5. La crise du mythe
p. 145-180
Texte intégral
L’irruption de l’histoire
1Conjointement aux Dialogues, Pavese écrit deux autres œuvres : Grand feu, en collaboration avec Bianca Garufi, et le Camarade1. Mais, avant d’aborder ces deux récits, il nous faut dire un mot des poésies de la Terre et la Mort2. Ces neuf poésies, composées à Rome du 27 octobre au 3 décembre 1945, précédent immédiatement la Bête féroce, premier texte des Dialogues.
2Elles sont liées directement à l’amour de Pavese pour Bianca Garufi, amour sensuel et tourmenté qui contraste avec celui dont il prend la relève, l’amour non partagé pour Fernanda Pivano. Pavese n’a plus écrit de vers depuis les trois poésies dédiées à F. (Fernanda) dont la dernière. Nocturne, date du 29 octobre 1940. Saison fondamentale pour la création pavésienne liée à une période tragique de l’histoire de l’Europe. Les cinq ans qui marquent une pause de son activité poétique sont d’une importance capitale pour sa formation artistique. Il écrit beaucoup : la Plage, les nouvelles de Vacances d’août et bien d’autres qu’il ne publiera pas lui-même, des textes critiques sur le mythe, etc. Mais surtout il médite et recherche. Le mythe est une invention des années recluses de Serralunga avec les visites au sanctuaire de Créa : « Certes, le mythe est une découverte de Créa, des deux hivers et de l’été de Créa. Cette montagne en est toute imprégnée3. » Cette période de concentration, de maturation explosera à partir de 1946 en un travail fébrile et sûr de soi qui lui permettra d’écrire en quatre ans le plus clair de son œuvre4.
3Les poésies de la Terre et la Mort5 participent de la préparation de ce moment de grâce : elles voudraient être comme la libération des impuretés encore existantes, comme une purification avant l’œuvre. Elles sont en outre liées indissolublement à l’amour pour Bianca ; car, après l’abandon de Travailler fatigue, Pavese considérera la poésie comme un épanchement et n’écrira plus que pour des noms de femmes ; c’est ce qu’il entrevoyait déjà le 12 août 1940 (il connaissait déjà Fernanda) : « Amour et poésie sont mystérieusement liés, parce qu’ils sont l’un et l’autre désir de s’exprimer, de dire, de communiquer. Peu importe avec qui. Un désir orgiaque, qui n’a pas de succédanés. Le vin provoque un état factice de ce genre, et effectivement l’ivrogne parle, parle, parle6. » De fait, Pavese, qui a tout fait, dans Travailler fatigue, pour tordre le cou au lyrisme, n’écrira plus que des poésies lyriques. Quand le 7 décembre 1945 il lie trois initiales (T. Tina ; F. Femanda ; B. Bianca) à son œuvre poétique, il oublie que la plupart des poésies de Travailler fatigue ne doivent rien à Tina. Idéalement nous serions tenté d’y ajouter un autre T7 et surtout C. (Constance Dowling), inspiratrice des derniers vers de Pavese : Viendra la mort et elle aura tes yeux écrits en mars et avril 1950.
4Ce qui frappe, c’est la distance qui sépare ces poésies de celles de Travailler fatigue : le rythme caractéristique en longs vers de laisses monotones fait place à un rythme fluant, chantant, rapide. Dans son excellente étude sur la langue lyrique de Pavese, Anco Marzio Mutterle8 insiste sur les liens qui rattachent cette poésie aux derniers poèmes de Travailler fatigue, en en accentuant encore les tendances implicites : ainsi assiste-t-on à la substitution d’un « tu » (celui de la femme aimée) et d’un « il » (celui du paysage, de la terre) au « je » monologuant des premières poésies de Travailler. L’allure parataxique du texte s’accentue très fortement, abandonnant presque entièrement l’hypotaxe caractéristique du premier discours poétique ; avec elle disparaissent le discours indirect et le monologue intérieur. Pavese, renonçant définitivement à la narration « objective », met l’accent sur la musique des mots et agence avec soin son bagage de phonèmes : il recourt pour ce faire à des procédés rhétoriques classiques de la poésie lyrique : l’anaphore qui multiplie les attaques sur le même monème — ainsi la répétition du « tu » :
Tu es comme une terre
que personne n’a jamais dite.
Tu n’attends rien
sinon le mot
qui jaillira du fond
comme un fruit dans les branches.
Un vent vient jusqu’à toi.
Arides et fanées, des choses
t’encombrent et vont au vent9
Tu trembles dans l’été.
5Autres procédés, l’ellipse, l’usage de la polysyndète (dans notre exemple), plus souvent de l’asyndète, l’itération d’adjectifs, de substantifs (arides et fanées), etc. Une tendance constante à mythiser et symboliser obtenue par l’usage du futur (jaillira), la fonction prévalente du verbe être (tu es ; c’è un vente, un vent vient), le rôle dévolu aux actualisateurs (dans les branches, au vent, l’été). Ainsi la narration poétique caractéristique de toute une recherche de Travailler fatigue fait-elle place à une coulée lyrique formée de sensations, de souvenirs, de sonorités. C’est l’évolution qui déjà, au sein de Travailler fatigue, avait conduit le poète de Paysage I à Paysage VIII.
6Le mérite de l’analyse de Mutterle est aussi d’insister sur l’influence évidente dans ces poésies non seulement de D’Annunzio, mais de toute la koiné linguistique dannunzienne qui transparaît chez Thovez, Amalia Guglielminetti ou Cena. Sans entrer dans le détail des analyses, une lecture superficielle suffit à faire sentir le ton des Laudes. Or nous sommes en 1945, date de publication de Finisterre de Montale, date de composition des poésies de la Douleur d’Ungaretti, de Méditerranées de Saba, ou de Jour après jour de Quasimodo. La critique répète à l’envi que Pavese retrouve dans ces poésies le grand courant de la poésie du xxe siècle ; or, il est pour le moins curieux que ce mariage avec son siècle, Pavese l’effectue par le détour de D’Annunzio. La saison la plus vive et la plus féconde de la poésie italienne de l’entre-deux-guerres est ignorée : l’hermétisme ; le travail fondamental auquel, à sa façon, il s’était livré dans Travailler fatigue : creuser dans l’écriture poétique épuisée par la débauche dannunzienne un autre espace ; ou, pour dire comme Montale, « l’art presque expérimental d’excavation et de contrôle sur la résistance du moyen expressif10 », Pavese y renonce. Loin de creuser, if ouvre les vannes du refoulé littéraire.
7Entrée bien timide sur la scène de l’actualité que celle d’un dannunzien en 1945 ! Paradoxe de ce poète-protée, il écrit conjointement des articles pour une culture populaire dans l’Unità et il se complaît dans les sons d’une sirène contestée !
8Pourtant, il ne s’agit pas dans l’esprit de Pavese de pur flatus vocis, car le thème majeur de la déesse méditerranéenne à la fois terre et mer, Gea, Aphrodite… et Bianca qui est son incarnation temporaire11 sera développé dans les Dialogues. Cependant Pavese, si attentif à contrôler ses épanchements, se laisse curieusement aller à enfiler des banalités sonores :
Tu es la voix rauque
de la campagne, le cri
de la caille tapie,
la chaleur de la pierre.
La campagne est labeur,
la campagne est douleur.
Avec la nuit le geste
du paysan se tait.
Tu es la lourde peine
la nuit qui rassasie12
9où ne se sauvent que quelques images prises dans le courant. Ce recueil révèle les démons que Pavese ne cesse d’exorciser au cours de sa carrière littéraire ; l’Amérique, le Mythe, le « retour au peuple » ne sont que les armures successives ou contemporaines qu’il revêt pour échapper à une tentation profonde : l’esthétisme. Plus qu’armures, il faudrait dire natures : désir prométhéen d’arracher le feu qui couve en soi. Curieusement, avant la grande saison 1946-1949, nous assistons à un dernier retour du refoulé.
10Deux seules poésies13 tranchent dans le lot, qui sont politiques. Poésie de remords pour n’avoir pas défendu cette femme qu’est la terre, mais qui sera la mort. Citons la première :
Tu ne sais pas les collines
où s’est répandu le sang.
Tous nous avons jeté
arme et nom. Une femme
nous regardait fuir.
Un seul parmi nous
s’arrêta, poings fermés,
regarda le ciel vide,
pencha la tête et mourut
sous le mur, en silence.
Maintenant c’est un chiffon de sang,
c’est un nom. Une femme
nous attend sur les collines14.
11Elle nous introduit directement dans le climat de la Maison sur la colline.
12Il ne vaudrait pas la peine de mentionner Grand feu si le texte ne manifestait sous un masque « réaliste » un autre retour dannunzien. Écrit à quatre mains avec la collaboration de Bianca Garufi, il présente les chapitres alternés de Giovanni et de Silvia, deux amants en crise. Les réactions de Giovanni sont écrites par Pavese, celles de Silvia par Bianca Garufi. Le procédé, artificiel, tient du montage et du jeu de construction : les deux co-auteurs sont obligés de répéter les épisodes sous un point de vue différent. L’intérêt est beaucoup plus psychologique (plus au niveau des auteurs que des personnages) que littéraire. Il est sûr que Giovanni emprunte bien des traits à Pavese lui-même, et Bianca Garufi se divertit à brosser un portrait plausible de son amant. Ce n’est pas cet aspect de l’œuvre, trop conjectural, qui nous retiendra. Le roman « bisexué »15 tient de la confession voilée, du désir pervers de percer l’adversaire-partenaire, mais un roman doit être écrit !
13Or ce qui frappe, c’est le dannunzianisme freiné qu’il dégage. Les situations viennent toutes du mage : le retour aux « mères », la plongée dans le monde de l’inceste (Silvia fut la maîtresse, non de son père, il est vrai, mais de Dino son beau-père dont elle eut Giustino abandonné depuis dix ans et qui se meurt à Maratea), le rocher aux éperviers où Silvia enfant ramassait des plumes, l’amour-haine des deux amants, la mort, le sexe, le gentilhomme campagnard, rien qui ne rappelle les romans du « chercheur de spasmes16 ». On pourrait les citer : l’Intrus pour la mort de l’enfant, le Triomphe de la mort pour le retour aux « mères » et la haine des amants, les Vierges des rochers pour le décor et la famille de Silvia, Forse che si forse che no pour l’inceste. Tous pour l’exagération, l’attente de la catastrophe, la moiteur des vices, la touffeur des passions. Il est vrai qu’on n’y trouve ni l’exaltation prométhéenne, ni le nietzschéisme de bazar, ni le racisme, ni l’exaltation des forts, ni la haine de la démocratie qui forment aussi la pâte dannunzienne. On y trouve surtout le contraire de l’écriture du « héros ». Bianca Garufi mélange sans vergogne les tics stylistiques de son temps (le fameux repented cher à Vittorini17) aux stylèmes pavésiens dans une excitation du feu symbolique qui n’en arrive pas à l’« épiphanie », à l’« apothéose », à l’« assomption » du feu décrit dans le roman homonyme du Poète-guerrier. Pavese, quant à lui, se contente de ramasser tous ses thèmes en les exacerbant : solitude, haine de la femme, contact de l’enfance avec la bête… mais il est embarrassé par le mystère à ne pas dévoiler aussitôt : Giovanni ne doit pas savoir que Giustino est le fils de Silvia, ce qui contraint l’auteur à jouer avec le lecteur, qui, sauf cas de déficience mentale, a compris depuis longtemps. Les pétards sont mouillés et le mystère fait long feu !
14Non que manquent les morceaux intéressants. Nous les retrouvons souvent dans la description de ce sud étranger au narrateur comme à l’auteur des cadences de la Prison : « Je marchais entre les broussailles et les rangs de figuiers : cette terre tout entière, son odeur, sa dure splendeur, me heurtait, me repoussait. Je la regardais avec une curiosité engourdie, pas autrement. J’arrivai à une bifurcation marquée d’une croix, dans une petite dépression, et je ne sus me décider. Alors je m’assis sur une pierre et j’attendis en fumant18. » Le plus révélateur est pourtant l’abandon réticent de Pavese au pittoresque dannunzien : ainsi la description de la mort de l’enfant condense en une page les coutumes barbares qu’évoque très longuement D’Annunzio dans le Triomphe de la mort. On lit comme le compte rendu sténographique d’une dette à payer pour la liquider : « Nous montâmes pour voir l’enfant mort, et je ne réussissais pas à me persuader que ce fût le frère de Silvia, sa propre chair [Giovanni n’a pas encore eu la révélation de la vérité]. On l’avait entièrement entouré de mousse et de rameaux aux pétales jaunes — on aurait dit une crèche — et recouvert d’un drap brodé à fleurettes bleues ; sur la commode des chandelles allumées et une grande croix. »
15La passion est mauvaise conseillère en art ; elle ne permet plus le contrôle de soi, et Pavese le sait qui écrit lui-même dans son récit les raisons de son propre échec : avoir voulu affronter le sauvage (le sexe et le sang) directement et non pas au travers du diaphragme du souvenir comme il l’a fait ou de celui de la mythologie comme il est en train de le faire :
Et maintenant que je croyais avoir vaincu la chair, nôtre plus esclave de son sang ni d’aucune autre, voici que je retrouvais des souvenirs d’enfance, d’au-delà les allées, d’au-delà les maisons, des souvenirs imaginaires et légers comme on rêve d’un destin et d’un horizon qui n’est ni la colline ni le nuage mais le sang, la femme, dont nuages et collines ne sont qu’un signe. Silvia, que j’avais arrachée de moi et étouffée, était au contraire de toute son apparence anticonformiste, une chose sauvage de sexe et de sang19.
16Une des pommes de discorde de la critique pavésienne est l’évaluation du moment « politique » de Pavese ; la critique marxiste a tendance à le surestimer, l’esthétique à le dévaluer. Tous s’accordent à souligner un déphasage dans le déroulement de l’œuvre. Seul Gianni Venturi, reprenant une intuition de Claudio Varese20, défend une continuité des Dialogues au Camarade : « Il est possible d’instaurer un lien assez étroit entre les Dialogues avec Leuco et le Camarade, même si, apparemment, ces deux œuvres sont très loin l’une de l’autre. Leur ressort secret est la recherche du destin, ce dernier entendu dans les Dialogues comme malédiction et sublimation de l’homme et, dans le Camarade, comme histoire, exemplaire21 » Mais il s’agit d’une continuité d’intention, ce que peut-être le critique ne souligne pas assez. Car les deux types de textes sont aux antipodes.
17Il est impossible de refaire l’iter politique de Pavese depuis sa formation, ses premières poésies, ses amis, la résidence surveillée, l’absence de participation directe aux combats de la Libération, le militantisme des années 45, les difficultés postérieures avec les camarades, etc.22. Une constatation s’impose pourtant : cette dimension ne fut jamais absente de la vie et de l’œuvre. Depuis le premier roman Ciau Masino, « les deux tensions23 » sont présentes au filigrane du monde imaginaire pavésien : la revendication sociale identifiable avec l’arrachement à la solitude et l’accession à la rationalité, et, d’autre part, la fascination du mystère, le jeu contraignant du destin, la présence de l’irrationnel. Il n’est pas de moment qui n’accentue tel ou tel pôle de la tension, mais l’espace poétique de l’auteur se situe dans cette parenthèse.
18Pour mémoire on se souviendra des poésies politiques de Travailler fatigue, en particulier de la section qui porte le titre Bois vert et qui fait allusion à I immaturité politique des anti-fascistes des années 1930-1935 ; Une génération, écrit en 1934, rappelle les massacres accomplis par les fascistes le 18 décembre 1922 à Turin ; on sait par Layolo que Pavese, quelque trente ans plus tard, écrivit les noms des martyrs sur un exemplaire de Travailler fatigue24, ce qui prouve à quel point cet événement l’avait frappé.
19Ce fil d’Ariane politique court tout au long de l’œuvre, même si la tension militante n’est parfois qu’un prétexte : ainsi, de Terre d’exil au Camarade, les jalons ne manquent certes pas ; ce sont évidemment des nouvelles ou plutôt des ébauches jamais publiées pendant la période fasciste : Fidélité, le Capitaine, le Groupe, le Fuyard, Travailler est un plaisir25, etc., (sans parler bien sûr du récit la Prison). Dans Travailler est un plaisir, qui retourne ironiquement le titre des premières poésies, la situation de bien des nouvelles de Vacances d’août est, elle aussi, intervertie. Le retour aux champs du jeune bourgeois campagnard qui fait ses études à la ville s’accompagne d’une prise de conscience : il ne vient plus se replonger dans la matrice de l’être, il découvre la dimension sociale du travail des champs. Lui qui croyait que le travail ne fatiguait qu’à l’usine se rend compte que « travailler n’est pas un plaisir même à la campagne26 », surtout quand le métayer doit donner au patron (qui ne travaille pas) la moitié du produit de la récolte ! Malheureusement, comme souvent dans les pages engagées de Pavese, la vérité politique reste au-delà de la réalité textuelle. C’est le problème de Pavese et toutes ses proses théoriques y font allusion.
20Car si on trouve chez lui les prémices d’une réflexion pour une culture populaire sévère, la confusion fréquente entre exigences idéologiques et exigences artistiques est soigneusement évitée.
21Dans Retour à l’homme27, Pavese se refuse d’aller vers le peuple, ce qui sous-entendrait une construction idéologique extérieure à l’œuvre ; il faut « être » le peuple, dit-il ; habilement, il rappelle que, pendant la période la plus noire du fascisme, cet être-là, il l’a cherché et trouvé dans la littérature américaine, mais alors « on ne pouvait admettre que nous cherchions en Amérique, en Russie, en Chine, Dieu sait où, une chaleur humaine que l’Italie officielle ne nous donnait pas. Moins encore que nous y cherchions simplement nous-mêmes28 ». Pourtant le motif sur lequel il met l’accent n’est pas seulement littéraire : il est le désir de rompre la solitude, de communiquer ; or, dans le peuple, (ce serait le postulat à démontrer), la solitude est déjà vaincue ou en passe de l’être. Il ne faut pas galvauder les mots, « choses tendres, intraitables et vivantes, mais faits pour l’homme et non l’homme pour eux ». La dernière proposition, dans le temps même où elle caresse les mots avec la volupté de l’initié, affirme ce que le journal a maintes fois démenti et démentira : car Pavese sait mieux que personne que les mots portent le récit, que la cadence impose sa loi ! Nous retiendrons pourtant le refus net de toute esthétique « socialiste ».
22Dans un second texte de 1945, Lire29, l’auteur renchérit sur ce qui précède : « Lire n’est pas facile » et lire les romans requiert une préparation technique aussi solide et plus subtile que celle qui est nécessaire pour lire les essais. Cette fois l’effort est demandé au lecteur. Car les exigences de l’écriture sont inaliénables. Dans D’une Nouvelle littérature30, Pavese essaie de préciser le (son) nœud de la question ; c’est de l’état même d’écrivain que vient l’ambiguïté : contraint à s’isoler, à s’ausculter soi-même, le travailleur de la plume ou « l’ouvrier de l’imaginaire », comme dit Pavese, est menacé de perdre le goût de l’échange, de la cordialité, de la cohabitation. Il confond son réel avec le réel et peut vivre « camouflé sous le tissu du style », faire consister toute sa dignité dans le fait d « être ce tissu, ce style, ce masque31 ». Inutile d’insister sur ce que peuvent avoir d’autobiographique ces expressions. Mais Pavese poursuit en affirmant que le vice contraire — la volonté de traiter les sujets de l’heure pour s’approcher du « réel », en un mot, d’inventer un contenu qui permette à la littérature d’être définie prolétaire et progressiste — est pire que le mal. Le malheur commence en effet quand l’« obsession de la fuite du moi devient le sujet même du récit, [quand] le message que le narrateur doit communiquer aux autres, au prochain, au camarade homme, se réduit à cette maigre auscultation de ses propres perplexités, de ses propres velléités32 ». Car la « vérité » est en soi, et l’écrivain doit s’accepter lui-même, être en accord avec son destin : « Qui veut faire l’art de son temps “par nécessité historique” fera tout au plus une poétique, un manifeste33. » On ne voit plus très bien ce qui reste du point de départ pavésien « être peuple » ; on voit très bien, en revanche, ce qui subsiste au point d’arrivée ; car l’intellectuel bourgeois Pavese ne sera jamais peuple, quel qu’en soit son désir, et il le sait ; en revanche, il continuera à être fasciné par l’intuition entrevue dès son entrée en littérature : il « ne peut que tourner autour du gros monolithe et en détacher des morceaux et les travailler et les étudier sous toutes les lumières possibles34 ». Aucune « révolution culturelle », donc, mais l’importance accordée au contraire au sérieux et à la difficulté de la culture. La révolution sociale permettra au peuple d’accéder enfin à la culture, de lire Iliade et non pas (Pavese ne le formule pas clairement, mais il le pense) les œuvres issues du « réalisme socialiste35 »! Les Dialogues avec le camarade36 ne disent rien d’autre sous une forme différente.
23Ces textes qu’on attendait « progressistes » sont des textes de résistance. Pavese consent à sacrifier ce que d’aucuns appellent la liberté du monde « libre » (nous sommes en plein stalinisme), et c’est bien ce que lui reprochera Thomas Mann37, mais il n’acceptera jamais de suivre les rails artistiques de la « révolution ». Ainsi tout ce que ces proses concèdent est aussitôt repris et justifié ; il ne faudrait pas pourtant faire de Pavese un opportuniste ou un conservateur : il est le contraire de cela : ses amis n’ont jamais changé, jamais il ne fut fasciste, même s’il prit la fameuse carte38 (on compte sur les doigts de la main les intellectuels qui la refusèrent), il paya même de sa personne par sa réclusion et n’accepta aucun compromis d’ordre politique. Pourtant, il se faisait une idée trop exclusive de la littérature, qu’il servira comme un prêtre attaché au service d’une déesse, pour consentir à sa mutilation, fût-elle temporaire. A la question : où bat le pouls de l’histoire ? il répond « d’abord en moi » ! C’est là, n’en doutons pas, une attitude polémique par rapport à ce que le P.C.I. attendait de lui, par rapport aussi aux arrivistes de tout bord qui communièrent dans le militantisme d’une heure !
24On est d’autant plus étonné de lire le Camarade, qui est une « éducation politique ». Et c’est bien ce qui souligne le sérieux de l’entreprise de Pavese : étant donné ses prémisses théoriques, il n’a pas l’intention d’écrire un roman hagiographique ou parénétique, mais peut-on se satisfaire d’intentions ? Or la critique est à peu près unanime : la partie la meilleure du roman est justement celle qui précède la conversion de Pablo, celle qui répète le monde habituel de Pavese — Turin, ses faubourgs, ses environs, les paysages évoqués en trois lignes : ciel, brume, odeur de pluie ; les métiers populaires ; le demi-monde du spectacle ; les bars, les bals, les déambulations nocturnes, les filles, etc. Quand Pavese, dans le prière d’insérer de la première édition, écrit : « L’auteur a imaginé un jeune homme petit-bourgeois — quelque chose de pire qu’un prolétaire — et l’a placé en face de certains faits. Le récit n’est pas exemplaire, loin de là. Ce jeune homme a ses idées, ses privilèges, sa liberté, il joue même de la guitare. Ses aventures ne démontrent rien. L’auteur le sait. Ce sont les aventures de Pablo39 », il se leurre et nous trompe, car qui est Pablo ? Le turinois des onze premiers chapitres ou le romain militant de base des dix derniers ? Il n’y a pas de continuité entre les deux.
25Pavese est évidemment assez habile pour ménager dans la première partie ce qui précipitera dans la seconde : Pablo en a« marre40 », de la vie qu’il mène, des gens qu’il fréquente, de sa mère et de sa sœur, du débit de tabac qu’elles gèrent. C’est alors qu’il rencontre Linda, l’ex-maîtresse d’Amelio. Celle-ci le sortira de l’ennui pour le plonger dans le désespoir et lui faire frôler le suicide. La seule consolation de Pablo est sa guitare : symbole élémentaire de liberté dont il ne veut pas faire un instrument de travail. Il n’y a d’ailleurs que la guitare qui résistera à la conversion, car Pavese pratique dans ce roman l’écriture du double.
26Tous les signes de la première partie vont en effet être spéculairement renvoyés à leur contraire dans la seconde, pour finir dans une fusion symbolique : Pablo-Amelio en prison. Pavese substitue à la confusion spéculaire d’ordre narcissique la duplication de celle-ci. Pablo, dans la première partie, est l’antithèse d’Amelio : santé-apolitisation maladie-politisation ; le lien, et la coupure entre les deux, est Linda. Mais Linda elle-même est le double inversé de Gina la romaine : vide moral-liberté-expansion ≠ devoir-engagement-concentration ; parfois le double n’est pas autrui, mais soi-même : ainsi Carletto passant de Turin à Rome, de victime-sauveur (victime de Lubrani et du fascisme dont l’imprésario est l’émanation, consolateur de Pablo après le départ définitif de Linda et de Lubrani) devient compromis-trompeur (compromission, car il ne renonce pas au mal du music-hall ; tromperie, car il n’a pas su distinguer les révolutionnaires des réformistes) et il perd en route sa métaphore vitale, celle du chat. Les couples en attirent d’autres qui ne font que renforcer leur polarisation : Gino Scarpa, qui revient d’Espagne (le roman se situe en 1936) et fait l’éducation politique de Pablo, n’est que l’image précisée d’Amelio qui, connaissant la première version du joueur de guitare, ne pouvait que s’en méfier. Dorina-Giulianella-Luciano ne sont que la version percée à jour de la troupe romaine dans le café Mascherino où Pablo passe sa dernière soirée turinoise, etc. Alors que, dans la première partie, le bien et le mal paraissent mêlés, le saut romain impose le bien et a horreur du mal (quand Linda revient et que Pablo prend une vacance idéologique entre ses bras, bien que dans un hôtel de Rome, nous revenons idéalement à Turin). Mais Rome, par contrecoup, repousse Turin dans l’enfer. Le comportement de Pablo obéit lui aussi à cette dichotomie : à Turin, il ne lit jamais que le sport et passe ses soirées à boire ; à Rome, il lit les livres politiques dont Carletto (bien sûr !) veut se débarrasser, et, le soir, occupe son temps en discussions militantes ; à Turin, il pratique irrégulièrement divers métiers pour gagner de l’argent et s’attacher Linda ; à Rome, il est mécanicien avec assiduité et dédie son temps libre à l’activité politique.
27La duplication inversée continue dans le décor même, car Rome, la ville de l’insouciance, de la fête continue, des auberges et du soleil, est le cadre de la prise de conscience et de la lutte antifasciste, alors que Turin, austère, brumeuse, pluvieuse et froide, est la ville de la dissipation et du désengagement. Ces deux toiles de fond ne tolèrent que ce qui leur convient et jouent le rôle de miroir déformant : c’est Rome qui transforme Pablo et Carletto et inverse leur position turinoise ; c’est Rome qui substitue Gina à Linda ; c’est Rome qui phagocyte Linda et n’admet pas la présence de Lubrani, etc. Ces deux pôles sont comme libérés du champ magnétique qui devrait conférer à leur opposition une allure dialectique. La tension se relâche et Pavese nous permet de saisir, grâce à son échec, le mécanisme même de son imaginaire.
28Écrire, c’est pour lui saturer une situation de ses éléments antagonistes : irrationnel et rationnel sur la corde raide ; dans les Dialogues, l’effort de rationalisation aboutit à une symbolisation ambiguë où le résultat n’est sans doute pas ce qu’on attendait, mais où la tension maintenue permet la vie du texte ; ici l’imaginaire est pourfendu : Pavese remplaçant le symbole par une foi historique, ne peut plus aimanter les inconciliables. Il faut choisir, et le choix qui devrait être le salut humain, l’abandon de la solitude, se solde par la perte irréparable de la structure même de l’imaginaire. Ce roman est comme une radiographie de l’écriture pavésienne ; les lignes de force y sont figées. Pavese nous y donne le portrait d’une personnalité éclatée.
29Amelio aurait bien pour tâche de recoller les morceaux, car, de sa présence sournoise, il traverse les deux faces du texte (la nuit et le soleil), et devrait ressouder les deux faces de Pablo. Amelio, lui, ne change pas, mais il disparaît et ne vit que dans l’imaginaire du néophyte. Leur rencontre hypothétique dans la prison (au paradis) romaine n’est au contraire que l’assomption du bien.
30Les allusions au Camarade sont peu nombreuses et rapides, aussi bien dans le journal que dans les lettres. Il nous plaît de citer pourtant une note du journal datée 8 octobre 1948 : « Relu, au hasard, un fragment du Camarade. Effet de toucher un fil électrique. Il y a une tension supérieure à la normale, folle, due à la cadence proparoxytonique des phrases. Un élan continuellement bloqué. Un halètement41 ». Cette tension semblerait contredire ce qui précède alors qu’elle ne fait que le renforcer. Car l’écartèlement de l’imaginaire pavésien que nous avons constaté s’accompagne d’une tension stylistique extrême, due à l’insertion, dans le tissu linguistique, des mots et des tournures du dialecte. Un français est incapable de sentir cela dans une traduction, pour habile que soit le traducteur un42 ; italien cultivé ne peut pas n’en pas être frappé. Deux structures jouent et glissent l’une sur l’autre dans le texte43, ce qui rend la lecture parfois ardue et tend à brouiller les pistes simplifiées de l’imaginaire. Car Pavese écrivant ne pouvait pas ne pas percevoir ce qu’avait de châtrant son processus spécifique, et il essaya de combler le vide laissé béant par une surtension du style. Le fait que son roman ait été dicté (à Maria Livia Serini) a dû accentuer cet hypercorrection instinctive44. Le résultat, qui rappelle celui de Par chez nous, est inférieur quant à la qualité, car, dans la saga paysanne, style et imaginaire allaient de pair. Ici, au contraire, à la distension de l’imaginaire devenu flasque s’oppose l’hypertension d’une écriture devenue flèche. Ce sera le seul exemple de Bildungsroman politique chez Pavese45.
La béance
31La Maison sur la colline, écrite du 11 septembre 1947 au 4 février 1948 et publiée en même temps que la Prison (composée en 1938-1939), vit le jour en 1948 dans le volume intitulé Avant que le coq chante46. C’est de ce titre qu’il faut partir, puisque Layolo, dans son livre, rapporte l’intention avouée de l’auteur de revenir sur un passé honteux : son refus de participer avec ses compagnons à la résistance contre l’ennemi. Aussi bien dans le premier récit que dans le second, les événements renvoient à l’expérience politique directe de Pavese : la résidence surveillée à Brancaleone, la fin du fascisme, de la chute de Mussolini à la République de Salò. C’est la raison du regroupement sous un même titre des deux œuvres. Stefano, comme Corrado, ne participe pas à la réalité dans laquelle il est pris : le premier, on l’a vu, se construit une géométrie rituelle de survie ; le second évolue au milieu de la guerre dans un monde beaucoup plus concret, mais débouche sur la même solitude.
32Il ne faudrait pas toutefois limiter la Maison sur la colline aux « thèmes » de la Résistance, car, si Pavese anticipe dans un récit de 1944 (le Fuyard47) ce qu’il reprendra dans le roman, il a esquissé une des obsessions majeures qui parcourent le texte (le désir-angoisse de la paternité) dans une longue nouvelle au titre significatif, la Famille (de 1941, mais retravaillée en 194248), qui n’a rien à voir (et pour cause) avec la guerre de libération49. Ce tourment, il l’a confié à Layolo qui lui avait fait lire son journal de maquis. Classe 1912 : « Ton livre sur le maquis vit tout entier dans le souffle de ta fille. Moi, je n’ai pas d’enfant, et, à cause de cela aussi, je me sens plus seul et je souffre de ce manque50. » La Famille peut d’ailleurs servir de passage entre la Prison et la Maison sur la colline : Corradino fréquente par intermittence Ernesta, fort proche de l’Elena humble et maternelle de la Prison et qui, après chacune de ses visites, le laisse « fatigué et mortifié », mais il retrouve Cate qui passe directement dans le roman. Corradino, comme Corrado, a abandonné Cate et la rencontre par hasard, six ans plus tard, à la sortie d’un bal : c’est une artiste de cabaret. Devant la résurrection brusque du passé, Corradino se sent « libre et solitaire », mais il ne sait pas encore ce qui l’attend : au cours d’une promenade en barque qui devrait faire revivre le temps perdu, la jeune femme lui avoue que Dino (CorraDINO) est son fils : « L’idée d’avoir un fils était monstrueuse — et de l’avoir ainsi, de se fier ainsi aux paroles de Cate, était absurde — et pourtant le seul soupçon que ces femmes — elle, sa mère et sa sœur — aient manipulé pendant six, sept ans cet enfant comme le leur, l’aient élevé, éduqué, vêtu, comme si lui n’existait pas, tout en sachant bien toutefois, Cate au moins, que c’était son fils, le bouleversait jusqu’au sang51 » Dans la Maison sur la colline, l’ambiguïté est plus grande, car on ne sait jamais vraiment si l’enfant est le fils du narrateur52.
33Au niveau du référent, l’ébauche est intéressante, car elle développe conjointement des lignes qui iront se diversifiant : ainsi le thème naturiste (se faire bronzer au soleil, dans une anfractuosité à côté de l’eau) ne trouvera d’écho que dans le Diable sur les collines ; il est complètement absent de la Maison sur la colline, qui met au contraire l’accent sur l’irruption de la guerre dans l’atemporalité de la nature et plus précisément des collines. Mais ce qui nous retiendra davantage dans la nouvelle, c’est le revers de ce que Pavese dénomme sa théorie de la connaissance et qu’il vaut peut-être mieux appeler, dans le cas présent, un déterminisme anthropologique ; la solitude de Corradino est irrémédiable non point par vice psychologique, mais par moule de l’imaginaire : « Corradino lui dit que l’expérience sert à nous apprendre non pas ce que nous devons faire, mais ce qu’inévitablement nous ferons, étant donné qu’un homme, pour remarquable qu’il soit, est comme un pont qui a une certaine portée et pas plus. Survient une charrette qui pèse trop et le pont croule53. » « La portée du pont » est une expression présente dans le journal et qui renvoie à la vision mythique de Pavese déjà esquissée dans ces pages.
34Or, toute la critique, à l’exception de Gioanola, a insisté sur l’aspect autobiographique de la Maison sur la colline, prenant le référent pour texte comptant. Barberi-Squarotti54, lui aussi, estime que Pavese, dans ce roman, abandonne la métaphore, ce qui en ferait un unicum dans son œuvre, et développe un discours plurivoque, mais plus équivoque. Pavese lui-même a cru ou fait semblant de croire à cette interprétation, et ses lettres en font foi (beaucoup moins son journal). Il faut dire que l’accueil mitigé fait à l’œuvre par les bureaucrates de la « révolution » et par les nostalgiques du fascisme ne fut pas sans pousser Pavese dans cette voie. C’est la raison pour laquelle il remercie Emilio Cecchi de sa discrétion : « Je voudrais que tous aient votre tact, et ne plus me voir utilisé pour démontrer que désormais entre fascistes et patriotes il y a parité morale55 » ; le célèbre thrène du dernier chapitre, n’est pas syncrétique. Mais c’est Augusto Monti, l’austère ex-professeur anti-fasciste de Pavese au lycée d’Azeglio, qui contraint ce dernier à une défense inutile sur le « fond ». Il lui produit une série de citations de la Colline en lui reprochant sa haine du prochain : « Je ne lui reproche pas (à Pavese) de dire du mal d’une classe ou d’une autre, mais toute la philosophie inhumaine dont il constelle certains de ses écrits en se dressant lui-même seul contre tout, le reste de l’humanité dans une attitude de Capanée sans muscles et en ayant l’air d’affirmer que c’est dans cette solitude amère et bilieuse que réside seulement la grandeur — future à la rigueur — de ce nouveau surhomme ou anti-homme56. » Pavese, outré, lui répond : « Les textes sont les textes, et les phrases que tu me cites et de nombreuses autres de ce récit font partie de la confession d’un « pécheur », (il s’agit, bien sûr, de Corrado), elles sont la plaie de sa conscience, et plus d’une fois il les adresse aux autres dans un état d’excitation, comme s’il cherchait un alibi. Il me semble évident que le Corrado en question s’auto-dénonce, s’auto-punit justement d’avoir vécu et de vivre d’une certaine façon — et l’auteur qui lui extirpe ce pus sait bien autre chose, il sait que la vie consiste en tout autre chose (et, en tant qu’auteur, il l’a prouvé en inventant d’autres personnages qui n’ont aucun besoin de s’adresser ce reproche)57. » Voici donc un « héros » négatif qui ne contredit pas le « positif éthique » cher à Monti, car il n’est que le revers d’une brillante médaille. On dirait d’ailleurs que Pavese joue de l’ambivalence et se plaît à donner le change quand, dans la même lettre, il en rajoute sur les discours que n’aura pas manqué de lui prodiguer Monti (et qu’il a répétés dans son volume I miei conti con la scuola58) : nécessité d’avoir un métier concret, le meilleur étant naturellement celui de professeur, pour se sauver. En écho, il rappelle : « La garantie et l’espérance de ma « future grandeur » (soyons sérieux) n’est que cela : faire bien le travail qui nous échoit (quelquefois le travail, c’est chercher un travail) — qui fait bien son travail à la conscience en paix ; qui ne le fait pas ne l’a pas59. » Ce n’est, hélas, pas si simple, et Pavese le sait mieux que personne qui à la date de cette réponse (21 janvier 1950) en est à sept mois de son suicide.
35Mais toutes les lettres ne rendent pas le même son de cloches et les plus marxisantes d’esprit ne sont pas sans introduire au vrai sens du roman : après avoir mis l’accent sur la tragédie qui implique vainqueurs et vaincus, Pavese écrit à Rino Dal Sasso en date du 1er mars 195060 : « Le personnage de Corrado, outre la lâcheté devant l’action, représente aussi le problème extrême de toute action — l’angoisse devant le mystère. » Quelques jours plus tard il renchérit (à Rino Dal Sasso, 20 mars61) : « Si dans le sens de ma poétique il y a le risque (je le sais bien) d’écrire une œuvre diabolique, dans le sens de la tienne il y a le risque d’écrire Giannettino ou Cœur », autrement dit de la littérature pour boys-scouts ou pour stakhanovistes.
36Pour en finir avec les citations de la correspondance, qu’il suffise de rapporter deux appréciations de Pavese que nous versons au dossier de l’ambivalence de l’auteur en face de son œuvre. Le 6 avril 194962, il remercie Lalla Romano de son intuition : « En réalité, alors que je pensais, en mettant mon livre sous l’égide du coq, au remords et à la condamnation et, en somme, aux grincements de dents, j’aspirais — sans me le dire — à la joyeuse espérance du matin », et il répond, à Rosa Calzecchi Onesti (14 juin 194963), qui entrevoyait chez lui un tourment religieux : « Quant à la solution que vous me souhaitez de trouver, je crois que j’irai difficilement au-delà du chapitre XV du Coq. Quoi qu’il en soit, vous ne vous êtes pas trompée en pressentant que là se situe le point de feu, le locus de toute ma conscience. » Réponse à laquelle fait écho cette note du journal datée du 12 janvier 1948 : « Pourquoi, quand tu réussis à écrire sur Dieu, sur la joie désespérée de cette soirée de décembre au Trevisio, te sens-tu surpris et heureux comme quelqu’un qui arrive dans un pays nouveau ? (aujourd’hui, pages du chapitre 15 de la Colline)64. »
37Curieusement, Pavese insiste moins sur l’engagement social de son roman qu’il ne le fera pour défendre Femmes entre elles, par exemple. Il ne perd jamais de vue ce locus qu’il nomme tour à tour mystère, diabolique, ou qu’il sous-entend comme problème religieux. Il faut reconnaître, toutefois, que ses idées ne sont pas « claires » et que son texte ne dit pas seulement ce que Pavese voulait peut-être lui faire dire, car la même hésitation se retrouve dans le journal avec une orientation plus nette vers ce qui nous-semble fonder le texte, en dépit de notations comme celle-ci : « La Maison sur la colline est peut-être l’expérience qui a culminé dans Retour à l’homme. » Il faut d’abord insister sur le peut-être, puis se poser une élémentaire question de chronologie : Retour à l’homme est un article paru dans l’Unità, le 20 mai 194565 ; il précède donc le roman ; or, la phrase, pour être bien comprise, doit insister sur le temps de reflux politique qu’indique le roman par rapport à l’article et nous sommes renvoyés au problème de l’engagement abordé au sujet du Camarade. Pavese a voulu être un bon militant et entrer dans le parti comme on entre en religion, mais une part de son être le tirait ailleurs et la construction de soi qu’il tentait depuis une dizaine d’années était en contraste avec la praxis marxiste à laquelle il croyait se rallier. Quand Pavese écrit (et il n’est pas question de mettre en doute sa sincérité) dans l’article cité ; « Dans le peuple la solitude est déjà vaincue — ou sur la voie de l’être66 », il permet une interprétation de Corrado qu’il ne se fera pas faute d’exploiter et qui indique une évolution de la solitude à la participation. Mais toute l’œuvre postérieure nie cette participation à autre chose qu’à un destin qui est par définition incommunicable. Corrado, lui-même, s’il entrevoit l’espérance dans l’avant-dernier chapitre :
Je m’arrêtai tout près de l’église, sous le soleil. Dans la lumière et le silence, j’eus une lumière d’espoir. Tout ce qui se passait me parut impossible. Un jour, la vie reprendrait, sûre et immobile comme elle était à cet instant même. Je l’avais oublié depuis trop longtemps. Le sang et le pillage ne pouvaient pas durer éternellement. J’y demeurai un long moment, les épaules adossées à l’église.
Une fille en sortit. Elle se regarda autour (sic), et descendit par le chemin. Pendant un instant elle entra elle aussi dans l’espoir67…
38retrouve la fixité du non temps, et, avant le thrène final :
Qu’allons-nous faire de ceux qui sont tombés ? Pourquoi sont-ils morts ? Je ne saurai pas quoi répondre. Pas pour le moment, du moins. Et je n’ai pas le sentiment que d’autres sauraient. Il n’y a peut-être que les morts à le savoir, et il n’y a qu’eux pour qui la guerre soit finie pour de bon68.
39débusque ce qu’il appelle son illusion et qui est peut-être beaucoup plus :
En somme voilà ce qui fait mon illusion : je retrouve dans cette maison une réalité ancienne, une vie par-delà mes années, par-delà Elvira, Cate. Dino et mon lycée, tout ce que j’ai voulu et espéré en tant qu’homme, et je me demande si je serai jamais capable d’en sortir. Je m’aperçois à présent que, durant toute cette année, et même avant, même au temps de mes maigres folies, d’Anna Maria, de Gallo, de Cate, quand nous étions encore jeunes et la guerre un nuage au loin, je m’aperçois que j’ai vécu dans un simple et long isolement, en de futiles vacances, à la manière d’un gosse qui, en jouant à se cacher, pénètre dans un buisson et se trouve bien, contemple le ciel entre le feuillage, finit par oublier d’en sortir69.
40Cette illusion que Pavese liquide apparemment et qui encadre tout le texte (à la première page on peut lire : « Je dois dire au début de cette histoire d’une longue illusion70… » est la clé qui nous permettra de tenter de saisir l’extrême complexité de ce roman limpide.
41Elio Gioanola a proposé du roman une nouvelle lecture, qui contraste avec les interprétations classiques (roman de la résistance et surtout roman autobiographique) en le rattachant à la théorie pavésienne du mythe. Refusant l’interprétation de Barberi-Squarotti, il découvre une nouvelle métaphorisation, dont la fonction n’est pas de poursuivre une réalité que les phrases caressent sans la révéler, comme dans la Plage, mais d’imposer des images-paradigmes, sortes de morceaux d’absolu qui balisent et structurent le destin des êtres. Ainsi « la colline est la métaphore efficace de l’être, par rapport à la caducité angoissée du faire et du devenir71 »! Il est sûr que, d’entrée de jeu, Pavese, dans une phrase un peu sibylline, impose le motif de la colline ; le livre s’ouvre par ces mots : « Autrefois on disait déjà les collines, comme on aurait dit la ville ou la forêt. J’y allais le soir, quittant la ville qui s obscurcissait, et, pour moi, ce n’était pas un endroit comme un autre, mais un aspect des choses, une façon de, vivre72 » Les pages du journal sont pleines de notations volontairement plus explicites encore où la colline n’est pas seulement un aspect des choses mais la Chose. Qu’il suffise de citer une fois pour toutes deux textes du 9 mars 1947 et du 1er mai 1948 :
Aujourd’hui tu voyais la grosse colline ravinée, le bouquet d’arbres, le brun et le bleu, les maisons et tu disais : « C’est comme c’est. Comme ce doit être. Cela te suffit. C’est un terrain éternel. Peut-on chercher autre chose ? Tu passes sur ces choses et tu les enveloppes et les vis comme l’air, comme une bave de nuages. Personne ne sait que tout est là73. »
Expliqué à M. L. devant la colline — étonnante — que de ne pouvoir rien en faire, d’être contraint à l’admirer et un point c’est tout, me mettait en rogne. L’idée de la posséder, d’en faire ma chose, d’en boire le secret, de l’incarner en moi, je ne réussissais même pas à l’exprimer. Je me suis expliqué par la comparaison avec le fruit : de même qu’un fruit se mange et s’assimile, de même la la colline. Mais, et après ? disais-je ; en attendant il n’y a plus de fruit74.
42On voit comment les collines des langhe, du pays natal, sont devenues la colline et le titre n’est pas la Maison sur les collines. La colline, c’est l’inconscient revu par le souvenir, le moule, un succédané du signifiant lacanien. Peut-être est-ce la raison pour laquelle Barberi-Squarotti refuse de reconnaître dans ce texte le processus de la métaphorisation, car la colline ne renvoie à rien sinon à elle-même. En prolongeant l’intuition de Gioanola, est-il possible de soutenir que la colline renvoie moins à l’être qu’à son absence qu’elle manifeste ? Que « l’être du langage ne soit pas l’être des objets75 », Pavese ne l’a jamais accepté vraiment en dépit d’approches comme : « Tu as soutenu que les formes, les styles, la page écrite sont une autre réalité que la réalité vécue. C’est banal. Mais c’est une nouvelle dimension. Ce n’est pas qu’on n’exprime rien, en écrivant. On construit une autre réalité, qui est, parole76 » Le drame intellectuel de Pavese est d’avoir été arrêté par les grandes figures de ses mythes sur la voie qu’il avait entrevue dès son exorde littéraire. Il s’acharne à retrouver les objets primordiaux, comme si, par une sorte d’idéalisme matérialiste (qu’il reproche à la vision médiévale), il voulait toucher un fond de sa propre structuration ! Entravé, là aussi, par son adhésion militante qui l’entraîne parfois sur la lisière du réalisme, il ne sait pas que la première vigne entrevue ne pourra pas être retrouvée une seconde fois et se graver dans un savoir de la mémoire ; la vigne est perdue à jamais, elle inscrit dans l’inconscient par la lettre du signifiant l’absence, le manque, l’impossibilité de retrouver jamais la vigne. De même pour la colline qui devient à jamais signifiant, parole de l’Autre.
43Ainsi, s’aperçoit-on que le retour de l’identique qui comblerait le désir est impossible, et c’est pourtant le rêve constamment poursuivi par l’auteur. Sa théorie du destin itératif devrait renvoyer au mur des premières expériences, des premières épiphanies ; or, ce signifié-vérité qu’il traque comme constitutif de ses mythes n’est en réalité que le fantasme d’un signifiant qui, au cœur de l’œuvre, ouvre la béance. On voit comment le sens que Pavese accorde à son roman ne peut se manifester que sous le signe de l’ambivalence, car tous les signifiés glissent sur ce qui les constitue : la béance. Ce n’est pas pour rien que Stefano ressemble en cela à Corrado : les états psychologiques les plus contradictoires se succèdent apparemment sans raison, souvent motivés par de simples perceptions, (sortes de voyants des pulsions), qui en disent plus qu’il n’y paraît — à cette différence près que Stefano ne se doute pas qu’il est parlé par un signifiant qui vient d’ailleurs, ce qui le contraint à reconstruire selon les procédés de la métaphore classique un discours de soi. Corrado, lui, sans l’admettre tout à fait, doute de ses propres mythes (son illusion) et subodore qu’ils renvoient à autre chose, à l’Autre. Aussi Pavese, dans ce roman, poursuit-il un sens qui lui échappe d’autant plus qu’il le presse et ne trouve-t-il de solution que dans le recours à la mort qui annule provisoirement jusqu’au signifiant même. Ce récit est le plus limpide de Pavese, non parce qu’il est enfin débarrassé des oripeaux rhétorico-mythiques, mais parce qu’il est sans fond ; les œuvres postérieures ne pourront aller au-delà (et ce n’est pas la faute de Pavese s’il connaissait de la linguistique et de la psychanalyse ce qu’on en savait dans les années 50), elles recommenceront à hanter les coulisses du mythe (Entre femmes seules) ou à y ériger, pour la dernière fois, sa citadelle (la Lune et les Feux).
44En faussant le titre de Gioanola, on peut dire que la poétique de Pavese, dans ce roman, est celle du manque à être. Corrado dépasse le stade de la « colline-plénitude » pour effleurer celui de la « colline-illusion » : ce retour aux langhe en pleine guerre civile, dans la promiscuité journalière des cadavres, n’est pas celui d’un « hésitant, (d) un solitaire qui, à travers ou malgré sa lâcheté, découvre des valeurs ou, pour le moins, a l’intuition qu’il existe de nouvelles valeurs (sens de la mort, humilité, compréhension des autres, etc.)77 » aux dires de Pavese lui-même, mais celui d’un solitaire qui sait que son désir ne sera jamais satisfait : désir de suturer passé et présent, de faire coller les mots d’aujourd’hui aux images perdues d’hier. Qu’on ne puisse éviter l’autobiographie, c’est indéniable, et il est sûr que Corrado est un double de Pavese, mais le miroir du texte renvoie une image pulvérisée. Au début du roman, Corrado, qui parle à la première personne, est au chaud dans sa névrose ; il vit au niveau de l’imaginaire (avec une tendance au délire), le cordon ombilical qui le rattache à l’« être » n’est pas coupé : « On eût dit78 que derrière les rancunes et les incertitudes, derrière l’envie de rester seul, je me découvrais enfant, afin d’avoir un compagnon, un collègue, un enfant (sic), je revoyais mon pays d’ici, celui où j’avais vécu. Nous étions seuls, l’enfant et moi-même. Je revivais mes sauvages découvertes de jadis. Je souffrais, bien sûr, mais dans l’attitude boudeuse de qui ne reconnaît et n’aime pas son prochain. Et je discourais, je discourais, je me tenais compagnie. Nous étions tous deux, seuls79 » Ce n’est pas la première fois que Pavese imagine ce genre de « colloque80 » qui n’est, en fin de compte, que l’image cohérente du « moi » au niveau de l’imaginaire : contact, communion, cohérence, coalescence, tout s’oppose à la découverte progressive de Corrado — déchirure, coupure, écart, division. D’un côté, le plein de l’être qui refuse sa scission, de l’autre, la pulvérisation du stade antérieur au miroir, à la page. Dans ce texte Corrado-Pavese, loin de se retrouver, se perd.
45Dans cette perspective, le problème de la paternité prend tout son sens. Dino, qu’il soit ou non le fils de Corrado, est le fantasme d’un passé irrécupérable, de ce que peut-être il fut, de ce qui peut-être revit de lui dans cet enfant : c’est le signifiant, l’Autre qui est au fondement du désir (« Voilà, disais-je, si je meurs dans cette guerre, il ne restera de moi qu’un enfant81 »). Et Dino lui échappe après avoir feint de suivre ses leçons ; bien plus, sa conversion totale (de son fascisme ingénu à son entrée dans la résistance) laisse Corrado à sa peur immobile : « Dino était un grumeau de souvenirs que j’acceptais, que je voulais, et lui seul pouvait me sauver, mais je ne lui avais pas suffi82. » Ici plus d’illusion comme dans le récit le Colloque de la rivière83, la coupure est radicale, jamais l’adulte ne dialoguera avec l’enfant qu’il fut. On voit que Pavese va au-delà du « mystère » ou du « diabolique » dont il parle dans ses lettres en subodorant quelque chose d’Autre !
46Ce manque n’est pas seulement psychologique : il est aussi manque du « moule » des choses. Plus qu’un roman de la Résistance (et c’est un des plus beaux de la littérature italienne), la Maison sur la colline est le viol de la Colline par la guerre civile. Jusqu’au milieu du livre (chapitre XII), l’Etre est sauf, même si la ville fume et s’écroule, car la Colline n’est pas touchée. Corrado se sent justifié de son besoin de solitude, de son désir de non participation aux avatars, par la guerre elle-même, tant qu’elle est loin. Mais elle s’installe au milieu de l’être et pulvérise le mythe :
Combien de sang, me demandai-je, a déjà arrosé ces terres, ces vignes. Je pensais que c’était un sang pareil au mien, des hommes, de jeunes gars (sic) qui avaient grandi dans cet air, ce soleil, et dont le patois et les yeux étaient aussi opiniâtres que les miens. Il paraissait incroyable que des gens comme ceux-là, qui vivaient dans mon sang et dans mon souvenir clos, pussent avoir subi aussi la guerre, l’ouragan, la terreur du monde. Pour moi, il était étrange, inacceptable, que le feu, la politique, la mort bouleversassent (sic) ce passé qui était le mien. J’aurais voulu tout retrouver comme avant, ainsi qu’une chambre demeurée fermée. C’était pour cela, et pas seulement par vaine prudence, que, depuis deux jours, je n’osais pas mentionner mon pays. J’appréhendais que quelqu’un me dise : « Il a brûlé. La guerre a passé par là84. »
47Il ne peut s’agir que d’une guerre civile, où chacun combat son frère, où le destin ambigu permet des camps interchangeables (Cf. le retournement de Giorgi qui n’est pas seulement un retournement de veste), où chacun combat l’Autre, c’est-à-dire une part de soi-même. L’unité de l’œuvre, d’une précision documentaire de chroniqueur, tient à cette conscience que la tuerie, le meurtre, les combats ne sont qu’autodestruction. Ainsi, dans l’ambivalence profonde du signifié perdu, s’éclaire le viol de tout un peuple et de l’écrivain qui se veut peuple. Comme l’Italie passe de la chute de Mussolini le 25 juillet 1943 à l’installation de la République de Salò, de l’armistice du 8 septembre à la guerre totale, Corrado incite au meurtre des fascistes, tout en refusant d’agir et en se sachant lié au monde qui meurt. Son leitmotiv, « les tuer, leur en faire passer l’envie85 », est balancé par d’autres phrases : « Pour menaçant que fût l’avenir imminent, le vieux monde chancelait, et mon existence était entièrement basée sur ce monde, sur la terreur, la rancune, le dégoût qu’inspirait ce monde86 », ou encore, parlant de Dino : « Père et mère en prison, lui sur le pavé. A qui la faute ? — A nous tous tant que nous sommes, dis-je. On a tous crié d’enthousiasme87. »
48La guerre est bien à un certain niveau, remarqué par toute la critique, la prise de conscience politique d’un groupe (celui des Fontane, avec Cate, Nando, Fosco, Dino, etc.), mais c’est surtout pour le narrateur la crise de la foi dans le mythe. Ce n’est pas pour rien que la métaphorisation appuyée de Par chez nous (par exemple) fait place à de banales comparaisons prises dans la langue de tous les jours : la peur du narrateur dans sa fuite réelle ou imaginaire est toujours associée à l’image du lapin (ou du lièvre), mais dépourvue de suggestions spirituelles. Elle n’entend pas« dire plus » : « Sous le porche, il y avait encore la tache de sang d’un lapin égorgé. “Regardez-ça, dit Otino, nous ferons tous cette fin-là88”. »
49Rien à voir avec l’image sacrificielle du bol de sang avant le meurtre de Gisella. Ici la comparaison est traversée sans qu’elle laisse rien derrière elle qui ne soit banal et atroce à la fois. Pavese, inconscient de ce qui se passe, mais ouvert au discours de l’Autre, ne renonce pourtant à aucun de ses « thèmes » : le sauvage, l’opposition ville-campagne, la limite entre les deux (la barrière, la colline qui a horreur du sexe, etc.) ; mais il les brûle en les disant, car l’essentiel du roman est la révélation qu’il ne peut plus habiter en lui-même, qu’il est expulsé du signifié : « Pour moi, il était étrange, inacceptable, que le feu, la politique, la mort bouleversassent ce passé qui était le mien89 », ou : « Ce n’est point que je ne voie que la guerre n’est nullement un jeu, cette guerre arrivée jusqu’ici qui serre même notre passé à la gorge90. » Or, on le sait, le souvenir, c’est le signifié primordial qui dit une fois pour toutes et par rapport à quoi tout sera répété. Pavese-Stefano, au contraire, dans la Prison, érigeait le jeu en règle d’agir et construisait le texte sur un fantasme ludique.
50Cette fente ou « refente » de l’être, Pavese tente de la souder en faisant appel à fa religion, et ce n’est pas un hasard si la Maison sur la colline est le seul texte narratif affrontant ce sujet tabou91 pour un intellectuel de gauche italien dans les années 50. La crise religieuse proprement dite occupe les années 1943-1944 et le début 1945, puis disparaît en laissant toutefois une empreinte nostalgique dans le journal. L’intérêt pour les problèmes religieux se manifeste au début de 1943 sous la forme de lectures abondamment citées dans le Métier de vivre, en particulier le livre de Chestov : Kierkegaard et la Philosophie existentielle ; mais c’est en 1944, surtout, que l’on peut suivre une expérience personnelle de Dieu dont on ne trouve plus trace dès la fin 1945. Ces dates sont symptomatiques et correspondent au retour de Pavese de Rome à Turin, en septembre 1943, et à la libération définitive du pays (avril 1945). En 1944, les amis de Pavese combattent sur les collines ; il y a ceux qu’il ne reverra jamais plus : le tout jeune Gaspare Paietta, son élève, qui mourut au combat, Leone Ginzburg, qui ne survivra pas aux tortures perpétrées par les fascistes dans la prison romaine de Regina Coeli, Capriolo, le seul ouvrier du groupe, qui sera pendu, Carando, le professeur de lettres, collègue de Pavese, qui sera fusillé (il entretient de lointains rapports avec le Castelli du roman), Giaime Pintor, qui trouve une mort héroïque sur le champ de bataille. Il y a ceux qui reviendront : Cinanni, un autre élève, que Pavese s’empressera d’aller saluer à la libération et à qui il offre un exemplaire de Travailler fatigue avec cette dédicace : « A Paolo, non plus élève mais maître. Affectueusement92 », et Mila, Geymonat, Sturani, Antonicelli, Guaita, Bobbio… Quand Pavese rentre à Turin, il n’y a plus personne, sa maison est détruite ainsi que le siège d’Einaudi, il ne sait où aller et il rejoint sa sœur à Serralunga. Cinanni l’a attendu en vain, puis est entré lui aussi dans les rangs des maquisards. La crise religieuse correspond objectivement, comme le fait remarquer Layolo, à une période de repliement sur soi, d’« involution humaine », si l’on veut, bien qu’il faille se méfier d’un vocabulaire par trop moralisant ; mais ce fut une période féconde en œuvres, et surtout en méditations.
51Or, et il faut le souligner, ce moment de trahison (« Tu n’as jamais combattu, rappelle-le-toi. Tu ne combattras jamais. Est-ce que tu comptes en rien pour quelqu’un93 ? ») fut un moment d’extraordinaire richesse d’où Pavese tirera, à l’exception du Camarade, tout le reste de son œuvre. C’est à cette époque en particulier qu’il théorise sa vision du mythe. Dans un retour doux-amer sur soi, tout empreint du sens du « péché94 », Pavese écrit le 8 février 1946 : « Ces jours-ci (sic), l’année dernière, tu ne savais pas quelle masse de vie t’attendait dans le cours d’une année. Mais est-ce que ce fut vraiment de la vie ? Peut-être la triste et morne promenade à Créa te dit-elle symboliquement plus que tant de personnes, de passions et de choses de ces mois. Certainement, le mythe est une découverte de Crea, des deux hivers et de l’été de Crea. Cette montagne en est toute imprégnée95. » Ce texte est écrit en plein engagement politique de l’auteur. Il vaut mieux ne pas l’oublier.
52L’attitude religieuse de Pavese est essentiellement catholique, on dirait presque romaine. L’accent y est mis très fort sur le péché et la douleur, sur l’humiliation aussi, qui serait la porte de la foi. « On s’humilie pour demander une grâce et on découvre la profonde douceur du royaume de Dieu. On oublie presque ce qu’on demandait : on voudrait seulement connaître toujours ce jaillissement de divinité. C’est là sans doute ma voie pour parvenir à la foi, ma manière d’être fidèle96 » Elle n’est pas sans de forts accents pascaliens avec une absence de taille (comme souvent dans l’Église catholique) : la figure du Christ. « Ce jaillissement de divinité, on l’éprouve quand la douleur nous a forcés à nous agenouiller. A tel point que la première manifestation de la douleur provoque en nous un mouvement de joie, de gratitude, d’attente… On en arrive à se souhaiter la douleur97 », ce qui annonce la note du 2 décembre : « De nouveau l’expérience que l’on désire la douleur pour s’approcher de Dieu98. » Ce masochisme catholique n’est pas sans contradictions à verser à l’immense dossier de l’ambivalence pavésienne : « Un certain type de vie quotidienne (heures fixes, lieux clos, mêmes personnes, formes et lieux de piété) amenait des pensées surnaturelles. Sortir de ce schéma et les pensées s’envolent. Nous sommes tout entiers habitude99 » ; opposé à ceci : « Comment Dieu peut-il exiger les longues humiliations de la prière, les interminables répétitions du culte100 ? » Mais toute la tension religieuse de Pavese débouche sur une illumination : « Le simple soupçon que le subconscient serait Dieu — que Dieu vivrait et parlerait dans notre subconscient t’a exalté. Si tu revois, avec l’idée de Dieu, toutes les pensées ici parsemées de subconscio, voilà que tu modifies tout ton passé et que tu découvres de nombreuses choses. Surtout, la douloureuse recherche du symbole s’illumine d’un contenu, infini101 » La foi a donc une fonction de suture, Pavese recoud indéfiniment une icône déchirée ; non seulement les symboles psychologiques accèdent au rang d’instants d’absolu, mais tout le langage se trouve justifié : Dieu est le maître des mots, c’est lui qui nous parie et qui nous agit. Ainsi la clôture est-elle parfaite : enfermé dans son cercle magique de mots le poète sait à quoi il renvoie. Il vit dans une névrose sans faille qui lui permet d’accepter dans la joie l’existence et ses accidents : la douleur ; de rechercher même cette douleur pour retrouver le garant des mots.
53Toute expérience religieuse étant par définition incommunicable, il est vain de vouloir juger celle de Pavese. On ne peut s’empêcher de remarquer toutefois qu’elle élude le Christ et qu’elle l’accule à un narcissisme accru qui a peu de rapports avec la charité telle que la présentent les évangiles. Dans ce château kafkaien, où les portes sont des souvenirs-symboles, Dieu est le dernier recours, l’ultime porte et le maître des clés. Ainsi Pavese poursuit-il sous le travesti religieux la construction d’un « moi » imaginaire que l’autre discours de la Maison sur la colline réduit en poudre, mais qui continuera au-delà du roman comme une secrète nostalgie : « Ce sentiment snug de l’hiver 44 (décembre), ce recueillement dans une pièce, entre l’odeur de la cuisine et la fenêtre embuée devant les collines neigeuses — ces retours des collines en goûtant à l’avance la tiède paix — reviendra-t-il encore ? Et les pensées de tranquille lecture spirituelle, l’espoir d’une paix suprême, qui était la même que celle de la cuisine, ne manquaient pas non plus102. » La foi en Dieu s’en est allée, si elle a jamais existé, mais il en reste la forme, cette paix qu’une certaine discipline et clôture permet d’atteindre.
54C’est la raison pour laquelle Corrado, Mommina et tant d’autres personnages de Pavese voudraient se faire religieux : entrer en prêtrise, c’est entrer (pour eux) dans un moule de paix ; à ce niveau, l’église n’est qu’une métaphore atténuée de l’ataraxie totale : de la mort. Mais Pavese n’accepte pas en lui sans résistance cet instinct de mort, et tout le résidu de la problématique et de l’expérience religieuses des années 44 passe dans le roman sous une forme ambiguë : « Prier, entrer dans une église, pensai-je, c’est vivre un moment de paix, renaître dans un monde où le sang ne coule plus103. » Prier, c’est se retrouver soi-même, par une discipline purement formelle en effaçant l’histoire, mais aussi en refusant le langage de l’Autre, puisque la prière colmate la brèche de l’être. « J’aime ma sœur (Maria) », écrit-il dans une lettre à une amie, « parce qu’elle se lève chaque matin à l’aube et passe à l’église et elle n’y croit pas, mais elle s’abandonne un moment, et puis c’est un devoir, une chose rigide et juste qu’on doit faire104 ». Pavese saute une fois encore du contenu (Dieu, la douleur, etc.) au contenant (l’habitude, le devoir, etc.) et il admire sa sœur d’avoir érigé le vide en règle d’action : c’est d’ailleurs ce qu’il a déjà fait ou qu’il fera encore, mais, dans le cas qui nous occupe, Corrado ne réussit pas à éliminer le remords : « L’expérience du danger nous rend tous les jours un peu plus lâches105 » ; car entrer dans une église, c’est fuir le réel, la tuerie, la guerre, le sang. Corrado, en effet, a conscience que sa prière est un acte d’anéantissement. La force de Pavese, dans ce roman, est de lever tous les écrans qu’il reconstruira par la suite. Prisonnier de la vieille ornière du moule, il admire l’attitude de sa sœur mais, dans l’église du couvent de Chieri, Corrado a l’intuition nette de ce que cache sa foi :
Parfois j’entrais tout seul dans la chapelle, me recueillais dans l’obscurité glacée et tentais de prier : la vieille odeur de l’encens et de la pierre me rappelait que ce n’est pas la vie mais la mort qui importe à Dieu. Pour toucher Dieu, pour l’avoir avec soi — je raisonne comme si j’avais été croyant — il faut avoir déjà renoncé, il faut être prêt à répandre le sang. Je pensais à ces martyrs qu’on étudie au catéchisme. Leur paix était une paix d’outre-tombe, ils avaient tous répandu le sang. Et c’était bien ce que je ne voulais pas106.
55Répandre le sang, ici c’est répandre son sang, c’est entrer dans la théorie des martyrs de l’histoire comme Cate, Fonso, Nando, etc., arrêtés et déportés. Padre Felice interprète le désir de Corrado en refusant l’histoire et en décrétant que la guerre ne compte pas à Chieri, que la campagne a besoin d’engrais et non pas de bombes, que le temps n’existe pas, mais que seules émergent les saisons, cadence de l’absolu, rythmées par la liturgie catholique qui « suit l’année et reflète les travaux des champs107 ». Pour Pavese, la guerre est au contraire un contre-langage.
56Cette prière d’un athée introduit directement à la mort ; elle est l’ultime substitut du mythe incapable de ressouder l’être, d’effacer la barre qui sépare définitivement le conscient de l’inconscient. Elle est la voix du vivant qui se pense comme mort, elle ne peut déboucher que sur le sacrifice de soi. Tout le dernier chapitre du roman est en équilibre sur une dialectique subtile de la névrose subodorée et du sacrifice nécessaire. D’un côté, retrouver le souvenir clos, hors du temps, dans des images qui échappent à la guerre, de l’autre, être mort avec les morts : sortir à jamais des limites de l’être. De même que Dino, la guerre, ici, parle à Corrado le langage de l’Autre ; le texte s’achève sur une double absence, sur la réitération du manque : pourquoi les mots sont-ils morts ? Seuls les morts le savent peut-être. Ce texte qui finit dans l’impossibilité de la parole postule un dernier mythe : un voyage aux inferi, comme les héros mythologiques ; il anticipe en ce sens l’ultime lettre à Layolo du 25 août 1950 : « Je ferai mon voyage dans le règne des morts108 », car c’est peut-être là seulement qu’on peut devenir « quelqu’un », une absence parlante, « il faut attendre des années, il faut mourir, puis une fois mort, si tu as de la chance, tu deviens quelqu’un109 ».
57C’est la première fois que Pavese dévoile dans un texte l’insuffisance de l’ordre imaginaire et laisse entrevoir ce qu’on appelle, après Lacan, le symbolique. Cette interprétation (inadéquate, nous le verrons, pour la Lune et les Feux) ne fait en somme que reprendre les vieux thèmes autobiographiques qu’elle n’annule pas, mais elle ébranle leur autorité de signifiés pour laisser entrevoir le jeu de pulsions à l’œuvre dans le langage et qui ouvre sur l’absence structurante du signifiant.
Notes de bas de page
1 Fuoco grande, Torino, Einaudi, 1959, pp. 105 ; seuls les chapitres impairs sont de Pavese, les autres de B. Garufi. Ce roman fut écrit du 4 février au 6- ?-1946. Cf. aussi le témoignage des lettres à B. Garufi, Lettere, II, op. cit., pp. 58-60-61-62. Des extraits de ce récit ont paru en France, traduits par P. L. Thirard, dans les Lettres Nouvelles, mars-avril 1960. Il Compagno, Torino, Einaudi, 1947, écrit du 4 octobre au 22 décembre 1946, pendant une pause dans la composition des Dialogues avec Leuco, traduit par Pierre Laroche : le Camarade. Paris, Gallimard, 1968. p. 234.
2 Pavese publia les neuf poésies sous le titre La terra e la morte dans la revue Le Tre Venezie de Padoue XXI, (1947). fasc. 4-5-6. Après sa mort, elles furent incluses dans le volume Viendra la mort et elle aura tes yeux. (Cf. la note critique de l’excellente édition des poésies préparée par I. Calvino : Poesie edite e inedite, op. cit., p. 222). En français on pourra lire ces poésies dans l’édition bilingue : Cesare Pavese. Poésies II. La mort viendra et elle aura tes yeux, suivi de Poésies variées, op. cit., pp. 10-37.
3 Le Métier de vivre, op. cit., p. 253 (8 février 1946).
4 « En général, tu dois garder présent à l’esprit que, pendant les années 43-44-45, tu es né de nouveau par l’isolement et par la méditation (en fait, tu as théorisé et vécu alors ton enfance). C’est ainsi que s’explique la saison ouverte en 46-47 avec Leuco et le Camarade, et puis le Coq, et puis l’Été, et puis la Lune et les Feux, et etc., et etc. » in le Métier de vivre, op. cit., p. 312.
5 « Ce petit poème fut l’explosion d’énergies créatrices bloquées depuis des années (41-45), non assouvies par les « fragments » de Vacances d’août et excitées par les découvertes de ce journal, par la tension des années de guerre et de campagne (Créa) qui te rendirent une virginité passionnelle (à travers la religion, le détachement, la virilité) et saisirent l’occasion à la fois de la femme, de Rome, de la politique et de la prégnance Leuco » in le Métier de vivre, op. cit., p. 312.
6 Le Métier de vivre, op. cit., p. 166.
7 Cf. Deux poésies à T., Poésies II, op. cit., pp. 213-217.
8 Appunti sulla lingue di Pavese lirico, in Ricerche sulla lingua poetica contemporanea. op. cit., pp. 296-313 ; cf. aussi les articles de Marziano Guglielminetti, Racconto e canto nella metrica di Pavese, et de Marco Forti, Sulla poesia di Pavese, in Sigma, op. cit., pp. 22-33 et 34-48.
9 Nous citons dans la traduction de Gilles de Van, tout en remaniant quelque peu le cas échéant, Poésies, II. op. cit., p. 14.
10 Ragioni di Umberto Saba, Solaria, 1928. no 5, p. 29.
11 « Astarté-Aphrodite-Mélité dort », le Métier de vivre, op. cit., p. 250 (27 novembre 1945) et même date : « Aphrodite est venue de la mer ». p. 251.
12 Poésies II. op. cit., p. 27. On appréciera le rythme de berceuse et de ritournelle sur le texte italien (mélange de vers de 6 et 7 pieds).
13 Ibid., p. 25. « Tu ne sais pas les collines… ». Ibid., p. 35. « Et nous lâches alors… »
14 Poésies, II, op. cit., p. 25.
15 Lettere, II. op. cit., p. 58 ; Gallimard, p. 344.
16 L’expression est de Benjamin Crémieux.
17 Cf. Mondo, op. cit., p. 82.
18 Fuoco grande, op. cit., p. 67.
19 Ibid., pp. 80-81.
20 Cf. les remarquables notes pavésiennes écrites du vivant de l’auteur in Occasioni e valori della letteratura contemporanea, Cappelli editore, 1967. Nous pensons particulièrement au rapport établi par le critique entre les Dialogues avec Leuco et le Camarade. p. 173 (jugement de 1948).
21 In Pavese, Nuova Italia, Il Castoro, Firenze (1re édition 1969), 3e édition 1971, p. 86.
22 « P. (avese) n’est pas un bon communiste… On parle partout d’intrigues. Louches manœuvres et ce seraient les propos de ceux qui te tiennent le plus à cœur » (15 février 1950), in le Métier de vivre, op. cit., p. 318.
23 L’expression est de Vittorini.
24 Davide Layolo, le Vice absurde, op. cit., p. 32. L’annotation de Pavese est la suivante : « 18 décembre 1922. Souviens-toi massacre de Turin (Brandimarte). Faubourg de Nizza, Les morts : Berruti, Fanti, Chiolero, Massaro, Tarizzo, Andreoli, Becchio, Chiotto (un jeune communiste), Mazzola, Quintaglie. A cette époque-là, j’avais douze ans ».
25 L’ébauche Fedeltà, 2-13 octobre 1938, anticipe directement le Camarade. Bien qu’aucune allusion politique ne transparaisse, un indice marque le lien secret avec les thèmes politiques : l’ami d’Amelio ne se nomme pas encore Pablo, mais Garofalo, premier nom de Stefano (le « héros » de la Prison), Racconti, op. cit., pp. 251-263. Il capitano (février 1941), inachevé, ibid., pp. 278-287. Il gruppo (6-8 novembre 1941), inachevé, ibid., pp. 384-386. Il fuggiasco (13 septembre-7 octobre 1944). ibid., pp. 504-509, utilisé dans la Maison sur la colline, Lavorare i un piacere (26 février 1946, publié dans L’ora del popolo, 18mars 1946), ibid., pp. 512-514.
26 Racconti, op. cit., p. 514.
27 Ritorno all’uomo, in Letteratura americana e altri saggi, op. cit., pp. 217-219, non traduit (publié dans l’Unità du 20 mai 1945).
28 Ibid., p. 217.
29 Leggere in Letteratura, op. cit., pp. 221-224.
30 Di una nuova letteratura, in Letteratura… op. cit., pp. 241-244 (publié la première fois dans Rinascita, mai-juin 1946; date du manuscrit : 26 juin 1946).
31 Di una nuova letteratura, in letteratura… op. cit., p. 243.
32 Ibid., p. 243.
33 Ibid., p. 244.
34 L’influsso degli eventi (L’influence des événements), in Letteratura. op. cit., p. 248.
35 « Je ne m’occupe pas du réalisme socialiste que j’attends de juger sur pièces », ibid., p. 246.
36 Dialoghi col compagno, in Letteratura… op. cit., pp. 249-262.
37 Cf. la lettre de Thomas Mann citée par E. Falqui in Novecento letterario italiano I. Vallecchi, Firenze, 1970. pp. 674-675.
38 Ce qui lui permet d’ailleurs de sauver la revue anti fasciste la Cultura, menacée de mort.
39 Cité par Gioanola. Cesare Pavese. op. cit., pp. 290-291.
40 Stufo.
41 Le Métier de vivre, op. cit., p. 290.
42 Pierre Laroche s’en est tiré avec honneur en substituant l’argot ou le langage familier au dialecte ; il lui était impossible de faire sentir les tournures syntaxiques propres au piémontais. Le seul roman de Pavese bien traduit
43 Une expression piémontaise, calque du français, comme pigliati guardia (« prends garde ») n’est pas directement perceptible à un italien (toscan) qui dit stai attento : il faudrait citer mille exemples.
44 Pourtant la Maison sur la colline a aussi été dictée à la même personne, mais le résultat est totalement différent. Dans ce dernier cas, le style coule dans une diction nostalgique la tension de l’imaginaire.
45 Cf. Lettre à Aldo Carosci (1er septembre 1947), in Lettere. op. cit., p. 158.
46 L’édition française a ajouté Par chez nous, publié à part et n’obéissant pas à la môme problématique
47 Cf. Racconti, p. 504-509.
48 Ibid., p. 288-324.
49 Toutefois dans une ébauche de nouvelle des années 42, le Capitaine (cf. Racconti. p. 278-287), il est fait allusion à des conspirateurs anti-fascistes.
50 Layolo, op. cit., p. 292.
51 Racconti. op. cit., p. 312.
52 Contrairement à ce qu’affirme Mollia, op. cit., p. 76. Car les dénégations de Cate sont toutes ambiguës et renforcent le soupçon de paternité plutôt qu’elles ne l’éliminent.
53 Racconti, op. cit., p. 307. Cf. deux notations identiques dans le Métier de vivre, op. cit., p. 131 (30 juillet 1939) et p. 232 (22 mai 1944).
54 Sigma., p. 186.
55 Lettere, 14. op. cit., p. 340 ; Gallimard, p. 381.
56 Lettere, II. op. cit., p. 462 ; Gallimard, p. 391.
57 Ibid., p. 467 ; Gallimard, p. 393.
58 Mes comptes avec l’école, Einaudi, 1965. pp. 251-263.
59 Lettres, II. op. cit., p. 467.
60 Ibid., pp. 490-91 ; Gallimard, p. 396.
61 Ibid., pp. 496-7.
62 Ibid., p. 373.
63 Ibid., p. 388.
64 Le Métier de vivre, op. cit., p. 281.
65 Maintenant in Letteratura americana e altri saggi. pp. 217-219 - rappelé dans le Métier de vivre. 5 mars 1948 op. cit., p. 285.
66 Letterature americana, op. cit., p. 218.
67 La Maison sur les collines (sic), in Avant que le coq chante, op. cit., p. 323. La traduction n’est guère heureuse : « lumière d’espoir » ne rend pas idea di speranza et ne fallait-il pas traduire ici par « espérance » ? Sans parler de l’inopiné « elle se regarda autour ». « j’y demeurai » et de « fille » qui ici est évidemment « jeune fille ».
68 Ibid., p. 327.
69 Ibid., p. 326.
70 La Maison sur la colline, op. cit., p. 202.
71 Elio Gioanola, op. cit., p. 310.
72 La Maison sur la colline, op. cit., p. 201.
73 Le Métier de vivre, op. cit., p. 268.
74 Le Métier de vivre, op. cit., p. 287. M. L. est sans doute Maria Livia Serini employée chez Einaudi et à qui Pavese a dicté tant la Maison sur la colline que le Camarade.
75 Lacan. Ecrits, le Seuil, p. 627.
76 Le Métier de vivre, op. cit., p. 269 (15 mars 1947).
77 Lettere, II. op. cit., p. 496 ; Gallimard, p. 399.
78 Le traducteur a omis de traduire la phrase d’introduction de la période citée : « En ce temps-là, je commençais à me complaire dans mes souvenirs d’enfance ».
79 La Maison sur la colline, op. cit., p. 204.
80 Il colloquio del fiume, in Racconti, op. cit., p. 490.
81 La Maison sur la colline, op. cit., p. 270.
82 La Maison sur la colline, op. cit., p. 305.
83 Racconti, op. cit., p. 490.
84 La Maison sur la colline, op. cit., p. 313.
85 La Maison sur la colline, op. cit., p. 224, qui rappelle ce que Pavese recommandait à son jeune élève Gaspare Paietta : « Souviens-toi qu’on ne peut pas être aujourd’hui un bon Italien si on ne tue pas un Allemand » (rapporté par Layolo. op. cit., p. 279).
86 Ibid., p. 240.
87 Ibid., p. 300.
88 Ibid., p. 322. « Porche » est un contre-sens, il fallait traduire par « arcades ».
89 La Maison sur la colline, op. cit., p. 313.
90 Ibid., p. 326.
91 Layolo est très sévère (op. cit., pp. 283-309). Dans la traduction de Fernandez : Gallimard. 1963, chapitre 14, pp. 187-201.
92 Cf. le témoignage très utile de Paolo Cinanni in I quaderni, op. cit., pp. 16-29.
93 Le Métier de vivre, op. cit., p. 252. Le traducteur écrit « lutter », mais Pavese a employé combattere et nous sommes i quelques mois de la Libération.
94 Cf i propos du péché de Pavese, l’excellent article de Furio Jesi Lettere di Cesare Pavese. Une confessione dei peccati, in Uomini e idee, anno VIII, no 5-6, Septembre-décembre 1966, maintenant in Letteratura e mito. Einaudi. 1968. pp. 179-186.
95 Le Métier de vivre, op. cit., p. 253 « te dit-elle » est ambigu, il fallait traduire par « t’a-t-elle dit ».
96 Ibid., p. 225.
97 Ibid., p. 225.
98 Ibid., p. 244.
99 Ibid., p. 226 (2 février).
100 Ibid., p. 230 (12 avril).
101 Le Métier de vivre, p. 244 (28 décembre).
102 Ibid., p. 311 (5 décembre 1949).
103 La Maison sur la colline, op. cit., p. 282-283.
104 Lettere, II. op. cit., p. 40.
105 La Maison sur la colline, op. cit., p. 290.
106 La Maison sur la colline, op. cit., p. 293.
107 Ibid., p. 301.
108 Lettere, II, op. cit., p. 570 ; Gallimard, p. 429.
109 Le traducteur (la Maison sur la colline, op. cit., p. 246) interprète de cette façon : « Il faut attendre des années, peut-être même mourir avant. Et voilà qu’après sa mort avec un peu de chance, on devient quelqu’un ».
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