Quelques mesures proposées pour le développement du plurilinguisme dans les milieux scolaires
p. 43-46
Texte intégral
1Je me contenterai de commenter ici quelques-unes des mesures que j’ai proposées dans le cadre de la mission qui m’a été confiée au Haut Conseil de la Langue française1. Je demande :
21. La participation à toutes études et recherches visant à étudier les acquisitions et emplois de plusieurs langues par un même parleur, tant en milieu scolaire qu’en milieu naturel. Ainsi le développement des entreprises de type Lingua appelle un examen méthodique des résultats obtenus. Sur un plan parallèle, l’enquête menée conjointement par cinq pays européens, sous le patronage du Conseil de l’Europe et de l’European Science Foundation a beaucoup apporté à la connaissance des mécanismes de transfert dans l’apprentissage par les migrants d’une langue en milieu naturel. Les résultats peuvent être extrapolés à des situations différentes et comparables2.
32. Le développement de l’usage précoce des langues et l’extension des études consacrées à ce phénomène assez nouveau en France. L’expérience actuellement menée dans le Premier Degré devrait conduire à fixer les bases de cet apprentissage (relations avec la langue maternelle, choix des premières formes d’appréhension) et à en étudier les assises ethno-sociologiques (problèmes des voisinages linguistiques pour l’allemand, l’espagnol, etc., rôle des motivations sociales).
4On pourrait étudier de la même façon l’emploi des langues étrangères dans des domaines autres que le terrain strict de l’apprentissage linguistique : confrontations des langues maternelles et étrangères, émissions artistiques, documents d’histoire ou de biologie.
5Il faudrait profiter de la création des Instituts universitaires de Formation des maîtres pour inscrire tous ces problèmes dans le cursus. Ce serait un heu de rencontre idéal pour des chercheurs en linguistique et en sciences de l’audiovisuel avec des praticiens introduisant ces innovations dans l’enseignement3.
63. L’obligation, proposée aux autres pays européens, de mettre au programme des collèges deux langues vivantes étrangères. On pourrait dans la suite envisager l’acquisition d’une troisième et même, pourquoi pas, d’une quatrième langue vivante. Deux remarques :
7– l’efficacité des apprentissages devrait être soigneusement calculée, de tels programmes étant coûteux en temps et en argent,
8– il serait utile de distinguer l’appréhension rigoureuse d’une de ces langues (aspects culturel, communicationnel, métalinguistique et métadiscursif) et l’apprentissage rapide des autres idiomes (élocution et compréhension) au moyen de stages de formation accélérée, d’autoformation, de séjours systématiques, etc.
94. L’encouragement aux mises en correspondance des divers apprentissages. On viserait à unifier les méthodes, les nomenclatures, le métalangage, etc., et on tendrait à confronter des domaines d’exploitation comparables. Les IUFM, en rassemblant des étudiants de diverses disciplines, seraient ici un excellent lieu d’exploitation.
10De ce point de vue, l’enseignement du français langue maternelle pourrait être reconsidéré. L’horizon du plurilinguisme européen conduirait à privilégier des modèles de discours clairs et efficaces – en sorte d’ôter au français sa renommée de jargon germanopratin –, des types ordonnés d’argumentation réglée et à promouvoir la production d’un matériel didactique approprié. Une telle ascèse rendrait plus féconde la diffusion du français en Europe et dans le monde, servirait les besoins de la traduction automatique et faciliterait les procédures d’échange avec les autres discours européens.
115. Une incitation à la multiplication des échanges longs entre scolaires des différents pays européens. Le projet Erasmus, chaque année plus assuré, pourrait servir de modèle à des systèmes homologues pour les lycéens ; le cadre du projet Lingua devrait pouvoir être ici requis. Comme ces séjours coïncideraient nécessairement avec des périodes scolaires, deux incidences devraient être envisagées :
12– il faudrait prévoir, dans le cursus des lycées, un découpage en modules qui permettraient à l’élève, lors de son retour, de se mettre à jour sans trop de peine,
13– les résultats obtenus dans un quelconque établissement européen devraient pouvoir être comptabilisés dans les titres nationaux. En France, il faudrait en venir à des modifications assez profondes des évaluations. Ces problèmes devraient pouvoir être réglés dans le cadre d’établissements autonomes.
146. L’assouplissement des cursus et le décloisonnement des horaires. Il faudrait pouvoir renoncer au saupoudrage actuel qui étale inflexiblement tout au long de la scolarité des horaires notoirement insuffisants. On pourrait envisager de faire alterner des périodes d’apprentissage intensif avec des périodes plus légères, articulées avec les stages. Une telle mesure supposerait un organisme léger d’établissement susceptible de gérer ces cursus et de les orienter selon les implantations géographiques et sociologiques.
15Dans le même esprit, il faudrait encourager l’emploi des langues européennes dans des activités autres que les cours de langue proprement dits. Ainsi dans les exercices d’histoire, d’art, d’économie, etc., on pourrait utiliser des outils de travail recourant aux langues étrangères. Ceci suppose, chez les enseignants et chez les élèves, une connaissance, même élémentaire, de ces langues.
167. L’utilisation intensive des supports audiovisuels. La compréhension des langues étrangères est grandement facilitée quand elle s’accompagne de sons et d’images surtout. La dotation en magnétoscopes, etc., le câblage systématique des établissements apporteront ici une aide considérable. Reste qu’il faudrait modifier certaines habitudes, introduire des entraînements nouveaux :
17– outre les films empruntés à des canaux publics, il faudrait prévoir une production spécialisée requérant la collaboration de techniciens professionnels et de didacticiens, telle que la recommande le rapport Pomonti. Elle devrait user d’images aisément lisibles et de discours clairs, déchiffrables par un étranger même peu entraîné. Et réclamer des autres pays européens des productions similaires,
18– il est indispensable que les maîtres soient entraînés, aussi bien que les élèves, à la production et à l’interprétation des images. Le Centre européen de l’Image et du Son dont la construction devrait commencer incessamment à Arles pourrait être un élément important du dispositif. Il devrait offrir une large place à des stagiaires, élèves des IUFM. Le CEIS pourrait ainsi abriter un centre de la didactique des langues étrangères par l’intermédiaire de l’image et du son.
19De façon générale, les échanges d’émissions entre les établissements européens semblent un moyen très efficace de fréquentation des langues étrangères.
208. Des innovations dans l’architecture et la répartition des groupes de travail dans les établissements, dans leurs relations avec l’extérieur.
21La très grande souplesse ici proposée suppose une ouverture des établissements scolaires à des intervenants extérieurs. Il faudrait ici échanger des informations et des activités avec ceux qui, dans l’industrie et le commerce, ont lancé des expériences d’apprentissage des langues.
22Elle suppose aussi une répartition, réglée par des conseils d’enseignants, entre les canaux d’enseignement et les modes d’enseignement. Une didactique collective pourrait utiliser de grands ou petits amphis équipés de moyens de projection ; cette mobilisation laisserait place à un enseignement par petits groupes ou même individuel, enseignement qui rejoindrait le désir de flexibilité (contenus, approches, horaires, etc.).
23On en viendrait nécessairement à multiplier des centres de ressources encore beaucoup trop rares : didactèques, médiathèques, où les élèves pourraient trouver des ressources concernant l’enseignement assisté par ordinateur, la vidéo et les multimédias.
249. Ces diverses propositions conduisent à une modification profonde de certaines mentalités et à une répartition nouvelle des tâches et des locaux. Un des lieux de décision déterminants, à mon sens, est une formation neuve des enseignants. La création des IUFM, la mise en place d’un concours en fin de première année laissant pour la deuxième année place à des stages de toutes sortes, autorise de grands espoirs. Le développement des activités d’apprentissage de l’image et l’entraînement aux diverses langues devraient y apparaître comme nécessairement liés.
Notes de bas de page
1 Voir Vers le plurilinguisme européen. Eléments pour une politique linguistique. Rapport à M. Alain Decaux par Claude Truchot, Strasbourg, février 1990.
2 Wolgang Klein, L’acquisition de la langue étrangère. Colin, Paris, 1989.
3 Voir aussi Rapport de la Mission de réflexion sur l’enseignement du français, de la littérature et des langues vivantes et anciennes. Rapport à M. le Ministre d’Etat L. Jospin par J.-C. Chevalier et J. Janitza, 1989.
Auteur
Université PARIS VIII
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