4 : Les amphores
p. 263-268
Texte intégral
1Les trois pièces H, I et J ont livré 2325 fragments d’amphores1 (Cf. tableau 3) ; ce sont les espaces H et I qui en comportaient le plus. L’étude de ce matériel nous a amené à le scinder en deux groupes, d’une part le matériel présent dans les pièces au moment de l’éruption, et d’autre part le matériel résiduel, dont nous étudierons le réemploi.
1. Les amphores présentes dans les espaces au moment de l’éruption
2Bien que peu important, cet échantillon d’amphores (9 NMI — nombre minimum d’individus — pour l’ensemble des deux pièces H et I) est tout de même représentatif de la diversité des produits qui arrivent dans la cité vésuvienne à l’époque flavienne. On notera la présence, à côté de deux amphores vinaires Dressel 2-4 de production locale (aire vésuvienne), d’une amphore de Bétique contenant des productions halieutiques (type Dressel 7-11), d’une Dressel 2-4 de Tarraconaise avec un graffite sur le pied effectué avant cuisson (fig. 272), de trois amphores de type Tripolitaine I et de deux amphores orientales : une Schoene XIII (Agora G 198) et une Crétoise 1 de la typologie d’A. Marangou2 (fig. 273).
3La pièce J ne semble pas avoir servi à entreposer des amphores au moment de l’éruption : la seule amphore (une Dressel 2-4) provient de Tarraconaise : le sciage de son col atteste un remploi dans cet espace consacré à la vannerie.
2. Les amphores résiduelles et leur utilisation
4Lors de l’étude du mobilier amphorique, notre attention fut attirée par une quantité anormalement élevée, pour l’époque flavienne, de conteneurs puniques ou dits de tradition punique. Ils proviennent majoritairement des pièces H et I et leur concentration dans ces espaces nous a incité à chercher une raison à leur présence.
5Le matériel amphorique punique (au minimum 81 individus), auquel s’ajoutent plusieurs fragments d’amphores appartenant à des Dressel 1A et à des amphores du type dit « Tripolitaine ancienne », est réparti selon les proportions suivantes :
6Pièce H : 44 NMI, dont 9 Maña C1b ; 9 Maña C2b ; 1 Ramon 7.4.1.1 (fig. 274.1) et 29 Ramon 7.7.1.1 (fig. 274.4).
7Pièce I : 34 NMI, dont 3 Maña C1b ; 22 Maña C2b (fig. 274.2), 1 Ramon 7.4.2.2 (fig. 274.3) et 10 Ramon 7.7.1.1.
8Pièce J : 3 NMI, dont 1 Maña C1b et 2 Maña C2b.
9Ces types amphoriques sont relativement anciens par rapport au contexte étudié. En effet, le type Maña C1b, équivalant au type 7.2.1.1 de Ramon Torres, est produit depuis le dernier tiers du IIIe siècle et jusqu’au IIe siècle av. J.-C. Les amphores Maña C2b (type Ramon 7.4.2.1) sont fabriquées à partir de la première moitié du IIe siècle av. J.-C. Les types Ramon 7.4.1.1 et 7.4.2.2, le second étant peu connu, sont attestés au IIe siècle également et, enfin, la production du type Ramon 7.7.1.1 est datée de la première moitié du IIe siècle av. J.-C. Il s’agit donc d’un lot homogène. D’après les datations fournies par l’étude typologique de J. Ramon Torres3, et si l’on décide d’associer à ce groupe les exemplaires de Dressel 1A, il semble que ce lot ait été constitué au cours du troisième quart du IIe siècle av. J.-C.
Des amphores puniques dans une voûte du IIe siècle av. J.-C ?
10La présence, sur certaines de ces amphores, de restes de maçonnerie semble indiquer qu’elles ont été remployées dans une construction. Mais laquelle ? Selon les fouilleurs, il s’agirait d’une voûte couvrant la pièce H. Comme nous ne disposons d’aucune photographie de détail des murs de cette pièce lors des dégagements ni du journal de fouille, l’argumentation repose uniquement sur les quelques lignes publiées par les fouilleurs (Conticello 1993, p. 703). De plus, il semble que les murs étaient en grande partie effondrés lors des dégagements, ce qui élimine toute vérification.
11L’emploi d’amphores dans la construction de voûtes est connu au Bas-Empire mais n’est pas attesté archéologiquement dans des constructions plus anciennes4. Des voûtes faites de tubulures ou tuyaux sont en revanche connues, principalement en Afrique du Nord5. Leur origine remonterait aux premières décennies du IIIe siècle av. J.-C. en Grande Grèce et en Sicile6.
12Cependant, nous ne connaissons pas à proprement parler de voûtes construites entièrement avec des amphores. On constate que ces dernières sont surtout utilisées pour alléger la structure, notamment au niveau des reins de la voûte. Les amphores puniques de la vannerie ont pu être employées dans ce but.
13Si l’on essaie d’effectuer une restitution de la voûte, en proposant un assemblage des amphores dans les reins (fig. 275), quel est le nombre d’amphores nécessaires ? Il faut tenir compte de l’existence d’un étage au-dessus des pièces H, I et J, confirmée par la présence d’un escalier maçonné. La pièce H mesure 4,97 x 4,94, sur une hauteur que nous ne pouvons restituer puisque les parties hautes des murs étaient déjà détruites lors de la fouille de 1992. Les amphores retrouvées ont une hauteur moyenne d’1 m. Cela indique donc qu’une rangée d’amphores, en fonction des dimensions de la pièce et du type d’amphore utilisé, est composée de cinq à six individus. Sachant que les amphores retrouvées ont un diamètre maximal au niveau de la panse compris entre 26 et 30 cm, nous pouvons établir que les reins de la voûte ont pu être remplis avec huit à neuf rangées d’amphores (fig. 276), soit au total un nombre d’amphores compris entre 80 et 108. Le matériel étudié compte un nombre minimum de 81 amphores puniques, et il est fortement envisageable qu’une partie du matériel trop fragmentaire n’a pas été conservée lors des dégagements.
14La découverte dans les pièces voisines I et J (principalement I) d’amphores puniques ayant appartenu à la voûte ne peut s’expliquer que par l’effondrement des murs la supportant. Cet effondrement est certainement à attribuer aux secousses provoquées par l’éruption ainsi qu’à l’écroulement de la toiture entraînant dans sa chute une partie des murs qui la portaient.
15Il reste désormais à établir quand ces amphores ont été remployées. Au vu de leur chronologie respective de production et en leur attribuant une durée de vie plus ou moins longue, ces amphores n’ont pu être utilisées que dans la seconde moitié du IIe siècle ou, au plus tard, au début du Ier siècle av. J.-C. On ne peut en effet imaginer que le lot soit resté des décennies inutilisé après sa première vie. D’autre part, cette datation est en accord avec les observations effectuées par Véronique Blanc-Bijon sur le sol de la pièce H, un pavement en opus signinum (voir l’annexe 1). L’analyse des peintures par Florence Monier confirme également la présence d’une voûte décorée, qui devait fonctionner avec des peintures murales dont l’existence est attestée sous celles de IVe style correspondant à la dernière phase de vie de la maison (voir l’annexe 2).
Les timbres sur amphores puniques
16Un autre intérêt de ce lot est représenté par les timbres qui ont pu être relevés sur certaines de ces amphores : huit estampilles, dont une sur une Maña C2b, une sur Ramon 7.4.1.1, une sur Ramon 7.7.1.1 et cinq sur des fragments de panse, empêchant un rattachement à un type précis. Tous les timbres sont imprimés en relief.
17Le premier timbre (fig. 277.1) (diamètre : 1,7 cm), retrouvé sur une amphore du type Maña C2b, n’est pas répertorié. Il s’agit de caractères puniques.
18Le timbre suivant (fig. 277.2), une croix dans un cadre de forme quadrangulaire (2,1 x 1,8 cm), présent sur le seul individu retrouvé intact (type Ramon 7.4.1.1), n’était pas connu pour ce type.
19L’estampille circulaire sur un col de Ramon 7.7.1.1 (diamètre : 1,3 cm), à motif floral (fig. 277.3), n’était pas connue sur ce type.
20Une du même style est présente sur un fragment de col (fig. 277.4) (diamètre : 1,8 cm).
21Le cinquième timbre (fig. 277.5) (3 x 2,2 cm), présent trois fois sur des fragments d’épaulement, est répertorié dans l’ouvrage de Ramon Torres7 mais n’est pas rattaché à un type précis. Dans un cadre de forme rectangulaire sont représentés quatre signes, certains appartenant à l’alphabet punique8.
22Le dernier timbre (fig. 277.6), représentant un caducée dans un cartouche circulaire (diamètre : 2 cm), est datable de l’époque hellénistique et républicaine9.
23En conclusion, la présence d’amphores puniques et leur remploi au cours de la seconde moitié du IIe ou au tout début du Ier siècle av. J.-C. indiquent qu’il s’agit d’un cas de récupération en vue d’une construction. Ces amphores puniques, par leur forme et leur légèreté, constituaient un matériau facilement réutilisable pour alléger les reins d’une voûte.
24Il faut enfin noter que la voûte, puisqu’elle a été découverte dans les débris de l’éruption de 79, avait résisté au tremblement de terre de 63, démontrant ainsi la solidité de ce type de construction. Enfin, cela éclaire sous un jour nouveau la question du remploi des amphores pour une période aussi ancienne, et un tel exemple est, à notre connaissance, unique.
Notes de bas de page
1 Nous remercions Laëtitia Cavassa pour son aide dans l’étude de ce mobilier. Une quatrième pièce (numérotée ambiente 11 lors des fouilles de 1992), n’a pas été identifiée, et le matériel amphorique qu’elle comportait (4 NMI) a donc été éliminé de cette étude. Les amphores examinées, provenant des ambienti 7, 8 et 9 de l’ancienne nomenclature, sont conservées dans le dépot situé dans la maison I 14, 1 où fut rangé le matériel (non inventorié) mis au jour en 1992. On ignore les contextes précis de découverte.
2 A. Marangou-Lerat, Le vin et les amphores de Crète de l’époque classique à l’époque impériale. Athènes-Thessolonique-Paris, 1995 (Études Crétoises, 30), p. 68-70.
3 J. Ramon Torres, Las ánforas fenicio-púnicas del Mediterraneo central y occidental. Barcelone, 1995 (Universitat de Barcelona. Col.lecció Instrumenta, 2).
4 Pour les exemples, voir le chapitre Amphoras in vaults de l’ouvrage de L. C. Lancaster, Concrete vaulted construction in Imperial Rome, Innovations in context. Cambridge, 2005.
5 F. Tomasello, Una volta « leggera » del II secolo a Leptis Magna, In : L’Africa romana XV (Tozeur 2002). Rome, 2004, p. 1809-1820 ; Id., Volte « leggere » a tubi fittili. Tra Sicilia e Africa, In : Sicilia Antiqua, II. Rome, 2005, p. 145-155.
6 L’un des exemples les plus anciens concerne une salle circulaire thermale mise au jour à Morgantina : Voir R. J. A. Wilson, Terracotta vaulting tubes (tubi fittili) : on their origin and distribution. Journal of Roman Archaeology, 5, 1992, p. 97-129.
7 J. Ramon Torres, op. cit., p. 578, fig. 215, nos 547 et 548.
8 J. Ramon Torres, op. cit., p. 250.
9 J. Ramon Torres, op. cit., p. 253.
Auteur
École française de Rome
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