Archéologie du lait : le cas du lait médicinal
p. 85-98
Résumés
Malgré un statut ambigu, aux frontières des mondes sauvage et domestiqué, le lait est utilisé dans l’arsenal des prescriptions des médecins antiques, particulièrement ceux de la collection hippocratique (ve av.-iie apr. J.C). Plusieurs types de lait sont prescrits. Le lait de vache et d’ânesse le plus communément mais aussi le lait de femme – particulièrement dans les recettes gynécologiques – et de manière plus anecdotique, le lait de brebis, de chèvre, de jument ou de chienne. Le lait est rarement prescrit seul, souvent délayé, agrémenté de miel, de sel, il est recommandé mêlé à d’autres ingrédients minéraux et végétaux ou alors en traitement unique, sous la forme de « cure de lait ». On s’interrogera sur ces prescriptions qui usent de ces laits, sous quelles formes, pour quels usages et avec quelles intentions curatives ou symboliques, notamment dans le traitement des maladies féminines. Nous verrons que ces recettes se trouvent à mi-chemin entre la prescription médicale et le remède de « bonnes femmes ».
L’emploi thérapeutique du lait est toujours en vigueur chez les médecins de l’époque romaine. Ces derniers évoquent un vase « en forme de sein » permettant d’administrer du lait mélangé à des malades comme à des enfants. L’existence de petits récipients appelés communément par les archéologues « biberons » seraient-ils l’incorporation de ce vase, un moyen mis au point par les potiers et verriers antiques pour palier au lait d’une nourrice ou administrer une recette thérapeutique ? Rare témoin de la représentation de cet objet énigmatique, un relief d’époque augustéenne faisant référence à l’âge d’or et aux mythes de fondation des villes semble le suggérer.
Despite its ambiguous status, hovering on the borders of the wild and domesticated worlds, milk was used by ancient physicians in their portfolio of prescriptions, particularly those in the Hippocratic collection (5th century BC to 2nd century AD). Several kinds of milk were prescribed. The most common being cow’s or donkey’s milk, but women’s milk was also employed – particularly in gynaecological recipes – and, more anecdotally, sheep’s, goat’s, mare’s or bitch’s milk. Milk was rarely prescribed on its own, often diluted or mixed with honey or salt, it was recommended either mixed with other mineral and vegetable ingredients or as a sole treatment when in the form of a “milk cure”. This paper questions who used these various types of milk, in what forms, for what purposes and with which curative or symbolic intentions, particularly in relation to the treatment of women’s ailments. These recipes are in fact situated halfway between a medical prescription and an “old wive’s” remedy.
The therapeutic use of milk continues among doctors in Roman times. The latter brings to mind a “breast shaped” vessel which could be used to administer mixed milk to patients and children alike. Could the existence of such small containers, commonly referred to by archaeologists as “feeding bottles”, be the introduction of this vessel, a means developed by ancient potters and glassmakers to make up for the lack of a nurse’s milk or to administer a therapeutic recipe? A rare testament to the representation of this enigmatic object, a relief from the Augustan period referring to the Golden Age and the myths of the foundation of cities seems to suggest so.
Texte intégral
1« Et puis le lait peut aller à d’autres bouches que celles prévues par la naissance1… » François Poplin résume fort bien en une simple phrase une des raisons fondamentales qui ont poussé l’homme à développer la domestication des bovidés. L’élevage des bovinés et des caprinés se différencie de celui des autres animaux par le fait qu’il permet, outre la consommation de la viande et l’utilisation de matières premières telles que la graisse, les tendons, la fourrure et les cornes, de bénéficier du lait. L’animal apporte ainsi un prolongement à une faculté humaine, celle de donner du lait. Le lait est bien sûr une denrée aux grandes qualités gustatives et nutritionnelles, transformable en produits laitiers divers et particulièrement en fromage et dans ce cas conservable sur une durée assez longue. Toutefois, le lait est plus qu’un simple produit alimentaire, qu’il soit d’origine humaine, animale mais aussi divine. Sécrétion biologique, production du corps féminin, il est à ce titre particulier2. Le lait concerne non seulement l’alimentation des nourrissons et, transformé en produit laitier, des humains à tout âge de la vie, mais aussi les offrandes faites aux divinités et aux morts. Il est fluide de vie et de force, le rapport avec la magie étant attesté dans de nombreuses cultures3, tandis que l’allaitement divin confère du charisme et assure un destin exceptionnel à celui qui en bénéficie tel Pharaon, Héraklès4, Rémus et Romulus (voir infra). L’importance et la considération que les hommes accordent au lait depuis des millénaires5 tiennent à ses dimensions alimentaires autant que symboliques et sacrées. Et à la charnière du symbolique, du sacré et du nutritionnel, la dimension thérapeutique (et magico-thérapeutique) du lait est une donnée trop souvent oubliée de la recherche archéologique. Celle-ci s’est d’abord construite sur deux approches complémentaires permettant la connaissance de la production, la transformation et la consommation du lait et de ses dérivés : l’archéozoologie et la céramologie. L’étude des ossements animaux et des âges d’abattage a permis de mettre en évidence, d’une part, que le lait des brebis et des chèvres est exploité depuis les origines de l’élevage et, d’autre part, que, bien loin d’être un produit secondaire, le lait a joué un rôle essentiel dans le processus de domestication6.
2L’approche archéozoologique est souvent croisée avec la céramologie à l’échelle d’un site ou d’une région, avec la question principale du rôle de la production laitière dans les économies. Mais cette approche était limitée jusqu’à la fin du siècle dernier, d’une part parce que la fonction des poteries est toujours particulièrement délicate à documenter à partir des seules données morphologiques, d’autre part car l’archéologie du lait ne dispose pas de conteneurs spécifiques comme les amphores pour l’huile et le vin7. Des témoins indirects sont bien sûr représentés par certains récipients percés dont les orifices, aménagés avant ou après cuisson, sont interprétés comme des filtres pour égoutter le caillé8. Mais rien ne permet objectivement, sans analyses, d’attester que les céramiques filtres sont bien des faisselles. C’est à la fin des années 1990 que les analyses biomoléculaires ont étendu leurs possibilités à la caractérisation de marqueurs de produits laitiers présents dans des poteries9. Ces analyses fonctionnent par l’identification de biomarqueurs dont la structure est caractéristique d’une substance naturelle. Parmi les biomarqueurs habituellement retrouvés en contextes archéologiques, ceux des matières grasses sont parmi les plus stables et les plus fréquemment identifiés, qu’il s’agisse de graisses sous-cutanées de ruminants et de non-ruminants ou de produits laitiers10. Leur développement a permis de valider la fonction de faisselles de divers ensembles de céramiques filtres11 et de prouver la fabrication de fromage dès le VIIe millénaire en Anatolie12 et dès le VIe millénaire en Europe13. La présence de produits laitiers est toujours reliée à la fabrication de fromage pour les faisselles et à la cuisine et au stockage pour les autres catégories de céramiques. L’interprétation des résultats des analyses chimiques ne concerne ainsi que la fonction alimentaire, sans autres propositions concernant la présence de marqueurs de lait dans les récipients14. Pour les mondes égyptiens, grecs, étrusques et phéniciens, les résultats des programmes ANR Perhamo et MAGI attestent que les produits laitiers sont présents dans des catégories de petits conteneurs en céramique, faïence et verre qui n’ont pas de fonctions culinaires ou alimentaires. Il s’agit des aryballes, alabastres, lécythes, amphorisques, flacons zoomorphes ou anthropomorphes qui ont tous comme caractéristiques communes d’avoir une contenance limitée à quelques centilitres ainsi qu’un goulot et une embouchure étroits15. Intégrés dans un corps gras (le plus souvent de l’huile) avec mélange de substances aromatiques, les produits laitiers y jouent sans aucun doute un rôle cosmétique, mais aussi thérapeutique et prophylactique16. La dimension thérapeutique du lait humain et des laits de certains animaux repose sur des qualités nutritionnelles reconnues ainsi que, pour chaque culture, une tradition de croyances religieuses, de mythes, de symboles, mais aussi de préjugés conduisant à des pratiques magico-médicinales imprégnées de superstition17.
3Existent dans nombre de cultures archéologiques, mais en particulier dans les mondes égyptien, grec et romain, différentes catégories de vases considérés comme des biberons, avec comme caractéristique morphologique commune la présence d’un bec tubulaire permettant d’octroyer, directement à la bouche, des doses précises, avec un débit contrôlé, d’un contenu liquide ou semi-liquide. Vu leurs critères morphologiques, ces vases peuvent tout à fait avoir comme fonction de nourrir les nourrissons et les jeunes enfants mais aussi tout individu malade, quel que soit son âge, incapable de se nourrir par lui-même, auquel il est indispensable de donner un traitement médical. Le « vase-biberon médicinal » le plus ancien remonte au Néolithique ; il provient du Djebel Moya et se présente sous la forme d’un petit bol de 4,2 cm de hauteur (pour 6,1 cm de diamètre) avec un goulot tubulaire orienté vers le bas au milieu de la panse. Selon Amandine Marshall, les caractéristiques morphologiques de cette céramique impliquent qu’elle n’a pu être conçue pour des nourrissons mais pour des enfants plus âgés ou des adultes18. Quelles que soient les cultures et les périodes concernées, les propositions concernant ces petits vases à bec tubulaire oscillent entre une fonction de vase-biberon, de tire-lait ou de vase médicinal. Outre les critères morphologiques de l’objet (forme, inclinaison et taille du bec tubulaire pouvant réellement faire office de tétine pour un nourrisson ou de tire-lait ; dimensions de l’orifice permettant ou non à un liquide de s’écouler régulièrement et d’en contrôler le débit), sa décoration (dans le cas du monde égyptien19), ce sont les contextes archéologiques qui devraient apporter des arguments décisifs quant à une fonction spécifique aux tout-petits. Quelles que soient la zone géographique et la culture concernée, il s’avère que les petits vases tubulaires peuvent être en effet retrouvés dans des tombes d’enfants mais qu’ils sont aussi présents dans des tombes d’adultes. Seules des analyses biomoléculaires de contenus peuvent dès lors répondre au problème de la fonction de cette catégorie de vase, avec, comme question principale, celle de la présence de lait. Sachant que le lait est amplement utilisé dans l’arsenal des prescriptions des médecins antiques, particulièrement ceux de la collection hippocratique (ve siècle av.-iie siècle apr. J.-C), l’objectif de cet article est de mettre en évidence que l’utilisation médicinale du lait est une réalité quotidienne qui peut être démontrée par l’archéologie en prenant l’exemple des petits vases à bec tubulaire gallo-romains. La méthode n’a rien d’original, consistant à croiser des sources différentes – historiques (textes et images) et archéologiques (céramiques) –, mais est complétée par le recours aux analyses biomoléculaires de contenus de vases à bec tubulaire souvent considérés comme des biberons.
Les prescriptions médicales de lait
4Nettement moins prescrit que le vin ou l’huile, le lait entre néanmoins dans la liste des produits communément utilisés dans la pharmacopée comme l’a montré Janick Auberger dans un article pionnier20. Souvent seul le nom du « lait » (gala) est mentionné, parfois aussi son origine est spécifiée. Les laits d’ânesse et de vache sont les plus couramment prescrits, puis de brebis et de jument, enfin celui de chienne est rare. Le lait de femme est majoritairement employé en gynécologie. La prescription laitière ne laisse rien au hasard, les médecins en connaissent les qualités et les effets qui varient selon l’espèce. Il faut compter aussi au nombre des prescriptions laitières le petit-lait (appelé aussi lactosérum), la partie liquide issue de la coagulation du lait qui apparaît lors de la fabrication du fromage21. C’est un liquide jaune verdâtre qui contient la plus grande partie de l’eau du lait mais aussi du sucre (lactose), des protéines et très peu de matières grasses. Le petit-lait est utilisé comme diurétique et purgatif.
5S’il s’agit bien de recommander un type de lait particulier, les médecins spécifient aussi la manière de le préparer, de le délayer ou pas, de le cuire ou non, la durée du traitement et la posologie. Ils précisent souvent que la prescription à base de lait ne vaut que « quand la saison le permet », « dans la saison »22 ou « si c’est la saison ». En effet il n’y a pas de lait disponible en permanence, il faut qu’on soit en saison où les animaux mettent bas, il y a sans doute des mois entiers où on ne trouve pas de lait, c’est la raison pour laquelle souvent les prescriptions offrent de multiples recettes variant les ingrédients.
6Dans la collection hippocratique le lait est prescrit sous forme de boissons en général et de pessaires pour les maladies gynécologiques, pour les affections internes principalement. En boisson il est le plus souvent recommandé seul et parfois mélangé avec un adjuvant salé ou sucré qui module les attendus de la prescription mais aussi en corrige le goût : du sel, du miel ou du mélicrat (c’est aussi du miel mélangé à un liquide). Ce qui étonne dans ces recommandations laitières c’est la très grande quantité prescrite, parfois en une seule fois, ou sur du long terme. Il est souvent mentionné que le lait doit être consommé, « en aussi grande quantité que possible23 ». Souvent les dosages sont mentionnés, comme ici :
Dans les maladies aiguës, il faut pratiquer la saignée si la maladie paraît intense et que les patients soient adultes et en pleine force. [...] Puis on rend des forces au malade, on considère les crises et on purge par le haut si le mal ne s’atténue pas. Quant à l’intestin, si le lavement n’a pas d’effet, donnez du lait d’ânesse bouilli : que le malade n’en prenne pas moins de douze cotyles [2,24 l] et même davantage, s’il est vigoureux24.
7Si c’est bien le principe actif du lait d’ânesse qui est cherché, comme évacuant, c’est aussi la quantité qui accroît la puissance de l’ordonnance. D’ailleurs le médecin, conscient des conséquences énergiques prévisibles, doit veiller à ce que le patient puisse supporter la prescription. Il est possible d’en moduler les effets en précisant que les laits soient crus, cuits, bouillis ou « sortant du pis de la vache25 ». Par le type de lait recommandé, son état (cuit ou non), la quantité, le moment de son absorption (à jeun par exemple) ou son mélange à d’autres ingrédients, le médecin établit une gradation et joue des propriétés intrinsèques de la prescription en limitant ou augmentant ses conséquences sur l’organisme.
Vertus curatives du « lait-médicament »
8Les vertus curatives du « lait-médicament26 » sont clairement identifiées pour les médecins : elles sont expulsives et nutritives. La médecine hippocratique est une médecine de l’expulsion. Il s’agit de vider le corps : des humeurs principalement, mais aussi de tout ce qui occasionne le déséquilibre intérieur. Les purgatifs sont prescrits en grande quantité sous toutes les formes possibles, laxatifs, vomitifs et autres plus ou moins puissants. Indiscutablement le lait est utilisé dans un cadre expulsif comme ici dans le cas d’une phtisie (tuberculose) :
Une fièvre considérable s’établit, et le corps est en proie à un sentiment de lassitude et à la douleur. [...] Il convient de le faire vomir et de procurer par les lavements quelques déjections alvines ; si ces moyens n’amènent pas de solution, vous purgerez le malade avec du lait d’ânesse bouilli ; vous ne lui ferez prendre aucune substance ni salée ni âcre, car il ne la supportera pas27.
9Les prescriptions laitières à visée purgative sont ordonnées pour des motifs thérapeutiques divers, comme ici dans le cas de phtisie ou d’arthrite, mais aussi pour « libérer le ventre28 », pour combattre des fièvres diverses. Toutefois le lait est largement plus recommandé pour traiter les maladies dites féminines29, pour des soucis de matrice fermée ou trop ouverte, déviée ou ulcérée, pour des soins après l’accouchement (diarrhées, vomissements ou hémorragies) ou pour combattre des leucorrhées30. Il s’agit clairement, pour les femmes dont le corps est largement plus soumis que celui des hommes aux aléas physiologiques d’une mécanique des fluides31, de le vider de tout ce qui entrave la possibilité qu’un enfant y prenne corps (un enfant étant issu d’un mélange de deux fluides que sont le sang des règles et le sperme, le sperme agissant sur le sang des règles comme la présure sur le lait)32. On ne sera pas étonné non plus du traitement spécifique du corps féminin par un ingrédient que lui-même produit, un traitement par les semblables.
10Le lait est utile pour vider le corps d’humeurs corrompues, le nettoyer et faire place nette pour intervenir de nouveau. Pour purger ce sont surtout les laits d’ânesse et de chèvre qui sont recommandés, car on leur reconnaît des propriétés laxatives comme le confirme le traité Du régime :
Avec du lait, tous les cycéons33 sont nourrissants. Seulement le lait de vache resserre, tandis que le lait de chèvre est laxatif plus que celui de brebis, mais moins que celui de jument ou d’ânesse34.
11Souvent il est mentionné que ce lait d’ânesse doit être consommé cuit pour une action relâchante maximale ; nul doute aussi qu’il faut tenir compte de la quantité prescrite et de la longueur du traitement. À plusieurs reprises aussi le médecin invite à vérifier que le patient est en capacité de supporter ce traitement qui soumet l’organisme à rude épreuve.
12Si, de manière évidente, dans les prescriptions c’est l’effet purgatif du lait qui est recherché initialement, souvent dans un second temps le médecin recommande à la suite un autre lait pour un effet contraire, c’est-à-dire comme « reconstituant », pour ses propriétés nutritives. Prenons cet exemple d’une hépatite qui résume à lui seul les attendus successifs des prescriptions laitières :
Autre hépatite : les douleurs se font sentir de la même façon au foie ; la couleur diffère du cas précédent, elle est celle de la grenade. [...] Quand les choses sont ainsi et que les premiers jours sont écoulés, on fait passer à l’étuve, puis on évacue avec la scammonée ; si le ventre est échauffé, on administrera un lavement préparé comme dans les cas précédents et qui évacue bien ; après le lavement on purgera avec du lait d’ânesse cuit, bu à dose de huit cotyles, avec addition de miel. On donnera aussi du lait de chèvre, avec addition d’un tiers de mélicrat, le matin, une tasse de quatre cotyles en y mêlant un tiers de mélicrat ou même le lait seul. On donne, de même que le lait d’ânesse, le lait de jument. [...] Dans le cas où vous ne voudriez pas purger avec le lait d’ânesse, donnez deux cotyles de lait de vache cru, avec addition d’un tiers de mélicrat chaque jour, pendant dix jours ; puis dix autres jours avec addition d’un sixième de mélicrat. Le reste du temps, on donnera le lait seul, à la dose de deux cotyles, jusqu’à ce que le patient reprenne de l’embonpoint35.
13Ce sont particulièrement les laits maternels et de vache seuls, ni délayés ni agrémentés qui sont recommandés pour des effets nourrissants et reconstituants, parfois donnés crus pour plus d’efficacité. En effet le lait de vache étant plus gras et plus épais, on pense qu’il a pour effet de resserrer et donc de fortifier. La cure par le lait (galaktopotein), est une spécificité des médecins hippocratiques qui a été bien étudiée par Karl Deichgräber36, recommandée pour les maladies des femmes, mais aussi pour lutter contre les fièvres diverses, la phtisie, des affections intestinales… Deux temps se succèdent : d’abord la cure est purgative, elle vide le corps des humeurs corrompues, on utilise alors souvent du lait d’ânesse pendant quelques jours ce qui affaiblit considérablement le patient ; puis le médecin prescrit un traitement plus long (pendant quarante jours environ) de lait de vache cru pour ses pouvoirs nutritifs, pour rétablir l’embonpoint. La contre-indication du lait est dans la pure tradition hippocratique : une même prescription qui voit se succéder des types de lait aux propriétés différentes : on vide d’abord le corps pour mieux le remplir ensuite, une mécanique des fluides en somme qui fait usage d’un ingrédient aux vertus ambivalentes.
Le cas particulier des prescriptions du lait maternel
14Le lait maternel est recommandé quasiment exclusivement dans les traités gynécologiques, c’est-à-dire dans un contexte lié à la conception et/ou à la stérilité à laquelle le médecin tente de remédier. Les actions médicales dans ce cadre ont des visées de deux ordres : tout d’abord expulsives, il s’agit alors de chasser du corps féminin tout ce qui entrave la conception, mais aussi incitatives ou prospectives, c’est-à-dire visant à donner des conseils et des prescriptions qui rétablissent le corps féminin dans sa pleine capacité reproductive.
15Dans ces recettes gynécologiques, le lait maternel est rarement prescrit seul, il est plutôt un composant d’un mélange, en traitement interne sous forme de pessaires et de breuvages essentiellement purgatifs ou emménagogues. Ces préparations sont composées d’ingrédients aux propriétés actives et souvent corrosives et, dans ce contexte, le lait semble aussi employé pour ses propriétés émollientes et excipientes pour faire venir les règles, les lochies et le chorion. Les prescriptions les plus nombreuses de lait maternel ont pour objectif de vider le corps de la femme de tout ce qui encombre son utérus (le pus, le sang des règles, le chorion, les peaux, les lochies) et empêche une conception espérée de tous37 :
Pessaires purgatifs énergiques, capables d’attirer de l’eau, des mucosités et des peaux plus que les précédents : grains de poivre, quatre des gros ou dix des petits, élatérion une potion, mêler, bien broyer en versant du lait de femme, ajouter un peu de miel, pétrir, enrouler avec des chiffons dans de la laine propre et molle autour d’une plume et appliquer après avoir trempé dans le parfum blanc égyptien ; ce pessaire restera en place pendant le jour et après l’avoir ôté, la femme appliquera la graisse de cerf38.
16Le lait maternel est souvent préconisé avec des substances huileuses39 (huile de rose ou d’iris ou du parfum égyptien) et du vin40 dont les propriétés lubrifiantes, émollientes et laxatives sont également reconnues. Mais il ne faut pas douter ici que ce lait, s’il est prescrit pour les qualités intrinsèques, il l’est aussi pour sa valeur symbolique. Dans le cadre gynécologique la prescription laitière revêt cette dimension supplémentaire dont il est difficile de mesurer l’étendue : soigner le corps grâce ou par un produit de ce même corps, on espère ainsi conjuguer les effets et sans doute les renforcer.
17C’est dans ce sens que l’on peut interpréter la présence de lait maternel dans les recettes pour concevoir. C’est le pouvoir d’attirance des semblables qui est attendu ici :
Infusion pour concevoir : lait de femme nourrissant un enfant [kouros, « enfant » ou « garçon »], grains d’une grenade fraîche, les piler, en exprimer le suc, brûler le périnée d’une tortue de mer, le broyer et injecter le tout dans les parties génitales41.
18Cette prescription est étonnante usant d’ingrédients à forts pouvoirs suggestifs : le périnée d’une tortue de mer, les grains d’une grenade et le lait maternel. Fonctionnant par analogie suggestive, c’est probablement le pouvoir allusif de ces ingrédients liés à la spécificité organique du corps féminin mais aussi à la fécondité et à la fertilité qui sont à prendre en considération : il est difficile d’interpréter ici la recommandation du périnée de tortue de mer, sinon l’évocation organique ; pour la grenade, comme la pomme ou la figue et d’autres fruits, qui contiennent des graines, une allusion à la pousse/croissance de l’enfant dans le ventre féminin tel un terreau redevenu fertile ; enfin le lait maternel précisé « gala gunaikos kourotrophou ». Lait de femme qui nourrit un kouros, sans savoir si le terme est utilisé dans sa dimension générique (enfant) ou sexuée (garçon). En effet c’est le même lait si on a eu un garçon ou une fille, mais on peut penser aussi que pour ces médecins qui cherchent par tous les moyens à rendre cette femme enceinte, la précision sexuée lui donne une puissance supplémentaire car provenant d’un corps maternel qui a produit le summum de la réussite reproductive. Dans cette recette aucun de ces éléments n’est véritablement actif en terme thérapeutique, mais l’effet recherché n’est sans doute pas de cet ordre, la multiplication des allusions à la fécondité et à la fertilité sont sans doute déterminantes pour croire en l’efficacité de la prescription42.
19En dehors des prescriptions gynécologiques, une longue tradition des médecins antiques (et même encore actuellement sur les sites internet féminins) vante les vertus thérapeutiques du lait maternel pour soigner ou l’oreille43 ou l’œil :
Pour employer en onction sur l’œil : miel aussi beau que possible, vin vieux doux, faire cuire ensemble. Pour l’argémon44 : larme de peuplier, lait de femme, mêler et s’en servir45.
20Préconisé en injection, le lait de femme est recommandé pour ses propriétés émollientes, de douceur et de suavité mais aussi (et c’est la raison pour laquelle il peut être remplacé par du vin doux ou de l’huile vieille) agréable au toucher et supposé avoir des vertus apaisantes. Aussi prête-t-on au lait maternel des vertus somme toutes « féminines » et « maternelles ». Mais issu de la mécanique du corps féminin, d’une « coction » féminine qui relève de la « cuisine »46, sa préconisation est aussi largement de l’ordre du symbole47.
21Le lait est un élément essentiel des prescriptions médicales, utilisé essentiellement en traitement interne pour ses propriétés purgatives et nourrissantes. Par le type de lait recommandé, la quantité, le moment de son absorption, son état (cuit ou cru) ou son association avec d’autres ingrédients, le médecin semble en réguler les effets sur l’organisme. Mais le lait est incontestablement un ingrédient particulier de la collection hippocratique surtout quand il est précisé « maternel » ou « d’une femme nourrissant un enfant », car il est un produit du corps qui est utilisé alors pour sa valeur symbolique. Car le lait n’appartient pas en propre à celui ou celle qui l’émet (à la différence du sang ou du sperme), puisqu’il peut convenir à autrui48. Comme le souligne Jackie Pigeaud, il existe une « rêverie » médicale autour du lait49 : aliment-médicament, poison-contrepoison, ses vertus ambiguës entrent sans doute dans l’ordre du pharmakon exerçant des effets contradictoires parce qu’il n’a pas une essence stable50. Si la nature du lait pose question, il convient également de s’interroger sur son mode d’administration. Nourriture ou remède, la question du contenant du lait (particulièrement quand il est prescrit en boisson) peut éclairer l’usage nourricier et/ou thérapeutique et le destinataire prospectif.
Vases grecs, vases romains : quels contenants ?
22Ces prescriptions thérapeutiques utilisant du lait de femme et d’animal suggèrent l’emploi de récipients adaptés à leur administration. Pris en boisson, le lait peut être donné à des malades comme à des enfants. Les textes hippocratiques mentionnent un vase, le bombylios, qui permet au malade de tirer la quantité de liquide qui lui convient51. Citant Socrate, Athénée de Naucratis confirme cet usage du récipient et précise que certaines personnes seront guéries en prenant ce qui en tombe goutte à goutte52.
23L’identification formelle du vase appelé bombylios a été démontrée dans un article portant sur les vases utilisés dans le Corpus Hippocratique, par la philologue Laurence Villard et l’archéologue Francine Blondé53. Se basant sur l’étymologie et ses caractéristiques fonctionnelles, Laurence Villard déduit que le vase est apparenté à l’abeille (bombylios), de par le bruit qu’il fait lorsque le liquide s’en échappe : une sorte de glouglou qui rappelle le bourdonnement de cet insecte54. Ce rapprochement étymologique permet de caractériser la forme de l’objet, qui doit présenter un goulot resserré pour produire ce bruit spécifique. Les caractéristiques fonctionnelles du vase sont autant de paramètres qui permettent son identification. Quel est le vase qui correspond à cette description ? Francine Blondé le rapproche des petits vases à bec tubulaire souvent retrouvés associés aux enfants en Grèce ancienne (fig. 1). Puisque la collection hippocratique est encore d’actualité et même enrichie à l’époque impériale, peut-on tirer les mêmes conclusions pour les exemplaires d’époque romaine ?
24Dans les traités médicaux d’époque romaine, un autre vase est porteur des mêmes caractéristiques fonctionnelles que le bombylios55. Rarement évoqué, il est en forme de sein. Soranos d’Éphèse, médecin du ier siècle apr. J.-C., le préconise pour administrer une boisson à un enfant :
Si l’enfant a soif après avoir mangé, on lui donnera de l’eau pure ou rougie (mélangée à du vin) à boire à la tétine artificielle : ce genre d’instrument lui permet de tirer le liquide peu à peu et sans risques, comme d’un sein56.
25Compilateur et traducteur de Soranos au vie siècle apr. J.-C., Mustio reprend le passage du médecin d’Éphèse, qu’il modifie légèrement, en ajoutant que le récipient en forme de sein est en verre et est appelé tittina ou ubuppa par les paysans :
Que donnerons-nous à boire à cet enfant ? Parfois de l’eau, parfois du vin coupé d’eau, à l’aide d’un petit récipient en verre, semblable par sa forme à un sein et percé, ce que les paysans appellent biberon (ubbupam) ou tétine (titinam)57.
26Un troisième texte, datant du ve siècle apr. J.-C., également écrit par un médecin, Célius Aurélien, mentionne aussi l’utilisation d’un récipient en forme de sein, cette fois en céramique, pour administrer une potion à un malade atteint de la rage58 : « donnant au patient un vase en terre percé d’un petit orifice, comme les mamelles d’un sein59 ».
27Le rapprochement sonore entre le vase et l’abeille n’est pas évoqué dans ces textes d’époque romaine. On retrouve à chaque fois le lent débit qu’autorise le petit orifice permettant de tirer le liquide peu à peu, sans risques et en fonction des besoins. Le vase en forme de sein se place-t-il dans la continuité du bombylios grec60 ?
28Les vases en forme de sein dont parlent Soranos et Mustio ont aussi fait l’objet d’une recherche matérielle. La philologue Danielle Gourevitch rapproche des descriptions antiques les petits vases en verre en forme d’oiseau retrouvés majoritairement dans les Balkans, en Grèce et au nord de l’Italie61. Pour les récipients en céramique, elle propose deux vases retrouvés ensemble dans la maison des Chapiteaux figurés à Pompéi. Interprétés lors de leur découverte en 1833 comme étant des petites lampes, « lampadine », ils portent la représentation d’une femme allaitant un enfant62. Outre la représentation qui semble sans équivoque, Danielle Gourevitch fait ce rapprochement de par les aspects pratiques des récipients. Les vases en verre et en céramique ont une forme allongée qui permet d’administrer leur contenu « sans que le nez du buveur ne se heurte au goulot ». Selon elle, ce n’est pas le cas des vases à bec tubulaire gallo-romains qui sont pourvus d’un col plus ou moins haut (fig. 2)63.
29Francine Blondé a recherché dans l’imagerie vasculaire grecque la représentation de l’allaitement artificiel mais ses tentatives ont échoué64. Jusqu’à ce jour, la seule représentation antique de l’allaitement artificiel était une statuette béotienne en cours d’étude (fig. 3)65. Or, un élément nouveau enrichit ce dossier. Il s’agit de la représentation d’un vase à bec tubulaire sur un relief d’époque augustéenne (fig. 4)66. Comme l’a démontré Filippo Coarelli, le relief faisait partie d’une fontaine monumentale au programme iconographique complexe67. Quatre panneaux de marbre prenaient place autour d’un calendrier. Seuls trois des quatre panneaux ont été retrouvés. Ils représentent des scènes d’allaitement par un animal (brebis, laie et lionne, sur le dernier se trouve peut-être une vache68). Les sources textuelles antiques nous apprennent que le calendrier était l’œuvre du commanditaire, Verrius Flaccus. Érudit célèbre, il est devenu le rhéteur attitré des petits-fils de l’empereur Auguste. Sous le regard de l’allaitement, l’étude du relief a permis de mettre en évidence les raisons qui ont conduit à la figuration de ce que nous identifions à un biberon : ce dernier fait référence au mythe fondateur de Caeculus et, vraisemblablement à son adoption par deux hommes, les Depidii, frères de la mère de l’enfant69. L’allaitement est alors artificiel et relève de la sphère domestique, et non sauvage, comme le souligne bien la figuration de la brebis70. Il diffère de celui de la Louve aux jumeaux Rémus et Romulus, auquel il fait toutefois allusion71. Rarement représenté car non idéalisé, l’allaitement artificiel trouve ici un cadre valorisant : le biberon est synonyme de l’adoption et du fosterage72 de l’enfant-héros, par des personnages considérés comme des demi-dieux73.
30Ces représentations d’époque grecque comme romaine confirment l’usage, dans l’antiquité, de « tétines » artificielles, vraisemblablement utilisées en cas d’incapacité de la mère d’allaiter et, à défaut de trouver une nourrice. Un usage thérapeutique ne peut être exclu. Le récipient utilisé est, dans les deux cas, du type de ceux retrouvés dans les tombes des mondes grec et romain. Produits à des époques et en des lieux différents, ces objets témoignent d’une continuité des usages, étroitement liés à la symbolique tant de l’objet que de son contenu. Les échanges ne se limitaient pas aux civilisations grecques et romaines. Des vases pourvus d’un bec ont été retrouvés dans le monde égyptien, dans le monde mycénien, à Midea et Mycènes74. En Europe Centrale déjà à l’âge du bronze (vers 1200 av. J.-C.) puis au Hallstatt (800-700 av. J.-C.) et à l’époque laténienne75. Sur le site de Povegliano-Veronese, situé en Transalpine, les vases à bec semblent apparaître avec la romanisation (début du iie siècle av. J.-C.)76.
Des vases pour quels contenus ?
31Les analyses de contenu réalisées sur une quinzaine de vases biberons gallo-romains confirment un usage alimentaire et/ou thérapeutique77. Elles ont été réalisées sur trois lots de vases distincts. Le premier provient d’Auvergne (Puy-de-Dôme), les deux suivants de la nécropole d’Esvres (Indre-et-Loire) fouillée en deux temps : en 1908 par Octave Bobeau et, depuis 2005, par l’Inrap, sous la direction de Jean-Philippe Chimier. Les analyses ont été confiées au Laboratoire Nicolas Garnier (LNG). La lecture des données montre, dans la première série (cinq vases), la présence d’un produit laitier (dans quatre des cinq récipients), de jus de raisin (fermenté ou non), de cires et huiles végétales, d’un jus de fruit fermenté (différent du raisin, dans un exemplaire), des traces de Pinacées et dans un cas de la cire d’abeille78. Dans la deuxième série (quatre vases), un corps gras animal, un jus de fruit riche en acide malique et de l’acide oxalique sont présents dans les quatre vases, du raisin noir se trouve dans trois exemplaires, de la poix ou de la résine de conifère complètent cet inventaire. D’après la littérature scientifique récente, l’acide oxalique est identifié comme étant de la bière79. Le marqueur de fermentation est présent dans tous les vases. La dernière série comprend six vases. Ceux-ci présentent tous des graisses animales et des marqueurs de chauffe, des cires végétales témoignant soit de l’ajout de plantes soit de pollutions externes (feuilles des arbres situés en bordure des sépultures, par exemple), du jus de raisin et des traces de fermentation suggèrent qu’il s’agissait de vin ou de vinaigre80.
Résultats des analyses chimiques et sources écrites
32La mise en parallèle des textes d’époque romaine permet d’interpréter ces résultats. La présence tant attendue de lait n’est avérée que pour quatre des quinze vases à becs qui composent notre échantillon. Elle avait été mise en évidence dans trente-huit vases à bec conservés à Aix-la-Chapelle, Cologne et Nimègue par une équipe de chercheurs allemands81. La graisse animale est présente dans tous les récipients d’Esvres et dans l’un de ceux d’Auvergne, suggérant l’emploi d’un corps gras comme base à la préparation. L’ajout, selon les exemplaires, de poix, vin (poissé ?), vinaigre ou jus de raisin, jus de fruit riche en acide malique, de miel, de bière et de plantes suggère des mélanges qui peuvent être interprétés comme une sorte de bouillon chauffé et parfumé ou d’un mélange froid. Les substances retrouvées dans les vases font penser aux prescriptions thérapeutiques telles qu’elles figurent dans l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien. Celles-ci rejoignent les prescriptions hippocratiques. D’ailleurs, Pline cite à de nombreuses reprises Hippocrate82. Chez le naturaliste, le lait est évoqué cent-quatre-vingt-cinq fois, sans compter le lait de plantes qui apparaît dans cinquante-deux recettes. Les préférés sont, dans l’ordre, ceux de femme, chèvre, ânesse, vache, brebis. Les laits de jument, chienne et truie sont plus rarement utilisés83. Le lait est aussi utilisé chez Galien pour soigner la sénilité. Le médecin conseille de le boire frais, directement au pis84. L’usage thérapeutique ressort aussi d’ouvrages non médicaux. Dans la Clef des songes, Artémidore évoque les personnes susceptibles d’être soignées par la prise de lait85 : « les enfants au sein sont en effet sans force ; et au vrai, même les adultes, quand ils sont malades et ne peuvent prendre de nourriture, s’alimentent de lait ».
33Mais, nombreuses sont aussi les recettes thérapeutiques à base de graisse. Patricia Gaillard-Seux en recense deux-cent-trente dans l’œuvre de Pline l’Ancien86. Pour ce dernier, la graisse est le remède commun le plus apprécié après le lait87. Il s’agit principalement de graisse d’oie88. Contre la toux, Pline préconise de l’ail cuit dans de la vieille graisse ou du lait, ce qui suggère que le corps gras est interchangeable89. Le raisin fermenté ou non étant présent dans tous les biberons, il est aussi un élément majeur permettant de nombreuses combinatoires, notamment avec du lait90.
34Que nous disent les textes sur la diète des enfants qui étaient vraisemblablement les principaux utilisateurs des vases à bec ? Soranos est la source la plus riche à ce sujet. Dans le passage mentionnant le petit récipient en forme de sein, le médecin d’Éphèse, préconise de l’eau mélangée à du vin. Le vin prend très tôt une place de choix dans l’alimentation de l’enfant. Aussi, Soranos conseille à la nourrice de boire du vin dès que l’enfant est âgé de quarante jours, afin de l’y habituer91. Le vin sert également à ramollir les aliments du nourrisson au début du sevrage92. Quant au lait, il est donné, en l’absence d’une nourrice, aussitôt après la naissance de l’enfant. Il est alors mélangé à du miel et donné en très petite quantité :
Si l’on n’a pas sous la main une femme capable de donner son lait, il faut, les trois premiers jours, recourir au miel, seul ou mélangé de lait de chèvre ; ensuite on donnera du lait de la mère, après avoir fait téter les premières gorgées par un bambin (car ce lait est lourd) ou les avoir tirées doucement à la main ; ce lait très dense est difficile à téter, et il peut s’accumuler dans la bouche des nouveau-nés, en raison de la tendre constitution de leurs gencives93.
35Un vase en forme de sein a-t-il été utilisé pour administrer ce lait miellé ? La rare présence de lait dans les vases gallo-romains ne contredit pas cet usage des premiers jours. Les traces laissées par le lait ont pu disparaître ou n’avoir pas été différenciées des corps gras. Quant à l’omniprésence de raisin souvent fermenté dans les vases, donc sous la forme de vin ou de vinaigre, elle permet de suggérer qu’ils ont servi à des enfants d’au moins quarante jours, si on se réfère aux dires de Soranos94. On ne peut toutefois exclure que ces produits de la vigne aient permis de nettoyer les récipients entre chaque utilisation. En outre, il ne faut pas oublier que les différentes substances (dont le lait et le vin), ont pu se succéder (pures ou mélangées), pour une utilisation du vase-biberon sur le long terme, qui pouvait aller de la naissance au sevrage et, postérieurement, en cas de maladies.
Conclusion
36Le lait a un statut ambigu dans les mondes grec et romain : omniprésent dans l’alimentation quotidienne, sa consommation en tant que breuvage est considérée comme typique du monde barbare95. Alors que l’huile d’olive et le vin sont représentatifs de la civilisation, les « buveurs de lait » sont du côté de la barbarie et du monstrueux96. Le barbare est dans la sauvagerie animale mais aussi dans la pureté et l’innocence, ambiguïté qui est aussi celle du lait97. Les caractéristiques négatives ou positives du lait de tel ou tel animal, qu’elles soient réelles ou supposées, se transmettent à ceux qui l’ingèrent. Dans un article récent, sont présentées les différences entre les laits de trois espèces de ruminants et le lait humain, avec discussion des conséquences de l’introduction du lait animal dans l’alimentation des nourrissons98. Le lait est en effet un liquide complexe qui présente des caractéristiques différentes selon les espèces animales. Le recours au lait de tel ou tel animal pour soigner un malade dépend sans aucun doute de ses qualités nutritives et thérapeutiques. Toutefois, il résulte aussi de croyances et supposés directement liés au statut culturel de l’animal, ce statut symbolique entrant en interaction avec l’identité du malade et avec les affections dont il souffre. Il en est de même du lait humain où les qualités de la donneuse (nombre d’enfants, sexe et santé des enfants) importent particulièrement. Actuellement, les analyses biomoléculaires des contenus ne permettent pas, hors cas spécifiques, de préciser l’origine du lait identifié dans les céramiques. Les résultats des analyses attestent que les vases à bec tubulaire ont bien une fonction à la fois nutritionnelle et médicinale, mais dans l’impossibilité (pour l’instant) de savoir si les produits laitiers présents dans tel ou tel biberon médicinal sont d’origine animale ou humaine, nous sommes privés d’une donnée importante permettant de pousser plus loin les rapprochements entre les données archéologiques et les données textuelles. Nous pouvons constater que le lait, quelle que soit son origine, constitue un élément parmi d’autres des recettes médicinales présentes dans les vases à bec tubulaires. Un élément récurrent mais non systématique puisque ce sont les graisses animales qui sont le plus souvent utilisées et qui semblent se substituer au lait quand celui-ci est absent. Le remplacement du lait par de la graisse peut s’expliquer par des raisons symboliques (en raison de la nature ambiguë du lait), des préférences culturelles (contrairement à Pline, la graisse est préférée au lait dans la collection hippocratique), une volonté de diversification (autre source d’approvisionnement), mais aussi par des contraintes matérielles (absence de lait pour cause de mauvaise saison par exemple).
Bibliographie
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Villard, Blondé 1992 : L. Villard, F. Blondé, Sur quelques vases présents dans la Collection Hippocratique : confrontation des données littéraires et archéologiques, BCH, 116, 1, 1992, p. 97-117.
Vitali et al. 2014 : D. Vitali, M. Szabó, N.B. Fábry, D. Szabó, E. Tankó, La necropoli di Povegliano Veronese - Loc. Ortaia (Verona), in R. Roncador, F. Nicolis (dir.), Antichi popoli delle Alpi: sviluppi culturali durante l’età del Ferro nei territori alpini centro-orientali. Atti della Giornata di studi internazionale, 1 maggio 2010, Sanzeno, Trente, 2014, p. 199-216.
Notes de bas de page
1 Poplin 2008, p. 23.
2 Gélard, Sirost 2010 ; Bodiou 2011.
3 Djéribi 1988, p. 336.
4 Les pharaons se font représenter allaités par des déesses comme Isis, Hathor, Nout, Meretseger, Renenoutet : Leclant 1951. À propos de l’allaitement d’Héraklès par Héra, voir (entre autres) Filhol 1989, p. 5-6.
5 Ainsi, au Proche-Orient et en Égypte, l’abondance de lait est signe de prospérité et de bénédiction divine (Lefebvre 1958 ; Auberger 2001, p. 133 ; Farout 2012, p. 50-51).
6 Vigne, Helmer 2007.
7 Comme le note Poplin 2008.
8 Bogucki 1984.
9 Regert 2011a.
10 Voir en particulier Regert, Guerra, 2015, p. 176-177 ; Regert 2011b ; Regert 2007.
11 Salque et al. 2012. Nos propres analyses, dans le cadre du programme ANR Magi, attestent que si certaines céramiques filtres sont bien des faisselles, d’autres sont liées au filtrage de graisses du type saindoux, et d’autres encore à la production de boissons fermentées.
12 Evershed et al. 2008.
13 Salque et al. 2013.
14 Si ce n’est, dans certains cas, l’utilisation du lait pour imperméabiliser les céramiques.
15 Frère 2007 ; Frère, Dodinet, Garnier 2012 ; Frère, Garnier 2012 ; Maffre et al. 2013 ; Frère, Dodinet, Garnier 2015.
16 Pour ne prendre que le cas du monde égyptien, nombre de vases plastiques sont à mettre en lien avec le lait d’une immortelle et/ou avec l’eau sacrée du Nil, avec une dimension magico-thérapeutique affirmée : voir en particulier Capriotti Vittozzi 2012. De plus, les papyrus médico-magiques font mention de lait de chèvre, de vache et d’ânesse : Bardinet 1995, p. 574.
17 Gourevitch 1990, p. 96.
18 Marshall 2015, p. 202-203.
19 La riche iconographie d’un petit bol à faïence bleue du Moyen Empire avec embouchure particulière incite Florence Friedman à proposer qu’il puisse s’agir d’un vase médicinal fait pour administrer une potion à un jeune enfant (Friedman 1998, p. 207).
20 Auberger 2001, que nous reprenons pour partie.
21 Auberger 1999 ; 2000.
22 Hippocrate, Affections internes, 16, L. VII 206-207. Les traductions utilisées sont majoritairement celles de la Collection des Universités de France ou d’É. Littré, Hippocrate, Œuvres complètes, Paris, 1839-1961.
23 Hippocrate, Affections internes, 1, L. VII 172-173.
24 Hippocrate, Du régime des maladies aiguës, appendice, VIII, 1 (trad. R. Joly, CUF).
25 Hippocrate, Maladies de femmes, 2, 118, L. VIII 256-257.
26 Deichgräber 1971 ; Sautereau, Le Luyer 1992.
27 Hippocrate, Du régime des maladies aigües, appendice, I, 3 (trad. R. Joly, CUF).
28 Hippocrate, Du régime des maladies aigues, appendice, LIII, 1-2 (trad. R. Joly, CUF).
29 Parmi les maladies féminines il faut entendre par exemple les problèmes liés à la matrice (Maladies de femmes, 1, 16, L. VIII 54-55) ; d’insuffisance de lait (Maladies de femmes, 1, 44, L. VIII 102-103) ; d’ulcération de la matrice (Maladies de femmes, 1, 63, L. VIII 126-129) ; de leucorrhées (Maladies de femmes, 2, 118, 119 L. VIII 256-257, 258-259) ; d’hystérie (Maladies de femmes, 2, 129, L. VIII 276-279) ; ou de vomissement de sang après l’accouchement (Maladies de femmes, 1, 43, L. VIII 100-103 et Nature de la femme, 52 (trad. F. Bourbon, CUF). Pour une approche générale du corps des femmes par la médecine antique, Dean-Jones 1996.
30 Hippocrate, Maladies de femmes 2, 118, L. VIII 256-257.
31 Duminil 1983, p. 198-200 ; Bodiou 2017.
32 Demont 1978 ; Pigeaud 1976.
33 Breuvage rituel des mystères d’Éleusis.
34 Hippocrate, Du régime, XLI, 2 (trad. R. Joly, CUF).
35 Hippocrate, Des affections internes, 28, L. VII 241-243.
36 Deichgräber 1971.
37 Bodiou, Brulé, Pierini 2005 ; Bodiou, Brulé 2013.
38 Hippocrate, Maladies de femmes, 1, 84, L. VIII 208-209 ; 2, 205, L. VIII 396-397.
39 Bodiou 2012.
40 Jouanna 1996.
41 Hippocrate, Maladies de femmes, 1, 75, L. VIII 166-167 ; Femmes stériles, 243, L. VIII 456-459.
42 Toujours dans le même esprit suggestif et allusif des actions conjuguées, qu’elles soient thérapeutiques ou symboliques, les médecins de la collection hippocratique proposent des tests qui prédisent si une femme est en capacité de concevoir (Femmes stériles, 214, L. VIII 415-417) ou permettent de connaître le sexe de l’enfant à venir (Femmes stériles, 216, L. VIII 416-417) utilisant le lait de femme.
43 Hippocrate, Des maladies, III, 1, L. VII 120-121.
44 Ulcère superficiel de la cornée, mot dérivé du terme blanc.
45 Hippocrate, Maladies de femmes, 1, 105, L. VIII 228-229.
46 Barras 2003.
47 Héritier 1985 et 1987. Aussi Djéribi 1988. En dernier lieu, Bodiou 2017.
48 On se reportera aux travaux en cours sur l’allaitement menés dans le cadre du projet suisse Sinergia. Lactation in history.
49 Pigeaud 1976.
50 Poulichet 1991, p. 249-263, sur le lien entre sexuel, excès et pharmakon. Voir Derrida 1972.
51 Hippocrate, Des maladies, III, 16 L. VII 148, 11.
52 Athénée, Des vases, XI, 784d et XI, 485.
53 Villard, Blondé 1992.
54 Ibid., p. 105-107.
55 Pollux montre qu’il est courant de donner des termes différents pour un même vase (Pollux, Onomasticon, X, 68). Il fait le rapprochement entre les termes βομβύλιος, σύστομος et κυρίλλιον. Pour L. Villard, σύστομος évoque le museau des petits animaux (Villard, Blondé 1992, p. 107). Il pourrait facilement être rapproché des vases en forme de sein.
56 Soranos, Maladie des femmes, II, 17 (trad. P. Burguière, D. Gourevitch, Y. Malinas, CUF).
57 Mustio, Gynaikeia, 1, 131 (trad. C. Bonnan-Garçon, université Jean-Moulin Lyon 3, que nous tenons à remercier chaleureusement).
58 Célius Aurélien, Les Maladies aiguës et les Maladies chroniques, 3, 16, 128.
59 Traduction S. Jaeggi.
60 Le bombylios ne disparaît pas des textes médicaux à l’époque romaine. Il est mentionné chez Galien (XVII, 1, p. 968, 1. 10-11, éd. Kühn) et Paul d’Égine (III, 9).
61 Gourevitch 1991, p. 127.
62 Gourevitch, Chamay 1992, p. 81.
63 Gourevitch 1991, p. 122.
64 Villard, Blondé 1992, p. 117.
65 À ce sujet, voir Gourevitch, Chamay 1992.
66 Faute d’espace, nous n’avons pu exposer ici toute l’argumentation qui nous a conduite à cette proposition et renvoyons à Jaeggi 2019.
67 Coarelli 1996.
68 Cette hypothèse repose notamment sur les ressemblances entre l’Ara Pacis de Rome et les panneaux de Préneste. Sur le relief de Tellus figure aux pieds de la divinité une vache en plus de la brebis. Si cette hypothèse se révèle exacte, il y aurait deux animaux issus du monde sauvage et deux du cadre domestique. Par le moment de la mise bas, les animaux de la fontaine s’inscrivent dans le calendrier annuel. À ce sujet, voir Coarelli 1996.
69 Au sujet du mythe de Caeculus, Briquel 1998.
70 Au sujet du sauvage et du domestique, voir notamment Auberger 2001.
71 Jaeggi 2019.
72 Terme employé par Mireille Corbier pour parler de la « mise en nourriture » ou « mise en éducation » : Corbier 1999, p. 6.
73 F. Prescendi, s.v. Depidii, in New Pauly Online, 1996.
74 Le vase à bec de Mycènes est conservé au British Museum et porte le numéro d’inventaire : 1912,0626.25. Le vase de Midea est publié par Tzédakis, Martlew 1999 et porte le numéro de catalogue 158.
75 Pour le Hallstatt, cf. Pétrequin, Piningre, Vuaillat 1973, p. 289, fig. 21, nos 2 et 4. Un vase d’époque laténienne a été retrouvé dans un complexe cultuel à Ribemont (Chaidron, Fercoq du Leslay 2013). Les auteurs concluent, au vu de copies telles que celles d’un kernos de type éleusinien et d’une lampe à huile hellénistique retrouvées à Actiparc-Arras, à des passerelles entre le monde méditerranéen et laténien. Celles-ci sont souvent à mettre en relation avec la présence de l’armée romaine (Chaidron, Dubois 2013, p. 13).
76 Vitali et al. 2014, p. 207.
77 Dans l’Antiquité, selon la théorie hippocratique des humeurs, on rééquilibre le corps par la nourriture, ce qui démontre que la frontière est floue entre la substance médicinale et celle qui est sensée nourrir.
78 La présence de cire peut se rapporter à un miel mal purifié, disparu puisqu’il s’agit d’un sucre dont la dégradation est très rapide. Par exemple, Pline mentionne une préparation à base de céréales, de lait et de miel pour rétablir des malades (Pline, Histoire naturelle, XXII, 129). La cire pouvait toutefois être ajoutée en tant que telle, puisque, toujours selon le naturaliste, elle était utilisée dans les préparations médicinales (Histoire naturelle, XXI, 84-85). La cire pouvait être liquéfiée. Transformée en pilule, elle était employée pour combattre les effets néfastes du lait, dont sa coagulation dans l’estomac (Pline, Histoire naturelle, XXII, 116).
79 L.J.E. Cramp, R.P. Evershed, in M. Spataro, A. Villing, Ceramics, cuisine and culture, Oxford, 2016, p. 134.
80 Au sujet des analyses d’Esvres, voir Riquier et al. 2016.
81 Huttmann et al. 1989.
82 Cela peut être lors de la présentation du remède ou dans l’index de certains de ses livres (voir par exemple dans les livres XXII, XXV, XXVIII). Pline fait l’éloge du médecin : « Ne trouvons-nous pas les livres d’Hippocrate, qui le premier formula lumineusement les règles de la médecine, remplis d’indications sur les plantes ? » (Histoire naturelle, XXVI, 10).
83 Pour le lait de jument, Pline, Histoire naturelle, XXVIII, 159 ; de truie, XXVIII, 224 et 250 ; de chienne, XXX, 27, 70 et 133.
84 Galien, De marcore liber, VII, 701 (éd. Kühn). Voir aussi Pedrucci 2013, p. 174.
85 Artémidore, Clef des songes, 1, 16 (trad. A.J. Festugière, Paris, 1975).
86 Gaillard-Seux 1994, p. 367.
87 Pline, Histoire naturelle, XXVIII, 135. Gaillard-Seux 1994, p. 367.
88 Comme c’est le cas en Égypte : Gaillard-Seux 1994, p. 369.
89 Pline, Histoire naturelle, XX, 54.
90 Jaeggi, Garnier, Wittmann 2015.
91 Soranos, Maladies des femmes, II, 90-100.
92 Soranos, Maladies des femmes, II, 46.
93 Soranos, Maladies des femmes, II, 17.
94 Le passage dans lequel Soranos évoque le vase en forme de sein (Maladies des femmes, II, 17) se situe au moment où le médecin évoque le début du sevrage. L’eau mêlée au vin est conseillée à la fin du repas qui est sous une forme semi-liquide : potage, purée très liquide, œuf mollet. La prise de lait, dont il n’est pas précisé s’il est celui de la nourrice ou d’un animal, est préconisée en milieu de repas. Contrairement à l’eau mêlée au vin, il n’est pas fait mention, pour l’administration du lait, du vase en forme de sein.
95 Shaw 1982-1983 ; Corbier 1989, p. 138-139, 148 ; Cabouret 2012, p. 167.
96 Auberger 2001, p. 132-133, 137-141.
97 Ibid., p. 141.
98 Howcroft, Eriksson, Liden 2012.
Auteurs
Université de Poitiers, laboratoire Herma.
lydie.bodiou@univ-poitiers.fr
Université de Bretagne Sud, Lorient. UMR 9016 TEMOS.
dominique.frere@univ-ubs.fr
Universités de Fribourg et Lumière Lyon 2. UMR 5189 HiSoMA, Maison de l’Orient et de la Méditerranée, Lyon.
sandriaera@gmail.com
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