Chapitre 9. Nouvelles propositions
p. 243-258
Texte intégral
Les bétons de tuileau en Sicile : origine et datation
1Un nombre appréciable des structures archéologiques que l’on a présentées depuis le début, maisons et édifices publics, comportaient un élément incontournable de notre thème de recherche, tant pour ses qualités architecturales propres que pour ses implications « chrono-culturelles », souvent invoquées pour soutenir telle ou telle hypothèse de datation : le béton de tuileau1. C’est un fait : aux ive et iiie siècles de nombreux édifices de Sicile ont commencé à être pourvus de ce type de sol, inconnu auparavant dans l’île et largement diffusé ensuite dans une grande partie de la Méditerranée2. On peut donc parler d’une innovation architecturale marquante, tout particulièrement pour l’archéologie de la Sicile hellénistique puisque c’est à cette époque et à partir de ce lieu que les bétons de tuileau se seraient répandus. Cette question est complexe et âprement débattue. Elle a par ailleurs été largement polarisée sur le problème spécifique du béton de tuileau à décor de tesselles3, en tant qu’ancêtre possible du sol en mosaïque de tesselles qui, par sa complexité et son côté artistique et prestigieux, a naturellement davantage intéressé les chercheurs4. Je ne prétends pas apporter une réponse ici sur ce point précis. Cependant, le sujet est suffisamment important pour y consacrer une courte synthèse et pour émettre ensuite quelques réflexions nouvelles sur la présence de ces bétons à Mégara et, plus largement, en Sicile orientale.
2La question du béton de tuileau s’articule essentiellement autour de deux points cruciaux : l’origine de la technique et sa date d’apparition en Sicile. Le premier point n’est pas le plus épineux au premier abord, puisqu’on s’accorde à reconnaître que la technique du béton (au sens large) a été développée au Proche-Orient. Il semblerait donc logique de supposer qu’elle ait été ensuite colportée dans l’Ouest par les Phéniciens, se fixant d’abord chez les Puniques d’Afrique du Nord, où elle aurait évolué en béton de tuileau, avant d’essaimer dans les territoires sous leur influence, notamment la Sicile occidentale5. Cette origine punique serait confirmée par une allusion attribuée à Caton l’Ancien, que l’on ne connaît que dans une retranscription bien plus tardive6 ; pour P. Bruneau, ce témoignage attribué à Caton nous informe simplement que « de son temps, l’usage des pavements était récent à Rome et pouvait passer pour un apport punique ». Il précise également que, par « punique », le rhéteur pouvait tout aussi bien entendre l’Afrique du Nord et la Sicile dans leur ensemble et qu’au final, seule l’archéologie peut être capable de déterminer les modalités d’apparition de l’opus signinum, c’est-à-dire, selon la définition qu’en donne P. Bruneau, du béton de tuileau à tesselles7. Ce n’est pas (encore) exactement le cas d’après les éléments dont on dispose et que je présente rapidement ici.
3Pour l’Afrique du Nord, il s’avère que la plupart des exemples de bétons de tuileau connus à Carthage ne remontent pas au-delà du iiie siècle, avec un corpus qui se diversifie dans les dernières décennies de la ville8, détruite en 146. Certaines trouvailles ont permis toutefois de rattacher des bétons de tuileau à la première moitié du ive siècle tandis que les décors à base de tesselles de formes assez régulières n’apparaissent franchement qu’au iiie siècle et ce, bien que les premières occurrences puissent être plus anciennes9. À Kerkouane, dont on sait qu’elle est abandonnée vers le milieu du iiie siècle, les témoignages archéologiques confirment ceux de Carthage puisque la grande majorité des vestiges ne remontent pas au-delà du début du ive siècle10. Des bétons ont néanmoins été signalés dans des structures de la deuxième moitié du vie siècle lors de sondages en profondeur, sans que leur nature exacte ne soit précisée11. Un fragment isolé de mosaïque a également été trouvé dans des remblais du ve siècle mais, à cause de son contexte de découverte, sa datation est sujette à caution12. Ce sont aux mêmes horizons chronologiques que nous renvoient les plus anciens bétons de tuileau mis au jour en Sicile. Ils se trouvent à Sélinonte, sous la forme de bétons de tuileau de quatre types différents, tous construits durant la période punique de la ville, soit grosso modo entre 340 et 250. Si les rares données stratigraphiques ne permettent pas vraiment d’affiner les chronologies respectives de ces différents types de sol13, l’analyse typologique autorise par contre une classification plutôt convaincante14. Néanmoins, aucun des bétons de tuileau à tesselles de Sélinonte ne semble pouvoir être véritablement qualifié de sol à mosaïque15. D’autre part, des sols compactés et irréguliers à base de chaux sont certes connus à Monte Iato dès la fin du vie siècle mais ce ne sont pas, à proprement parler, des bétons et encore moins des bétons de tuileau. Les bétons y apparaissent vraisemblablement un peu plus tard, vers le deuxième quart du ve siècle, et ils sont peints en rouge ou en gris16. Quant à la technique du béton de tuileau (appelé cocciopesto par H.P. Isler), elle serait en usage à partir de la fin du ive siècle dans des édifices publics mais elle se développerait surtout au cours du iiie siècle sous la forme de bétons de tuileau à tesselles (appelés opus signinum) : la datation des maisons à péristyle de Monte Iato, où la plupart de ces bétons de tuileau ont été retrouvés, m’incite à pencher plutôt pour la deuxième moitié du iiie siècle17. Pour Solonte, il existe une grande incertitude sur les datations à attribuer aux premiers bétons de tuileau, comme on a pu le voir en partie 1 : leur apparition se situerait ainsi entre la fin du ive siècle et la première moitié du iie siècle. En l’état du débat, les arguments des uns et des autres ne permettent pas de trancher : il est donc plus prudent de mettre le cas de Solonte à part. Enfin, à Morgantina, des sondages sous certains bétons de tuileau ont permis d’établir que les plus anciens remontent au second quart du iiie siècle et qu’il s’en est construit jusqu’à l’abandon du site, c’est-à-dire dans la première moitié du ier siècle apr. J.-C.18.
4Ce que l’on vient de passer en revue est donc la documentation archéologique la plus ancienne que l’on possède à la fois en Afrique du Nord et en Sicile sur les bétons de tuileau. Cependant, les contextes chronologiques fiables ne sont pas suffisamment nombreux pour permettre de déterminer précisément le lieu de naissance de cette technique : par conséquent, on ne peut pas exclure complètement la possibilité que le béton de tuileau se soit développé parallèlement en plusieurs endroits19. Cependant, l’Afrique du Nord, surtout Carthage, apparaît effectivement comme un foyer de développement essentiel tant par le nombre de témoignages matériels que par leur diversité stylistique20. De même, la Sicile occidentale a été très tôt un berceau d’expérimentations décoratives parfois originales, comme les motifs de rosaces21. On peut donc affirmer, à travers les éléments que l’on vient de donner, que la technique du béton de tuileau, avec ou sans tesselles, est bel et bien punique mais « au sens large » du terme. En effet, ces deux types de sol sont signalés à peu près aux mêmes périodes à la fois en Afrique du Nord et en Sicile : deuxième moitié du ive siècle pour le béton de tuileau « nu » (Carthage, Sélinonte, voire Monte Iato), au début du ive siècle et dans le courant du iiie siècle pour le béton de tuileau à tesselles22 (Carthage, Kerkouane, Monte Iato, Sélinonte, Morgantina). Surtout, en Sicile, il s’agit soit d’une ville foncièrement punique comme Sélinonte, soit de villes à cette époque proches de la zone d’influence de Carthage (Monte Iato, Morgantina). Le problème de l’origine géographique du béton de tuileau, autrement dit son lieu de naissance, se résout donc par une réponse d’ordre culturel : c’est la culture punique qui a donné naissance à cette technique et ce sont les régions où elle était le mieux implantée, c’est-à-dire l’Afrique du Nord et la Sicile occidentale, qui en sont le berceau23.
5Le deuxième aspect du problème, la date d’apparition du béton de tuileau en Sicile, devient par conséquent plus simple que la question de leur origine24. En reprenant les données que l’on vient d’exposer, et en conservant les mieux assurées, on peut proposer la séquence chronologique suivante : premiers signalements en Sicile occidentale dans la seconde moitié du ive siècle (Sélinonte d’abord, Monte Iato ensuite), puis généralisation progressive à toute l’île au cours du iiie siècle et surtout au iie siècle. C’est alors que les témoignages matériels abondent : Morgantina, Camarine, Géla, Syracuse, Agrigente, Héraclée et Mégara25. En parallèle, aux mêmes périodes, les bétons de tuileau se diffusent dans toute la péninsule italique26, même si on peut sans doute arguer d’un léger décalage chronologique, du moins dans l’apparition de certains motifs de tesselles27.
6Qu’en est-il alors, plus spécifiquement, du cas de Mégara ? Dans l’exposé consacré aux pièces des maisons, salles de bains, latrines et « salles de réception », j’ai présenté dans leur contexte architectural la presque totalité des bétons de tuileau connus. On peut y ajouter les sols des « villas romaines » construites par-dessus la fortification hellénistique R2 et qui ont été démontées lors de la fouille de l’enceinte : ces bétons de tuileau ne sont visibles que par bribes de part et d’autre du mur d’enceinte mais apportent quoi qu’il en soit des indices chronologiques précieux. En effet, tous les exemples dans les habitations de Mégara me semblent converger vers une « datation basse ». Rappelons toutefois qu’aucun sondage stratigraphique sous un béton de tuileau n’a pour l’heure été pratiqué ad hoc, mis à part une lecture stratigraphique sommaire qui indique une datation générique au cours du iiie siècle28 : il faut donc s’accommoder d’un certain flou. Par ce terme volontairement vague de « tardif », j’entends donc inscrire les bétons de tuileau mégariens dans cette diffusion générale du iiie siècle évoquée ci-dessus mais je voudrais également suggérer que leur apparition pourrait avoir eu lieu plutôt vers la fin de ce siècle. En effet, compte tenu de l’origine punique du béton de tuileau, même dans le sens large qu’on lui a donné, il ne serait pas étonnant que Mégara Hyblaea ait fait partie des dernières villes concernées par cette innovation technique : elle n’a effectivement jamais été en contact direct avec la sphère punique (au sens territorial), ni même été occupée par des troupes carthaginoises. Je pense pouvoir préciser un peu mieux cette hypothèse en postulant que ce ne serait pas avant l’époque romaine que les bétons de tuileau seraient apparus dans les maisons de Mégara, c’est-à-dire à partir de la fin du iiie siècle, lorsque la région est passée sous la domination de Rome. Nous en avons d’abord un indice direct dans les « bains de Modius » avec les mots ΓΝΑΙΟΥ ΜΟΔΙΟΥ inscrits en tesselles noires dans un béton de tuileau29 ; la maison 13,22 dans laquelle ces bains étaient insérés relève elle-même d’une période postérieure à l’abandon de l’enceinte ainsi que tous ses autres bétons de tuileau30. C’est aussi évidemment le cas de ces pièces construites par-dessus l’enceinte, évoquées plus haut. On peut y ajouter le sol 21p1 de la maison VI Mb (= 30,12) désormais interprétée comme une boulangerie romaine d’époque républicaine31. Tous les autres exemples présentés dans la partie 2 datent des « phases tardives » des habitations auxquelles ils appartenaient32 ; restent plusieurs cas sporadiques, dont aucun ne me semble pouvoir contredire cette hypothèse33. Il faut clairement le redire : il s’agit là d’un postulat qui, pour être évalué et, éventuellement, confirmé, exigerait en toute rigueur des sondages dans les bétons de tuileau ou de pratiquer des méthodes de datation directes34. Néanmoins, d’autres indices de même nature et géographiquement très proches pourraient aller dans le sens de cette hypothèse : il s’agit des bétons de tuileau de maisons de Syracuse. Au fil des publications sur les fouilles dans Achradine et la Néapolis, on note que les bétons de tuileau, avec ou sans tesselles, étaient toujours présents dans des habitats associés à des contextes romains : cela vaut pour tous les quartiers examinés sur la terre ferme35. Dans l’état de la documentation archéologique, le béton de tuileau en milieu domestique à Syracuse serait donc aussi directement lié à la présence romaine.
7En guise de conclusion, il n’était pas possible de poser la question des bétons de tuileau sans considérer ceux des bains publics, où leurs qualités de résistance à l’eau et à l’usure les ont rapidement imposés comme revêtements de sol idoines. Les « Bains hellénistiques » de Mégara, sous la forme qu’on leur connaît, ont été vraisemblablement conçus autour du milieu du iiie siècle. Par ailleurs, des analyses archéomagnétiques réalisées sur le four principal de l’établissement ont permis de déterminer qu’il a très certainement cessé de fonctionner au plus tard vers 215 av. J.-C.36. Quoi qu’il en soit, là non plus, aucun sondage stratigraphique n’a été effectué afin d’établir précisément la chronologie des bains mais il ne serait pas autrement surprenant que ce type d’édifice ait connu des réfections, notamment au niveau de ses sols37 : on sait en effet que le plan de l’édifice a été modifié à l’époque romaine38. Des observations récentes permettent aujourd’hui de confirmer qu’il y aurait bien eu plusieurs états. Dans la rotonde/tholos39, le dernier niveau de circulation (le sol 32p11, un béton de tuileau à tesselles), constitue en fait un troisième état, recouvrant un deuxième sol40, lui-même construit sur un premier niveau de circulation41. Dans la grande salle qui fait face à la rotonde42, de l’autre côté du four principal, l’examen de la base des deux pilastres révèle aussi l’existence probable de plusieurs états, même si cela peut correspondre simplement aux différentes étapes de la construction : les piliers en question pourraient appartenir à un premier état, suivi par la mise en place du sol actuellement visible (le sol 32p5, un béton de tuileau à tesselles) puis par l’adjonction d’une mouluration disposée entre les piliers, probable décoration liée à un bassin43. S’il n’est pas possible effectivement de donner une datation précise de toutes ces interventions, on connaît leur ordre de succession et l’intervalle chronologique dans lequel elles se positionnent toutes. Il n’est pas déraisonnable de penser que les sols en béton de tuileau des bains, visibles aujourd’hui et particulièrement bien conservés, pourraient faire partie du tout dernier état et que celui-ci pourrait se situer peu avant 215 av. J.-C. (c’est-à-dire à peu près au moment de la chute de Mégara face aux troupes romaines). À Syracuse, on connaît l’établissement balnéaire de Contrada Zappalà situé dans le quartier hellénistique de Néapolis, à peu de distance du théâtre44. Ce complexe recouvrait en partie les tombes d’une ancienne nécropole : l’établissement n’a donc pu être construit qu’après l’abandon de la nécropole, bien que la date de cette construction reste imprécise car les rares éléments de mobilier funéraire indiquent un intervalle chronologique large couvrant les ive et iiie siècles45. La période d’ultime fréquentation est tout aussi délicate à déterminer, G. Cultrera, le fouilleur, se basant sur la très petite quantité de mobilier romain pour suggérer que le complexe a été abandonné avant la chute de Syracuse46, peut-être même à cause du siège de Marcellus en 213/212. Concernant les sols, les qualificatifs employés par G. Cultrera ne sont pas très précis et sont donc d’une aide toute relative47. Enfin, il évoque divers remaniements mineurs de l’établissement durant son fonctionnement, mais sans plus de précisions48 : cette éventualité n’aurait effectivement rien d’étonnant, comme on l’a vu pour Mégara, et elle laisse au moins envisager une possible réfection des sols, remplacés par des bétons de tuileau. Des travaux plus récents nous assurent que toutes les salles associées à la pratique balnéaire étaient couvertes de béton de tuileau (appelé « opus signinum » par l’auteur, H. Broise) tandis que la salle d (à l’ouest de la grande rotonde) comportait un béton de tuileau à tesselles49. Ces Bains de la Contrada Zappalà ont été récemment rapprochés des Bains Nord de Morgantina et de Mégara Hyblaea, à juste titre semble-t-il tant les plans et les chronologies des trois établissements sont effectivement très proches. Les Bains Nord de Morgantina, récemment étudiés par S. Lucore, pourraient remonter au deuxième quart du iiie siècle, sachant qu’ils ont été réoccupés et détournés de leur fonction après 211 puis abandonnés au début du iie siècle : la datation des Bains de Syracuse proposée par G. Cultrera serait ainsi indirectement confirmée, au vu de leur similarité avec ceux de Morgantina50. S. Lucore estime par ailleurs que les sols des Bains de Syracuse sont très similaires à ceux des Bains de Mégara et de Morgantina51. Dans ces derniers52, les sols sont des bétons de tuileau, souvent avec tesselles, particulièrement dans les salles 5 (tholos), 8 et 9 ; il y a même un paillasson en mosaïque de tesselles blanches entre la salle 8 et la salle 9. L’auteure en conclut que les trois établissements de Syracuse, Morgantina et Mégara viendraient donc s’ajouter à la liste de ces « institutions civiques novatrices » caractéristiques de l’époque de Hiéron II53. On a donc là trois établissements de bain dont les similarités sont effectivement frappantes, au point même que tous trois auraient été abandonnés à la même époque et pour, semble-t-il, les mêmes raisons54 ; de plus, il est effectivement très plausible de placer leur construction au cours du règne de Hiéron II (que le souverain en ait été le promoteur ou pas). On retiendra également la possibilité que leurs sols en béton de tuileau, aux techniques semblables voire identiques, pourraient être des réfections assez tardives, en tout cas à Mégara et Syracuse, effectuées peu de temps avant la dernière décennie du iiie siècle.
8Cet excursus sur les bétons de tuileau a permis de revoir des hypothèses communément admises et d’en proposer de nouvelles. La technique en elle-même, par son caractère innovant et par les utilisations qu’elle consent, appartient vraiment à l’esprit d’une époque hellénistique qui voit croître l’attention portée au confort domestique et à certains espaces de la maison consacrés au divertissement et au délassement55. En Sicile, cette innovation technique prend une tournure toute particulière puisque c’est dans la région occidentale que se trouvent les plus anciens témoignages de ces sols, contemporains ou presque de ceux d’Afrique du Nord. Il apparaît ainsi fort probable que les bétons de tuileau ont été inventés au ive siècle dans l’ensemble de cette zone d’influence punique qu’était la Méditerranée sud occidentale. Pourtant, leur diffusion dans en Sicile orientale pourrait être attribuée à un autre vecteur que les Puniques. Dans les maisons mises au jour à Mégara Hyblaea, Syracuse mais aussi Camarine, les bétons de tuileau semblent manifestement appartenir aux époques où ces villes étaient passées sous domination romaine56. Chez les habitants de ces contrées, les sols traditionnels (terre battue, compactage de gravier ou de résidus rocheux, mortiers de chaux) auraient ainsi perduré dans les maisons jusqu’à ce qu’ils décident de les équiper parfois de bétons de tuileau, sous l’influence du nouvel occupant romain. Même si ce type de sol était déjà utilisé dans les établissements de bains, il devait s’agir là d’une pratique potentiellement récente et réservée à des constructions publiques bien particulières. En revanche, dire que l’introduction du béton de tuileau dans ces contextes domestiques pourrait être attribuée aux Romains n’autorise pas à utiliser les bétons de tuileau à des fins chronologiques : à l’évidence, un sol ne peut servir à dater la structure dans laquelle il se trouve qu’à la condition de pouvoir clairement démontrer qu’il est un élément originel de cette construction. En somme je voudrais suggérer, et c’est l’esprit de cette hypothèse, que la présence d’un béton de tuileau dans une maison sicilienne relevait certainement d’une influence culturelle qui n’était pas la même selon la région de Sicile concernée : romaine dans et à proximité de l’ancien royaume de Hiéron, punique ailleurs. Et cela ne serait pas en soi une exception sicilienne car, en Sardaigne et en Espagne, qui demeurèrent pourtant longtemps sous influence punique, les bétons de tuileau ne sont apparus qu’à partir du dernier quart du iiie siècle, c’est-à-dire au début de la domination romaine57.
9Les sols bétonnés, et pas uniquement les bétons de tuileau, allaient généralement de pair avec des enduits muraux. Comme ces derniers, avec lesquels ils partageaient globalement les mêmes techniques de construction, les enduits ont été très souvent utilisés à des fins chronologiques. On ne pouvait donc conclure ce paragraphe sans revenir rapidement sur ces éléments de construction et de décoration, qui peuvent justement apporter leur contribution à la mise au point précédente, à partir notamment de trois contextes déjà présentés ici : la villa Iacona à Géla, les maisons de Morgantina et celles de Solonte.
10Lors du dégagement de l’andrôn de la villa Iacona, les murs portaient encore des lambeaux d’un enduit gris imitant des blocs chanfreinés tandis que le sol de la pièce était jonché des restes d’un enduit marbré avec des coups de pinceau gris et azur sur fond rouge imitant le granit. Selon l’analyse de C. Pilo, ces décorations murales appartiendraient au premier style58 ou à un type d’enduit apparenté au premier style, comme on en connaît effectivement plusieurs à Olynthe, sur l’Agora et le Céramique d’Athènes ou dans le Hiéron de Samothrace59. Les origines du premier style se trouveraient dans la Grèce continentale du milieu du ive siècle, en particulier à Athènes ; par ailleurs, certaines recherches ont permis d’établir des distinctions entre les différents styles de décors pariétaux qui visaient à imiter l’architecture réelle avec des peintures, des lignes incisées et des reliefs, c’est-à-dire entre le premier style, tel qu’il a été défini à Pompéi, et ses équivalents, regroupés sous le terme de « Zone Style ». Le premier style de Pompéi se caractérise par des imitations de murs en appareil isodome avec des blocs en marbre chanfreinés dans la partie principale, située au-dessus des orthostates et de la corniche alors que dans le Zone Style, le panneau principal est simplement revêtu d’un enduit imitant des élévations en argile. De plus, le Zone Style n’utilise les éléments en relief que sous forme de corniches et de modénatures. C’est ce dernier qui apparaît dès le milieu du ive siècle tandis que la reproduction en relief de blocs chanfreinés, caractéristique du premier style, ne commence à faire son entrée qu’à partir du iiie siècle et ne connaît une diffusion notable dans le monde hellénistique qu’à la fin de ce siècle. Or le Zone Style est parfois aussi appelé « Masonry Style » ou « Structural Style » selon J.-M. Croisille, qui note d’ailleurs qu’aucun nom n’emporte véritablement l’adhésion60. Il précise également que c’est aux iiie et iie siècles qu’il apparaîtrait en Sicile, bien que certains exemples à Carthage puissent remonter à la fin du ive siècle61. C’est précisément ce terme de Masonry Style qu’utilise B. Tsakirgis pour décrire les enduits décorant les salles les plus prestigieuses des grandes demeures de Morgantina ; dans la majorité de ces pièces, le sol était décoré par une mosaïque ou par un béton de tuileau à tesselles consistant généralement en un panneau central et une ou plusieurs bordures62. Pour le gymnase de Solonte, M. Wolf emploie l’expression Quaderstil pour désigner un type d’enduit certainement très similaire au Zone Style ; il appartiendrait au premier état de l’habitation et aurait été associé aux premiers bétons de tuileau63. On voit donc surgir, à travers ce rapide exposé des types d’enduits apparentés au premier style, une certaine cohérence chronologique avec ce que l’on a dit sur les bétons de tuileau et leur diffusion en Sicile aux iiie et iie siècles.
Les mobiliers « de l’époque de Timoléon » : révision d’une attribution erronée
11Ce deuxième « dossier technique », après celui consacré aux bétons de tuileau, porte sur un ensemble d’objets de divers types issus des fouilles anciennes de Géla. L’idée ici est de remettre en perspective un assortiment de matériel qui a souvent servi de référence pour interpréter et dater les structures d’autres sites de Sicile et qui est notamment venu appuyer la thèse de la « renaissance timoléonienne » présentée en partie 1.
12Le classement chronologique du mobilier hellénistique des fouilles de Géla est initialement et principalement dû à P. Orlandini64 ; ce dernier s’est appuyé sur le même cadre chronologique que celui utilisé pour la ville, basé sur une division stricte des différentes périodes. Il comporte trois groupes qui s’articulent autour des trois dates définies comme des moments clés de l’histoire hellénistique de Géla : 339 (recolonisation de Timoléon), 311/10 (occupation militaire de la ville par Agathocle) et 282 (sac des Mamertins ou de Phintias et déportation des habitants par Phintias). Les trouvailles les plus anciennes ont été automatiquement attribuées aux époques archaïque et classique, puisque cette reconstruction historique suppose que Géla était quasiment déserte65 durant la période allant de 405 à 339. Le classement proposé par P. Orlandini est synthétisé dans un tableau66 où les objets ont été répartis par catégories et définis en reprenant les termes de l’auteur.
13Plusieurs études récentes permettent de procéder à un réexamen de la chronologie de ces objets. On commencera par certaines productions coroplathiques67 : parmi les figurines de Géla et de Scornavacche se trouve notamment le type dit de « l’Artémis Sicule », d’abord attribué à l’époque timoléonienne mais que l’on place désormais à la fin du ve-début du ive siècle ou, à tout le moins, dans une phase intermédiaire située entre la fin du ve siècle et l’époque de Timoléon68. Les bustes féminins avec la coiffe « en forme de modius » (le terme est de P. Orlandini) connus à Scornavacche semblent effectivement se rattacher aux trente dernières années du ive siècle. Néanmoins, ils font référence de façon appuyée à des thèmes classiques, ce qui plaide pour une tradition plastique et une production ininterrompues après la fin du ve siècle69. En fait, d’une façon générale, la culture figurative visible à travers les terres cuites de Scornavacche montre un recours continuel à des modèles du début de l’époque dionysienne, voire d’avant, et à la persistance de la tradition artistique du classicisme sicilien qui n’a été rompue ni à Syracuse ni dans l’arrière-pays entre l’invasion carthaginoise et l’arrivée de Timoléon70. Ces conclusions disent donc de façon claire que, durant cette période, des types de figurines bien attestés à Géla ont été continuellement produits et ont même évolué à Scornavacche, à Syracuse et dans l’arrière-pays : cela ne me paraît donc guère compatible avec l’idée d’une désertion de la région centro-méridionale de la Sicile.
14Pour ce qui est des vases, le réexamen effectué par C. Pilo du répertoire céramique du secteur de la villa Iacona à Géla71 porte en priorité sur les amphores72, la céramique sicéliote à figures rouges73, celle du style de Gnathia et celle à vernis noir74. La datation de l’ensemble de ce matériel avait été fixée par D. Adamesteanu et P. Orlandini à une période située entre la deuxième moitié du ive et le début du iiie siècle75. Certains répertoires pourraient toutefois être datés plus bas, comme la céramique du type de Gnathia, dont la production atteint certes son apogée vers le début du iiie siècle, mais en se prolongeant parfois jusqu’à la fin de ce siècle, voire au-delà76. D’autres catégories sont par contre de datation plus haute, comme certains vases à vernis noir : verres skyphoïdiens, bolsals, canthares, coupettes sur pied annelé avec fonds à palmette imprimée et cercles concentriques hachurés, qui sont des productions attiques ou des imitations locales bien ancrées dans la première moitié du ive siècle77. Enfin les vases définis à l’époque par les fouilleurs comme étant d’un « mauvais vernis noir » et datés vers le début du iiie siècle78 ont des formes qui se diffusent en fait à partir de la fin du iiie siècle, voire au milieu du iie siècle : coupelles avec flexion accentuée des parois, coupelles à pied annelé, coupelles à lèvres épaissies et bords plats, petits plats à lèvres pendantes79. On voit donc clairement que ces céramiques fines dans leur ensemble débordent du cadre chronologique de la seconde moitié du ive siècle et attestent une fréquentation de Géla en dehors de cette période.
15Concernant les vases sicéliotes à figures rouges, on ne manquera pas de noter tout d’abord que certains exemplaires de Géla sont associés par P. Orlandini à des statuettes d’Artémis dites de style « tardo-classique »80 qui sont manifestement du type de celles évoquées plus haut, dont la datation remonterait à la fin ve-début ive siècle. Elles sont également citées en association avec les monnaies dites « de Timoléon » que l’on examinera ci-après. Les vases sicéliotes à figures rouges sont décrits comme des vases peints de production locale, stylistiquement proches des productions de Léontinoi et de Manfria81 : pyxis sphérique à thème érotique, pâte rosée et engobe rouge (rapprochée du groupe de Lentini), skyphos avec scènes de satyres dansants et jeune femme en fuite (rapproché du groupe de Catane 4292), skyphos à pâte orange avec jeune homme et jeune femme assise (peut-être du peintre de Manfria) ; couvercle de lékanis peint avec têtes de femmes et palmettes (rapprochée du groupe de Lentini). Toutes ces productions82 sont attribuées à la période 339-320. Or, à part les productions du peintre de Manfria, certains de ces vases, notamment du groupe de Lentini, ont vu leur datation récemment remontée aux décennies précédant 350 donc, en tout état de cause, avant la période timoléonienne83. Si cette attribution chronologique n’a donc pas lieu d’être remise en cause pour la plupart des vases concernés, il est fort probable que certains ont été placés à tort à l’époque de Timoléon et qu’ils pourraient témoigner de la présence d’habitants sur le site avant l’arrivée des colons.
16C’est très probablement le cas également des céramiques à vernis noir dites « précampaniennes »84. Il existe peu d’exemplaires à Géla de ce type de céramique, et ils sont souvent fragmentaires ; ils avaient été alors rapprochés de ceux du site de « La Bastida »85 et de ceux des deuxième et troisième niveaux de la nécropole de Léontinoi. P. Orlandini soutient que ces productions relèvent de la deuxième moitié du ive siècle, avant de se muer en productions campaniennes proprement dites : ce sont, selon les termes de l’auteur, des skyphoi tronconiques, de petits lécythes godronnés, de grandes lékanis et des kylix apodes aux pieds décorés d’anneaux concentriques et aux fonds estampés. Or ces formes sont justement celles que l’on a signalées plus haut pour la villa Iacona comme étant des productions attiques ou des imitations locales de la première moitié du ive siècle. Qui plus est, leurs équivalents de La Bastida, site dont l’abandon interviendrait selon les fouilles vers 340/330, sont également des vernis noirs attiques du deuxième quart ou du milieu du ive siècle86. Enfin, parmi le mobilier funéraire du troisième niveau de la nécropole de Léontinoi, figurent aussi des céramiques attiques de la première moitié du ive siècle87.
17Les vases du type de Gnathia présentés par P. Orlandini sont le plus souvent des cratères ou des canthares, généralement godronnés et décorés de pampres de fleurs surpeints en blanc88. Bien que les vases de ce style soient réputés apparaître en Sicile à partir de 340, les caractéristiques de ces exemplaires géléens peuvent rappeler des productions plus anciennes issues des ateliers tarentins89. Si de tels objets peuvent donc parfaitement convenir au cadre chronologique défini, il n’est pas interdit de penser qu’ils aient pu arriver à Géla avant cette époque90. Concluons rapidement sur la catégorie des céramiques par celles dites achromes en signalant que, notamment par leur association avec des vernis noirs attiques à Géla et Monte Saraceno, il a été établi que leur production avait visiblement débuté dès la fin du ve siècle91.
18Parmi les monnaies attribuées à l’époque de Timoléon figurent en particulier les émissions portant la légende KAINON, dont l’une faisait partie d’un trésor retrouvé sur l’acropole de Géla92. Selon l’interprétation la plus répandue, largement diffusée dans les années cinquante, ces monnaies auraient été émises par une cité sicule (Halaesa ou Kentorippe) pour marquer la naissance de l’alliance/confédération menée par la Syracuse de Timoléon, d’où le recours à la formule kainon prise dans le sens adjectival de « nouveau »93. Or R. Macaluso a montré de façon convaincante qu’il s’agissait de monnaies frappées par les mercenaires de Denys l’Ancien, certainement dans le premier quart du ive siècle, comme l’indique entre autres l’assemblage du trésor évoqué ci-dessus qui était indubitablement d’époque dionysienne94. D’autres émissions présentes dans ce trésor ont été elles aussi régulièrement interprétées comme étant « de Timoléon » : il s’agit des bronzes à la tête d’Athéna/étoile de mer entre dauphins et des monnaies dites « à l’hippocampe ». À Géla, elles faisaient par exemple partie des monnaies retrouvées dans la maison-boutique du quartier de l’Hôpital95. Or il a depuis été prouvé à plusieurs occasions qu’elles avaient été frappées à l’époque de Denys l’Ancien, même si effectivement leur bon aloi leur a permis de rester longtemps en circulation96.
19Ces réexamens à la lumière des acquis actuels montrent dans leur ensemble que le concept de « mobilier timoléonien », tel qu’il a été élaboré dans les années cinquante et soixante, n’est plus pertinent. Je pense qu’ils permettent de répondre, en partie, à la volonté plusieurs fois exprimée d’une telle remise en perspective97. Ils permettent en tout cas de revoir la notion de « mobilier timoléonien », si importante pour les présentes recherches.
La « Sicile de Timoléon » et la chronologie des édifices : éléments de réponse
20De cet ensemble d’informations, d’hypothèses et de réflexions que l’on a réunies et présentées jusque-là, je voudrais à présent tirer des éléments concrets à verser aux débats sur le fait urbain en Sicile hellénistique présentés en première partie : il s’agit d’une part du renouveau de la Sicile grâce aux œuvres de Timoléon et d’autre part des chronologies controversées de certains faits archéologiques des ive et iiie siècles. Ces questions ont en effet un impact considérable sur notre sujet et il convient maintenant de les affronter.
21La première des deux, la politique de Timoléon en Sicile, porte avant tout sur des problèmes d’urbanisme car elle impliquerait notamment la colonisation, ou plutôt la réoccupation, de plusieurs villes siciliennes par de nombreux habitants. Durant la période située entre la grande invasion carthaginoise de 409 et l’arrivée de Timoléon, toute la région du centre méridional de la Sicile aurait été quasiment désertée et la plupart des centres habités n’auraient repris vie qu’avec les recolonisations décidées par Timoléon98. Or de telles installations massives, si elles ont bien eu lieu dans les proportions indiquées par les textes99, ont dû laisser leurs empreintes dans les villes concernées, qu’elles aient été organisées ou non (même si la première option semble la plus logique). L’autre conséquence de cette politique, d’un point de vue archéologique, aurait été un enrichissement considérable des Siciliens qui se serait notamment traduit par la construction d’édifices remarquables100 ; j’ajouterai qu’un tel phénomène devrait être également à l’origine de ces nouveaux équipements domestiques et de ces décorations sophistiquées qui améliorèrent le confort et le luxe des habitations.
22La réoccupation aurait concerné au premier chef quatre villes : Géla, Agrigente, Camarine et Syracuse. Les deux premières sont citées par Plutarque comme ayant accueilli des colons venus de Grèce ; de son côté, Diodore évoque à cette époque un agrandissement de Camarine et une déportation des Léontiniens à Syracuse101. D’autres villes ont été volontiers incluses par les archéologues parmi celles qui auraient été repeuplées, ou en tout cas régénérées grâce l’intervention de Timoléon : on pense notamment à Mégara Hyblaea, Tyndaris, Morgantina, Scornavacche, Monte Iato ou Solonte102. On doit aujourd’hui reconsidérer la portée, voire parfois l’existence même, de ce repeuplement : c’est ce à quoi nous incite le contexte scientifique des quarante dernières années où la définition du « faciès timoléonien » élaboré dans les années cinquante-soixante a été quelque peu nuancée103. Désormais, on vient de le voir, le réexamen de l’ensemble des objets autrefois réunis sous le vocable de « matériel timoléonien » nous impose de repenser la Sicile au ive siècle.
23Tout d’abord à Géla, dont on ne peut plus raisonnablement concevoir qu’elle ait été abandonnée pendant presque un demi-siècle. L’agrandissement de la ville et son extension vers l’ouest sont avérés mais peuvent très bien se placer au début du ive siècle, en fonction notamment de la chronologie que l’on retiendra pour l’enceinte. En tout état de cause, ces nouveaux quartiers ont été conçus et organisés comme leurs prédécesseurs d’époque classique, ce qui traduit une évidente continuité104. Ensuite Camarine, où les nouveaux quartiers ont eux aussi longtemps été attribués à un « urbanisme timoléonien » et où, en réalité, des indices montrent qu’ils pourraient être plus anciens. Ceci, ajouté aux modalités du lotissement que l’on connaît dorénavant, plaide à nouveau pour une forme de continuité de l’occupation105. On est parvenu aux mêmes conclusions à Morgantina, dont le plan urbain est daté de façon convaincante dans le troisième quart du ve siècle ainsi que, potentiellement, l’enceinte. Ce plan, au départ très normé, a été investi petit à petit par des habitations qui suivaient des règles différentes, évoluant de « maisons simples » à cour centrale à l’époque classique vers de grandes demeures à l’époque hellénistique106. La situation n’apparaît pas aussi claire à Agrigente à cause des chronologies respectives du quartier hellénistico-romain et du quartier de la porte II. Le premier aurait été en effet reconstruit et réinvesti entre le milieu du ive et le milieu du iiie siècle alors que le second pourrait avoir connu une deuxième période d’occupation dès la première moitié du ive siècle107. Dans les centres de l’arrière-pays, entre Géla, Camarine et Agrigente sur le littoral et Morgantina dans les terres, il ne fait par contre plus guère de doutes que le schéma simpliste d’un abandon dans la première moitié du ive siècle suivi d’une revitalisation dans la deuxième moitié n’est plus à même de rendre compte de la complexité des dynamiques de peuplement108. De l’autre côté de l’île, sur la côte tyrrhénienne, le plan régulier de Tyndaris serait lui certainement rattaché à la fin du ive voire au début du iiie siècle et donc hors de l’emprise immédiate des rénovations de Timoléon109. Celles-ci doivent finalement être recherchées là où le pouvoir du général corinthien s’est avant tout exercé, c’est-à-dire à Syracuse110. Dans la cité hégémonique, vainqueur des Carthaginois en 339, de nouveaux secteurs d’habitation apparaissent au cours de la deuxième moitié du ive siècle en dehors de l’enceinte, au nord de la ville, entre les quartiers modernes de piazza della Vittoria et de contrada Zappalà. Ces éléments font qu’il est tentant et plausible de relier la naissance de ces quartiers (connus ensuite sous les noms de Néapolis et de Tyché) à l’arrivée rapide et importante de nouveaux habitants à Syracuse. Dans la toute proche Mégara aussi, il n’est pas exclu que des contingents de populations exogènes aient été à l’origine d’un nouveau découpage rationnel de l’espace habitable111. Au-delà de ces cités traditionnellement situées dans la partie grecque de la Sicile figurent des villes qui sont a priori exclues, par leur localisation, de l’influence de Timoléon, surtout si l’on considère que celle-ci ne s’est effectivement exercée qu’autour de Syracuse112. Ainsi, à Monte Iato, où on peine à percevoir un urbanisme régulier, la monumentalisation de l’espace civique date de la fin du ive siècle tandis que les riches maisons à péristyle sont apparues au moins un demi-siècle plus tard113. Cela pourrait être différent à Solonte où il me semble que la refondation de la ville, organisée dès le départ selon un plan régulier, pourrait avoir eu lieu dans la deuxième moitié du ive siècle114. Toutefois, dans ce cas, il s’agirait certainement bien plus d’une conséquence de la pacification générale de la Sicile plutôt que d’une politique voulue par Timoléon. Et d’ailleurs, la même cause a produit le même effet à Sélinonte où, vers le milieu du ive siècle, des populations puniques sont venues réoccuper et faire prospérer une ville désormais sous domination carthaginoise115. Pour conclure sur ce thème, on reconnaîtra donc qu’il existe effectivement dans plusieurs sites des traces ou des signes d’installations organisées dans le courant du ive siècle, qu’on ne sait néanmoins pas dater plus précisément et dont surtout on ne connaît pas l’ampleur. C’est finalement le constat d’une continuité de l’occupation dans quasiment tous ces centres qui me semble le plus à même de relativiser l’idée d’une « renaissance timoléonienne ».
24C’est particulièrement dans son deuxième aspect que l’on fera justice de cette renaissance, à savoir que l’époque du général corinthien aurait été celle d’un véritable enrichissement des habitants de la Sicile et d’un bien-être que l’on pourrait illustrer, archéologiquement parlant, par un certain nombre d’évolutions techniques améliorant le confort des habitations. Par celles-ci j’entends non seulement des aménagements, tels que les évacuations et les puits perdus, que des éléments aux connotations parfois nettement plus luxueuses, comme les sols et les enduits muraux en mortier. Lorsqu’ils ont été associés, ces équipements ont donné des pièces nouvelles comme les salles de bains et les latrines, ou bien ils ont quelque peu rehaussé le niveau de sophistication des salles de réception. Pourtant, pour reprendre la liste des sites suivie ci-dessus, à Géla, Camarine, Morgantina, Agrigente, Tyndaris, Syracuse, Mégara, Monte Iato et Solonte, ces innovations sont bien postérieures à l’époque de Timoléon. Je ne ferai pas ici une énumération forcément fastidieuse de tout ce qui peut illustrer ce constat mais que l’on songe simplement à la villa Iacona de Géla116, à la maison de l’Autel de Camarine117, à la maison de la Citerne à l’Arche de Morgantina118, à celles du quartier hellénistico-romain d’Agrigente119 ou aux maisons à péristyle de Monte Iato120 et de Solonte121. Sans oublier bien sûr Mégara, pour laquelle j’ai proposé une datation résolument tardive des salles de bains et des latrines122 ainsi que des sols bétonnés123. Dans ce tableau d’ensemble, chronologiquement hétérogène, seule Sélinonte détonne puisque certains des équipements que l’on vient de citer (sols bétonnés, salles de bains) pourraient remonter au début de la deuxième moitié du ive siècle124. Sauf que les exemples de Sélinonte ne peuvent être raisonnablement reliés à l’ère de Timoléon et à ses prétendus bienfaits : ceux-ci, comme on a cherché à le montrer précédemment125, sont les produits d’une culture technologique punique que Sélinonte a peut-être contribué à diffuser dans une grande part de la Sicile grecque.
25Cette remise en perspective permet, je le pense, de modérer la vision d’un Timoléon bienfaiteur de la Sicile et grand ordonnateur de son nouvel essor : la réalité a sans doute été plus nuancée. Les grandes cités de la côte, quoique durement touchées par les guerres entre Denys et Carthage, n’ont pas été désertées et la possible revitalisation apportée par la politique de Timoléon n’a en tout cas pas été une renaissance. Les données archéologiques manquent encore pour brosser un tableau plus précis de la situation, mais il semble qu’une approche plus pragmatique et plus tempérée de ce pan de l’histoire sicilienne ait plus de chances de correspondre à la réalité. Le mot de la fin reviendra ici à A. Di Vita, acteur de l’archéologie sicilienne dès les années cinquante, qui est revenu récemment sur l’esprit qui l’animait lorsqu’il conduisait des fouilles à Scornavacche et que toutes les données qu’il récoltait semblaient parfaitement coïncider avec celles de ses collègues D. Adamesteanu et P. Orlandini : l’enthousiasme suscité par ces découvertes tellement cohérentes entre elles les avait alors amenés à mettre trop en évidence l’influence de Timoléon et, par contrecoup, à considérer un peu vite que toute une partie de la Sicile avait été désertée au cours de la première moitié du ive siècle, créant de la sorte, selon ses mots, « un iato artificiale »126. Ce sont ces circonstances bien compréhensibles, qui n’illustraient que trop bien le récit plein d’emphase de Plutarque, qui expliquent certainement le mieux l’hypothèse dorénavant obsolète d’une renaissance qui ne serait due qu’au seul Timoléon.
26Avant de passer à la question des datations de certains faits de l’archéologie hellénistique, je voudrais d’abord m’arrêter rapidement sur deux arguments qui reviennent régulièrement dans les débats : l’idéologie et la méthodologie. Les tenants d’une « chronologie basse », notamment M. Torelli et L. Campagna127, reprochent aux partisans de la « chronologie haute » leur helléno-centrisme exacerbé qui se nourrirait de la tradition académique la plus classique. Leurs opposants, H.P. Isler en tête128, leur rétorquent que leur vision d’une société esclavagiste, romaine en l’occurrence, qui enrichirait les possédants sur le dos des classes laborieuses, plongerait-elle ses racines dans l’idéologie marxiste qui marqua le milieu académique italien dans les années soixante et soixante-dix. Ces débats à forte connotation idéologique sont intéressants en ce qu’ils permettent de positionner les protagonistes mais je ne souhaite pas leur donner plus de place ici. Le reproche sur la méthodologie me semble par contre essentiel parce qu’il traite justement de l’utilisation d’un outil précieux pour l’archéologue : le terminus post quem (TPQ). Ce sont en particulier A. Mancini et L. Campagna, suivis par G.F. La Torre129, qui considèrent que les objets utilisés à des fins de datation par les archéologues à Morgantina et à Monte Iato ne constituent rien d’autre que des TPQ et que, par conséquent, il serait possible d’envisager que les faits archéologiques en lien avec ces objets puissent dater de plusieurs décennies après l’abandon des objets en question. Le TPQ, comme tout outil, possède effectivement ses limites et ses précautions d’utilisation : afin de l’utiliser au meilleur de ses possibilités, le fouilleur est donc tenu de présenter, non pas un ou deux objets, mais bien un répertoire d’objets le plus étendu et le plus diversifié possible. C’est justement ce que H.P. Isler a pris le soin de faire par la suite pour l’agora de Monte Iato et c’est également, quoique plus succinctement, ce qu’a fait M. Bell pour la maison de Ganymède130.
27Pour ce qui est de la construction de l’agora de Monte Iato et de ses principaux monuments, les ensembles de mobilier présentés par H.P. Isler au soutien d’une datation autour de 300 av. J.-C. me semblent parfaitement cohérents. Le mobilier de la maison à Péristyle 1 est également cohérent mais, selon moi, pour une tout autre conclusion que celle avancée par les fouilleurs : ce matériel situerait l’édification de la maison autour du milieu du iiie siècle, au lieu du début du siècle. Et c’est, de façon générale, dans cette seconde moitié du iiie siècle qu’ont dû apparaître les autres maisons à péristyle de Monte Iato131.
28À Morgantina, les arguments avancés par M. Bell pour une construction de la maison de Ganymède aux environs de 250 av. J.-C. m’apparaissent également recevables (du reste, elle se situerait alors à peu près à la même époque que la maison à Péristyle 1 de Monte Iato). Outre le cas de cette maison, c’est plus généralement l’hypothèse d’une urbanisation régulière et normée du plateau de Serra Orlando peu après le milieu du ve siècle qui est vivement contestée. On a noté, il est vrai, que la grille de cette urbanisation n’était pas toujours strictement respectée partout et, d’ailleurs, pas uniquement sur l’agora et la colline est132, mais aussi sur la colline ouest133. Ces irrégularités ne me semblent toutefois pas à même de discréditer l’hypothèse d’un plan d’urbanisme classique à Morgantina. D’abord parce que des faits archéologiques, mêmes succincts, vont dans ce sens134. Ensuite, comme je l’ai suggéré, à cause des difficultés de mise en place d’une grille parfaitement homogène sur un site aussi étendu135. Enfin, et l’exemple de Camarine est là pour le prouver136, parce qu’il est tout à fait possible d’envisager que les règles du plan d’urbanisme aient pu être seulement définies et fixées à l’époque de la refondation de Morgantina à Serra Orlando dans le troisième quart du ve siècle : seule une partie de la grille aurait été alors tracée, le reste l’étant au fur et à mesure des besoins, ce qui pourrait expliquer certaines incohérences (voir à nouveau Camarine). Quant à l’aspect scénographique de l’agora, jugé bien plus proche des villes hellénistiques d’Asie Mineure que des cités grecques de Sicile classique137, on rappellera qu’il est issu d’un développement progressif de la place publique : définie au ve siècle, celle-ci ne s’est véritablement monumentalisée qu’au iiie siècle138. Par ailleurs, son emplacement prééminent et son agencement initial ont un parallèle en Sicile classique même, à savoir à Camarine139. Pour revenir à l’architecture domestique de Morgantina, le rapprochement fait par A. Mancini entre les sols décorés des oeci de Morgantina et ceux des oeci de Délos, quoique valable, ne concerne qu’un état donné de ces salles140. Or ces dernières ont manifestement connu plusieurs réfections au cours de leur existence, en particulier dans la maison de la Citerne à l’arche et dans la maison de Ganymède141. En revanche, je ne peux que souscrire à son avis lorsqu’elle écrit que des arguments chronologiques visant à dater les habitations en se fondant sur le dossier des bétons de tuileau siciliens seraient risqués, voire inutiles.
29La question de la mise en place de l’urbanisme orthogonal à Tyndaris est également au centre de certaines discussions. Et puisque les données détaillées manquent, le discours scientifique en est donc souvent réduit à tenter de comparer l’urbanisme de Tyndaris à d’autres, mieux connus. G.F. La Torre, notamment, a réitéré une de ses propositions selon laquelle il faudrait dater le système de Tyndaris dans la deuxième moitié du iiie siècle, soit après son passage sous domination romaine en 254, d’après la date de la fortification et à cause des très rares documents archéologiques appartenant au ive et au début du iiie siècle142. En s’appuyant sur ses propres fouilles d’un quartier de Phintias, dont il date la réalisation au début du iie siècle143, il ajoute dorénavant à ses précédents arguments la grande ressemblance de ce dernier avec ce que l’on connaît du système urbain de Tyndaris144. Cependant, il me semble qu’il y a à Tyndaris des faits archéologiques bien établis qui disent autre chose : dans l’insula IV, les plus anciennes structures remontent à la fin du ive siècle ; tous les indices architecturaux vont dans le sens d’une disposition organisée de ces structures, avec notamment la présence d’un ambitus longitudinal ; les constructions suivantes ont conservé les mêmes orientations, laissant supposer que l’organisation urbaine n’aurait guère varié après sa mise en place. Pour l’insula IV, il n’est pas déraisonnable d’affirmer qu’elle a été conçue à la fin du ive siècle à partir de modalités de construction plausibles145. Pour le reste, des indices plus tardifs d’une même organisation ont été relevés dans le secteur des Cercadenari situé plusieurs centaines de mètres au nord146 ; enfin, les vestiges d’une habitation du ive siècle découverte vraisemblablement non loin de l’insula IV montrent que d’autres secteurs étaient fréquentés à cette époque147. Par conséquent, l’hypothèse de la création d’un plan régulier à Tyndaris à la fin du ive siècle doit être envisagée, nonobstant les réserves sur la chronologie de l’enceinte148.
30La plupart des débats sur les maisons de Solonte sont fondés sur des arguments stylistiques, dont on a essayé de donner un aperçu complet : comme le reconnaissent effectivement les principaux intervenants (C. Greco, E.C. Portale, H.P. Isler et M. Wolf), ce sont presque les seuls arguments à notre disposition, faute de données de fouilles suffisantes149. Pour ma part, je ne souhaite pas me risquer sur ce terrain, propice à de nombreuses théories et à autant de controverses : je me contenterai de dire à nouveau que sols et enduits étaient des éléments architecturaux assez facilement remplaçables150. Je voudrais plutôt revenir sur d’autres types d’arguments avancés de part et d’autre, notamment la chronologie relative des appareils de murs par M. Wolf et la réorganisation générale de la ville en terrasses régulières par C. Greco151. En effet, ceux-ci vont dans le sens d’un urbanisme en plusieurs phases, ce qui n’est pas autrement surprenant pour un site continûment occupé de la deuxième moitié du ive siècle av. J.-C. au iie siècle apr. J.-C. C’est cette idée que j’ai tenté de développer à propos de l’aspect de la « nouvelle Solonte » à l’époque de sa fondation152. Ainsi, je crois possible de dire que Solonte a été refondée dans la deuxième moitié du ive siècle, que les modalités de la grille orthogonale ont été définies à cette époque et qu’elles n’ont plus guère varié par la suite. L’idée d’une monumentalisation et restructuration générale de la ville au iie siècle, avec la construction d’une nouvelle agora, d’un théâtre, de luxueuses maisons à péristyle sur plusieurs étages et de rues dallées, me semble tout à fait juste. Mais je retiendrai la possibilité qu’une aire publique ait pu bel et bien exister au même emplacement avant cette époque de grands travaux153.
Pour un nouvel état de la recherche
31La théorie d’une « renaissance timoléonienne » a fait long feu et semble devoir appartenir à une période révolue de la recherche archéologique en Sicile, caractérisée par une activité et une effervescence scientifiques exceptionnelles. Ainsi, chez de nombreux chercheurs, la conviction s’est finalement imposée que Géla avait été rapidement réoccupée après sa destruction à la fin du ve siècle154. Néanmoins persiste encore chez d’autres l’idée d’un abandon durable de Géla et de sa région après les événements de la fin du ve siècle155. Lors d’un colloque tenu en 2010 à Caltanissetta, les différents contributeurs ont, je pense, fait définitivement justice de cette vision156. Leurs conclusions, appuyées sur de nouvelles fouilles et sur le réexamen du matériel des fouilles anciennes, permettent à tout le moins de clore le débat sur une désertification de la partie centro-méridionale de la Sicile dans la première partie du ive siècle. La conséquence principale de cette mise au point est de devoir nuancer notablement la portée des actions entreprises par Timoléon sur la Sicile, et surtout de renoncer à l’idée qu’une partie de l’île ait pu être quasiment privée de vie durant un demi-siècle. Cependant, et particulièrement pour des villes comme Géla, Morgantina, Camarine, Agrigente, on ne peut complètement écarter l’idée d’une arrivée de nouveaux habitants à l’époque de Timoléon. Et cela tient en grande partie à la deuxième problématique que l’on a présentée : les problèmes de datation de nombreux faits archéologiques entre le ive et le iie siècle. La « renaissance timoléonienne » ne concernait finalement qu’une période de temps assez réduite et reposait surtout sur la présence ou l’absence de certaines classes d’objets. Alors que le réexamen de ces objets a pu suffire à invalider cette théorie, les problèmes de datation s’annoncent autrement plus complexes car ils naissent du manque de données de fouilles fiables, c’est-à-dire de séquences stratigraphiques et de contextes de découverte du mobilier bien documentés. Que ces données soient irrémédiablement perdues ou qu’elles soient inédites, le même constat s’impose : le problème de datation est loin d’être résolu, rendant incommode et périlleuse la construction de paradigmes solides. D’autres avant moi ont bien évidemment pointé du doigt cette situation. En 2002, N. Bonacasa esquissait un bilan des recherches justement intitulé « Riflessioni e proposte sulla ricerca archeologica nella Sicilia del III sec. a.C. »157. Sur le thème de l’architecture domestique, il faisait remarquer que sa connaissance souffrait de graves lacunes, non tant par manque d’investigations que par manque de publications158. Quelques années plus tard, H.P. Isler lui emboîtait le pas en notant que, si la matière ne manquait pas, elle était souvent réduite à quelques salles d’habitation et à une partie des éléments de décor ; lui aussi insistait particulièrement sur l’état très disparate des publications sur le sujet159. Enfin, G.F. La Torre et E.C. Portale n’ont pas manqué de relever les effets négatifs que cela avait sur la validité des constructions théoriques160. Le travail d’étude et de publication des fouilles anciennes mené à Mégara, au même titre que ceux de Morgantina, Solonte, Tyndaris ou Géla, permet certes de fournir des hypothèses et de parvenir à des conclusions. Cependant, pour être pleinement validés, ces travaux de réexamen de documents archéologiques anciens devront nécessairement être confrontés aux informations provenant de nouvelles fouilles rigoureusement menées selon les méthodes et les procédures actuelles. Cette nécessité est particulièrement impérieuse à Mégara Hyblaea, comme on a eu l’occasion de le dire en deuxième partie. Bien trop souvent, l’absence de données précises (voire l’absence de données tout court) doit nous obliger à une grande prudence dans les conclusions, en particulier chronologiques ; la restitution des plans des édifices et de leurs divers états est aussi l’un des sujets pour lesquels le manque d’éléments fiables se fait cruellement sentir.
32L’état de la recherche sur l’habitat et l’urbanisme en Sicile orientale à l’époque hellénistique appelle donc sans aucun doute à la reprise de fouilles programmées sur certains sites cruciaux, notamment afin de résoudre plusieurs questions. L’apport de nouvelles données de terrain solides et incontestables permettrait de résoudre la plupart des problèmes de chronologie et apaiserait ces vives polémiques dans la communauté scientifique161. Sont particulièrement concernés les édifices publics (théâtres, bouleuteria) et les éléments de luxe des habitations (cours à péristyle, salles de réception, salles de bains), phénomènes très symboliques dont l’apparition pose inévitablement la question du contexte social, culturel et économique dans lequel ils s’inscrivaient. En attendant cela, toute synthèse sur l’architecture de la Sicile hellénistique, publique et domestique, et cet ouvrage ne fait pas exception, devra nécessairement s’accommoder de ces problèmes de définition chronologiques et de ces connaissances lacunaires sur de nombreux édifices. Surtout, il nous faudra continuer d’en tenir compte si l’on veut tenter de déterminer le contexte socio-économique et idéologique qui a engendré ces manifestations architecturales.
Notes de bas de page
1 Cette question a fait l’objet d’une présentation de ma part à la IVe table ronde « Mortiers “hydrauliques” en Méditerranée antique » : voir Mège 2019a. Elle est également au cœur du projet « Concrete as Floors » que j’ai dirigé en 2019-2020. Les résultats définitifs de ce projet n’ont pas été publiés, mais j’aurai l’occasion de présenter certains résultats préliminaires ici, sous l’acronyme « projet CaF ».
2 À partir de la fin du iiie siècle et surtout au iie siècle, ce sont vraisemblablement les Romains qui s’en sont fait les promoteurs en Méditerranée orientale et nord occidentale (Vassal 2006, p. 42-43). On reviendra sur ce constat en conclusion du paragraphe. Citons néanmoins ces exemples du début du iiie siècle à Naples (Baldassarre 1997, p. 523-530) et à Civita di Tricarico, en Lucanie (Cazanove 1996, p. 901-941). En Sardaigne et en Espagne, les sols en béton de tuileau n’apparaissent qu’au cours du dernier quart du iiie siècle, c’est-à-dire au moment de la domination romaine (Tang 2015, p. 35-37). La diffusion des bétons de tuileau en Méditerranée occidentale eut lieu surtout au iie siècle (Dunbabin 1994, p. 31, n. 15) avec notamment de nombreux témoignages à Pompéi (voir par exemple Coarelli, Pesando 2005, p. 104, 150, 221). Ajoutons enfin ces exemples nord occidentaux recensés dans Tréziny 2016, p. 172-174 : sol en béton de tuileau avec inscription kairé et couronne (fouilles des Phocéens, Marseille, iiie siècle) ; quatre exemplaires avec inscriptions à Ampurias (deux à l’entrée d’un andrôn, deux autres dans le couloir d’entrée, ibid., p. 172, n. 52, iie-ier siècles).
3 Un ouvrage récent a été intégralement et exclusivement consacré à ce type de sols : Tang 2018. L’auteure considère qu’ils font partie d’un phénomène transculturel qui apparaît à peu près au même moment en Campanie, en Sicile et en Tunisie. À partir de la fin du iiie siècle, il est par contre évident que leur diffusion va de pair avec l’extension territoriale de l’empire romain (Tang 2018, p. 14).
4 La question du béton de tuileau à tesselles va ainsi de pair avec celle de la mosaïque de tesselles qui, en Méditerranée occidentale, semble prendre les mêmes voies de diffusion ; d’ailleurs, la mosaïque de tesselles est parfois associée au béton de tuileau à tesselles dans une même composition (Dunbabin 1994, p. 30). Dans une rapide mise au point, S. Helas rappelle que les premières études détaillées faisaient état d’une filiation entre les mosaïques de galets et celles de tesselles (références dans Helas 2011, p. 71, n. 226). Mais l’auteur penche pour une parenté directe entre les bétons de tuileau à tesselles et les mosaïques en raison des techniques et des matériaux employés : selon elle, l’origine de l’opus tesselatum est donc bien à chercher dans les bétons de tuileau à tesselles. Cette technique serait apparue en Méditerranée occidentale, peut-être à Carthage, même si les thèmes des mosaïques siciliennes empruntent apparemment beaucoup à ceux des peintres grecs (références ibid., p. 71, n. 229). Voir également Guimier-Sorbets 2010 (p. 32-38, avec références) pour une rapide présentation de la peinture parfois appliquée aux mosaïques de tesselles afin de rendre au mieux les modèles picturaux dont elles s’inspiraient.
5 Hypothèse rappelée dans Dunbabin 1994, p. 30, et reprise dans Vassal 2006, p. 39, avec les mêmes références bibliographiques. Débat aussi rapporté dans Joly 1997, où l’auteure considère que « la questione delle origini in sé è di limitata importanza » (p. 34).
6 Pauimenta Poenica est l’une des rubriques du lexique de Festus (Bruneau 1982, p. 639-640).
7 Ibid., p. 653-654. Cette définition de l’opus signinum était déjà présente dans Bruneau 1972, p. 22-24.
8 Dunbabin 1994, p. 32-36.
9 Ibid., p. 38. S. Helas signale un béton à décors de tesselles avec notamment des signes de Tanit découvert à Carthage lors des fouilles de l’université de Hambourg et qui pourrait remonter au ve siècle (Helas 2011, p. 70, n. 214). Toutefois, précise-t-elle, il s’agit d’un cas isolé et on ne connaît pas pour l’heure de bétons avec rangées de tesselles aussi anciens, ce qui ne signifie pas que ce type de décor ne soit apparu qu’ensuite, au cours du ive siècle. Voir aussi Tang 2018, p. 185-186, où l’on apprend que les bétons de tuileau à tesselles nord-africains dateraient au plus tôt de la fin du ive siècle.
10 Morel 1969, p. 515-516.
11 Ibid., p. 499.
12 Dunbabin 1994, p. 36. Il s’agit de tesselles assez grossières en calcaire blanc et terre cuite assemblées côte à côte dans un mortier blanc (Morel 1969, p. 499-500, fig. 28).
13 Le sol d’une salle de bains (sol 3/29 de la maison 2/54) peut être très vraisemblablement daté juste après 300, c’est-à-dire après les remaniements de la maison ce qui ne signifie pas, comme le précise S. Helas (Helas 2011, p. 69, n. 205), que de tels sols n’existaient pas à Sélinonte avant cette date (sondage M 96 ; données : ibid., p. 275-281). Une autre indication provient du sondage D 98 (données : ibid., p. 281-284) dont les informations, limitées à la pièce h, peuvent être étendues à l’ensemble de la maison 2/27 où se trouve le même niveau de circulation : construction des bétons avant 250 dans les pièces c, b et i ; le sol de la pièce c est un type 4 avec rangées de tesselles blanches insérées. Ce type de décor concerne en tout neuf, voire onze sols et a dû apparaître au moins dans la première moitié du iiie siècle, ou même un peu avant (ibid., p. 69).
14 Voir p. 66.
15 Le sol 3/36, unique représentant du type 5, nous semble pourtant très proche d’une mosaïque de tesselles. Il s’agit d’un lambeau de sol où de petites tesselles de calcaire blanc, disposées les unes contre les autres, étaient insérées dans un mortier blanc jaunâtre (Helas 2011, p. 70, Abb. III 37 ; description p. 258). L’auteure utilise toutefois le terme « Proto-Mosaik » pour le désigner (ibid., p. 67).
16 Isler 1997b, p. 20.
17 Voir ici, p. 223-225 et partie 1, p. 26. Même opinion chez B. Tang (Tang 2018, p. 186).
18 Voir partie 2, p. 63-65.
19 Vassal 2006, p. 39.
20 Tang 2015, p. 31 ; Dunbabin 1994, p. 38.
21 Joly 1997, p. 37-38.
22 Il est nécessaire ici de donner l’opinion de B. Tang, au sujet de l’origine des bétons de tuileau à tesselles (qu’elle nomme « tesserae-in-mortar technique »). L’auteure estime que la théorie d’une invention punique de la technique et de sa diffusion ensuite vers le nord est trop simpliste (de même d’ailleurs que la théorie inverse, avec une origine grecque diffusée via les îles de Méditerranée centrale). Les premiers développements se produisirent à une époque où Puniques et Grecs entretenaient des rapports étroits, tant en Sicile qu’en Afrique du Nord. De plus, l’habitude d’insérer de petits éléments en pierre dans des mortiers existait tant en Grèce qu’en Tunisie à la fin du ve siècle : mosaïque de galets dans la maison Z d’Athènes, symboles religieux dans le Sanctuaire de Tanit à Carthage (mortier avec agrégat de cendres). Le semis de tesselles est cependant le seul motif qui soit commun aux sols puniques et aux sols non puniques (Tang 2018, p. 185). Elle penche donc pour une invention conjointe de Grecs et de Puniques, tout en rappelant que les exemples les plus précoces pourraient être à Carthage (ibid., p. 195).
23 J’ajouterai une remarque d’H. Tréziny à propos des bétons de tuileau avec inscription de Méditerranée occidentale, tous associés à des contextes domestiques et le plus souvent à des andrônes, extrêmement rares en Méditerranée orientale, qui possèdent par contre de nombreux parallèles dans le monde punique avec ces bétons de tuileau à signe de Tanit disposés à l’entrée des maisons puniques (Tréziny 2006, p. 174, n. 61). Cette remarque va dans le sens d’une tradition punique diffusée dans le bassin occidental de la Méditerranée.
24 Même constat dans Joly 1997, p. 37-38.
25 Pour ne citer que les lieux abordés dans la présente étude. Pour une liste plus exhaustive, voir Joly 1997, p. 35-36, n. 14-15.
26 Voir n. 2.
27 Joly 1997, p. 38. Voir aussi le recensement dans Tang 2018, p. 185-187, toujours sur les bétons de tuileau à tesselles.
28 Effectuée dans la pièce 6 de la maison IX A, voir partie 2, p. 124.
29 Sol 13p1/p2, pièce i/h de la maison 13,22 (voir p. 100).
30 Pour la maison, voir p. 174-177. Sols 13p3, 13p4 et 13p5 des « bains de Modius » (voir p. 100-102). Sols 14p1 et 14p2 des pièces 14,59a et 14,59b (voir p. 107-108).
31 Cette maison et son quartier ont été mentionnés auparavant à propos des latrines (p. 93). Elle est décrite dans Mégara 3, p. 86-88, où elle est déjà soupçonnée d’appartenir à l’époque romaine. Elle est mieux étudiée dans Mégara 7, p. 264-266. Le sol 21p1 se trouvait dans la « pièce e » et était composé d’un béton de tuileau dans la partie sud et d’un carrelage de terre cuite dans la partie nord.
32 Maison R2_G2 (= VI G-H = 22,23) : sol 22p3, pièce 22,36 (voir p. 110 et 172-174). Maison XV B : sol 49p3, pièce 58,B18 (voir p. 98-99 et p. 142). Maison IX A : pièce A4 (voir p. 95-96 et 129-132), pièce A16/17 (p. 129-132). Sols 58p1 et 58p2, pièces 58,28P et 58,28G (voir p. 114-115). Édifice XV A : sol 50p1, pièce 50,87 (voir p. 97-98).
33 Sol 23p3, détruit par le triclinium 23,60 (voir Mégara 7, p. 261-262). Sol 39p2, maison X N (= 39,3), pièce 20.
34 C’est l’un des objectifs du projet CaF (voir n. 1). Ces méthodes existent depuis une trentaine d’années et elles peuvent livrer des résultats très convaincants (Lichtenberg et al. 2015 ; Lindroos et al. 2011 ; Heinemeier et al. 1997). Elles sont basées sur la datation par le C14 du CO2 contenu dans les bétons et piégés dans ceux-ci lors de leur durcissement (par carbonatation, c’est-à-dire en intégrant le CO2 de l’air environnant) : elles permettent donc de déterminer la période de construction du béton (Hale et al. 2003).
35 Voir partie 3 p. 201-204.
36 Mégara 7, p. 224-233.
37 Ces bains devaient être certainement très fréquentés, compte tenu de la rareté des salles de bains privées. Les sols pouvaient donc passablement s’user.
38 Mégara 3, p. 49-60.
39 Pièce k dans Mégara 7, p. 226, fig. 340.
40 Représenté par un béton de tuileau simple, le sol 2 et le sol 2b : voir Tréziny 2013 et Mégara 7, p. 227-228.
41 Représenté par un dallage de pierres, le sol 1.
42 Pièce d dans Mégara 7, p. 226, fig. 340.
43 Ces piliers ont aujourd’hui presque entièrement disparu ; de celui de l’ouest, déjà manquant lors des fouilles, il ne reste plus que l’empreinte dans le sol ; celui de l’est a conservé seulement sa base. Enfin, ces pilastres étaient plaqués contre un mur dont il manque presque toute l’élévation.
44 La publication initiale de cette découverte est dans Cultrera 1938. On y apprend que la zone venait d’être notablement bouleversée par une carrière moderne avant que les fouilles ne commencent en 1936. À l’époque de cette publication, l’auteur hésitait encore quant à l’interprétation de cet ensemble qualifié de « stabilimento idraulico » (Cultrera 1938, p. 297-298). Cet ensemble a la particularité de présenter deux tholoi, une « petite » à l’ouest et une « grande » à l’est, qui se faisaient face de part et d’autre d’un four, le tout présentant beaucoup de similitudes avec ceux de Mégara (j’y reviens plus loin).
45 Liste dans Cultrera 1938, p. 299-300.
46 Cultrera 1938, p. 301.
47 L’auteur écrit à plusieurs reprises que les sols de la petite tholos et des salles adjacentes étaient des « battuti ». Le terme italien « battuto » est normalement réservé aux sols en terre battue (Ginouvès, Martin 1985, p. 49), mais on peut penser que G. Cultrera ait voulu désigner ainsi un mortier ou un béton. En effet, le sol de la grande tholos et des pièces autour a été défini comme un « battuto di cocciopisto » (Cultrera 1938, p. 274), celui de la salle rectangulaire au nord comme un cocciopisto (ibid., p. 269). Il s’agit donc probablement d’une volonté de varier les termes utilisés puisqu’il considère de toute façon qu’une part notable de l’établissement était « riservata all’acqua » (ibid., p. 278-279).
48 Cultrera 1938, p. 300 ; repris dans Lucore 2013, p. 155.
49 Broise 1994, p. 21-23.
50 Lucore 2018, p. 340 et Lucore 2013, p. 160. S. Lucore estime également que les Bains Nord de Morgantina n’ont pas pu être conçus avant ceux de la « métropole » Syracuse (Lucore 2013, p. 154-155). En l’espèce, ses arguments semblent quelque peu incertains : si les Bains Nord de Morgantina peuvent potentiellement dater du deuxième quart du iiie siècle tout en étant « forcément postérieurs » aux Bains de Syracuse, cela laisse peu de place pour la construction de ces derniers, si on veut les attribuer à Hiéron : en effet, celui-ci n’arrive pas au pouvoir avant 275 (voire 269). Toujours sur la base d’arguments purement historiques, il me paraît d’ailleurs difficile d’envisager que Hiéron ait pu s’engager dans de telles entreprises d’évergésie avant d’avoir stabilisé la situation politique de son royaume, chose faite seulement après le traité de 264 (voir p. 17).
51 Lucore 2013, p. 176, n. 39.
52 Le programme décoratif des Bains Nord de Morgantina est l’objet de Lucore 2018.
53 Lucore 2013, p. 151, 172.
54 À savoir, la prise de ces trois villes par Rome. Il est toutefois très surprenant de penser que les Romains, également grands amateurs de bains publics, aient ainsi pu abandonner ces trois établissements visiblement fonctionnels et bien équipés.
55 Nevett 1999, p. 125.
56 Par un étrange détour de l’histoire, l’usage des bétons de tuileau serait ainsi revenu en Sicile, là où il n’était pas présent, grâce aux nouveaux maîtres des lieux. Et cela ne manquerait pas d’ironie car cela signifierait que cet équipement, visiblement décrié par Caton l’Ancien pour son caractère luxueux, aurait été si rapidement intégré aux pratiques des Romains qu’ils s’en seraient fait les promoteurs dans leurs territoires nouvellement conquis.
57 Tang 2015, p. 36-37, 42.
58 Voir n. 11, p. 191.
59 Voir notamment les références bibliographiques citées dans Pilo 2006, p. 161, n. 1-4.
60 Croisille 2005, p. 33, n. 7.
61 Ibid., p. 33.
62 Tsakirgis 1984, p. 387-390.
63 Voir p. 225-226.
64 Classement défini dans Orlandini 1957a et résumé dans Orlandini 1957b, p. 171-173. Ce découpage a été réajusté un peu plus tard par l’auteur après un examen du matériel des fouilles Orsi exposé au musée de Syracuse. Il s’agissait notamment de la classification typologique des statuettes féminines : insertion des types de la coiffe « en modius » long et étroit et de la coiffure « en tour » entre le type avec coiffure à haut nœud/chignon d’époque timoléonienne et celui à la Melon-Frisur et au drapé moulant, de la fin du iiie siècle. La synthèse de cette révision se trouve dans Orlandini 1960, p. 69-70.
65 Ce que P. Orlandini redit clairement (Orlandini 1957a, p. 44, n. 2). Abandon quasi total car l’auteur rappelle l’existence anecdotique de matériel appartenant à la première moitié du ive siècle (« pochi frammenti di vasi italioti »), ce qui doit correspondre, je suppose, aux fragments de vases pestans signalés à diverses reprises et de façon sporadique : dans le comblement d’un puits (fragment de cratère attribué à Asteas, Adamesteanu, Orlandini 1956, p. 264-269), dans celui d’une citerne (partie supérieure d’un cratère en cloche avec une branche de laurier sous le col, figurant une ménade et un satyre : Adamesteanu, Orlandini 1960, p. 77-79) et également dans le niveau de réoccupation de l’édifice XII sur l’acropole (fragments divers dont un d’Asteas, daté de 350 : Panvini 1996, p. 100).
66 Voir annexe 3, p. 276.
67 Je m’appuierai ici en grande partie sur les résultats de Portale 2000, étude sur le matériel de Scornavacche dont les liens avec Géla sont bien établis (voir p. 240).
68 Portale 2000, p. 270-271.
69 Ibid., p. 272-273.
70 Ibid., p. 276.
71 Ce matériel, à cause de son contexte de découverte, pose question quant à son rapport éventuel avec la villa même si cela ne contredit pas le présent propos. Tout le secteur a en effet été sujet à des glissements de terrain conséquents entre le haut et le bas de la colline. C. Pilo constate que la plupart de la céramique retrouvée en bas, dans la zone de la villa, appartient au répertoire du mobilier funéraire (unguentaria piriformes, olpai miniatures, lampes, fragments de figurines), effectivement bien attesté à Géla dans les nécropoles de Capo Soprano, Costa Zampogna et Piano Notaro. Il y a également de nombreux fragments de vasques et de couvercles de lékanides à figures rouges ou du style de Gnathia (pampres de vignes avec feuilles et grappes et vrilles surpeintes en blanc et jaune) surtout présentes dans les tombes à partir du ive siècle. Même chose pour les lécythes aryballistiques avec décoration à réticules. Comme le souligne l’auteure, cette hypothèse d’un mobilier funéraire et non domestique est étayée non seulement par les associations d’objets mais aussi par leur état de conservation (Pilo 2006, p. 157).
72 Il s’agit de ces amphores trouvées dans le « cellier » de la villa ; également de celles du dépôt de via Polieno (Adamesteanu, Orlandini 1956, p. 355-357) et de la dite « maison-boutique » (Adamesteanu, Orlandini 1960, p. 165).
73 Fragments de « head-vases », formes closes.
74 Pilo 2006, p. 158-161.
75 Mis à part les traces de fréquentations archaïques découvertes lors d’un sondage (cf. Adamesteanu, Orlandini 1956 p. 347-348) et celles bien plus tardives (sigillée africaine de type D, datée de la deuxième moitié du ve siècle apr. J.-C.).
76 Denoyelle, Iozzo 2009, p. 208-209.
77 Pilo 2006, p. 160, n. 1 ; même type de matériel dans Spagnolo 1991, p. 65 et pl. XLIV à XLVIII.
78 Adamesteanu, Orlandini 1956, p. 351.
79 Forme typique de la campanienne A, ibid., p. 160, n. 3, et p. 161, fig. 13.
80 Orlandini 1957a, p. 54-57.
81 Ibid., p. 59-61.
82 Cet ensemble de monnaies, de statuettes et de vases figurant des scènes de l’univers dionysiaque ou féminin est identique aux associations connues à Manfria, dans des contextes établis entre 340 et 310 par P. Orlandini pour les mêmes raisons : monnaies de Timoléon, pas d’unguentaria piriformes, pas de canthares du type de Gnathia, pas de statuettes à la Melon-Frisur, c’est-à-dire donc pas d’éléments caractéristiques de la phase 310-282. Il est également rapproché du matériel des tombes de la phase III (appelée « secondo strato » par P. Orlandini, il s’agit bien entendu d’une erreur) de la nécropole de Butera (tombes à epitymbia avec notamment une pyxis et un lécythe à figures rouges du cercle du peintre de Manfria dans la sépulture XIV, datée de la deuxième moitié du ive siècle : voir Panvini 2003, p. 74-75). Également rapprochés du mobilier de Scornavacche : statuettes, vases peints sicéliotes, des monnaies d’époque timoléonienne (Orlandini 1957a, p. 59-61).
83 Denoyelle, Iozzo 2009, p. 171, 238.
84 Orlandini 1957a, p. 61-62.
85 Il s’agit du site de « La Bastida de Mogente » situé dans la région de Valence en Espagne, fouillé par N. Lamboglia dans les années cinquante.
86 Sur ce sujet, voir Morel 1981 p. 56, 62, surtout p. 62, n. 1.
87 Voir G. Rizza. Leontini, Campagne di scavi 1950-1951 e 1951-1952: la necropoli della Valle S. Mauro. Le fortificazioni meridionali della città e la porta di Siracusa, NSA, Serie 8 vol. 9, 1956, p. 281-376 (données en p. 340-345).
88 Orlandini 1957b, p. 153-156.
89 Denoyelle, Iozzo 2009, p. 208-210.
90 P. Orlandini constatait en tout cas une nette césure typologique entre ce style et les productions précédentes appartenant selon ses termes au « faciès timoléonien » ou « précampanien ». Mais puisqu’aucun vase à décors surpeints n’existait sur l’acropole de Géla et à Manfria, alors qu’on y avait trouvé par contre des vases « précampaniens », il concluait que la transition entre les styles « précampaniens » et « timoléoniens » d’une part et les styles campaniens et de Gnathia d’autre part, étayée par l’association avec les monnaies, avait dû se faire à Géla aux alentours de 310 (Orlandini 1957b, p. 156).
91 Fiorentini 2002, p. 151 ; Spagnolo 1991, p. 65 et pl. XLIV à XLVIII.
92 Pour sa composition, voir Orlandini 1957a, p. 53, n. 1.
93 Macaluso 1980, p. 1366.
94 Cet assemblage est une association des monnaies KAINON avec certaines monnaies syracusaines de l’époque de Denys qui se rencontre constamment dans les trouvailles faites le long de la vallée du Salso (et dues en bonne partie aux fouilles de D. Adamesteanu et P. Orlandini). À ces découvertes, R. Macaluso ajoute celles de Morgantina et de Locres pour attribuer ces monnaies aux troupes de Denys dont elles semblent suivre les déplacements (Macaluso 1980, p. 1369-1371).
95 Adamesteanu, Orlandini 1960, p. 169-171.
96 Une synthèse rapide de la question se trouve dans Portale 2000, p. 265-266, 278, n. 11-14 ; recensement des émissions : ibid., p. 277, n. 8. Voir également Consolo Langher 1996, p. 48-49 et Di Vita 2002, p. 140-141.
97 Voir entre autres l’appel de M. Congiu, dans Congiu, Miccichè, Modeo 2011, p. 197.
98 Sur ce sujet, voir partie 1, p. 15-16.
99 En tout, 55 000 nouveaux habitants selon Diodore (16, 82, 3 et 5) et au moins 10 000 selon Plutarque (23, 6), qui affirme ensuite qu’ils étaient très nombreux (35, 1). Voir Sordi 1961, p. 104-105, où l’auteure tire du récit de Plutarque un chiffre de 60 000 colons.
100 Diod. 16, 83.
101 Plutarque, Tim, 35 ; Diod. 16, 82.
102 Voir partie 1, p. 23-24.
103 Dès les années 1970 avec les fouilles sur l’acropole de Géla (De Miro, Fiorentini 1978 ; voir également le paragraphe sur Géla, p. 189) et sur la piazza della Vittoria à Syracuse (Voza 1978). Beaucoup plus récemment, voir les actes du colloque Congiu, Miccichè, Modeo 2011.
104 Voir p. 191-193.
105 Voir p. 193-196.
106 Voir p. 208-218.
107 Voir p. 218-223.
108 Voir p. 236-242.
109 Voir p. 196-200.
110 On rappelle à ce sujet l’opinion de C. Mossé, que l’on a exposée en partie 1, p. 16.
111 Voir respectivement p. 204-208 et partie 2, p. 181-185.
112 Rappelons que, après la victoire des alliés en 339, le fleuve Lykos/Platani constituait la frontière entre les régions soumises aux Grecs et celles soumises aux Puniques, ce qui ne laissait à ces derniers que le quart occidental de l’île.
113 Voir p. 223-225.
114 Voir p. 225-231.
115 Voir p. 231-236.
116 Voir p. 190-191.
117 Voir p. 62.
118 Voir p. 212-213.
119 Voir p. 220.
120 Voir p. 223-225.
121 Voir p. 225-226.
122 Voir p. 94-95 et 102-104.
123 Voir p. 246-247.
124 Voir p. 234-236.
125 Voir p. 243-250.
126 Di Vita 2002, p. 140.
127 Torelli 2006, p. 11 ; Campagna 2006, p. 15.
128 Isler 2010, p. 327 ; Isler 2011a, p. 125.
129 Mancini 2006, p. 171 ; Campagna 2006, p. 20-21, 27-28 ; La Torre, Mollo 2013, p. 426.
130 Isler 2011a ; Bell 2011.
131 Voir p. 223-225.
132 Comme l’a fait remarquer Mancini 2006, p. 167-168.
133 Voir p. 215-216.
134 Voir p. 215-216.
135 Voir p. 216.
136 Voir p. 194-196.
137 Mancini 2006, p. 167-168.
138 Bell, Holloway 1988, p. 313-340.
139 Bell 2006, p. 254-255.
140 Mancini 2006, p. 171-172 ; voir ici p. 27 et p. 219-210.
141 Voir p. 208-213.
142 La Torre 2005, p. 122 ; La Torre 2006, p. 93 ; voir ici p. 193-200.
143 La Torre, Mollo 2013, p. 72-73, 424-426.
144 Ibid., p. 428.
145 Voir p. 199.
146 Voir p. 199.
147 Voir p. 198.
148 Voir p. 199-200.
149 Voir p. 28-30 et p. 225-226.
150 Même avertissement du côté de H.P. Isler à propos des décors des maisons hellénistiques en général (Isler 2010, p. 324). À Solonte, M. Wolf et C. Greco se réfèrent tous deux aux différents états du sol de la pièce OG8 du gymnase (voir p. 29, n. 77).
151 À cet effet, C. Greco signale que des fouilles récentes effectuées sur l’un des sténopoi du quartier d’habitat ont montré que l’avant-dernier état du sol de cette rue remontait aux iiie/iie siècles et que le dallage visible aujourd’hui (le dernier état de la rue) lui était naturellement postérieur (Greco 2014, p. 212, n. 23).
152 Voir p. 229-231.
153 Voir partie 1, p. 30.
154 Di Vita 2002, p. 140 ; Anello 1999, p. 405-406 ; Panvini 1996, p. 99-100.
155 Entella e Nakone 2001, p. 106-107 ; Adamesteanu 1997 ; Consolo Langher 1996, p. 57-60, 74.
156 Actes parus dans Congiu, Miccichè, Modeo 2011. Ce sont notamment L. Sole (p. 45-53), G.F. La Torre (p. 75-86), R. Panvini (p. 121-134) et M. Congiu (p. 193-200).
157 Bonacasa 2004, lors d’un colloque portant sur les nouvelles perspectives de recherche, notamment archéologiques, dans la Sicile du iiie siècle (Caccamo Caltabiano, Campagna, Pinzone 2004).
158 Bonacassa 2004, p. 38-39.
159 Isler 2010, p. 313-314, lors d’un colloque ayant pour thème principal l’habitat en Méditerranée orientale entre le ive siècle av. J.-C. et le ier siècle apr. J.-C. (Ladstätter, Scheibelreiter 2010).
160 La Torre 2013, p. 427 ; Portale 2006, p. 51.
161 C’est en partie comme cela que l’on doit comprendre l’appel de N. Bonacasa à de futures recherches qui, après des « decenni di catalogazione e di edizioni », ne devront pas se contenter de « singoli articoli densi di inventiva » mais devront être des investigations « coraggiose e mirate che affrontino complessivamente periodi e non episodi momentanei della produzione ellenistica » (Bonacasa 2004, p. 37).
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