3 : Les restes végétaux
p. 255-261
Texte intégral
1. Introduction
1Le travail réalisé dans l’atelier de vannerie situé dans la Regio I, Insula 14, n° 2 a été effectué lors de deux campagnes, l’une en 2002, l’autre en 2003, sous la direction de M. Cullin-Mingaud et P. Borgard. C’est lors de la première campagne que l’existence de l’atelier a été reconnue à l’intérieur de la maison, grâce à la découverte de plusieurs tas de végétaux carbonisés. Des restes de bûches et des tiges étaient alignés contre les angles des murs. Dans le jardin, la longue cuve mise au jour aurait vraisemblablement été utilisée pour le trempage et rouissage des tiges (Cullin-Mingaud 2004 ; Borgard 2005 ; Cullin-Mingaud 2005 ; 2007).
2Cet atelier est situé à proximité de ceux découverts auparavant sur la via dell’Abbondanza et liés aux tegetarii, c’est-à-dire les fabricants de nattes. Les travaux de fouille s’insèrent dans le cadre d’un programme visant à relancer l’étude du secteur artisanal et de la spécialisation des artisans à Pompéi. Celui-ci est le seul site antique avec des témoins archéologiques d’une telle activité en milieu urbain. Par ailleurs, l’analyse du matériel végétal pourrait permettre d’établir si des opérations préliminaires au tressage étaient effectuées par l’artisan dans son atelier.
2. Méthodes
3Les restes végétaux étaient stockés dans deux petites pièces (I et J) à l’est de l’œcus. Les trois amas de végétaux signalés ont été topographiés, puis fouillés.
4Au laboratoire, le matériel a été observé au microscope photonique à réflexion fond clair-fond noir, Olympus BH2-UMA. L’utilisation de ce type de microscope permet l’observation directe de la structure anatomique, non endommagée par la combustion. Les trois plans anatomiques, transversal (perpendiculaire à l’axe de la plante), longitudinal tangentiel (tangente à la circonférence de la tige) et longitudinal radial (fracture par le centre de la tige) sont fracturés manuellement, de façon à obtenir une surface plane.
5Le microscope électronique à balayage est utilisé en complément du microscope photonique. La profondeur de champ et le fort grossissement obtenus lors de l’observation au microscope électronique permettent, à la fois, l’observation des plus petits détails anatomiques et la réalisation de prises de vue de grande qualité technique (voir figures concernant l’anatomie).
6La détermination des taxons est faite à l’aide d’ouvrages spécialisés sur l’anatomie du bois1 et de la collection de référence de bois carbonisés actuels de l’UMR 5059 du CNRS (Institut de botanique, université de Montpellier II).
3. Biogéographie actuelle
7La ville de Pompéi est implantée dans la région de Naples (Côte d’Amalfi, SW Italie). Au niveau phytogéographique, et d’après la Carta bioclimatica d’Italia et La vegetazione forestale d’Italia2, cette région est insérée dans l’étage mésoméditerranéen de type A, caractérisé par un indice xérothermique entre 75 et 100 (75 < x < 100), avec 3-4 mois de sécheresse, une précipitation moyenne annuelle = 900 mm et une température moyenne annuelle de 15,8° C. La végétation à feuillage persistant (Quercion ilicis) est dominée par Quercus ilex, Quercus suber, Olea europaea. L’occupation humaine très intense de la plaine a réduit dramatiquement la végétation naturelle. Celle-ci survit encore dans les versants du Vésuve et du Somma, à l’intérieur du Parco Nazionale Vesuvio. Les coulées des éruptions récentes sont actuellement colonisées par des fabacées telles Cytisus scoparius, Spartium iunceum et Genista aetnensis. Sur le versant sud-occidental du Vésuve, la macchia méditerranéenne (Phillyrea latifolia, Myrtus communis, Arbutus unedo, Laurus nobilis, Rhamnus alaternus…) associée à Quercus robur, Cercis siliquastrum et Acer a été remplacée en partie par les pinèdes (Pinus pinaster, Pinus pinea et Pinus halepensis). Sur le versant septentrional du Somma, plus humide, pousse une végétation caducifoliée à Castanea satiua, Quercus pubescens, Ostrya carpinifolia, Fraxinus ornus, Alnus glutinosa et Acer (http://www.vesuviopark.it/parco/flora.htm).
4. Résultats et commentaires
4.1. La pièce I
8Le fagot 36 (angle sud-est de la pièce) n’a pas été fouillé. Une observation superficielle atteste la présence de tiges de monocotylédones (graminées). Des fibres réduites à l’état de cendre sont aussi remarquées.
4.2. La pièce J
9Le fagot 37 (angle sud-ouest de la pièce ; sur le potager) est le plus significatif comme nous pouvons le constater sur la fig. 198 (supra p. 164). Des bûches carbonisées étaient appuyées verticalement contre le mur ouest ; au moment de la fouille elles étaient encore en place, ou alors elles avaient disparu mais l’empreinte demeurait. Les tiges de monocotylédones étaient à leur tour appuyées contre les bûches. Tout ce monticule a été partiellement écrasé par l’éboulement du mur sud.
10Les résultats de l’identification des bûches de bois sont montrés dans le tableau 1 (Cf. fin de l’annexe).
11Comme nous pouvons le constater, la majorité des bûches sont identifiées comme étant du saule (Salix sp.), à l’exception du n° 12, du sapin (Abies sp.).
12Le dépôt de monocotylédones (graminées) atteignait une épaisseur très importante, comme nous pouvons le constater sur la fig. 267, laquelle illustre seulement la partie inférieure de l’accumulation. La fragmentation des tiges était malheureusement très importante, ce qui rend impossible un essai d’identification spécifique par les caractères morphologiques (l’identification spécifique en ayant pour base l’anatomie n’est pas non plus possible ; fig. 268). Elle rend aussi impossible une quantification des restes. Les fragments pouvaient être comptés par milliers. Des centaines, voire des milliers de tiges devaient être stockées ici lors de l’éruption du Vésuve. D’après les caractéristiques morphologiques, les tiges appartiennent à deux graminées différentes. En effet, l’épaisseur de l’anneau de chaume est significativement différente (fig. 269).
13Une bonne partie des tiges était aplatie. Cependant, il est pour le moment impossible de savoir si ce fait résulte d’un traitement préalable au tressage ou s’il est le résultat de l’effondrement de la structure par le poids des débris volcaniques.
14La fouille du tas de monocotylédones a aussi mis en évidence l’existence de fragments de bûches/ planches (tableau 2, en fin de l’annexe) non totalement carbonisés et les restes d’un petit vase. En ce qui concerne les premières il s’agit toujours de Salix (fig. 270) et d’Abies (éboulement côté nord). Du côté est, un tas de petits charbons est aussi signalé : quatre taxa sont distingués (tableau 2) : sapin (Abies), saule (Salix), hêtre (Fagus syluatica) et monocotylédones. Des doutes concernant l’identification de quelques fragments sont notés : ils appartiennent très probablement au saule mais les caractères anatomiques ne suffisent pas pour distinguer clairement entre Salix et Populus (peuplier). Des fragments d’Abies et de monocotylédones ont été identifiés à l’intérieur du vase.
15La fouille d’une partie du fond nord de la pièce J a mis en évidence l’existence d’un plancher en bois, dont l’identification est rendue impossible en raison du mauvais état de conservation. Le peu d’éléments anatomiques observables nous font penser qu’il s’agirait plutôt d’une gymnosperme. Le nettoyage de ce plancher nous a permis de mettre en évidence les restes d’un noyau de pêche.
16Le fagot 39 (contre le mur nord, à l’ouest de la latrine), totalement écrasé et éparpillé sur une étendue de 1 m environ, a livré une petite concentration de fragments de charbon de bois. Leur identification a permis de mettre en évidence le cyprès (Cupressus semperuirens) (fig. 271), le charme (Carpinus betulus) (fig. 270), ainsi que des fragments de monocotylédones, tous associés à un fragment de coquille (bivalve).
17Les caractéristiques de ce dépôt de vannerie nous amènent à faire quelques commentaires. Le stock de monocotylédones peut être considéré comme très significatif ; ils étaient destinés à la confection de nattes ou autres vanneries. Cependant, le diamètre des bûches identifiées fait penser plutôt à la manufacture de mobilier, comme par exemple les chaises, les ruches, caisses de char, etc. Les bûches pourraient ainsi servir d’ossature, de squelette au tressage. Une autre hypothèse doit aussi être considérée. Le travail de la vannerie implique un trempage préalable ; cependant celui-ci pouvait être remplacé par une « préformation » entre les poteaux (L. Fabre, information orale). La présence de la cuve extérieure nous amène à privilégier la première hypothèse ; aussi l’utilisation du cyprès et du chêne à feuillage caduc (bois dur et très résistant à la dégradation) s’accorde bien avec le travail de menuiserie. Ceci nous laisse penser que l’utilisation d’essences distinctes (pour le squelette) pouvait répondre à la demande spécifique des clients.
18Il semble possible que le ramassage des plantes stockées dans cette maison ait été effectué surtout à proximité immédiate de la ville ; c’est le cas par exemple des saules, des monocotylédones et du cyprès qui pouvaient être récoltés en bordure de la rivière. Les saules et les monocotylédones tels les joncs et les roseaux prolifèrent le long des cours d’eau. Par ailleurs, des rangées de souches de cyprès gorgées d’eau ont été signalées le long du Sarno3. Cette espèce méditerranéenne qui pousse depuis le niveau de la mer jusqu’à 1 000 m altitude est originaire de la méditerranée orientale et semble avoir été introduite en Italie par les Phéniciens4.
19La présence du sapin, du hêtre et du charme ( ?), en revanche, soulève des questions importantes. En effet, à l’heure actuelle, ces espèces ne poussent pas dans la région, dans cet étage de végétation. Ainsi, comment expliquer leur présence dans notre matériel ? Deux hypothèses sont possibles :
- un apport relativement lointain par rapport à la ville (plus en hauteur) : les versants du Vésuve et du Somma ;
- une origine très locale (en plaine).
20En effet, la possibilité que ces arbres aient poussé en plaine n’est pas à écarter, comme le montrent les études palynologiques et anthracologiques dans le Sud de la France5. Ils mettent en évidence la présence du sapin à basse altitude, dès le Boréal et ce jusqu’à des époques très récentes, le Moyen Âge au moins. En Italie, à l’heure actuelle, Abies et Fagus poussent à basse altitude dans les Apennins (200 m).
21Rappelons aussi que le Sud de l’Italie est reconnu comme une région refuge potentielle d’Abies pendant le LGM et le Tardiglaciaire, et de ce fait un foyer de l’expansion de cet arbre vers le nord de l’Europe, pendant le Tardiglaciaire et l’Holocène6. Par ailleurs, ce n’est pas la première fois qu’Abies est signalé dans la région. Des cônes et écailles de sapin ont été trouvés auparavant près de Pompéi, à l’intérieur d’un dolium dans une uilla rustica et associés à des graines de plantes médicinales7.
22En ce qui concerne notre site et compte tenu des exigences écologiques des espèces, nous sommes amenés à penser que, dans le cas d’une origine très locale (plaine), celles-ci ne se développaient que dans les endroits ombragés, les plus favorables — sols profonds, à proximité des cours d’eau. Dans le cas d’un apport des zones plus hautes, les versants nord et/ou est du Vésuve et du Somma, les plus humides, sont les lieux de récolte les plus vraisemblables.
5. La « mémoire » du bois
23Tout au long de sa vie, le bois enregistre dans sa structure les changements environnementaux, constituant ainsi une base de données qui peut être exploitée lors de nos investigations8. Des facteurs environnementaux tels la température, la disponibilité en eau, la lumière interviennent sur la durée du fonctionnement du cambium et donc sur la largeur des cernes annuels de croissance, sur les dimensions des cellules constitutives du bois et sur l’épaisseur de leurs parois.
24Comme nous pouvons l’observer dans le tableau 1, les bûches de saule présentaient des cernes annuels à croissance très rapide, caractéristiques de spécimens poussant en pleine lumière et sans compétition, donc plutôt isolés. Un phénomène similaire est observé sur les spécimens de sapin et de chêne. Ceci plaiderait plutôt pour l’existence de peuplements clairsemés.
25Dansdeuxcas,bûchen° 11(saule)et « ambiente 7 » (salon H) (sapin), nous avons pu observer une succession de cernes annuels de largeur très variable (tableaux 1 et 2) ce qui peut témoigner de l’existence de variations environnementales importantes pendant la croissance.
6. Conclusion
26Le travail effectué a fourni des résultats intéressants en ce qui concerne l’utilisation des plantes dans des activités artisanales citadines. Il aurait été cependant nécessaire de réaliser la fouille complète des deux pièces, afin d’avoir une idée plus claire de la nature et de la composition de ce lieu de stockage.
Notes de bas de page
1 F. Schweingruber, Anatomie europäischer Holzer. Ein Atlas zur Bestimmung europäischer Baum-, Strauch-und Zwergstrauchhölzer. Stuttgart, 1990, entre autres.
2 R. Tomaselli, A. Balduzzi et S. Filipelloe, Carta bioclimatica d’Italia. Rome, 1973 (Minist. dell’agricoltura et delle foreste. Collana Verde, 33) ; R. Tomaselli, La vegetazione forestale d’Italia. Rome (Minist. dell’agricoltura e delle foreste. Collana Verde, 33).
3 Ruggiero, in : Pompei e la regione sotterrata dal Vesuvio nell’anno LXXIX, Naples, 1879 ; M. Conticello de’ Spagnolis, Il Pons Sarni. Rome, 1994.
4 S. Pignatti, Flora d’Italia. Bologne, 1982 ; E. Banfi et F. Consolino, Alberi. Novare, 1996 (Guide compact de Agostini).
5 H. Triat-Laval, Contribution pollenanalytique à l’histoire tardi- et postglaciaire de la végétation de la basse vallée du Rhône. Thèse de Doctorat ès Sciences, Aix-Marseille III, 1979 ; Ead., Pollenanalyse de sédiments quaternaires récents du pourtour de l’étang de Berre. Ecologia mediterranea, VIII, 4, 1982, p. 98-115 ; J. Bernard, Analyse pollinique du remplissage versilien de la grotte sous-marine de la Trémie (Cassis, Bouches-du-Rhône). C.R. Ac. Sci. Paris, 274, 1982, p. 46-49 ; J.-L. Vernet, Analyse d’un appareillage gallo-romain en bois, découvert à Lattes (Hérault). Étude de botanique historique. Gallia, XXV, 2, 1967, p. 185-188 ; M. Thinon, Utilisation de la microscopie épiscopique interférentielle pour l’identification botanique des charbons de bois. In : PACT, 22, III, 1988, p. 179-188 ; L. Chabal, Forêts et sociétés en Languedoc (Néolithique final, Antiquité tardive). L’anthracologie, méthode et paléoécologie. Paris, 1997 (DAF, 63) ; A. Durand et J.-L. Vernet, Anthracologie et paysages médiévaux : à propos de quatre sites languedociens. Annales du Midi, 4, nov.-déc. 1987, p. 397-405.
6 R. Terhürne-Berson, T. Litt et R. Cheddadi, The spread of Abies throughout Europe since the last glacial period : combined macrofossil and pollen data. Veget. Hist. Archaeobot., 13, 2004, p. 257-268.
7 M. Ciaraldi, The botanical remains. In : Anglo-American Pompeii Project 1996 (S. E. Bon, R. Jones, B. Kurchin et D. J. Robinson éd.). Bradford, 1996, p. 17-34 ; Id., Drug preparation in evidence ? An unusual plant and bone assemblage from the Pompeian countryside, Italy. Vegetation History and Archaeobotany, 9, 2000, p. 91-98.
8 G. T. Creber et W. G. Chalonner, Environmental influences on cambial activity. In : The vascular cambium (M. Iqbal éd). Taunton (Sommerset), 1990, p. 159-199 ; P. Baas et F. H. Schweingruber, Ecological trends in the wood anatomy of trees, shrubs and climbers from Europe. Intern. Ass. Wood Anatomists Journal, 8, 1987, p. 245-274, entre autres.
Auteur
UMR 5059 - Centre de bio-archéologie et d’écologie
Montpellier
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