L’anglais, langue par défaut en terminologie
p. 107-109
Texte intégral
1Sans oublier que ce qui nous réunit ici est la problématique du multilinguisme en Europe, mais au contraire pour la considérer sous l’un de ses aspects les plus concrets, la terminologie, je vous propose quelques minutes de réflexions sur une expérience : celle du réseau mondial TermNet, qui bénéficie du soutien de l’UNESCO.
2Le titre de mon exposé n’est pas une thèse, mais un constat dont je voudrais tirer les conséquences pour l’activité terminologique en Europe, en distinguant ses deux pôles : d’un côté la terminologie consignée, ou terminographie, de l’autre la terminologie préconisée, ou aménagement terminologique. Cette division méthodologique sera relativisée dans ma conclusion, car j’ai en vue des réalisations tout à fait pratiques.
1. La terminologie consignée
3C’est la plus proche de l’usage réel. Elle est caractérisable par quelques traits dominants.
Elle coûte cher, et il lui faut donc des motivations fortes et durables. C’est le cas au Bundessprachenamt, chez Siemens, chez IBM, et aussi dans des sociétés de services linguistiques comme il s’en développe actuellement en Allemagne, en Espagne, aux Pays-Bas et en France, pour ne rien dire du Japon.
Elle donne une priorité absolue aux besoins de la traduction technique, où l’anglais représente 80 % de la masse des textes traités par un organisme français, l’AFNOR. Cette priorité est très visible dans le contenu de banques de données européennes comme DANTERM (au Danemark) ou de bases de données internes comme celles des banques suisses, mais aussi au Japon, en Chine, en Malaisie, en Tunisie, etc.
Elle est soumise au marché, sur lequel elle est jugée incomplète si la langue dominante ne figure pas dans les fiches ; ce n’est pas moi qui impose des équivalents anglo-américains à mes étudiants néo-latins et arabes, mais ils jouent leur avenir sur le marché du travail, qui est ce qu’il est
Elle est influencée, utilisée professionnellement et diffusée à titre principal par les traducteurs.
Elle donne heu à la prolifération de dictionnaires lisibles sur toutes sortes de supports : ouvrages multilingues à la façon de l’URSS, notamment, disquettes comme chez EUROLUX, disques optiques compacts comme celui de TERMIUM au Canada. C’est toute cette activité qu’il est convenu d’appeler terminographie. Les travaux bilingues peuvent bien sûr ne pas inclure l’anglais, mais à ma connaissance les multilingues lui font tous une place dans toutes les grandes entreprises, les grands services et les organisations non gouvernementales, sur toute la planète.
2. La terminologie préconisée
4L’aménagement terminologique, notion qui de façon non fortuite est née au Québec, obéit à une rationalité fortement différente. On peut le caractériser comparativement au vu des cinq critères abordés à propos de la terminographie.
La terminologie préconisée coûte logiquement aussi cher que l’autre si l’on veut qu’elle soit bien documentée, bien négociée et bien popularisée. Elle a donc besoin d’un fort soutien des pouvoirs publics, dont elle est un instrument politique ; c’est le cas, par exemple, dans les pays néerlandophones, en Catalogne et au Pays basque.
Comme le montrent ces exemples, elle donne priorité à la résistance à l’influence des langues dominantes, et de ce fait s’attache plus aux mots en tant que tels qu’aux définitions. Il en résulte une tension, bien connue depuis l’école de Prague, entre norme terminologique (tendant vers l’internationalité) et norme linguistique ; si cette tension est mal gérée, le risque est d’indisposer sans grand succès, de favoriser une dialectalisation des langues dominées et d’accroître le charme des dominantes.
Elle est très dépendante des rapports de forces politiques, au niveau national et international, et donc de l’histoire et de la géographie. C’est le cas en Europe, où la réglementation linguistique a été un instrument des dictatures à la fin de l’entre-deux-guerres et conserve des connotations répressives ici et là.
Elle est influencée au premier chef par des administrations, qui l’élaborent et sont chargées de son application ; le risque est donc qu’elle soit coupée des professionnels, à la fois en amont et en aval, car le pouvoir de réglementer, en la matière, compte moins que l’avis des crocheteurs du port aux foins, comme nous l’enseigne l’histoire des langues.
Elle bénéficie des médias officiels pour sa diffusion, mais dans les limites d’un cadre national ou régional et avec la tentation possible de préférer des opérations conjoncturelles voyantes à des investissements techniques.
Conclusion
5Pour concilier les besoins massifs et les aspirations particulières, l’avenir est à une banque de données terminologiques européenne au service des traducteurs, y compris non communautaires, et prenant en compte les prescriptions nationales et régionales comme des variables linguistiques parmi d’autres. Il faudrait aussi ne pas oublier les usages non européens de plusieurs langues européennes, à savoir l’anglais, l’espagnol, le français et le portugais.
6Par bonheur, cette grande banque de données existe, du moins comme instrument de travail à Luxembourg et à Bruxelles. Il serait donc sage d’associer à son sort les linguistes européens, à charge pour eux de la traiter comme un patrimoine commun, qui demande à être exploité, alimenté, perfectionné. EURODICAUTOM peut être une voie d’accès privilégiée à la démocratie linguistique en Europe, et l’est déjà dans une mesure non négligeable. Mais il faut faire plus, mieux, dans un cadre plus large, et sans tarder..
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