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    Plan détaillé Texte intégral De simples verbes à l’infinitif aux premières formes de subordination : exprimer verbalement à l’autre son désir propre (à partir de 1 an et demi) L’explosion syntaxique : déployer, expliciter, expliquer son discours (après 2 ans) Vers la prise en compte de l’implicite et du savoir partagé : développement des énoncés complexes en mais, puisque, comme Diversification des formes de complexification après 4 ans : raconter, organiser les événements les uns par rapport aux autres, ou quand le récit se structure Pour conclure Bibliographie Auteur

    Le langage de l’enfant

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Vers des énoncés plus « complexes » : relier les énoncés, relier les personnes, relier les choses du monde

    Martine Sekali

    p. 161-185

    Texte intégral Bibliographie Auteur

    Texte intégral

    Extrait 9-1

    Madeleine 2;08,05 à 13 min 45 s

    Extrait http://ct3.ortolang.fr/devlang/9-1-madeleine-grande-2-08-05.mp4

    Confection de biscuits : la maman de Madeleine l’installe debout sur une chaise devant la table.

    MADELEINE

    j’suis, très grande, très grande.

    OBSERVATRICE

    oh oui !

    MADELEINE

    très grande pour je …

    MÈRE

    attention !

    MADELEINE

    parce que le plat il est très… le saladier que je vais… là où je vais mettre de la farine et de l’œuf… euh, euh, euh moi je vais, je vais, je vais, je vais mettre, où je vais mettre de l’œuf et de la farine…

    MÈRE

    alors d’abord le sucre

    MADELEINE

    euh c’est pour ça que j’suis haute, pour pas me… faut pas que je sois assise parce que sinon suis, sinon j’suis basse… et, et c’est pour ça…

    1Si les premiers énoncés de l’enfant sont d’abord composés d’un seul élément vocal (un mot ou une chaîne vocale formant bloc) auquel les parents attribuent du sens grâce à la mélodie de la voix, au regard, aux gestes… et en l’associant à un contexte spécifique, peu à peu l’enfant associe deux items dont on perçoit qu’ils forment un tout, une proposition, un énoncé. Dans ces premiers « énoncés simples», l’un des deux items produits prédique* verbalement quelque chose à propos de l’autre item : il le qualifie, le commente, le développe. Dans l’extrait 9-2 par exemple, l’enfant développe verbalement l’action qu’elle effectue sur et à propos de l’objet « bébé » :

    Extrait 9-2

    Madeleine, 6;11,27

    MADELEINE

    assis [/] assis [/] assis bébé.

    en asseyant sa poupée

    2On parle traditionnellement de « phrases complexes » lorsqu’au moins deux propositions sont articulées ensemble pour former un énoncé plus large, comportant plusieurs prédicats (ou verbes). Voici par exemple ce que l’on peut trouver dans le langage de Madeleine à presque 7 ans :

    Extrait 9-3

    Madeleine, 6;11,27

    Extrait http://ct3.ortolang.fr/devlang/9-3-madeleine-detective-6-11-27.mp4

    OBSERVATRICE

    tu lis quoi ?

    MADELEINE

    euh Emile et les détectives.

    OBSERVATRICE

    Emile et les détectives ?

    MADELEINE

    en fait c’est un garçon qui va à Berlin, et dans l(e) train i(l) s(e) fait piquer l’argent que sa mère lui a confié, et donc après avec des gens d(e) Berlin i(l) [/] i(l) va essayer d(e) retrouver l(e) voleur.

    3Dans cet extrait, le récit de Madeleine articule plusieurs propositions, subordonnées ou coordonnées à la fois au niveau syntaxique et au niveau sémantique. Ainsi, le garçon est d’abord présenté (« c'est un garçon qui ») puis ses actions sont décrites dans leur succession (« et… après ») mais aussi avec une relation de cause à conséquence (« et donc »), et des précisions sont apportées au fil de sa description par des subordonnées, relative et complétive (« l’argent que sa mère lui a confié », « il va essayer de retrouver le voleur »).

    4Entre la production d’énoncés simples comme dans l’extrait 9-1, et celle d’énoncés beaucoup plus complexes tels que l’extrait 9-3, il se produit un long processus de développement des facultés cognitives (de perception et traitement des informations) et des facultés linguistiques (usage de la langue dans sa richesse et sa complexité pour construire du sens).

    5Au cours de ce processus développemental, Madeleine extrait du langage entendu dans son entourage familier des formes linguistiques, des associations régulières fréquentes, dont elle s’empare d’abord en fonction de ses besoins communicationnels. Il est désormais prouvé dans les études scientifiques (cf. en particulier Tomasello 2003), que l’acquisition des formes linguistiques par les enfants est fortement liée à la fréquence de ces formes dans ce que l’on appelle l’input* (le langage qui lui est adressé, et/ou ce qu’il entend dans son entourage), ainsi qu’au développement de ses capacités de traitement des informations. Néanmoins, tous les types d’énoncés complexes sont d’emblée présents dans le langage de l’adulte, à divers degrés, et avec peu d’évolution au cours de la période d’acquisition du langage par l’enfant. La fréquence des énoncés complexes dans le langage de l’adulte n’explique donc pas l’ordre d’apparition et l’évolution de la complexification des énoncés de l’enfant dans les premières années.

    6Nous proposons donc d’observer non seulement les types d’énoncés complexes qui émergent en premier dans le langage de Madeleine, mais aussi avec quelles fonctions communicatives ces énoncés complexes apparaissent, et comment ces fonctions évoluent, se diversifient et se stabilisent dans les sept premières années. L’intérêt de cette démarche est d’essayer de comprendre pourquoi (c’est-à-dire pour quoi faire) l’enfant en vient à produire des énoncés complexes, mais aussi de tenter de saisir ce que nous indique l’ordre d’apparition de ces formes complexes et l’évolution de leurs usages par l’enfant : qu’est-ce donc qui motive ce mouvement développemental vers des énoncés plus complexes ? Le développement des capacités cognitives est-il un pré-requis de la complexification linguistique, ou bien est-ce que le besoin qu’a l’enfant de s’opposer verbalement à l’autre, de préciser, d’argumenter ses propos, même à un très jeune âge, contribue lui aussi, dans un mouvement réciproque entre langue et cognition, au développement de ses capacités cognitives ?

    7Si l’on considère la progressive complexification des énoncés dans le développement langagier de Madeleine de 1 an à 7 ans, on observe plusieurs périodes :

    1. une 1re période (à partir de 1 an et demi) où l’enfant commence à complexifier ses énoncés dans une démarche d’opposition à sa mère, en imposant verbalement ses propres désirs et intentions : apparaissent alors les formes je veux/ vais/ faut + verbe à l’infinitif, et la forme complexe figée c’est moi qui + verbe ;

    2. une 2e période (après 2 ans) où l’on constate une explosion/diversification de sa syntaxe complexe, dans laquelle l’enfant déploie, explicite, précise son discours pour l’autre, en particulier avec la coordination en et, des subordonnées relatives, et circonstancielles en parce que, si et quand ;

    3. c’est seulement après cette période de déploiement et d’explicitation qu’émergent, dans une 3e période (aux alentours de 4 ans), des énoncés complexes plus synthétiques en mais, puisque, comme, qui marquent la prise en compte dans son discours de savoirs partagés et de non-dits ;

    4. enfin, après 4 ans, les formes de complexification, ainsi que les fonctions communicatives avec lesquelles elles sont utilisées par l’enfant, se diversifient largement, et l’on constate une nette émergence de formes complexes associées à une structuration des récits : l’enfant raconte plus volontiers son expérience et organise les événements les uns par rapport aux autres, dans leur chronologie et/ou leur relations logiques.

    8Comme nous allons le développer, il s’avère que la production de nouvelles propositions complexes est d’abord motivée par le besoin de l’enfant de se positionner d’une certaine façon par rapport à ce qu’il dit et/ou par rapport à son interlocuteur. La complexification des phrases de l’enfant semble donc intimement liée au développement de ses besoins de positionnement (inter)subjectif* et de ses capacités argumentatives, dans l’interaction avec ses interlocuteurs, et dans la mise en récit de ses expériences. C’est ce lien réciproque entre les besoins communicationnels de l’enfant et les formes complexes qu’il produit aux différentes périodes définies plus haut que l’on peut tenter d’approcher dans l’analyse du développement linguistique de Madeleine vers des énoncés plus complexes.

    De simples verbes à l’infinitif aux premières formes de subordination : exprimer verbalement à l’autre son désir propre (à partir de 1 an et demi)

    L’entrée dans les énoncés à deux verbes : se positionner dans l’échange

    9À 1 an et demi, Madeleine annonce déjà souvent ce que l’interlocuteur peut interpréter comme étant ses désirs par des termes qui ont la forme de verbes à l’infinitif et sans sujets. Dans la situation, ils désignent des actions qu’elle souhaite accomplir ou qu’elle souhaite que sa mère accomplisse pour elle. Dans l’extrait 9-4 par exemple, Madeleine a trouvé un bavoir dans la cuisine, désigne verbalement sa poupée qui est dans le salon, puis précise son souhait de mettre le bavoir à sa poupée en disant « mettre au bébé ! » avant de courir vers le salon avec le bavoir :

    Extrait 9-4

    Madeleine, 1;06,04

    Extrait http://ct3.ortolang.fr/devlang/9-4-madeleine-mettre-1-06-04.mp4

    Dans la cuisine, Madeleine, aidée par sa mère, essaie de déplier un bavoir roulé tenu par une ficelle.

    MÈRE

    hop là, ça y est, il s’est déplié

    MADELEINE

    bébé ! mett(re) au bébé !

    Madeleine part avec le bavoir en direction du salon, où se trouve sa poupée.

    MÈRE

    tu vas le mettre à la poupée ?

    10C’est un peu avant 2 ans (1 an et 11 mois), que Madeleine commence à associer plusieurs verbes dans un même énoncé (cf. extrait 9-5). Avant cela, on constate, dans le développement, un glissement progressif de l’emploi de simples verbes à l’infinitif (mettre, piquer, etc.) à des emplois où ces verbes sont parfois précédés de ce qui ressemble à un filler* vocalique, qui peu à peu est remplacé par un paradigme de verbes bien particuliers : veux, peux, vais, faut.

    11En voici quelques exemples précoces :

    Extrait 9-5

    Madeleine, 1;07,15 à 0 min 54 s

    Extrait http://ct3.ortolang.fr/devlang/9-5-enlever-1-07-15.mp4

    Madeleine parle à son baigneur, puis saisit le téléphone mobile posé juste à côté sur la marche de l’escalier.

    MADELEINE

    tiens.

    en posant le téléphone sur son baigneur

    MADELEINE

    on le met.

    en posant le téléphone sur l’oreille du baigneur

    MADELEINE

    allô ?

    MADELEINE

    [filler] enlever !

    Madeleine montre avec l’index une trace de crayon sur la tempe du baigneur, puis regarde l’observatrice.

    MADELEINE

    bébé.

    MADELEINE

    laver.

    Madeleine prend le baigneur dans les bras et touche la trace sur son poupon.

    MADELEINE

    [filler] enlever.

    Madeleine se redresse et se dirige vers sa mère tout en continuant de montrer du doigt la trace de crayon sur le poupon.

    MÈRE

    tu l’as lavé hier.

    La mère s’accroupit à genoux et prend en mains la tête du poupon.

    MÈRE

    oui ah mais on n’a pas réussi à enl(e)ver ça.

    Extrait 9-6

    Madeleine, 1;11,13 à 44 min 30 s

    Extrait http://ct3.ortolang.fr/devlang/9-6-madeleine-piquer-1-11-13.mp4

    Madeleine est assise sur sa chaise haute et mange des morceaux de jambon. Sa mère vient de lui expliquer comment mieux piquer les morceaux avec sa fourchette pour ne pas qu’ils tombent.

    MÈRE

    voilà tu vois comme ça ça tient mieux.

    MADELEINE

    ça [//] ça tient mieux

    MÈRE

    oui.

    MÈRE

    ça risque moins d(e) tomber entre l’assiette et la bouche.

    MÈRE

    c’est bon ?

    MADELEINE

    euh oui non [signe non de la tête].

    MÈRE

    oui ? non ?

    MÈRE

    ah bon !

    MADELEINE

    on met là ?

    MADELEINE

    pi(que) [/] piquer ?

    MÈRE

    oui faut piquer.

    MÈRE

    regarde c’est plus facile.

    en aidant Madeleine

    MADELEINE

    faut

    MÈRE

    voilà.

    MADELEINE

    délicieux.

    MÈRE

    c’est pas bon c’est délicieux.

    MADELEINE

    peux piquer ça ?

    MÈRE

    t(u) y arrives ?

    MADELEINE

    [filler] t’aide là.

    en tendant la fourchette à l’observatrice

    MADELEINE

    tiens !

    MADELEINE

    [filler] t’aide.

    OBSERVATRICE

    tu m(e) le donnes ?

    12Il est remarquable que, de façon généralisée dans les corpus d’enfants français mais aussi dans l’acquisition de l’anglais (cf. en particulier l’ouvrage de H. Diessel, 2004), cette première phase de complexification syntaxique s’enclenche par la production de subordonnées infinitives qui sont introduites par un type de verbes très spécifique, à valeur modalisante*, verbes qui expriment tous un désir ou une volonté propre à l’enfant, le plus souvent dans une relation d’opposition aux intentions de sa mère :

    Extrait 9-7

    Madeleine, 2;01,02

    Extrait http://ct3.ortolang.fr/devlang/9-7-madeleine-melange-2-01-02.mp4

    Madeleine a renversé les pièces du jeu de domino.

    MADELEINE

    on mélange.

    en mélangeant les pièces du jeu

    MADELEINE

    moi peux pas jouer moi !

    (air dépité)

    MÈRE

    tu peux pas jouer toute seule.

    MÈRE

    alors !

    MADELEINE

    la [filler] plus.

    MADELEINE

    faut fermer.

    en prenant la boîte de dominos et en tentant de

    la fermer

    MADELEINE

    moi je veux fermer.

    MÈRE

    tu veux fermer ?

    MÈRE

    moi j’y ai jamais joué encore ! parce que Marie a gagné ça à la kermesse de

    l’école.

    13Dans cet extrait, l’enfant ne verbalise pas seulement sa volonté d’action (fermer la boîte de jeu, arrêter de jouer) : Madeleine modalise ce souhait comme une nécessité qu’elle impose (« faut fermer »), et revendique la prise en compte d’un choix qui lui est propre, en contradiction avec le souhait exprimé par sa mère de jouer avec elle à ce jeu (« moi je veux fermer »). Cette opposition, et ce désir d’être reconnue en tant qu’origine de son discours et de ses actes, motivent une reprise du verbe fermer pour l’associer, dans un énoncé plus complexe, à un double pronom de 1re personne (moi je) et un verbe modal désignant sa volonté (veux).

    14L’entrée dans l’énoncé complexe est ainsi clairement liée à une affirmation de soi par le langage, souvent encouragée dans l’échange par l’attitude de la mère, qui prend en compte et poursuit le processus de résolution de conflits par l’argumentation dans la langue. Dans le langage de Madeleine, c’est d’abord par la production de subordonnées infinitives (comme dans « veux fermer », « moi je veux fermer ») introduites par des verbes à valeur modale (vouloir, falloir, pouvoir) que Madeleine entre dans la syntaxe complexe, motivée par le besoin d’être prise en compte dans l’expression de ses désirs propres, dans des situations de requête, de conflits ou d’opposition aux intentions de sa mère. Bien que reprenant ces formes du langage entendu autour d’elle, l’enfant les reprend à son compte : le verbe vouloir par exemple est employé par la mère majoritairement à la 2e et à la 3e personnes. Madeleine, quant à elle, le reprend d’abord toujours à la 1re personne du présent, avant de diversifier bien plus tard (aux alentour de 3 ans) les personnes et les temps dans la production de ce verbe.

    15En explicitant et en qualifiant la source de ses actions, l’enfant complexifie ainsi ses énoncés. Par retour, c’est en s’affirmant dans la langue comme sujet à part entière de son discours que l’enfant revendique son rôle d’actrice et d’interlocutrice dans l’interaction avec ses proches (voir à ce sujet l’analyse de l’acquisition des formes linguistiques de référence à soi au chapitre 6).

    16À la fin de cette période de positionnement intersubjectif fort, on peut observer un glissement, d’abord hésitant puis plus franc, vers l’emploi du verbe aller pour annoncer ses intentions d’agir :

    Extrait 9-8

    Madeleine, 2;01,02 à 4 min 40 s

    Extrait http://ct3.ortolang.fr/devlang/9-8-madeleine-manteau-2-01-02.mp4

    Madeleine insiste pour aider l’observatrice à enlever son manteau qu’elle porte encore juste après son arrivée dans la maison.

    MADELEINE

    moi j’enlève mon manteau tout seul.

    OBSERVATRICE

    moi aussi alors.

    MADELEINE

    moi va aller enlever ton écharpe moi.

    OBSERVATRICE

    merci

    MADELEINE

    on met [//] on peut mettre dans le bureau de papa ?

    OBSERVATRICE

    si tu veux.

    MADELEINE

    et ton manteau ?

    MADELEINE

    moi je veux enlever ton manteau.

    OBSERVATRICE

    le manteau aussi tu veux?

    OBSERVATRICE

    attends, tu veux tirer là ? tu tires la manche ?

    Madeleine aide l’observatrice à retirer son manteau.

    OBSERVATRICE

    ouf oh c’est dur ouf [/] ouf !

    OBSERVATRICE

    oh il est trop serré c(e) manteau.

    Madeleine tire et sourit, hilare, lève la tête (échange de regards avec l’observatrice).

    OBSERVATRICE

    oh ça y est [/] ça y est [/] tire [/] tire [/] tire (.) ouais !

    17La confusion et l’hésitation entre ces deux formes phonologiquement proches (veux/va/vais + verbe à l’infinitif) laissent rapidement place à une différenciation dans les contextes d’emploi distincts. On constate que l’enfant commence à utiliser le verbe aller dans ces formes complexes pour installer un point de vue personnel plus égocentré, et assumer ses intentions et décisions sans les ancrer forcément dans une discordance ou opposition à l’autre. Le verbe aller est alors utilisé comme un auxiliaire plutôt que comme un verbe :

    Extrait 9-9

    Madeleine, 2;05,12 à 31 min 21 s

    Extrait http://ct3.ortolang.fr/devlang/9-9-madeleine-bruit-2-05-12.mp4

    Lucas joue avec une peluche.

    MADELEINE

    c’est la souris de Côme.

    LUCAS

    elle est à toi ?

    MADELEINE

    elle fait pas du bruit.

    LUCAS

    ah non elle fait pas d(e) bruit.

    MADELEINE

    elle fait pas.

    MADELEINE

    elle fait pas d(e) bruit c’est que la p(e)tite.

    LUCAS

    y a du fromage ?

    LUCAS

    j’espère.

    MADELEINE

    c’est pas du fromage ça !

    en montrant la peluche avec l’index

    LUCAS

    du jaune…

    LUCAS

    non c’est pas du fromage.

    MÈRE

    tu voudrais trouver la petite ?

    MADELEINE

    oui.

    MÈRE

    tu veux qu(e) j(e) te passe la p(e)tite ?

    MADELEINE

    oui.

    MADELEINE

    je vais te montrer comment i(l) fait du bruit.

    Madeleine se retourne vers Lucas.

    MADELEINE

    regarde !

    en secouant la peluche

    LUCAS

    ah oui elle [/] elle fait du bruit !

    Extrait 9-10

    Madeleine, 2;05,12

    MADELEINE

    j’avais [/] j’avais mal aux lèvres quand j’ai [/] quand j’ai tombé dans le [/] dans

    [/] dans

    LUCAS

    dans les escaliers ?

    MADELEINE

    je vais te mon(trer) te montrer là où j’ai tombé.

    LUCAS

    d’accord.

    MADELEINE

    c’est là que j’ai tombé.

    Madeleine se dirige vers l’escalier et pointe du doigt vers le bas des escaliers.

    LUCAS

    han tout ça !

    « C’est moi qui fais » : se positionner dans l’action

    18La syntaxe de Madeleine se complexifie d’abord, on l’a vu, par le besoin qu’a l’enfant de se positionner dans l’échange, et de faire valoir son désir d’être prise en compte dans l’interaction, ce qu’on appelle ici le marquage de l’intersubjectivité (la subjectivité de l’enfant par rapport à celle de l’autre). Il n’est pas étonnant, alors, que parmi les premières formes complexes à apparaître dans cette période précoce, avec ces premières subordonnées infinitives, on trouve également les constructions dites « clivées », qui scindent l’énoncé simple pour faire « ressortir » (dans la morphologie de l’énoncé comme du point de vue sémantique) un élément marqué comme saillant, restrictif, unique et/ou polémique. Ces constructions, entendues dans le langage des adultes, sont reprises par l’enfant à son compte de façon quasi figée : [c’est moi qui + verbe au présent] de 2;01 à 2;03 :

    Extrait 9-11

    Madeleine, 2;01,02 à 52 min 9 s

    Extrait http://ct3.ortolang.fr/devlang/9-11-madeleine-noeud-2-01-02.mp4

    Madeleine veut chausser sa poupée avant de sortir en poussette. Elle emporte sa poupée Sophie vers la poussette.

    OBSERVATRICE

    elle va avoir froid aux pieds.

    MÈRE

    bah oui <tu as> [/] t(u) as oublié d(e) lui mettre ses chaussures.

    Madeleine revient vers sa mère.

    MADELEINE

    oui.

    MADELEINE

    je veux mett(r)e tout seul

    Madeleine commence en essayer d’enfiler une chaussure à la poupée.

    MÈRE:

    oh ça c’est difficile hein.

    MÈRE

    c’est vraiment pas facile du tout.

    MÈRE

    j’en mets une hein.

    MADELEINE

    c’est moi.

    MADELEINE

    c’est moi qui mets.

    MÈRE

    pa(r)c(e) que faire un nœud, c’est vraiment pas facile.

    Madeleine et sa mère chaussent chacune un pied de Sophie.

    19Cette séquence 9-11 montre à quel point la complexification syntaxique est motivée par le besoin qu’a l’enfant de marquer son positionnement par rapport à l’autre. Dans la situation, Madeleine et sa mère chaussent la poupée Sophie avant d’aller faire un tour en poussette. Malgré la difficulté, Madeleine insiste pour chausser sa poupée toute seule, et être à l’origine de l’action. C’est encore une fois par une construction complexe, infinitive introduite par le verbe vouloir, que Madeleine exprime son désir propre, en opposition avec l’intention de sa mère : « je veux mettre tout seul ». La volonté de l’enfant n’est cependant pas satisfaite, et entraîne un nouveau processus de complexification syntaxique dans l’interaction. Pour contrer l’objection de sa mère (« c’est difficile »), l’enfant fait ressortir sa personne de façon polémique (« c’est moi »), pour reprendre ensuite ce pronom et l’associer au même verbe mettre, cette fois conjugué, dans une construction clivée figée « c’est moi qui mets ».

    20La séquence suivante reflète un phénomène similaire, où l’enfant revendique son désir d’action (cette fois de faire du café), et produit une série de constructions dites « clivées » en c’est moi qui :

    Extrait 9-12

    Madeleine, 2;01,02 à 13 min 23 s

    Extrait http://ct3.ortolang.fr/devlang/9-12-madeleine-attrape-2-01-02.mp4

    Dans la cuisine. La mère de Madeleine propose de faire un café à l’observatrice. L’enfant monte sur un tabouret et veut actionner la machine à café.

    MÈRE

    oh hisse !

    MADELEINE:

    c’est [/] c’est moi

    MADELEINE:

    c’est moi qui attrape.

    MÈRE

    c’est toi qui attrapes ?

    MÈRE

    attends j(e) le mets là hein.

    MADELEINE:

    c’est moi qui appuie.

    MÈRE

    on prend [/] on prend aussi une soucoupe ?

    MÈRE

    oui c’est toi qui vas appuyer.

    21Bien que ces constructions clivées puissent être décomposées, d’un point de vue adulte, comme contenant les prémisses de subordonnées relatives (qui attrape, qui appuie), ces structures sont à considérer, à ce stade du développement langagier, comme des productions figées bien que complexes, qui peu à peu vont se défiger pour devenir des constructions contenant des arguments divers (c’est / était moi / toi, lui qui, etc.).

    L’explosion syntaxique : déployer, expliciter, expliquer son discours (après 2 ans)

    22Peu après la deuxième année, il se produit dans le développement langagier de l’enfant, une véritable explosion syntaxique : le nombre de propositions articulées dans un même tour de parole se multiplie, et la nature des énoncés complexes se diversifie, incluant des développements discursifs par la subordination relative, la coordination de propositions, des complétives à verbe conjugué, et un grand nombre de subordonnées circonstancielles.

    23Analysé dans son contexte effectif, ce boom dans la complexification du langage se révèle clairement lié à au moins deux processus développementaux qui se produisent quasiment en même temps : le développement des capacités narratives linéaires d’une part, et d’autre part le besoin d’expliciter les relations entre les personnes, entre les phrases, entre les choses. Dans les deux cas, la complexification syntaxique relève d’un processus de déploiement (expliciter, expliquer, c’est « faire sortir des plis », déplier, dérouler) pour mieux voir ou donner à voir.

    Déploiement linéaire par les relatives et la coordination : construire un récit « on line »

    24Dans le corpus de Madeleine, deux types d’expansion du nom émergent et se développent de façon indépendante, la plupart du temps dans des récits, et en proportion égale.

    25D’une part, l’enfant commence à produire, à 2 ans et 2 mois, des constructions « présentatives », de type il y a N qui, pour mettre en récit un objet ou une personne, qu’elle va ensuite associer à des événements, dans un mouvement discursif/narratif linéaire, où elle met en scène verbalement son jeu, comme dans une sorte de commentaire sportif in situ (9-13) :

    Extrait 9-13

    Madeleine, 2;02,06

    MADELEINE

    attention la la le [/] le [/] le bus qui passe.

    26ou bien raconte une histoire dont les événements se déroulent successivement au fil de son discours (9-14) :

    Extrait 9-14

    Madeleine, 2;10,20

    Madeleine raconte une histoire.

    MADELEINE

    après i(l) après il voit un [//] hum une grenouille qui [/] qui est [/] qui

    est [//] qui épousait son prince

    27Dans le même temps, Madeleine commence à produire des constructions relatives similaires, qui développent des noms, toujours linéairement, mais cette fois pour les décrire, leur attribuer des propriétés spécifiques, comme c’est le cas dans la séquence suivante :

    Extrait 9-15

    Madeleine, 2;03,05

    PÈRE

    on est arrivé !

    SŒUR

    Madeleine il est arrivé où ?

    PÈRE

    0 [=! imite le bruit de l’avion qui atterrit].

    SŒUR

    il est arrivé où Madeleine ?

    MADELEINE

    il est arrivé dans un pays qui s’appelle l’a(r)c en ciel.

    28On trouve cette même dynamique d’expansion linéaire dans les premiers emplois de la coordination de plusieurs propositions. À partir de l’âge de 2 ans et 2 mois, c’est uniquement avec la conjonction de coordination et que Madeleine déploie chronologiquement ses récits, par exemple lorsqu’elle rapporte le souvenir d’un jeu en forêt avec son père :

    Extrait 9-16

    Madeleine, 2;02,06

    MADELEINE

    nous [//] nous on [//] nous on est allés dans la forêt avec mon papa l’autre

    jour.

    MÈRE

    ah oui ?

    MADELEINE

    et nous [/] nous on [/] et nous on était cachés nous.

    29Il s’agit alors, dans cette coordination d’événements, de faire progresser son récit, de reprendre comme une maille ce qu’elle vient de raconter, encouragée par le « ah oui ? » de sa mère, pour le développer à la manière d’un tricot verbal. Cette dynamique de déroulement linéaire a également un rôle organisateur, par l’explicitation de liens entre les événements, liens temporels, chronologiques, mais aussi logiques, comme dans l’extrait 9-17 :

    Extrait 9-17

    Madeleine, 2;05,12 à 49 min 39 s

    MADELEINE

    c’est là que j’ai tombé.

    LUCAS

    han tout ça !

    LUCAS

    tout [/] tout [/] tout [/] tout ça ?

    MADELEINE

    j’ai tombé là dans l’escalier et boumbadaboum !

    MÈRE

    oui.

    LUCAS

    aïe !

    MADELEINE

    et du coup j’ai allé chez l(e) médecin.

    30Plus fréquemment encore, le coordonnant « et » est produit par Madeleine alors qu’elle commente, déroule, et organise tout haut ses propres actions « on line » à mesure qu’elle les accomplit, comme c’est le cas dans l’extrait 9-18 :

    Extrait 9-18

    Madeleine, 2;04,15

    MADELEINE

    (a)ttends.

    MADELEINE

    je prends l’aspirateur.

    MÈRE

    mm.

    MADELEINE

    je prends l’aspirateur…

    MADELEINE

    et je nettoie ton café.

    31Ce n’est que plusieurs mois plus tard que d’autres formes de coordination (mais et ou) apparaîtront, probablement parce que cognitivement plus complexes, comme nous le verrons plus loin.

    Retour sur image : revenir sur ses propos, ses actes, se positionner par rapport au désir de l’autre (parce que, si, quand)

    32En même temps que ce processus de complexification par développement linéaire, l’explosion syntaxique qui se produit peu après 2 ans est marquée par l’émergence et le développement rapide de la production de subordonnées circonstancielles en parce que, si, et quand, souvent employées ensemble. L’émergence de ces constructions complexes participe également à ce mouvement de déploiement/explicitation de liens dans le discours de l’enfant, cette fois dans une dynamique non plus linéaire mais rétrospective, où elle revient sur un dit ou un dire précédent.

    33L’évolution des emplois de ces subordonnées dans le langage de Madeleine est particulièrement intéressant et révèle un phénomène, nommé « effet accordéon » (Sekali 2012), par lequel les enfants semblent devoir, dans un premier temps, expliciter des données du monde, et règles de la vie, dans de longues phrases hypercomplexes, avant d’intégrer plus tard, dans des énoncés complexes plus denses et resserrés, ces savoirs devenus partagés et donc implicites.

    34L’enfant commence ainsi par produire des subordonnées en parce que à 2 ans et 2 mois, et il est frappant qu’elle utilise ces constructions non pas pour expliquer des choses (établir des liens logiques de cause à effet entre des choses du monde), mais plutôt comme des éléments de discours lui permettant soit de réimposer un dire précédent (cf. extrait 9-19), soit de reprendre et justifier une question, une requête, un refus de sa part (extraits 9-20 et 9-21).

    Extrait 9-19

    Madeleine, 2;02,06

    Extrait http://ct3.ortolang.fr/devlang/9-19-madeleine-monter-escalier-2-02-06.mp4

    Madeleine joue avec des legos en présence de sa mère, qui sort progressivement des éléments d’un gros sac. Madeleine a déjà installé le plateau-base, un mur, des escaliers, une sorte de toit, et a posé un cheval sur le toit de ce début de maison en lego.

    MÈRE

    tiens, on peut mettre ça. (La mère propose un bout de toit de maison).

    MÈRE

    le cheval, tu crois qu’il a monté l’escalier ?

    MADELEINE

    je crois i(l) veut monter l’escalier parce que i(l) veut monter l’escalier.

    Il veut monter l’escalier

    Madeleine reprend le cheval et lui fait monter le lego-escalier en mimant sa montée.

    MADELEINE

    monte [/] monte [/] il monte l’escalier !

    Extrait 9-20

    Madeleine, 2;04,15

    MADELEINE

    maman, va chercher de l’eau pour moi, parce que j’ai soif

    Extrait 9-21

    Madeleine, 2;11,19

    MADELEINE

    tu peux m’aider à [/] hum à attraper un jeu ? parce que moi j’y arrive pas

    vraiment.

    35Ces emplois des constructions complexes en parce que relèvent d’une forme de « renforcement discursif », et sont motivés, ici encore, par une démarche de positionnement subjectif de l’enfant par rapport à ce qu’elle dit, et aussi, de fait, par rapport à ses interlocuteurs. C’est quasi exclusivement avec cette fonction que les premières circonstancielles sont produites par Madeleine jusqu’à l’âge de 2 ans et demi. Parce que reliant les choses du monde dans une relation causale explicative ou déductive n’apparaît de façon régulière dans ses productions que presqu’un an plus tard. Dans la séquence suivante par exemple, Madeleine met en relation la fonte de la neige avec la chaleur :

    Extrait 9-22

    Madeleine, 3;09,28 à 22 min 55 s

    Extrait http://ct3.ortolang.fr/devlang/9-22-madeleine-fondu-3-09-28.mp4

    MADELEINE

    mais après vous avez fait une expérience vous avez mis d(e) la neige dans…

    MADELEINE

    … un pot.

    MÈRE

    dans un bocal.

    MADELEINE

    et après la sieste on a regardé elle avait fondu !

    OBSERVATRICE

    ça alors !

    MADELEINE

    pa(r)ce qu’elle a été [/] elle est [/] dans la classe i(l) f(ai)sait trop chaud.

    36Entre ces deux périodes (et ces deux types de production d’énoncés en parce que), Madeleine passe par une étonnante phase d’hyper-complexification syntaxique, qui se manifeste par la production régulière d’énoncés enchaînant au moins trois subordonnées circonstancielles, et qui associent principalement parce que, si et quand, comme dans l’extrait suivant :

    Extrait 9-23

    Madeleine, 2;07,07

    MADELEINE

    faut [/] faut me regarder parce que si on me regarde pas euh je vais

    pleurer.

    37L’extrait 9-24 est caractéristique de ces productions hyper-complexes :

    Extrait 9-24

    Madeleine, 3;03,02

    Extrait http://ct3.ortolang.fr/devlang/9-24-madeleine-chaussures-3-03-02.mp4

    MADELEINE

    maintenant je vais [/] je vais chercher un jeu.

    MADELEINE

    j’enlève mes chaussures parce que je vais montrer un jeu parce que moi je vais monter sur mon lit.

    MADELEINE

    et quand on monte sur un lit i faut [/] il faut euh enlever les chaussures.

    OBSERVATRICE

    oui.

    MADELEINE

    sinon après si on enlève pas les chaussures si j’enlève pas les chaussures, les chaussures, ça traîne partout.

    38Dans cette période d’hyper-complexification, l’enfant revient sur des faits, ou des intentions, pour les justifier en passant par des raisonnements complexes hypothético-déductifs, au cours desquels elle déploie dans le langage des règles issues de son expérience personnelle. Dans la situation de l’extrait 9-24, il s’agit ainsi pour l’enfant d’expliquer pourquoi elle enlève ses chaussures pour aller chercher un jeu qui est situé sur une étagère au-dessus de son lit. La relation d’explication de son acte propre (« j’enlève mes chaussures parce que je vais montrer un jeu ») est ensuite déployée et « analysée » dans une suite de relations marquées par parce que, quand et si. L’explication de son acte se fait par le recours à des sortes de règles d’expérience, ou routines familiales, qui deviennent des lois génériques (cf. le passage de je à on, de mes chaussures à les chaussures, de mon lit à un lit), pour être ensuite réappropriées dans le contexte de l’enfant.

    39Cette phase d’hyper-complexification analytique, prédominante entre 2;06 et 3;06 dans le langage de Madeleine, laisse ensuite la place à une diversification des emplois de ces subordonnées circonstancielles. Le terme « phase » n’est pas à prendre ici au sens linéaire, dans la mesure où il n’y a pas substitution d’une configuration à une autre, et que toutes les configurations restent ensuite présentes dans le langage de l’enfant, mais bien une progression vers la diversification des emplois. De façon peut-être surprenante, les emplois syntaxiquement plus simples de parce que, tels que les extraits 9-22 et 9-24 (plus simples en surface, parce que mettant en relation deux propositions seulement, de façon binaire), se développent de façon significative seulement après cette période d’hyper-complexification, à partir de 3 ans et demi.

    Extrait 9-25

    Madeleine, 4;01,27

    MADELEINE

    elle s’est noyée parce qu’elle avait pas de brassards.

    40Contrairement aux emplois précédents, où l’enfant était au centre de la relation (renforcement discursif, justification d’intentions, ou explicitation de règles d’expérience), ce type d’énoncé exprime un rapport causal entre des événements ou des choses du monde, ce qui suppose un déplacement par rapport à la sphère subjective de l’enfant, et un degré de conceptualisation plus important. En effet, les règles selon lesquelles la neige fond à la chaleur, ou que les brassards permettent de ne pas se noyer (règles également issues de l’expérience vécue ou racontée dans son entourage) ne sont pas explicitées dans les extraits 9-22 et 9-25 : les événements sont reliés de façon directe dans une relation causale, sans le déploiement hypothético-déductif des productions précédentes.

    41C’est également dans cette période qu’apparaissent des emplois de parce que où l’enfant explique non pas des faits, mais son interprétation des choses, son degré de croyance :

    Extrait 9-26

    Madeleine, 4;01,27

    Extrait http://ct3.ortolang.fr/devlang/9-26-madeleine-oreilles-4-01-27.mp4

    Madeleine identifie et commente une image dans un livre.

    MADELEINE

    ça doit être la chatte parce qu’au fond des oreilles elle a du rose.

    42Bien que cet énoncé, qui contient seulement deux propositions, paraisse plus simple que les productions très complexes décrites plus haut, l’extrait 9-26 est en réalité plus complexe d’un point de vue cognitif, parce que, dans le traitement des informations, il intègre dans le raisonnement une règle (ou loi) implicite (les chattes ont en général des oreilles roses) qui sert de base à sa déduction interprétative qu’il s’agit bien dans son livre d’une chatte et non d’un chat : le verbe devoir (« ça doit être la chatte ») prend alors une valeur dite « épistémique », et non « déontique », c’est-à-dire qu’il exprime un fort degré de croyance, et non une obligation. Cette expression d’un raisonnement interprétatif est aussi liée, dans cette période, à un développement de l’emploi de subordonnées complétives dont les verbes introducteurs sont des verbes dits « de cognition », exprimant une pensée, un degré de certitude ou de croyance : je pense que, je crois que, etc.

    43Cette complexité cognitive est également illustrée dans l’extrait 9-27. Contrairement aux productions hypercomplexes et très analytiques, où l’enfant explicitait tous les ressorts de ses raisonnements, on a là une production beaucoup plus synthétique d’un raisonnement interprétatif qui reste complexe, mais dont certains ressorts sont non-dits, intégrés, acquis comme un savoir partagé, qu’il n’est plus nécessaire de dire.

    Extrait 9-27 – Jeu de dessin à reconstituer

    Madeleine, 4;10,03 à 58 min 42 s

    Extrait http://ct3.ortolang.fr/devlang/9-27-madeleine-oreille-4-10-03.mp4

    MADELEINE

    ah ouais on en voit deux…

    MADELEINE

    ah ça doit être lui !

    MÈRE

    ouais j(e) pense.

    MADELEINE

    pa(r)ce que lui on voit qu’une seule oreille.

    MÈRE

    ouais il est d(e) profil.

    MADELEINE

    et lui on voit une seule oreille alors je crois que c’est lui.

    MÈRE

    il a pas l’air d(e) marquer tellement ce crayon hein.

    MADELEINE

    on voit quand même !

    44La complexité de ces emplois au niveau du traitement des informations explique probablement leur développement plus tardif (aux alentours de 4 ans). Mais par retour, on peut penser également que la période d’hyper-complexification qui précède leur apparition est un pré-requis, et un processus de développement linguistique qui rend ensuite possible cette capacité de synthèse. Ainsi, après une période où les premiers énoncés complexes sont elliptiques, non encore totalement formés, et parfois non « standard », et émis majoritairement dans des situations d’opposition intersubjective, Madeleine s’approprie (et intériorise) une série de routines familiales et de relations de cause à effet expérientielles, et pour ce faire a besoin d’abord de les extérioriser de façon explicite par une hyper-complexification linguistique, dans ce schéma nommée « effet accordéon ».

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    45Ces observations montrent également que les énoncés complexes qui contiennent des éléments non explicités verbalement sont plus difficiles à traiter pour l’enfant. Ce phénomène peut aussi fournir une explication supplémentaire à l’émergence plus tardive et/ou l’usage moins fréquent des relations complexes dont certains termes sont implicites (mais, et puisque par exemple), comme nous le montrons dans la section suivante.

    46Ainsi, la diversification progressive des types d’énoncés complexes et des conjonctions produites au cours de l’acquisition du langage est aussi un bel indice de la façon dont l’enfant acquiert progressivement des savoirs partagés avec son entourage. Elle les assume comme tels, comme des choses acquises pour soi comme pour l’autre, et sur lesquelles il lui est alors possible de baser son discours pour qualifier, commenter son interprétation des situations dont elle parle.

    Vers la prise en compte de l’implicite et du savoir partagé : développement des énoncés complexes en mais, puisque, comme

    47On l’a déjà observé, dans le développement du langage de Madeleine, la conjonction mais n’apparaît que six mois après l’emploi de et, vers 2 ans et demi. De façon intéressante, c’est encore (comme pour la conjonction parce que) avec une fonction de relation à l’autre (pour contredire ses interlocuteurs, ou pour se réapproprier la parole) que l’enfant commence d’abord à produire des énoncés commençant par mais. C’est le cas par exemple dans les deux extraits suivants :

    Extrait 9-28 – Jeu des champignons

    Madeleine, 2;05,12

    Madeleine et son ami Lucas forment un dessin sur une plaque à trous avec des petits champignons de couleurs.

    MADELEINE

    j’ai pas encore mis de blancs.

    LUCAS

    ah bah non tu n’as pas mis d(e) blancs.

    LUCAS

    oh bah y a plein de blancs je n’avais pas vu, même moi j’avais pas vu, y en a toute une ligne !

    LUCAS

    oh bah y a plein de blancs je n’avais pas vu.

    LUCAS

    même moi j’avais pas vu.

    LUCAS

    y en a toute une ligne !

    MADELEINE

    mais !

    MADELEINE

    mais le jeu euh c’est pour les grands [/] grands [/] grands !

    Madeleine mime ‘grand’ avec les bras.

    Extrait 9-29 – Jeu de dominos avec Lucas

    Madeleine, 2;05,12

    Les enfants nomment et commente les images d’animaux sur les dominos.

    LUCAS

    et là y a des serpents.

    MADELEINE

    la des ser(pents).

    MÈRE

    ouh moi j’aime pas les serpents

    MADELEINE

    la des serpents

    MADELEINE

    mais moi> [/] mais moi j’aime pas les [/] <j’aime> [///] maman elle aime pas les serpents !

    LUCAS

    ah bah moi j’aime pas les araignées.

    MADELEINE

    mais moi j’aime pas les serpents !

    48Dans l’extrait 9-28, Madeleine joue au « jeu des champignons » avec son ami Lucas, plus âgé qu’elle, et éprouve des difficultés. Son utilisation de mais en début de tour de parole est interprétable quasiment comme une injonction de changer de jeu. Dans l’extrait 9-29, c’est encore avec une fonction de positionnement dans son interaction avec Lucas que l’enfant produit la conjonction mais, et non pour contredire le contenu de ce que vient de dire sa mère, qu’elle reprend d’ailleurs à son compte. « Mais moi » apparaît alors comme une construction quasi figée qui permet à l’enfant de reprendre la main dans l’échange.

    49Ce n’est qu’aux alentours de 3 ans, donc au moins six mois plus tard, que l’enfant commence à produire des énoncés vraiment complexes avec mais coordonnant plusieurs propositions, et ces énoncés coordonnés avec mais ne se généralisent vraiment que dans la quatrième année. Ceci n’est pas surprenant, étant donné que la coordination avec mais n’est pas linéaire (contrairement à et), et aussi surtout parce que mais fait lui aussi appel, dans une relation ternaire, à une règle, norme ou croyance implicite quelle vient ensuite contrer :

    Extrait 9-30

    Madeleine, 3;00,28

    L’enfant farfouille dans la boîte de playmobils, sort d’abord une figurine de prince, puis une seconde.

    MADELEINE

    t(u) as vu ?

    MADELEINE

    ça c’est le prince.

    MADELEINE

    c’est aussi un prince mais il lui manque son chapeau.

    MADELEINE

    son p(e)tit chapeau.

    50Dans ce contexte par exemple, Madeleine, en utilisant mais, implique sans le dire explicitement que « normalement », les princes playmobils portent des chapeaux (comme d’ailleurs celui qu’elle a sorti précédemment de la boîte), et pose cette norme implicite comme une règle de base à laquelle le deuxième prince fait exception :

    51Le processus est cognitivement complexe, ici encore, du fait de la prise en compte de données implicites, qu’elle donne du coup comme évidentes, acquises pour elle comme pour l’autre. Même si ces données non dites ne sont pas forcément partagées au départ par son interlocuteur, elles sont d’ailleurs parfaitement interprétables du fait même de l’usage de mais. Dans l’extrait suivant par exemple, à presque 7 ans, Madeleine laisse entendre à l’observatrice que sa présence l’empêche d’inviter des copains à la maison :

    Extrait 9-31

    Madeleine, 6;11,27 à 56 min 17 s

    Extrait http://ct3.ortolang.fr/devlang/9-31-madeleine-copains-6-11-27.mp4

    MADELEINE

    normalement j’ai des copains qui devraient venir.

    OBSERVATRICE

    t(u) as des copains aussi qui vont venir ?

    OBSERVATRICE

    pas que des copines.

    MADELEINE

    euh non euh.

    Madeleine se redresse et regarde l’observatrice.

    MADELEINE

    là maintenant.

    OBSERVATRICE

    ah bon ?

    OBSERVATRICE

    t(u) as des copains qui vont venir ?

    MADELEINE

    euh normalement mais comme t(u) es là…

    OBSERVATRICE

    eh ben c’est pas grave qu’i(ls) viennent !

    OBSERVATRICE

    faut faire comme si j’étais pas là.

    52Dans « normalement j’ai des copains qui devraient venir mais comme tu es là (ils ne viendront pas »), un 3e terme implicite est pris en compte dans le raisonnement de l’enfant: quand tu es là mes copains ne doivent/peuvent pas venir. Cet élément non dit explicitement est d’ailleurs très bien compris par l’observatrice, qui nie cette contrainte, et répond « c’est pas grave, faut faire comme si j’étais pas là ».

    53C’est aussi aux alentours de 4 ans que Madeleine commence à employer régulièrement les conjonctions puisque et comme, alors que parce que est une des premières marques de complexification à apparaître dans le langage de l’enfant, peu après 2 ans. Or puisque et comme sont justement aussi la marque de la prise en compte d’un savoir défini comme partagé à travers lequel l’enfant opère des relations de causalité indiscutables, des liens de consensus à la fois entre elle et ses interlocuteurs, et dans l’association des faits qu’elle relie.

    54Dans l’extrait 9-32, Madeleine a lancé un jeu interminable dans lequel l’enfant a décrété que sa mère et l’observatrice (la personne qui filme) sont ses bébés fraîchement nés, renversant ainsi les rôles avec sa mère. L’observatrice et la mère, devenus des nouveau-nés dans le jeu, ne sont pas censés savoir déjà parler, mais ne peuvent néanmoins s’empêcher de discuter un peu entre elles :

    Extrait 9-32

    Madeleine, 4;01,27

    MÈRE

    très joli [/] très joli !

    MÈRE

    ouais [/] ouais, et c’est une histoire de …

    OBSERVATRICE

    oui j(e) m’en souviens maint(e)nant !

    MADELEINE

    regardez mes enfants !

    MADELEINE

    regardez !

    MADELEINE

    mais tu savais rien dire puisque tu v(e)nais d(e) naître aujourd’hui.

    MÈRE

    c’est un peu handicapant…

    55Madeleine ici interrompt le jeu pour en reprendre les rênes (cf. mais), rétablit les termes de la situation fictive (cf. son utilisation de l’imparfait pour parler du présent : « tu savais rien dire » ; « tu venais de naître »), et, avec puisque, relie les deux comme une évidence issue d’un consensus préalable implicite (tacite) : les bébés qui viennent de naître ne savent pas parler, de sorte que, dans cet énoncé complexe, elle fait à sa mère un rappel à l’ordre, à la règle du jeu : donc tu ne peux pas parler !

    56Dans l’exemple suivant c’est une connaissance non partagée avec l’observatrice (« je n’ai pas de couronne »), qui est néanmoins reprise comme une évidence familiale et une prémisse discursive à l’explication du dessin de couronne sur la chaise-trône :

    Extrait 9-33

    Madeleine, 5;10,16

    Madeleine décrit sa chambre à l’observatrice. Y figure une chaise-trône sur laquelle une couronne est dessinée à l’emplacement de la tête.

    OBSERVATRICE

    et [/] et donc cette chaise que ta maman t’a offerte pour ton anniversaire, c’est pas un trône ?

    MADELEINE

    c’est [/] c’est.

    OBSERVATRICE

    ça ressemble à un trône de roi [///] de reine.

    MADELEINE

    ça c’est un trône.

    MADELEINE

    et du coup en fait comme j’ai pas d(e) couronne i(l)s ont fait exprès de mettre une couronne et du coup si j(e) m’assois…

    OBSERVATRICE

    ah c’est génial.

    MADELEINE

    comme si j’avais une couronne.

    Diversification des formes de complexification après 4 ans : raconter, organiser les événements les uns par rapport aux autres, ou quand le récit se structure

    57Entre 4 ans et 7 ans, l’entrée à l’école est marquée par une plus grande capacité au récit, ainsi qu’une explosion du désir de l’enfant de raconter ses expériences à sa mère. La complexification de ses énoncés est alors bien diversifiée, et allie les phénomènes de positionnement subjectifs (justifier ses actions, requêtes, etc.) à une ouverture vers des récits complexes dans lesquels on observe un processus verbalisé de structuration à la fois chronologique et logique des événements qu’elle raconte.

    58Outre les marqueurs de complexification linéaire déjà acquis (et, les relatives présentatives il y a X qui Y, etc.), apparaissent alors dans son langage des indicateurs temporels tels que après, puis, alors, et une foison de du coup, à la fois temporels et logico-consécutifs (que la mère emploie également très souvent), ainsi que du discours indirect. Les deux récits suivants sont représentatifs de ces processus :

    Extrait 9-34

    Madeleine, 5;01,05 à 20 min 55 s

    Extrait http://ct3.ortolang.fr/devlang/9-34-madeleine-clown-livre-5-01-05.mp4

    Madeleine décrit une pièce de théâtre dans laquelle elle joue à l’école.

    MADELEINE

    ça veut dire qu’en fait je fais la lettre E dans l(e) spectacle.

    MÈRE

    ah ben oui vous êtes les numéros des lettres.

    MADELEINE

    voilà et puis en fait…

    MADELEINE

    hum y a Angelina qui est dans [/] dans l(e) livre…

    MADELEINE

    puis nous on est les lettres du livre…

    MADELEINE

    et nous on forme des mots et puis on écrit ‘tu es dans notre livre tu ne sortiras pas’ [=! discours rapporté].

    MADELEINE

    et du coup après y a le clown qui arrive…

    MADELEINE

    et i(l)[/] et i(l) jongle, et du coup les lettres elles rigolent.

    MADELEINE

    et du coup après elles s’occupent pas d(e) la princesse.

    MADELEINE

    et du coup après comme le livre est ouvert …

    MADELEINE

    et ben y a le clown…

    MADELEINE

    qui prend la princesse par la main

    MADELEINE

    et qui court en dehors du livre.

    MADELEINE

    et après en fait y a le vent qui essaie de remettre la princesse dans le livre

    MADELEINE

    alors que i(l) se met dans le livre lui.

    MADELEINE

    et du coup après i(l) [/] i(l) fer(me) y a le clown et la princesse qui ferment le livre à clé.

    MADELEINE

    et du coup après le vent i(l) peut pas sortir.

    MÈRE

    et les lettres elles sont restées dans le livre.

    MADELEINE

    ben oui hein comme c’est les lettres du livre.

    OBSERVATRICE

    et toi tu joues quelle lettre ?

    MADELEINE

    euh en fait on fait plusieurs lettres.

    MADELEINE

    donc euh tu vois ‘tu es dans notre livre tu ne sortiras pas’ [=! discours rapporté]

    59Dans ce récit complexe, Madeleine à la fois explique le déroulé de la pièce de théâtre, très symbolique, dans laquelle les élèves jouent le rôle des lettres qui « écrivent » l’histoire : « puis nous on est les lettres du livre … et nous on forme des mots et puis on écrit ‘tu es dans notre livre tu ne sortiras pas’ ». On note que dans ce long récit, l’enfant organise et relie les faits les uns par rapport aux autres, plutôt que de les repérer par rapport à sa situation propre, (celle où elle raconte l’histoire à sa mère). Les événements sont repérés entre eux de façon chronologique : « et du coup après y a le clown qui arrive… et il jongle, et du coup les lettres elles rigolent » ; mais aussi logico-déductives : « et du coup après comme le livre est ouvert … et ben y a le clown qui prend la princesse par la main ; et après en fait y a le vent qui essaie de remettre la princesse dans le livre, alors que il se met dans le livre lui, et du coup après il ferme, y a le clown et la princesse qui ferment le livre à clé et du coup après le vent i(l) peut pas sortir », etc.

    60La situation présente de l’enfant n’est donc plus, dans ce type de récit complexe, le repère central de son discours. Ce type de complexification syntaxique est très développé aux alentours de l’âge de 5 ans. On en retrouve les marques linguistiques caractéristiques dans l’extrait 9-35 ci-dessous :

    Extrait 9-35

    Madeleine, 5;01,05 à 24 min 30 s

    MADELEINE

    après j(e) vais essayer d(e) faire un combat.

    OBSERVATRICE

    un combat entre qui ?

    MADELEINE

    entre un méchant.

    MADELEINE

    tu sais le méchant là quand j’ai gribouillé sa [///] quand j’ai abîmé sa mais(on) [/] sa maison.

    MADELEINE

    ben là j(e) pense qu’il a reconstruit sa maison c’est une crotte.

    MADELEINE

    une crotte 0 [=! petit rire].

    OBSERVATRICE

    une grotte ?

    …

    MADELEINE

    une [/] une crotte.

    MÈRE

    une crotte ?

    MADELEINE

    oui [=! rit].

    MÈRE

    c’est terrible [=! rit].

    MADELEINE

    et puis en fait lui i(l) veut toujours me combattre.

    MADELEINE

    et puis du coup en fait moi j(e) lui ai abîmé sa maison j(e) lui ai mis

    des clous sur [/] sur la porte.

    MÈRE

    0 [=! rit] ah.

    MADELEINE

    après j’ai fermé la poignée à clé.

    MÈRE

    oui.

    MADELEINE

    après j’ai abîmé sa maison j(e) l’ai déchiré(e).

    MÈRE

    oui.

    MÈRE

    j(e) crois qu’on va appeler Monsieur Freud hein.

    MÈRE

    0 [=! rit].

    MADELEINE

    et du coup maintenant i(l) peut plus y aller dedans.

    MÈRE

    i(l) peut plus aller dans sa maison ?

    MÈRE

    c’est peut être pas un drame pour lui.

    MADELEINE

    ben j’espère qu’i(l) va pas encore se reconstruire une maison sinon euh…

    MADELEINE

    bon voilà heureusement qu(e) j’ai fait attention à ma m(aison)[//] à la mienne.

    61Dans cet extrait, le récit s’accompagne également d’un emploi des temps verbaux plus diversifié (présents de récit, passés composés (« j’ai abîmé », « j’ai fermé », « j’ai déchiré ») et futur « périphrastique » (« il va pas encore se reconstruire une maison »), et d’adverbes temporels (« après… maintenant »).

    62On terminera cette observation du développement des énoncés complexes par ce bel extrait 9-36, dans lequel Madeleine, qui prépare sa fête d’anniversaire de 6 ans, se remémore les incidents de préparation de la fête de l’année précédente et fait un lien entre cet événement passé, son inquiétude présente, et les prévisions de la fête à venir, le tout en passant par des règles (ou normes) génériques :

    Extrait 9-36

    Madeleine, 5;10,16 à 9 min 57 s

    OBSERVATRICE

    tu vas faire une fête pour ton anniversaire ?

    MADELEINE

    oui.

    OBSERVATRICE

    tu vas inviter tes copines ?

    MADELEINE

    et j’espère que Chloé va venir parce que Chloé c’est une de mes amies et j(e) l’avais invitée…

    MADELEINE

    elle avait laissé son invitation dans le [//] dans son casier.

    MADELEINE

    l’année dernière.

    …

    OBSERVATRICE

    donc elle est pas venue.

    MADELEINE

    donc elle est pas venue.

    OBSERVATRICE

    bon cette année i(l) faut pas qu’elle oublie son invitation.

    MADELEINE

    et oui

    MADELEINE

    elle [/] elle l’avait mis dans son casier…

    MADELEINE

    elle s’est dit j(e) vais l’emporter ce soir.

    MADELEINE

    et elle l’a oubliée [=! petit rire].

    MADELEINE

    et après elle a continué à oublier, oublier, oublier.

    MADELEINE

    et après on a [/] on a commencé à s(e) dire mais euh on n’a pas d(e) nouvelle !

    MADELEINE

    normalement [/] (en)fin normalement on doit dire alors moi j(e) viens…

    MADELEINE

    et tout parce que sinon après si y en a un qui vient pas et que on n’est pas prévenu on s(e) dit mais où il est ?

    MADELEINE

    et elle elle avait pas prévenu

    MADELEINE

    et du coup nous on [/] on [/] on savait pas !

    Pour conclure

    1. Quand et pourquoi l’enfant passe-t-il d’énoncés simples à des énoncés plus complexes ?

    63Aussi surprenant que cela puisse paraître, l’enfant produit des énoncés complexes très tôt, dès 1 an et demi chez Madeleine, et dans la plupart des cas aux alentours de 2 ans, avant même que la détermination des noms et des verbes ne soit en place. Ce qui est intéressant ici, ce n’est pas tant l’âge précis auquel la complexification émerge (qui peut varier grandement d’un enfant à l’autre), mais l’ordre dans lequel ce processus se développe, l’évolution de la façon dont l’enfant utilise les formes complexes, des fonctions qu’il lui donne, et ce que révèle cette progression.

    64Plusieurs processus communs dans le développement sont à retenir :

    1. L’enfant commence par produire des sortes de structures figées (infinitives sans verbe introducteur ; relatives clivées figées, présentatives, coordination en et, etc.) entendues dans son entourage. Ces première formes complexes sont des blocs qui progressivement se défigent, et où l’enfant insère des formes plus diverses et décomposables, ouvrant vers une diversification des types d’énoncés complexes et des conjonctions utilisées.

    2. L’entrée dans l’énoncé complexe se fait d’abord à travers un besoin qu’a l’enfant de se positionner subjectivement dans l’échange, pour exprimer ses désirs propres, et s’imposer dans l’interaction et le dialogue. Ce n’est qu’ensuite que la complexification de son langage servira d’autres buts, notamment d’explicitation de règles d’expérience, de liens de cause à effet, et seulement plus tard encore de structuration temporelle dans son appréhension du monde. L’expression des relations intersubjectives semble donc précéder celle de la causalité objective et encore plus celle de la temporalité.

    2. Qu’est-ce que l’enfant articule en articulant des énoncés ?

    65En reliant plusieurs verbes dans un énoncé complexe, l’enfant relie d’abord les personnes : il s’agit, à chaque période de développement, de complexifier son discours pour marquer, réimposer, ou justifier son désir d’action, ses intentions, dans un rapport d’opposition à l’autre, pour s’affirmer en tant qu’énonciateur à part entière et partie prenante dans l’échange. Complexifier, c’est d’abord insister, ne pas lâcher, s’affirmer, justifier ses désirs par rapport à ceux de l’autre dans l’interaction.

    66En articulant des énoncés, l’enfant donne aussi ensuite un pouvoir d’incarnation à la langue : relier des phrases, c’est aussi expliciter les relations entre les choses, pour mieux les « digérer », les saisir, les comprendre, jusqu’à ce que ces relations deviennent tellement évidentes qu’il n’est plus nécessaire de les dire, et qu’elles puissent relever de l’implicite, du savoir partagé. La complexification des énoncés sert ainsi aussi à mettre en mots des raisonnements abstraits pour les déployer, les rendre audibles, leur donner corps.

    67Enfin, articuler les phrases permettra ensuite de (re)structurer l’expérience, de l’organiser dans un récit, de la raconter pour l’autre et pour soi, pour organiser la mémoire et envisager le futur.

    3. Les énoncés appelés « complexes » sont-ils toujours plus « compliqués » que les énoncés simples ?

    68La question du rapport entre le développement de la complexité linguistique et celui des capacités cognitives est évidemment posée : un énoncé complexe est-il nécessairement plus « compliqué », et donc difficile à comprendre et à produire ? Bien entendu, il paraît moins coûteux cognitivement de dire des choses simples que de les articuler et d’établir des relations entre elles. Néanmoins l’observation du développement de la complexité linguistique montre que la relation entre capacités cognitives et développement linguistique n’est pas unidirectionnelle : si l’argumentation (et donc le positionnement intersubjectif) est apparue comme le moteur premier de la complexification linguistique, l’effet accordéon observé dans le développement révèle que la complexification linguistique est également un moteur de l’appréhension cognitive des relations, dans une relation réciproque entre développement linguistique et développement cognitif. On ne peut plus dire seulement que les capacités cognitives sont des pré-requis au développement linguistique : il est intéressant d’envisager aussi l’incidence du développement linguistique sur le développement cognitif.

    Bibliographie

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    Diessel, H. (2004). The Acquisition of Complex Sentences (1–). Cambridge University Press. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1017/cbo9780511486531
    TOMASELLO, M. (2005). Constructing a Language (1–). Harvard University Press. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.2307/j.ctv26070v8
    Zufferey, S. (2010). Lexical Pragmatics and Theory of Mind. In Pragmatics &amp;amp; Beyond New Series (1–). John Benjamins Publishing Company. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1075/pbns.201
    Diessel, Holger. “The Acquisition of Complex Sentences”. []. Cambridge University Press, 2004. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1017/cbo9780511486531.
    TOMASELLO, MICHAEL. “Constructing a Language”. []. Harvard University Press, March 31, 2005. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.2307/j.ctv26070v8.
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    Diessel, Holger. The Acquisition of Complex Sentences. [], Cambridge University Press, 2004. Crossref, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1017/cbo9780511486531.
    TOMASELLO, MICHAEL. Constructing a Language. [], Harvard University Press, 31 Mar. 2005. Crossref, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.2307/j.ctv26070v8.
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    Cette bibliographie a été enrichie de toutes les références bibliographiques automatiquement générées par Bilbo en utilisant Crossref.

    Diessel, H. (2004). The Acquisition of Complex Sentences. Cambridge : Cambridge University Press.

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    Tomasello, M. (2003). Constructing a Language: a Usage-Based Theory of Language Acquisition. Cambridge US : Harvard University Press.

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    10.1075/pbns.201 :

    Auteur

    Martine Sekali

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    Sekali, M. (2017). Vers des énoncés plus « complexes » : relier les énoncés, relier les personnes, relier les choses du monde. In A. Morgenstern & C. Parisse (éds.), Le langage de l’enfant (1‑). Presses Sorbonne Nouvelle. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.psn.10656
    Sekali, Martine. « Vers des énoncés plus “complexes” : relier les énoncés, relier les personnes, relier les choses du monde ». In Le langage de l’enfant, édité par Aliyah Morgenstern et Christophe Parisse. Paris: Presses Sorbonne Nouvelle, 2017. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.psn.10656.
    Sekali, Martine. « Vers des énoncés plus “complexes” : relier les énoncés, relier les personnes, relier les choses du monde ». Le langage de l’enfant, édité par Aliyah Morgenstern et Christophe Parisse, Presses Sorbonne Nouvelle, 2017, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.psn.10656.

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    Morgenstern, A., & Parisse, C. (éds.). (2017). Le langage de l’enfant (1‑). Presses Sorbonne Nouvelle. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.psn.10557
    Morgenstern, Aliyah, et Christophe Parisse, éd. Le langage de l’enfant. Paris: Presses Sorbonne Nouvelle, 2017. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.psn.10557.
    Morgenstern, Aliyah, et Christophe Parisse, éditeurs. Le langage de l’enfant. Presses Sorbonne Nouvelle, 2017, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.psn.10557.
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