Conclusion
p. 259-271
Texte intégral
Préambule
1Cette conclusion générale est d’abord l’occasion de faire une synthèse technique des données sur le fait urbain en Sicile hellénistique collectées ici. Les éléments de la construction, les types de pièces, les types de plan des habitations, puis les différents types d’urbanisme dans lesquels tous ceux-ci s’inscrivaient sont ainsi brièvement rappelés et mis en perspective les uns par rapport aux autres. Après ce bilan, on tente d’apporter une réponse particulière à une question récurrente de l’archéologie : peut-on faire coïncider ces faits archéologiques avec certains événements historiques ? Enfin, on termine en proposant d’abord de nouvelles perspectives de recherche, puis en s’interrogeant de manière plus large sur la place de la Sicile dans le monde hellénistique.
Bilan des données archéologiques
Les murs
2Les techniques de constructions des murs de Mégara s’inscrivent bien dans le cadre de l’architecture domestique sicilienne de cette période. Cela se voit d’abord à travers la propension à construire de nouveaux murs directement sur des murs plus anciens (type de fondations F1 de Mégara) que l’on retrouve pour ainsi dire partout (sauf peut-être à Monte Iato). Il s’agissait bien évidemment d’une pratique opportuniste et astucieuse qui évitait d’avoir à construire de nouvelles fondations ; elle représente une forme de continuité, que l’on perçoit également à travers la permanence de certains plans d’urbanisme (voir infra). Mais elle traduit aussi l’histoire souvent mouvementée des villes antiques, détruites, abandonnées puis réoccupées ou alors radicalement redessinées par la volonté d’un pouvoir politique fort. À cet égard, on peut la considérer comme une forme de remploi, comme celle bien visible dans les élévations de murs, notamment dans les parements de types M1 de Mégara, et plus précisément M1b, dont on repère les équivalents tant dans les villes grecques (Camarine, Syracuse et Tyndaris) que puniques (Solonte, Sélinonte). Ils étaient souvent combinés à des parements internes en petits éléments mélangés, fragments de blocs et de tuiles (Camarine, Syracuse, Géla). Le remploi s’appliquait aussi à des blocs taillés et bien dressés, de dimensions notables, plutôt issus d’anciens bâtiments publics : c’est le type M3 de Mégara, appareil à simple cours, vu également à Syracuse et à Solonte ; dans tous ces endroits, on réservait clairement ces murs aux façades des maisons qui donnaient sur les rues. Le caractère soigné et l’intention ostentatoire de cette architecture m’incitent aussi à penser que certains blocs ont pu être taillés ad hoc. Enfin l’appareil a telaio (type M2 de Mégara) était en quelque sorte une combinaison des deux autres types et cette mise en œuvre bien particulière est signalée dans la ville punique de Sélinonte, mais aussi à Solonte, sur l’acropole de Géla et dans le quartier de la Porte II d’Agrigente. On a insisté à plusieurs reprises sur le fait que ce type de construction était incontestablement lié à une tradition nord-africaine, tout en se gardant bien d’associer systématiquement la présence de murs a telaio à celle de Carthaginois : cela ne faisait pas de doutes à Sélinonte et cela était peut-être vrai dans le quartier de la porte II d’Agrigente, où le mobilier permet d’étayer de telles suppositions. Cela me semble bien moins probable à Mégara et à Géla, où il nous faut plutôt envisager des influences venues du monde punique au sens large. Ce n’est pas difficile à concevoir pour Géla, compte tenu de sa situation géographique et de son histoire. Pour Mégara, cela est plus compliqué : je pencherais donc plus pour de simples contacts avec des populations puniques, pourquoi pas celles de Sélinonte qui, on le rappelle, a été fondée par Mégara dans le troisième quart du viiie siècle. Autre hypothèse : des soldats d’Agathocle récompensés par des terrains et des maisons à Mégara après leur campagne en Afrique du Nord, d’où ils auraient ramené cette technique de construction.
Les seuils de porte
3La morphologie des seuils de porte mégariens traduit les mêmes évolutions techniques que l’on observe ailleurs en Sicile, c’est-à-dire un recours de plus en plus net aux systèmes à pivots et crapaudines, au détriment des systèmes à charnières. J’ai relevé ces similitudes de formes surtout à Morgantina et à Camarine mais ces observations valent aussi pour d’autres sites comme Sélinonte. De même que les blocs des murs, les blocs de seuils étaient souvent une réutilisation d’éléments plus anciens, même si à Mégara certains blocs en calcaire blanc ont été indéniablement taillés ad hoc : ces exemples particulièrement soignés et visibles montrent que les seuils aussi pouvaient être des éléments de prestige destinés à mettre en valeur les meilleures pièces1.
Les sols construits
4Les sols construits des maisons de Mégara étaient globalement moins diversifiés et moins sophistiqués que ceux de la grande majorité des sites connus de l’archéologie sicilienne. On a traité le cas particulier des bétons de tuileau dans une réflexion sur leur origine et leur apparition. Les mortiers de calcaire de Mégara, qui leur étaient sans doute contemporains ou antérieurs de peu, étaient encore moins nombreux et ils étaient tous semblables en apparence ; cependant, il est assez probable qu’ils aient été peints et qu’ils aient donc été formellement plus variés et plus élaborés. Par ailleurs, la faible quantité de pavements à Mégara (dallages et carrelages) ne surprend pas, puisqu’ils étaient normalement réservés aux zones découvertes des maisons, c’est-à-dire à la seule cour ; toutefois, la sous-représentation des pavements en terre cuite par rapport à ceux avec des éléments en pierre interpelle, en particulier par comparaison avec la Grande Grèce. Il y a là sans doute une explication d’ordre chronologique plus que culturelle : à Mégara en tout cas, je pense que les dallages et carrelages en terre cuite se trouvaient dans des maisons d’époque romaine, à une période où la ville était peut-être beaucoup moins occupée.
Les couvertures
5Les tuiles ont connu une situation assez similaire à celle des seuils avec l’apparition, presque partout en Sicile entre l’époque classique et l’époque hellénistique, d’une nouvelle technique qui a renouvelé la morphologie traditionnelle : ce sont les couvre-joints polygonaux, caractéristiques du système dit « corinthien », qui permirent alors la coexistence des toits mixtes avec les toits corinthiens. Pour autant, cette innovation n’aurait pas connu le même succès partout : on perçoit des tendances régionales, notamment dans les villes de l’intérieur comme Morgantina et Scornavacche où les couvertures mixtes continuèrent d’être la règle tandis qu’à Monte Iato on n’utilisait que des toits dits « laconiens ». Dans les cités côtières, à Mégara Hyblaea et Syracuse, ces toitures à couvre-joints polygonaux ont peut-être fait leur apparition dès le ve siècle, comme à Sélinonte.
Les équipements hydrauliques
6L’étude des équipements hydrauliques a apporté indubitablement un éclairage supplémentaire à la définition de l’habitat hellénistique de Mégara. Lorsqu’on le replace dans le contexte sicilien, et même méditerranéen, on comprend que ce phénomène était général puisque c’est toute l’architecture domestique de cette époque qui a été marquée par ces innovations, sans doute moins spectaculaires que les péristyles ou les mosaïques, mais non moins significatives car elles apportaient un progrès considérable en termes d’hygiène. Le paysage urbain de Mégara, autrefois uniquement marqué par les puits, a ainsi vu apparaître des fosses à déchets, des puisards et des évacuations pour les alimenter, sans doute même des citernes. L’évolution s’est donc surtout faite sur le traitement des déchets plus que sur l’alimentation en eau, moins cruciale à Mégara grâce à l’abondance de ses nappes phréatiques. Ce n’était manifestement pas le cas des villes de la côte méridionale, au climat nettement plus aride, qui ont eu abondamment recours aux citernes tandis qu’à Syracuse puits et citernes se côtoyaient. À Camarine, à cause de sa topographie assez accidentée, les habitants ont visiblement porté une attention toute particulière à l’évacuation des eaux de pluie, notamment à travers la conception des ambitus longitudinaux auxquels s’ajoutaient systématiquement, ce qui était plus rare, des ambitus transversaux. Mais, à l’intérieur des maisons sicéliotes, les données manquent car la question de la gestion des déchets n’a jusque-là pas beaucoup retenu l’attention des archéologues.
Les escaliers
7L’identification d’un étage supérieur dépend beaucoup de la présence d’un escalier, sur lequel les témoignages sont peu abondants, vraisemblablement parce qu’ils étaient le plus souvent en bois2. Parfois les départs d’escalier étaient en pierre, comme à Mégara ou à Sélinonte, mais le plus souvent c’est la présence d’une pièce étroite et allongée qui doit inciter à y voir les vestiges d’une cage d’escalier. C’est finalement dans les cas où le plan au sol comportait peu de salles que l’on a tendance à restituer automatiquement un étage afin d’offrir l’espace suffisant à une maisonnée moyenne. Par ailleurs, il n’est pas rare que des restes de sols ou d’enduits muraux aient été découverts par-dessus les niveaux appartenant aux sols du rez-de-chaussée (Morgantina, Monte Iato) ce qui a permis aux fouilleurs d’établir l’existence d’un étage supérieur ; dans certains endroits, tous situés dans le nord de la Sicile, des péristyles à deux étages sont également attestés3.
Les types de pièces
8Les latrines figurent en bonne place parmi ces nouveaux équipements, fruits des innovations de l’époque hellénistique. J’ai insisté sur le lien technologique qui existait entre l’amélioration des systèmes d’évacuations et de gestion des déchets, d’une part, et les latrines et les salles de bains, d’autre part. Ce lien est plus ardu à établir du point de vue chronologique, mais il semblerait logique que ce soit l’apparition de canalisations construites qui ait engendré l’aménagement de pièces comme les latrines, qui exploitaient directement le passage de ces conduites4. Ces évolutions semblent globalement relever d’une même période, située après le début de l’époque hellénistique : les plus anciennes latrines identifiées à Érétrie dateraient ainsi du ive siècle ou du début du iiie siècle. À Mégara, il est possible que nous ayons une configuration doublement intéressante, techniquement et chronologiquement parlant. Rappelons que deux des trois latrines documentées appartenaient sans nul doute à l’époque républicaine ; elles étaient situées en bordure de rue, contre le mur de façade, et étaient suffisamment vastes pour accueillir trois personnes. La troisième structure était par contre positionnée plus loin de la rue, était plus étroite et ses déchets devaient vraisemblablement être dirigés dans un puisard à l’intérieur de l’édifice : ce pourrait être des latrines d’époque plus ancienne, installées avant que l’égout n’ait été mis en service de la rue, vraisemblablement dans la première moitié du iiie siècle. On tiendrait alors là l’indice d’une possible évolution du concept des latrines, qui serait cohérent avec la documentation archéologique disponible. En Sicile, les latrines que nous connaissons le mieux ont été découvertes à Morgantina et à Tyndaris : très similaires aux deux premières citées pour Mégara, elles ont manifestement été mises en place à l’époque où les deux cités étaient passées sous domination romaine.
9Les salles de bains font partie du même train d’innovations que les latrines, avec lesquelles elles partageaient le même rapport à l’eau : facilités d’approvisionnement et d’évacuation, imperméabilité de sols et des murs, sans compter un nécessaire degré d’intimité. Cependant, les salles de bains devaient idéalement posséder d’autres aménagements afin d’être réellement opérationnelles, notamment le chauffage et l’accès à une source d’eau propre ; la baignoire maçonnée, si elle est un moyen d’identification sûr pour les archéologues, était un équipement facultatif et plutôt cossu. Il n’y a qu’un seul cas à Mégara d’une salle d’eau avec une baignoire maçonnée et il s’agissait certainement d’un complexe balnéaire privé à usage public 5 ; néanmoins, ces petits thermes n’avaient pas d’approvisionnement direct en eau et ne disposaient pas de chauffage fixe, à plus forte raison de système à hypocauste. Les exemples mégariens étaient donc des salles de bains d’un niveau d’équipement minimal qui devaient néanmoins correspondre aux « normes standards » d’une certaine frange de la population6. C’était à peu près la même situation dans les maisons puniques de Sélinonte, mais pour des époques toutefois plus anciennes : parmi les quatorze salles de bains possibles, seules trois étaient équipées à la fois d’un sol en béton et d’une conduite d’évacuation. De plus, la découverte de baignoires amovibles dans d’autres pièces, bien plus grandes, montre que le bain pouvait se prendre ailleurs que dans une pièce spécifique, ce qui devait être la situation la plus courante dans la plupart des maisons siciliennes. Au contraire, d’autres salles de bains présentaient un haut degré de sophistication même si cela restait des exceptions, comme à Morgantina. Le cas de Monte Iato est proprement étonnant, puisque l’on y connaît trois maisons équipées de salles d’eau particulièrement élaborées. Dans tous les cas, y compris à Mégara, ces différentes salles de bains ne remontaient pas au-delà du début du iie siècle et appartenaient, par conséquent, à la Sicile romaine.
10Avec les pièces dites « salles de réception » ou « salles de représentation », nous restons dans le domaine des évolutions que l’architecture domestique méditerranéenne a connu dès la fin de l’époque classique. Ce qui n’était alors qu’une seule pièce de la maison, souvent très simple, a pris progressivement la forme d’un ensemble de plusieurs salles parfois richement décorées. Certaines habitations en Sicile possédaient de luxueux Dreiraumgruppen (Monte Iato, Morgantina, Solonte) et d’autres un seul andrôn, de forme très classique, comme celui de la villa Iacona à Géla ; cette sophistication a également influencé le monde punique puisque certaines maisons de Sélinonte, entre le milieu du ive siècle et le milieu du iiie siècle, avaient une pièce de ce genre. Dans le courant du iiie siècle et du iie siècle coexistaient à Morgantina des demeures à Dreiraumgruppe et d’autres qui possédaient une ou plusieurs pièces séparées et bien décorées. Cette tendance, loin de s’essouffler, a au contraire prospéré durant l’époque républicaine et au-delà dans certaines habitations d’Agrigente, de Tyndaris, de Syracuse ou de Camarine. Les cas identifiés à Mégara, tout en confirmant ce tableau, restent nettement en deçà en termes de luxe et de sophistication ; qui plus est, si tant est qu’il y ait effectivement eu des Dreiraumgruppen, ceux-ci ne possédaient pas d’exèdre centrale. Deux pièces seulement pourraient être identifiées comme des andrônes en raison surtout de la position excentrée de l’entrée. Les propriétaires mégariens, bien que suivant cette tendance, semblent donc être restés quelque peu en retrait ; dans le même temps, ils ont manifesté un certain conservatisme en continuant à réserver les parties nord des maisons aux meilleures pièces alors que, dans le reste du monde hellénistique, ces salles occupaient dorénavant d’autres emplacements. Paradoxalement, ils ont visiblement accueilli avec un certain enthousiasme dans leurs habitations les cubicula, un type de pièce d’origine latine, ce qui était probablement la marque d’une romanisation de la société mégarienne.
Les types de plan des habitations
11Avec les Dreiraumgruppen, les cours à péristyle étaient l’autre élément caractéristique de la culture hellénistique. On remarque qu’en Sicile, ces cours étaient conçues avec une certaine diversité planimétrique incarnée par deux grandes tendances 7 : des plans allongés (Morgantina, Mégara) ou des plans carrés, éventuellement sur deux niveaux (Monte Iato, Solonte, Tyndaris). Bien que les maisons à péristyle aient focalisé l’attention des archéologues, il existait à côté des maisons beaucoup plus simples, à cour centrale. Elles semblent avoir existé tout au long de l’époque hellénistique tant à Morgantina qu’à Tyndaris, Camarine, Mégara et Sélinonte. Outre ces deux types de plans bien différents, on connaît d’autres planimétries comme les plans « à deux cours » et les plans « à pastas ». Le premier représentait une pratique finalement assez limitée, car réservée à une élite sociale ; elle n’en reste pas moins remarquable parce qu’elle procédait systématiquement d’un accaparement d’une ou plusieurs maisons voisines. C’est surtout à Morgantina, après le milieu du iiie siècle, et à Agrigente, à une époque plus tardive, qu’on relève les cas les plus représentatifs, bien que Mégara n’en soit pas exempte. La maison à pastas, emblématique de l’urbanisme colonial d’époque archaïque mais également de certaines cités classiques à l’urbanisme idéalisé, a finalement laissé peu d’exemples tangibles dans les villes sicéliotes à l’époque hellénistique. Outre l’unique maison de ce type à Mégara, sans doute de la fin du ive siècle, on en décèle les traces dans certaines maisons de Morgantina, dans une période que l’on peut aussi situer au ive siècle. Environ deux siècles plus tard, les maisons à pastas étaient bien représentées à Agrigente. Côté punique, à Sélinonte, les types de plan des maisons étaient plutôt variés et dérivaient là aussi de deux ou trois modèles de base, beaucoup plus anciens et attestés au Proche-Orient. Il est notable qu’aucune des maisons de la Sélinonte punique, à une exception près, n’ait repris des schémas alors typiquement grecs comme le plan « à pastas » ou la cour à péristyle.
L’urbanisme en Sicile hellénistique : permanences et ruptures. Questions métrologiques
12Dans la Sicile hellénistique, la plupart des villes étaient organisées selon des plans réguliers, dont l’origine et les modalités variaient sensiblement. La majorité d’entre eux se basaient sur des principes directeurs définis à l’époque classique, voire à l’époque archaïque ; d’autres, moins nombreux, ont été mis en place au ive siècle. Enfin, plus rares sont ceux nés au cours du iiie voire du iie siècle, comme à Phintias. Dans la ville du tyran éponyme, auquel la tradition attribue la destruction de Géla et la déportation de ses habitants en 282 av. J.-C.8, des fouilles récentes ont effectivement montré qu’à un habitat irrégulier, détruit dans deuxième moitié du iiie siècle, a succédé une ville au plan orthogonal, mis en place au début du iie siècle9. La genèse des plans d’urbanisme réguliers reposait sur deux éléments fondamentaux : l’axe directeur, parfois plusieurs, en tant que repère primordial de l’espace à occuper, et le lot, en tant qu’unité de division de l’espace à bâtir. Les plans orthogonaux, où rues principales et rues secondaires se recoupaient perpendiculairement, avaient des principes de lotissement bien définis, comme ceux de Camarine, qui devaient être à peu près les mêmes partout où l’on a adopté un maillage orthogonal. Par conséquent, les singularités constatées à Camarine doivent se retrouver ailleurs : or, on voit effectivement que les dimensions des îlots variaient dans chacun des sites où elles ont été mesurées. On constate également qu’elles étaient différentes dans chaque plan d’urbanisme, bien que relativement proches les unes des autres. Il semblerait donc logique de supposer que le choix initial des dimensions du lot était une décision de la polis et que ces différents modules portaient en quelque sorte la marque de chacune des cités. Enfin, si beaucoup de plans d’urbanisme se sont visiblement maintenus dans le temps (Morgantina, Agrigente, Solonte, Camarine, Tyndaris, Géla), cela ne concernait souvent que certains éléments de ces plans, c’est-à-dire les orientations des structures et les espaces réservés comme les rues, les places et éventuellement les ambitus. Il s’agissait certainement d’une marque de pragmatisme chez des populations qui choisissaient de construire leurs maisons en repartant des anciens murs et qui ne modifiaient pas un système qui fonctionnait bien, celui des axes de circulation perpendiculaires. On observe donc le plus souvent dans les villes hellénistiques de Sicile une permanence de plans d’urbanisme souvent anciens de plusieurs siècles. Les transformations parfois radicales de ces plans, telles qu’on les a constatées à Syracuse et dans une moindre mesure à Solonte et à Mégara, provenaient généralement d’une décision politique autoritaire, c’est-à-dire d’un pouvoir politique capable d’imposer de telles transformations. Mais cela pouvait a contrario refléter aussi un certain manque de gestion publique, en particulier à Sélinonte lors de la réoccupation de l’Acropole ou même à Mégara, autour de l’agora. Ces cas « d’urbanisme désordonné » étaient en tout cas bien moins nombreux parmi les sites auxquels on s’est intéressé ici.
13Le cas le plus exemplaire de permanence d’un urbanisme régulier est sans doute celui d’Agrigente, dont le schéma orthogonal a été déterminé à la fin du vie siècle. La première implantation du quartier « hellénistico-romain » s’est faite à la même époque que le plan d’urbanisme et son occupation a perduré jusqu’au Bas-Empire ; tout au long de cet intervalle de temps, les limites de la grille urbaine ont été respectées mais pas le lotissement originel, qui a été délaissé vraisemblablement à partir du iiie siècle. Le quartier de la porte II a connu une fréquentation beaucoup plus brève puisqu’un habitat s’y est d’abord implanté au ve siècle puis à nouveau au ive siècle, avant d’être abandonné vers le milieu du iiie siècle ; néanmoins, ici aussi, la grille urbaine a été constamment respectée et les recherches ont permis de reconnaître les modalités du lotissement du ive siècle avec des lots alternativement carrés (17,50 × 17,50 m) et rectangulaires (17,50 × 9,50 m). Le schéma urbain de Morgantina, établi dans la deuxième moitié du ve siècle, a également connu une remarquable continuité puisqu’il a été suivi dans ses grandes lignes jusqu’à la fin de son existence vers le milieu du ier siècle apr. J.-C. Les dimensions des lots créés au ve siècle étaient de 17,71 × 18,84 m et celles-ci étaient encore d’actualité au ive siècle puisque, à côté des maisons à pastas ou des maisons à péristyle qui s’affranchissaient parfois des limites de lots, d’autres lots étaient toujours occupés par des maisons traditionnelles « à cour centrale ». Ces habitations, visiblement plus modestes, continuèrent même d’exister au iiie siècle et après, alors qu’apparaissaient de grandes demeures implantées sur plusieurs des anciens lots du ve siècle. Les recherches sur l’espace urbain de Camarine ont mis en évidence de façon bien documentée un exemple de partage et d’organisation de la terre apte à répondre à tout moment à un nouveau besoin de lotissement. La grille orthogonale et ses principaux axes de circulation dataient de la première moitié du ve siècle et ils sont certainement dus à la refondation de Camarine par les Géléens10. Les longueurs des lots (mesures Nord-Sud) définies à cette occasion dépendaient de leur localisation dans la ville puisque les secteurs marginaux, c’est-à-dire situés sur les marges de l’espace urbain, le long des remparts, accueillaient des îlots plus courts, qui comportaient cependant le même nombre de lots ; les largeurs restaient par contre homogènes : de façon générale, les lots mesuraient donc entre 13,1 et 13,90 m de longueur pour 17-17,60 m de largeur ; les lots plus courts faisaient 12,50 m de long. Les modalités du lotissement, telles qu’elles ont été établies par ces recherches, étaient conçues de façon qu’elles soient reprises de la même manière lorsque les circonstances l’exigeaient, comme lors des périodes d’accroissement rapide de la population ou, plus souvent, lors de la distribution de terrains aux enfants de citoyens devenus citoyens à leur tour. Face à ces exemples de permanence de modèles classiques, voire archaïques, Tyndaris était au contraire une création du ive siècle, attribuée par la tradition à Denys l’Ancien. Elle possédait un schéma d’urbanisme organisé selon un plan orthogonal qui me semble dater au plus tôt de la fin du ive siècle, donc bien après la fondation traditionnelle en 396. Les dimensions de lots que l’on peut associer à ce plan (17,45 × 14,15 m) restent hypothétiques et n’ont été établies que dans un seul îlot (l’insula IV), mais tous les éléments connus portent à croire que ce lotissement pourrait se retrouver ailleurs dans la ville. Ce que l’on sait de façon assurée montre en tout cas que le maillage des rues existait à l’époque républicaine et qu’il a été conservé à l’époque impériale ; les dimensions des îlots seraient demeurées à peu près constantes, mais, à l’intérieur, les superficies de certaines maisons auraient considérablement augmenté en accaparant l’emprise des habitations mitoyennes. Tyndaris nous amène à Solonte, une autre cité de la côte septentrionale, fondée ou, plutôt, refondée elle aussi au ive siècle sur un emplacement voisin de l’ancienne ville. La date de mise en place du plan orthogonal avec ses grandes terrasses fait débat, comme à Tyndaris, mais il ne me semble pas déraisonnable de la placer, elle aussi, au cours de la deuxième moitié du ive siècle. Les mesures métriques de la grille donnent pour les îlots principaux des largeurs faisant entre 40 et 41,5 m et des longueurs oscillant entre 81,5 et 82 m ; le seul îlot intégralement dégagé (l’îlot 6/7 ou insulae 6 et 7) a pour dimensions 40,77 × 81,74 m. Le lotissement originel du ive siècle tel que je le restitue comporterait deux files parallèles de quatre lots chacune, séparées par un ambitus longitudinal, avec deux modules possibles pour les lots : 19,05 × 20,50 m et 20,50 × 20,50 m. Plus tard, au iie siècle, la ville a été remodelée, tout en conservant le plan orthogonal de départ : l’espace public de Solonte a été restructuré tandis que de riches maisons ont été conçues sur plusieurs niveaux en intégrant des maisons situées sur différentes terrasses, leur conférant cet aspect spectaculaire aux très hautes façades. Pour clore cette revue des villes dont le plan d’urbanisme s’est maintenu dans le temps, il faudrait aussi mentionner Géla. On ne connaît toutefois les caractéristiques de ce plan que dans le quartier de l’acropole et près de l’ancienne gare ferroviaire. Dans ces deux secteurs, l’occupation des vie et ve siècles a brutalement cessé à la fin du ve siècle, probablement lors de la prise et de la destruction de la ville en 405. Elle a très rapidement repris sur l’acropole où, jusqu’au milieu du ive siècle, les orientations et les alignements précédents ont été conservés. C’est à ce moment qu’a vraisemblablement eu lieu une nouvelle destruction et que les édifices reconstruits sur l’acropole à l’époque de Timoléon ont alors suivi une organisation différente. À une date qu’il est difficile de situer précisément, dans le courant du ive siècle, la zone urbaine a été agrandie et l’habitat, déplacé vers l’ouest. Les rares indices dont nous disposons sur ces nouveaux quartiers indiqueraient que ceux-ci auraient repris les orientations du plan d’époque classique (NNE-SSO pour les axes secondaires, c’est-à-dire selon la ligne de pente).
14D’autres villes, au contraire, ont vu leur plan d’urbanisme subir des transformations importantes entre leur fondation et l’époque hellénistique. Au premier rang de celles-ci figure certainement Syracuse, dont le plan très hétérogène montre effectivement une volonté d’organiser la ville en fonction de schémas différents au cours de diverses périodes, malheureusement assez mal définies. On retiendra ainsi que, dans le quartier d’Achradine, un système avec des rues secondaires (sténopos) perpendiculaires à une grande rue principale (platéia) de direction NO-SE s’est maintenu depuis l’époque archaïque jusqu’à l’époque hellénistique tardive. Plus au Nord, les nouveaux quartiers de Tychè et de Neapolis, qui restèrent hors les murs jusqu’à la fin du iiie siècle, étaient organisés autour de grands axes E-O et d’axes secondaires obliques, de direction NO-SE (divergente de la grande platéia d’Achradine). Ce système, mis en place entre la fin du ve et le ive siècle, a perduré au moins jusqu’au iiie siècle, cohabitant un temps avec un nouveau schéma, d’époque hiéronienne, où les sténopoi étaient dorénavant perpendiculaires aux grands axes E-O ; le lotissement qui accompagnait cette nouvelle disposition était vraisemblablement basé sur des lots d’environ 20 × 19 m. Lorsque, en 21, Auguste déduisit une colonie à Syracuse, ce système orthogonal aurait été alors poursuivi et généralisé. Mégara Hyblaea représente finalement une situation intermédiaire, où les axes principaux de l’époque archaïque ont été conservés bien que leur tracé initial ait été parfois modifié tandis que, autour de l’agora, d’autres rues archaïques disparaissaient complètement. D’autre part, tous les éléments dont on dispose montrent que le lotissement archaïque a été complètement délaissé à partir du ive siècle dans le quartier de l’agora. Beaucoup d’habitations de ce secteur ont récupéré l’espace d’autres maisons pour s’agrandir, surtout à l’époque hellénistique tardive : en un sens, elles ont donc bien outrepassé des limites de propriétés même si celles-ci n’étaient sans doute pas définies par un découpage régulier de l’espace, autrement dit, par un lotissement. Cependant, dans le secteur à l’est de l’agora hellénistique, en grande partie non fouillé, il est fort possible que la grille archaïque soit restée quasiment inchangée. Là, des indices laissent à penser que l’ancien lotissement aurait été remplacé au profit d’un autre dont on ne connaît malheureusement que des bribes, mal documentées.
15Enfin, certaines villes de Sicile hellénistique présentaient, par contre, un aspect désordonné, dicté soit par les circonstances, soit par des habitudes culturelles. Sélinonte faisait partie de cette première catégorie. La colonie de Mégara possédait une grille urbaine orthogonale, dressée au moment de sa fondation dans la deuxième moitié du viie siècle11. Lorsque la ville, progressivement abandonnée après sa destruction en 409, fut réoccupée par des populations puniques, celles-ci s’établirent sur l’ancienne acropole sans tenir compte du schéma précédent. Cette installation s’est faite de façon désorganisée, sans suivre de normes de construction ou de règles d’urbanisme précises, ce qui s’expliquerait peut-être par le statut politique relativement autonome de Sélinonte à cette époque, où l’initiative du développement de l’habitat aurait été laissée à la responsabilité de chaque maisonnée12. Une telle façon d’occuper l’espace urbain ne correspond en tout cas en rien à une « tendance punique », comme en témoignent les plans orthogonaux de Lilybée, en Sicile, et d’Olbia ainsi que le plan régulier de Monte Sirai, toutes deux en Sardaigne13. Dans la seconde catégorie se classent des villes indigènes de Sicile, où il semblerait que l’on ait conservé longtemps l’habitude de les concevoir selon un « urbanisme » qu’on ne peut en aucun cas qualifier d’organisé. On l’a vu notamment avec Scornavacche, qui semble s’être constitué par l’agrégation successive d’unités d’habitat conçues autour d’une grande cour fermée où se déroulaient les activités artisanales. Parfois ces édifices étaient séparés entre eux par de grands espaces vides dont les fonctions pouvaient être multiples : lieu de rassemblement d’hommes, regroupement d’animaux ou de biens14.
Événements historiques et faits archéologiques
16Notre cadre historique général, tel qu’on l’a défini au début de la première partie, s’ouvre par un événement saillant : l’invasion de la Sicile par les troupes de Carthage en 406/405. Cet épisode, qui favorisa l’arrivée au pouvoir de Denys l’Ancien, fut marqué par la dévastation de cités de première importance : Sélinonte d’abord, puis Géla et Agrigente. Dans chacune de ces cités, les stigmates de cette destruction ont bel et bien été attestés par l’archéologie : sur l’acropole de Géla et de Sélinonte ainsi que dans le quartier de la porte II et le quartier « hellénistico-romain » d’Agrigente. Immédiatement après cette invasion, les sources mentionnent que les habitants de Camarine et de Géla furent déportés par Denys l’Ancien15. Cependant, à Géla, les fouilles les plus récentes et le réexamen de certaines structures et de pièces de mobilier m’incitent à penser qu’il n’y a pas eu d’abandon définitif de la ville. Au lieu de cela, on constate à tout le moins une certaine permanence de l’occupation16. Pour Camarine, l’épisode violent de 405 a été reconnu dans les vestiges d’une tour manifestement brûlée à cette occasion17 mais la fréquentation de la ville ne s’est pas interrompue, comme nous l’indique l’utilisation continue de la nécropole de Passo Marinaro entre la fin du ve siècle et le iiie siècle18. Dans ces deux villes, le départ forcé des habitants et l’abandon décrits par les textes n’est donc pas confirmé par l’archéologie. On apprend également à la lecture des sources que Denys exila les populations de plusieurs cités, notamment celle de Léontinoi, dont il transféra les habitants à Syracuse19 : s’il a bien eu lieu, un tel déplacement de population devrait avoir laissé des indices à Syracuse. Même s’il est difficile d’être affirmatif, on pourrait éventuellement le faire coïncider avec les premières constructions dans les futurs quartiers de Néapolis et Tychè. Ces derniers auraient pu être conçus (hors les murs, on le rappelle) justement pour répondre à cet afflux rapide d’habitants, en désaffectant et en occupant pour ce faire un secteur de nécropoles, signe que l’agrandissement de la ville résultait d’une nécessité impérieuse. Par ailleurs, la tradition attribue à Denys la fondation de Tyndaris en 396. Or, les fouilles menées jusqu’à présent sur le site n’ont pas fourni de documents matériels se rapportant à cette époque. Les données manquent donc qui permettraient d’attribuer de manière certaine cette fondation au tyran de Syracuse.
17La période historique qui vint ensuite fut fortement marquée par l’épisode des recolonisations : entre 344 et 339, Timoléon reprit de nombreuses cités grecques et indigènes à l’ennemi carthaginois et décida par deux fois de faire appel à des colons pour repeupler les villes et les territoires abandonnés. On a évoqué à plusieurs reprises ce phénomène, en reconnaissant d’abord l’existence de deux mouvements de colonisation, dont on a ensuite atténué la portée. D’abord à travers les cas symboliques de Géla et Camarine, dont les auteurs anciens nous disent qu’elles furent repeuplées par des colons 20. Pour la première, l’extension de l’habitat vers l’ouest de la ville, par-dessus les anciennes nécropoles, ne peut être en toute certitude attribuée à l’arrivée de ces colons, même si cela n’est pas complètement exclu. Dans la seconde, l’occupation nouvelle de certains quartiers a aussi été reliée aux actes de Timoléon (en particulier dans les îlots E37 à E39, D38, D39 et C44), de même que la construction de plusieurs édifices et voies qui reprenaient exactement le schéma des implantations du ve siècle21. Or certaines découvertes indiquent indubitablement que ces secteurs étaient déjà occupés auparavant, même si on en connaît mal les modalités. Il y a ensuite la situation de Tyndaris qui est, une fois encore, sibylline puisqu’il semblerait y avoir une contradiction entre les témoignages d’une prospérité économique dans la seconde moitié du ive siècle, telle que l’atteste le monnayage22, et le peu de vestiges archéologiques relevant assurément de cette période. Les textes soutiennent d’autre part qu’elle fut parmi les premières à rejoindre Timoléon23. La seule conviction que l’on puisse donc retirer de ces éléments est l’existence effective de Tyndaris à cette période, qui agissait en cité indépendante. Ainsi, comme on le rappelait déjà plus haut, le phénomène des recolonisations timoléoniennes aurait été limité et probablement concentré sur Syracuse, dont les sources nous disent qu’elle aurait accueilli non seulement des colons mais également des habitants de Léontinoi, de Kentoripa et d’Agyrion24. Les nouveaux quartiers, auxquels on a fait allusion ci-dessus, pourraient également correspondre à cette situation puisqu’ils ne sont qu’approximativement datés dans le courant du ive siècle. Rien n’interdirait non plus de penser qu’ils aient été conçus à l’initiative de Denys l’Ancien, puis qu’ils aient été agrandis par Timoléon pour faire de la place aux nouveaux arrivants. À Syracuse aussi, les connaissances archéologiques trop imprécises n’autorisent une fois encore que des spéculations. C’est la même chose à Mégara, pour laquelle on a détecté la probable persistance d’un urbanisme régulier et d’une forme de lotissement dans la partie est de la ville hellénistique. On a alors envisagé la possibilité que Denys l’Ancien ait pu disposer du territoire de Mégara et soit à l’origine de ce lotissement : dans le même esprit, il est tout aussi concevable que Timoléon ait pu y envoyer certains des colons destinés à Syracuse. Pour confirmer ces hypothèses de travail, il faudrait entreprendre des fouilles dans cette partie non dégagée de Mégara.
18Le règne d’Agathocle, arrivé au pouvoir en 316, ne fut pas aussi long que celui de Denys l’Ancien (il mourut en 289) mais il lui ressemblait à bien des égards et s’inscrivait ainsi parfaitement dans la lignée des tyrans siciliens. Peu de faits archéologiques peuvent toutefois y être rattachés. Les archéologues de Morgantina pensèrent un temps pouvoir attribuer à Agathocle la plupart des monuments de l’agora ainsi qu’une hypothétique reconstruction de la ville. On sait désormais ce qu’il en est de la datation de la grille urbaine de Morgantina, plus ancienne, tandis que nombre des édifices de l’agora ont été finalement rattachés au règne de Hiéron II. Il reste néanmoins que certains, et non des moindres, comme le théâtre, sont datés de la fin du ive siècle et qu’ils ont donc été potentiellement réalisés sous l’égide d’Agathocle. En ce qui concerne l’habitat, il est difficile de savoir ce qui, à Morgantina et ailleurs, pourrait lui être dû, puisqu’on ne lui connaît pas d’actes de fondations ou de refondations de villes. Toutefois, il faut se rappeler que, lors de son accession à la stratégie avec pleins pouvoirs, il fit la promesse au peuple de Syracuse d’annuler les dettes et de distribuer des terres. Agathocle était un démagogue, comme nombre de tyrans, et il semble avoir conservé une certaine popularité tout au long de son règne : il n’est donc pas impossible qu’il ait, au moins en partie, tenu ses promesses. Mais, à nouveau, nous en sommes réduits aux supputations dans l’attente que des données de terrain viennent les confirmer ou les infirmer.
19Hiéron II, selon les textes, aurait été à l’origine notamment de la construction de gymnases. Plusieurs archéologues lui ont par ailleurs attribué la réalisation de fortifications et, indirectement, l’apparition de greniers à grain suite à l’édiction de sa loi frumentaire. On peut effectivement nommer trois villes qui auraient particulièrement bénéficié d’une politique édilitaire de Hiéron II : Syracuse, Morgantina et Mégara. Syracuse était le siège du pouvoir royal et le centre du royaume, et les exemples spectaculaires de l’évergétisme de Hiéron n’y manquent pas25. On ne se livrera pas ici à une présentation de ces édifices, même succincte, car cela dépasse le cadre de nos recherches : on se contentera donc simplement de mentionner l’Olympieion sur l’agora26 ainsi que le théâtre et l’autel monumental de la Néapolis. La charge symbolique et le programme idéologique qui sous-tendaient ces réalisations monumentales indubitablement voulues par Hiéron et sa dynastie ont été plusieurs fois rappelés27. Mais, derrière ces constructions, devait certainement se trouver un projet urbanistique plus général et, en conséquence, une certaine organisation de l’habitat qui malheureusement nous échappent tous deux28. Il semble néanmoins clair que les origines du système urbain aux axes perpendiculaires N-S et E-O situés entre les quartiers modernes de la Piazza della Vittoria et du Giardino Spagna remontent à l’époque de son règne. Les bains de Contrada Zappalà datent aussi très certainement de cette période. Morgantina a été considérée, dès le début de l’ère des fouilles américaines, comme l’une des villes qui auraient bénéficié de la générosité du basileus et de la prospérité engendrée par son règne29. Un bon nombre de réalisations sur l’agora ont effectivement été reliées à l’époque de Hiéron II, voire directement attribuées à une initiative du roi ou de sa cour30. Selon la thèse de M. Bell, Hiéron serait également à créditer de l’introduction à Morgantina du culte de Zeus Agoraios, attesté par un graffito sur tesson retrouvé près d’un des autels de l’agora, qui devait lui être également dédié. Le roi serait aussi indirectement à l’origine des greniers à grain, dont la construction autour de la place publique s’expliquerait par l’application concrète de la lex Hieronica. Tous ces édifices attribués à Hiéron II pourraient donc faire partie d’un projet architectural d’ensemble réalisé dans les années 260-250, peut-être sous la houlette d’un même architecte syracusain31. Cette interprétation a été contestée en arguant du fait qu’aucune source ne mentionne une quelconque réalisation hiéronienne, au sens propre, à Morgantina et qu’aucun des éléments archéologiques avancés à l’appui de cette thèse ne peut constituer en soi une preuve irréfutable32. Néanmoins, le raisonnement formulé par M. Bell, avec le faisceau d’indices et de présomptions qu’il fournit, me semble suffisamment recevable33 : l’inclusion de Morgantina dans la sphère d’influence syracusaine incarnée par Hiéron apparaît comme très probable et, par conséquent, il semble raisonnable d’attribuer la monumentalisation de l’agora à une volonté royale. Par ailleurs, la construction des bains sophistiqués du quartier nord-ouest a été datée de façon fiable dans la première moitié du iiie siècle. Enfin, la plupart des vestiges d’habitat visibles sur le site, dont les maisons les plus luxueuses, peuvent être attribués avec confiance à cette même époque. L’archéologie de la Morgantina du iiie siècle porte donc l’empreinte de Hiéron II, directement visible dans certaines réalisations monumentales ou indirectement perceptible dans le fleurissement d’un luxe privé favorisé par son long et relativement paisible règne. Quant à Mégara Hyblaea, l’obédience de la cité envers Syracuse après le début du ve siècle et l’intervention de Gélon I ne fait guère de doutes ; à l’époque de Hiéron II, c’est au roi qu’elle était indéniablement soumise. Dans ces circonstances, des manifestations concrètes de l’évergétisme et de la propagande royales n’ont pas manqué d’être relevées par les archéologues. L’un des vestiges qui a le plus intéressé les chercheurs, et sur lequel tous s’accordent aujourd’hui à voir la marque de la politique de Hiéron, est le temple dorique au nord de l’agora34. Si la dédicace à Zeus Olympien semble limpide, en raison de l’acrotère en forme d’aigle, il reste à clarifier dans quel programme idéologique ce temple pouvait s’insérer35. Dans plusieurs villes se trouvent des fortifications attribuées aux réalisations architecturales du monarque : celles bien visibles aujourd’hui sur le site de Mégara doivent être comptées parmi elles36. Un nombre conséquent de structures ou de réaménagements directement en rapport avec l’agora peuvent également être mises au crédit du souverain, comme les « Bains hellénistiques » et plusieurs bases de statue37. Enfin, l’îlot situé entre la fortification et l’agora (îlot VI) porte visiblement les traces d’une restructuration qui se lit à travers les plans de plusieurs maisons, dont la maison R2_G2 (= VI G-H = 22,23), qui figure parmi les habitations les plus cossues de Mégara hellénistique et qui serait un témoignage de l’enrichissement d’une partie de la population.
20À la suite de cette revue, quelles contradictions et quelles concordances peut-on finalement relever entre les récits historiques issus des sources et les faits archéologiques dans la Sicile hellénistique ? Parmi les événements qui concernaient le fait urbain et qui étaient susceptibles d’être retranscrits par les auteurs anciens, on a fait ressortir en particulier les fondations (ou refondations) des villes et leurs abandons, parfois dus à la déportation des habitants. Si l’on en croit les textes, les cas de Tyndaris, Géla et Camarine devraient faire partie de ces fondations/refondations. Or, en l’état des connaissances, l’archéologie ne confirme pas la fondation traditionnelle de Tyndaris au début du ive siècle ; de plus, il n’y a pas d’éléments indubitables qui aillent dans le sens d’une recolonisation de Géla, même si celle-ci reste envisageable ; quant à Camarine, si elle a pu être de nouveau lotie à l’époque de Timoléon, on ne doit pas y voir forcément un « agrandissement de la ville » tel que le qualifient les textes. Finalement, pour ces trois cités, les confirmations archéologiques d’un acte aussi marquant qu’une fondation ou une refondation sont pour l’instant restreintes voire nulles. De son côté, Syracuse n’a pas été officiellement refondée mais elle aurait été directement concernée par la recolonisation de Timoléon et par l’arrivée de nouveaux habitants, déportés à Syracuse après avoir été expulsés de leurs villes. Le flou et l’imprécision des données archéologiques nous empêchent ici d’affirmer que de tels événements ont bien eu lieu. Dans tous ces cas, il faut finalement reconnaître notre impuissance à juger de l’exactitude des événements relatés dans nos sources car les informations fournies par les investigations archéologiques sont bien trop ténues pour nous permettre de trancher. En l’espèce, je suis même enclin à conserver une certaine prudence vis-à-vis des textes, en particulier pour ce qui concerne les œuvres de Timoléon. Nombreux sont d’ailleurs les chercheurs à avoir décrit une « propagande timoléonienne » qui, aussi sûrement que sa légendaire « bonne fortune », a certainement accompagné les faits et gestes du Corinthien38. Concernant les abandons de villes, l’archéologie me permet d’être plus catégorique et de répondre par la négative dans plusieurs cas : Géla et Camarine étaient bel et bien occupées dans la première moitié du ive siècle, de même qu’un centre de l’arrière-pays comme Scornavacche et d’autres avec lui. Nous pouvons également ajouter Mégara, où l’étude des séries de céramiques montre qu’elle n’aurait été désertée que durant un quart de siècle et constamment occupée ensuite à partir du milieu du ve siècle. À travers ces exemples, on voit donc que le phénomène d’abandon a été largement exagéré, d’abord par les textes mais aussi par les commentateurs modernes.
21Enfin, je voudrais aborder la comparaison entre les récits des sources et les faits archéologiques sous l’angle opposé, autrement dit évoquer les villes dont les vestiges témoignent d’une situation sur laquelle les textes ne disent rien ou presque. Certaines cités n’ont ainsi pas eu les faveurs des chroniqueurs, bien qu’à l’époque hellénistique elles aient possédé des monuments remarquables et des habitations qui ne l’étaient pas moins : Monte Iato, Solonte, Morgantina, Sélinonte. Ce silence des textes doit certainement beaucoup aux préjugés culturels dont faisaient souvent preuve les auteurs anciens, plus préoccupés par le devenir des grandes cités grecques que par celui de « villes de l’arrière-pays » (Monte Iato) ou de fondations puniques (Sélinonte). Morgantina, citée à diverses occasions, a été légèrement privilégiée par rapport à ses consœurs, sans doute en vertu de son statut plus « élevé » si l’on en croit la mention de Diodore qui la qualifiait de « cité digne de considération »39. À mon sens, ces trois exemples doivent donc être comptés parmi les dissonances entre documents littéraires et documents archéologiques : ces derniers reflètent pour ces villes un statut manifestement bien plus important que celui que laisse entendre l’étude de nos sources. Finalement, Mégara Hyblaea compte donc parmi les rares cas pour lesquels on peut dire qu’archéologie et textes sont en accord : les faits archéologiques confirment effectivement le statut mineur de la ville à l’époque hellénistique et peuvent expliquer le peu de considération que lui ont accordé les chroniqueurs.
Ouvertures
Mégara Hyblaea hellénistique : et ensuite ?
22La première des perspectives de recherche que je voudrais suggérer revient bien sûr au site qui occupe une place centrale dans cette étude. Il s’agit d’une double question : quelle fut la place de Mégara Hyblaea hellénistique dans l’histoire de la Sicile ? Et quelle peut-être la sienne dans la recherche d’aujourd’hui et de demain ?
23D’un point de vue historique, on vient de le rappeler, son rôle à l’époque hellénistique semble avoir été quasiment inexistant. Les textes le disent ou, justement, ne le disent pas et l’archéologie le confirme : l’une des premières nées parmi les colonies grecques de Sicile, qui à son tour donna naissance à la puissante cité de Sélinonte, ne s’était visiblement pas relevée du coup que lui porta Gélon en la vidant de ses habitants. La phase de réoccupation fut loin d’être ambitieuse, tant en termes d’ampleur que de constructions, et les Mégariens, s’il en était parmi eux qui rêvaient encore de la grandeur passée de leur cité, durent se résoudre à circonscrire leur nouvelle ville aux quelques acres qui entouraient leur ancienne agora. Il est possible que les autocrates qui se succédèrent à la tête de Syracuse, de Denys l’Ancien à Agathocle, aient disposé du territoire de Mégara, asty et chôra, pour récompenser leurs affidés, y installer leurs mercenaires ou les émigrants qu’ils avaient fait venir : à plusieurs reprises, j’ai tâché de signaler les circonstances qui pourraient s’être prêtées à ces pratiques. Ainsi, la longue tyrannie d’un Denys l’Ancien, assise sur des fidèles qu’il fallait récompenser, des mercenaires à payer et une masse à flatter, a dû être le théâtre de distributions de cadeaux fonciers, maisons et lots dans les villes, terrains à cultiver dans les territoires. On apprend par les textes que cela s’est produit une fois pour Syracuse et son territoire40 : rien n’interdit de penser que cela ait pu se reproduire et rien n’interdit non plus de supposer que la voisine Mégara Hyblaea, que l’on sait désormais habitée à cette époque, ait pu être concernée. Ce ne sont là bien entendu que des hypothèses, sans véritable confirmation archéologique, extrapolées à partir des textes : il me semble néanmoins intéressant de les envisager. Grâce à plusieurs indices, on a pu proposer comme lieux potentiels où installer de nouveaux arrivants ces secteurs plus éloignés du centre de la ville où l’organisation urbaine semble être restée quasiment inchangée. Ensuite, le règne de Hiéron II a ressemblé pour Mégara à un second souffle, incarné par cette nouvelle monumentalisation de l’agora et par la timide apparition d’éléments de confort dans les maisons. Mais la construction de nouveaux monuments doit être vue comme un acte de bienfaisance de la part d’un souverain tout-puissant, de réalisations faites de toute autorité et non dénuées d’arrière-pensées propagandistes. La cité, qui n’en était certainement plus tout à fait une, devait ainsi cette pâle renaissance à une puissance extérieure et non à ses propres ressources, et cela ne changea pas non plus avec l’arrivée de Rome.
24Pour l’historiographie et la recherche actuelles, point n’est besoin de rappeler l’importance de Mégara Hyblaea dans la compréhension du phénomène colonial et de la conception des premiers plans d’urbanisme. Comparé à cela, son apport à l’archéologie de la Sicile hellénistique peut sembler assez réduit. Malgré tout, nous avons vu tout au long de l’étude de son habitat et de son urbanisme que ses vestiges apportent de nouvelles données sur les murs, les types de couvertures, les latrines et les salles de bains, la planimétrie des maisons. Sur tous ces sujets, l’archéologie de la Mégara hellénistique fournit certes des confirmations, mais surtout des éléments caractéristiques provenant d’une ville de la côte orientale de la Sicile, fondamentalement grecque : dans le contexte bariolé et multiculturel de l’île au travers des siècles, la nature vraisemblablement homogène de son ethnos se doit d’être soulignée.
25Parmi les nouvelles informations comptent aussi l’effort de cadrage chronologique des seuils, la prise en compte de certains équipements hydrauliques et la proposition sur l’introduction des bétons de tuileau. Au rang des interrogations, je ferai figurer la présence de murs en appareil a telaio, la possibilité d’avoir utilisé des arulae cylindriques comme margelles de puits, la diversité des plans de maisons et, peut-être la présence parmi eux de plans « à cour d’angle ». Sans compter la simple nécessité qu’il y avait de publier le mieux possible toutes ces structures inédites, j’espère que les études en cours et les fouilles à venir permettront d’éclaircir ces sujets. Notamment, il serait intéressant de voir comment l’habitat était organisé dans les quartiers orientaux de la ville hellénistique. Car s’il ne fait pas de doute qu’il y a eu dans ce secteur des édifices hellénistiques, il faudrait déterminer si leur origine remonte à la réoccupation de la ville au ve siècle et s’il a pu perdurer pendant plusieurs siècles jusqu’à l’époque romaine. Autrement dit : comment et dans quelle mesure un habitat hellénistique a-t-il pu s’insérer dans les schémas de la ville archaïque sans quasiment les modifier ?
La place de la Sicile en Méditerranée hellénistique
26D’autres pistes de réflexion, plus globales, émergent de ces travaux. La question de la place de la Sicile dans le monde hellénistique, d’abord, entre influences macédoniennes et rapports avec l’Égypte ptolémaïque. Une possible influence venant du royaume hellénistique de Macédoine a été régulièrement avancée pour expliquer certains faits d’architecture domestique dans les maisons siciliennes, en particulier chez H.P. Isler, N. Bonacasa et M. Wolf41. Ces faits, ce sont les cours à péristyle et les Dreiraumgruppen. Selon cette hypothèse, de telles innovations architecturales auraient même été adoptées très tôt en Sicile, si l’on admet que les premières occurrences auraient eu lieu dès la fin du ive siècle à Monte Iato, voire à Solonte. Ainsi, l’arrivée des Dreiraumgruppen à cette époque en Sicile se serait faite en transitant d’abord par l’Épire, à Antigonia, puis par l’Apulie, à Monte Sanace42. Il me semble toutefois que ces phénomènes d’adoption sont plus tardifs et qu’ils ne peuvent être dans le meilleur des cas antérieurs à la première moitié du iiie siècle (Monte Iato, Morgantina)43. Pour autant, l’origine macédonienne de ces éléments d’architecture domestique ne peut être niée : il reste donc qu’on connaît très mal leurs processus de diffusion et que ceux-ci gagneraient à être explicités. Par quels vecteurs cela s’est-il fait ? Si l’hypothèse d’un « courant adriatique » qui aurait d’abord franchi le canal d’Otrante est plausible pour la fin du ive siècle, où se trouveraient les relais menant à la Sicile, si tant est qu’il y en ait eu ? Est-ce que l’on pourrait considérer ensuite que, à l’exemple des bétons de tuileau, l’île aurait joué un rôle central dans la diffusion de ces techniques au reste de la Méditerranée occidentale ? Toujours dans le cadre du monde hellénistique, certains chercheurs ont souligné les relations qui s’étaient nouées entre la Sicile et l’Égypte ptolémaïque, d’abord du temps d’Agathocle puis surtout à l’époque de Hiéron II44. Jusqu’à quel point ces liens privilégiés se sont-ils exercés ? Est-il possible d’envisager l’installation de groupes constitués de commerçants alexandrins à Syracuse ou dans d’autres villes portuaires du royaume de Hiéron, qui auraient laissé des traces tangibles, comme les Italiens à Délos ?
27Une autre interrogation porte sur les spécificités de l’habitat et l’appartenance de la Sicile à la « koinè hellénistique ». Autrement dit : peut-on réellement parler d’époque hellénistique en Sicile ? À ces questions que je posais en introduction de ce livre peuvent à présent être apportés des éléments de réponses. À travers la sophistication de l’habitat que nous avons perçue dans toutes les villes étudiées et que nous avons à nouveau évoquée ci-dessus, on perçoit la même tendance que celle qui naquit peu de temps auparavant dans les royaumes hellénistiques. Entre la fin du ve et le début du ive siècle, on s’aperçoit que le luxe privé, pour le moins blâmé au cours des époques précédentes, était de moins en moins « tabou » et qu’il s’affichait de plus en plus ostensiblement dans les maisons, par exemple à Olynthe ou à Érétrie. Cette recherche du confort et de l’autoreprésentation dans la sphère domestique connaît une accélération importante vers le milieu du ive siècle à Pella et à Aigai Vergina : c’est donc réellement un phénomène « hellénistique » en ce qu’il a crû sous la monarchie de Philippe II, en touchant d’abord les résidences royales et en s’étendant rapidement à d’autres, qui appartenaient aux membres de cercles proches du pouvoir, les philoi. Les mêmes caractéristiques se retrouvent effectivement dans les maisons de Sicile, quoiqu’un peu décalées dans le temps puisqu’elles ne commencèrent à se manifester qu’au début du iiie siècle. Les pratiques de certains dirigeants n’avaient par contre pas attendu aussi longtemps : Denys l’Ancien puis Denys le Jeune au ive siècle, Agathocle au tournant des deux siècles et enfin Hiéron II au iiie siècle se comportaient comme de véritables monarques. Cela est encore plus flagrant dans le cas d’Agathocle et de Hiéron II qui, à l’image des Diadoques, n’hésitèrent pas à assumer directement le titre de basileus, même s’ils essayèrent parfois, par pure démagogie, de conserver quelques-uns des oripeaux civiques des anciennes cités grecques. D’autre part, on a relevé les signes de leur « évergétisme royal » qui visait à embellir les villes et à les doter de monuments disposés dans une scénographie parfois spectaculaire.
28On peut donc dire que la Sicile des ive et iiie siècles faisait intégralement partie de la koinè hellénistique qui se développait alors en Méditerranée. Même si, en toute rigueur, on ne devrait faire débuter l’époque hellénistique qu’au temps d’Alexandre le Grand, il me semble clair que toutes les caractéristiques qui définissent cette période étaient déjà présentes en Sicile dès l’orée du ive siècle et qu’elles s’affirmèrent totalement au iiie siècle, dans ce que d’aucuns ont appelé « l’Ellenismo siciliano45 ».
Notes de bas de page
1 Même constat à Sélinonte (Helas 2011, p. 106).
2 Finalement, comme le fait remarquer H.P. Isler, on peut plus facilement restituer les élévations là où les terrains en pente ont obligé les architectes à faire des constructions en terrasse (Isler 2010, p. 320).
3 La forme particulière du péristyle à deux étages semble effectivement se retrouver uniquement en Sicile du Nord et du Nord-Ouest (Monte Iato, Solonte, Halaesa et Tyndaris) : on note que les cours sont alors rectangulaires sans être étirées en longueur, contrairement à certaines cours de Morgantina (Isler 2010, p. 321-322).
4 Les deux phénomènes pourraient être contemporains, comme l’a fait remarquer M.-C. Hellmann (Hellmann 2010, p. 175).
5 Des bains collectifs à usage public pouvaient exister dans des maisons individuelles et être possédés et gérés par des particuliers, dont ils portaient le nom : outre les présents « bains de Gnaius Modius », on connaît les « bains d’Ariston » à Délos (Hellmann 2010, p. 95).
6 Un équipement domestique tel qu’une salle de bains devait déjà être un luxe en soi. Les bains publics permettaient d’assurer les besoins de la majorité de la population. Mégara a eu des bains publics dès le milieu du iiie siècle et sans doute avant, si on pense au premier état des bains hellénistiques de l’agora (voir p. 247) et à l’édifice R1_H2 (voir p. 167).
7 Liberté devait être laissée aux architectes en tenant compte de l’espace disponible et des souhaits des propriétaires (Isler 2010, p. 316). Voir également les observations de De Miro 2009, p. 387.
8 Diod. 22, fr. 3.
9 La Torre, Mollo 2013, p. 69-72, 423-424.
10 Cet événement aurait eu lieu vers 461 et il a été relaté tant par Diodore (11, 76, 5) que par Timée (FGrHist 566 F 19, a-b ap. Schol. Pind. Ol. 5, 19, a-b), l’un parlant à ce propos d’un partage du territoire de la cité entre les colons et l’autre, d’un synœcisme. Voir aussi : Tourny 2012, p. 79 ; Di Stefano 2006, p. 166 ; Pelagatti, Ceschi, Tonca 1976, p. 125.
11 Tréziny 2009, p. 165.
12 Helas 2011, p. 157-161.
13 Montanero Vico 2014, p. 78, 89-91.
14 Di Vita 2002, p. 141.
15 Diod. 13, 111, 1-3 et 113, 4.
16 Même constat chez de nombreux chercheurs, voir globalement en partie 3. D’ailleurs, dans le traité de paix qui suit l’épisode de 405, Diodore précise bien que les Géléens (et les Camariniens) étaient autorisés à habiter leurs villes (13, 114, 1).
17 Di Vita 1958, p. 85-86.
18 Di Stefano 1987, p. 727-764.
19 Diod. 14, 15, 4.
20 Diod. 16, 82, 7 ; Plut. Tim. 35, 2-3.
21 Tourny 2012, p. 150-154.
22 Les émissions monétaires d’alors comprendraient des séries très proches sur le plan du schéma et du style de certaines émises à Messine vers 354 : Hélène/Cavalier, Hélène/Astre, Hélène/Dauphin ou Asta/Astre. Ces motifs liés aux Dioscures sont typiques des émissions de cette partie nord-orientale de la Sicile et montrent bien l’intégration de l’ancienne colonie dionysienne dans les circuits commerciaux locaux ainsi que l’assimilation de leurs symboles (Consolo Langher 1996, p. 583-584).
23 Diod 16, 69, 3.
24 Diod 16, 82, 4 et 7.
25 Le doute ne semble pas permis puisque différentes sources les mentionnent à plusieurs reprises (Campagna 2004, p. 157). Voir la petite discussion, p. 17-18.
26 Connu seulement par les sources : Diod. 16, 83, 2 ; Cicéron Verr. 2, 4, 53.
27 Campagna 2004, p. 164-183 ; Bell 1999, p. 269-276.
28 Campagna 2004, p. 157.
29 Sjöqvist 1960, p. 131.
30 Bell, Holloway 1988, p. 314-316.
31 Bell 1999, p. 258-266. M. Bell y ajoute l’édifice au nord-ouest de l’agora, identifié comme étant le bouleuterion et daté vers le milieu du iiie siècle. Avec les grands escaliers sur l’agora, interprétés comme un ekklesiasterion en raison des vestiges d’une bèma, il y aurait donc eu à Morgantina tous les attributs monumentaux d’une cité indépendante (Bell 1999, p. 266-268).
32 Campagna 2004, p. 155-157.
33 Les indices sont la disparition des émissions monétaires de Morgantina, abondamment remplacées par des monnaies de Hiéron II et de Syracuse, la communauté de destin de Morgantina avec Syracuse, Léontinoi et Mégara, qui reçurent le même traitement de la part de Rome lors de la deuxième guerre punique (Bell 1999, n. 5 p. 258).
34 Voir Mégara 7, p. 203-205. Voir aussi, parmi les contributions récentes : Bell 1999, p. 259 ; Campagna 2004, p. 162-163. La révision de la chronologie du temple est due à W. von Sydow, « Die hellenistischen Gebälke in Sizilien », MDAI(R), 91.2, 1984, p. 239-258.
35 Campagna 2004, p. 163 ; voir ici n. 23, p. 37.
36 Voir Mégara 7, p. 89-119, 133-134.
37 Ibid., chap. 6.
38 Diodore et Plutarque, en se fondant sur le récit élogieux de Timée de Tauroménion, ont ainsi fait écho à des prodiges ou à des signes qui auraient accompagné l’entreprise de Timoléon, à son départ de Corinthe (Diod. 16, 66, 4 ; Plut. Tim. 8, 1-2) ou avant la bataille du Crimisos (Diod. 16, 79, 3-4 ; Plut. Tim. 26, 1-5). Pour l’analyse de cette propagande probablement créée par Timoléon lui-même de son vivant, voir notamment Sordi 1983 (p. 46-52, 70-73), Sjöqvist 1958 (p. 107-118) et Westlake 1952 (p. 1-9).
39 Diod. 11,78,5.
40 Diod 14, 7, 4-5 et 65, 2-3.
41 Isler 2010, p. 315, 317, 326, 328 ; Bonacasa 2004, p. 41 ; Wolf 2003, p. 84-88, 97-101.
42 Selon Isler 2010, p. 317. Il s’agit des maisons à péristyle sur l’acropole de Monte Sanace et de la « Haus I » d’Antigonia.
43 Steingräber, Pouzadoux, Munzi 2016, p. 522-526
44 Caccamo Caltabiano 1997 ; De Sensi Sestito 1995.
45 Bonacasa 2004, p. 36-37.
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