Géants et gigantomachie dans la poésie hellénistique
p. 143-172
Texte intégral
1En 1934, Konrat Ziegler voulut mettre à l’honneur un chapitre jusque-là « oublié » de l’histoire de la poésie hellénistique, l’épopée1. L’idée de Ziegler était la suivante : l’épopée hellénistique, loin d’avoir été dominée par les modèles novateurs que représentent les epyllia d’un Callimaque ou les Argonautiques d’Apollonios de Rhodes, aurait aussi existé sous des formes nettement plus traditionnelles, avec des épopées de grande ampleur traitant des exploits accomplis par les dieux ou les héros d’antan. D’après Ziegler, notre perception de la poésie hellénistique serait déformée par la connaissance que nous avons d’une minorité d’œuvres provenant d’une avant-garde alexandrine, mais ne reflèterait pas la réalité d’un corpus aujourd’hui perdu. Si le callimachisme fut bien un modèle à Rome, Ziegler pensait que les auteurs de la fin du IIIe siècle et du IIe siècle av. J.-C. s’étaient pour leur part éloignés de l’esthétique défendue par le poète de Cyrène. Cette génération d’auteurs que nous connaissons fort mal aurait pu composer, aux côtés des grandes épopées historiques et/ou régionales que leur prêtent des sources ultérieures2, des gigantomachies. Faute de pouvoir citer un exemple conservé de gigantomachie hellénistique et à défaut de pouvoir identifier dans les titres et fragments connus la trace d’un ouvrage consacré en propre aux Géants, K. Ziegler a fait du Grand Autel la preuve tangible des aspirations esthé tiques non-callimachéennes qui pouvaient exister dans une capitale hellénistique au IIe av. J.-C. Son ouvrage nous invite à imaginer quels pouvaient être les équivalents en vers de la gigantomachie sculptée sur le Grand Autel de Pergame et à envisager l’emphase des épopées que les Attalides auraient pu commanditer. Abondamment cité, ce petit livre est devenu une référence sur l’epos hellénistique, même si certaines voix se sont à plusieurs reprises élevées pour appeler à la prudence et souligner qu’à ce jour, les découvertes papyrologiques ne semblent pas confirmer l’intuition de Ziegler. Dans ce débat sur l’epos hellénistique, un autre ouvrage à la fois majeur et polémique est celui d’Alan Cameron3 qui, achevant de démontrer que la fameuse « Querelle des Telchines » qui impliqua Callimaque n’avait porté ni sur l’épopée ni sur la question du genre littéraire, va jusqu’à suggérer que l’épopée hellénistique fut, en somme, un phénomène marginal. Un an plus tôt, Peter Parsons exprimait une position mesurée qui résume particulièrement bien l’aporie où nous nous trouvons encore à ce jour : « Beyond literature, how great an analogy with the visual arts was felt, or should be perceived ? (...) We have the Pergamene altar, but no contemporary poet is known to have written a Gigantomachy : does that signify ? (...) I have no answers »4.
2Si la question de la place des gigantomachies dans la littérature hellénistique demeure à ce jour aporétique, il me paraît intéressant d’essayer de constituer deux corpus : celui des références à la gigantomachie que nous pouvons encore identifier dans les fragments poétiques qui nous sont parvenus et celui, très incertain et fatalement incomplet, des références à la gigantomachie qui ont pu exister dans des œuvres dont nous connaissons le titre ou quelques fragments et où la présence de Géants et d’une gigantomachie peut sembler pertinente. Ces deux corpus sont rassemblés dans le cahier de sources joint en annexe du présent chapitre5.
Les poètes hellénistiques ont-il composé des poèmes consacrés en propre à la gigantomachie ?
3Le premier constat que l’on peut faire est que nous n’avons pas trace, parmi les titres d’œuvres hellénistiques que nous connaissons, d’une œuvre intitulée gigantomachie. Ce constat n’exclut pas, bien sûr, que de telles œuvres aient existé, mais il peut nous amener à douter de la pérennité de leur fortune littéraire. S’agissait-il de poèmes qui ont largement circulé sous forme de livres ou de poèmes strictement liés au contexte précis d’une récitation et qui n’eurent qu’une fortune très limitée dans le temps et dans l’espace ?
4Cette première difficulté m’amène à revenir sur les raisons qui ont pu inciter à supposer l’existence de poèmes hellénistiques consacrés en propre à la gigantomachie. La première raison me paraît être l’idée, tout à fait juste, selon laquelle la gigantomachie de Pergame présuppose la connaissance de traditions érudites et l’élaboration d’un programme d’ensemble6. Il me semble toutefois que cette réalisation n’implique pas nécessairement la préexistence d’une source poétique mise en images par les artistes, mais des contacts réels et approfondis entre les artistes et des antiquaires, grammairiens et philologues rompus à l’étude des textes poétiques et des traditions mythologiques, capables de commenter le sens de telle ou telle tradition et de conseiller sur des choix qui paraissaient particulièrement appropriés au projet et à son contexte. Que la réalisation d’un pareil monument ait donné lieu, dans le cadre d’une récitation ou d’une fête donnée, à des compositions poétiques, par exemple à une ecphrasis ou à une courte gigantomachie rivalisant par les mots avec le monument figuré, me paraît tout à fait vraisemblable, mais je ne pense pas qu’il soit nécessaire de supposer que le monument réponde à une composition poétique préalable, dont seraient par exemple tirés les noms des Géants. Ces derniers pourraient procéder d’une érudition qui serait celle de scholiastes et de poètes-philologues travaillant, à Pergame, sur des ouvrages poétiques plus anciens. Le cas mieux connu de Callimaque montre que les poètes pouvaient assembler de manière continue et sous forme de traitements qui se voulaient exhaustifs, mais qui étaient rédigés en prose, des traditions mythologiques, ethnographiques et géographiques associées à tel ou tel thème ou à telle ou telle ou telle région. Ce savoir fut ensuite exploité, mais sous forme très allusive, dans des compositions poétiques. Callimaque composa plusieurs sommes en prose sur les fleuves, mais utilisa quelques éléments seulement des traditions ainsi rassemblées dans sa poésie7. Sans doute pouvons-nous envisager un semblable travail d’érudition, rassemblé sous la forme d’un ouvrage en prose, pour les Géants ? Apollodore d’Athènes a par exemple rapproché les uns des autres plusieurs fragments poétiques (archaïques et hellénistiques) relatifs aux Géants (et liés à des traditions obscures et non autrement documentées pour nous) afin de les commenter dans son Traité sur les dieux8. Ce type d’ouvrages en prose a fort bien pu servir de source pour sélectionner les traditions auxquelles se réfère le Grand Autel de Pergame. Comme nous l’avons souligné, cette hypothèse n’exclut pas qu’une occasion précise de performance ait par ailleurs pu donner lieu à la composition et à la récitation d’une ou plusieurs pièces poétiques se rapportant au Grand Autel. Mais que de telles compositions aient pu exister ne signifie pas, tant s’en faut, qu’elles aient pu bénéficier d’une fortune suffisante pour circuler en dehors de Pergame ou faire l’objet d’une conservation pérenne en étant régulièrement recopiées.
5L’autre argument fréquemment invoqué pour reconstituer des gigantomachies poétiques hellénistiques tient à l’idée selon laquelle on retrouverait, chez des auteurs latins ou des auteurs grecs d’époque impériale, des références plus ou moins voilées à des gigantomachies hellénistiques perdues. C’est principalement au sujet de Virgile que cette hypothèse a été formulée, depuis l’étude de Philip Hardie sur l’Énéide, qui a mis en évidence la prégnance des comparaisons (explicites ou implicites) que Virgile trace entre les ennemis de Rome (Cléopâtre, les Rutules...) et les Géants de la gigantomachie9. Hardie considère que l’importance conférée aux Géants dérive de l’utilisation par Virgile, entre autres modèles hellénistiques, d’une gigantomachie aujourd’hui entièrement perdue.
6Or, la comparaison avec la documentation du début de l’époque hellénistique me paraît mettre à mal ce raisonnement. L’image des Géants et de la gigantomachie y est en effet fréquemment utilisée, de manière explicite ou implicite, comme une métaphore permettant d’évoquer la violence de combats entre différents peuples ou de phénomènes naturels exceptionnels. C’est le cas chez Lycophron qui fait preuve, face au mythe, d’une attitude qui peut évoquer celle de certains historiens des IVe et IIIe siècles qui suggérèrent que les Géants des mythes n’étaient que des représentations hyperboliques de peuples réels10. Chez Lycophron, les fils des Géants (les Pélasges) peuvent ainsi lutter, en Italie, contre les proches de Typhon (les Étrusques)11, de même qu’Hector, « géant » qualifié de canastraïen12, est tué par Achille, le « Typhon pélasge »13. De plus, les contacts décisifs entre Europe et Asie se jouent particulièrement dans les terres de Géants que sont la Chalcidique et la Campanie. Cassandre évoque ainsi la manière dont Midas réduit en esclavage les plaines de « Géants sithôniens » : à cet asservissement fait écho, par association d’idées, la mention du Brychon, fleuve « serviteur » des Géants14. Mentionnons aussi le cas d’Apollonios de Rhodes qui utilise l’imagerie de la gigantomachie pour évoquer différents barbares affrontés par les Argonautes : Amycos est ainsi explicitement comparé à un Typhon engendré par une Gaia irritée par le destin réservé aux Titans15. Un autre Bébryce porte le nom évocateur de Mimas16. De son côté, Posidippe joue, dans les épigrammes 19 et 20 A.-B., sur un système complexe de window allusions à Théocrite citant Homère17 pour évoquer une gigantesque roche. Les termes choisis dans cette pièce et dans la suivante (γύρος en 19 A.-B., v. 9 ; Γεραίστι(ε), épiclèse de Poséidon, dans l’épigramme 20 A.-B., v. 5) incitent le lecteur à songer à deux traditions mythologiques qui pourraient, chacune, expliquer la présence de cette roche sur le rivage eubéen : on peut en effet percevoir, dans le premier terme, une allusion aux Gyres qui écrasèrent Ajax et, dans le second, une référence à la geste oubliée du Géant ou Cyclope eubéen Géraistos. Le système d’allusions mis en œuvre suggère que des affinités étroites étaient perçues, au début de l’époque hellénistique, entre l’épisode d’Ajax mourant aux Gyres et le souvenir éventuel de traditions locales qui expliquaient le paysage du Cap Caphérée par l’action d’un dieu (Poséidon Géraistios) ou peut-être par celle du Géant ou Cyclope Géraistos — figure étudiée par Vian et à laquelle un lecteur érudit était susceptible de penser en rencontrant l’épiclèse sous laquelle Posidippe célèbre Poséidon dans l’épigramme 20 A.-B.18 Ce constat doit probablement nous inciter à remettre en cause ou du moins à considérer avec prudence les quelques lectures des descriptions impériales de la mort d’Ajax qui, parce qu’elles identifient, dans le récit du naufrage du héros, un certain nombre de motifs évoquant une gigantomachie, estiment que ces descriptions imitent une gigantomachie hellénistique perdue19. L’épigramme 19 A.-B. de Posidippe tend à montrer que l’analogie entre le déchaînement des forces naturelles qui écrasèrent Ajax et les forces naturelles associées aux agissements des Géants ou des Cyclopes était déjà suffisamment bien établie au début de l’époque hellénistique pour qu’il soit possible de l’évoquer de manière très allusive. Dans ces mêmes épigrammes, Posidippe introduit en outre l’image d’un « ouragan à cent bras », qui évoque indirectement Typhon : l’imagerie des Géants et des figures qui leur sont apparentées est ainsi employée, de manière métaphorique, pour évoquer la violence extrême de certains phénomènes naturels. La présence de métaphores similaires dans la poésie latine ne saurait donc prouver l’existence de gigantomachies hellénistiques qui leur auraient servi de sources, mais tout au plus la résurgence d’images et de métaphores déjà employées par les poètes hellénistiques.
7L’examen des quelques lambeaux qui subsistent de la Thébaïde d’Antimaque de Colophon montre que cette épopée de la première moitié du IVe siècle utilisait l’imagerie des Titans défaits et prisonniers du Tartare dans le cadre d’une comparaison (fr. 41a Matthews). Une référence à la titanomachie servait ainsi à accentuer l’impression de grandeur et le caractère cosmique du combat des Sept contre Thèbes. L’importance probable de l’imagerie des Titans dans ce poème ressort également du fr. 51 qui évoque (peut-être sous la forme d’une ecphrasis de bouclier ?) une scène très graphique où Cronos sectionne « en les tranchant de biais » par un geste en diagonale les parties génitales d’Ouranos. Antimaque aurait donc fait le choix d’utiliser l’image des Titans pour conférer plus de grandeur, de violence et de pathos aux combats humains qu’il s’apprêtait à narrer. L’utilisation des Géants comme modèle sous-jacent pour décrire les combats humains procède très certainement d’un choix similaire et il est possible qu’Antimaque y ait également eu recours puisque le fragment 14 Matthews évoque la manière dont Aegeon/Briarée se serait armé contre Zeus20.
8La question que Philip Hardie pose au sujet de Virgile peut ainsi être déplacée pour s’appliquer aux auteurs du début du IVe siècle et aux auteurs hellénistiques. Imitent-ils quelque gigantomachie antérieure ? C’est possible, mais aucun élément ne permet à ce jour d’affirmer la présence d’un véritable effet d’intertextualité. Il se peut ainsi que les allusions à la gigantomachie que nous percevons dans différents récits de combats héroïques procèdent d’un topos parfaitement établi bien avant l’époque hellénistique : celui de la comparaison entre ennemis barbares et Géants.
9À côté de ces allusions à la gigantomachie qui servent d’arrière-plan et de modèle sous-jacent à plusieurs récits épiques et qui ont pour effet de conférer grandeur et sublime au récit des actions des héros d’antan ou de tel ou tel personnage historique, la littérature d’époque augustéenne utilise aussi le motif de la gigantomachie à des fins parodiques. Tout comme l’Énéide, la Batrachomyomachie exploite le motif des Géants et de la gigantomachie21 ; loin de rechercher dans ces comparaisons un quelconque effet de sublime, la Batrachomyomachie exploite au contraire, comme un ressort comique, le décalage énorme qui sépare le comparé (un combat de grenouilles et de rats) du comparant (la gigantomachie). On peut se demander si cette manière de parodier la gigantomachie ne se trouvait pas déjà dans les modèles hellénistiques de la Batrachomyomachie, par exemple dans le Combat des rats et des belettes dont nous n’avons qu’un fragment où ne figurent pas d’allusions aux Géants. Malheureusement, notre documentation est trop lacunaire pour pouvoir en juger. Il est toutefois possible de noter que l’idée de parodier la gigantomachie est très ancienne et largement antérieure à l’époque hellénistique, puisqu’elle fournissait le sujet de l’une des parodies d’Hégémon de Thasos.
Sous quelle forme les poètes hellénistiques ont-ils traité des Géants ?
10Nous avons vu que nous ne possédions pas d’éléments prouvant qu’un poète hellénistique ait composé une œuvre comparable aux Gigantomachies de Claudien — autrement dit un poème consacré en propre à la lutte des Géants contre les Olympiens. Que des recherches assez systématiques sur les traditions relatives aux Géants aient été menées dans des œuvres en prose est néanmoins tout à fait possible et l’on peut parfaitement envisager la composition de quelques pièces aujourd’hui perdues, probablement liées au contexte précis d’une récitation et dont la fortune n’a pas égalé, dans la durée, celle des poèmes hellénistiques dont nous connaissons aujourd’hui le titre ou une partie au moins du contenu. Pour autant, plusieurs poèmes contiennent des allusions plus ou moins étendues aux Géants. Sous quelle forme se présentent-elles ?
11Comme nous l’avons vu dans l’examen de quelques passages de Lycophron et d’Apollonios de Rhodes, les allusions aux Géants que nous pouvons aujourd’hui repérer dans la poésie hellénistique y figurent souvent à l’état de métaphores ou de comparaisons d’ampleur limitée. D’un point de vue formel, les Géants font ainsi l’objet d’un jeu sur les échelles en étant inclus dans de courts développements allusifs.
12On constate aussi la présence répétée de courtes allusions mythologiques qui font la part belle à des traditions isolées. C’est le cas dans l’œuvre d’Euphorion qui s’intéresse de près aux Géants, mais ne fait que de brèves allusions à des versions déviantes, laissant à ses scholiastes le soin de raconter le mythe avec plus de détail22. Apollonios de Rhodes fait de même lorsqu’il fait état, en deux passages des Argonautiques, d’une version où Hélios apparaît comme le principal adjuvant des autres dieux dans la gigantomachie et joue un rôle secourable reconnu tant par Héphaïstos23 que par Arès24 : peut-on voir ici la trace d’une utilisation de la gigantomachie en contexte rhodien, par exemple à l’occasion du siège de Rhodes, où Hélios aurait joué un rôle particulièrement secourable ?25 Ce type de traditions isolées et déviantes se retrouve dans un fragment des Aitia de Callimaque : le fr. 119 des Aitia évoque en effet un premier partage du monde survenu à Mèkôné-Sicyone au lendemain d’une gigantomachie). Dans ce passage, Calli maque place dans la bouche de l’un de ses personnages (Marathon ?) une tradition relative au partage des τιμαί entre les dieux qui contredit celle qu’il avait adoptée dans l’Hymne à Zeus. En effet, dans l’Hymne à Zeus, le poète niait qu’il y ait jamais eu besoin de répartir les τιμαί entre Zeus et ses frères puisque la force supérieure de Zeus s’était imposée d’elle-même et n’avait jamais été contestée par les autres dieux26. Certes, la position choisie dans l’Hymne à Zeus s’inscrit, comme l’ont remarqué certains commentateurs27, dans le prolongement de la critique que Platon formule, dans la République, à l’encontre de l’impiété et du mensonge des poètes qui inventent des traditions relatives à la gigantomachie ou encore au partage des Dieux28 : le pouvoir de Zeus, par définition supérieur, n’a, d’un simple point de vue ontologique, pas pu être mis en cause par d’autres dieux, et encore moins par les Géants. Mais sous le point de vue platonicien, il faut, me semble-t-il, reconnaître l’intention politique, puisque le contexte de cet hymne est celui, très particulier, de l’accession au pouvoir de Ptolémée II, le puîné, qui mettait à l’écart Ptolémée Kéraunos, le fils aîné. La contradiction interne à l’œuvre de Callimaque pourrait ainsi s’expliquer par un contexte précis et une volonté de faire écho, par le traitement du mythe, à l’actualité politique. Ces contradictions internes qui sont, de manière célèbre, l’un des traits caractéristiques de l’Alexandra de Lycophron et que l’on retrouve chez Callimaque et chez Euphorion, montrent comment ces auteurs traitent le matériau mythographique : connaissant une multitude de versions contradictoires héritées de l’époque archaïque, ils prennent le parti, soit de laisser parler, en antiquaires, la diversité de ces traditions et de donner à leur œuvre un caractère tout aussi polyphonique qu’auto-contradictoire (chez Lycophron, ces contradictions internes contribuent aussi à mimer les ambiguïtés de la parole oraculaire), soit de sélectionner les versions en fonction de l’intérêt que telle ou telle d'entre elles présente au vu de l’actualité politique. Dans tous les cas, la difficulté d’analyser ces références aux Géants tient à leur caractère fortement allusif et au fait que le poème était composé en vue de sa réception par un public lettré s’appuyant sans doute dès l’origine sur un important appareil de scholies en prose.
13Les Géants figurent aussi volontiers dans des ecphraseis, bien avant que Virgile n’exploite implicitement l’imagerie de la gigantomachie dans les descriptions du bouclier d’Énée et du casque de Turnus. Il s’agit là encore d’une manière de miniaturiser les Géants, mais qui pourrait éventuellement s’expliquer par le fait que la gigantomachie était peut-être perçue comme un sujet davantage exploité par les arts figurés que par la poésie. Cette hypothèse me paraît pouvoir être soutenue à la lumière des scholia uetera à l’Odyssée VII, 54 (et peut-être plus précisément d’une notice due à Aristonicos, élève d’Aristarque) qui, pour parler des géants anguipèdes, s’appuie sur l’expérience que ses lecteurs ont de la peinture et non sur une quelconque source littéraire.
14Un exemple précoce est l’ecphrasis d’une œuvre qui n’est pas identifiable, dans un fragment du Bellum Punicum de Naevius (on a songé au temple d’Agrigente ou au bouclier de l’un des guerriers29). R. Faber a récemment mis en évidence les liens formels que ce court fragment entretient avec les formules typiques des ecphraseis hellénistiques et en particulier avec la description plus tardive de la corbeille d’Europe chez Moschos30. Ces similitudes formelles laissent imaginer une source grecque aujourd’hui perdue qui remonterait au tout début de l’époque hellénistique. Un autre exemple de gigantomachie insérée dans une ecphrasis nous est livré par le prologue de la Ciris, poème pseudo-virgilien d’époque impériale, qui imite très vraisemblablement de près une ecphrasis néotérique perdue — peut-être l’Io de Calvus31. Dans ce poème, l’ecphrasis de la gigantomachie est utilisée pour représenter en creux la nature du poème envisagé par l’auteur : la Ciris élabore une recusatio à travers l’image de deux offrandes possibles — l’offrande que le poète ne fera pas à Messala et qui ressemblerait au péplos représentant la gigantomachie que l’on tisse pour Athéna32, mélange de finesse et d’emphase, et l’offrande que le poète fera effectivement aux Piérides. L’offrande du péplos est associée à des images de pesanteur et d’austérité, avec l’emploi des termes grauis - grauidus. La Ciris, epyllion qui entend s’opposer au modèle des épopées de grande ampleur dont la gigantomachie serait le symbole, se définit au contraire par la volonté « d’enserrer un vers ténu dans une flexible mesure » (gracilem molli (...) pede claudere uersum, v. 20). Le poète décrit ensuite, par antithèse, l’offrande qu’il choisit effectivement de faire aux Piérides : une couronne de fleurs variées symbolisant à la fois l’ornement, la grâce et la variété de son récit.
15Un fragment et plusieurs titres d’œuvres peuvent toutefois laisser penser à des développements de plus grande ampleur dans des épopées perdues : un exemple important est à mon sens celui des Pallèniaka d’Hégésippe de Mécyberna qu’il faut peut-être dater de la deuxième moitié du IVe siècle. Il est légitime de penser qu’il s’agissait d’une œuvre poétique et non d’une chronique historique en prose (cette dernière hypothèse, avancée par Jacoby, repose sur l’identification très douteuse d’une citation dans l’un des témoignages conservés33, mais s’accorde mal avec les quelques informations que nous avons sur le contenu largement mythologique et romancé de cette œuvre34). Quant à la datation, elle dépendrait de celle de Lycophron qui s’inspire apparemment d’Hégésippe35.
16On constate aussi la composition, au tout début de l’époque hellénistique, de plusieurs Héraclées ou Héracléides dont les plus amples devaient certainement laisser une place à la gigantomachie. De ces poèmes, nous ne savons rien ou presque. Si toutefois ils ont laissé quelque place au mythe des Géants, on peut penser que le traitement du mythe s’inscrivait généralement dans la tendance que l’on perçoit dans les quelques passages relatifs aux Géants qui nous sont effectivement parvenus et qui consiste à donner, dans la gigantomachie, un rôle de premier plan à Héraclès. À l’époque hellénistique, cette tendance peut s’expliquer par deux raisons : la première est certainement liée au milieu intellectuel des poètes qui sont les lecteurs assidus des historiens et des philosophes36 (on songe par exemple à la thèse d’Éphore sur ce que fut la gigantomachie de Pallène, à savoir un combat d’Héraclès contre les habitants humains de la presqu’île lors duquel la foudre tomba37) ; la deuxième raison tient à l’actualité politique qui entoure la rédaction de ces poèmes (on peut en effet penser, comme le suggère un passage de Plutarque38, que l’imagerie de la gigantomachie avait été exploitée par le nouvel Héraclès qu’était Alexandre et que cet usage politique du mythe a également joué un rôle dans l’importance nouvelle que le héros prit au sein du combat contre les Géants). L’identification entre Héraclès et différents diadoques a dû encourager la valorisation de son rôle au sein de la gigantomachie.
17C’est sans doute par rapport à ces productions qu’il convient de situer la Méropide, dont un fragment a été découvert dans un papyrus de Cologne (P. Colon. Inv. 5604 = SH 903A)39. La datation de ce texte qui livre une version inédite du combat d’Héraclès contre les Géants – version locale que l’on croit tirée d’un épos coïen – est malheureusement très débattue : elle oscille entre le VIe siècle av. J.-C.40 et l’époque hellénistique. Les arguments avancés par Lloyd-Jones/Parsons en faveur d’une datation hellénistique semblent assez convaincants41 : parmi eux, on citera le fait que ce poème et l’Idylle 25 du corpus theocriteum (qui n’est pas de Théocrite et qui évoque le combat d’Héraclès et du lion) puisent sans doute dans une même source qui évoquait la manière dont Héraclès avait apprêté la léontè. La fabrication de l’égide (ou d’une protection qui tient lieu d’égide) semble ici reproduire le modèle de la préparation de la peau du lion de Némée (l’allusion au mufle de la bête/du Géant semble aller en ce sens). L’auteur anonyme transfère en outre à Cos et à la légende d’Astérion des éléments tirés de la légende du géant Pallas. Un fragment d’Épicharme conservé dans le même papyrus (P. Colon. 5604 – cf. Épicharme fr. 85a Austin) montre en effet que l’on connaissait dès le Ve siècle une version selon laquelle Athéna aurait créé l’égide en écorchant la peau de ce Géant42. Une datation au IVe siècle ou au IIIe siècle, autrement dit dans une période de réflexion intense sur les Géants − en réponse notamment aux lectures évhéméristes des philosophes et des poètes-géographes et ethnographes43 – me paraît en outre pouvoir être soutenue en raison du positionnement original que l’auteur de cette épopée locale choisit pour plusieurs détails ; l’idée selon laquelle le θυμός (par opposition à la ψμχή) du Géant se retire dans l’Hadès semble ainsi destinée à répondre à une réflexion contemporaine sur les parties de l’âme : celle du Géant n’est composée que d’une partie irrationnelle, en proie aux passions et à la colère.
18Si de nombreuses interrogations subsistent sur le contexte de rédaction de la Méropide, on peut souligner qu’une part importante des allusions aux Géants devait enfin figurer dans des poèmes composés pour des princes à l’occasion de telle ou telle victoire. Nous connaissons à ce jour trois textes ou fragments qui jouent sur une comparaison entre les exploits du prince et une gigantomachie. Ces trois exemples sont a priori tous liés aux Lagides et plus précisément à la célébration de la fin de la révolte des mercenaires Galates écrasée par Ptolémée II : l’Hymne à Délos de Callimaque, ainsi que deux épinicies ou hymnes anonymes44. Mais l’imagerie des Géants est aussi présente de manière très allusive dès l’Hymne à Zeus dont on suppose généralement qu’il a été composé pour l’accession au pouvoir de Ptolémée II, en 285 av. J.-C., lorsque le jeune roi commença à régner aux côtés de son père. Cette brève allusion dans l’Hymne à Zeus, et l’utilisation emphatique de l’imagerie des Géants dans des œuvres qui célébrent une « victoire » sur des mercenaires révoltés que Ptolémée II avait obtenue à l’usure et par le biais d’un siège suggèrent que les images liées à la gigantomachie ont pu être réactivées quelques années plus tôt dans des œuvres poétiques composées pour tel ou tel prince hellénistique. Des candidats possibles pourraient être les poèmes composés pour Démétrios Poliorcète et Antigone le Borgne ou peut-être les poèmes composés pour les succès contre les Galates d’Antigone II Gonatas45 (Aratos, qui composa pour lui des œuvres à contenu politique, pourrait avoir précédé Callimaque sur ce terrain). Les succès d’Antigone II Gonatas semblent en tous cas mieux se prêter à l’utilisation de l’image des Géants que celui, plus limité, de Ptolémée II.
19Ces œuvres du début de l’époque hellénistique, dont nous ignorons tout ou presque, ne sont, de manière étonnante, pas citées par Ziegler et la bibliographie s’est focalisée sur deux candidats possibles, tous deux postérieurs à Callimaque : Simonide de Magnésie, poète de la cour d’Antiochos III Mégas qui composa un poème sur le combat d’Antiochos I contre les Galates, et Musée d’Éphèse, qui composa des hymnes à Eumène II et Attale II46. S’il est fort vraisemblable que ces deux poètes aient employé l’imagerie de la gigantomachie, nous manquons d’arguments pour affirmer que leur traitement des Géants ait profondément différé, par la forme, de celui des auteurs du tournant des IVe et IIIe siècles. Les indications que nous possédons sur l’œuvre de Simonide de Magnésie suggèrent une épopée historique et non une épopée mythologique47 : d’éventuelles références aux Géants devaient tout au plus y avoir le statut de comparants pour le comparé qu’étaient les exploits du prince.
20Ce bref panorama m’amène donc à souligner, contrairement à Ziegler, que, si tant est que les Géants aient jamais eu quelque heure de gloire dans la poésie hellénistique, celle-ci se situerait, à en croire les titres et fragments qui nous sont parvenus, plutôt au tournant des IVe et IIIe siècles avant J.-C. qu’au IIe siècle. Qu’un intérêt renouvelé pour les Géants ait vu le jour chez les poètes de la cour d’Antiochos III ou chez les poètes pergaméniens du IIe siècle est tout à fait possible, mais nous n’avons pas de raison (hormis, bien sûr, l’existence du Grand Autel de Pergame) de penser que ces poètes se soient plus intéressés aux Géants que les poètes de cour du tout début de l’époque hellénistique.
Les Géants comme sujet de réflexions esthétiques
21Dans la poésie augustéenne, la gigantomachie devient le paradigme du sujet rejeté par une génération d’auteurs qui entendent, chacun à sa manière, être un nouveau Callimaque. La gigantomachie est ainsi devenue un motif central et topique dans les recusationes latines48. Aussi paraît-il risqué de tenir pour assuré que le jeune Ovide avait réellement composé un poème consacré en propre à la gigantomachie49. Cette idée dérive de la recusatio qui figure aux seuil du livre 2 des Amores, mais il paraît difficile d’isoler cette recusatio du reste du corpus et de prendre au mot des vers où Ovide reproduit une tradition très ancienne. L’emploi de la gigantomachie dans une recusatio remonte en effet à Xénophane, le pré-socratique, qui conseillait de ne pas prendre pour sujet « les combats des Titans, des Géants ou des Centaures, qui sont autant de forgeries des anciens (...) qui ne contiennent rien d’honnête »50. Les Géants ont aussi leur place dans le débat des Grenouilles d’Aristophane : dans cette comédie, le chœur oppose le travail de dissection des mots opéré par Euripide (dans une esthétique qui préfigure celle des poètes hellénistiques51) à la manière dont Eschyle « rugissant, arrache les mots comme les planches clouées sur la carène des navires, avec un souffle de Géant »52.
22L’image des Géants est à nouveau employée pour différencier deux formes de poésie au début de l’époque hellénistique. On la trouve peut-être dans l’Idylle 7 de Théocrite, dans les propos du chevrier Lycidas : « De même que j’exècre au dernier point tout architecte qui s’efforcerait d’achever une demeure aussi haute que la cime de l’Oromédon, de même je hais toute la basse-cour des Muses, qui cherche à caqueter face à l’aède de Chios et se fatigue pour rien »53. S’efforcer de construire une demeure aussi haute que l’Oromédon, montagne de Cos qui servait peut-être de sépulcre à Oromédon/Eurymédon, serait aussi vain et prétentieux que de prétendre composer une poésie homérisante54. Il est est intéressant de rencontrer cette référence à un Géant dans une Idylle qui prend place sur l’île de Cos, autrement dit dans une terre de Géants, mais aussi dans l’île du poète Philitas, modèle même de l’esthétique de la λεπτότης admiré par l’ensemble de la génération de Théocrite, mais aussi par les poètes augustéens. Or, cette réplique programmatique du chevrier Lycidas répond précisément à une phrase où Simichidas dit qu’il ne se sent pas encore capable de l’emporter sur les poètes Sicélidas (= Asclépiade de Samos) et Philitas (v. 40). On devine ainsi que l’un des enjeux présents à l’esprit de Théocrite pourrait être la question des styles et des sujets que peut aborder le poète λεπτός et que la question de la composition d’un poème sur les Géants coïens a pu faire l’objet d’une recusatio ou au contraire d’un traitement paradoxal dans l’œuvre de Philitas, peut-être au tout début du IIIe siècle. Le poète de Cos s’était en effet intéressé à la question des antiquités coïennes et avait donc dû aborder sous une forme ou sous une autre les combats d’Héraclès sur l’île. La Méropide avait-elle valeur pour lui d’anti-modèle ? Nous n’en savons rien et manquons d’éléments pour en juger. Tout au plus pouvons-nous signaler que Théocrite n’est pas le seul à aborder, au sein d’un même poème, la question de l’imitation ou de l’émulation à l’égard du style λεπτός de Philitas de Cos et la question de l’irruption des Géants parmi les sujets envisagés par le poète. Comme nous le verrons55, Claudien emprunte, dans sa Gigantomachie grecque, une formule dont l’origine se situe chez Philitas ; d’autre part, les deux recusationes propertiennes qui impliquent des gigantomachies (Élégies, II, 1, 19-20 et 39-40 ; III, 9, 47-48) figurent dans des poèmes où Properce se présente comme le champion d’une esthétique de la λεπτότης/ tenuitas héritée de Philitas de Cos56.
23De manière intéressante, Callimaque utilise lui aussi l’imagerie de la gigantomachie dans la fameuse réponse aux Telchines au seuil des Aitia : la vieillesse lui pèse comme la Sicile sur Encélade57. Aussi souhaite-t-il alléger son chant et rajeunir. Encélade est qualifié de « funeste » (ὀλ[οῷ]), à l’instar des Telchines qui attaquent Callimaque pour le caractère enfantin de sa poésie, puisqu’il ne sait constituer un poème narrant avec continuité les exploits des héros du temps jadis58.
24Ces différentes remarques peuvent nous amener à penser que l’imagerie des Géants a joué un rôle particulier dans les réflexions esthétiques de l’époque hellénistique sur les concepts de μέγεθος (grandeur) et de σεμνότης (gravité du style et caractère auguste)59.
25Cette hypothèse reçoit un début de confirmation avec la lecture du traité Du Style de Démétrios qui reproduit vraisemblablement des théories élaborées au IIIe siècle av. J.-C. La grandeur de style s’obtient par l’évocation de réalités de grande ampleur (75). Elle s’obtient aussi par l’emploi de métaphores (78), et notamment de métaphores qui prêtent l’activité d’un être animé à un objet inanimé (81). Les métaphores qui donnent une impression de grandeur sont celles qui utilisent pour comparant une réalité plus grande et, pour comparé, une réalité de moindre grandeur (84). L’usage qui est fait des références à la gigantomachie dans les récits de combats héroïques ou historiques répond pleinement à ce dernier précepte, même si Démétrios n’exploite pas cet exemple.
26Du traité, on déduit aisément que le thème des Géants et les comparaisons avec les Géants font courir au poème le risque de la froideur. En effet, la froideur, défaut du grand style, survient lorsque l’on propose par exagération une description inadaptée d’un objet réel — si l’on décrit un ruisseau comme s’il s’agissait du Danube, par exemple (121). La figure la plus froide est l’hyperbole (124) qui est volontiers employée par les poètes comiques en raison de son potentiel humoristique (on comprend ainsi comment le Géant se prête fort bien à la parodie). D’autre part, il existe une froideur d’idée que l’on rencontre notamment dans un fragment anonyme concernant Polyphème : « Quand le rocher fut jeté (sur Ulysse), des chèvres y paissaient »60 — image bien illustrée par certains vases représentant les Géants (fig. 1)61.
27Comment comprendre, à la lumière de ces remarques, les étonnants passages de l’Hymne à Délos et du Bain de Pallas où Callimaque utilise les images de la gigantomachie et recourt (peut-être avec humour) au grand style. Le début de l’Hymne pour le bain de Pallas insiste ouvertement sur les formes doriennes qui sont citées par les théoriciens comme l’un des facteurs favorisant l’impression de grandeur62. Le terme μεγάλως et le composé χαλινοφάγων mettent en évidence l’intention de proposer ici un texte qui s’écarte, stylistiquement, du reste de la production callimachéenne63 — raison pour laquelle les cavales et Athéna ont peut-être besoin, après la gigantomachie, d’un bon bain que le poète va s’empresser de leur donner ?
28La fin de l’Hymne à Délos joue de manière célèbre sur le modèle de la gigantomachie lorsque Apollon annonce la gloire future de Ptolémée II (171-176). Il est intéressant de remarquer que le modèle littéraire dont Callimaque se souvient dans ce passage est celui d’Antimaque – le poète tant apprécié de ses ennemis – puisque l’expression qui fait des Galates des « Titans puînés » (ὀψίγονοι Τιτῆνες, v. 174) répond, en l’inversant, à une expression d’Antimaque qui présentait les Titans comme des « Géants et premiers nés »64. Mais cet usage de l’imagerie liée à la gigantomachie fait aussi écho, au sein de l’Hymne à Délos, à un premier emploi de ces mêmes images pour évoquer la manière dont les dieux menacent la Thessalie et le Pénée désireux d’aider Létô (133–149)65. La Thessalie y est présentée comme un être vivant, dansant de peur (v. 139-140)66 – à l’instar des chaudrons bondissant dans la forge d’Héphaïstos –, et le texte multiplie les emplois de mots dont les sonorités étaient perçues par les Anciens comme fortement mimétiques67. Y a-t-il une intention parodique dans la manière dont Callimaque substitue brutalement à l’image de la Thessalie tremblant sur ses assises celle d’une batterie de cuisine s’effondrant avec fracas dans quelque entrepôt de marchandises conçu par Héphaïstos ? Callimaque se souvient-il ici d’Antimaque (dont le fragment relatif aux Titans pris comme « Géants et premiers nés » évoque apparemment aussi la vallée de Tempè68) ou de traditions relatives au géant Pélôros – figure étroitement liée à cette région ? On peut en tous cas constater que la recherche d’un effet stylistique qui tranche avec le reste de l’œuvre de Callimaque coïncide ici avec l’image potentiellement métapoétique du Pénée au vaste cours qui va retenir son flux pour tenter d’accueillir Létô.
29Pour achever cette courte présentation des éventuels enjeux esthétiques des références aux Géants, j’aimerais revenir quelques instants sur la manière dont Claudien, dans ses Gigantomachies, semble apporter, plusieurs siècles après les poètes hellénistiques, une réponse très personnelle au débat hellénistique et aux critiques que Démétrios avait adressées à l’encontre du poète qui avait placé des chèvres paissant sur le roc de Polyphème. Claudien, qui conçoit des epyllia grec et latin consacrés au motif de la gigantomachie – choix qui ne peut être neutre si l’on songe que la Ciris s’était présentée comme un projet on ne peut plus éloigné des gigantomachies –, n’hésite pas, pour sa part, à représenter Encélade déracinant une île avec ses cités, ses montagnes, ses arbres, ses fleuves, ses bêtes et ses oiseaux (fr. 2 Zamora, v. 58-66)69. Je ne pense pas que l’intention de Claudien soit, à un seul moment, parodique, mais ce poète assume pleinement le choix risqué de représenter la grandeur d’un combat cosmique au sein d’une œuvre miniature. Pleinement conscient des préceptes présentés dans les traités normatifs, Claudien est, à son tour, polémique et audacieux dans ses choix esthétiques. Le meilleur signe de cette contradiction assumée est peut-être qu’il reproduit exactement, pour représenter un Géant assoiffé qui souhaite boire une eau abondante, une iunctura dont l’origine se situe chez Philitas de Cos (fr. 7b Spanoudakis) – νήχυτον ὕδωρ70. Le Géant de Claudien est donc représenté dans les mots d’un poète adepte de la λεπτότης, issu, certes, d’une terre de Géants (Cos), mais que ses préoccupations esthétiques devaient, a priori, éloigner d’un tel sujet.
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Annexe
Appendice : Cahier de sources
Sauf indication contraire, les traductions présentées dans ce document sont personnelles. Les fragments relatifs à Orion n’ont pas été pris en compte.
1. Fragments poétiques et extraits de poèmes d’époque hellénistique relatifs aux géants
Les textes sont classés dans l’ordre chronologique probable du floruit de leurs auteurs. Lorsque une datation au siècle près semble impossible, le fragment figure dans la section « Poèmes de datation incertaine ». Pour Lycophron, je privilégie la datation haute (début du IIIe siècle), tandis que pour Euphorion, je privilégie une chronologie basse (ce qui revient à considérer qu’une phase encore très productive de sa carrière de poète s’est située à la cour séleucide). Parmi les différentes datations avancées pour Nicandre, je retiens la plus probable, sous Attale III.
1.1. Fragments datables
1.1.1. Aeschrion (de Mytilène ? [= aeschrion de Samos ?])
Les scholies à Lycophron (Alex. 688) indiquent qu’Aeschrion, dans le sixième livre (chant ?) de ses Ἐφεσίδες [sic] (= Actions en justice (?) – unique occurrence de ce titre) traitait lui aussi de Pithécusses. On peut supposer que le rapprochement fait par le scholiaste entre Lycophron et Aeschrion tient au fait qu’Aeschrion traitait lui aussi de cette île comme d’un lieu associé aux Géants et/ou aux Cercopes. On connaît deux poètes Aeschrion pour la période hellénistique, Aeschrion de Samos et Aeschrion de Mytilène (mignon d’Aristote, personnage de l’entourage d’Alexandre qui écrivait à la fois des iambes et des épè). Peut-être ne s’agit-il que d’un seul et même personnage ? Si notre Aeschrion (dont l’ethnique n’est pas précisé) se confond avec Aeschrion de Mytilène, il est possible de se demander si les Ἐφεσίδες (Actions en justice (?)) témoignent de son activité de iambographe (auquel cas on pourrait imaginer qu’un personnage critiqué par le poète était ici comparé à un Géant ou à un Cercope) ou si le titre de cette œuvre provient d’une mélecture ou mauvaise copie du titre Ἐφημερίδες (Éphémérides), œuvre (peut-être choliambique ?) où Aeschrion racontait la geste d’Alexandre au jour le jour (c’est alors dans l’entourage d’Alexandre qu’auraient été évoquées, pour une raison ou une autre, les traditions mythologiques relatives à Ischia).
1.1.2. Hégésippe de Mécyberna
Hégésippe de Mécyberna (en Pallène) est l’auteur de Pallèniaka dont Jacoby considère qu’elles ont vraisemblablement été utilisées par Lycophron et Euphorion (c’est dans ses Pallèniaka que figurait, si l’on en croit Parthénios, le récit des amours d’Acamas et de Laodicè et de la mort de Mounitos, leur fils, près d’Olynthe) et peut-être par Éphore. Cette hypothèse, si elle est juste, nous conduirait à situer Hégésippe dans la deuxième moitié du IVe siècle.
Les arguments qui ont conduit Jacoby à voir dans les Pallèniaka une œuvre en prose nous paraissent peu probants, d’autant qu’il est particulièrement cité par Parthénios aux côtés d’une série de poètes et que les titres en -ακα semblent majoritairement concerner (d’un simple point de vue statistique) des œuvres en vers (par opposition aux titres en περὶ ; + génitif qui se rapportent plus souvent à des œuvres en prose). Les quelques fragments des Pallèniaka concernent des histoires d’amour, en particulier des histoires malheureuses. Les limites de ce qui, dans le fr. 1 Jacoby (= Étienne de Byzance, s.v. Παλλήνη) dérive d’Hégésippe sont incertaines : il est assuré qu’Hégésippe évoquait l’héroïne Pallénè, fille de Sithon et femme de Cleitos, et indiquait que le nom de Pallène avait remplacé celui plus ancien de Phlégra. Mais la suite de la notice d’Étienne de Byzance semble suggérer qu’Hégésippe avait aussi raconté sous une forme ou une autre la gigantomachie qu’il situait en Pallène. Une version évhémériste de Théagène (tirée des Makedonika, œuvre en prose) est ensuite citée pour indiquer que la Pallène était habitée par un peuple nommé « Géants » qui furent combattus par Héraclès et que l’apparition d’éclairs lors de cette guerre a fait dire qu’il s’agissait d’une guerre des Géants contre les dieux. La juxtaposition créée par la notice d’Étienne de Byzance entre ces deux versions laisse penser que à la version rationalisante de Théagène s’opposait en quelque sorte la version mythologique retenue par Hégésippe (même si les deux auteurs narraient l’histoire de Pallénè fille de Sithon comme l’indique Parthénios (Narr. am. 6)), mais il est difficile d’aller plus loin.
1.1.3. Diphile
• Héraclès, fr. 45 K.-A. (= ATH. Deipnosoph. 10, 421e ; trad. I. David [Callythea])
ἐμὲ μὲν οὐχ ὁρᾷς πεπωκότα
ἤδη τ ἀκροθώρακ' ὄντα καὶ θυμούμενον,
τονδὶ δὲ ναστόν, Ἀστερίωνος μείζονα,
ἤδη σχεδὸν δωδέκατον ἠριστηκότα;
Ne vois-tu pas que j’ai bu, et que je suis déjà un peu ivre et tout énervé, et que ce gâteau, plus grand qu’Astérion, est déjà presque le douzième que j’ai mangé ?
La correction Ἀστίωνος du manuscrit A en Ἀστερίωνος est due à H. van Herwerden. Le personnage qui prononce ces mots est probablement Héraclès lui-même. — La présence du mythe d’Astérion dans une expression apparemment proverbiale utilisée par un poète comique démontre que celui-ci était largement connu du public.
1.1.4. Lycophron
• Alexandra, 42-43
Κρόνου παρ' αἰπὺν ὄχθον, ἔνθα γηγενοῦς
ἵππων ταρακτής ἐστιν Ἰσχένου τάφος,
auprès de la hauteur escarpée de Cronos, où se trouve le tombeau effrayant pour les chevaux du Géant Ischénos
D’après les scholies il ne s’agirait pas ici d’un Géant, mais du fils d’un certain Gigas né d’Hermès et d’Hiéreia. Ischénos se serait dévoué lors d’une famine pour sauver son peuple.
• Alexandra, 61–66
Αὐτὴ δὲ φαρμακουργός, οὐκ ἰάσιμον
ἕλκος δρακοῦσα τοῦ ξυνευνέτου λυγρόν,
Γιγαντοραίστοις ἄρδισιν τετρωμένου
πρὸς ἀνθοπλίτου, ξυνὸν ὀγχήσει μόρον,
πύργων ἀπ' ἄκρων πρὸς νεόδμητον νέκυν
ῥοιζηδὸν ἐκβράσασα κύμβαχον δέμας·
Après avoir observé la blessure inguérissable et funeste de son amant transpercé par les traits broyeurs de Géants de son antagoniste, elle-même [= Œnone], la faiseuse de drogues, endurera un sort pareil au sien en se jetant avec impétuosité et tête la première depuis le sommet des tours pour rejoindre le mort nouvellement dompté par le destin ;
Les traits qui tueront Pâris sont les flèches de Philoctète qui les avait lui-même reçues d’Héraclès qui s’en était servi dans la gigantomachie.
• Alexandra, 111
διμόρφου γηγενοῦς σκηπτουχίας
de l’autorité à double forme née de la terre
L’expression désigne ici Cécrops, mais est-elle inspirée par une iunctura διμόρφου γηγενοῦς qui aurait préalablement servi à décrire un géant anguipède ?
• Alexandra, 126–127
εἰς πάτραν, ὅθεν πλάνης
Παλληνίαν ἐπῆλθε γηγενῶν τροφόν·
... dans sa patrie, d’où son errance l’avait conduit [= lui, Protée] dans la Pallène nourricière de géants ;
• Alexandra, 175–179
ὅν ποτ' Οἰνώνης φυγάς,
μύρμων τὸν ἑξάπεζον ἀνδρώσας στρατόν,
Πελασγικὸν Τυφῶνα γεννᾶται πατήρ,
ἀφ' ἑπτὰ παίδων φεψάλῳ σποδουμένων
μοῦνον φλέγουσαν ἐξαλύξαντα σποδόν.
lui qu’un jour le fugitif d’Oinônè, qui changea en hommes une hexapode armée de fourmis, son père, engendra pour en faire un Typhon pélasgique, lui qui sur sept enfants incinérés par la braise seul de la brûlante cendre réchappa.
Ce passage évoque l’histoire d’Achille, fils de Pélée. Ce dernier fut exilé d’Oinônè (= Égine) par son père Éaque pour avoir tué son demi-frère Phôcos. Il s’établit en Phthie, contrée que peuplèrent les Myrmidons, nés de la métamorphose de fourmis. Lycophron semble rattacher cette métamorphose à l’époque même de Pélée et à son action.
Pélée aurait eu de Thétis plusieurs enfants que celle-ci tentait de rendre immortels en les plongeant dans le feu (Lycophron prête ainsi à Thétis des traits qui l’apparentent à la magicienne Médée) ; seul Achille, arraché des flammes par Pélée, aurait survécu. La comparaison entre Achille et un « Géant pélasgique » peut suggérer que Lycophron connaissait une version de la tradition rapportée plus tard par Photius (Bibliothèque, codex 190, Bekker p. 152a, l. 7) et selon laquelle Pélée aurait remplacé un os du pied d’Achille qui avait été brûlé par l’action de Thétis par un os retaillé dans le squelette du géant Damysos (le plus rapide des Géants) que Pélée aurait déterré de la Pallène.
• Alexandra, 495
γίγαντος ὅπλα
les armes du géant [= les armes cachées d’Égée qui se trouvent sous un lourd rocher]
• Alexandra, 526–529
καίπερ πρὸ πύργων τὸν Καναστραῖον μέγαν
ἐγχώριον γίγαντα δυσμενῶν μοχλὸν
ἔχοντα, καὶ τὸν πρῶτον εὐστόχῳ βολῇ
μαιμῶντα τύψαι ποιμνίων ἀλάστορα.
même si elles (ces murailles) ont, devant leurs tours, le grand Canastraien, géant de notre pays, verrou de nos ennemis, lui qui brûle de frapper d’un trait bien visé le premier fléau de nos troupeaux.
Cassandre imagine que les murailles de Troie, construites par Apollon et Poséidon, n’auraient su, malgré la présence d’Hector « devant les tours », résister à l’assaut d’Idas et Lyncée si toutefois ces deux héros avaient pu prendre part au conflit.
Hector est ici comparé à un Géant semblable à ceux qui avaient combattu les dieux dans la Pallène dont le Canastraion est un promontoire.
• Alexandra, 688–693
Ὅθεν Γιγάντων νῆσος ἡ μετάφρενον
θλάσασα καὶ Τυφῶνος ἀγρίου δέμας
φλογμῷ ζέουσα δέξεται μονόστολον,
ἐν ᾗ πιθήκων πάλμυς ἀφθίτων γένος
δύσμορφον εἰς κημασμὸν ᾤκισεν τόσων
οἳ μῶλον ὠρόθυναν ἐκγόνοις Κρόνου.
Puis l’île qui écrase le dos des Géants et le corps du sauvage Typhon et qui bouillonne de lave brûlante, recevra le voyageur solitaire : c’est là que le sultan des immortels logea l’engeance disgracieuse des singes à titre d’algarade envers tous ceux qui avaient cherché à faire la guerre contre les descendants de Cronos.
Cassandre annonce qu’Ulysse ira, dans ses errances, à Ischia (Pithécusses) dont le nom est expliqué par une référence au mythe des Cercopes, transformés en singes pour les punir de leurs brigandages.
Lycophron semble ici introduire une innovation en reliant cette légende avec celle des Géants que Zeus punit d’avoir voulu détrôner les Olympiens « fils de Cronos ». Ce même passage introduit aussi un rapprochement entre Typhon et Ischia. Pindare (Pythiques, 1, 17-20) indique que le corps immense de Typhon est étendu sous la Sicile, l’Etna et les hauteurs qui dominent Cumes. La tradition qui fait mourir Typhon près de Naples était également connue de Phérécyde (voir schol. Ap. Rh. Arg. II, 1209-1215 – Apollonios, peut-être à la suite d’Hérodoros, situe pour sa part sa tombe à Nysa, à la frontière entre Égypte et Syrie).
L’emploi d’une glôssa lydienne (palmus) pour désigner le « roi » des immortels qui punit ici Typhon et les Cercopes peut faire allusion aux liens entre Typhon et la Lydie. Que Typhon soit mentionné sous son nom, sans recherche de cryptage, en fait un cas assez exceptionnel dans l’Alexandra. Cette précision nous laisse entrevoir la diversité des traditions relatives aux Géants – diversité telle que Lycophron consent ici à préciser à ses lecteurs l’identité du Géant dont il parle.
• Alexandra, 825
ἐπόψεται μὲν πρῶτα Τυφῶνος σκοπάς
(Ménélas) verra d’abord les hauteurs de Typhon
Ce vers concerne les errances de Ménélas cherchant Hélène, d’abord en Cilicie.
• Alexandra, 1351–1361
(traduction Chauvin/Cusset modifiée)
Αὖθις δὲ κίρκοι, Τμῶλον ἐκλελοιπότες
Κίμψον τε καὶ χρυσεργὰ Πακτωλοῦ ποτὰ
καὶ νᾶμα λίμνης, ἔνθα Τυφῶνος δάμαρ
κευθμῶνος αἰνόλεκτρον ἐνδαύει μυχόν,
Ἄγυλλαν Αὐσονῖτιν εἰσεκώμασαν,
δεινὴν Λιγυστίνοισι τοῖς τ'ἀφ'αἵματος
ῥίζαν γιγάντων Σιθόνων κεκτημένοις
λόγχης ἐν ὑσμίνῃσι μίξαντες πάλην.
εἷλον δὲ Πῖσαν καὶ δορίκτητον χθόνα
πᾶσαν κατειργάσαντο τὴν Ὄμβρων πέλας
καὶ Σαλπίων βεβῶσαν ὀχθηρῶν πάγων.
Par la suite, des faucons laissèrent le Tmôlos, Cimpsos et les eaux douces aurifères du Pactole et l’onde du lac où l’épouse de Typhon dort aux tréfonds cachés de sa terrible couche, et firent irruption dans Agylla l’ausonienne, pour se mêler aux Ligures et à ceux qui tiennent leur racines du sang des Géants sithoniens, dans une terrible lutte et dans la mêlée du fer de lance ; ils prirent Pise et dominèrent tout le sol conquis qui jouxte les Ombriens et les pitons escarpés des Salpiens.
Après l’expédition d’Héraclès contre Troie, l’Asie riposte en envoyant des « faucons » venus de Lydie qui vont conquérir un territoire s’étendant d’Agylla (Caéré) aux pitons des « Salpiens » (s’agit-il de Salpi/Salapia ou des Alpes comme le veulent les scholies et plusieurs commentateurs modernes ?).
Lycophron semble ici revenir à l’idée d’une origine lydienne des Étrusques, alors qu’il les rattachait, aux v. 1245-1249, à la Mysie par l’intermédiaire de Tarchon et Tyrsènos. L’ancrage lydien de ce nouveau passage consacré aux origines des Étrusques (le Tmôlos est l’actuel Boz-Dagh, mont lydien où se trouvent les sources du Pactole ; le Cimpsos est compris par les scholiastes comme désignant une localité lydienne) fait qu’il semble imprudent d’identifier les « faucons » avec les Téléphides Tarchon et Tyrsènos : il pourrait ici s’agir d’une migration plus ancienne de Lydiens (menés peut-être, comme le suggèrent les scholies, par Lydos et Tyrsênos ou Tyrrhênos, fils du roi de Lydie Atys) qui se seraient ensuite mêlés aux Mysiens qui accompagnaient les fils de Télèphe.
Le lac du v. 1353 serait le lac gygéen (λίμνη Γυγαίη) ; l’épouse de Typhon est Échidna, à la couche funeste car elle donna le jour à plusieurs monstres (Cerbère, l’Hydre de Lerne et la Chimère d’après HÉS. Th. v. 295-332). « Ceux qui tiennent leur racines du sang des Géants sithoniens » sont les Pélasges qui passent pour descendre des Géants. La Sithonie, l’une des péninsules de la Chalcidique située entre l’Athos et la Pallènè, est associée aux « êtres nés de la terre » aux v. 127 et 1406-1408. Dans ce passage, les Étrusques, venus de la patrie de Typhon, se battent contre les Pélasges, autre peuple associé à des Géants.
• Alexandra, 1404–1408
(traduction Chauvin/Cusset modifiée)
Τῷ πᾶσα Φλεγρὰς αἶα δουλωθήσεται
Θραμβουσία τε δειρὰς ἥ τ'ἐπάκτιος
στόρθυγξ Τίτωνος αἵ τε Σιθόνων πλάκες
Παλληνία τ'ἄρουρα, τὴν ὁ βούκερως
Βρύχων λιπαίνει, γηγενῶν ὑπηρέτης.
par lui [= Midas], toute la terre de Phlégra sera asservie, la chaîne thrambousienne, l’éperon côtier du Titon, les plaines des Sithôniens, le terroir pallénien, que le Brychon aux cornes de bœuf féconde, serviteur des Fils de la Terre.
Cassandre évoque à nouveau ici l’une des nombreuses manifestations du conflit entre Europe et Asie : Midas venge ses « frères » troyens en envahissant la Thrace et la Macédoine : cf. Hdt 8, 138 et Nicandre , Géorgiques, fr. 74 Gow-Scholfield. La chorographie que Lycophron associe aux conquêtes de Midas est celle de la Chalcidique : Phlégra (cf. Alexandra, v. 115) est l’ancien nom de la péninsule de Pallène, l’une des trois péninsules de la Chalcidique (avec celle du mont Athos, et, au centre, la Sithonie désignée ici par la référence aux « plaines des Sithoniens »). Thérambôs (Thrambous ?) est une ville de la Pallènè, au sud-est de Phlégra (cf. Hdt VII, 123), le Titôn un mont de Chalcidique. Brychon est un fleuve de la péninsule de Pallènè.
1.1.5. Théocrite
• Idylles, 7, 10-11
... οὐδὲ τὸ σᾶμα
ἁμῖν τὸ Βρασίλα κατεφαίνετο,
... et nous n'étions pas encore arrivés en vue du tombeau de Brasilas
Les scholies à ce passage de Théocrite confondent à tort Brasilas avec le Lacédémonien Brasidas. Brasilas est une figure mythologique de Cos dont le tumulus se situe sur la route des protagonistes de l’Idylle 7 (pour une proposition d’identification du tumulus de Brasilas avec le Meso Vouno, voir Arnott 1979). Spanoudakis 2011 estime qu'il pourrait s'agir d’un Géant de Cos et sans doute de l’un des Méropes. Son nom peut être rapproché de βράσσειν ce qui ferait de lui le « Lanceur de pierres ». Spanoudakis 2011, p. 192-193, ajoute : « For the poetics and metapoetics of Idyll 7 it is worth observing that soon after a reference to the spring Bourina, heavy with « positive » metapoetic symbolism, the programmatic « absence » of Brasilas’ tomb, in all probability a monument dedicated to a Giant, now serving as a point of « orientation », would imply the « invisibility » of themes and poems dealing with old-time Giants. The reference would gain much in sharpness if epichoric epic of the Meropis type featured Brasilas in battling action ».
• Idylles, 7, 45–46
ὥς μοι καὶ τέκτων μέγ'ἀπέχθεται ὅστις ἐρευνῇ
ἶσον ὄρευς κορυφᾷ τελέσαι δόμον Ὠρομέδοντος,
Car, en vérité, le charpentier qui chercherait à construire une demeure égalant, par sa hauteur, la cime de l’Oromédon me serait tout à fait antipathique !
Lycidas évoque ici, dans un passage programmatique et où il est question de la manière de composer un chant ou un poème, le mont Ôromédon de Cos. Ce mont a pu être nommé d’après le géant Ôromédon. Or, c’est bien l’idée de gigantisme et celle d’une ambition poétique démesurée que Lycidas critique ici.
1.1.6. Posidippe de Pella
• Épigrammes 19 et 20 A.-B.
μὴ] λόγιcαι μεγάλην τò[αύτη]νò πόcα κύμα[τα λᾶαν
τη]λ̣òοῦ μαινομένηc ἐξ[εφόρηc]εòν ἁλόc·
τή]ν̣òδε Ποcειδάων βρι̣α̣[ρῶc ἐδ]όνει καὶ ἀπ[οκλὰc
ῥίμφ']ἐφ'ἑνὸc cκληροῦ κ[ύματο]cò ἐξέβαλεν
ἡμι]πλεθραίην ὤcαc προ̣[τὶ τ]ἄ̣cτεα πέτρην,
τοῦ Πολυφημείου cκαιοτέρην θυρεοῦ·
οὐκ ἄν μιν Πολύφημοc ἐβάcταcε, cὺν Γαλατείαι
πυκνὰ κολυμβήcαc αἰπολικὸc δύcερωc·
οὐδ'Ἀνταίου ὁ γυρὸc ὀλοίτροχοc, ἀλλὰ τριαίνηc
τοῦτο Καφηρείηc τειρατοεργὸν ἁλόc·
ἴcχε, Ποcειδᾶον, μεγάλην χέρα καὶ βαρὺ κῦμα
ἐκ πόντου ψιλὴν μὴ φέρ'ἐπ'ἠϊόνα·
τετρακαιεικοcίπηχυν ὅτ'ἐκ βυθοῦ ἤραο λᾶαν,
ῥεῖα καταμήcειc εἰν ἁλὶ νῆcον ὅλην.
Ne calcule pas combien il a fallu de vagues pour éloigner cette grande roche de la mer furieuse ; Poséidon l’a brandie avec force et, après l’avoir brisée, il a vivement projeté ce roc d’une demi-plèthre à l’aide d’une violente lame et il a précipité vers les cités cette pierre plus funeste que le portail de Polyphème ; Polyphème, le chevrier qui ne savait aimer, n’aurait pas su la soulever, lui qui plongea souvent pour suivre Galatée. Ce bloc arrondi ne pouvait pas non plus convenir à Antée : non, ce prodige de la mer de Caphérée est l’œuvre du trident. Retiens, ô Poséidon, ta puissante main, et ne mène pas sur un rivage sans défense la lourde vague arrachée à la mer. Puisque tu as soulevé une pierre de vingt-quatre coudées pour la tirer des abysses, tu n’auras pas de peine à abîmer dans les eaux une île entière.
ὡc πάλαι ὑψηλὴν Ἑλίκην ἑνὶ κύματι παίcαc
πᾶcαν ἅμα κρημνοῖc ἤγαγεc εἰc ἄμαθον,
ὥc κ'[ἐ] π'Ἐλευcῖνα πρηcτὴρ ἑκατόγγυοc ἤρθηc
εἰ μὴ Δημήτηρ cὴν ἐκύνηcε χέρα·
νῦν δέ, Γεραίcτι'ἄναξ, νήcων μέτα τὴν Πτολεμαίου
γαῖαν ἀκινήτην ἴcχε καὶ αἰγιαλούc.
De même que jadis tu frappas d’une seule vague la haute Héliké et que tu la réduisis, elle et ses falaises, à un tas de sable, de même tu te serais dressé contre Éleusis, sous la forme d’un ouragan à cent bras, si Déméter n’avait déposé un baiser sur ta main ; mais maintenant, ô seigneur de Géræstos, ne permets pas que tremblent la terre de Ptolémée, avec ses îles, ou que tremblent les rivages.
Ces deux textes (dont certains commentateurs pensent qu’ils n'en forment qu’un seul) figurent à la suite l’un de l’autre dans les lithika de Posidippe de Pella (poèmes sur les pierres, qui constituent la première section du recueil de Milan). L’imagerie de la gigantomachie est présente, aux côtés d’autres mythes, à l’esprit de Posidippe. Le poète évoque, soit par les noms mythologiques qu’il emploie, soit par un jeu de références intertextuelles, aussi bien les figures d’Antée et de Polyphème que celles d’Hector (comparé, dans l’Iliade, à une roche funeste dévalant une pente : Il. XIII, 137) ou d’Amycos (par le biais d’une « window-allusion » à l’Idylle 22 de Théocrite qui joue, tout comme Posidippe, sur le modèle homérique d’Il. XIII, 137). Par ailleurs, la description de la lourde roche projetée par Poséidon peut faire songer à Nysiros (d’autant que Cos est l’île natale de Ptolémée II qui est directement évoqué dans le texte 20 A.-B.), mais l’ancrage eubéen de l’épigramme et la mention des Gyres permet d’introduire, de manière implicite ou explicite, deux autres modèles de « géants », l’un réel et l’autre métaphorique. En effet, l’invocation à Poséidon pris comme seigneur de Géræstos évoque la figure du Cyclope Géraistos dont Vian 1952b a voulu faire l’un des géants des passes, associé au Sud de l’Eubée. Le culte de Poséidon Géræstios lie en outre l’Eubée à Cos, où ce culte était vraisemblablement associé à la mémoire de Chalcôdon fils d’Eurypyle (roi des origines qui intéressait évidemment Ptolémée II, le nouveau roi né à Cos) et était encore bien connu à travers l’onomastique (l’onomastique coïenne connaît en effet des noms théophores tels que Gérastis, Géraistis, Gérastiphanès). Si Posidippe songeait à la figure du Géræstos eubéen le rapprochement proposé avec Polyphème montre que le poète savait qu’il s’agissait d’un Cyclope. Par ailleurs, l’emploi du mot gyros et la localisation eubéenne montre que Posidippe songe aussi à la figure d’Ajax de Locres et à son naufrage qu’une partie de la tradition situait près du cap Caphérée. Plusieurs textes de l’époque impériale assimilent Ajax mourant à un Géant écrasé sous les gyres projetées par Poséidon. On a souvent dit que ces textes montraient l’existence d’une gigantomachie hellénistique imitée par les descriptions impériales de la mort d’Ajax de Locres. Le texte de Posidippe semble montrer que l’assimilation entre la mort d’Ajax et celle d’un géant (Géraistos ?) était en réalité déjà établie au début de l’époque hellénistique.
La comparaison avec l’épigramme 17 A.-B. (épigramme sur l’aimant) montre par ailleurs que Posidippe a également à l’esprit, lorsqu’il assemble ses lithika, des traditions égyptiennes relatives à Typhon-Seth. On peut dès lors se demander si l’allusion à Hélikè (cité submergée par un raz de marée) ne doit pas évoquer également la constellation Hélikè (la Grande Ourse) qui correspond, dans la σφαῖρα égyptienne, à la Cuisse de Seth. Le πρηστὴρ ἑκατόγγυος (ouragan aux cent bras) qui renverse la cité d’Hélikè et menacerait l’Égypte sans l’action secourable d’Isis-Déméter (ici représentée par jeu de mots comme une déesse philadelphe qui embrasse son frère) évoque en effet l’image de Typhon.
1.1.7. Callimaque
• Hymne à Zeus, 3
Tradition indirecte : Πηλαγόνων ἐλατῆρα
Mss : Πηλογόνων ἐλατῆρα
Tradition indirecte : chasseur des Pélagoniens [= les Titans ou un peuple de Péonie] ; Mss : chasseur des êtres nés de la boue [= les Géants].
Les scholies interprètent πηλoγόνων comme « Géants » (παρὰ τὸ ἐκ πηλοῦ γενέσθαι — du fait qu’ils sont nés de la boue).
• Hymne à Artémis, 264–265
μηδέ τινα μνᾶσθαι τὴν παρθένον (οὐδὲ γὰρ Ὦτος,
οὐδὲ μὲν Ὠαρίων ἀγαθὸν γάμον ἐμνήστευσαν),
Et que personne ne prétende épouser la vierge (car ni Ôtos, ni Orion n’ont obtenu, par leurs prétentions, un bon mariage),
• Hymne à Délos, 133–149
εἶπε καὶ ἠρώησε μέγαν ῥόον, ἀλλά οἱ Ἄρης
Παγγαίαου προθέλυμνα καρήατα μέλλεν ἀείρας
ἐμβαλέειν δίνῃσιν, ἀποκρύψαι δὲ ῥέεθρα·
ὑψόθε δ'ἐσμαράγησε καὶ ἀσπίδα τύψεν ἀκωκῇ
δούρατος· ἡ δ'ἐλέλιξεν ἐνόπλιον· ἔτρεμε δ'Ὄσσης
οὔρεα καὶ πεδίον Κραννώνιον αἵ τε δυσαεῖς
ἐσχατιαὶ Πίνδοιο, φόβῳ δ'ὠρχήσατο πᾶσα
Θεσσαλίη· τοῖος γὰρ ἀπ'ἀσπίδαος ἔβραμεν ἦχος.
ὡς δ', ὁπότ'Αἰτναίου ὄρεος πυρὶ τυφομένοιο
σείονται μυχὰ πάντα, κατουδαίοιο γίγαντος
εἰς ἑτέρην Βριαρῆος ἐπωμίδα κινυμένοιο,
θερμάστραι τε βρέμουσιν ὑφ'Ἡφαίστοιο πυράγρης
ἔργα θ'ὁμοῦ, δεινὸν δὲ πυρίκμητοί τε λέβητες
καὶ τρίποδες πίπτοντες ἐπ'ἀλλήλοις ἰαχεῦσιν,
τῆμος ἔγεντ'ἄραβος σάκεος τόσος εὐκύκλοιο.
Πηνειὸς δ'οὐκ αὖτις ἐχάζετο, μίμνε δ'ὁμοίως
καρτερὸς ὡς τὰ πρῶτα, θοὰς δ'ἐστήσατο δίνας,
Il [= le Pénée] dit et retint vivement son cours immense, mais Arès avait déraciné les crêtes du Pangée et les brandissait, s’apprêtant à les jeter dans l’onde et à ensevelir son cours ; le grondement d’Arès résonnait depuis la cime : il frappa son bouclier de la pointe de sa lance et celui-ci fut parcouru d’une vibration toute martiale ; le massif de l’Ossa trembla, avec la plaine de Crannôn et les sommets du Pinde où soufflent les rafales et toute la Thessalie de danser de terreur ! Tel était en effet le son que son bouclier faisait retentir ! C’est ainsi que vibrent tous les replis du mont Etna que le feu emplit de fumée quand le Géant souterrain Briarée se tourne sur l’autre épaule, que retentissent les fournaises, et toutes les œuvres d’Héphaïstos, sous l’action de ses tenailles, et que sonnent les chaudrons travaillés au feu et les trépieds lorsque ceux-ci s’effondrent les uns sur les autres. Mais le Pénée ne recula point : il resta aussi ferme qu’au commencement et stoppa net son cours rapide.
Léto a demandé au Pénée de ralentir son cours pour qu’elle y mette au monde les jumeaux. Le Pénée s’apprête au combat pour protéger Léto contre les dieux et la colère d’Héra. Le modèle possible, une gigantomachie (dont Callimaque inverse la situation, puisque c’est ici un dieu – Arès – qui se comporte comme un Géant et qui imite, au passage, Xerxès projetant de barrer le cours du Pénée – Hdt 7, 130), est évoqué dans la comparaison entre Thessalie et Sicile. Cette comparaison est-elle un marqueur d’allusivité ?
On peut notamment se demander si le bouleversersement subi par la Thessalie ne doit pas évoquer, pour le lecteur, les traditions relatives à la formation de la vallée de Tempé et à la Thessalie des origines – traditions liées pour partie au Géant Pélôros.
Plusieurs modèles sont ici convoqués, comme celui d’une danse martiale, mais aussi de la titanomachie, puisque le verbe rare σμαραγέω (perçu comme une onomatopée fortement mimétique par les commentateurs d’Homère) avait déjà été employé par Hes . Th. 679 au sujet du combat contre les Titans.
À ce jour, ce passage constitue la plus ancienne attestation littéraire d’une assimilation de l’hécatonchire Briarée au Géant enfoui sous l’Etna.
• Hymne à Délos, 157–158
Ἶρις ἐπεὶ πάσῃσιν ἐφ'ὑψηλοῖο Μίμαντος
σπερχομένη μάλα δεινὸν ἀπέτρεπεν·
(aucune des îles n’accueille Léto) parce qu’Iris, profondément irritée contre toutes, les en dissuadait depuis les sommets du Mimas.
Ces vers situent l’errance de Léto avant la naissance d’Apollon et d’Artémis dans une géographie qui a déjà été redessinée par la gigantomachie.
• Hymne à Délos, 171–176
καί νύ ποτε ξυνός τις ἐλεύσεται ἄμμιν ἄεθλος
ὕστερον, ὁππόταν οἱ μὲν ἐφ'Ἑλλήνεσσι μάχαιραν
βαρβαρικὴν καὶ Κελτὸν ἀναστήσαντες Ἄρηα
ὀψίγονοι Τιτῆνες ἀφ'ἑσπέρου ἐσχατόωντος
ῥώσωνται νιφάδεσσιν ἐοικότες ἢ ἰσάριθμοι
τείρεσιν, ἡνίκα πλεῖστα κατ'ἠέρα βουκολέονται,
Et voici qu’arrivera un combat qui nous sera commun [= au locuteur (= Apollon prophétisant dans le ventre de sa mère) et à Ptolémée II], un jour, dans l’avenir, où dressant contre les Grecs le coutelas barbare et l’Arès des Celtes, des Titans puînés venus d’Extrême-Occident s’élanceront, semblables à des flocons de neige et aussi nombreux que les constellations lorsque celles-ci paissent dans le ciel comme un troupeau très dense.
Ὀψίγονοι Τιτῆνες suggère que les Galates sont des Géants (compris comme des Titans de deuxième génération, i.e. des Titans remplaçant les Titans). Ce passage constitue probablement une allusion à Antimaque, Thébaïde, fr. 41a Matthews – évocation (dans le contexte du combat des Sept contre Thèbes, et plus précisément du combat d’Étéocle contre Polynice) d’Aidôneus qui voit le Tartare et les Titans, puis d’âmes peuplant les Enfers qui sont saisies de panique : γηγενέας τε] θεοὺς πρ[οτερηγ]ενέας Τιτῆνας (v. 7 : « et des dieux nés de la terre, les Titans premiers nés » — les Titans sont ici des Géants premiers nés). Ce passage est immédiatement précédé de l’évocation d’un grondement ou encore de la violence d’un cours d’eau (βέβρυκε) et peut-être d’une comparaison avec les feuilles des chênes de la vallée de Tempé (?).
• Hymne pour le bain de Pallas, 5 –12
οὔποκ' Ἀθαναία μεγάλως ἀπενίψατο πάχεις,
πρὶν κόνιν ἱππεῖαν ἐξελάσαι λαγόνων·
οὐδ'ὅκα δὴ λύθρῳ πεπαλαγμένα πάντα φέροισα
τεύχεα τῶν ἀδίκων ἦνθ'ἀπὸ γαγενέων,
ἀλλὰ πολὺ πράτιστον ὑφ'ἅρματος αὐχένας ἵππων
λυσαμένα παγαῖς ἔκλυσεν Ὠκεανῶ
ἱδρῶ καὶ ῥαθάμιγγας, ἐφοίβασεν δὲ παγέντα
πάντα χαλινοφάγων ἀφρὸν ἀπὸ στομάτων.
Jamais Athana n’a purifié ses immenses bras, avant d’avoir chassé la poussière des flancs de ses cavales — pas même quand elle rapportait toutes ses armes éclaboussées du sang sale au retour du combat contre les Géants impies ! Elle s’empressa tout d’abord de libérer leurs nuques du char et de laver dans les courants de l’Océan la sueur et les taches de boue, et elle purgea toute l’écume qui s’était solidifiée autour de leurs gueules mâcheuses de mors.
• Aitia, I, fr. 1 Pf (Réponse aux Telchines), v. 35–36
αὖθι τ]ὸ̣ δ̣'[ἐκ]δύοιμ[ι], τό μοι βάροc ὅccον ἔπεcτι τριγ]λ̣ώ̣[χι]ν̣ ὀλ[οῷ] νῆcοc ἐπ'Ἐγκελά[δῳ].
et que je sois dépouillé (de la vieillesse), elle qui pèse sur moi autant que l’île à trois pointes sur le funeste Encélade !
Callimaque se souvient ici d’EUR. Her. 637 sqq. où un chœur de vieillards chante que la vieillesse lui pèse sur la tête plus que les roches de l’Etna — son vœu sera exaucé dans le Songe où il sera rajeuni. Dans le contexte de la Réponse aux Telchines, le motif de la vieillesse contraste avec l’accusation des Telchines qui disent que Callimaque débite des histoires sans suite, comme un enfant. Par ailleurs, l’adjectif ὀλ[οῷ] appliqué ici à Encélade (« funeste ») rappelle l’emploi au v. 17 du même adjectif (ὀλοόν) appliqué à l’engeance des Telchines, ennemis de Callimaque.
• Aitia, II (?), fr. 119 Pf
.......
[Μηκώνην μακάρων ἕδρανον αὖτιc ἰδεῖν,]
ἦχι π]ά̣λουc ἐβάλ̣[οντο, διεκρίναντο δὲ τιμάc
πρῶτ[α̣ Γιγαντείο[υ δαίμονεc ἐκ πολέμου·
... revoir Mèkônè, demeure des Bienheureux, où les dieux jetèrent leurs sorts et se répartirent pour la première fois les honneurs après la guerre contre les Géants ;
Ce fragment est placé dans la bouche d’un personnage (peut-être Marathon fils d’Épopée) qui souhaite retourner à Mèkônè (ancien nom de Sicyone), cité connue pour ses nombreux lieux de culte et où aurait pris place, d’après le personnage qui s’exprime, une première division des pouvoirs et des attributs que les dieux auraient pratiquée par tirage au sort après une guerre contre des « Géants ».
Il s’agit d’une tradition parfaitement isolée à ce jour et l’on a souvent pensé que Callimaque avait confondu Titans et Géants. Il est sans doute préférable de penser qu’il se réfère à une tradition rare. Le motif de la répartition des pouvoirs peut évoquer différents hypotextes : Il. XV, 185 sqq. où est évoquée la division du monde entre Poséidon, Zeus et Hadès ; Hés . Th. 881 sqq. (division des τιμαί par Zeus lui-même après la Titanomachie) ; CALL. Hymne à Zeus 58 sqq., où Callimaque, adoptant une position qui rappelle la critique des inventions des poètes relatives aux Géants ou à la question de la division des τίυαι dans la République de Platon, nie qu’il y ait jamais eu besoin de répartir les pouvoirs entre les trois frères, puisque la force de Zeus s’est imposée d’elle-même et n’a pas été contestée par les autres dieux (on comprend cependant que le contexte de cet hymne est celui, très particulier, de l’accession au pouvoir de Ptolémée II, le puîné, qui met à l’écart Ptolémée Kéraunos, son aîné).
• Aitia, III, Victoire de Bérénice, fr. 177 Pf = SH 259, v. 5 –9 (indication temporelle concernant la tombée du soir chez Molorchos)
ἀcτὴρ δ'εὖτ'] ἄρ'ἔμελλε βοῶν ἄπο μέccαβα [λύcειν
αὔλιοc [, ὃc δυθμὴ]ν εἶcιν ὕπ' ἠέλίου
]ὡ̣c κεῖνοc Ὀφιονίδηιcι φαείν[ει
~]θεῶν τοῖcι παλαιοτέροιc,
] τηρι θύρην·
Quand l’étoile du berger était sur le point de libérer les bœufs du joug, elle qui surgit au coucher du soleil (...) quand celui-là brille pour les Ophionides, ces dieux anciens entre tous (...) la porte ;
Ces vers évoquent la tradition connue de Phérécyde et d’Euphorion selon laquelle Ophion/Ophioneus aurait été le dieu primordial ; celui-ci se trouverait maintenant aux Enfers où le soleil brille la nuit. Dans la mesure où Euphorion imitateur attentif de Callimaque fait d’Ophion un Géant, on peut s’interroger sur le statut de cette figure chez Callimaque.
1.1.8. Anonyme alexandrin
• SH 958 = PHamb. 381 = Poème historique (hymne ou éloge composé probablement pour Ptolémée II)
.......]c̣ ὑβριcταί τε καὶ ἄφρονεc ἀλλαμ[
insolents et insensés, mais...
Je ne cite ici que le v. 9 d’un fragment de 17 vers provenant d’un poème historique qui évoque le combat d’un roi qui, ayant vaincu des Galates (rudes et robustes) triomphera aisément de Mèdes vivant dans la pourpre et les onguents. Ces deux combats successifs font songer à Ptolémée II qui, dans les années où se révoltaient ses propres mercenaires galates (274–272) – révolte dont il vint à bout par un siège (cf. la « victoire » évoquée par Call. Hymne à Délos, 185–187) –, affronta également Antiochos Ier (= Première guerre de Syrie). Les Séleucides seraient donc ici les « Mèdes » vivant dans le luxe. La caractérisation des Galates comme « insolents et insensés » évoque de près les termes employés par Callimaque dans l’Hymne à Délos et fait songer à une rapide comparaison entre Galates et Géants (les qualificatifs choisis s’appliqueraient tout aussi bien à des Titans ou à des Centaures).
1.1.9. Autre anonyme alexandrin
• Hymne à Zeus (?) = P. Chic. col. VI, v. 12–14
] κ̣αὶ ἀριcτέαc ᾗc παλάμῃcιν
] κ̣ρ̣α̣òτερώτατα φοῖλα γιγάντ[ω]ν
]ω̣ν γένοc ἄγριον ἀνδρῶν
et les plus braves par les mains par lesquelles (...) la tribu très sauvage des Géants (...) race sauvage d’hommes (...)
Je ne cite ici que les trois vers concernant les Galates/Géants qui figurent au sein d’un hymne à Zeus qui fut probablement composé pour un roi lagide, peut-être Ptolémée II. Nous ne conservons que 27 vers de cet hymne qui confirme encore une fois que la comparaison entre Galates est Géants était parfaitement convenue dans la littérature alexandrine du IIIe siècle et ne nécessitait pas d’amples développements. Le papyrus qui conserve cet hymne contient en outre un hymne alexandrin à Aphrodite-Arsinoé et un épyllion sur Andromède.
1.1.10. Apollonios de Rhodes
• Argonautiques, I, 503–506 (traduction Vian/Delage)
ἤειδεν δ' ὡς πρῶτον Ὀφίων Εὐρυνόμη τε
Ὠκεανὶς νιφόεντος ἔχον κράτος Οὐλύμποιο ·
ὥς τε βίῃ καὶ χερσὶν ὁ μὲν Κρόνῳ εἴκαθε τιμῆς,
ἡ δὲ Ῥέῃ, ἔπεσον δ'ἐνὶ κύμασιν Ὠκεανοῖο·
Il chantait comment au début Ophion et Eurynomè l’Océanide avaient le pouvoir sur l’Olympe neigeux, et comment ils cédèrent leur charge sous la contrainte de la force de leurs bras, l’un à Cronos et l’autre à Rhéa, et furent précipités dans les flots d’Océan.
La version d’Apollonios diffère de celle (plus isolée ?) retenue par Euphorion où Ophion est un géant adversaire de Zeus.
• Argonautiques, I, 989–1010 (traduction Vian/Delage modifiée)
Un peuple sauvage et hybristès de Gêgènes à six bras habite l’île du Mont aux Ours près des côtes phrygiennes (Arg. I, 936-946). Ils n’attaquent pas les Dolions de Cyzique car ceux-ci sont protégés par Poséidon (I, 951), mais attaquent les Argonautes lors de leur escale à Cyzique. Le combat (qui s’inspire du combat d’Ulysse contre les Lestrygons) montre ces Géants jetant des rochers contre Héraclès, suivant un motif qui rappelle les gigantomachies hellénistiques. Ce combat se trouve déjà chez Hérodore (qui en faisait sans doute l’un des travaux d’Hercule).
Γηγενέες δ'ἑτέρωθεν ἀπ'οὔρεος ἀίξαντες
φράξαν ἀπειρεσίησι Χυτοῦ στόμα νειόθι πέτρῃς,
πόντιον, οἷά τε θῆρα λοχώμενοι ἔνδον ἐόντα.
ἀλλὰ γὰρ αὖθι λέλειπτο σὺν ἀνδράσιν ὁπλοτέροισιν
Ἡρακλέης, ὃς δή σφι παλίντονον αἶψα τανύσσας
τόξον ἐπασσυτέρους πέλασε χθονί· τοὶ δὲ καὶ αὐτοὶ
πέτρας ἀμφιρρῶγας ἀερτάζοντες ἔβαλλον.
δὴ γάρ που κἀκεῖνα θεὰ τρέφεν αἰνὰ πέλοωρα
Ἥρη, Ζηνὸς ἄκοιτις, ἀέθλιον Ἡρακλῆι.
σὺν δὲ καὶ ὧλλοι δῆθεν ὑπότροποι ἀντιόωντες,
πρίν περ ἀνελθέμεναι σκοπιήν, ἥπτοντο φόνοιο
Γηγενέων ἥρωες ἀρήιοι, ἠμὲν ὀιστοῖς
ἠδὲ καὶ ἐγχείῃσι δεδεγμένοι, εἰσόκε πάντας
ἀντιβίην ἀσπερχὲς ὀρινομένους ἐδάιξαν.
ὡς δ'ὅτε δούρατα μακρὰ νέον πελέκεσσι τυπέντα
ὑλοτόμοι στοιχηδὸν ἐπὶ ῥηγμῖνι βάλωσιν,
ὄφρα οἱ ἐνὶ ξυνοχῇ λιμένος πολιοῖο τέταντο
ἑξείης, ἄλλοι μὲν ἐς ἁλμυρὸν ἀθρόοι ὕδωρ
δύπτοντες κεφαλὰς καὶ στήθεα, γυῖα δ'ὕπερθεν
χέρσῳ τεινάμενοι· τοὶ δ'ἔμπαλιν, αἰγιαλοῖο
κράατα μὲν ψαμάθοισι, πόδας δ'εἰς βένθος ἔρειδον,
ἄμφω ἄμ'οἰωνοῖσι καὶ ἰχθύσι κύρμα γενέσθαι.
Mais, arrivant de l’autre côté, les enfants de Gaia se précipitaient de la montagne ; ils obstruèrent, en lançant d’immenses rochers au fond, l’issue du port Chytos qui va vers la mer, tels des chasseurs, disposant un piège pour y enfermer une bête sauvage. Mais, avec les plus jeunes hommes, Héraclès était resté au port, et aussitôt, bandant son arc dont il ramenait la corde en arrière, il en renversa bon nombre à terre, les uns sur les autres. Eux, de leur côté, ils brandissaient des pierres acérées qu’ils lançaient.
C’est qu’une déesse suscitait ces monstres terribles, Héra, femme de Zeus ; car cette lutte était un des travaux réservés à Héraclès. Ralliant leurs compagnons, les autres héros vaillants, ceux qui revenaient de la montagne, avant d’être arrivés à l’endroit d’où ils voulaient observer la mer, commencèrent à mettre à mort les enfants de Gaia, soit à coups de flèches, soit en les accueillant avec leurs lances ; et le combat dura, jusqu’au moment où tous ces assaillants furieux eurent été mis en pièces.
Ainsi, lorsque les bûcherons jettent en longue file sur la pente abrupte d’un rivage les grands troncs d’arbres qu’ils viennent d’abattre à coups de hache, afin que ces arbres, une fois humectés par les flots, se laissent pénétrer par les coins solides ; ainsi, à la suite les uns des autres, les vaincus gisaient étendus, à l’endroit où se rétrécissait le port aux vagues blanches d’écume ; les uns, masse serrée, avaient la tête et la poitrine plongées dans l’eau salée ; le reste du corps, plus élevé, s’étendait sur la terre ferme. D’autres, au contraire, avaient la tête sur le sable du rivage, et leurs pieds s’enfonçaient dans la mer. Les uns et les autres devaient être la proie des oiseaux et des poissons.
• Argonautiques, I, 1165
Ῥυνδακίδας προχοὰς μέγα τ' ἠρίον Αἰγαίωνος
les bouches du Rhyndakos et le grand sépulcre d’Aigaiôn
• Argonautiques, II, 37-45 (traduction de la Ville de Mirmont modifiée)
οὐ δέμας οὐδὲ φυὴν ἐναλίγκιοι εἰσο ράασθαι.
ἀλλ' ὁ μὲν ἢ ὀλοοῖο Τυφωέος, ἠὲ καὶ αὐτῆς
Γαίης εἶναι ἔϊκτο πέλωρ τέκος, οἷα πάροιθεν
χωομένη Διὶ τίκτεν· ὁ δ'οὐρανίῳ ἀτάλαντος
ἀστέρι Τυνδαρίδης, οὗπερ κάλλισται ἔασιν
ἑσπερίην διὰ νύκτα φαεινομένου ἀμαρυγαί
τοῖος ἔην Διὸς υἱός, ἔτι χνοάοντας ἰούλους
ἀντέλλων, ἔτι φαιδρὸς ἐν ὄμμασιν. ἀλλά οἱ ἀλκὴ
καὶ μένος ἠύτε θηρὸς ἀέξετο.
Pour ceux qui les voyaient, rien d’égal dans les deux adversaires : ni la stature, ni la prestance. L’un semblait le fils du funeste Typhon, ou même le rejeton monstrueux qu’autrefois Gaia, dans sa colère contre Zeus, mit au monde ; l’autre, le Tyndaride, était comparable à un astre céleste dont la vive lumière est si belle quand elle resplendit dans les ombres du soir. Tel était le fils de Zeus : un léger duvet poussait encore sur ses joues ; l’éclat de la jeunesse brillait encore dans ses yeux. Mais sa force, son impétuosité grandissaient comme celles d’une bête féroce.
Le nom de Typhon est ici Τυφωεύς. Amycos, adversaire de Pollux, est comparé au Géant. L’un des Bébryces porte en outre le nom de Mimas (Arg. II, 105), ce qui renforce l’impression selon laquelle ce passage imiterait une gigantomachie.
• Argonautiques, II, 1207–1215
Οὐ μὰν οὐδ'ἀπάνευθεν ἑλεῖν δέρος Αἰήταο
ῥηίδιον· τοῖός μιν ὄφις περί τ'ἀμφί τ'ἔρυται
ἀθάνατος καὶ ἄυπνος, ὃν αὐτὴ Γαῖ'ἀνέφυσε
Καυκάσου ἐν κνημοῖσι. Τυφαονίη ὑπὸ πέτρῃ
ἔνθα Τυφάονά φασι Διὸς Κρονίδαο κεραυνῷ
βλήμενον, ὁππότε οἱ στιβαρὰς ἐπορέξατο χεῖρας,
θερμὸν ἀπὸ κρατὸς στάξαι φόνον· ἵκετο δ'αὔτως
οὔρεα καὶ πεδίον Νυσήιον, ἔνθ'ἔτι νῦν περ
κεῖται ὑποβρύχιος Σερβωνίδος ὕδασι λίμνης.
Certes, enlever la toison malgré Aiétès, n’est pas chose facile, tant est redoutable le serpent qui, autour d’elle, veille, sans connaître ni la mort ni le sommeil, lui que Gaia elle-même a enfanté sur les flancs du Caucase, au pied de la roche typhaonienne, où l’on dit que Typhon, frappé par le foudre du Cronide Zeus, alors qu’il avait mis sur lui ses fortes mains, vit couler goutte à goutte de sa tête son sang bouillant : blessé de la sorte, il vint aux monts et à la plaine de Nysa, où, maintenant encore, il gît, englouti sous les eaux du marais Serbonis.
• Argonautiques, III, 230-234 (traduction de la Ville de Mirmont)
καί οἱ χαλκόποδας ταύρους κάμε, χάλκεα δέ σφεων
ἦν στόματ', ἐκ δὲ πυρὸς δεινὸν σέλας ἀμπνείεσκον·
πρὸς δὲ καὶ αὐτόγυον στιβαροῦ ἀδάμαντος ἄροτρον
ἤλασεν. Ἠελίῳ τίνων χάριν, ὄς ῥά μιν ἵπποις
δέξατο, Φλεγραίῃ κεκμηότα δηιοτῆτι.
Le dieu lui avait fait, en outre, des taureaux aux pieds d’airain ; leurs mufles, d’airain eux aussi, exhalaient une flamme terrible. Il avait encore fabriqué une charrue toute d’une pièce et du métal le plus résistant : tous ces dons, en témoignage de sa reconnaissance pour Hélios qui l’avait recueilli sur son char, alors qu’il était épuisé par le combat de Phlégra.
Sur ce passage et une attestation possible du même épisode sur les métopes 13-14 situées sous le fronton est du Parthénon, voir Neils - Reinhold - Sternberg 2015.
• Argonautiques, III, 1225–1227
καὶ τοτ'ἄρ'Αἰήτης περὶ στήθεσσιν ἕεστο
θώρηκα στάδιον, τόν οἱ πόρεν ἐξεναρίξας
σφωιτέρῃς Φλεγραῖον Ἄρης ὑπὸ χερσὶ Μίμαντα·
Et alors Aiétès revêtit sa poitrine de la la cuirasse bien ajustée, dépouille du Phlégraien Mimas qu’Arès lui avait donnée, après avoir tué le Géant de ses propres mains.
1.1.11. Archimélos (épigrammatiste contemporain de Hiéron II de Syracuse)
• Épigramme sur la nef de Hiéron II, v. 5 –10 = Ath. Deipnosoph. 5, 209c
(traduction Lefebvre de Villebrune)
ἢ κορυφαῖς Αἴτνας παρισούμενον ἤ τινι νάσων
ἃς Αἰγαῖον ὕδωρ Κυκλάδας ἐνδέδεται,
τοίχοις ἀμφοτέρωθεν ἰσοπλατές· ἦ ῥα Γίγαντες
τοῦτο πρὸς οὐρανίας ἔξεσαν ἀτραπιτούς.
ἄστρων γὰρ ψαύει καρχήσια καὶ τριελίκτους
θώρακας μεγάλων ἐντὸς ἔχει νεφέων.
Ses flancs, également vastes, ressemblent à ceux des cimes de l’Etna, ou à quelqu’une des Cyclades que la mer Egée renferme dans son sein. Ce sont sans doute les Géants qui ont voulu se frayer ainsi une route pour arriver aux cieux. En effet, ses hunes touchent aux astres, et il a son triple thoracion dans les vastes nuages.
1.1.12. Phaidimos de Bisanthè
Phaidimos est le nom d’un ou plusieurs auteurs hellénistiques, dont un épigrammatiste entrant dans la Couronne de Méléagre et qui est, de ce fait, antérieur à 100 av. J.-C. On suppose en général que le Phaidimos épigrammatiste ne fait qu’un avec le poète élégiaque Phaidimos de Bisanthè (de Macédoine) et avec le Phaidimos auteur d’une Héraclée en plusieurs chants. On ignore le contenu exact de cette Héraclée tout comme la date exacte d’activité de Phaidimos (IIIe s. av. J.-C. selon Gow-Page, mais cette datation est proposée sur le seul critère du « style poétique » des épigrammes de Phaidimos). L’argument le plus probant en faveur d’une datation haute me paraît être le choix d’une certaine polymétrie au-delà de l’emploi du distique élégiaque, trait que Phaidimos partage par exemple avec Léonidas de Tarente. Son épigramme AP 13, 22 (épigramme polymétrique conçue comme un poème votif pour l’Apollon de Schœnos de Béotie) évoque, au v. 1, l’arc par lequel le dieu tua un Géant.
1.1.13. Euphorion
• Thrace, fr. 32 A.-H. /C. = 29 Lightfoot (traduction empruntée à l’édition A.-H./C.)
Τύμβος ὑπὸ κνημοῖσι πολυσχεράδος Μυκόνοιο
... tombe, au pied des montagnes de Myconos riche en galets
On a parfois proposé de voir dans ce fragment une référence au tombeau d’Ajax de Locres ou encore à la tombe des derniers Géants tombés sous les coups d’Héraclès : cf. le proverbe employé par Strabon (10, 5, 9) — πάνθ'ὑπὸ μίαν Μύκονον (tout (mettre) sous une seule Mykonos) — pour parler des auteurs qui rassemblent sous un seul titre des sujets sans unité.
• Fragments de localisation incertaine, 194 A.-H. /C. = POxy 3830 et P. Lond. 142 = 57 Lightfoot ; cf. Schol. AD Il. 8, 479 (traduction empruntée à l’édition A.- H./C.)
fr. 2, col. II
ν̣αίη̣c [καὶ πόντοιο, ἵν'Ἰάπετόc τε Κρόνοc τε
[desunt c. 2 versus]
fr. 3, col. II
Οὐρ]ανοῦ καὶ Γῆc πα[ιδ-
]ηι ὅτι τε νέοc ὤ [ν (;)
]ν· ὁ δὲ Ζεὺc μ [
].βαλὼν α.[
κερ]αυνοῖc καὶ ἀò[cτραπαῖc
]c ἐνεῖρξεν τεεò[
~ ἀρχὴν Κρόνωι.[
]τ.. δ̣ι̣αφέρειν οφει[
την ἀ [π'] αὐτοῦ προcη[γορευ ἡ ἱ
cτορία πάρ' Εὐφορί̣ω̣ν̣ι..[
... de la terre et de la mer où Iapétos et Cronos [Il. 8, 479]
enfants d’Ouranos et de Gé [...]
parce que, étant jeune, [...]
Zeus [...]
ayant lancé [...]
avec des coups de foudre et des éclairs [...]
(il les) enferma [...]
l’empire à Cronos [...]
l’emporter (sur ?) Ophi(on ?) [...]
la (montagne ?) nommée d’après son nom. L’histoire se trouve chez Euphorion.
Γαίης καὶ πόντοιο ἵν' Ἰαπετός τε Κρόνος τε· Διὸς
μεταστήσαντος τὸν πατέρα Κρόνον τῆς βασιλείας,
καὶ τὴν τῶν θεῶν ἀρχὴν παραλαβόντος, Γίγαντες,
οἱ Γῆς παῖδες, ἀγανακτήσαντες, ἐν Ταρτησῷ (πόλις
δέ ἐστιν αὕτη παρὰ τῷ Ὠκεανῷ) μέγαν κατὰ Διὸς
πόλεμον παρεσκεύαζον. Ζεὺς δὲ συναντήσας
αὐτοῖς, καταγωνίζεται πάντας. Καὶ μεταστήσας
αὐτοὺς εἰς Ἔρεβος, τῷ πατρὶ Κρόνῳ τὴν τούτων
βασιλείαν παραδίδωσιν. Ὀφίωνα δὲ τὸν δοκοῦντα
πάντων ὑπερέχειν κατηγωνίσατο, ὄρος ἐπιθεὶς
αὐτῷ τὸ ἀπ'αὐτοῦ Ὀφιώνιον, ἡ ἱστορία παρ'
Εὐφορίωνι.
« de la terre et de la mer où Iapétos et Cronos » : lorsque Zeus eut banni son père Cronos du royaume et se fut emparé du gouvernement des dieux, les Géants, les enfants de Gaia, irrités, organisèrent une grande guerre contre Zeus à Tartessos (c’est une ville près de l’Océan). Zeus leur fit face et les vainquit tous. Et, après les avoir bannis dans l’Érèbe, il donna à son père Cronos de régner sur eux. Quant à Ophion, qui passait pour exceller parmi eux, il le vainquit en jetant sur lui une montagne, qui fut appelée Ophionion d’après lui. Le récit se trouve chez Euphorion.
• Fragments de localisation incertaine, 129 A.-H. /C.= 58 Lightfoot = cf. Schol. AD Il. 14, 295 (traduction empruntée à l’édition A.-H./C.)
Ἥραν τρεφομένην παρὰ τοῖς γονεῦσιν εἷς τῶν
γιγάντων Εὐρυμέδων βιασάμενος ἔγκυον ἐποίησεν·
ἡ δὲ Προμηθέα ἐγέννησεν. Ζεὺς δὲ ὕστερον γήμας
τὴν ἀδελφὴν καὶ γνοὺς τὰ γενόμενα τὸν μὲν
Εὐρυμέδοντα κατεταρτάρωσε, τὸν δὲ Προμηθέα
προφάσει τοῦ πυρὸς δεσμοῖς ἀνήρτησεν. Ἡ ἱστορία
παρὰ Εὐφορίωνι.
Eurymédon, l’un des Géants, fit violence à Héra quand elle était élevée auprès de ses parents, et la rendit enceinte ; elle mit au monde Prométhée. Quand il épousa sa sœur plus tard et connut les événements, Zeus précipita Eurymédon dans le Tartare et enchaîna Prométhée sous prétexte qu’il avait volé le feu. Le récit se trouve chez Euphorion.
Eurymédon est nommé comme roi du peuple des Géants dans Od. VII, 58-59 et comme père de Péribée.
• Fragments douteux, 198 A.-H./C. = PBerol. 13873 (Papyrus Schubart, 7), col. I, v. 4 –7 = 108 Lightfoot 129 A.-H. /C. = 58 Lightfoot (long texte très fragmentaire contenant différentes allusions mythologiques attribué à Euphorion par van Groningen)
]τιμνηcτη Περίβοια
].αο δ'ὕòδατα Γάλλου
].πευθέαc Ὠρομέδον[το] c
]ε̣ζ̣η̣ν ταυρώπιδοc Ἥρη[c
]... (comme ?) épouse Péribée
]... les eaux du Gallos
]ne connaissant pas ( ? = ἀπευθέας) Oromédon
]... d’Héra au regard de taureau
Oromédon/Eurymédon est le nom d’une montagne de Cos (voir supra Theocr . Id. 7, 46) et d’un Géant qui aurait essayé de violer Héra (voir supra Euphorion 29 A.-H./C. = 58 Lightfoot = cf. Schol. AD Il. 14, 295).
• Fragment 169 Lightfoot = fragment de localisation incertaine 88 A.-H./C. = Scholie à Denys le Périégète, 64 + fragment douteux 205 A.-H./C. = Scholie à Pindare, Néméennes, 3, 23 (III, p. 48, 13 Drachmann) (traduction empruntée à l’édition A.-H./C.)
Αὗται δὲ πρότερον Κρόνου ἐλέγοντο στῆλαι, διὰ
τὸ μέχρι τῶν τῇδε ὁρίζεσθαι δῆθεν τὴν ἀρχὴν
αὐτοῦ· δεύτερον δὲ ἐλέχθησαν Βριάρεω, ὥς φη-
σιν Εὐφορίων· τρίτον δὲ Ἡρακλέους.
Celles-ci étaient appelées auparavant colonnes de Cronos du fait que son empire à partir de ce moment confinait jusqu’à cette région-ci ; dans un deuxième temps, elles furent appelées « colonnes de Briarée », comme le dit Euphorion ; puis, dans un troisième temps, « colonnes d’Héraclès ».
στῆλαί τ' Αἰγαίωνος ἁλὸς μεδέοντι γίγαντος
et des colonnes à celui qui règne sur la mer du géant Égéon.
1.1.14. Naevius
• Bellum Poenicum fr. 19 Morel
Inerant signa expressa, | quo modo Titani |
bicorpores Gigantes | magnique Atlantes |
Runcus ac Purpureus | filii Terras |
On y avait représenté comment les Titans, les Géants à double forme et les grands Atlantes [= Télamons ?], Runcus et Purpureus [Πορφυρίων] les fils de la Terre
Le nom de Runcus, qui évoque a priori le grec Ῥύγχος (« groin », nom également porté par un mont étolien proche de Stratos), a été interprété par les commentateurs modernes comme une possible traduction de Ῥοῖτος ou Ῥοῖκος.
1.1.15. Nicandre
• Eurôpia fr. 26 Gow-Scholfield (Étienne de Byzance, s.v. Ἄθως) (traduction S. Barbara [Callythea])
Ἄθως, ὄρος Θρᾴκης, ἀπὸ Ἄθω γίγαντος, ὡς
Νίκανδρος πέμπτῳ τῆς Εὐρωπείας·
καί τις Ἄθω τόσον ὕψος ἰδὼν Θρήικος ὑπ'ἄστροις
† ἔκλυεν οὐ δηθέντος ἀμετρήτῳ ὑπὸ λίμνῃ,
† ὃς ἀναποῦν χείρεσσι δύο ῥίπτεσκε βέλεμνα
ἠλιβάτου προθέλυμνα Καναστραίης πάρος ἄκρης.
Athos, montagne de Thrace, qui tire son nom du Géant Athos, comme le dit Nicandre dans le cinquième livre de l’Eurôpia : « et quelqu’un / qui (?), voyant à quelle hauteur culmine sous les étoiles l’Athos de Thrace, a compris / a entendu [...] sous un lac / une mer incommensurable, lui qui [...] de ses deux mains propulsa des rocs déracinés avant le sommet inaccessible du Kanastron ».
Commentaire de S. Barbara (Callythea) : « Si la syntaxe n’est guère compréhensible en quelques points précis, le sens général apparaît aisément : le mont Athos tire son nom d’un géant (cf. Eust. in Hom., Il., 14, 229). Lors de la gigantomachie le géant Athos aurait lancé des rochers pris sur le mont Kanastron, une hauteur de la Pallènè, et Poséidon l’aurait ensuite écrasé sous une montagne à l’emplacement du mont Athos ».
Ce passage imite Callimaque, Hymne à Délos (v. 133-136 : cf. προθέλυμνα « déracinés ») et la description par Apollonios de Talos jetant des rochers sur les Argonautes (4, 1638-1640). Cette notice doit en outre être rattachée à la connaissance par Nicandre de matériaux pseudo-hésiodiques, comme le montre un passage des Thériaques (v. 8-12) qui fait référence à une titanomachie composée par Hésiode.
• Métamorphoses, livre 4, histoire de Typhon – reprise par Antoninus Liberalis, Metamorphoseôn synagogê, 28
Antoninus Liberalis relate la fuite des dieux en Égypte alors que Typhon marche contre Zeus — seuls Zeus et Athéna demeurent pour lui résister. Les autres dieux se métamorphosent en animaux : Apollon en faucon, Hermès en ibis, Arès en poisson à la cuirasse d’écailles, Artémis en chat, Dionysos en bouc, Héraclès en poisson (ou serpent ?), Héphaïstos en bœuf, Léto en musaraigne et les autres dieux en d’autres animaux. Après cela, Zeus frappe Typhon de son foudre ; Typhon, qui brûle, se cache et fait disparaître la flamme dans la mer. Zeus jette alors sur Typhon la plus grande des montagnes, l’Etna, et place, au sommet, Héphaïstos pour le garder. Celui-ci a placé ses enclumes sur la nuque de Typhon et y travaille la braise brûlante.
1.1.16. Antipater de Sidon
• AP 7, 748 (sur un monument attribué à Sémiramis (les murs de Babylone, ou peut-être les jardins suspendus ?) — épigramme placée à tort parmi les pièces funéraires), v. 3–6
ἢ ποῖοι χθονὸς υἷες ἀνυψώσαντο Γίγαντες
κείμενον ἑπταπόρων ἀγχόθι Πληϊάδων
ἀκλινές, ἀστυφέλικτον, Ἀθωέος ἶσον ἐρίπνᾳ
φυρηθὲν γαίης εὐρυπέδοιο βάρος;
Et quels immenses Géants fils de la terre l’ont élevé pour atteindre le voisinage des Sept Pléiades — comme une masse inébranlable et impassible, mêlée (?) d’une vaste surface de terre et aussi haute que la cime de l’Athos ?
Le dernier vers cité est peut-être corrompu (les éditions corrigent parfois φυρηθέν, considérant que le sens des mots qui suivent est que le rempart (?) est un poids pour une vaste surface de terre). La comparaison d’une construction immense aux montagnes entassées par les Géants rappelle le motif employé par Archimélos dans sa description de la Syrakosia.
1.1.17. Théodore (contemporain de Cléopâtre (VII ?))
• SH 751 = Schol. Ap. Rh. Arg. IV, 263–264b
Θεόδωρος δὲ ἐν κβ'ὀλίγῳ πρότερόν φησι τοῦ
πρὸς τοὺς Γίγαντας πολέμου Ἡρακλέους τὴν
σελήνην φανῆναι
Théodore dit, au chant 12 (ou au livre 12 ?), que la Lune est apparue peu avant la guerre d’Héraclès contre les Géants.
Théodore était peut-être aussi l’auteur d’une épopée pour Cléopâtre (SH 752) et de Métamorphoses où il avait notamment traité de l’origine des alcyons (SH 751). On sait seulement qu’il leur prêtait une origine différente de celles indiquées par Ovide et Nicandre, mais il est impossible de savoir s’il en faisait les filles du Géant Alcyoneus (cf. ci-dessous fragment d’Hégésandros de Delphes).
Il est toutefois impossible de déterminer s’il s’agit dans les trois cas du même Théodore puisque ce nom est fort répandu. G. Lachenaud propose par exemple d’identifier le Théodore du fragment sur la Lune et la guerre d’Héraclès avec Théodore de Cyrène (disciple d’Aristippe de Cyrène), auquel cas il serait antérieur au cadre chronologique fixé pour la présente étude. Quoi qu’il en soit, la tradition selon laquelle les Arcadiens existaient déjà lorsque la Lune apparut est connue par Hippys de Rhégion (FGH 554 F 6 –7), Aristote (fr. 591 Rose), Callimaque (fr. 191, 56 Pf), Lycophron (Alex. 482) et Apollonios de Rhodes (Arg. 4, 263-265).
1.2. Poèmes de datation très incertaine
1.2.1. Anonyme élégiaque d’époque hellénistique ou impériale
• SH 966 = POxy 2885, fr. 8, v. 3-4 (pap. du IIe s. ap. J.-C.)
] Ἐ̣γκελάδοιο
]. Χαλύβων
[...] d’Encélade (...) des Chalybes (...)
Nous ne citons ici que deux vers d’une élégie par trop fragmentaire pour être comprise et qui figure dans un recueil ou dans une anthologie d’élégies grecques. Il est certainement question dans cette élégie des forges de l’Etna — ce qui explique la mention d’Encélade. La suite de l’élégie évoque peut-être les démons Trophôniades de Lébadée au v. 8, puis peut-être les pointes (des lances ?) ou des aiguillons, les frontaux de chevaux (ou des résilles) et un objet ou une partie du corps « mêlé(e) » à quelque chose qui la souille ( ?). Il s’agirait donc a priori d’une élégie concernant un combat militaire.
1.2.2. Anonyme auteur d’une Héraclée
Le fragment SH 1166 (Schol. Nic . Ther. 257b) cite deux vers relatifs à un ornement floral qui proviendraient d’une Héraclée, dont on ne sait rien par ailleurs.
1.2.3. Épopée locale anonyme (Méropide)
ἔνθ' ὁ μὲν αλ[...]..εν Μερόπιν κατὰ νη[...] φῦλα
νευρῆι ἔπι ψάλλων — — — —
ἀλλ' οὐκ Ἄcτερον ἰὸc ἐδάμνατο· τρὶς γὰρ ἐπ '[αὐτῶι]
ἧκε διὰ ννευρῆς· τò[ῶι δ'οὐ] χρόα τῆνος ἵκανεν
.[ c]κληρῆc πέτρηc ἔξαλτ[ο χαμᾶ]ζε
δριμὺ βελοc. πικρ[ὸν δ'ἄ] χοc ἔcχεθεν Ἡρακλε̣[ῖα
ὡc] ἴδεν̣ — — — —
κ̣[αί νύ] κεν Ἡρακλεῖα κατέκτ[ανεν,] εἰ μὴ Ἀθήνη
λάβρον [ἐπεβρόν] τηcε διὲγ νεφέων κα[ταβᾶ] cα
πληξαμένηιθε.[ ]δ' ἁπαλὸν χρόα πρό] cθ[ε] θη
Ἡρακλεῖοc ἄνακτ[οc· ὁ δ'εἴ] cιδεν ἄcθματι θυίω̣[ν
γνῶ τε] θεον — — — —
ἔνθ' ὁ μὲν ε [ἰc πλη] θὺν Μερόπων κίεν. ἡ [δὲ δια] πρὸ
αἰχμῆι cτῆθοc [ἔλαccεν.] ὃ δ'̣ ἐ̣ξέχυτ'· οὐ γὰρ [ὁμοῖαι
ἀ] θάναται θνηταῖcι βολ[αὶ κατὰ] γαῖαν ἔαcιν
πρη[μ] νη̣[ ] τηcε, μέλαc δ' ἐπερ{ι} είδ[ετο εὐ] ρὼc
ὀφθαλμοῖc, Ἄϊδόc[δε δ' ἀπή] λυθε θυμὸc ἀναιδήc
καὶ τοῦ [μὲν βού]λευcε πε̣ρ̣ὶ χρόα ῥ̣ι̣ν̣ὸ̣ν̣ [Ἀθήνη]
ἕccαcθαι — — — —
ἔγδε[ιρεν δ' ἄρ'] ἅπαν cκύλος ἄλκομον· [αἶψα δ' ἔ]πειτα
αὐάνθη. τοῦ μὲν.[ ] κατέχευε φέρουcα
.[ ] περὶ cῶμα δ' ἑλιξα[ ἕρ]κοc αὐταῖc cὺν
χ̣[είρεccι καὶ] εὐρήεccι πεδίλοιc
] μηθεῖcα.........[
Alors, il [...] contre l’engeance in[nombrable ?] des Méropes en faisant vibrer la corde de son arc [...] mais sa flèche ne dompta pas Astéros : trois fois en effet elle s’elança contre lui grâce à la corde de l’arc ; mais elle n’atteignait pas la peau [... et] le trait acéré était projeté par terre [comme tombant d’ ?] une roche abrupte. Héraclès fut pris d’un chagrin amer lorsqu’il vit cela [...] et (l’autre) aurait même tué Héraclès, si Athènè n’était pas descendue à travers les nuages en grondant avec violence, frappée (par...) ou en s’étant frappé (...) [...] sa peau délicate [...] devant le seigneur Héraclès ; il la vit [...] par le souffle [...] et comprit que c’était une déesse [...] Puis, il s’avança vers la foule des Méropes ; quant à elle, elle lui transperça la poitrine de part en part avec sa lance. Et lui, de se répandre sur le sol : car les traits divins ne tombent pas à terre comme ceux des mortels. (...) vers l’avant (...), une gangrène noire pesait sur ses yeux, et son cœur insolent se retira dans l’Hadès. Et Athènè décida d’utiliser son mufle pour recouvrir sa peau. Elle écorcha sur toute la surface sa robuste dépouille et celle-ci se dessécha immédiatement après. En la portant, (la déesse) répandit [...] sur (ou de) cette dépouille ; après avoir enrou[lé] autour de son corps le rempart (...) qui comprenait même les mains et les vastes semelles/sandales (?) [...] (e.g.) ornée (ou) coupée (?)
Suivant les commentateurs, la datation de ce fragment d’épopée locale oscille entre le VIe siècle av. J -C. et l’époque hellénistique. Apollodore d’Athènes, qui cite ce poème sans livrer le nom de son auteur, l’attribue à νεωτέρου τινός ce qui pourrait vouloir dire qu’il y reconnaissait une œuvre assez récente. Les arguments avancés par Lloyd-Jones/Parsons en faveur d’une datation au IVe ou IIIe s. av. J.-C. semblent assez convaincants (voir p. 149). On notera l’emploi étrange du terme πεδίλοιc pour évoquer une partie de la dépouille d’Astérion : est-ce le signe que des πέδιλα (peut-être πτερόεντα ? — cf. la communication de P. Linant) intervenaient dans une version de la légende de Pallas antérieure à la Méropide.
Par ailleurs, le mythe narré dans ce poème prend en quelque sorte le contrepied de la tradition — certainement bien présente dans les poèmes qui, au début de l’époque hellénistique, furent composés sous les titres d’Héraclée ou d’Héracléide — selon laquelle Héraclès était venu en aide aux dieux dans leur lutte contre les Géants ou aurait combattu seul les Géants (F. Vian a néanmoins montré que cette tradition de poèmes relatifs à Héraclès est peut-être le contexte où figuraient déjà les gigantomachies archaïques). Le héros est ici menacé par la mort et ne réchappe au terrible Astérion que grâce à l’intervention d’Athéna.
2. Œuvres perdues où il pouvait être question des Géants et de la gigantomachie
Cette liste ne peut être exhaustive. Elle se base sur les indications que nous possédons sur un certain nombre d’œuvres. Il faudrait y certainement adjoindre des compositions liées à des occasions précises (performances dans le cadre d’une fête religieuse, d’un concours ou de la célébration d’une victoire...) et dont nous ne conservons aucune trace, même indirecte. On peut également douter que la connaissance de ces œuvres perdues ait beaucoup perduré dans l’Antiquité même. Par définition, le corpus présenté est lié soit au hasard des découvertes papyrologiques, soit à la notoriété durable de certaines œuvres. Par ailleurs, d’autres œuvres célèbres ont pu accueillir des développements sur les Géants sans que leur titre ou les fragments conservés n’imposent cette conclusion (on songe notamment aux compositions consacrées en propre à une déesse ou à un dieu : Artémis, Aphroditè...).
2.1. Chérilos d’Iasos et les auteurs de l’entourage d’Alexandre
On ignore entièrement si ce poète épique de l’entourage d’Alexandre avait utilisé, même ponctuellement, le motif de la gigantomachie. La tradition (cf. PS.- ACRO ad HOR. AP 357) veut qu’Alexandre ait fort peu apprécié ses œuvres : le prince aurait dit qu’il aurait préféré être le Thersite d’Homère plutôt que l’Achille de Chérilos ! Cette anecdote, qui marginalise le poète épique au sein du milieu intellectuel et artistique chargé de célébrer la geste d’Alexandre, est tout à fait caractéristique des difficultés qui s’opposent à toute étude de l’épopée hellénistique (en dehors du cas, exceptionnel, des Argonautiques d’Apollonios). Outre la geste d’Alexandre (SH 333), Choerilos avait pris pour sujet τὴν Ἀθηναίων νίκην κατὰ Ξέρξου (pour lequel il aurait reçu un statère d’or par vers composé : SH 334). Un tel sujet semble bien se prêter à des comparaisons ponctuelles avec les Géants. Tel était peut-être aussi le cas de ses Λαμιακά (sur la guerre lamiaque ?). Aucun élément ne vient, à ce jour, confirmer ou infirmer cette possibilité, mais il n’y a pas plus d’éléments permettant de statuer sur la présence de Géants chez ce poète (qui n’est pas nommé par les modernes comme une source possible sur les Géants) qu’il n’y en a pour Simonide de Magnésie qui s’attachera, plus tard, aux Praxeis d’Antiochos III Mégas.
De même, il se pourrait qu’Anaximène de Lampsaque soit l’auteur d’une épopée sur Alexandre le Grand (SH 45). Agis d’Argos (SH 17), autre poète très critiqué par la postérité, avait sans doute composé une épopée sur Alexandre le Grand qui se finissait sur l’image du prince reçu parmi les dieux par Hercule, Dionysos et les Dioscures. — Le fragment anonyme SH 937 donne peut-être une idée de ce que pouvaient être les compositions de ces auteurs.
2.2. Hermodote
Hermodote est l’auteur d’un éloge d’Antigone le Borgne et peut-être de péans pour Antigone le Borgne et Démétrios Poliorcète (à moins qu’il ne faille les attribuer à un certain Hermocléos). De tels péans sont aussi attribués à Hermippe de Cyzique. On peut se demander si ces péans exploitaient l’imagerie de la gigantomachie comme le faisait le péplos panathénaïque où furent brodés, parmi les Olympiens vainqueurs des Géants, les portraits de Démétrios Poliorcète et d’Antigone (DS 20, 46 ; PLUT. Dem. 10, 12).
2.3. Diotime d’Adramyttium
Diotime, grammairien, auteur d’épè et épigrammatiste apprécié d’Aratos, est l’auteur d’une Héraclée (Ἡράκλεια) et de Travaux d’Hercule (Ἡρακλέους Ἆθλα — mais s’agit-il d’une œuvre différente de la précédente ?). Il y évoquait les travaux d’Héraclès et l’aventure des Cercopes, mais on ignore s’il y était aussi question de la gigantomachie. On ignore en outre l’ampleur de cette (ou ces) œuvre(s).
2.4. Aratos de Soles
Aratos composa des œuvres pour Antigone II Gonatas (éloges ou hymnes) et l’on peut se demander si ces œuvres dont il ne subsiste aujourd’hui que le titre incluaient ou non des références à ses victoires sur les Galates et s’il avait exploité une comparaison entre Galates et Géants, comme le fit Callimaque dans son Hymne à Délos.
2.5. Callimaque
• Galatée
Les fr. 378 et 379 Pf proviennent d’une composition en hexamètres aujourd’hui perdue et intitulée Galatée. Les Galates descendraient, d’après Timée (FGrHist 566 F 69), de l’union de Polyphème et de Galatée ; Callimaque, qui évoque l’incursion des Galates en Grèce propre dans le fr. 379 Pf se référait sans doute à cette tradition. Même s’il paraît légitime de supposer que le parallèle entre Galates et Géants était exploité dans ce poème, nous ne conservons pas les passages correspondants.
Le fragment de provenance incertaine 592 Pf évoque Pallas, déesse “Pronaia” de Delphes. Entre autres hypothèses, Pfeiffer a suggéré que ce fragment pouvait concerner l’intervention secourable d’Athéna lors de l’attaque des Galates.
2.6. Callimaque le Jeune (neveu de Callimaque de Cyrène)
• Sur les îles
Le neveu de Callimaque avait composé un poème en hexamètres Sur les îles (SH 309) dont aucun fragment ne subsiste. Ce poème a pu inclure des traditions relatives aux Géants, même si rien ne permet à ce jour de l’affirmer avec certitude.
2.7. Rhianos
• Héracléia
Rhianos de Crète était l’auteur d’une Héracléia, en 4 ou 14 chants (?) — poème épique consacré à la figure d’Héraclès. Il paraît probable que les combats d’Héraclès contre les Géants y aient figuré, même si aucun des fragments qui subsistent ne permet de confirmer cette hypothèse. Rhianos était par ailleurs l’auteur d’épopées ethnographiques (Thessaliaka par exemple) et historiques (les Messèniaka, sur la seconde guerre de Messénie). On peut imaginer des allusions ponctuelles aux Géants dans l’une ou l’autre des ces œuvres.
2.8. Simonide de Magnésie
Simonide de Magnésie (SH 723 = Souda, s.v. Σιμωνίδης), probable contemporain d’Antiochos III Mégas, est souvent cité dans les études du XXe siècle comme l’auteur possible d’une gigantomachie hellénistique. En réalité rien n’appuie cette idée, si ce n’est le fait que ce poète aurait composé, d’après la Souda, des Πράξεις d’Antiochos III Mégas (à moins qu’il ne s’agisse de celles d’Antiochos Ier) et surtout un écrit concernant une victoire d’Antiochos Ier sur les Galates (τὴν πρὸς Γαλάτας μάχην, ὅτε μετὰ τῶν ἐλεφάντων τὴν ἵππον αὐτῶν). S’il est probable que le parallélisme avec la gigantomachie ait été exploité par ce poète, le témoignage de la Souda n’évoque nullement une œuvre mythologique, mais une œuvre qui entendait d’abord évoquer des événements historiques.
2.9. Hégésianax d’Alexandrie de Troade
Hégésianax aurait récité des poèmes en l’honneur d’Antiochos III lors d’un banquet agrémenté d’une danse en armes effectuée par le roi et ses philoi (SH 464 = Athén. Deipnosoph. 4, 155a).
2.10. Musée d’Éphèse
Auteur d’une épopée intitulée la Περσηίς en 9 livres, Musée d’Éphèse a souvent été soupçonné d’avoir composé une gigantomachie. En réalité, le seul témoignage que nous possédons sur lui est celui de la Souda qui, aux côtés de sa Περσηίς signale un ou des εἰς Εὐμένη καὶ Ἄτταλον, c’est-à-dire très probablement un ou des hymnes à Eumène II et Attale II qui pouvaient certainement inclure des allusions ponctuelles à la gigantomachie (SH 561). Quant à la Περσηίς, on peut hésiter sur sa nature : s’agit-il d’un poème sur Persée ou d’une épopée historique sur les guerres contre les Perses (comme les Περσικά de Choerilos de Samos par exemple ?) ?
2.11. Arrien
Arrien (SH 207–210) est l’auteur, d’après la Souda, d’une Alexandriade (24 rhapsodies constituant une épopée historique sur les conquêtes d’Alexandre le Grand) et de poèmes Pour Attale. On ignore toutefois de quel Attale il s’agit et le contenu précis de ces poèmes probablement pensés comme des hymnes ou des éloges.
2.12. Nicandre
Nicandre est l’auteur d’un Hymne à Attale (Attale III ?) : cf. fr. 104 Gow – Scholfield.
2.13. Parthénios
Parthénios de Nicée (qui mentionne Ôgenos, l’Océan orphique, dans le fr. SH 621) a composé un Héraclès (SH 631–634), ainsi qu’un Προπεμπτικόν où il était question de Côrycos et de l’antre corycien (SH 639). Le fragment conservé (ÉT. BYZ., s.v. Κώρυκος) suggère qu’il y était question des nymphes coryciennes et l’on ignore si Parthénios se référait aussi à la tradition qui liait cet antre à Typhon (voir aussi SH 641).
2.14. Calvus
Lyne, dans son commentaire à la Ciris, souligne certaines incohérences de la description initiale d’un péplos représentant une gigantomachie et estime que ces incohérences sont liées au fait que l’auteur de la Ciris imite de près, dans ces vers, un modèle qui traitait un sujet similaire. Lyne rassemble des arguments qui tendent à montrer que la source de l’auteur de la Ciris pourrait être, dans ce passage initial, l’Io de Calvus.
2.15. Poèmes de datation incertaine
Plusieurs fragments de différents Persivka anonymes ont été retrouvés, mais aucun ne contient à ce jour d’allusion aux Géants (SH 904 et peut-être SH 928 (qui contient des comparaisons mythologiques), 937 (qui fait intervenir Zeus), 950).
3. Prosateurs (choix limité de notices représentatives)
Des notices sur les Géants figuraient sans doute dans les œuvres des grammairiens qui s’étaient attachés à l’étude des poètes archaïques. Le nombre de notices relatives aux Géants que l’on connaît par les scholies à Pindare reflète sans doute ce phénomène.
3.1. Douris
• 76 F 87 Jacoby = Schol. Ap. Rh. Arg. I, 501 (au sujet du vers de la cosmogonie orphique « οὔρεα θ' ὡς ἀνέτειλε, καὶ ὡς ποταμοὶ κελάδοντες » : (il chanta) comment les montagnes surgirent, et comment les fleuves sonores apparurent). Traduction Lachenaud.
οὔρεα Δοῦρίς φησι τοὺς ὑπὸ τῶν Γιγάντων κατενεχθέντας λίθους, τοὺς μὲν εἰς τὴν θάλασσαν πεσόντας γενέσθαι νήσους, τοὺς δὲ εἰς τὴν γῆν ὄρη.
Douris dit que les pierres précipitées par les Géants devinrent en tombant dans la mer des îles et des montagnes en tombant sur la terre.
3.2. Cléanthe
Le stoïcien Cléanthe était l’auteur d’un traité Sur les Géants.
3.3. Callimaque
Callimaque est l’auteur de plusieurs traités qui pouvaient laisser place à des traditions locales concernant un Géant ou un épisode de la gigantomachie (Sur les Îles, Sur les Fleuves...).
• Sur les fleuves d’Asie, fr. 459 Pf = Schol. à Ap. Rh. I, 1165. Le Rhyndakos, fleuve de Phrygie, serait la tombe de Briarée qui était située près de son embouchure. Le contenu précis de la notice de Callimaque sur ce fleuve est inconnu.
3.4. Hégésandros de Delphes
• Περὶ τῶν ἀνδριάντων καὶ ἀγαλμάτων ὑπομνήματα (titre reconstitué)
Ἀλκυονέως τοῦ γίγαντος θυγατέρες ἦσαν [Φθονία], Χθονία, Ἄνθη, Μεθώνη, Ἀλκίππα, Παλλήνη, Δριμὼ, Ἀστερίη. Αὗται μετὰ τὴν τοῦ πατρὸς τελευτὴν ἀπὸ Καναστραίου, ὅ ἐστιν ἄκρον τῆς Πελλήνης, ἔρριψαν αὑτὰς εἰς τὴν θάλασσαν. Ἀμφιτρίτη δ'αὐτὰς ὄρνιθας ἐποίησε, καὶ ἀπὸ τοῦ πατρὸς Ἀλκυόνες ἐκλήθησαν.
Le géant Alcyonée avait des filles : Phthonia, Khthonia, Anthè, Methônè, Alkippa, Pallènè, Drimô, Asteriè. Après la mort de leur père qui fut jeté du Canastraion, promontoire de Pallène, elles se jetèrent dans la mer. Amphitrite les changea en oiseau et elles furent nommées Alcyones, d’après leur père.
La datation exacte de l’œuvre d’Hégésandros est inconnue (le seul élément dont nous disposions est qu’il cite Antigone II Gonatas). Le mythe qu’il évoque ici dans un recueil de notices sur les statues peut suggérer que les Alcyonides étaient le sujet d’un groupe statuaire. Ce mythe correspondant à une variante rare sur l’origine des alcyons a dû se prêter aussi à des traitements poétiques, par exemple dans des Métamorphoses ou dans une Ornithogonie. Voir supra la notice sur Théodoros.
3.5. Apollodore d’Athènes
Apollodore d’Athènes, philosophe et grammairien, a été actif, au moins durant une partie de sa carrière, dans le milieu pergaménien comme l’atteste la dédicace à Attale II de ses Χρονικά (poème didactique sur l’histoire universelle depuis la chute de Troie jusqu’au milieu du IIe s. av. J.-C.). Son intérêt pour les Géants transparaît dans les passages qui dérivent indirectement, chez Cicéron (et probablement par la médiation d’un anonyme épicurien), et peut-être directement, chez Philodème (fragments du Sur la piété), de son Περὶ θεῶν (Sur les dieux). Son œuvre contenait ainsi une notice relative au combat du Géant Pallas contre Athéna et une notice relative à Astérion (citant la Méropis). Voir A. Henrichs, « Philodems “De Pietate” als mythographische Quelle », Cronache Ercolanesi 5, 1975, p. 1 –38.
3.6. Aristonicos (?)
Les Scholia uetera à l’Od. VII, 54 traitent des « Géants » dont Homère fait mention : « Il fait mention des Géants comme de quelque peuple noble et remarquable. Il ne connaît pas ce qu’on trouve chez les auteurs plus récents, à savoir qu’ils étaient monstrueux et qu’ils avaient des pieds de serpents comme les font les peintres ; il ne sait pas non plus qu’ils habitaient Phlégra ou qu’ils firent la guerre aux dieux ».
3.7. Asclépiade de Myrléa
T1 Pagani : Asclépiade a enseigné en Turdétanie et a écrit une périégèse concernant cette région. Sans doute y était-il question des traditions relatives à Tartèssos ?
3.8. Philodème de Gadara
Le Sur la piété contenait des notices sur les Géants dérivant d’Apollodore d’Athènes (voir supra).
Notes de bas de page
1 Ziegler 19882, p. 50-61 ; sur la dimension polémique et le ton quasi pamphlétaire de l’ouvrage de Ziegler, voir l’introduction de M. Fantuzzi à l’édition de 1988.
2 Rhianos, figure citée par Ziegler, est ainsi l’auteur d’une Héracléia en 4 ou 14 livres, mais aussi de Messeniaka et de Thessalika en 16 livres.
3 Cameron 1995.
4 Parsons 1993, p. 170.
5 Note insérée en mai 2015 : le présent article, remis à l’éditeur pour publication en avril 2014, ne tient pas compte d’éventuelles réinterprétations et publications de fragments papyrologiques parues après cette date. Nous signalons, à toutes fins utiles, que Marco Perale annonce une réinterprétation de P. Oxy. LXIX, 4714 (papyrus du IIIe s. ap. J.-C. reproduisant un texte hexamétrique de la fin de l’époque hellénistique ou de l’époque impériale) qui paraîtra dans le premier volume de ses Adespota papyracea hexametra Graeca (à paraître chez De Gruyter, en 2016). Ce fragment, actuellement interprété comme la description d’un combat des Lapithes et des Centaures, pourrait, si l’on suit M. Perale, être réinterprété comme le vestige d’une gigantomachie perdue.
6 Pour l’idée très répandue selon laquelle la Gigantomachie de Pergame constituerait en quelque sorte l’illustration d’un texte poétique perdu, voir par exemple Stewart 1993, p. 153-158 ; Stewart 2000, p. 42 ; Zanker 2004, p. 97.
7 Voir Prioux 2009.
8 Voir Henrichs 1975.
9 Hardie 1989, chap. 2 (Gigantomachy in the Aeneid).
10 Voir Vian 1952a.
11 Lycophron, Alexandra, 1351–1361. L’éventualité d’une référence, dans ce passage, à la bataille de Cumes (475 av. J.-C.) est commentée, dans le présent volume au sein de plusieurs contributions : voir Massa-Pairault, p. 10 ; Pouzadoux, p. 137. Voir aussi la bibliographie antérieure citée par Massa-Pairault 2009, p. 493-505, qui propose pour sa part de reconnaître dans ce passage une référence à l’assaut de Cumes en 525 et qui évoque plus largement la question des éventuelles sources cumaines de Lycophron.
12 Lycophron, Alexandra, 526–529.
13 Lycophron, Alexandra, 175–179.
14 Lycophron, Alexandra, 1404–1408.
15 Apollonios de Rhodes, Argonautiques, II, 37–45.
16 Apollonios de Rhodes, Argonautiques, II, 105.
17 Voir Petrain 2003.
18 Vian 1952b.
19 Voir Vian 1959, p. 83-85 (sur Sénèque et Quintus de Smyrne) ; Degl’Innocenti Pierini 1980, p. 18, 41-42 (sur Accius), Carvounis 2007, p. 249-250 (sur Quintus de Smyrne).
20 Scholies de Vérone à l’Énéide X, 565 = Antimaque, Thébaïde, fr. 14 Wyss = fr. 14 Matthews. Comme le note Matthews 1996, p. 108-109, ce passage a fort bien pu inspirer les comparaisons que Virgile et Stace tracent respectivement entre un guerrier et Aegeon/Briarée.
21 Les rats sont explicitement comparés aux Géants fils de la Terre aux v. 6 et 171. Le v. 283 mentionne la figure d’Encélade. Aux v. 212-214, la grenouille Limnocharis lance une pierre sur la nuque de Troglodyte pour la lui briser.
22 Voir Vian 1952c, 175-180 ; Pagès Cebrian 2009 et 2013.
23 Apollonios de Rhodes, Argonautiques, III, 230-234.
24 Aiétès a reçu en présent la dépouille de Mimas, géant tué par Arès : Argonautiques, III, 1225–1227.
25 Voir toutefois Neils-Reinbold-Sternberg 2015 qui réinterprètent deux métopes du Parthénon comme faisant écho au même épisode : Héphaïstos secouru par Hélios. En ce cas, il faudrait considérer que la tradition utilisée ici par Apollonios était déjà connue dans l'Athènes du Ve siècle.
26 Sur cette contradiction contestée par Pfeiffer dans son édition de Callimaque, voir la synthèse récemment proposée par Harder 2012, II, p. 914-915 (ad loc.).
27 Voir notamment Kirichenko 2012.
28 Platon, Rep. 378 c.
29 Voir Fränkel 1954.
30 Faber 2012.
31 Pour cette hypothèse, voir Lyne 1978, p. 108-109, ad loc. Sur ce même passage, voir aussi Faber 2008.
32 On soulignera cependant que la représentation donnée dans la Ciris présente la particularité de montrer, parmi les Géants, Typhon engagé dans l’action de former un escalier de montagnes vers l’Olympe, à la manière des Aloades (v. 33-34). S’agit-il d’un autre détail signifiant sur le plan métapoétique, mais dont le sens précis nous échappe ?
33 Hegesippus Mecybernaeus FGrHist 391 fr. 1 Jacoby = Étienne de Byzance, s.v. Παλλήνη.
34 Voir la notice le concernant dans le cahier de sources fourni en annexe. Parthénios de Nicée l’utilise à plusieurs reprises comme source pour ses Erôtika pathèmata (Narr. am. 6 et 16).
35 Ce rapport de dépendance est supposé par Jacoby qui souligne que l’une des versions utilisées par Lycophron pour l’histoire d’Acamas et de Laodicè (version qui comprend la mort de leur fils Mounitos en Thrace : Alexandra, 494-503) s’accorde, autant que nous puissions en juger, avec le traitement de ce mythe chez Hégésippe (cf. Parthénios de Nicée, Narr. am. 16).
36 Sur ce point, voir Vian 1952a.
37 Éphore traitait de la gigantomachie de Pallène au livre IV de ses Histoires. Voir l’inventaire des sources et les commentaires de Vian 1952a, p. 10-15.
38 Plutarque, De Alex. Fort. 2, 10 (341e) cité par Vian 1952a, p. 10 : « Que de Typhons, que de Géants n’a-t-il pas combattus ! ».
39 Henrichs 1975, p. 32-33.
40 Cette datation est celle avancée par l’editio princeps de Koenen et Merkelbach en 1976 (P. Coll. Youtie 1, 1 = P. Colon. inv. 5604). C’est aussi la datation retenue par Vian dans Vian-Moore 1988, p. 192.
41 SH 903A, p. 407.
42 Peut-être faut-il souligner, à ce propos, l’emploi étrange du terme πεδίλοις pour évoquer une partie de la dépouille d’Astérion : est-ce le signe que des πέδιλα (peut-être πτερόεντα ?) intervenaient dans une version de la légende de Pallas antérieure à la Méropide ? Sur Pallas, géant ailé, voir, dans ce volume, la contribution de P. Linant de Bellefonds.
43 Sur l’importance de ces réflexions au IVe/IIIe siècles av. J.-C., voir Vian 1952a.
44 SH 958 = PHamb. 381 = Poème historique (hymne ou éloge composé probablement pour Ptolémée II) ; Hymne à Zeus (?) = P. Chic. col. VI, v. 12–14 ; Callimaque, Hymne à Délos, 171–176. Sur ces poèmes, voir les analyses de Barbantani 2001 qui plaide de manière convaincante en faveur de leurs liens avec la célébration du succès de Ptolémée II contre les Galates.
45 Rien ne prouve la présence du motif des Géants dans ces hymnes, mais leur récitation était contemporaine de la présentation aux princes d’un péplos les représentant sous la forme des Olympiens engagés dans un combat contre les Géants : Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, XX, 46 ; Plutarque, Dém. 10, 12.
46 Voir par exemple Hardie 1989, p. 86 ; Barbantani 2001, p. 157.
47 SH 723 = Souda, s.v. Σιμωνίδης.
48 Properce, Élégies, II, 1, 19-20 et 39-40 ; III, 9, 47-48 ; Horace, Odes, II, 12, 5-12 (avec le commentaire de Nisbet-Hubbard 1978, ad loc., p. 189-190) ; Ovide, Amours, II, 1, 11-22 ; Ovide, Tristes, II, 69-76 et 331-332 ; Manilius, III, 5-6 ; Culex 26-36 ; Ciris 29-41. Voir aussi Philostrate l’Ancien, Vie des Sophistes, I, 21 (§ 518), où le fait que Scopélien ait composé une Gigantomachie (Γιγαντία) est expliqué par la μεγαλοφωνία (grandiloquence) de son style. Une thèse consacrée à la prégnance du motif de la gigantomachie dans les recusationes poétiques a été soutenue après le colloque de Naples et la rédaction du présent article : Lechelt 2014.
49 L’idée selon laquelle cette gigantomachie ovidienne aurait réellement existé, reprise par Vian, dans Vian – Moore 1988, p. 193, a été particulièrement défendue par Owen 1924 (comm. ad loc.) ; voir aussi La Ville de Mirmont 1904 (qui songe à une épopée étroitement liée à la propagande augustéenne) et Della Corte 1971. L’existence d’une telle œuvre est aujourd’hui généralement rejetée par les spécialistes d’Ovide : voir par exemple Knox 2009, p. 209.
50 Xénophane fr. 1 West, v. 21-23 : οὔ τι μάχας διέπειω Τιτήνων οὐδὲ Γιγάντων / οὐδὲ < > Κενταύρον πλάσμα<τα> τῶν προτέρων / (…) τοῖς οὐδὲν χρηστὸν ἔνεστιν.
51 Cameron 1995, p. 328-333 ; Prioux 2007, p. 99-107. Sur le rôle joué par Aristophane dans la formation de la pensée stylistique des anciens, voir O’Sullivan 1992.
52 Aristophane, Grenouilles, v. 823-835 : βρυκώμενος ἥσει / ῥήματα γομφοπαγῆ, πιωακηδὸν ἀποσπῶν / γηγεωεῖ φυςήματι.
53 Théocrite, Idylles, 7, 45-48 : ὥς μοι καὶ τέκτων μέγ᾿ ἀπέχθεται ὅστις ἐρευνῇ / ἷσον ὄρευς κορυφᾷ τελέσαι δόμον Ὠρομέδοντος, / καὶ όιςᾶν ὄρνιχες ὅσοι ποτὶ Χῖον ἀοιδόν / ἀντίσ κοκκύζοντες ἐτώσις μοχθίζοντι.
54 Voir aussi Spanoudakis 2011 pour la suggestion selon laquelle les v. 10-11 de ce même poème feraient allusion, avec une intention programmatique, au tumulus d’un autre Géant coïen qui demeure invisible aux yeux des protagonistes de la bucolique, comme si celui-ci n’entrait pas encore dans leur horizon de vue.
55 Voir infra, p. 153-154.
56 Voir la référence à la soierie coïenne qui se confond avec la texture du poème en Élégies, II, 1, 5-6 ; en Élégies III, 9, 44, les éditeurs corrigent généralement, à la suite de Béroalde, l’impossible dure poeta des manuscrits en Coe poeta. Dans les deux cas, la référence à Cos pointe très clairement vers la figure de Philitas.
57 Callimaque, Aitia, I, fr. 1 Pf (Réponse aux Telchines), v. 35–36. Certains commentateurs estiment que cette image du poids pesant sur le poète renvoie au poids de la tradition littéraire : cf. Fantuzzi – Hunter, 2004, p. 75 ; Harder 2012, I, p. 37, 81, 83.
58 Callimaque, Aitia, I, fr. 1 Pf (Réponse aux Telchines), v. 1-6 et v. 17 pour la désignation des Telchines comme « engeance funeste » (ὀλοὸν γένος). On suppose désormais que la querelle des Telchines avait porté, non sur la question des genres littéraires, mais sur l’évaluation de la Lydè d’Antimaque, élégie louée par Asclépiade de Samos pour son caractère auguste, mais daubée par Callimaque pour sa lourdeur. Antimaque est par ailleurs associé dans les traités rhétoriques à la notion de style austère et noble, mais aussi à celle de froideur — or, la froideur correspond à l’un des défauts possibles du grand style, par exemple lorsque celui-ci use avec exagération de l’hyperbole. À la fin du IIe siècle, Antimaque trouve un nouvel admirateur en la personne d’Antipater de Sidon qui loue la noble grandeur de la Lydè (Anthologie Palatine, VII, 409). Le même Antipater est l’admirateur avéré d’œuvres architecturales colossales qu’il associe, avec des connotations positives, à l’image des Géants (Anthologie Palatine, VII, 748).
59 Même si leur ambition paraît se situer de manière privilégiée du côté de la λεπτότης (subtilité, finesse) et de l’ἀκρίβεια (exactitude et précision dans le traitement des détails), les poètes du début de l’époque hellénistique accordent une attention importante aux notions de μέγεθος et de σεμνότης et font parfois l’éloge des œuvres qui parviennent à concilier ces ambitions esthétiques apparemment contradictoires (λεπτότης/σεμνότης ; ἀκρίβεια/μέγεθος). Ce point a été mis en évidence par Prioux 2007, p. 107-113, 2008, p. 238-248 et 2012 et repris par Porter 2011 qui met apparemment sur le même plan les projets de Callimaque et de Posidippe et reconnaît chez ces deux auteurs l’importance du μέγεθος et de la σεμνότης. Contrairement à Porter 2011, je ne pense pas qu’il faille minimiser les différences entre le projet de Callimaque et celui des Telchines (groupe d’adversaires littéraires de Callimaque dont faisaient a priori partie Asclépiade de Samos et Posidippe de Pella) et j’estime que l’un des points de débat qui les oppose tient précisément à la question de l’articulation entre le souci du détail et le bon maniement de la mimesis : la précision du détail est-elle ou non conciliable avec l’ambition de restituer l’image mentale d’une réalité très vaste, voire sublime ? La description du Zeus de Phidias que donne Callimaque dans l’Iambe 6 me paraît démontrer, par l’absurde, l’impossibilité – alors que la statue chryséléphantine de Phidias est connue pour allier grandeur et précision du détail – de concilier, dans une description littéraire de cette statue, l’énumération précise de ses dimensions avec l’ambition de traduire dans les mots la grandeur divine de l’image. À l’inverse, Posidippe semble vouloir montrer, dans ses lithika, qu’il est possible d’allier la description de réalités qui échappent presque à la vision tant elles sont miniatures et l’évocation du sublime de la nature en proie à des « ouragans à cent bras » ou de dieux provoquant un tsunami ou protégeant, au contraire, une terre des tremblements de terre (épigramme 20 A.-B.).
60 Démétrios, Du Style, 115 :... καθάπερ ἐπὶ τοῦ Κύκγωπος λιθοβολούντος τὴν ναῦν τοῦ Οδυσςέως ἔφη τις · Φερομένου τοῦ λίθου αἶγες ἐνέμοντο ἐν αὐτῷ. ἐκ γὰρ τοῦ ὑπερβεβλημένου τῆς διανοίσς καὶ ἀδυνάτου ἡ ψυχρότης. (... par exemple, quelqu’un a dit du Cyclope jetant un rocher sur le navire d’Ulysse « Quand le rocher fut jeté, des chèvres y paissaient » : la froideur est ici due au caractère exagéré et impossible de l’idée.)
61 Sur cette image, voir, dans ce volume, les communications de Hildebrandt, p. 94, 98.
62 Demetr. Du style, 177 ; Calcante 2007, p. 36.
63 Les composés (onomata dipla) sont perçus comme un facteur de grandeur du style selon Démétrios (91), mais il conviendrait au contraire d’éviter les glôssai (96-77) qui peuvent donner l’impression fâcheuse qu’on parle phrygien ou scythe au milieu d’un discours grec (96-97). La présence d’onomata dipla dans les deux textes de Callimaque que nous étudions ici tranche avec sa pratique habituelle : alors que Posidippe, le « Telchine », est particulièrement friand des onomata dipla, Callimaque privilégie pour sa part l’emploi des glôssai.
64 Antimaque, Thébaïde, fr. 41a Matthews : γηγενέας τε] θεοὺςπρ[οτερηγ]ενέας (v. 7) : « et des dieux nés de la terre, les Titans premiers nés ».
65 Voir les éléments de commentaire proposés dans le cahier de sources fourni en appendice.
66 On soulignera que Callimaque prête donc ici à des inanimés le sentiment des animés, ce qui constitue un facteur de grandeur (voir par exemple Démétrios, Du Style, 81).
67 Le verbe rare σμαραγέω (v. 136) fait peut-être allusion à la Titanomachie : il est employé pour le combat des Titans par Hésiode, Théogonie, v. 679. Ce même verbe et ses dérivés éventuels sont perçus par les commentateurs d’Homère comme fortement mimétiques (Eustathe, ad Il. II, 209-210 ; II, 459-464 ; schol. bT ad Il. II, 463c. Posidippe, le contemporain de Callimaque, montre, dans l’épigramme 12 A.-B., qu’il a conscience de commentaires similaires sur l’emploi homérique du terme. Voir Prioux, à paraître.
68 Voir la restitution de West (Τ]έμ[π]η) pour le v. 4 du P. Oxy. XXX, 2518 = Antimaque de Colophon, Thébaïde, fr. 41a Matthews.
69 Dans la Gigantomachie latine (= Claudien, Carmina minora, 52), Porphyrion (v. 114-128) tente de déraciner Délos avec le Cynthe et les nymphes qui crient de terreur.
70 Claudien, Γιγαντομαχία, fr. 2 Zamora, v. 25. Cette iunctura est reprise par plusieurs poètes entre Philitas et Claudien, mais Claudien, qui connaissait très bien la littérature hellénistique, était probablement bien placé pour savoir qu’il s’agissait d’une expression due au poète de Cos. Sur Claudien et la littérature hellénistique, voir Charlet 2013 et Prioux 2013.
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