Dîmes de Sicile, d’Asie et d’ailleurs
p. 215-229
Résumés
Une part considérable de la fiscalité provinciale romaine, sous la République comme sous le Haut-Empire, consistait en impôts fonciers directs sur les produits du sol : céréales, productions “mineures”, produits des cultures arbustives. On étudie ici, à partir de deux cas bien documentés, la Sicile et l’Asie, quelles conséquences pouvaient avoir sur l’utilisation des impôts et en particulier sur le ravitaillement de Rome ou des grandes villes provinciales, les différents modes de perception, eux mêmes liés aux différents modes d’adjudication, de ces impôts. En Sicile, l’adjudication menée localement, oblige le “fermier” (décimateur) à livrer, sinon à convoyer vers Rome, des produits en nature. Pour l’Asie, la locatio ayant lieu à Rome même, les publicains doivent sans doute verser en espèces au Trésor l’équivalent du produit des dîmes. Ils sont, dans la province, propriétaires du blé perçu. Pour les forcer à commercialiser ce blé et à le convoyer vers l’Italie, Rome a dû utiliser des incitations indirectes, en particulier des exemptions douanières.
A considerable part of the taxes levied in the Roman provinces during the Republic and also the Empire consisted of direct taxes on farm products such as wheat, “minor” products and fruits. This study is based on two well-documented cases: Sicily and Asia. We assess the consequences these taxes had on food supplies to Rome and other large provincial cities, depending on how they were first, auctioned, and then, levied. In Sicily, decimators (tax collectors) were appointed locally and had to have farm produce delivered to Rome in kind-or had to deliver it themselves. In the case of Asia, the locatio was performed in Rome, and the publicans probably had to pay the Treasury the equivalent in cash of the tithes they levied. Within the province, they owned the grain they received. In order to incite them to market the grain and convey it towards Italy, Rome had to resort to indirect incentives such as customs exemptions.
Texte intégral
1Depuis les débuts de la conquête dans des territoires extra-italiques, nous savons que Rome – et ce n’est certes pas une originalité – a perçu, à des titres divers, des impôts fonciers directs sur les produits du sol : céréales, productions “mineures”, produits de cultures arbustives — essentiellement vin et huile1. Nous considérons en général comme évidents le but et la destination de ces prélèvements : le but, c’est bien entendu pour le “peuple romain” de tirer un avantage de la conquête, avantage qu’on présentera parfois comme la contrepartie en somme légitime de la “paix romaine” (Cic., Q. fr., I, 1, 33-34 ; Nicolet 1988, 199-201). La destination, puisqu’il s’agit de produits essentiels et en général alimentaires, c’est l’utilisation pratique de ces produits en fonction des besoins immédiats de la République. D’abord, l’entretien et le ravitaillement des armées2, qu’elles soient sur place dans la province, ou qu’on décide d’en réunir pour une expédition. C’est là une question essentielle, sur laquelle des document nouveaux ont attiré l’attention et qu’il conviendrait d’étudier systématiquement. En deuxième lieu, du moins à partir de l’existence des “lois frumentaires”, le ravitaillement, entendu au sens large, de la ville de Rome. C’est-à-dire ce que nous appellerons provisoirement d’une part les “frumentations” : les quantités minimales de blé assurées à un certain nombre de “bénéficiaires” à prix réduit d’abord défini légalement, puis, à partir de 58 av. J.-C., gratuitement. D’autre part, le “ravitaillement régulier” (l’annone) de l’ensemble des consommateurs de l’agglomération romaine que notre colloque a précisément pour objet d’étudier3. Tels sont les caractères très généraux de ces prélèvements et de ces transferts de ce type fiscal.
2Seulement la question, lorsqu’on veut l’étudier exactement et dans les détails, se révèle infiniment complexe et difficile. Cette difficulté ne tient pas seulement aux lacunes de notre documentation, sur lesquelles je reviendrai. Mais surtout à l’extrême diversité des situations, selon les provinces concernées, et bien entendu selon les époques. L’impôt foncier n’avait, dans les diverses provinces, ni la même assiette, ni le même taux4. Chaque province ou presque connaissait des règlements fiscaux différents, d’ailleurs variables ; nous avons du mal à reconstituer ce cadre juridique. D’autre part, ces règles étaient loin d’être fixées ou contraignantes : selon les circonstances, et principalement l’état du Trésor, d’autres règlements (lois, sénatus-consultes ou décrets des gouverneurs) pouvaient en modifier à tout instant les dispositions. Enfin, le mode de perception choisi, en telle circonstance, par l’État romain pouvait, lui aussi, modifier considérablement le montant réel aussi bien que la nature concrète de la contribution. C’est l’interaction de ces multiples variantes dont je voudrais esquisser l’étude aujourd’hui. Je ne saurais naturellement le faire exhaustivement, sur cinq siècles d’histoire et pour l’ensemble des provinces. Je me con tenterai donc d’envisager seulement une de ces contributions, la ou les dîmes (principalement frumentaires) là où elles nous sont assez bien connues. Et je poserai les questions suivantes : quels étaient les différents modes de perception de ces impôts, et quelles conséquences avaient-ils sur la collecte, le stockage, enfin le transport des produits en cause ? Quels étaient d’autre part les aspects financiers de ces différents types d’opérations ?
3La documentation dont nous disposons ne permet de répondre que partiellement à ces questions. Mais elle est loin d’être négligeable, si on l’interroge avec attention. Nous n’avons sans doute, pour l’époque républicaine, que des renseignements discontinus sur la dîme (ou plutôt le “vingtième”) d’Espagne ou de Sardaigne ; pas grand-chose sur le tributum (ou stipendium) d’Afrique à la même époque5. Mais en revanche nous avons, comme on sait, un dossier copieux sur les dîmes de Sicile avec les Verrines 66, ainsi que des renseignements sporadiques sur les contributions en blé de la Macédoine ou de la Grèce7. Enfin, le dossier des dîmes d’Asie était déjà relativement fourni grâce à plusieurs passages de Cicéron. Mais un document épigraphique de première importance récemment publié, le Monumentum Ephesenum (comme l’appellent ses éditeurs), c’est-à-dire le règlement des douanes d’Asie valable au moins entre 75 av. et 62 apr. J.-C., vient d’apporter sur ce point des informations toutes nouvelles que l’on n’a pas, semble-t-il, appréciées à leur juste valeur8. Il vaut dont la peine de reprendre la question.
***
4Rappelons brièvement les caractéristiques sûrement connues des dîmes de Sicile au temps de Verrès. Le régime qui les régissait était tout à fait particulier, comme Cicéron l’affirme dans un passage célèbre (2Verr., III, 12)9. Il remontait si clairement à l’organisation fiscale du royaume de Syracuse que l’ensemble des dispositions qui l’expriment, quoique intégré par P. Rupilius en 132 dans la lex provinciae, porte encore, en 73, le nom de lex Hieronica, qualifiée fort exactement de lex frumen ta ria10. Elle stipulait un prélèvement du dixième sur les produits du sol, payé par tous les cultivateurs (qu’ils soient propriétaires ou locataires11, Siciliens ou Romains12). Toutes les cités de Sicile étaient concernées, sauf les immunes ; et il est probable que même celles, peu nombreuses, dont le territoire était ager publicus, devaient aussi, en plus du loyer récognitif (certum quid : 2Verr., V, 53), payer également la dîme13.
5En Sicile, et c’est là un fait remarquable et unique, les dîmes sont affermées localement, sur place, par les soins du préteur, à Syracuse même14. Du moins du temps de Verrès et pour les dîmes du blé. Il est possible mais non certain qu’en 75 Cicéron, questeur à Lilybée, ait eu à vendre les dîmes dans cette ville15. Cette “vente” se fait cité par cité, à des “décimateurs” individuels (nous n’entendons jamais parler de “sociétés”), qui peuvent parfois, sans doute, contracter pour plusieurs territoires, mais se contentent le plus souvent d’un seul. Nous connaissons un quinzaine de personnages pour les années de Verrès16. Il est clair qu’aucune condition de nationalité (Romain ou non) ou de statut (il y a même des esclaves) n’était mise à la faculté d’enchérir. Mais il y avait, on peut le supposer, des conditions financières, sous forme de versement de cautions. Des collectivités – les cités intéressées – pouvaient d’ailleurs se porter candidates au “rachat” de leurs propres dîmes.
6En quoi consiste cette “vente” ou “mise à ferme” ? C’est un contrat entre le préteur et le décimateur : lex decumis vendundis (2Verr., III, 83 ; 117, etc)17. Le décimateur s’engage pour un certain montant estimé et livrable en nature, et c’est là un fait important. Le “prix d’adjudication” des dîmes de Sicile, c’est un certain poids (ou volume) de blé et d’orge. D’après les termes de la lex Hieronica, ce chiffre ne peut en aucun cas excéder le dixième de la récolte réelle, car tel est le montant maximum que le cultivateur doit livrer (2Verr., III, 20). Sur quoi peut donc porter le bénéfice de l’adjudicataire des dîmes ? En principe, sur la différence entre ce dixième, qu’il percevra, et le montant pour lequel il aura enlevé les enchères18. Il doit donc jouer finement : donner un chiffre assez bas pour conserver un bénéfice, assez haut pour l’emporter sur ses concurrents. Mais la loi lui réserve une autre possibilité, celle de traiter aussi directement avec les contribuables. Tout le mécanisme de l’affaire reposait en effet sur l’appréciation de ce que serait la récolte future (les enchères ayant lieu avant cette dernière). Cette estimation n’était pas fantaisiste. Car elle s’appuyait sur des documents précis : un recensement des cultivateurs de chaque cité (subscriptio : 2 Verr., III, 120), mis à jour annuellement ; et une déclaration par eux des surfaces ensemencées (professio : 2Verr., III, 38). Cette double opération était confiée à la responsabilité des autorités de chaque cité, et donc consignée dans les archives publiques locales (exlitterispublicis : 2Verr., III, 102). Elle figurera également, je pense, dans la lex, ou plutôt le contrat (venditio : 2Verr., III, 14) passé par le préteur avec chacun des adjudicataires : c’est par cette double voie que Cicéron a pu en prendre connaissance plus tard, pour son accusation. Au candidat décimateur d’estimer ce que sera la récolte : on disposait, pour les divers terroirs de Sicile, de moyennes vraisemblables19 ; mais naturellement on ne pouvait éliminer les aléas de la nature20 sur lesquels était fondé le principe même d’un prélèvement proportionnel à la récolte21. Compte tenu de ces informations, les décimateurs pouvaient (ou devaient) passer avec les cultivateurs un autre contrat, privé celui-là (pactio), qui consistait à se mettre d’accord sur le chiffre. Pour le décimateur, il fallait bien (en principe) que celui-ci fût supérieur à l’engagement qu’il avait souscrit envers le préteur, c’est-à-dire le peuple Romain ; pour le cultivateur, il ne devait pas excéder le dixième dû. Contrats garantis par des écritures multiples et consignés, eux aussi, dans les archives publiques. Ces contrats avaient lieu récolte faite, sur l’aire avant que le blé ne soit enlevé (en partie vers les greniers des cultivateurs, en partie, comme on verra, au profit du décimateur). Ces pactiones, qui existent dans d’autres provinces, en Asie (Q. Fr., I, 1, 35), en Cilicie (Att.. V, 14 ; VI, 2, 4 ; VI, 3, 3), devaient bien parfois impliquer pour les cultivateurs un versement légèrement supérieur au 1/10 de la récolte : ils achetaient ainsi “la paix” avec les publicains. De toute manière, nous constatons que d’autres conventions pouvaient intervenir (toujours sous le nom de pactio) entre des cultivateurs, ou des cités, et des decumani. D’abord, un bénéfice, en principe de 6 % (tres quinquagesimae), pouvait être arbitrairement ajouté par le préteur en faveur de l’adjudicataire22. Ce lucrum pouvait être exprimé soit en nature, soit en espèces. En outre, les décimateurs (qui ont une délégation de pouvoir coercitif) proposent souvent aux cités de racheter, à prix d’argent avec fort bénéfice pour eux-mêmes, le droit de percevoir elles-mêmes les dîmes, ce qui, souvent, peut tenter fortement ces dernières (Agyrion : 2Verr., III, 67-69) à moins qu’elles n’y soient tout simplement obligées (2Verr., III, 84 : Lipara ; III, 86 : Tissa’, III, 88 : Amestratum). Laissons de côté, pour l’instant, les problèmes financiers et économiques posés par ces règles et ces abus.
7La fiscalité sicilienne, on le sait, ne se limitait pas au versement d’une seule dîme sur les récoltes. Au temps de Verrès, sous l’effet de la loi Terentia Cassia de 73 av. L-C., les cultivateurs devaient fournir encore du blé ou de l’orge à trois autres titres. D’abord, les “nécessités de l’annone”23 avaient conduit l’État romain à exiger une seconde dîme, alterae decumae, par définition d’un montant égal à la première, et donc variable selon la récolte. Procédure qui n’avait rien d’exceptionnel : Tite Live la mentionne quatre fois, entre 191 et 171, pour la Sicile et la Sardaigne24. Mais ces alterae decumae ne sont pas fournies gratuitement au peuple romain ; celui-ci les paie en Sicile 3 HS le modius sous l’effet de la loi Terentia Cassia (2Verr., III, 163 : pretium autem constitutum (frumento) decumano in modios singulos HS III). Il met donc à la disposition du préteur des sommes prévues pour cela. C’est même grâce à cette règle que nous pouvons estimer la récolte moyenne sicilienne dans la période : Cicéron dit que, chaque année, Verrès avait eu à sa disposition, à ce titre, “presque neuf millions de sesterces”, ce qui veut dire que les “secondes dîmes” représentaient à peu près trois millions de modii. Curieusement, les Verrines ne nous disent pas formellement par qui et comment devaient être perçues les secondes dîmes ; on pourrait envisager que ce fût par les mêmes décimateurs qui percevaient la première. Pourtant il me semble que, dans ce cas, nous entendrions parler de compensations probables au moment des pactiones, puisque les decumani auraient dû, pour deux modii perçus au titre de deux dîmes, verser 3 HS aux cultivateurs. Si important qu’eût été leur lucrum légal, ils n’auraient pu tout détourner d’une telle somme. Aucune allusion à ce fait ne figure pourtant dans le réquisitoire de Cicéron. Nous pouvons donc suivre Carcopino lorsqu’il soutient que les alterae decumae, parce qu’elles étaient “achetées” (emptae : 2Verr., III, 163), étaient perçues de la même manière (c’est-à-dire directement par les subordonnés du préteur) que le blé “réquisitionné”, imperatum. Certes il faut remarquer que Cicéron parle le plus souvent des decumae de tel canton (Merguet, 35) alors qu’il peut distinguer la première par le singulier (quis arator te praetore decumam dédit ? quis duas, III, 42). Mais cela, en fait, ne permet pas de trancher.
8Car, aux secondes dîmes, s’ajoutaient deux autres catégories de blé fiscal. D’une part, le blé “commandé”, imperatum (III, 163) au nom du peuple romain. De l’autre, le blé “commandé” au profit du préteur lui-même, pour “sa maison” (in cellam) et son personnel. Le blé commandé pour le peuple romain l’était pour un montant et un prix fixés par la loi ou les sénatus-consultes. Entre 73 et 70, il s’agit de 800 000 modii de blé par an (leve munus, dit Cicéron, V, 52 ; et en effet cela représente, en principe, à peine un peu plus de 2,5% de la récolte moyenne). La République le paie 3,5 sesterces le modius, un peu plus cher que la seconde dîme ; les crédits afférents sont donc de 2 800 000 HS par an25. Le blé commandé pour la cella obéissait à des règles moins strictes. Une quantité légale maxima était sans doute fixée au gouverneur (2Verr., III, 225), et un prix minimum lui était imposé (2 HS pour l’orge, 4 HS pour le blé : 2Verr., III, 188). Mais les Verrines ne nous renseignent pas sur la quantité totale du blé en question. Si l’hypothèse de Carcopino est, comme je le crois, exacte, c’est donc sur des quantités considérables de blé que porte la procédure des “achats forcés” ; seconde dîme (à peu près 3 000 000 de modii, 10% de la récolte) ; blé “commandé” pour le peuple (800 000 modii, soit 2,5%) ; blé pour la “cella” (quantité non connue). Disons, près de 4 000 000 de modii. Le tout perçu sans doute par les subordonnés du préteur.
***
9Ce sont précisément les problèmes concrets posés par la perception des blés de Sicile qui je voudrais envisager en détail. Une première évidence s’impose : la République, en ce qui concerne cette province, escompte percevoir sur place, et, nous le verrons, recevoir à Rome, du blé en nature, et non des “revenus” en argent. C’est en nature que les adjudicataires s’engagent à fournir au peuple : on a vu que les enchères des dîmes sont toujours évaluées en quantités de céréales (cf. Carcopino 1914, 77-78). C’est également en nature que les cultivateurs, le plus souvent, doivent livrer leur blé aux adjudicataires. Les cas où il leur est permis (ou imposé) de se libérer en espèces, quoique attestés, ne sont pas les plus nombreux. De toute manière, si un décimateur le propose à une cité, c’est que, par ailleurs, il dispose des quantités de blé qu’il s’est, quant à lui, engagé à livrer26. C’est pourquoi toute une série de procédures sont prévues pour assurer d’abord l’examen de la qualité du blé livré, puis son stockage, enfin son acheminement vers l’Italie. C’est lorsqu’il est encore sur l’aire que la qualité du blé doit être examinée (probare), ce qui, bien sûr, implique le droit de le refuser, en exigeant des compensations financières (III, 172). Car le but des opérations fiscales est clair : les promagistrats ont pour devoir d’envoyer du blé à Rome.
10Une fois accepté, le blé devait précisément être livré par les agriculteurs dans un lieu propice à l’embarquement : ad aquam deportatio (III, 36) (Carcopino 1914, 18 ; 21 et suiv.)· C’est vrai pour le blé des dîmes ; c’est vrai aussi pour le blé aestimatum (acheté pour le compte du préteur : III, 192) ; c’était sans doute vrai aussi, mais la preuve manque, pour le blé emptum ou imperatimi (III, 171-172 : Verrès précisément refuse, ou fait refuser, le frumentum emptum de certaines cités). Ce transport jusqu’à un point d’embarquement (port de mer ou de rivière) était aux frais des contribuables (Carcopino 1914,21 : 2Verr. III, 101 : les gens de Caléactè doivent livrer leurs dîmes à Amestratum).
11Mais là s’arrêtait la responsabilité des décimateurs. Ils devaient remettre la quantité de blé pour laquelle ils avaient souscrit à la disposition des autorités romaines, prête à être embarquée. Le préteur ou ses subordonnés, eux, devaient “mittere”, c’est-à-dire “envoyer, convoyer” du blé ; c’est là ce qu’a fait Cicéron, questeur à Lilybée, en 75 (Pro Plancio, 64) ; c’est ce que devrait faire Verrès (III, 49 ; IV, 150). Comment se faisait ce transport ? Les Verrines n’en disent rien ; mais on constate que ce n’est aux frais ni des cultivateurs, ni des décimateurs. En revanche, il est très probable que l’État avait recours, pour cette opération, à des entrepreneurs avec qui il passait un contrat. Ce sont ces personnages qui apparaissent sous le nom de mancipes dans certains passages des Verrines, recoupés par d’autres du Pro Piando ou du De Domo27. Cette procédure est attestée également par deux allusions (plus tardives) de Varron et Columelle. L’un et l’autre, développant le lieu commun de la décadence de Γ agriculture italienne, déclarent : « nous mettons en location le transport de blé depuis les provinces transmarines [Varron cite la Sardaigne et l’Afrique] jusqu’à nous »28. Ces entrepreneurs s’appellent, très normalement, mancipes. Cicéron sous-entend, dans un passage des Verrines, qu’ils ont transporté à Rome du blé provenant des dîmes d’un certain nombre de cités, dont Verrès a pourtant refusé le même blé au titre de frumentum emptum : praesertim cum ex iisdem agris eiusdem anni frumentum ex decumis Romain mancipes advexissent (III, 172). Ce sont les mêmes personnages dont il est question dans un passage souvent mal interprété du Pro Piando. Rappelant sa conduite en 75 à Lilybée, Cicéron dit : frumenti in summa cardate maximum numerum miseram ; negotiatoribus comis, mercatoribus justus, mancipibus liberalis, sociis abstinens (Pro Piando, 64). On sait d’autre part (2Verr., III, 182) qu’il avait alors « réglé de l’argent contre du blé aux cités » de Sicile : il avait donc eu à procéder à des achats de frumentum emptum (y compris, peut-être, les alterae decumae), aidé, comme il se doit, par deux scribes. Ces mancipes sont, je crois, ceux que nous avons vus à l’instant, sous Verrès, « expédier à Rome le blé des dîmes » (III, 172). Il en est question encore, pour d’autres provinces aussi, en 58 av. J.-C. La Lex (annona ria) de Clodius avait, selon Cicéron, « livré (au scribe Sex. Clodius) tout le blé public et privé, toutes les provinces frumentaires, tous les entrepreneurs (mancipes), les clés de tous les greniers » (De Domo, 25) 2929. Donc des entrepreneurs qui ont passé un contrat avec l’État pour livrer, en Italie, du blé. Voilà, je crois, un point établi.
12Le seul problème qui demeure est de savoir si, pour la Sicile des années 75-70, les contrats avec ces entrepreneurs avaient été passés à Rome — à la responsabilité des censeurs ou des magistrats qui les remplacent, les consuls ou les préteurs dans ces années-là — ou bien sur place, à la responsabilité des promagistrats romains. Varron et Columelle – pour une période postérieure, et pour la Sardaigne et l’Afrique — parlent clairement de Rome même (ibi nunc... locamus). Mais Cicéron, en 75, a été en rapport avec les mancipes. Il a été liberalis : il semble donc qu’il ait eu des responsabilités financières à leur égard. Peut-être la situation en Sicile n’était-elle pas tout à fait celle décrite, si elliptiquement, par Varron et Columelle. Car, toujours dans les Verrines et toujours à propos du frumentum emptum de Verrès, nous voyons que Verrès, d’après Cicéron, aurait pu rejeter sur des mancipes la faute du refus du blé de six cités au moins et de toute l’opération : mancipes... verseitos,... frumentum improbasse,... pretio cum civitatibus decidisse, et eosdem abs te illarum civitatum nomine pecuniam abstulisse, deinde ipsos sibi frumentum coemisse (2Verr., III, 175). Cicéron ajoute malheureusement une affirmation peu claire : Verrès ne peut recourir à cet argument (qui serait de toute manière une preuve d’inertia) parce que les personnages qui ont effectivement mené cette affaire sont des intimes à lui, Volcatius, Timarchide, Maevius (III, 176). Cela veut-il dire que ces derniers ont été des mancipes, ou bien des simples exécutants du préteur et que donc on n’a pas eu recours à des mancipes ? Ou bien, tout simplement, que le préteur, au lieu de contrôler personnellement l’opération, s’en est déchargé sur des comparses ? Quoi qu’il en ait été, le raisonnement même prêté par Cicéron à Verrès me semble indiquer qu’il aurait pu y avoir, en l’occurrence, contrats publics passés sur place par le préteur. Cela me semble confirmer le passage du Pro Piando cité plus haut. Néanmoins, il n’est pas question ici, comme en III, 172 (ou dans le Pro Plancia) d’expédition, de transport vers Rome. Ces contrats ne porteraient donc que sur la perception du frumentum emptum. Le seul point étonnant est qu’il n’en soit pas question ailleurs dans les Verrines. En ce qui concerne le transport vers Rome, cela se comprendrait si la responsabilité du contrat avait été celle des magistrats romains. Ce qui me paraît sûr, en tout cas, c’est que ces mancipes sont très nettement distincts des decumani locaux, qui ont pris à ferme la livraison au préteur “ad aquam” du seul blé des dîmes (et peut-être des seules premières dîmes). Je rappelle ici pour mémoire qu’on connaît, pour l’époque impériale, une catégorie de blé public appelée “frumentum mancipale” (σῖτος δήμου Ῥωμαίων) dont j’ai parlé ailleurs. Elle est attestée précisément pour la Sicile (e. g. ILS. 7193), pour l’Espagne (CIL, II, 1197), l’Afrique (AE, 1952, 225), avec une administration à Rome (CIL, VI. 8853 = ILS, 1536). Il s’agit clairement du blé livré, sinon aussi collecté, par ces mancipes — qui ne sont donc ni des decumani locaux (comme ceux de Sicile sous Verrès), ni des “associés des dîmes” dont nous allons parler maintenant.
***
13La situation fiscale de la Sicile, pour l’impôt sur les produits du sol, est d’après Cicéron entièrement différente de celle de toutes les autres provinces. Dans ces dernières, deux possibilités. Ou bien leur est imposée une “redevance fixe” (vectigal certuni), qui est dite “stipendiarne” : c’est le cas des Espagnes ou de “la plupart” des “puniques” – c’est-à-dire des cités d’Afrique. Ou bien on a établi une “mise à ferme” censoriale (locatio censoria), comme par exemple pour l’Asie en vertu de la loi Sempronia (2Verr., III, 12)30. On voit ce qu’un tel témoignage a d’elliptique ou d’insuffisant. Nous ignorons à peu près tout, pour être franc, de Γ impôt foncier en Macédoine, en Grèce, et même en Espagne, en Narbonnaise, en Sardaigne. Nous y voyons un peu plus clair pour l’Asie. La dîme faisait sûrement partie des “revenus” (vectigalia) dont la perception était mise aux enchères normalement par les soins des censeurs, tous les cinq ans, depuis (au moins) le grand règlement fiscal de la province dû à Caius Gracchus. Cela, je pense, dès l’origine. On peut sans doute se demander si le système des dîmes, affermées à Rome, a été interrompu ou non pendant la période syllanienne, si le pharos imposé par Sylla les a remplacées, ou s’y est ajouté (Appien, Mithr., 83 ; Plut., Luc., 20)31. Toujours est-il qu’elles avaient, au moins, été rétablies avant 66 (en 70 peut-être) : Cicéron les mentionne parmi les trois grands revenus affermés par les publicains d’Asie (Pro lege Man., 16 : neque ex porta neque ex decumis neque ex scriptum vectigal conservari potest... ; eos, qui exercent atque exigunt...). Ivanov (1910, 103) a supposé, sans doute inutilement, que les dîmes ont été à nouveau supprimées avant 63, car Cicéron ne les mentionnerait pas dans les revenus de l’Asie à cette date (De lege agr., II, 80). Mais nous verrons que c’est douteux, et qu’un passage du Pro Fiacco en suppose l’existence en 62 (Pro Fiacco, 19). En tout cas, elles semblent bien rétablies en 61/60, lors du proconsulat de Q. Cicéron : les Asiatiques, lui écrit son frère, doivent supporter aequo animo le fait qu’une partie de leurs récoltes (fructus) soit la rançon de la “paix” romaine (Q. Fr., I, 1, 11 33). En 51, sur son chemin vers la Cilicie, Cicéron a vu à Éphèse des decumani, des fermiers des dîmes, qui sont sûrement ceux de la province d’Asie (Att., V, 13,1 : decumani quasi venissem cum imperio... se alacres obtulerunt). Il s’agit très probablement des représentants (promagistri) ou même des responsables de la société elle-même, dont le siège était nécessairement à Rome, comme celui des autres compagnies fermières de la province, qui pouvaient se trouver présents dans la capitale provinciale, en 51. Pour des raisons évidentes, ils ont fort bien accueilli un proconsul de Cilicie si lié à leur ordre. Il est très probable également que des decumani pouvaient ou devaient passer – comme en Sicile — des pactiones privées avec les cités et les contribuables. Cicéron y fait sans doute allusion dans sa lettre à Quintus (Q. Fr., I, 1, 35 : possunt [= les Grecs] in pactionibus faciendis non legem spectare censoriam). Lui-même a eu à intervenir, dans la province d’Asie (sûrement lors d’un de ses voyages de 51-50), pour essayer d’obtenir, à ce propos, quelque concession des Éphésiens. Mais le contexte montre qu’il s’agit des droits de pâturage, scriptum, non des dîmes (Fam., XIII, 65).
14Quoiqu’il en soit, quelles étaient les conséquences pratiques de l’adjudication des dîmes en Asie sous la forme d’une censoria locatio à Rome ? Nous n’avions pas — jusqu’à ce jour — de témoignage direct sur cette question ; et c’était fort regrettable pour notre propos. Car il faut bien réaliser qu’en principe les procédures de la censoria locatio ont des conséquences très importantes sur la collecte et la destinée des produits des impôts. D’abord, c’est à Rome que le règlement définitif et global à l’État romain doit être fait et, pour les revenus de l’Asie, au compte du Trésor : nous n’entendons jamais parler de rien d’autre. Cicéron parle des revenus, des profits des dîmes d’Asie dans les mêmes termes que pour ceux des douanes ou de la scriptum qui sont forcément en espèces : ita ncque exportu neque ex decumis neque ex scriptum vectigal conservari potest (Pro lege Man., 16). Les témoignages concernant, d’autre part, la fameuse affaire de la révision des contrats des publicains d’Asie, qui débuta en 61 av. J.-C., et qui ne fut réglée, malgré l’opposition de Caton et l’embarras de Cicéron, que par la loi de César en 59, parlent uniquement d’une demande de “remise” des “loyers”, que les publicains devaient chaque année verser au Trésor32. Le Pseudo-Asconius parle de “remissio” (157 St.) ; Suétone (pour 59) emploie le même mot, et précise que César tertia mercedumparte relevavit (Jul., 20). Merces désigne en effet un “loyer”, donc, apparemment, un règlement en espèces ; le Pseudo-Asconius dit d’ailleurs de summa pecuniae. Nous savons en effet que l’État apurait annuellement ses comptes avec les publicains, sans doute même à date fixe, aux calendes de juillet, sous la responsabilité (en 55 au moins) des consuls : ut rationes cum publicanis putarent (Att., IV, 2, 1).
15Nous avons désormais confirmation de cette procédure grâce au règlement du portorium d’Asie nouvellement publié. La ligne 111 (un additif qui date de 7 av. J.-C. : mais la procédure est certes plus ancienne !) montre que l’ensemble du bail est conclu pour un montant égal à cinq fois une somme annuelle (cf. 1. 125, par. 55 ; 1. 146, par. 62)33. Et c’est pour ce total que les contractants doivent fournir des cautions et des garanties. A cette époque, d’ailleurs, les règlements annuels du Trésor devaient avoir lieu aux ides d’octobre (1. 101). Il est clair qu’en contrepartie de ces versements-calculés, on peut en être sûr, sur des estimations le plus souvent soigneuses — les adjudicataires (la ou les “sociétés” fermières) recevaient en pleine propriété le produit du portorium, c’est-à-dire le “vectigal” lui-même (de 2,5 %, ou forfaitaire sur certaines marchandises) ainsi que le produit des confiscations éventuelles (commissum). Ces choses sont perçues sur place, en Asie. A eux d’organiser, comme ils l’entendent, les “compensations” (vectura ou permutationes) avec leurs caisses à Rome. Le Trésor, d’une certaine façon, s’est payé d’avance, puisqu’il a “encaissé” des cautions. On peut même se demander (mais je n’en ai aucune preuve directe) si les publicains ne se libéraient pas de leurs mercedes (ou μίσθοι) annuels, par un simple jeu d’écriture, en faisant passer les cautions au crédit définitif du Trésor, si elles sont en espèces, ce qui n’est pas toujours le cas sans doute. Mais nous connaissons, pour la société du portorium de Sicile, qui doit fonctionner sur des bases assez semblables à celles d’Asie, je présume, d’autres formes de “compensation”. C’est en effet auprès de cette société qu’étaient déposées les sommes mises à la disposition du propréteur de Sicile au titre de son “budget” (ornatio provinciae) (III, 165 ; 163), en particulier les crédits nécessaires au paiement des secondes dîmes, du frumentum emptum et du frumentum in celiarti : à peu près douze millions de HS par an. Mais il ne faut pas imaginer un transfert de fonds réel de Rome vers la Sicile : l’opération doit se faire par permutatio, jeu d’écriture, comme pour Cicéron, proconsul de Cilicie en 51, qui trouve à Laodicée (très vraisemblablement chez les publicains) les fonds qu’on lui a alloués à Rome (Fam., III, 5, 5). Il est clair que le Trésor, comme les autorités locales, cherchaient toujours à éviter au maximum les frais et les dangers de la vectura. Il me semble donc que pour les sociétés des douanes, le produit de ce publicum (essentiellement des espèces monnayées), perçu sur place en province, et qui était leur pleine propriété, était utilisé sur place contre compensations financières bien sûr, c’est-à-dire paiement d’intérêt, comme fonds d’une caisse publique34. Il fallait certes bien qu’à un certain moment les sociétés fermières qui avaient contracté à Rome, fourni des cautions, et qui réglaient des “loyers annuels”, rapatrient leurs bénéfices. Mais étant donné qu’elles étaient également créditrices du Trésor au titre de ces permutationes de fonds publics qu’elles avaient organisées, les transferts réels devaient être réduits au minimum. Les jeux d’écriture étaient certainement plus nombreux qu’on ne croit.
16Dans un tel système, très compréhensible pour des revenus fiscaux sous forme monétaire, quelle pouvait être la place des dîmes sur les produits agricoles, céréales, vin, huile et autres ? Nous devons nous poser la question pour l’ensemble des dîmes d’Asie ; mais aussi pour les decumae minutae de Sicile et celles du vin et de l’huile qui furent affermées à Rome en 75 (en vertu d’un sénatus-consulte et d’une loi) par les consuls (2 Verr., III, 18). Si la procédure impliquée par la locatio à Rome est la même que pour les douanes, nous devons en déduire que les publicains déposent à Rome des cautions égales à cinq fois le montant annuel qu’ils ont souscrit pour les dîmes, montant qu’ils doivent régler tous les ans. En contrepartie, il est clair que le produit des dîmes, livré en nature par les agriculteurs, leur appartient sur place en pleine propriété. Ils vont donc être à la tête, dans la province, de stocks de produits agricoles. Sans doute, on a vu que des pactiones entre les publicains et les cités contribuables intervenaient souvent. Elles pouvaient certes aboutir à des règlements exclusivement financiers aux publicains (comme pour Apronius et les dîmes d’Agyrion, 2Verr., III, 67) : mais la collecte des produits revenait alors à la cité elle-même ; elle devait toujours, en fin de compte, avoir lieu entre les mains de quelqu’un.
17Nous avons vu que, pour la Sicile, l’acheminement vers Rome était le but de toutes les opérations concernant les dîmes, et même le frumentum emptunr, et que, très vraisemblablement, l’État prenait ce transport à sa charge, en l’affermant comme n’importe quelle fourniture publique. Mais en Sicile le blé “public” était alors propriété du peuple romain. Qu’en était-il des dîmes du blé, du vin et de l’huile d’Asie ?
18A priori, puisqu’elles étaient la propriété de fermiers ou de ceux avec qui ces derniers avaient traité à leur tour, Rome n’avait pas à se préoccuper directement de leur destination. Pourtant, si l’Asie n’est pas directement et formellement attestée comme “province frumentaire”, nous devons admettre qu’elle pouvait et devait contribuer elle aussi au ravitaillement de l’Italie. Cicéron, on l’a vu, mentionne en 66 la richesse de sa production agricole (Pro lege Man., 14) et de ses “exportations”, qui la mettent à part des autres provinces. Et, en 62 (Pro Fiacco, 19), il mentionne la dîme comme une des raisons qu’ont les Asiatiques de haïr les Romains.
19Il se trouve que le règlement des douanes35 récemment publié apporte, concernant les dîmes d’Asie, des renseignements nouveaux que les éditeurs n’ont pas entièrement dégagés, faute d’avoir bien lu et interprété la phrase qui les contient. Aux lignes 72 et suivantes, c’est-à-dire après l’énoncé de dispositions générales concernant les droits à payer, l’emplacement des postes de douanes, les modalités de la déclaration, les diverses exemptions, les bâtiments de la douane (et cette dernière précision sera intéressante pour mon propos), survient un paragraphe où les éditeurs ont vu deux stipulations juxtaposées, concernant l’une ladîme, l’autre la scriptura. Voici le texte et la traduction qu’ils en proposent :
- 72) ού πράγματος δεκάτας καρπών ἀροτῆρσι ποριζομένων ἢι1 μέρος οἴνου καὶ έλαίου
- (1. 73) τώι δημοσιώνη δίδοσθαι [δεῖ δήμου’Ρωμα]ίων ένεκεν, τούτων δημοσιώνην καρπεύεσθαι το τέλος ώς έξεμίσθωσαν Λούκιος Όκτάουιος, Γάιος Αυρήλιος Κόττας ύπατοι.
- (1, 74) έξ’Ασίας είς Άσίαν [ὃ ἂν ἐξάγηται, είσά]γηται, έφ’ῷ μή έπί άποστερέσει μάλλον τοῦ τέλους τούτου γένηται τήι μετακομιδή τή ήλιαρίω το πράγμα, ὑπέρ τούτου τέλος μή διδόσθω{ι}.
20Traduction (d’après les éditeurs) :
- (par. 31) « Ce dont la dixième partie des récoltes, dès qu’elle est disponible pour les cultivateurs, ou la dixième partie du vin et de l’huile [doit] être donnée au publicain pour [le peuple Romain], de cela le publicain prendra l’impôt, selon les conditions de l’adjudication faite par les consuls Lucius Octavius et C. Aurélius Cotta (75 av. J.-C.) ».
- (par. 32) : « Sur ce qui [est exporté] d’Asie et [importé] d’Asie, à condition que cette opération, lors des transports d’été, ne serve pas plutôt à frauder la douane, il n’y aura pas de taxe à acquitter ».
21Ce dernier paragraphe, à leur yeux concerne la scriptura : carils ont cru lire, 1. 74, les mots μετακομιδή τή ήλιαρίω qu’ils traduisent par “transport”, “transhumance d’été”. Ainsi le règlement douanier, selon cette interprétation, exempterait de droits de douane le passage régulier des frontières de la province par les troupeaux en transhumance. Du coup, le paragraphe précédent, tels qu’ils le restituent et le comprennent, ne fait que fonder juridiquement l’établissement, la mise à ferme et la perception d’une dîme sur les produits agricoles.
22J’ai tenté de montrer ailleurs (Nicolet 1991 b, 465-480) pourquoi cette double interprétation ne peut être admise. Il y a d’abord des raisons grammaticales et stylistiques (absence de prescription à l’impératif dans le premier paragraphe). Puis des raisons de bon sens : que viendrait faire une clause établissant et fixant les dîmes d’Asie dans un règlement douanier ? Ensuite, une fausse lecture : au lieu de τή ήλιαρίφ il faut lire ή δι’αυτό ;. En réalité, il ne faut pas couper le texte en deux ; il s’agit d’une seule phrase, construite comme tout le reste du texte. Et qui, toute allusion à la scriptura éliminée, ne concerne plus que la dîme, ou plutôt les produits de la dîme, tout simplement pour les dispenser (comme d’autres produits dans d’autres circonstances) du paiement du droit de douane, τέλος, portorium. Un fois cela admis, cependant, tout est loin d’être clair, à cause de deux lacunes de 12 à 14 lettres, au début de chaque ligne. Et surtout à cause de l’ambiguïté du mot τέλος qui à la fin (1. 74) désigne sûrement le droit de douane, mais qui au début de la phrase ne désigne pas forcément la même chose. Cette exemption de droits de douane est d’ailleurs assortie d’une condition (έφ’ώ) : que le “déplacement” (μετακομιδή) soit “réel” (δι’αύτό) et non accompli pour “échapper“ frauduleusement (έπι άποστερέσει) au paiement d’un τέλος (celui mentionné au début de la phrase, de toute évidence et sous peine d’absurdité).
23D’autre part, en ce qui concerne le premier paragraphe, la restitution [δει δήμου’Ρωμα]ί ων ένεκεν, “payer la dîme au peuple romain”, n’est pas satisfaisante : ce n’est pas ainsi qu’on exprimerait la chose, qui d’ailleurs serait un truisme. Je suggère donc de chercher, dans cette lacune de la 1. 73, la raison pour laquelle les dîmes seraient ici mentionnées en rapport avec la douane. Cette raison pourrait être une institution pour laquelle nous avons ailleurs, pour la même période, des témoignages épisodiques, mais convergents : les “droits de garde” pour le blé du peuple romain, custodia publiai frumenti, mentionnés presque sûrement dans le texte de la lex Gabinia Calpurnia de 58 av. J.-C. conservé sur une pierre de Délos, qui dispensait les Déliens de tout versement de cette sorte36. Or nous savons que les publicains disposaient d’entrepôts surveillés, appelés en latin custodia et mentionnés, sous le mot παραφυλακαί, douze ou treize fois dans notre texte. En 123, Caius Gracchus avait, pour la “garde du blé public”, prévu la construction de greniers (Festus 370 L). Un épisode du Pro Fiacco, remontant à la préture de P. Varinius en Asie en 72, c’est-à-dire précisément à la date de l’additif en question dans notre règlement, mentionne à Temnos, de façon malheureusement peu explicite, ces frais de custodia ; ils sont là, peut-être, à la charge du Trésor romain. Il me semble qu’au contraire, dans le règlement d’Éphèse, on peut restituer 1. 73 une expression comme φυλακε]ίων ένεκεν ou σιτωνίίων ou σιτοβολ]ίων. Il y aurait donc eu des “droits de garde” à verser aux douaniers pour l’utilisation de leurs locaux. Les propriétaires des produits des dîmes (donc les decumani, dans mon hypothèse) chercheraient à y échapper en faisant bouger leur blé d’un grenier à l’autre. Notre règlement dispense de droits de douane les marchandises (provenant des dîmes) si elles sortent d’Asie ou y rentrent. Mais à la condition que ce soit un vrai mouvement, un vrai transport, non une manoeuvre pour échapper au paiement du τέλος pour la custodia. Bref, deux mesures convergentes destinées à favoriser la circulation des produits des dîmes. Car la hantise des autorités romaines était de voir les provinces frumentaires conserver jalousement et trop longtemps, pour spéculer sur les prix et même créer artificiel lement la disette, leurs produits ; comme cela se produisit effectivement, selon Cicéron, au cours de l’année 57 : frumentum provinciae frumentariae... custodii s suis clausum continebant, ut sub novum mitterent (De Domo, 11).
24Nous pouvons déduire de cette interprétation, si elle est exacte, que la différence du système de perception entre l’Asie et la Sicile produisait des situations très différentes pour les transferts de type fiscal. En Sicile, l’État dispose directement de quantités considérables de blé (autour de 6 800 000 modii = 580 000 hl par an), dont il afferme le transport vers Rome. Remarquons que cette quantité correspondrait à 1 13 333 “rations frumentaires” de 5 modii par mois, ce qui est vraisemblablement très supérieur au montant réel des “distributions à prix réduit” de cette époque, comme l’a démontré C. Virlouvet37. Mais aussi, en toute hypothèse, inférieur à la consommation présumée de l’agglomération de Rome à la même date. Rome a certainement besoin, pour l’annone au sens large, de blé d’autre provenance. D’Asie, comme de Sardaigne, d’Espagne ou d’Afrique, je pense. Sans doute le produit (en nature) des dîmes affermées à Rome n’appartient pas au peuple, formellement. Mais il y a du blé qualifié de “public” en Asie en 72, à Temnos ; il y en a à Délos en 58, qui provient certainement plutôt d’Asie que des îles de l’Égée ou de la Grèce propre ; il y a même, à Délos, un représentant d’une “société des dîmes ”38 en 93 (ID, I2, “public” pouvait provenir d’autres sources que des dîmes : la première qui vient à l’esprit, ce sont des “achats forcés”, frumentum emptum. Parmi ce “blé acheté”, figurait celui que le gouverneur avait le droit d’acheter pour “sa maison” (in cellam) ; les deux catégories pouvaient faire l’objet de la procédure de l’aestimatio : exiger des contribuables de l’argent au lieu de blé. Or Cicéron, dans les Verrines (III, 191), mentionne cette spéculation comme fréquente en Asie (du blé de Philomélium exigé à Éphèse). Mais en 72, c’est-à-dire dans une période particulièrement difficile pour l’“annone”, le “ravitaillement” (III, 227), comme pour le Trésor (III, 164 : ex aerario inopi atque exhausto), nous voyons que, lors de la mise à ferme des douanes d’Asie, on prévoit expressément une exemption des droits de douanes pour le produit des dîmes, ainsi que, très vraisemblablement, des “droits de garde” assez élevés, dans les greniers publics, pour décourager le stockage, c’est-à-dire l’accaparement. Les deux mesures ont paru assez bien combinées aux réviseurs des règlements douaniers de 62 ap. J.-C. pour qu’ils les maintiennent dans leurs “pascua perpetua”. Là encore, il ne faut pas s’en étonner. Car avant même que les trois curateurs des revenus publics de 62 ap. J.-C. aient mis de l’ordre dans les règlements fiscaux et les contrats des publicains, les autorités s’étaient préoccupées, en 58, de l’annone et du ravitaillement : « on régla aussi, dans les provinces d’outre-mer, le transport du blé, et on décida que les bateaux des négociants ne seraient pas déclarés au cens et qu’ils ne paieraient pas d’impôts sur eux »39. Voilà, je crois, un contexte qui éclaire les deux lignes litigieuses du règlement d’Éphèse. Nous remarquons enfin que dans la révision de 62, comme sans doute dans le texte initial des années 75-72, la franchise douanière est accordée sur ces produits aussi bien à l’importation qu’à l’exportation. L’exportation favorise à coup sûr l’approvisionnement de l’Italie, mais je crois que le pouvoir romain est contraint de s’occuper aussi de celui des provinces. Nous pouvons constater l’importance, à l’époque romaine, de lasitonia dans les cités de la province d’Asie (Strubbe 1987 et 1989). A plusieurs reprises, les Empereurs sont obligés d’accorder à des villes comme Éphèse le droit (exceptionnel) d’acheter du blé en Égypte. Dans un système de contrats passés à Rome, le produit des impôts fonciers appartient non au peuple, mais aux publicains qui l’ont racheté. Rome n’est plus maîtresse, comme pour l’Égypte, l’Afrique, ou la Sicile de Verrès, d’en imposer, ou d’en affermer, le convoiement vers les ports italiens. Il lui faut, pour éviter accaparements et spéculations, utiliser des incitations indirectes. Son administration douanière le lui permet.
25J’ai essayé de marquer les conséquences que le système de mise à ferme (locatio, venditio) adopté par les autorités romaines pouvait avoir sur le mode de perception (en nature ou en espèces), sur la commercialisation, le transport et la destination finale des produits agricoles prélevés à titre d’impôts. Il a pu se trouver des circonstances où le système créait des contraintes gênantes pour l’État romain. Mais peut-être faut-il renverser les points de vue, et admettre que, dans la plupart des cas, ce dernier adaptait précisément le mode de mise à ferme et de perception à ses besoins réels et à ses desseins. Aucune règle intangible, dont la Sicile aurait été l’exception unique, ne s’imposait à sa volonté souveraine. Si la locatio censoria effectuée à Rome même était en somme le cas le plus général et le plus commode, le législateur prévoyait souvent la possibilité future d’y déroger en faisant procéder aux adjucations par les magistrats dans les provinces : la loi agraire de 111 l’envisage formellement40, tout comme le sénatus-consulte d’Asclépiade de Clazomènes41. Inversement, nous constatons qu’en 75 av. J.-C., une loi et un sénatus-consulte décident de mettre aux enchères à Rome même les dîmes du vin, de l’huile, et des “fruges minutae” de la Sicile entière, tout en conservant, sauf sur ce point, les dispositions de la lex Hieronica42. On s’est peu interrogé sur les raisons de cette décision, qui sont pourtant claires. Le produit de ces dîmes était sûrement considérable — le vin et l’huile de Sicile ! Mais, à cette date, leur perception en nature n’importait pas aux Romains, qui avaient en revanche de grandes difficultés financières et annonaires. En mettant en locatio à Rome la perception de ces dîmes, c’est-à-dire contre des versements en espèces, c’est essentiellement leur Trésor qu’ils soulageaient. Il ne faut pas d’ailleurs, je crois, chercher plus loin la nature exacte des fameux decumani de la societas partorii et scripturae et sex publicorum de Sicile qui en sont directement membres, ou du moins qui lui sont fortement liés, et qui en 70 prennent en son nom une décision favorable à Verrès ; ce sont les “décimateurs” du vin et de l’huile43. Bref, selon les circonstances — situation géographique ou économique de la province, crises financières, frumentaires ou annonaires — les Romains ne se gênaient pas pour modifier ici ou là leur système fiscal déjà remarquablement souple et diversifié. Mises en locatio à Rome, du moins de 123 à Sylla, mais encore, on le voit, à partir de 75 av. J.-C., les dîmes d’Asie n’étaient pas primordialement destinées, je crois, à fournir au peuple romain des produits en nature dont il attendait, à Rome et en Italie, sa subsistance. Elles rapportaient plutôt de l’argent au Trésor. Il n’empêche que les autorités romaines ne pouvaient se désintéresser de l’effet qu’avaient sur le marché la commercialisation, le stockage ou le transport de telles quantités de produits agricoles. Il leur fallait songer au ravitaillement des provinces elles-mêmes, au fonctionnement de circuits commerciaux normaux nécessaires à celui de l’Italie, au sens large. D’où la franchise douanière qu’elles accordaient elles-mêmes à ces produits, comme dans le règlement d’Éphèse ; ou qu’elles faisaient accorder par leurs alliés – comme dans la lex Antonia de Termessibus.
Discussion
26E. LO CASCIO : Volevo chiedere qualche delucidazione al prof. Nicolet sulla sua interessantissima relazione, così ricca,e che si diffonde su un testo nuovissimoe così complesso, com’è questo del nomos telous della provincia d’Asia. Vorrei segnalare un punto che mi sembra importante : pare emergere, dalla ricostruzione del prof. Nicolet, che la differenza tra la stipula dell’appalto a Romae la stipula dell’appalto in provincia abbia anche un riflesso importante, se ho capito bene, sulla forma nella quale la contribuzione fiscale in concreto viene pagata a Roma : quasi che il fatto che il contratto d’appalto per la decima della provincia d’Asia venga stipulato a Roma comporti necessariamente che Roma riceve denaro,e non grano. Questo mi pare un risultato molto interessante perché si è sempre discusso sul motivo per il quale non arrivi dalla provincia d’Asia del grano a Roma. Io non ho ben capito una cosa, a proposito del meccanismo attraverso il quale viene effettuata materialmente la riscossione. L’appalto a Roma significa che non c’è movimento di denaro con la provincia : tutto viene a svolgersi a Roma : l’appalto è concluso a Romae la societas publicanorum paga a Roma. Ora, se il prodotto della decima viene venduto da una società di pubblicani, che ne è diventata proprietaria, talché la finanza dello Stato non è più coinvolta, come si giustificano i passi ciceroniani, citati poi anche dal prof. Nicolet, che alludono alle operazioni, diremmo, di clearing che effettua il governatore provinciale con la società di pubblicani nella provincia stessa ? Questi luoghi, com’è ben noto, sono alla base di alcune fra le ricostruzioni dei moderni dell’amministrazione finanziaria non solo in età tardorepubblicana, ma nella stessa prima età imperiale (la creazione delfìscus, il suo rapporto con l’aerarium etc.). Si è sostenuto da parte per esempio del Jones, che non v’è movimento di denaro tra le provincee Roma, ma che di fatto il denaro riscosso nella provincia viene dato in parte al governatore della provincia, che poi provvede con esso alle spese. Se ammettiamo che tutte le operazioni che riguardano la società si svolgono in realtà a Roma, come dovremo giustificare questi passi ciceroniani ? E ancora : ammettendo che tutti i passaggi di denaro tra la societàe l’amministrazione pubblica avvengono a Roma, dovremmo parimenti ammettere che vi sia un doppio trasporto di danaro — un trasporto certo pericolosoe costoso — tra Romae la provincia, perché il denaro viene non solo riscosso, ma anche speso in provincia. Probabilmente le mie domande nascono da un’incomprensione di quello che il prof. Nicolet ha dettoe gliene chiedo anticipatamente scusa.
27CI. NICOLET : E. Lo Cascio a posé d’excellentes questions sur le fonctionnement réel, et le rôle dans les finances publiques, des sociétés de publicains. En particulier, en ce qui concerne le problème des transferts d’argent (sous la forme, ou non, de transports de fonds réels, la vectura) entre les provinces et Rome.
28Nous savons que des opérations d’écriture (permutationes) intervenaient pour éviter au maximum les transports réels d’espèces, coûteux et dangereux. Deux exemples bien connus, celui de Verrès et celui de Cicéron lors de son proconsulat, nous l’attestent : je ne m’y attarderai pas. Les caisses locales des sociétés de publicains servaient au moins de dépôt pour des fonds publics (les 12 millions de sesterces attribués à Verrès), comme elles peuvent le faire pour des fonds privés des gouverneurs (ou des particuliers). Cela, naturellement, n’empêche nullement que l’argent qui se trouve dans ces caisses locales ne soit la propriété exclusive et réelle des publicains, lorsqu’il s’agit bien entendu du produit des impôts : telle était la nature même du contrat public. Mais, propriétaires sans conteste du produit des impôts levés par eux dans la province, les publicains étaient en même temps débiteurs envers l’état, du fait de leur contrat : ils devaient “verser des sommes au trésor” tous les ans, à échéance fixe. Qui ne voit que c’est précisément ce double mouvement qui pouvait aisément se régler par simple jeu d’écriture ? Naturellement, à un moment donné, il fallait bien qu’il y ait, pour ces “entrepreneurs” que sont les publicains, un bénéfice “pour solde de tout compte”. Il s’étaient maîtres théoriquement d’en faire ce qu’ils voulaient.
29Que nous apprend, sur toutes ces procédures, plus subtiles et plus sophistiquées qu’on le dit ordinairement, le Monumentum Ephesenum ? Il nous incite à entrer plus avant dans la complexité de ces opérations. Par exemple, nous voyons que les publicains du portorium, pour enlever le contrat, doivent déposer au Trésor des cautions pour cinq fois la valeur du “loyer annuel” pour lequel ils ont souscrit. Le texte emploie l’équivalent grec de la formule juridique romaine praedespraediaque. Doit-on en conclure que ces cautions étaient forcément des biens immeubles ? Si, comme il est probable, elles étaient versées au moins en partie en espèces, on voit que pour se libérer annuellement les publicains n’avaient pas besoin de transporter physiquement de l’argent : un jeu d’écriture suffisait. Mais je n’ai pas encore trouvé, je dois le dire, de preuve formelle pour cette hypothèse.
30Le deuxième point est plus sûr. J’ai insisté sur une différence fondamentale entre le mode de perception des dîmes lorsque la vente aux enchères se faisait sur place, comme en Sicile, ou à Rome, comme pour l’Asie. En Sicile (où nous ignorons tout du système des cautions éventuelles), le décimateur n’est, formellement, propriétaire que de son lucrum : Indifférence entre la quantité de grain qu’il a réellement perçue et celle qu’il s’est engagé à livrer. Mais cette livraison doit se faire en nature. Et l’état passe ensuite un autre contrat, avec d’autres sortes de publicains, appelés mancipes, pour faire transporter ce blé vers Rome, ou l’Italie, ou tel autre lieu. En Asie, si le système des adjudications pour la dîme fonctionne comme pour les douanes (et les lignes 72-73 de notre texte le laissent supposer), nous devons admettre que les decumani ont versé des cautions équivalentes au Trésor. Ils doivent donc, sur place, être propriétaires de la totalité de ce qu’ils ont perçu. Leur lucrum, là comme en Sicile, proviendra de la différence entre ce pourquoi ils ont souscrit et ce qu’ils ont reçu. Mais comment doivent-ils régler à l’état leur dû ? En espèces, à Rome, tous les ans (comme les fermiers de la douane) ? Ou bien sous forme de livraisons de blé (soit sur place, soit en Italie), en nature ? Les difficultés de lecture des lignes 72-74 de notre texte ne permettent guère, jusqu’à présent, de trancher. J’ai été conduit récemment (BCH, 1991,465- 1991,465-480) à rappeler la pratique de la custodia du blé public, précisément attestée en Asie vers les années 72 av. J.-C. par le Pro Flocco de Cicéron, et à Délos en 58 av. J. -C. Et j’ai proposé une restitution de ce passage de notre texte qui ferait intervenir ce vectigalpro custodia perçu par les douaniers, dont seraient dispensés les fermiers des dîmes lorsque le blé qu’ils entreposent est destiné à l’annone. Peut-être une autre interprétation est-elle possible, qui ferait intervenir non plus la custodia, mais le transport de blé de la dîme, toujours pour l’annone, affermé à d’autres catégories de “publicains” (semblables aux mancipes de Sicile) ; j’y reviendrai ailleurs. Mais deux certitudes demeurent concernant ce passage. D’abord, il n’y est pas question, contrairement à ce qu’avaient crû lire les éditeurs, d’un transport de bétail lié à la transhumance d’été (au lieu du mot inconnu hèliariô, qu’il croyaient lire, la pierre porte è di’auto). Ensuite, les “transports” dont il est question (metakomidè, où je vois l’équivalent du latin advectio) sont précisément exemptés de payer la douane. Ce qui, bien sûr, confirme d’abord l’existence de la dîme d’Asie, au moins entre 75 et 72 av. J.-C., et en fait bien plus continûment, puisqu’on a conservé cette clause en 62 ap. J.-C. Et ce qui montre également le souci des autorités romaines, vers les années 72 av. J.-C., de faciliter, en dispensant de payer la douane, le transport du produit des dîmes.
Bibliographie
Des DOI sont automatiquement ajoutés aux références bibliographiques par Bilbo, l’outil d’annotation bibliographique d’OpenEdition. Ces références bibliographiques peuvent être téléchargées dans les formats APA, Chicago et MLA.
Format
- APA
- Chicago
- MLA
Références bibliographiques
10.2307/299505 :Brunt 1981 : BRUNT (P.), The Revenues of Rome, (c. r. de Neesen 1980). JRS, 71, 1981, 161-173.
10.3406/minf.1916.1136 :Cagnat 1915 : CAGNAT (R.), L’annone d’Afrique. MemAcadInscr, XL, 1916, 247-277.
Calderone 1960 : CALDERONE (S.), Il problema delle città censoriee la storia agraria della Sicilia romana. Kokalos, VI, 1960, 3-25.
Calderone 1964-1965 : CALDERONE (S.), Problemi dell’organizzazione della provincia di Sicilia. Kokalos, X-XI, 1964-1965, 63-98.
Carcopino 1914 : CARCOPINO (J.), La loi de Hiéron et les Romains. Paris, 1914.
Cardinali 1906 : CARDINALI (G.), Frumentatio. In : Dizionario Epigrafico di antichità romane, III. Rome, 1906, col. 225-315.
Engelmann 1989 : ENGELMANN (H.), KNIBBE(D) (dir.), Das Zollgesetz der Provinz Asia. Eine neue Inschrift aus Ephesos. Epigraphica Anatolica, XIV, 1989.
Garnsey 1984 : GARNSEY (P.), GALLANT (T.), R ATHBONE (D.), Thessaly and the grain supply of Rome during the second century B. C. JRS, 74, 1984, 30-44.
Hassal 1974 : HASSAL (M.), CRAWFORD (M.), REYNOLDS (J.), Rome and the eastern provinces at the end of the 2d century B. C. JRS, 64, 1974. 195-220.
Harmand 1967 : HARMAND (J.), L’armée et le soldat à Rome de 107 à 50 av. J.-C. Paris, 1967.
Haywood 1938 : HAYWOOD (R. M. J.). Roman Africa. In : FRANK (T.) (dir.), An economic survey of Ancient Rome. IV. Baltimore, 1938.
Heil 1991 : HEIL (M.), Einige Bemerkungen zu Zollgesetz aus Ephesos. EA, 17, 1991,9-18.
Hirschfeld 1870 : HIRSCHFELD (O), Annona. Philologus, 29, 1870, 1-96.
10.2307/1273169 :Hirschfeld 1905 : HIRSCHFELD (O.), Die Kaiserlichen Verwaltungsbeamten bis auf Diocletian. Berlin, 19052.
Ivanov 1910 : IVANOV (V.), De societatibus vectigalium publicorum populi Romani. Saint-Pétersbourg, 1910.
10.4000/books.lesbelleslettres.10210 :Magdelain 1978 : MAGDELAIN (Α.), La loi à Rome. Histoire d’un concept. Paris, 1978.
10.1515/9783110818352 :Manganaro 1972 : M ANGANARO (G.). Per una storia della Sicilia romana. ANRW, I, 1, 1972, 442-461.
Manganaro 1979 : MANGANARO (G.), La provincia romana. In : La Sicilia antica (a cura di E. Gabbae G. Val let). II, 2. Napoli, 1979, 411-461.
Marquardt 1888 : MARQUARDT (J.), L’organisation financière des Romains. Paris, 1888 (Manuel des Antiquités romaines, X) (Trad. fr. de : Romische Staatsverwaltung. V, 2. Leipzig. 1884).
Mazzarino 1959 : MAZZARINO (S.), In margine alle Verrine per un giudizio storico sull’orazione De
frumento. In : Atti I Congresso Internazionale di Studi Ciceroniani. Roma (1959). II. Roma, 1961. 99-118.
Neesen 1980 : NEESEN (L.), Untersuchungen zu den direkten Staatsabgaben der romischen Kaiserzeit (27 v. Chr. -284 n. Chr.). Bonn, 1980 (Antiquitas, 32).
Nicolet 1966 : NICOLET (C.). L’ordre équestre à l’époque républicaine (312-43 av. J.-C.). I. Définitions juridiques et structures sociales. Paris, 1966 (BEFAR, 207).
Nicolet 1976 : NICOLET (CL), Tributimi. Recherches sur la fiscalité directe à l’époque républicaine. Bonn, 1976 (Antiquitas, 24).
Nicolet 1979 : NICOLET (Cl.), Deux remarques sur l’organisation des sociétés de publicains à la fin de la République romaine. In : Points de vue sur la fiscalité antique (H. VAN EFFENTERRE dir.). Paris, 1979 (Publ. Sorb. Sér. Et., XIV), 69-95.
Nicolet 1980a : Insula Sacra. La loi Gabinia-Calpurnia de Délos (58 av. J.-C.) (Cl. Nicolet éd.). Rome, 1980(Coll. EFR, 45).
Nicolet 1980b : NICOLET (Cl.), La loi Gabinia-Calpurnia de Délos et la loi annonaire de Clodius (58 av. J.-C.). CRAI. 1980, 259-287.
Nicolet 1988 : NICOLET (Cl.), Rendre à César. Economie et société dans la Rome antique. Paris, 1988.
Nicolet 1991a : NICOLET (CL), Frumentum mancipale : en Sicile et ailleurs. In : Nourri r la plèbe. Actes du colloque de Genève en hommage à D. van Berchem (1989) (A. Giovami ini éd.). Basel/Kassel. 1991, 119-141.
Nicolet 1991b : NICOLET (Cl.), Le Monumentimi Ephesenum et les dîmes d’Asie. BCH, 1. 1991, 465-480.
Pavis d’Escurac 1976 : PAVIS d’ESCURAC (H.), La Préfecture de l’Annone, service administratif impérial d’Auguste à Constantin. Rome, 1976 (BEFAR, 226).
10.3406/crai.1956.10552 :Picard 1956a : PICARD (G. Ch.), Néron et le blé d’Afrique. CRAI, 1956, 68-71.
10.3406/crai.1956.10552 :Picard 1956b : PICARD (G. Ch.), Néron et le blé d’Afrique. Cahiers de Tunisie, IV, 1956. 163-173.
Ricknian 1980 : RICKMAN (G.), The corn supply of Ancient Rome. Oxford. 1980.
Rostovtzeff 1910 : ROSTOVTZEFF (M.), Frumentum. In : RE, VII. 1, 1910.
Scramuzza 1937 : SCRAMUZZA (V. M.), Roman Sicily. In : FRANK (T.), An economic survey of Ancient Rome. III. Baltimore. 1937, 225-377.
Strubbe 1987 : STRUBBE (J. H. M.), The sitonia in the cities of Asia Minor under the Principate. I. EA, 10. 1987, 45-82.
Strubbe 1989 : STRUBBE (J. H. M.). The sitonia in the cities of Asia Minor under the Principate. II. EA, 13, 1989, 99-122.
Ungern-Sternberg 1991 : UNGERN-STERNBERG (J. von). Die politische und soziale Bedeutung der spâtre publikanischen leges frumentariae. In : Nourrir la plèbe. Actes du colloque de Genève en hommage à D. van Berchem (1989) (A. Giovannini éd.). Basel/Kassel. 1991, 19-41.
Van Nostrand 1937 : VAN NOSTRAND (J. J), Roman Spain. In : FRANK (T.) (dir.), An economic survey of Ancient Rome. III. Baltimore. 1937.
Virlouvet 1985 : VIRLOUVET (C.), Famines et émeutes à Rome des origines de la République à la mort de Néron. Rome. 1985 (Coll. EFR, 87).
Virlouvet 1991 : VIRLOUVET (C.), La plèbe frumentaire à l’époque d’Auguste. Une tentative de définition. In : Nourrir la plèbe. Actes du colloque de Genève en hommage à D. van Berchem (1989) (A. Giovannini éd.). Basel/Kassel, 1991. 43-65.
Virlouvet (s. p.) : VIRLOUVET (C.), Tessera frumentaria. Les procédures de distribution du blé public à Rome de la fin de la République au Haut-Empire. Thèse dactylographiée. Université de Paris I, 1986 (à paraître dans la BEFAR).
Notes de bas de page
1 Aucune synthèse sur l’ensemble de la fiscalité romaine depuis Marquardt 1888 ; cf. provisoirement Neesen 1980 (avec le c. r. de Brunt 1981), spéc. 25-116. Pour les impôts directs en nature, restent essentiels Hirschfeld 1870 et 1905 ; Rostovtzeff 1910 et Cardinali 1906.
2 Sous la République, et avant les leges frumentariae, il est probable qu’une grande partie des céréales (ou d’autres produits essentiels du sol) provenant des divers revenus des provinces, était, le plus souvent, affectée directement au ravitaillement des armées, dans les provinces en question, ou sur d’autres théâtres d’opération. Cf. les exemples (du début du IIe s.) chez Tite-Live, cités ci-dessous, n. 5 ; ajouter Cic., Pro Fonteio, fgt. 13 : frumenti maximus Humerus e Gallia (sc. : vers l’Espagne, sous le proconsulat de Fonteius) ; ibid., VI, 13 : maximum frumenti numerum ad Hispaniense bellum tolerandum imperavit (en Gaule) ; même notation sous l’Empire (Dion, LX, 24-25) avec l’envoi de blé d’Espagne pour les troupes stationnées en Maurétanie : και Ούμβώνιον Σιλίωνα άρχοντα Βαιτνκής μεταπέμψας ἐξέωσεν ἐκ τοῦ συνεδρίου ώς καὶ σῖτον ολίγον τοῖς ἐν τῇ Μαυριτανία στρατευομένοις ἀποστείλαντα. La question de la proportion réelle des prélèvements fiscaux en nature directement utilisés pour les armées mériterait d’être étudiée à nouveau (cf. la contribution ci-dessus de P. Garnsey). Les brèves remarques (avec bibliogr. antérieure) de J. Harmand (1967. 166-169) doivent être reprises et élargies. Quelquefois, sans doute, le ravitaillement des armées était assuré par des achats de fournitures, affermés par l’État ; cf. la nouvelle version (de Cnide) de la lex de provinciis de 100 av. J.-C. : Hassal 1974, 201 (Column II, 1. 27 sq.) ; cf. aussi Liv., XLII, 27,8 : achat de blé en Calabre et en Sicile confié à trois commissaires. D’une manière générale, cf. encore Marquardt 1888, 1 17 et suiv. ; 248 et suiv.
3 Cf. en dernier lieu Virlouvet 1985 et les diverses contributions au colloque de Genève en hommage à D. Van Berchem, en part, celles de Ungern-Sternberg 1991 et de Virlouvet 1991.
4 Sous la République, on ne connaît formellement de dîmes qu’en Sicile et en Asie ; d’après Cic., 2 Verr., III, 12, toutes les autres provinces, dites “stipendiaires”, sont imposées d’un vectigal certum, impôt au montant fixé d’avance. Mais cela n’excluait pas un pourcentage sur les récoltes qui pouvait venir en déduction de ce total (Marquardt 1888,233 suiv.) ; Hygin. Grom., p. 205 L : in quibusdam provinciis fructus partem praestant certam, alii quintas, alii septimas, alii pecuniam, et hoc per soli aestimationem.
5 Pour l’Espagne, Liv., XLIII, 2, 12 : in futurum tamen consultum ab Senatu Hispanis, quod impetrarunt, ne frumenti aestimationem magistratus Romanus haberet neve cogeret vicensumas vendere Hispanos quanti ipse vellet (171 av. J.-C.) ; pour l’époque impériale, très maigres informations : Dion, LX, 24, 5. Cf. Van Nostrand 1937, 146 ; Nicolet 1991a, 136-137 ; mais Cicéron, opposant l’Espagne à la Sicile dans le passage fameux cité ci-dessous (n. 9), parle de vectigal certuni (2Verr., Ill, 12). Pour la Sardaigne, alterae decumae attestées en 191, 190, 189, 171 av. J.-C. : Liv., XXXVI, 2, 13 ;XXXVII, 2, 12 ; XLII, 31, 8. Pour l’Afrique, Haywood 1938, 17-21. Cf. pour l’époque de César, Plutarque, Caesar, 55 (200 000 médimnes attiques de grains tous les ans) : mais on ne sait s’il s’agit de dîmes ou d’un vectigal certuni·, pour le Haut-Empire, Haywood 1938,42-54, qui cite les quelques textes qui font toujours l’objet d’un débat non encore clos sur la contribution de l’Afrique à l’“annone” : outre R. Cagnat 1915 et G. Ch. Picard (1956a et 1956b), cf. récemment Rickman 1980, 231-235 ; Pavis d’Escurac 1976, 179-180 ; Virlouvet 1985, 50 et suiv.
6 Sur lequel rien n’est toujours venu remplacer Carcopino 1914 — malgré les discussions utiles de Scramuzza 1937,252-261 (en part. 256-257) et de Manganare 1979, 422 et suiv.
7 Cf. l’inscription de Larissa, Garnsey 1984.
8 Engelmann 1989 et ma mise au point provisoire (Nicolet 1991 b).
9 2Verr., III, 12 : Inter Siciliani ceterasque provincias in agrorum vectigalium ratione hoc interest, quod ceteris aut impositum vectigal est certuni, quod stipendiarium dicitur, ut Hispanis et plerisque Poenorum... aut censoria locatio constituta est, ut Asiae lege Sempronio... 13. Perpaucae Siciliae civitates sunt bello a maioribus nostris subactae ; quorum ager cum esset publicuspopuli Romanifactus, tamen (iam non Calderone) illis est redditus ; is ager a censoribus locari solet. (Cf. V, 53 : quipublicos agros arant, certum est quid e lege censoria debeant).
10 2Verr., II, 32 : lege frumentaria quant Hieronicam appelant, iudicia fiant·, la lex est bien entendu un “règlement fiscal”, qui doit – en principe – être suivi par le gouverneur lorsqu’il “propose” par édit un contrat aux décimateurs avant les enchères. Le passage essentiel pour comprendre cela est 2Verr., III. 12-20. Il y a certes formellement une lex locationis pour chaque contrat : mais elle doit précisément – sauf initiative “condamnable” d’un gouverneur – être elle-même conforme à cette vieille lex Hieronica’. “sese vendidurum lege Hieronica ”, affirme Metellus en 70 (2Verr., II. 63). Je ne peux suivre dans toutes ses conclusions A. Magdelain (1978, 37-38), qui prend au pied de la lettre la boutade de Cicéron, 2 Verr., III, 117 : saepe decumae tanti venie runt cum lege Hieronica venirent, quanti nunc lege Verria. Ce qu’on reproche à Verrès, ce n’est pas d’avoir édicté, pour remplacer entièrement la vieille lex Hieronica (qui avait « gardé jusqu’à son nom », 2 Verr., III, 15), une prétendue lex Verria, mais tout simplement, par la méthode des addenda ou autrement, de n’avoir pas respecté cette dernière. Sur ces questions, cf. mes remarques en préparation à propos du règlement douanier d’Asie.
11 2 Verr., III, 53 : Nympho cum arationes magnas conductas haberet : 55 : Xeno ad se pertine re negabat : fundum elocatum esse dicebat.
12 2Verr., II, 155 : aratorum, honestissimorum hominum ac locupletissimorum et Siculorum et civium Romanorum : III, 30 ; III, 93 (Dioclès de Païenne) ; III, 97 : la femme de C. Cassius : « paternas arationes in Leontino ».
13 L’ager publicus de Sicile était toujours affermé par les censeurs à Rome même : 2Verr., 3, 12 ; Carcopino 1914, 225 ; 240 ; Calderone 1960 (part. p. 16) et 1964-1965. Mais voir la discussion pertinente dans Manganare 1972, en part. 449-451 ; ainsi que Mazzarino 1959, 99.
14 Carcopino 1914, 30 et suiv. ; cf. surtout 2 Verr., III, 149 : maxima conventu, Syracusis..., etc.
15 Cic., Pro Plancia, 64 : ce texte ne prouve sans doute pas que Cicéron ait eu à adjuger la perception du blé, mais plutôt son convoiement vers Rome.
16 Carcopino 1914, 84-85 ; par ex. un esclave public, Diognetus : 2Verr., III, 86 ; Nicolet 1966, 325.
17 Ce n’est pas lex que je traduis par “contrat”, mais venditio (venissent : 2Verr., III, 75 ; 90 ; 91 ; 100 ; etc... ; venire : 2Verr., III, 89 ; 116 ; 117 ; 151) ; cf. Forcellini, VI, 273, sur l’emploi de veneo, veneor, dans le sens de “être vendu”.
18 Les mots licitare, licitatio sont employés : 2Verr., III, 99 ; 77 ; le préteur “adjuge”, addicit : 2Verr., III, 51 ; 83 ; 88 ; 90 ; 148 ; 151.
19 2Verr., III, 112 : Ager (Leontinus) efficitcum octavo, bene ut agatur ; veruni, ut omnes di adiuvent, cumdecumo. Quod si quando accidit tumfit ut tantum decumae sit quantum severis, hoc est ut quot iugera sint sata, totidem medimna decimae debeantur.
20 2Verr., III, 227 : totae enim res rusticae eiusmodi sunt, ut eas non ratio neque tabor, sed res incertissimae, venti tempestatesque, moderentur.
21 Cf. le discours d’Antoine aux Asiatiques, en 43 av. J.-C., Appien, BC, V, 17-18 ; et mes remarques dans Nicolet 1976, 2et suiv. et Nicolet 1988, 200, ainsi que dans Nicolet 1991, 466, n. 5.
22 Il s’agit des tres quinquagesimae qui, depuis la préture de Norbanus au moins, s’ajoutaient aux 10% dûs par les cultivateurs : on ne les connaît que par un passage très ambigu de Cicéron, 2Verr., III, 116-118 ; cf. Carcopino 1914,42-43 et Scramuzza 1937, 256-257. Carcopino – sans nous convaincre – avance (ibid., p. 64) Γ hypothèse que ces 6% étaient, en fait, réservés normalement par le Trésor aux décimateurs quand leur contrat ne leur avait pas laissé de bénéfice réel ; il se fonde sur le fameux Papyrus du Louvre, Pap. Par., 62, col. 5, 1. 3-5.
23 2Verr., III, 227 : hinc cum unae decumae lege et consuetudine detrahantur, alterae novis institutis propter annonae rationem imperentur. On peut discuter pour savoir si annona désigne le ravitaillement en général, ou le ravitaillement pris en charge par l’État ; et si annonae rationem veut dire les “besoins (calculés) du ravitaillement” ou “le prix (du blé) pour l’annone”. Sur ces points, cf. récemment Virlouvet 1985, part. 83 et suiv. et Nicolet 1991b, 465-480, spéc. 474 et suiv.
24 Cf. ci-dessus, note 5 ; Liv., XXXVI, 2, 12 ; XXXVII, 2, 12 ; XXXVII, 50, 9 ; XLII, 31, 8.
25 Tous ces calculs – pour l’instant approximatifs et d’ailleurs discutables – reposent en fait sur un passage des Verrines, III. 163 ; ita in frumentum imperatum in annos singulos HS duodetriciens decernebatur... (= 2 800 000 HS). Ce qui semble congruent avec ce qui suit. Mais in annos singulos manque dans la plupart des manuscrits.
26 Carcopino 1914, 118-119 ; 2 Verr., III, 67 ; 79 ; 99. Le terme technique est “accipere decumas” III, 72 ; 84.
27 J’ai traité ce point plus en détails dans Nicolet 1991a, 119-140 et Nicolet 1991b, 474.
28 Varron, RR. II, Praef, 3 : frumentum locamus qui nobis advehat qui saturifiamus ex Africa et Sardinia ; Columelle, I, Praef. 20 : ibi nunc ad hastam locamus ut nobis ex transmarinis provinciis advehatur frumentum.
29 Omne frumentum privatum et publicum, omnes provincias frumenlarias, omnes mancipes, omnis horreorum clavis lege tua tradidisti.
30 Cf. ci-dessus, n. 9.
31 Mise au point dans Nicolet 1991b, 465, note 4 ; question bien évidemment abordée – mais avec des conclusions faussées par leur interprétation, que je crois inexacte, de la 1. 73 de l’inscription – par les éditeurs du Monumentum Ephesenum, Engelmann-Knibbe (Engelmann 1989,94-95) ; cf. les critiques récentes (mais postérieures aux miennes) de M. Heil (1991, 15-17) ; je compte revenir longuement sur ces problèmes.
32 En dernier lieu voir Nicolet 1979, 83 et suiv. ; Pseudo-Asc., p. 157 St. : et remissionis tantum fìeret e summa pecunia quantum aequitas postularet.
33 111 [..... ..... ..... ..] I Καλπουρνίου Πείσωνος ὑπάτων καὶ των προεστώτων τοΰ οἰραρὶου άχρι τοΰ πενταπλού ὅσου άν τὴν δημοσιωνίαν έργολα-
125 [...... ...... ..... ..... ..... .... στ]ρατηγών των προεστώτων τοΰ αἰραρίου άχρι τοΰ πενταπλού δσου άν τὴν δημοσιωνίαν καρπευθησομένην έξαγορα-
146 [...... ...... ..... ..... ...... ...... ... ...]εινου τοῦ κεφαλαίου οὗ καθ’ἕκαστον ἐνιαυτòν έμισθώσατο κατά την Νέρωνος Σεβαστοΰ Γερμ[ανικοῦ]
Les formules employées (que j’étudie ailleurs) montrent les procédures du cautionnement : cautions personnelles (appelées ici une fois πραις, ailleurs άναδόχοι) et sûretés réelles (έγγαῖα). Ces mots traduisent le latin formulaire praediis praedibusque. Que les praedia soient, à l’origine, des biens fonciers ou immobiliers, et puissent l’être à l’occasion, est prouvé par l’obligation de fournir des “contrôleurs” (cognitores) de ces cautions, qui apparaît dans des textes juridiques connus, comme la loi de Malacca, et même sans doute ici, ligne 107, en 12 av. J.-C. Mais les cautions étaient-elles toujours immobilières ? Il est permis d’en douter. En tout cas, dans le règlement d’Asie, elles sont toujours égales au montant total des cinq ans de loyer prévus par le bail (άχρι τοΰ πενταπλού, etc.) ; le montant du loyer : κεφαλάίον.
34 Sur les spéculations que ces procédures permettaient, cf. Carcopino 1914, 97 et suiv. (2Verr., III, 175, etc.).
35 II faut rappeler qu’il s’agit de la copie, faite à Rome le 9 juillet 62 ap. J.-C. (pour être affichée en Asie) de la “révision” du “règlement” de la douane d’Asie édictée le l4 avril précédent, par les trois curatore s des revenus publics nommés par Néron cette année-là (Tac., Ann.. XV, 18). On sait que, depuis 58, avaient été entreprises d’assez substantielles réformes du système fiscal.
36 Cf. sur tous ces points mes raisonnements dans Nicolet 1980a, 96- 99 et 1980b, 272-282.
37 Virlouvet (s. p.) ; et dans ce volume, pp. 11-29.
38 Lex Antonia de Termessibus, 1. 35 : Quos per eorum fineis publicanei ex eo vectigali transportation... On a restitué ensuite, mais sans preuve : [fructus]. C’est là un fait notable contre l’interprétation récente de M. Heil (1991, 15-17) qui voit, dans les lignes 72-74 du Mon. Ephes.. l’expression de l’obligation, pour le publicain (décimateur) qui aurait perçu des dîmes, de payer le τέλος du portorium. Il paraît peu probable que, vers la même époque, les autorités romaines aient pris soin de faire exempter leurs publicains de droits de péage locaux à Termessos, et les aient taxés eux-mêmes pour la douane de la province.
39 Tac., Ann., XIII, 51, 4 : Temperata apud transmarinas provincias frumenti subvectio, et, ne censi bus negotiatoribus naves adscriberentur, tributimi pro illis penderent constitutum. Il faut noter que dans notre règlement, ligne 74 (dans le même contexte donc), le πλοιον (= navis) du publicain est dispensé de douane. De même les bateaux appartenant à des officiels romains (1. 58-66). Mais Engelmann-Knibbe ont tort, à ce propos, de citer (Engelmann 1989, 87) le passage de Tacite ci-dessus : car Tacite ne parle pas du partorium, mais du bateau qui doit être « déclaré au cens » (censibus adscribere) et sur lequel les negotiatores doi vent payer un impôt direct sur le capital, tributimi (attesté ailleurs pour les navires).
40 CIL I2, 588 = FI RA, I, n°8, 1. 87 : mag(istratus) prove mag(istratus)...
41 CIL, I2, 588 = FIRA, I. n°35, 1. 6 : magistrat]us nostri (en grec : άρχοντες ήμέτεροι, 1. 24).
42 2Verr., III, 18 : L. Octavio et C. Cottae consulibus senatus permisit, ut vini et olei decumas et frugum minutarum, quas ante quaestores in Sicilia vendere consuessent, Romae vende rent legemque bis rebus quant ipsis videretur dicerent. Cum locatio fieret, publicani postularunt, quasdam res ut ad legem adderent neque tamen a ceteris censoriis legibus recederent. Contra dixit is, qui casu tuum Romae fuit, ruus hospes. Verres, hospes, inquam, et familiaris tuns, Sthenius hic Thermitanus. Consules causam cognorunt, cum viras primaries atque amplissimos civitatis multos in consilium advocassent, de consilii sententia pronuntiarunt se lege Hieronica vendituros.
43 2Verr., II, 173 ; cf. Nicolet 1991a, 132. Ces “décimateurs”, membres d’une société qui a affermé au moins trois publico en Sicile, la douane, les droits de pâturage, et les sex publico (2Verr., Ill, 167), peuvent bien être surtout les “fermiers du blé” s’il est vrai que les sex publico sont, en fait, des agri publiai, comme le soutiennent Calderone et Manganaro. Mais, plus sûrement encore à mon sens, les “fermiers du vin et de l’huile”, qui ont passé contrat, à Rome (2 Verr., II, 18), devant les consuls de 75 av. J.-C.
Auteur
Ecole Française de Rome
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Les bois sacrés
Actes du Colloque International (Naples 1989)
Olivier de Cazanove et John Scheid (dir.)
1993
Énergie hydraulique et machines élévatrices d'eau dans l'Antiquité
Jean-Pierre Brun et Jean-Luc Fiches (dir.)
2007
Euboica
L'Eubea e la presenza euboica in Calcidica e in Occidente
Bruno D'Agostino et Michel Bats (dir.)
1998
La vannerie dans l'Antiquité romaine
Les ateliers de vanniers et les vanneries de Pompéi, Herculanum et Oplontis
Magali Cullin-Mingaud
2010
Le ravitaillement en blé de Rome et des centres urbains des début de la République jusqu'au Haut Empire
Centre Jean Bérard (dir.)
1994
Sanctuaires et sources
Les sources documentaires et leurs limites dans la description des lieux de culte
Olivier de Cazanove et John Scheid (dir.)
2003
Héra. Images, espaces, cultes
Actes du Colloque International du Centre de Recherches Archéologiques de l’Université de Lille III et de l’Association P.R.A.C. Lille, 29-30 novembre 1993
Juliette de La Genière (dir.)
1997
Colloque « Velia et les Phocéens en Occident ». La céramique exposée
Ginette Di Vita Évrard (dir.)
1971