Chapitre 6. Sépultures et paysages : le balisage du regard
p. 229-248
Texte intégral
1L’approche archéologique caractérise avant tout les espaces funéraires comme des lieux affectés à l’accueil du corps des morts d’une communauté et les identifie a priori par la présence d’ossements humains, habituellement absents des autres types d’espace. Ils sont également caractérisés par l’intentionnalité des dépôts qui y ont lieu et par le souci « volontaire et positif, d’accompagner le passage du défunt » ; ces espaces sont de natures variées. Nous nous intéresserons ici aux plus communs, ceux que l’on qualifie habituellement de nécropoles, terme qui « désigne aujourd’hui tout ensemble de sépultures antiques »1. En dépit de l’attention croissante dédiée au contexte des tombes, il reste difficile aujourd’hui de reconstituer le paysage des espaces funéraires. Il est vrai que sa connaissance se heurte à des obstacles importants. Sauf exception anecdotique ou poétique, les textes sont silencieux sur le sujet et l’iconographie n’est d’aucune aide : les vases ne représentent pas des paysages, seulement des monuments funéraires isolés, les éléments paysagistes de la peinture antérieure à l’époque hellénistique n’apportant pas d’informations réellement exploitables. Archéologiquement, les niveaux de sol des nécropoles sont rarement mis en évidence, les marqueurs ont été ôtés, le matériel de surface a été longtemps considéré comme erratique et donc hâtivement répertorié, les routes, murets et autres infrastructures sont difficiles, voire impossibles à dater… Par ailleurs, notre connaissance de la propriété des terrains funéraires et du système des concessions est presque inexistante : sont-elles permanentes, cessibles, etc. ? Cependant, les lacunes des sources ne doivent pas déterminer la nature des interrogations de l’historien même si elles limitent le champ des questions susceptibles de recevoir une réponse satisfaisante : les données archéologiques de l’Italie du Sud permettent d’envisager des réponses.
2La documentation que nous a laissée l’Italie du Sud, de l’époque archaïque à la conquête romaine, offre un champ d’investigation qui n’a été que partiellement défriché. En l’état des recherches, il existe une multitude de publications sur les tombes et quelques synthèses sur la planimétrie et l’organisation spatiale des zones funéraires et des espaces péri-urbains où elles se trouvent. Nos réflexions nous ont amené à conclure qu’une confrontation de nos analyses avec les connaissances réputées acquises sur les zones funéraires devait pouvoir permettre de cerner une réalité historique à la fois humble et prégnante : que voyaient ceux qui se rendaient sur une tombe pour honorer un mort et ceux qui traversaient nécessairement les nécropoles pour atteindre ou quitter une cité ? Pour répondre à cette question, nous emprunterons ci-dessous les yeux d’un voyageur antique qui s’approche d’une nécropole puis la traverse, embrassant d’abord dans le champ de son regard un paysage global qui associe des éléments naturels (relief, cours d’eau, mer, rocailles, arbres, etc.) et des aménagements humains (voies, tombes, sanctuaires, murets, maisons, champs et prés accueillants des troupeaux, ateliers artisanaux) avant de découvrir ses éléments funéraires constitutifs (marqueurs, offrandes, plantes…).
Le paysage funéraire général
Tombes isolées, tombes regroupées : les sépultures dans le paysage
3Dans son cheminement d’une cité à une autre, le voyageur avait l’occasion de voir sur sa route des tombes isolées, puis de plus en plus nombreuses à l’approche de sa destination. Finalement, il traversait des nécropoles plus ou moins vastes et denses regroupant quelques sépultures dans les petites agglomérations, des centaines dans les cités importantes2.
4Parce que les paysages ont un sens pour qui les regarde, le voyageur les repère ou suppute leur existence bien avant de les atteindre : sa culture acquise depuis l’enfance et son expérience lui ont appris à voir des balises qui lui indiquent l’existence d’un espace funéraire. Pour utiliser les concepts des géographes3, on parlera de signaux, des signes culturels codifiés, et d’indices : des objets naturels et anthropiques dépourvus de sens funéraires en eux-mêmes, mais que la culture visuelle et l’expérience permettent de lire comme potentiellement significatifs comme un croisement, la courbe d’une rivière, le sommet d’une colline, un cyprès isolé, un bosquet d’arbres, etc. Repérer les signaux est relativement aisé dans la mesure où ils sont textuellement ou archéologiquement documentés, repérer les indices est plus délicat puisque cela suppose que l’on partage la culture intime du spectateur, une culture que l’archéologie seule ne permet pas d’envisager4.
Le poids de l’histoire
5La première rencontre qu’un voyageur fait avec les habitants d’un centre habité survient non avec les vivants, mais avec leurs prédécesseurs. Le nombre des tombes lui permet de jauger l’importance de l’agglomération et la richesse de sa société, l’organisation spatiale l’informe sur ses structures territoriales, l’ensemble lui fournit des informations sur son histoire et ses usages.
6Selon certains chercheurs, le terrain dédié aux nécropoles des cités grecques d’Occident pouvait être déterminé rapidement5 et être divisé de la même façon que les lotissements cultivables et urbains6. Nous ne disposons néanmoins pas d’informations sur la façon dont ces lots funéraires auraient été scindés, répartis et transmis au fil du temps. La distribution des terres et des maisons étant parfois inscrite dans un cadastre, celle des aires funéraires a-t-elle pu l’être aussi7 ? Si on l’admet, l’espace des nécropoles pourrait résulter en partie d’une décision publique institutionnellement fondée qui l’intégrerait, comme les parcellaires de la chôra, au découpage régulier du territoire et la soumettrait au contrôle administratif de la cité8. Aux ve-iiie siècles av. n. è., par suite de l’essor de la population et de la croissance des agglomérations et des cités, de nouveaux cadastres se substituent aux anciens et la saturation des nécropoles archaïques nécessite l’aménagement de nouvelles zones funéraires répondant aux mêmes contraintes. Les recherches menées à Pantanello, près de Métaponte, montrent qu’une réglementation officielle régit la délimitation des lots funéraires : pendant plus de trois siècles, à l’exception d’une seule zone, les tombes sont regroupées en groupes de cinq à quarante-cinq, avec une moyenne de vingt, et toutes sont à une même distance de la voie, sauf au sud où elles sont plus proches et sont sûrement plus récentes. À Tarente, certaines zones des nécropoles du ive siècle av. n. è. laissent peu de doutes9. Selon E. M. De Juliis, les lots sont nettement séparés les uns des autres, accompagnés de marqueurs de propriété périssables, et on les distingue des zones de service collectives – où se trouvent par exemple les puits10.
7Dans tous les cas, les choix des cités et des particuliers étaient limités par des contraintes récurrentes, en premier lieu le réseau viaire. En Italie du Sud, une planification de l’occupation et de l’extension de l’espace funéraire est attestée aussi bien en contexte grec qu’en contextes indigènes. On prendra les exemples d’Arpi et Ascoli Satriano fouillés par F. Tiné Bertocchi. Bien qu’aucun marqueur n’ait été découvert à Ascoli, la rareté des perturbations dans l’espace funéraire incite à conclure que celui-ci a été maintenu sur un temps long grâce à une signalisation des tombes. Les fouilles de la zone de la contrada Cimitero Vecchio permettent d’affirmer que la nécropole s’est étendue de manière ordonnée pendant plusieurs générations du vie au ive siècle av. n. è. depuis un noyau ancien. Même lorsque des tombes sont réimplantées à la fin du ive siècle dans la zone la plus ancienne, les tombes précédentes sont respectées11. En Lucanie, on constate que l’espace funéraire se retrouve, d’une certaine façon, caractérisé en négatif par la muraille qui enceint l’espace des vivants et rejette donc celui des morts malgré la présence d’amples zones « vides » intra-muros. Ce phénomène est absent en Apulie, où les tombes sont placées aussi bien dans et en dehors du périmètre fortifié12.
8Si la trace archéologique des routes est rare, la topographie et l’organisation des nécropoles fouillées – même anciennement pour peu qu’un plan en ait été établi et nous soit parvenu – permettent souvent de les repérer. Deux types de voies semblent exister dans les nécropoles : les voies principales qui les précèdent et conditionnent le choix et l’extension du site, et les voies secondaires rendues nécessaires par l’utilisation de la zone. Pour B. d’Agostino, ces voies n’ont pas une simple fonction urbanistique, elles illustrent la nécessité de structurer le monde des morts et de se le représenter de façon logique13. Les zones funéraires se développent la plupart du temps autour des axes de circulation les plus importants qui sont souvent très anciens, plus précisément à la sortie des villes ou aux carrefours majeurs14. La disposition des tombes résulte de la configuration de la voirie initiale. Si l’on admet que des lots funéraires étaient distribués d’une manière ou d’une autre dans la nécropole, lors de sa création ou de sa réorganisation, on peut imaginer, dans un premier temps au moins, une logique poussée dans l’organisation spatiale de la zone immédiatement voisine des villes : après s’être avancé sur la voie qui mène aux portes de la ville, le voyageur découvre les premiers ensembles de tombes de la nécropole.
9C’est le cas de la nécropole étudiée par D. Elia à Locres : le long d’une importante voie de circulation sortant de la cité au nord15, les fouilles ont mis en évidence des groupements de tombes séparés par des espaces dégagés (fig. 62)16.
10Un dernier exemple serait celui de Medma, où aucun marqueur n’a été recensé malgré l’existence de données, malheureusement trop parcellaires. Le plan très régulier, la rareté des tombes superposées – qui semblent l’avoir été volontairement car elles sont peu éloignées d’un point de vue chronologique – et la mention dans le matériel pillé de fragments de statues, d’arulae, d’antéfixes et de colonnes incitent bien évidemment à identifier en négatif des marqueurs sur au moins une partie des tombes (fig. 63)17.
11On peut aussi imaginer ce schéma à Héraclée, fondée dans la seconde moitié du ve siècle av. n. è., où les nécropoles encadrent la cité sur trois côtés, près des routes sortant de l’enceinte18.
Limites, circulation et divisions internes
12La spécificité du lieu des morts engendre une structuration de leur espace. Que ce soit en pleine campagne, aux carrefours ou dans les zones péri-urbaines, il est peu probable que le voyageur perçoive une limite stricte entre aires des vivants et aires des morts qui, a priori, ne sont pas linéairement matérialisées et ne s’imposent donc pas à la vue du passant19. Celui-ci identifie cependant bien la nature des lieux où il évolue parce qu’il voit non seulement des monuments funéraires et des offrandes, mais aussi des enceintes, des murets et des haies susceptibles de matérialiser la division des lots, et des allées permettant la circulation interne.
13En l’état de la question, rares sont les enceintes funéraires attestées en Italie méridionale aux ve-iiie siècles av. n. è. ; celles que l’on connaît se situent principalement en contexte indigène20. À Vaste, par exemple, alignées le long de la rue traversant l’acropole, des tombes appartenant à une catégorie moyenne de la population messapienne des ive-iiie siècles av. n. è. sont bordées par des enceintes funéraires accompagnées de bases d’autels ornées de petits reliefs21.
14Une fois la nécropole implantée et ses premières tombes installées, des allées secondaires doivent être tracées pour atteindre les tombes les plus éloignées de la route principale22. Internes à la nécropole, elles ne se poursuivent pas au-delà de ses limites. Cette circulation secondaire confère une importance spécifique aux marqueurs : parce qu’elles sont éloignées des axes principaux et atteignables seulement par des allées mineures peu fréquentées, les tombes placées à l’arrière doivent être rendues visibles par un marqueur pérenne. Cependant, distinguer les murets d’enclos funéraires de ceux qui ont une destination prosaïque et profane (consolidation des pentes, soutènement des terrasses, protection de la divagation des animaux) est délicat d’autant plus qu’un muret peut être polyvalent.
15À Poseidonia, à une dizaine de mètres au sud-est des murailles, sur le chemin d’importants sanctuaires, la nécropole de Licinella fouillée en 2000 regroupe une soixantaine de tombes disposées en groupes séparés d’espaces archéologiquement vierges. Un système identique est en place dans la nécropole d’Andriuolo (fig. 64)23. Le matériel a permis de dater ces tombes de la fin du ve siècle au début du iiie siècle av. n. è. Les fouilles ont mis en évidence un segment de quelques mètres d’une route orientée nord-est/sud-ouest24. Il s’agit d’une voie secondaire raccordée à la route sortant de la cité via sa porte occidentale, qui explique la présence d’une nécropole en ces lieux. Cette voie perd sa qualité d’axe de circulation indépendant de la nécropole peu de temps après son établissement à la fin du ve siècle : à cette époque en effet, plusieurs tombes la recoupent et la distribution spatiale est perturbée par de nouvelles sépultures. La publication des fouilles souligne l’extrême régularité avec laquelle les tombes sont disposées et l’existence de groupes plus ou moins circulaires ; tout indique une réelle volonté de respecter les sépultures préexistantes – liées à des installations extra-urbaines25. Cette mutation était nécessairement accompagnée d’une signalisation attentive des tombes.
16Quand peu de recoupements sont mis en évidence, la distribution topographique des tombes est l’indice d’une signalisation en surface26. Il convient de souligner le danger d’anachronisme qu’engendre notre expérience des cimetières contemporains. Nous avons tendance à imaginer le contour des fosses dessiné sur les plans matérialisés en surface et donc visibles dans le paysage nécropolaire. Or, si c’est parfois le cas, nous y reviendrons27, les dalles ou enclos antiques ne marquent pas en surface l’espace occupé par les cercueils déposés dans le sous-sol comme c’est parfois l’usage aujourd’hui. La présence des marqueurs est donc indispensable à la gestion de l’espace et transparaît nécessairement dans le plan des nécropoles. S’il est permis de chercher une référence visuelle dans les mondes contemporains, il est pertinent d’évoquer les cimetières militaires ou certains cimetières protestants dans lesquels seuls les marqueurs permettent d’identifier le nombre de tombes et leur emplacement, comme on peut le voir par exemple dans les cimetières de Chasseneuil-sur-Bonnieure (fig. 65) ou de Papineauville, au Québec (fig. 66)28.
17Les nécropoles tumulaires constituent un cas particulier. Dans Les Lois, Platon incite à faire des économies en plaçant les tombes près d’un tertre identifié et prestigieux. Le cas de Pithécusses montre que la circulation pouvait être complexe en raison du volume des tumuli et d’un fort phénomène d’agrégation. Il est peu probable que des axes de circulation du type route y aient été implantés ; on peut en revanche imaginer des cheminements qui, à force d’être empruntés, ont marqué le terrain.
L’eau qui sépare, l’eau qui purifie
18À notre connaissance, quoique mentionné dans les études sur les rites funéraires, le rôle de l’eau dans la topographie funéraire n’a guère été souligné. L’élément aquatique est pourtant omniprésent : cours d’eau, puits, fontaines, vases de toute sorte… délimitent, organisent et définissent les aires des morts. Sous toutes ses formes, l’eau fait partie du paysage funéraire. Dans le monde grec comme dans de nombreuses civilisations, le cours d’eau est considéré comme une frontière29. Le Styx, dans la géographie imaginaire, et l’eau des vases à libation, dans le système métaphorique, sont emblématiques des relations symboliques que les Grecs établissent entre l’au-delà et l’eau.
19En Grande Grèce, dans plusieurs cités, les nécropoles sont installées de l’autre côté d’un cours d’eau : à Locres, un cours d’eau documenté par la paléohydrographie marque la séparation entre la ville et les grandes nécropoles de Parapezza et Lucifero ; à Poseidonia, c’est le Fiumarello au nord et le Capodifiume au sud qui jouent ce rôle ; à Thourioi aussi, au moins une partie des tombes sont au-delà d’une rivière. On constate la même situation à Caulonia, ou même à Sélinonte en Sicile (pour la nécropole ouest). Étant donné les conditions historiques de la fondation de la plupart des cités, celles fondées à partir du milieu du viie siècle av. n. è., on peut estimer que ce choix n’est pas un hasard, mais le résultat d’une planification réfléchie. S’il est impossible d’affirmer que les cours d’eau ont été déterminants dans la structuration des espaces des vivants et des morts, ils jouent un rôle important dans l’imaginaire30. Frontière entre la cité et la chôra, entre la cité des vivants et celle des morts, ils matérialisent une frontière à la fois réelle et conceptuelle. Comme incitent à le penser les représentations, leur franchissement peut être un passage métaphorique du Léthé pour rejoindre les Enfers et entraîne des conséquences pour les morts et les vivants31. Lors des rituels, les survivants accompagnent le défunt jusqu’à sa nouvelle demeure, sur l’autre rivage, puis s’en reviennent dans la cité des vivants, souillés32. L’eau, de mer ou douce, sert alors pour laver et purifier la maison du défunt et les personnes33. Le mort, lui, ne franchira plus jamais le pont aux portes de la ville, il ne fait plus partie de la cité, car la tombe est au-delà des murs et du cours d’eau. Son franchissement, le passage d’une rive à l’autre, est le signe visible de ces transformations, du changement de sociabilité des acteurs des funérailles. Les rivages et l’eau donnent une solution face à l’inconnu, permettent d’imaginer un ailleurs rassurant et d’expliquer l’impossibilité de le connaître.
20Le rôle des sources et des fontaines est plus assuré. Les rituels funéraires pratiqués sur la tombe impliquent l’utilisation de l’eau : des aspersions et des libations devaient avoir lieu au cours de la période suivant le décès, puis de façon épisodique par la suite. L’eau est une interface entre les défunts et leurs survivants, les rituels impliquant de l’eau en sont d’ailleurs un symbole ; l’eau passant d’un monde à l’autre lorsqu’elle est versée sur la sépulture, les vases libatoires signifient l’impossibilité d’établir une communication normale avec le défunt, mais n’en sont pas moins un moyen d’interaction. Cette symbolique se retrouve dans la forme des marqueurs et le répertoire décoratif : la mise en place de vases à eau comme marqueurs pérennise les rites ad aeternam, en les figeant parfois dans la pierre. Ils signifient le nouveau statut du défunt, remplacé par un symbole à la fois funéraire, genré et social : l’hydrie est le marqueur d’une femme, le louterion celui d’une femme morte avant son mariage. L’hydrie en marbre de Locres où figure une scène d’adieu est symptomatique du lien entre le monde funéraire et l’eau34. Il faut par ailleurs rappeler que l’orphisme, auquel nous avons plusieurs fois fait référence, notamment dans le cas des tumuli de Thourioi, fait de l’eau un élément fondamental pour garantir l’immortalité35. Dans tous les cas, pour mener à bien les rites de purification, remplir les hydries… il est indispensable que l’accès à l’eau soit commode. La présence d’une source accessible, d’un puits, d’une fontaine ou d’une voie menant à l’eau a pu être un critère pour décider de l’emplacement des nécropoles et des tombes. À Tarente, on constate dans certaines zones la présence de canaux36 : traversaient-ils la nécropole ou avaient-ils pour fonction d’y établir un accès à l’eau ?
21Parce qu’elle cache ce qu’elle recouvre, l’eau inquiète37. Elle est l’habitat de monstres aquatiques et souterrains associés au domaine funéraire : le taureau Achéloos se bat avec Hercule sur les tombes d’enfants, le monstre Scylla développe ses queues en spirales le long des toitures des naiskoi... Qu’ils soient ici pour protéger le défunt, pour signifier aux vivants qu’ils ne peuvent franchir la porte de la tombe et pénétrer dans l’au-delà, ou pour rappeler la peur de l’inconnu que représente la mort, ces monstres aquatiques hantent les rivages et participent de l’imaginaire funéraire (fig. 67).
22Pendant que les survivants reviennent à la normalité, le défunt affronte des épreuves liées à l’eau. Les textes des lamelles orphiques évoquent des sources, un lac et une rivière sur l’itinéraire que doit suivre le défunt. Dans l’un, on lit « ne t’approche pas davantage de cette source marquée d’un cyprès blanc, mais plus en avant tu trouveras le lac de Mémoire », dans l’autre il est conseillé au défunt de préférer l’eau de « la source de droite » – alors que dans d’autres textes, c’est celle à éviter38.
23L’emplacement de la nécropole aux portes de la cité en fait un lieu de passage, les tombes ne sont pas isolées et loin des vivants, elles sont à portée de vue et placées dans un cadre qui imite celui des vivants : rues, fontaines, murets... La hiérarchie sociale est d’ailleurs elle aussi respectée dans l’au-delà. Lorsque les vivants se rendent dans la chôra en traversant le fleuve, ils passent d’un rivage à l’autre pour entrer dans la cité des morts. Il s’agit soit d’un passage obligé pour se rendre hors de la ville, soit de la destination. Le cours d’eau figure une frontière, mais ne constitue pas pour autant une limite hermétique car on peut voir au travers de sa surface. L’eau n’est ni un mur ni une porte, plutôt une fenêtre, une zone poreuse qui permet d’entrevoir. Dans les sociétés plus récentes, en Occident, les tombes sont au contraire généralement placées dans des zones à part, et faciles à identifier en raison des murs qui les entourent39. Les morts et les vivants sont séparés, seuls les vivants qui le souhaitent côtoient les tombes puisque la nécropole est sans-issue : le mur a remplacé le fleuve, et limite de façon bien plus stricte les interactions.
L’artisanat
24Dernier élément du paysage funéraire, les boutiques des artisans et des commerçants. Leur implantation aux abords des cités tient largement aux exigences d’hygiène, de confort et de productivité – bruyants et malodorants, leur approvisionnement en matières premières est facilité par leur relation directe avec la campagne –, mais elle est aussi en partie liée aux tombes dont elles sont voisines. La proximité des quartiers artisanaux et des nécropoles, notamment à Locres ou Métaponte, est notable ; le cas du Kerameikos à Athènes est éloquent. Le matériel retrouvé dans les tombes et à leur surface permet d’imaginer que les artisans (potiers, tailleurs de pierre, marbriers) produisent et vendent une partie de leur production aux familles des défunts pour un usage funéraire. Construites en matériaux solides ou en bois, leurs échoppes doivent appartenir au paysage funéraire. De même que l’on se rend aujourd’hui près d’un cimetière pour acheter des objets destinés aux tombes (plaques, décor tombal, fleurs), les Grecs savaient qu’ils trouveraient certains artisans à proximité des nécropoles.
Du paysage funéraire à la tombe individuelle
25Les représentations de monuments funéraires sur la céramique apulienne incitent à émettre l’hypothèse que l’espace des nécropoles était occupé par un ensemble d’objets et installations liés aux rites pratiqués auprès des tombes : marqueurs, offrandes d’objets, de nourriture, de végétaux, de liquides, vestiges de banquets, plantations… Leur existence semble indissociable de celle des marqueurs. Le voyageur peut donc découvrir l’identité des morts et des familles qui continuent de les honorer, en découvrant leurs traces, les représentations, parfois leurs noms40.
Les marqueurs de tombe
26Ce qui caractérise avant tout l’espace funéraire d’un point de vue visuel, c’est bien entendu la partie visible des tombes : les marqueurs. Ce sont eux que le visiteur voit en premier à l’approche d’une nécropole et qui lui permettent d’identifier la nature du lieu dans lequel il pénètre : quel que soit leur coût, ils sont conçus pour attirer l’attention, parfois impressionner, et distinguer la tombe. Les associations de marqueurs dans une même nécropole peuvent être très variables.
27En ce qui concerne les ve-iiie siècles av. n. è., la majorité des tombes d’Italie méridionale a été découverte privée de marqueur. On pourrait considérer que celles-ci n’étaient pas signalées en surface, mais en réalité, une archéologie du négatif est possible en raison du lien intrinsèque entre marqueur et paysage funéraire. Il est en effet possible d’utiliser certains plans de nécropoles pour aborder la mobilité dans les zones funéraires et prouver que les sépultures étaient signalées en surface. Trois principaux indices sont à reconnaître : les alignements de tombes, l’orientation des fosses41 et les espaces vides42. L’identification des axes de circulation et l’étude du paysage funéraire sont donc indispensables à l’étude des nécropoles. Le cas de Paestum, abordé ci-devant, montre la pertinence de cette approche43 : le même constat peut se répéter dans la plupart des nécropoles, mais il serait fastidieux ici de donner tous les plans plaidant en faveur de cette analyse44.
28Mentionnons également ici la forme de certaines tombes destinée à les faire dépasser au-dessus du sol. C’est le cas des tombes à bâtière, a fisarmonica ou a libro45, a bottino et de certaines tombes a cassa (fig. 68)46. Reprenant les journaux de fouilles de Ferdinanci pour la nécropole méridionale d’Héraclée, G. Pianu avance que ce type de structure y était couramment employé pour marquer les tombes aux ive et iiie siècles av. n. è. Selon lui, les tombes a cappuccina et a bottino dépassaient aux deux tiers du sol, les tombes a fisarmonica et a cassa de quelques centimètres seulement47. Dans les deux cas, c’est la couverture de la tombe qui dépasserait du sol et jouerait le rôle de marqueur. Ces propositions ne sont pas vraiment convaincantes. Pour des raisons sanitaires et pratiques, les tombes devaient être enfouies sous une épaisseur de terre qui en rendait la couverture invisible. En l’absence d’un enfouissement, les cadavres généralement déposés directement sous la toiture en tuiles (entre 20 et 40 centimètres) et non dans un sarcophage auraient rendu les nécropoles pestilentielles en plus d’attirer d’éventuels animaux48. Il est difficile d’imaginer que des zones très fréquentées à la sortie des cités où circulent hommes et bétail soient exposées à de tels risques. On ajoutera que laisser un accès si aisé à une tombe pourrait constituer une incitation au pillage. Par ailleurs, les deux pans inclinés de la couverture des tombes a cappuccina semblent conçus pour supporter une masse de terre importante49. À Locres, les tombes semblent avoir été creusées au moins un mètre en dessous du niveau de circulation, comme l’attestent les amas de pierres utilisés pour signaler certaines d’entre elles50.
29Si nous ne suivons pas G. Pianu, il est néanmoins probable que ces structures volumineuses contribuaient au moins indirectement à la signalisation de la tombe (fig. 68). Plus la structure souterraine est volumineuse, plus la terre excavée puis remise en place constitue une butte visible dans le paysage (un phénomène qui survient quel que soit le type de structure souterraine, à moins que la terre excavée ne soit en partie emportée)51. Ce décryptage semble particulièrement pertinent pour les tombes a fisarmonica. Le financement d’un tel système est assurément plus onéreux que celui d’une simple tombe à caisson en tuiles et devait avoir une fonction pratique bien établie : outre qu’elle est une protection contre le pillage, elle peut avoir eu pour objectif de créer une substructure solide à une sorte de tumulus52. Rappelons également ici la toiture des tombes à fosse de Roccagloriosa en Lucanie, qui étaient peut-être visibles et encadrées par des murets53.
30Enfin, comme le montrent les baux des mines du Laurion, en Attique, les routes, les propriétés, les bornes qui en marquent les limites, et les ateliers, peuvent servir de repères pour identifier les propriétés ou les secteurs pour lesquels la cité vend le droit d’exploitation du sous-sol54. Pour les habitants de la région de Cariati, la colline au sommet de laquelle est située la fameuse tombe monumentale peut être considérée comme une sorte de marqueur : elle inscrit le statut prééminent du défunt dans le paysage et doit en conserver la mémoire dans l’esprit des générations suivantes55. Des repères anthropiques ou naturels peuvent donc permettre de localiser des tombes. Même s’ils ne sont identifiables que par les membres de la communauté du défunt – et ne sont donc pas visibles à nos yeux – on pourrait donc probablement qualifier de marqueurs de tombe des éléments du paysage ou le paysage lui-même : un arbre déjà présent, un rocher, une butte, un creux.
31Le visiteur des nécropoles ou le simple passant traversait donc des zones plus ou moins encombrées de monuments funéraires et de buttes plus ou moins intentionnelles. Si tous les types marquent par définition le paysage, leur forme et leurs dimensions produisent des effets variés : un tumulus monumental ou un naiskos devaient être visibles de loin dans le paysage, alors que la façade d’un hypogée (et le dromos qui l’accompagne) ne peut avoir d’effet sur le visiteur que dans des conditions précises liées à la voirie et à la circulation. La circulation dans la nécropole peut également différer d’un type à l’autre : les dromoi des tombes à hypogée d’Apulie prenaient leur départ au bord de voies de circulations importantes, les façades des tombes de Naples étaient alignées dans une falaise le long de la route, les tumuli favorisent l’agrégation, les colonnes peuvent signaler plusieurs sépultures… Selon la typologie favorisée par la population locale, l’aspect général de la nécropole est donc très différent.
Offrandes et mobilier rituel
32La surface des nécropoles recèle généralement des fragments de vases dont il est difficile de savoir s’il s’agit de marqueurs cassés et séparés de la tombe qu’ils signalaient, d’offrandes laissées en surface, de conduits à libations (tubes ou vases perforés56) ou d’objets et de dépôts votifs remontés à la surface d’une manière ou d’une autre : pillage, mouvement de terrain, érosion…57 Ce constat s’impose en contexte grec, mais également indigène, où conjointement à l’étude des formes et des vases retrouvés dans les tombes il permet d’établir que le nombre de tombes, et de nécropoles, augmente avec le temps58.
33Les arulae sont un autre exemple de ce que l’on pouvait observer en surface : des fragments de ces autels miniatures transportables ont été identifiés à la surface des nécropoles, comme dans certaines tombes59. Ces autels devaient être utilisés lors des cérémonies sur les tombes, puis abandonnés sur le terrain, ou laissés pour les rituels suivants. Ces objets sont parfois, nous l’avons constaté, utilisés comme des marqueurs.
34Les représentations suggèrent la présence d’autres objets, souvent ornés de bandelettes : armes, cistes, alabastra, vases, thyrses, miroirs, grappes de raisin... Il est impossible de savoir lesquels ornaient en réalité les monuments funéraires ; le nombre de leurs représentations sur la céramique pousse à y voir une réalité. Les clous fichés dans les murs de certaines chambres funéraires ou dromoi montrent comment certains de ces objets (notamment les couronnes et les vases) pouvaient effectivement orner les édifices.
Plantes
35Il est indispensable de se poser la question de l’association des plantes, notamment des arbres, avec les sépultures. La nécropole fournit-elle au visiteur un accueil ombragé et hospitalier ou un monde minéral ? À notre connaissance, les données archéologiques n’illustrent pas ce genre de situation en Italie méridionale aux ve-iiie siècles av. n. è. Quoi qu’il en soit, en l’état, les analyses palynologiques ne permettent pas de distinguer une plante intentionnellement installée sur une tombe en guise de marqueur d’une plante poussée naturellement ou semée dans un autre but à une date postérieure à la cérémonie funèbre ou à la phase d’utilisation de la nécropole. Si l’archéobotanique offre donc d’intéressantes perspectives sur le sujet, en l’état de la recherche, l’archéologie ne restitue aucune donnée exploitable dans notre cadre. Il faut donc se tourner vers les sources littéraires et figurées60. S. Saïd relève par exemple des occurrences dans les épopées : sur la tombe de l’Argonaute Idmon a été placé un « rouleau de navire en olivier sauvage » et planté un olivier ; la tombe de Polyphémos est sous les frondaisons d’un peuplier blanc61. Tout en restant très prudents, D. C. Kurtz et J. Boardman parlent d’arbres associés à des tombes, notamment celles de héros. Platon recommande un bosquet pour la tombe des Examinateurs62. Plusieurs épigrammes de l’Anthologie grecque évoquent la présence de plantes sur les tombes, permettant de les identifier dans le paysage63 :
223. Thyillos : La danseuse aux crotales, Aristion, celle qui autour des torches de Cybèle savait rejeter en arrière sa chevelure bouclée, celle qu’emportait le chant de la flûte cornue, celle qui trois fois de suite, savait boire d’un trait des coupes de vin pur, ici, sous les ormes, elle repose. Ce n’est plus de l’amour, ce ne sont plus les travaux des longues veilles qui la charment. Fêtes et folies, adieu, adieu, elle dort ici, sous le feuillage, celle qui jadis de couronnes de fleurs était couverte.
536. Alcée de Mytilène : Le vieillard trépassé n’a pas nourri sur sa tombe la grappe douce de la vigne, mais la ronce et le poirier sauvage suffocant, qui crispe les lèvres des voyageurs et leur gosier altéré par la soif. Cependant, si quelqu’un passe auprès du tombeau d’Hipponax, qu’il souhaite au cadavre de dormir, pour être bienveillant.
714. Anonyme : Je chante Rhégium, promontoire de la marécageuse Italie, qui toujours goûte aux eaux de Trinakiê, parce qu’elle a placé sous le beau feuillage d’un peuplier l’ami de la lyre, l’ami des jeunes garçons, Ibycos, cet homme qui connut bien des voluptés, et parce qu’à foison sur son tombeau elle a répandu le lierre et planté le blanc roseau.
36Des plantes en pleine terre pouvaient donc servir à marquer les tombes, mais il est délicat de savoir si elles pouvaient venir s’ajouter aux marqueurs comme semblent le suggérer certaines représentations. Il ne semble pas permis d’imaginer, à la façon d’aujourd’hui, que des plantes en pot aient été placées sur les tombes. À notre connaissance, il n’existe pas de traces archéologiques de « pots » ayant la fonction de jardinière dans notre cadre64. La question des fleurs coupées placées dans des vases mériterait un approfondissement : tout vase peut être réutilisé à cette fin, un vase rempli d’eau étant en outre plus stable et lourd, donc moins susceptible d’être déplacé ou endommagé par les intempéries ou les animaux. L’iconographie portée par les vases est également une ressource à exploiter : des fleurs, des arbres et des bosquets sont figurés dans et autour des tombes, ainsi que des galets et des rochers. Les plantes représentées ne sont pas liées à une tombe en particulier, comme les marqueurs, mais donnent une vision possible du paysage funéraire global : celui-ci est un paysage naturel arboré. Il faisait écho aux nombreuses palmettes végétales et motifs floraux arborés par les monuments funéraires.
Édifices et structures
37Outre les fontaines déjà évoquées, des constructions plus ou moins modestes peuvent être érigées au sein de l’espace funéraire. Dans son article consacré au naiskos de Roca Vecchia65, J.-L. Lamboley opère une distinction entre marqueur et chapelle funéraire, la seconde n’ayant pas de rapport direct avec une sépulture en particulier. Si à Roca Vecchia il convient finalement de retenir le terme de naiskos, il faut en effet envisager la présence de ce type d’édifice dans les zones funéraires. Malheureusement, les traces archéologiques sont souvent ténues et difficiles à utiliser de manière certaine et, dans le cadre de notre recherche, aucune chapelle funéraire n’est attestée, les marqueurs monumentaux remplissant certainement aussi ce rôle comme le suggèrent les représentations. À Ascoli Satriano, la nécropole est, nous l’avons vu, associée à un espace pavé destiné à des banquets66.
Un paysage complexe auquel l’archéologie doit prêter attention
38En approchant d’une cité – idéale, du moins pour un archéologue – et de sa nécropole, notre pérégrin verrait donc au loin, devant les murailles de la cité67, la masse des marqueurs, se distinguant peu à peu les uns des autres, laissant entrevoir les voies de circulation secondaires et les murets qui les séparent en petits groupes. Une fois dans la nécropole, il pourrait contempler les tombes une à une, du moins leurs marqueurs : naiskos, stèle, vase… et observer les offrandes déposées à leur surface ainsi que les plantations, trébuchant sur un fragment de vase quand il croise une procession. Après s’être arrêté pour profiter de l’eau fraîche d’une fontaine, il reprendrait son chemin jusqu’à la porte de la cité, passant devant quelques ateliers artisanaux. Les espaces qu’il traverse sont des espaces vivants : des odeurs et des sons divers stimulent ses sens, il croise d’autres voyageurs, les proches des défunts, des cérémonies religieuses, des artisans et des commerçants, mais aussi le personnel de la nécropole, occupé à creuser une fosse par exemple, et probablement quelques vagabonds et animaux ayant élu domicile parmi les tombes. L’expérience, quoique quotidienne, ne doit pas être toujours des plus réjouissantes.
39Cette liste non exhaustive montre bien la nécessité de concevoir l’étude des tombes d’Italie méridionale aux ve-iiie siècles av. n. è. et, plus généralement, des espaces funéraires antiques, dans un cadre global. Tous les éléments évoqués sont interdépendants, l’emplacement auprès des voies principales de circulation d’une tombe prestigieuse ou d’une fontaine ayant pu motiver des solutions différentes. Cela montre également la nécessité, lors des fouilles de zones funéraires, de prêter une attention toute particulière aux niveaux de sols et au matériel lors de la fouille des couches superficielles (emplacement, quantité et datation), ceux-ci devant être analysés à la lumière des structures identifiées en profondeur et du contexte général68.
Notes de bas de page
1 Sur la définition de ces espaces, voir Bérard 2016.
2 La Genière 1993, p. 90. Difficiles à repérer, souvent pillées ou détruites, les tombes isolées sont mal connues. Elles devaient être relativement fréquentes dans le monde rural, mais aussi en marge des nécropoles et leur isolement peut être le signe soit d’une relative pauvreté, soit au contraire d’une volonté de se distinguer des autres.
3 Brunet, Ferras et Théry 1992.
4 Les paysages funéraires sont de plus rarement patrimonialisés : après la fouille, peu de traces subsistent. Le cas de Tarente est particulièrement intéressant et éloquent, voir à ce sujet Costanzo 2016.
5 Lerosier 2022, § 7.
6 Elia 2010, p. 339-341 ; Lepore 1973.
7 Un tel phénomène est peut-être illustré par la redistribution des terres attestées par les lois à Himère (Brugnone 2005). Voir aussi Colivicchi et al. 2004, p. 205 ; Guzzo 1988, p. 501-502 ; Elia 2010, p. 339.
8 À Locres, il est avéré que la cité (au travers des fratries et de fonctionnaires notamment) gérait le territoire selon des codes écrits et sur la base de registres (Costabile 1992). Une caractéristique qui a dû perdurer au fil des siècles (Lo Porto 1971a).
9 Carter 1990, p. 28-33 ; De Juliis 2000, p. 66-68 ; voir aussi Costanzo 2016.
10 De Juliis 2000, p. 66-68 ; Lo Porto 1971a, p. 561-563.
11 Tiné Bertocchi 1985, p. 304.
12 Aniceto 2022, § 10-11. Voir aussi les réflexions de F. Lerosier sur le rôle des murailles dans la définition de la polis, en lien avec les nécropoles : Lerosier 2022.
13 D’Agostino 1985, p. 53.
14 Forti et Stazio 1983 ; la nécropole de Crucinia se trouve à proximité d’une voie extra-urbaine entre cité et campagne (Bottini 1993, p. 766) ; parfois, des tombes plus isolées sont aussi placées auprès de routes (La Genière 1993, p. 88). La topographie force parfois les routes à emprunter certains parcours, comme dans la zone de Pomarico Vecchio, les nécropoles se placent à leur proximité, même si cela les éloigne légèrement de l’habitat (Barra Bagnasco 1997, pl. 4 « Schizzo del profilo altimetrico tra Montescaglioso e Pisticci »).
15 Elia 2010, p. 37-43. Cette problématique avait déjà été abordée par P. Orsi dans ses carnets en 1911.
16 Elia 2010, p. 40, 339.
17 Paoletti 1981, p. 90-92.
18 Adamesteanu 1985, p. 102.
19 Morris 1987, p. 63.
20 Lo Porto 1971a, p. 561 : à Tarente, les enceintes sont visiblement nombreuses et parallèles aux rues de la nécropole, mais nous n’avons trouvé aucune notice précise à ce sujet.
21 D’Andria 1990.
22 Certains parlent de ruelles : « les tombes sont alignées sur des axes réguliers et séparées par des ruelles qui permettent de circuler dans la nécropole » (Cipriani et al. 1996, p. 13).
23 A. Pontrandolfo observe le même phénomène à Andriuolo où les sépultures lucaniennes sont clairement séparées des tombes « grecques » par un vaste espace stérile. Les tombes sont réparties en cinq nuclei bien différenciés et séparés par des espaces vides (Pontrandolfo 1998, p. 127).
24 Son sol en calcaire est directement posé sur le banc rocheux ; on y observe encore les ornières creusées par les roues des véhicules antiques (Cipriani et al. 2009, p. 220-221).
25 Un groupe de cinq dépositions du début du ive siècle av. n. è. est complété, environ un demi-siècle plus tard, par une nouvelle déposition qui vient occuper un espace vide ; le matériel montre que l’ajout de cette tombe dans le groupe n’est pas fortuit, puisqu’un usage particulier à trois des plus anciennes tombes du groupe est repris : le dépôt d’une pélikè et d’une monnaie de bronze dans la main gauche du défunt (Cipriani et al. 2009, p. 225).
26 Dans la nécropole de Crucinia, aucune des cent vingt tombes n’est coupée par une autre ni n’a été pillée ; toutes sont approximativement orientées selon un axe est-ouest (Bottini 1993, p. 766).
27 On pense aux amas de pierres. La visibilité en surface des structures souterraines est sans doute effective au cours de la période suivant la déposition, lorsque la terre de la fosse fraîchement creusée se différenciait du reste du terrain, avant que l’herbe ne repousse ; par ailleurs, la terre excavée puis replacée sur la tombe formait forcément une butte, à moins qu’elle n’ait été en partie évacuée.
28 Tout en ayant à l’esprit la particularité des cimetières militaires du xxe siècle : rapidité de la construction, uniformité volontaire, dimension politique, corps mal identifiés (parfois en toute connaissance de cause), tombes vides… les archéologues du futur auront bien des surprises.
29 Passer le fleuve constitue toujours un événement, notamment dans le monde politique (Desnier 1995).
30 Sur le rôle des cours d’eau dans la définition des espaces et leur impact sur le matériel funéraire, voir Garaguso 2022.
31 « L’acqua era un eloquente immaginario per segnare il confine tra mondo dei vivi e dei morti, a livello rituale-funzionale e simbolico » (Barra Bagnasco 1999, p. 44).
32 Garland 1985, p. 44, 147-148.
33 À Iulis, c’est d’abord de l’eau de mer qui sert pour laver la maison, puis de l’eau douce : Frisone 2000, p. 61, 81-82 (voir notamment n. 96), 91.
34 Barra Bagnaso 1999, p. 44.
35 Nous citons ici l’article de C. Calame sur les lamelles orphiques, dont celles retrouvées en Calabre : « Dans les textes les plus développés, énoncés en tu, l’itinéraire conseillé est précisément donné en termes de bifurcation : “ne t’approche pas davantage de cette source (marquée par un cyprès blanc), mais plus en avant tu trouveras le Lac de Mémoire” – énonce en diction épique le passeport d’Hipponion ; et les mêmes eaux fraîches de Mnémosyné sont également mises en scène à Pétélia et à Pharsale. Quant aux énoncés courts en je (en particulier à Éleutherna), ils prévoient au contraire que le défunt s’abreuve directement à la source “de droite”, celle qui est à éviter dans les textes longs » : Calame 2008, p. 306.
36 Costanzo 2016.
37 L’imaginaire de la mer en offre une version connue : la mort en mer, qui rend impossible l’enterrement du corps, provoque l’horreur.
38 Calame 2008, p. 306.
39 D’autres éléments peuvent permettre d’identifier ces espaces : en Italie, les ifs sont encore aujourd’hui chargés d’une forte connotation funéraire, ils dépassent des murs du cimetière et l’indiquent dans le paysage.
40 En Italie méridionale du ve au iiie siècle av. n. è., les inscriptions funéraires visibles du passant sont rares, elles se concentrent à l’intérieur des tombes.
41 Par groupes ou à l’échelle de l’ensemble de la nécropole ; les fosses proches de la voie sont généralement disposées de façon longitudinale à celle-ci, ce qui peut parfois être contradictoire avec les usages locaux, par exemple à Agrigente, dans la nécropole de Pezzino où la tradition veut que les tombes soient orientées est-ouest, ce qui n’est pas le cas à proximité de la voie : on constate donc une contradiction entre usage et norme, ce qui n’est pas le cas à Poseidonia, Tarente, Métaponte, Rhégion, Leontinoi ou Mégara Hyblaea, où les artères qui traversent les nécropoles conditionnent souvent l’orientation des tombes sans pour autant entrer en conflit avec une tradition locale (Elia 2010, p. 41-42).
42 Par exemple : terrain nu séparant les lots ou du moins les nuclei familiaux, voie de circulation, espace funéraire particulier, emplacement d’un marqueur collectif…
43 Cipriani et al. 1996, p. 13 et 36 ; Pontrandolfo 1998.
44 Voir, par exemple, la nécropole de Madonnelle à Policoro, où toutes les tombes sont orientées de façon identique et alignées (Adamesteanu 1985, fig. 51) ; la nécropole de Medma (Paoletti 1981, p. 90-92) ; Fondo Aia à Vaste (Delli Ponti 1996).
45 On en trouve notamment à Reggio de Calabre (Andronico 2006, p. 20-21, 38, 51-52), ainsi que dans d’autres zones d’Italie méridionale, comme à Policoro (Greco 2009a, p. 806) ou Héraclée (De Siena 2011, p. 644).
46 Pianu 1990, p. 209-211.
47 Les tombes dites a bottino ne sont pas spécifiques à Héraclée : on en trouve également à Pomarico Vecchio, Métaponte, Santa Maria d’Anglona, Policoro, et dans leurs environs. Elles sont attestées pour une période allant du vie au ive siècle av. n. è. (Carando 1997, p. 278 ; Greco 2009a, p. 806).
48 Dans le cas des sarcophages en pierre, la question est très différente et les nécropoles de Cilicie, par exemple, montrent bien que la couverture du sarcophage, voire le sarcophage complet, était visible : le poids de la couverture et l’étanchéité du dispositif permettent en effet cette option (Machatschek 1967).
49 À Crotone, les fouilles ont permis de déterminer que la terre située au-dessus des tombes a cassa était allégée par rapport à celle des tombes a cappuccina, qui contenait des fragments de calcaire – dus au creusement de la fosse en partie dans le substrat rocheux situé sous la terre (Ruga et al. 2005, p. 173).
50 Elia 2010, p. 331.
51 M. Cipriani imagine ainsi que les tombes à fosse de Poseidonia ont été couvertes de petits amas de terre peu épais afin de les distinguer du reste de la surface de la nécropole et de la route (Cipriani 1994, p. 172).
52 L’hypothèse a déjà été formulée, et il semble que dans certaines nécropoles ce type de structure soit à lier à une population de rang social élevé (Petrolino 2006, p. 20-21).
53 Gualtieri 1993, p. 150, par exemple.
54 Ardaillon 1897.
55 Guzzo 1987.
56 Elia 2010, p. 360-361.
57 Lorsque certains objets sont volontairement laissés dans la nécropole, une manière radicale de s’assurer qu’ils ne seront pas réutilisés consiste à les détruire une fois le rituel accompli : Forbes 2007, p. 382.
58 Burger 1998, p. 242-243.
59 Parfois sous forme de miniatures (Meidjen 1993, p. 177-180).
60 Caracuta 2013, p. 160.
61 Saïd 1998, p. 18.
62 Kurtz et Boardman 1971, p. 189 ; Boetticher 1856, p. 276. Voir aussi Plat., Leg., XII, 947, où il préconise d’élever un tertre planté d’un bois sacré.
63 Trad. P. Waltz, É. des Places, M. Dumitrescu, H. Le Maître et G. Soury, Paris, CUF, 1960.
64 Nous pouvons tout de même penser aux « jardins d’Adonis » découverts dans la casa dei Leoni à Locres. Il s’agit de hauts d’amphores transformés en pots (Barra Bagnasco 1994, p. 238-240).
65 Lamboley 1988, p. 161-175.
66 Osanna 2008.
67 Murailles qui constituent elles-mêmes le « marqueur » le plus monumental du paysage de la cité (Aniceto 2022, § 7).
68 L’expérience menée sur la nécropole du musée à Reggio de Calabre est intéressante de ce point de vue : Malacrino et al. 2018, p. 349-350.
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