marque toujours le passage d’une explication à une affirmation. Ajoutons que les « voilà » de cette catégorie ne peuvent servir qu ’à articuler des constituants en rapport monologique.
73Soit l’exemple :
042 – .. .les/ enseignants demandent que les gens n’aient pas fait d’clinique ; [...] c’est-à-dire qu’actuell’ment (h) e : la demande pour faire ces dess augment : te : : : relativ’ment : e vite, (h) y a encore en travail §hum§§ [toux]
E30 – §où : , en quoi§§
042- en travail
E31 – en travail ou en §psychologie§§ du travail
043- §-et/§§
044- voilà donc e : on est am’ né : à : : donc/ à : cerner e : ! cerner les étudiants... (1-1)
74Il y a des échanges sur un autre sujet qui sont insérés entre l’acte directeur (044), marqué par « voilà », et son acte subordonné 042). L’intervention « la demande pour faire ces dess augmente » est un argument pour celle de « voilà donc e : on est am’néà... ».
2. « Voilà » marquant un enchaînement linéaire (« voilà » confirmatif)
75Cet emploi de « voilà » indique un enchaînement linéaire. Le locuteur confirme, au moyen de « voilà », que le propos de son interlocuteur porte sur le même thème et a la même orientation argumentative que le sien. Par conséquent, « voilà », lorsqu’il a une fonction de confirmation, apparaît toujours dans des contextes dialogaux. Ajoutons également le rôle anaphorique du morphème « voilà ». Il renvoie à ce qui vient d’être dit Dans le premier exemple ci-dessous, « voilà » a le même rôle que « c’est ça » ou « oui ». Ils sont tous les trois interchangeables. Cependant il faudrait reconnaître qu’en tant que marque de confirmation, « voilà » est plus fort que « oui ».
E63 – §- (en) fin ce : / ce dont ils §§ traitent quoi
063 – voilà c’est ça oui, et... (1-2)
079 – c’que vous voulez savoir, s’il y a des sociétés où il n’y a que des ergonomes
E81 – voilà et puis qui sont app’ lés par d’aut (re)s... (1-2)
76Par « voilà » confirmatif, le locuteur exprime son adhésion ou son approbation aux opinions de son interlocuteur.
77Il y a également des cas où « voilà » est employé, outre comme marque de confirmation, comme un indice phatique de l’écoute ; c’est-à-dire, à l’aide de « voilà », le locuteur marque la prise en compte du propos de son interlocuteur. Effectivement, les marques d’écoute et de confirmation sont nécessaires pour le bon déroulement du dialogue. Soit l’exemple suivant :
029 – d’accord (h) alors c’ que vous aimeriez savoir c’est qu’est-c’ que vous/ si vous choisissiez par exemple en maîtrise un : d : / un : certificat de clinique et un certificat de : / d’expérimentale
E23- voilà
030- par exemple
E24- voilà (1-1)
78Dans cet exemple, la fonction de « voilà » est d’indiquer au locuteur présent qu’il est écouté attentivement. Peut-être, les « voilà » de cette catégorie ne constituent pas des prises de parole, mais bien des verbalisations d’écoute, des signaux d’encouragement à l’égard du locuteur.
3. « Voilà » marquant une ouverture absolue. (« Voilà » présentatif)
79Cet emploi de « voilà » indique l’ouverture absolue d’un énoncé sans indexation des niveaux de structuration. « Voilà » marque l’ouverture d’une conversation ou le commencement d’une nouvelle transaction, c’est-à-dire « une unité définie à partir de critères de thématisation d’actions » (A. Auchlin et A. Zenone 1980, p. 8). Les éléments de l’énoncé sont introduits au moyen de « voilà », qui a une valeur démonstrative et descriptive.
E4 – voilà (h)/ alors : j’ai un problème là (1-1)
Vous savez que
80Il existe des morphèmes et des tournures dont le locuteur se sert pour souligner son discours. La tournure « vous savez que » est typique à cet égard. Nous l’appellerons marqueur de soulignement, et nous examinerons sa fonction dans le discours et son indication des niveaux de structuration à travers deux exemples.
05 – ... donc elle suit la technologie elle suit l’évolution d’la technologie vous savez qu’actuell’ment on est dans un rè : gne informatique automa : te... (1-2)
034 – c’est pas nécessaire c’est possi : ble (h) c’était possible : / bon vous savez que vous avez au niveau des dess/ un : / bon des enseignements, (h) mais également un stage... (1-2)
81Avec « vous savez que » le locuteur indique à son interlocuteur que son assertion est exacte, connue ou importante. Il suppose que son partenaire de la conversation est déjà au courant de son assertion et essaie d’enlever en avance l’objection éventuelle ou de dissuader son interlocuteur. Au moyen de la tournure en question, le locuteur caractérise ses propos d’ » exigence de validité ». Par conséquent, pour lui, il est normal que son interlocuteur accepte ses arguments sans objection. Ceci est un des moyens dont nous nous servons pour mieux convaincre les autres. On peut donc penser que la tournure elle-même présente une fonction argumentative (W. Settekorn 1977, p. 197).
82Le locuteur supposant que son interlocuteur est déjà au courant de son affirmation, il en découle que le locuteur suppose également que l’approbation de son interlocuteur est déjà donnée, ou du moins, que son énoncé est pris en compte par son interlocuteur. Ainsi, il montre la confirmation de son rôle de locuteur compétent sur le thème traité8.
83La tournure « vous savez que » sert à la justification d’une affirmation avancée ou qui va suivre. A l’aide de cette expression, le locuteur veut fournir des arguments à son affirmation. « Vous savez que » doit donc toujours apparaître au début de l’acte subordonné, et cette tournure indique toujours un décrochement descendant.
Notes de bas de page
1 Un exemple de Jayez est cité par Zenone (1982, p. 133).
2 Ajoutons que le locuteur n’enchaîne pas sur le dit de son interlocuteur, mais sur le fait de l’avoir dit, en d’autres termes, sur l’acte de parole (O. Ducrot 1980).
3 « Niveaux de développement » est ici employé de façon analogue à « niveaux de textualisation » ou « niveaux de structuration ».
4 D’après E. Gülich et T. Kotschi (1983), des morphèmes tels que « disons » et « enfin » jouent parfois un rôle de marqueur de la reformulation paraphrastique (MRP). Ils appellent alors « énoncé-source » l’élément qui précède au morphème, et « énoncé-doublon » celui qui le suit (p. 319).
5 Nous avons affaire au cas de « la correction explicative » dont une des caractéristiques est « la reprise synonymique d’une expression qui vient d’être employée » (M.-A. Morel 1983, p. 52).
6 Pour les notions de « face positive » et « face négative », voir E. Roulet (1980, p. 81).
7 « N’affirmez pas ce pour quoi vous manquez de preuves » (H.-P. Grice 1979, p. 61).
8 « Laconfirmation d’argument implique la confirmation du rôle » (W. Settekom 1977, p. 207).
Auteur
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