Chapitre 4. Jugements de valeur portés sur les travailleurs des peaux et du cuir
p. 187-197
Texte intégral
Le faisan au flamant qui s’est endetté en voulant jouer les grands propriétaires terriens : « N’es-tu pas le fils d’un savetier, d’un tanneur ? Ne passais-tu pas ton temps à coudre avec un fil de soie de porc ? […] Tu es bien le fils d’un savetier, d’un tanneur. Il n’y a qu’à te regarder : même quand tu cours, tu gardes l’alêne dans ton bec… »
La pie au martin-pêcheur : « Tu n’es qu’un fils de savetier criblé de dettes qui a dilapidé sa fortune […], vendu son alêne et son tranchet, et qui t’a acheté pour faire de toi son fils aîné. »
Le livre des oiseaux (vers 1345 ?)
1Nous avons vu que la distinction lexicale répartissant en deux familles de métiers les tanneurs et cordonniers semblait opératoire dans la quasi-totalité des occurrences de notre corpus, mais qu’elle ne trouvait de pertinence que si on la faisait avant tout reposer sur une différence de systèmes techniques (de savoir-faire, d’outils et d’équipements, voire d’implantations) et de capitaux. Sans chercher à aller aussi loin, dans notre étude, que le Moyen Âge grec auquel notre épigraphe renvoie – marquant par là-même que certains clichés négatifs ont perduré depuis l’Antiquité –, il nous reste à estimer la réputation dont jouissaient les travailleurs du cuir, d’après les témoignages textuels et iconographiques qui nous sont parvenus, et à chercher à comprendre, si différence de traitement il y a entre les deux métiers, sur quels facteurs elle repose. Cette fois encore, nous sommes tributaires des sources qui, non seulement, focalisent notre attention sur l’Athènes du ive siècle av. J.-C., mais encore nous laissent entrevoir ces jugements à travers deux prismes principaux : celui de l’idéologie élitiste sous-tendant les philosophies platonicienne et aristotélicienne et leur définition de l’artisan, ainsi que celui de l’exagération satirique, qui vise plus à faire rire qu’à porter un jugement moral sérieux sur la société et ses membres. De fait, la rareté d’autres témoignages, en d’autres périodes ou à travers d’autres genres, semble participer davantage d’un désintérêt des auteurs à l’égard de l’artisanat, du travail et du commerce que d’un véritable mépris1. Nous nous interrogerons donc sur la place particulière à accorder aux représentations figurées de cordonniers qui nous ont été transmises et dont la période de production correspond à une fourchette comprise entre 520 et 420.
2À plusieurs reprises dès l’époque classique, tanneurs et cordonniers sont définis dans les textes littéraires par rapport à la notion de technè, savoir-faire spécialisé qui se transmet au cours d’un apprentissage. Aristophane classe les cordonniers et tanneurs, ὁ μὲν γὰρ ἡμῶν σκυτοτομεῖ [...] ὁ δὲ βυρσοδεψεῖ (AR. Pl. 161 et 167), parmi les travailleurs des « arts et industries » (AR. Pl. 160 : τέχναι... καὶ σοφίσματα), à côté des forgerons, des orfèvres, des charpentiers, c’est-à-dire de métiers manuels qui mettent en pratique un savoir-faire (χειροτέχναι, AR. Pl. 533 et 617), une maîtrise très précise des gestes à accomplir. Xénophon prête à Socrate le conseil, auprès de son accusateur Anytos2, de « ne pas enseigner » à son fils, doué intellectuellement et promis aux plus hautes charges de la cité, « les métiers du cuir », οὐκ ἔφην χρῆναι περὶ βύρσας παιδεύειν (XEN. Ap. 29), mais de lui préférer une éducation « libérale ». Le propos reprend ici clairement la hiérarchisation idéologique entre activités de l’esprit et activités manuelles, favorable à celles-là, et confirme que la formation (paideia) de l’apprenti, la transmission de la compétence technique pouvaient se faire au sein même de l’atelier du père, dans les métiers du cuir comme ailleurs, ainsi que l’indique Platon :
[Tu ne saurais réussir] si tu cherchais quel maître pourrait enseigner aux fils de nos artisans le métier de leur père, alors qu’ils ont appris ce métier de leur père lui-même, dans la mesure où celui-ci pouvait le leur enseigner, et de ses amis occupés au même travail, de sorte qu’ils n’ont plus besoin d’un autre maître.
εἰ ζητοῖς τίς ἂν ἡμῖν διδάξειεν τοὺς τῶν χειροτεχνῶν ὑεῖς αὐτὴν ταύτην τὴν τέχνην ἣν δὴ παρὰ τοῦ πατρὸς μεμαθήκασιν, καθ’ ὅσον οἷός τ’ ἦν ὁ πατὴρ καὶ οἱ τοῦ πατρὸς φίλοι ὄντες ὁμότεχνοι, τούτους ἔτι τίς ἂν διδάξειεν (PLAT. Prot. 328a).
3Au iie siècle encore, Micylle, le cordonnier du Songe de Lucien, considère Simon comme son « collègue », doté du « même savoir-faire », τὸν ὁμότεχνον (LUC. Songe 14).
4Toutefois, cette définition de l’artisan n’est pas univoque. En particulier, selon le prisme utilisé, le cordonnier peut être ou totalement méprisé et constituer le paradigme du métier vil dans la pensée philosophique, ou une cible privilégiée dans la littérature satirique, ou encore, au contraire, estimé (pour ne pas dire réhabilité), notamment en regard des préjugés très négatifs et unanimes à l’égard des ouvriers de la tannerie.
5Nous nous proposons de donner un aperçu de ces jugements contradictoires, en les articulant aux réflexions menées sur l’artisan, brossées ici à grands traits, dans la mesure où notre objectif n’est pas d’offrir une synthèse sur cette question (qui connaît elle aussi depuis quelques années des changements de perspective) mais simplement des pistes d’explication aux clichés formulés.
La figure du cordonnier comme paradigme d’un « métier vil » dès l’époque classique
6Dans une conception générale du travail et de l’artisan qui connaît son acmé avec Aristote, les cordonniers sont placés dans les rangs des métiers décriés et vils, et ne méritent que du dédain. Ils sont par ailleurs une cible de choix dans la littérature comique et satirique. D’où provient ce mépris à leur encontre ?
Un métier moralement avilissant
Une forme de servitude et de dépendance à autrui
7Une des explications consiste à poser comme définitoire de sa personne le rapport de servitude que subit le cordonnier, pris comme paradigme de l’artisan dans la réflexion philosophique platonicienne et aristotélicienne.
8Dans un passage de la Politique où Aristote s’interroge sur la vertu des esclaves, il établit un parallèle entre ces derniers et les artisans (dont le cordonnier), peu favorable à ceux-ci :
Nous avons établi que l’esclave est utile pour les besognes indispensables (πρὸς τἀναγκαῖα χρήσιμον εἶναι τὸν δοῦλον) ; il est donc évident qu’il a besoin de peu de vertu (ἀρετῆς δεῖται μικρᾶς), et seulement autant qu’il lui en faut pour ne pas être inférieur à sa tâche par inconduite ou lâcheté (τοσαύτης ὅπως μήτε δι’ἀκολασίαν μήτε διὰ δειλίαν ἐλλείψῃ τῶν ἔργων). Si cette assertion est vraie, on pourrait se demander s’il faut que les artisans (τοὺς τεχνίτας) eux-mêmes aient de la vertu ; car souvent par inconduite ils sont inférieurs à leur tâche (πολλάκις γὰρ δι’ἀκολασίαν ἐλλείπουσι τῶν ἔργων). Mais n’y a-t-il pas ici un cas très différent ? En effet, tandis que l’esclave partage la vie de son maître (κοινωνὸς ζωῆς), l’artisan vit plus éloigné (πορρώτερον) et ne peut avoir de vertu qu’en proportion de sa servitude (ὅσον περ καὶ δουλείας), car l’artisan de l’industrie n’a qu’une servitude limitée (ὁ βάναυσος τεχνίτης ἀφωρισμένην τινὰ ἔχει δουλείαν) ; l’esclave fait partie des êtres dont la condition est naturelle (τῶν φύσει), mais non point le cordonnier ni aucun autre artisan (σκυτοτόμος δ’οὐθείς, οὐδὲ τῶν ἄλλων τεχνιτῶν) (ARIST. Pol. I, 13, 12-13, 1260a).
9Ce texte nous enseigne, si besoin était encore, que tout artisan/cordonnier n’est pas nécessairement un esclave. Par ailleurs, ce qui nous intéresse ici est que l’artisan, qu’il soit esclave dans les faits (par nature) ou non, est considéré comme une personne aliénée à sa tâche de production comme fin en soi, à laquelle il peut se montrer plus ou moins docile mais à laquelle il doit se soumettre s’il veut survivre ; cette servitude, non naturelle mais limitée à son ergon, n’en est donc pas moins avilissante3.
10Dans sa classification toute théorique des activités artisanales, Platon définit de son côté le cordonnier comme le « professionnel (dêmiourgos) des chaussures », ὑποδημάτων δημιουργός... σκυτοτόμος (PLAT. Gorg. 447d). Le terme, qui signifie étymologiquement « celui qui œuvre pour la communauté », renvoie à l’idée de travailler manuellement pour le compte d’autrui contre rétribution et place la question de l’activité artisanale dans une perspective économique. En effet, la dêmiourgia désigne depuis Homère4 et encore dans la pensée philosophique d’alors « l’activité artisanale en tant que sphère d’occupation », un « travail manuel contre salaire et/ou sous contrat5 ». Cela revient à dire que l’homme alors ne s’appartient plus, ne dispose plus de son temps comme il l’entend, mais dépend d’un autre de par le travail qu’il doit effectuer pour lui6. Nous retrouvons ici l’idée précédente de servitude, articulée plus explicitement à l’argent ou à la commande passée par un client.
L’appât du gain
11La critique contre la recherche de gains rencontre un autre argument, qui vient renforcer le portrait moral négatif de certains artisans : ils produisent pour vendre plus cher, spéculent à leur échelle personnelle en vue de s’enrichir :
Les cardeurs, les cordonniers, les menuisiers, les forgerons, les agriculteurs, les commerçants, ceux qui font des échanges au marché et qui se demandent ce qu’ils pourraient vendre plus cher que ce qu’ils ont payé. […] C’est de tous ces gens-là que l’assemblée se compose.
Tοὺς γναφεῖς αὐτῶν ἢ τοὺς σκυτεῖς ἢ τοὺς τέκτονας ἢ τοὺς χαλκεῖς ἢ τοὺς γεωργοὺς ἢ τοὺς ἐμπόρους ἢ τοὺς τῇ ἀγορᾷ μεταβαλλομένους καὶ φροντίζοντας ὅ τι ἐλάττονος πριάμενοι πλείονος [...] Ἐκ γὰρ τούτων ἁπάντων ἡ ἐκκλησία συνίσταται (XEN. Mém. III, 7, 6).
12Deux types de commerce de peaux, l’un de proximité, l’autre sur de longues distances, sont attestés, même superficiellement, dans nos sources, comme nous l’avons vu7. Plus généralement, la langue classique marque une différence nette entre les échanges commerciaux par voie de mer, sur des longues distances (emporos), valorisé parce qu’incertain et surtout utile à la communauté civique en ce qu’il établit un lien entre les cités8, et le commerce local (kapêlia), généralement déprécié en ce qu’il est une « pratique lucrative9 ». Une distinction supplémentaire, bien que moins marquée, qui recoupe ce que nous avons pu dire de l’échelle de la production à domicile, est opérée dans ce commerce de proximité : d’un côté, le petit vendeur autarcique vend ce qu’il a produit lui-même pour répondre à ses propres besoins (autopôlês) ; de l’autre, l’homme qui ne fait que servir d’intermédiaire (kapêlos) et qui est jugé très négativement, dans la pensée philosophique du temps, parce qu’il dépend de la personne auprès de laquelle il se procure sa marchandise et ne recherche que le gain10. C’est de ces derniers que Xénophon fait la critique, et c’est dans cette catégorie qu’il fait entrer le cordonnier, entre autres artisans faisant pourtant simplement valoir ce que nous appellerions la valeur ajoutée du travail. Mais un tel concept n’est pas envisagé alors, et le préjugé à l’encontre des kapêloi est tel qu’on n’hésite pas à les considérer parfois comme des voleurs.
13De fait, nous avons signalé plus haut que la littérature satirique met en scène le thème du cordonnier fraudeur, trompant sans vergogne le client sur la marchandise (AR. Cav. 316-318 et 321), ou encore étirant le cuir avec les dents (LUC. Songe 28, scène que l’on retrouve chez MART. Ep. IX, 73)11. Chez Hérondas, l’accusation va plus loin puisque non content de léser des individus, c’est la cité elle-même que trompe un cordonnier qui, en raison de sa misère et/ou pour tirer un maximum de profit, s’adonne à la fraude fiscale : « il travaille en chambre, pour vendre en cachette, car les agents des contributions font aujourd’hui trembler toutes les portes », κατ’ οἰκίην δ’ ἐργάζετ’ ἐνπολέων λάθρη· | - τούς γάρ τελώνας πᾶσα νῦν θύρη φρίσσει (HER. VI, 63-64).
14Ce jugement globalement défavorable aux travaux salariés est particulièrement développé chez Platon et Aristote, qui les associent par ailleurs étroitement à ceux qui demandent de la force physique et/ou qui nuisent physiquement :
Il y a encore d’autres gens à employer, peu dignes par leur esprit d’être admis dans la communauté (τῆς διανοίας μὴ πάνυ ἀξιοκοινώνητοι), mais qui par leur vigueur physique sont propres aux gros travaux (τὴν τοῦ σώματος ἰσχὺν ἱκανὴν ἐπὶ τοὺς πόνους ἔχ[ου]σιν). Ils vendent l’emploi de leur force (πωλοῦντες τὴν τῆς ἰσχύος χρείαν), et, comme ils appellent salaire (μισθόν) le prix de leur peine, on leur donne, je crois, le nom de salariés (μισθωτοί) (PLAT. Rép. II, 371e).
On doit tenir pour avilissant tout travail, tout art, tout enseignement qui aboutit à rendre le corps, l’âme ou l’intelligence des hommes libres impropre à la pratique et aux actions vertueuses. C’est pourquoi tous les métiers de ce genre qui altèrent l’état du corps, nous les appelons vils, ainsi que les travaux salariés12. Ils rendent, en effet, l’esprit inapte au loisir et le dégradent.
Bάναυσον δ’ἔργον εἶναι δεῖ τοῦτο νομίζειν καὶ τέχνην ταύτην καὶ μάθησιν, ὅσαι πρὸς τὰς χρήσεις καὶ τὰς πράξεις τὰς τῆς ἀρετῆς ἄχρηστον ἀπεργάζονται τὸ σῶμα τῶν ἐλευθέρων ἢ τὴν ψυχὴν ἢ τὴν διάνοιαν. Διὸ τάς τε τοιαύτας τέχνας ὅσαι τὸ σῶμα παρασκευάζουσι χεῖρον διακεῖσθαι βαναύσους καλοῦμεν καὶ τὰς μισθαρνικὰς ἐργασίας (ARIST. Pol. VIII, 2, 4-5, 1337b 8-15).
15De fait, le métier de cordonnier est aussi critiqué comme une activité avilissante physiquement.
Un métier physiquement avilissant
16Les philosophes n’ont pas oublié la question de la pénibilité du travail, le fait qu’il est un « acte physique qui implique physiologiquement son auteur13 ». Chez Aristote, le cordonnier (avec d’autres, comme le charpentier) est inclus dans la catégorie des métiers qualifiés de vils (banausoi)14 pour une autre raison encore : il s’agit toujours de métiers qui consistent en des tâches éprouvantes, exigeant un effort physique qui, répété, aboutit à la déformation du corps, le rendant ainsi inapte aux activités guerrières, civiques ou, plus largement, intellectuelles15.
Un métier vissé au tabouret et à l’établi : ployer l’échine
17Parmi les artisans dont Chrémyle fait la liste dans le Ploutos, seul le cordonnier est décrit dans la position qu’il prend pour travailler, comme s’il s’agissait de l’élément qui le caractérisait : « l’un de nous taille le cuir, assis », ὁ μὲν γὰρ ἡμῶν σκυτοτομεῖ καθήμενος (AR. Pl. 166). De même chez Lucien, Mycille « exerce son métier de cordonnier penché en avant », σκυτοτομεῖν ἐπικεκυφότα (LUC. Songe 26)16. On en trouve l’écho dans la littérature latine chez Plaute, lorsque Mégadore dresse la liste des artisans et marchands en tout genre qui se pressent à sa porte pour obtenir salaire et parmi lesquels se trouvent les « cordonniers sédentaires fabricants de bottes », sedentarii sutores diabathrarii (PLAUT. Aul. 511).
18De fait, la cordonnerie est un métier que l’on pratique « vissé au tabouret et à l’établi ». Mais la courbure de l’échine est aussi révélatrice des conditions de vie de l’artisan : c’est une vie dure, remplie de labeur que celle du cordonnier, comme s’en plaint Cerdon (dont le commerce de paires de luxe semble pourtant prospérer) : « savetier, sort de misère ! », πίσ]υγγος δὲ δειλαίην οἰζύν (HER. VII, 39).
19Sur les vases, le cordonnier – et, plus généralement, l’artisan –, placé devant son établi et courbé17 sur son travail (fig. 6, 32 et 37), participe certainement du même préjugé : l’utilisation de son corps ainsi marquée doit être prise pour un trait servile. Comme le paysan, l’artisan d’atelier – et particulièrement notre cordonnier – utilise sa force physique pour travailler, mais ce dernier mérite encore moins de considération aux yeux d’Aristote en ce qu’il se déforme le corps par la répétition incessante du même geste non naturel18.
Blancheur et mollesse, signes extérieurs de lâcheté de l’âme
20On trouve la même critique chez Xénophon, lorsque Socrate explique à Critobule que les métiers artisanaux sont à juste titre décriés notamment parce qu’ils obligent à « rester assis et passer sa vie à l’ombre », καθῆσθαι καὶ σκιατραφεῖσθαι (XEN. Eco. IV, 2). La conséquence d’une telle vie sédentaire est une autre altération du corps : la blancheur de la peau et, particulièrement, celle du visage. Déjà chez Aristophane, Chrémès s’émerveille devant une assemblée pleine de gens aux visages blancs et s’écrie : « Et vraiment ils nous faisaient tous l’effet de cordonniers, à les regarder ! », καὶ δῆτα πάντας σκυτοτόμοις ῇκάζομεν | ὁρῶντες αὐτούς (AR. A.F. 385-386). Cette pâleur est proverbiale, si l’on suit le commentaire de la Souda à ce vers et une scholie glosant une autre allusion dans le théâtre aristophanesque : « puisque les cordonniers travaillent assis dans l’ombre et passent leur vie à l’ombre », ἐπειδὴ οἱ σκυτοτόμοι ἐν σκιᾷ καθεζόμενοι ἐργάζονται καὶ εἰσιν ἐσκιατραφημένοι (Souda s.v. σκυτοτόμος) ; « il s’agit d’un proverbe : […] il n’est aucun travail pour les hommes blancs, excepté la cordonnerie : παροιμία ἐστίν· […] οὐδὲν λευκῶν ἀνδρῶν ἔργον εἰ μὴ σκυτοτομεῖν (Sch. Paix 1310a [vet])19. Or, la blancheur des chairs est un fort marqueur générique ; les théories médicales de l’époque classique expliquent même la blancheur du corps féminin du fait qu’il est plus humide et plus mou que celui de l’homme20.
21Cet amollissement du corps que provoque le travail d’atelier entraîne la débilité de l’âme : « Les corps étant ainsi amollis, les âmes aussi deviennent bien plus lâches. Surtout, ils n’ont plus de temps pour s’occuper aussi de leurs amis et de la cité ; si bien que ces gens-là passent pour de piètres relations pour leurs amis et de mauvais défenseurs de leurs patries », τῶν δὲ σωμάτων θηλυνομένων καὶ αἱ ψυχαὶ πολὺ ἀρρωστότεραι γίγνονται· καὶ ἀσχολίας δὲ μάλιστα ἔχουσι καὶ φίλων καὶ πόλεως συνεπιμελεῖσθαι· ὥστε οἱ τοιοῦτοι δοκοῦσι κακοὶ καὶ φίλοις χρῆσθαι καὶ ταῖς πατρίσιν ἀλεξητῆρες εἶναι (XEN. Eco. IV, 2, trad. perso.). À l’avilissement physique correspond de nouveau l’avilissement moral.
22Tous ces préjugés véhiculés par l’idéologie des philosophes du ive siècle expliquent certainement pourquoi il était mal vu que les jeunes hommes allassent sur l’agora, où étaient groupés les artisans et commerçants, alors qu’ils suivaient une formation libérale21. Il n’est certainement pas anodin non plus que Platon ne choisisse jamais pour cadre d’un de ses dialogues la boutique d’un cordonnier, alors que la tradition rapporte que Socrate côtoyait l’échoppe de Simon (D. L. Vies II, 122) et que Xénophon le fait s’entretenir avec Euthydème dans la boutique d’un fabricant de pièces de harnachement près de l’agora (XEN. Mém. IV, 2, 8)22.
23Toutefois, si les cordonniers, en tant qu’ouvriers manuels, subissent le jugement négatif des « catégories sociales qui dominent idéologiquement » dans les écrits théoriques de Platon, de Xénophon et d’Aristote, notamment dans les propos de personnages issus de la riche aristocratie23, il convient de revenir sur cette vision totalement négative, au reste nuancée même chez ces philosophes.
Le cordonnier réhabilité vs le tanneur
24Les cordonniers, de fait, jouissent aussi d’une bonne réputation pour plusieurs raisons, que l’on peut saisir d’autant mieux si on la met en relation avec le discrédit complet dont bénéficie le tanneur :
le cordonnier est le paradigme de l’artisan utile en ce qu’il fournit un bien nécessaire aux hommes : les chaussures et d’autres produits dérivés du cuir utiles en tant que produits achevés, finis ; par ailleurs, une clientèle aristocratique fait appel à lui pour des produits finis de luxe ;
contrairement aux ouvriers de la tannerie, simples hommes de peine, ils sont considérés comme de vrais technitai, « hommes de savoir-faire24 », du fait qu’ils pratiquent l’assemblage, sont experts en mesures, ne reproduisent pas simplement et mécaniquement un processus mais adaptent leur savoir-faire à des circonstances ;
enfin, ils manient un matériau, le cuir, dépourvu des défauts de la matière initiale ou en cours de transformation, odeurs nauséabondes et souillure, dont la littérature antique se fait l’écho.
Cordonnier, un métier utile
25Le cordonnier apparaît chez Platon comme la figure d’un artisan au service de tous, tandis que celle d’un habile fabricant de produits de grande qualité, recherchés par une clientèle aisée, peut se déduire des représentations figurées.
Un métier de première nécessité
26Dans la chaîne opératoire, le tanneur est le premier maillon qui fait de la matière brute des peaux un matériau doté de qualités particulières, le cuir. L’homme qui va mettre à profit les qualités de ce cuir, en le montant en un objet et en l’entretenant, est le cordonnier.
27Certes relégué au rang des « producteurs » dans la cité idéale de la République, il est de ces artisans indispensables de par les objets qu’ils confectionnent. Or, la cité de Platon cherche à répondre aux besoins matériels des hommes qui la fondent et Socrate propose de mettre « les maisons, les vêtements, les chaussures au rang des choses nécessaires », τἀναγκαῖα [...] οἰκίας τε καὶ ἱμάτια καὶ ὑποδήματα (PLAT. Rép. II, 373a). Le cordonnier y est donc aussi nécessaire que le cultivateur et trouve chez Platon bien plus de considération que chez Aristote, qui, lui, fonde la société sur l’honnêteté et le bien :
Dans la République […], Socrate déclare en effet qu’une cité se compose de quatre professions absolument indispensables et il les énumère : tisserand, cultivateur, cordonnier et maçon […] comme si toute cité n’était constituée que pour satisfaire les besoins primordiaux et non pas plutôt en vue du bien, et qu’elle eût tout autant besoin de cordonniers que de cultivateurs.
ἐν τῇ πολιτείᾳ […] φησὶ γὰρ ὁ Σωκράτης ἐκ τεττάρων τῶν ἀναγκαιοτάτων πόλιν συγκεῖσθαι, λέγει δὲ τούτους ὑφάντην καὶ γεωργὸν καὶ σκυτοτόμον καὶ οἰκοδόμον […] ὡς τῶν ἀναγκαίων τε χάριν πᾶσαν πόλιν συνεστηκυῖαν, ἀλλ’ οὐ τοῦ καλοῦ μᾶλλον, ἵσον τε δεομένην σκυτέων τε καὶ γεωργῶν (ARIST. Pol. IV, 4, 11-12, 1291a).
28Il existe donc bel et bien « un paradoxe entre le rôle important des artisans dans la vie réelle et leur place très humble dans la hiérarchie de prestige », paradoxe que Platon pointe lui-même25.
Le cordonnier au service de l’aristocratie
29Pour autant, les représentations figurées de cordonniers que nous avons conservées, qui se développent dès la fin du vie siècle av. J.-C., témoignent du contact privilégié de certains de ces fabricants de produits de luxe avec une clientèle aristocratique ou, du moins, riche, et ont été interprétées, à juste titre selon nous, comme la marque d’une valorisation du métier.
30Ainsi, Juliusz Ziomecki, dans son étude sur les représentations des artisans sur les vases attiques du troisième quart du vie siècle au ive siècle, et dont l’apogée se situe entre 520 et 460 (les trois scènes d’ateliers de cordonniers que nous ayons appartiennent à cette fourchette chronologique), insiste sur certains détails récurrents dans les scènes d’ateliers peintes, à savoir le port d’une couronne et la présence d’un mobilier raffiné26. En effet, dans deux des trois scènes peintes sur vases, ou bien aucun personnage n’est ceint d’une couronne ou d’un bandeau, ou bien tous les personnages le sont, qu’ils travaillent ou non, comme ici sur la pélikè d’Oxford et l’amphore de Boston (fig. 6 et 32). De manière générale, le port de la couronne n’est pas un signe distinctif de l’artisan mais se rencontre dans des scènes de cérémonies et des contextes de jours fastes, de komos, de symposion (chez les convives et les serviteurs), de concours (pour les poètes et les musiciens). Les dieux, les héros, les personnes vénérables par leur position sociale en sont également ceints. Par ailleurs, la représentation du port d’une couronne sur une scène figurée ne correspond pas nécessairement à une réalité : pour reprendre l’exemple des athlètes, il semble difficile qu’ils aient pu pratiquer les exercices gymniques avec un tel objet sur la tête. La couronne doit se lire comme le symbole qui assure à l’avance leur victoire ; elle en fournit une représentation anachronique. J. Ziomecki interprète ainsi ces attributs (parmi d’autres indices, comme la représentation courante de la nudité des artisans au travail27) comme la volonté du peintre du vase28, sinon d’héroïser les artisans, du moins de rehausser le prestige social du travailleur. La présence d’un tabouret pliant aux pieds à pattes de lion (diphros okladias) plutôt que d’un tabouret rustique introduit un raffinement inattendu, qui est peut-être à lire comme un indice de valorisation supplémentaire, bien qu’il ne soit pas directement mis en relation avec l’artisan au travail mais placé du côté du client. Dans ce cas, c’est la qualité de la clientèle qui rejaillit sur l’artisan.
31Cette thèse est encore celle de Massimo Vidale, qui, dans un ouvrage plus récent, recense les images d’artisans de la même époque et croit y déceler une évolution de la mentalité à leur égard, voire la promotion d’une vision valorisante de ces travailleurs29. On peut enfin associer à ces marques de promotion sociale dans l’Athènes du ve siècle les stèles funéraire (stèle de Xanthippos) et votive (dédicace de Dionysios sur l’Acropole) (fig. 7 et 33), considérées comme le signe d’une « intégration manifeste » et « d’une certaine réussite » sociale, à tout le moins d’un enrichissement de certains maîtres-artisans qui devaient être les patrons de leurs propres ateliers30.
Le cordonnier technitès, « homme de savoir-faire » vs homme de peine
32La préparation des peaux a pu ne pas paraître aux yeux des Anciens comme une technè, soit qu’elle fût trop sommaire, soit qu’elle fût trop empirique, soit que le jugement se focalisât sur la difficulté de la tâche et la reléguât à des hommes de la catégorie la plus basse, de simples travailleurs de force manuels dénués de tout savoir-faire, hommes mal dégrossis capables de supporter des tâches éprouvantes.
Définition de la technè
33La notion de technè ne se résume pas, en effet, à la seule capacité à appliquer mécaniquement un certain nombre de règles dans un ordre déterminé, mais se définit comme « un savoir-faire adapté à certaines circonstances31 ». C’est un savoir-faire non figé, qui comprend en lui-même l’aptitude à tenir compte de la situation donnée et du résultat à obtenir et n’est par conséquent pas réductible au simple travail manuel, qu’Aristote qualifie d’atechnon32.
34Le traitement des peaux peut se faire par des opérations diverses qui aboutissent à des qualités de cuir très variables, et peut-être est-il plus difficile d’attribuer le statut de technè, de savoir technique spécialisé, à une activité de transformation qui peut être hasardeuse de par les processus chimiques qu’elle met en jeu et aboutir à des résultats par trop différents ; qui repose peut-être trop sur l’empirisme, empeiria33, voire, au plus bas degré de réalisation, qui dépend en grande partie du hasard ou de l’absence d’action humaine dans le processus même de transformation (quand, par exemple, la peau se transforme par la simple action de l’air chaud, du vent...). De fait, comme nous l’avons souligné dans le premier chapitre, même si les tanins sont connus dès le ive siècle av. J.-C. par les traités botaniques d’un auteur bien informé comme l’était Théophraste, nous n’avons aucune idée, faute de précisions, de la qualité du produit fini obtenu par tannage végétal. On peut aussi se représenter, à l’aune des travaux effectués sur le métier de foulon dans le monde romain, un atelier de tannerie où seul un « maître d’œuvre », doté du savoir-faire et maîtrisant seul l’ensemble du processus de transformation des peaux, dirigerait des travailleurs subalternes non spécialisés, effectuant une « multiplicité d’opérations d’une technicité très inégale34 ». Quoi qu’il en soit, cette figure de « maître tanneur » reconnu comme technitès n’apparaît pas dans nos sources.
35En revanche, le cordonnier passe souvent pour un artisan qui s’adapte éventuellement au matériau dont il dispose, mais surtout au client pour produire un objet utilisable, prend en compte sa morphologie (il est un mesureur35 !), éventuellement ses desiderata (il est un « créateur »). On touche peut-être même ici à la frontière entre artisanat et activité créatrice – certes dans un degré moindre que pour ce qui concerne les artisans sculpteurs, céramistes… – si l’on prend en compte le fait que, « échapp[ant], pour partie, au piège de l’utile et au contrôle exclusif du produit par l’usager », le cordonnier ne vise pas qu’à reproduire un modèle, mais qu’il conçoit lui-même36. C’est au point d’ailleurs que la figure d’un inventeur (prôtos eurêtês) existe pour la cordonnerie, mais pas pour la tannerie37.
Le tanneur entaché de tous les vices
36Le discrédit qui frappe le tanneur dans nos textes, bien plus déconsidéré que le cordonnier – même si Aristophane considère que les deux activités devraient être réservées aux esclaves38 –, le rapproche peut-être davantage, dans la classification toute théorique des activités envisagée plus haut, du banausos, homme de force, ouvrier « vulgaire » effectuant des tâches manuelles mécaniques et dégradantes39.
37On trouve déjà chez Ésope la figure d’un tanneur accusé de brutalité : un âne, après avoir connu un maître jardinier puis un potier, qui le faisaient trop travailler et lui donnaient trop peu à manger, adresse une prière à Zeus pour changer de maître. « Il fut vendu à un tanneur, tombant ainsi sur un maître pire que les précédents », βυρσοδέψῃ ἀπεμπολεῖται, εἰς χείρονα τοίνυν τῶν προτέρων δεσπότην ἐμπεσών. Il regrette alors ses maîtres précédents et comprend bien que celui-ci « finira en plus par tanner [s]a peau », καὶ τὸ δέρμα μου κατεργάσεται (ES. Fables 273). Quant au personnage du Paphlagonien tanneur/marchand de cuir des Cavaliers d’Aristophane, il paraît cumuler tous les vices : violence physique, perversité sexuelle, ambition, démagogie, cupidité40...
La différence de nature et de statut du matériau travaillé
38Pour Aristophane, le traiteur de peaux est une cible privilégiée, d’une part, parce que le métier renvoie inévitablement, à partir des Cavaliers, à la figure détestée de Cléon – ne fût-il qu’une fiction comique –, et que, dès lors, tout travailleur du cuir est assimilé à un démagogue et un voleur ; d’autre part, parce que le personnage permet d’exploiter la veine du comique scatologique, dans la mesure où le tanneur reste en permanence au contact de mauvaises odeurs dont il ne parvient pas à se débarrasser. Chez d’autres auteurs, lorsqu’une critique concerne les tanneurs, elle tient au fait qu’ils exercent un métier en contact avec des cadavres d’animaux, que c’est une activité qui produit des nuisances olfactives.
Nuisances olfactives : y avait-il réellement une gêne ?
39La notion de gêne olfactive, toute culturelle, n’a rien d’universel et mérite d’être interrogée41. La puanteur des peaux en préparation et du cuir est bien attestée dans la littérature qui nous occupe : même s’il s’agit d’une « image stéréotypée42 », elle devait s’appuyer néanmoins sur une réalité bien concrète. De fait, certaines tâches d’activité de tannerie (pourriture, macération des peaux) tout comme un traitement de mauvaise qualité dans le pseudo-tannage des peaux sont des facteurs d’odeurs nauséabondes.
40Chez Aristophane tout d’abord, de tels témoignages d’une réaction de dégoût face aux odeurs de cuir relèvent de l’attaque ad hominem, du sarcasme à l’encontre de Cléon, et on pourrait ne leur accorder que peu de crédit43 : Démos, dégoûté, repousse le Paphlagonien qui « pue affreusement le cuir », βύρσης κάκιστον ὄζον (AR. Cav. 892) ; un serviteur rétorque à son camarade, dont le rêve a consisté à voir une sorte d’ogre prêt à dévorer des moutons assemblés sur la Pnyx, que « [s]on songe pue horriblement le cuir pourri », ὄζει κάκιστον τοὐνύπτιον βύρσης σαπρᾶς (AR. Gu. 38) ; le Coryphée vante le courage du poète comique qui s’est attaqué aux plus grands personnages publics – et notamment à Cléon – « marchant à travers les terribles odeurs de cuir et les menaces boueuses », διαβὰς βυρσῶν ὀσμὰς δεινὰς κἀπειλὰς βορβοροθύμους (AR. Paix 753)44. Pourtant, les témoignages d’une gêne olfactive apparaissent dans des contextes plus sérieux, même s’ils sont encore marqués du sceau du préjugé (propos moralisateur, description ethnologique...).
41Ésope en fait l’objet d’une fable dans laquelle la puanteur du tanneur (δυσωδία) semble proverbiale :
Un homme riche était assis près d’un tanneur et, ne pouvant supporter sa mauvaise odeur, il le pressa rudement pour qu’il se déplace. L’autre s’accorda un sursis, affirmant qu’il se déplacerait dans un court délai. Le temps s’écoula ; le riche finit par s’habituer à la mauvaise odeur et n’en fut plus importuné. L’histoire montre que l’habitude vient à bout des difficultés en toute situation.
Πλούσιος βυρσοδέψῃ παρακείμενος, μὴ δυνάμενος τὴν δυσωδίαν φέρειν, ἐπέκειτο αὐτῷ, ἵνα μεταβῇ. Ὁ δὲ ἀνεβάλλετο, λέγων μετ’ ὀλίγον χρόνον μεταβήσεσθαι. Τούτου δὲ συνεχῶς γενομένου, συνέβη τὸν πλούσιον ἐν συνηθείᾳ τῆς ὀσμῆς τούτου γενομένου, μηκέτι αὐτῷ διενοχλεῖν. Ὁ λόγος δηλοῖ ὅτι ἡ συνήθεια καὶ τὰ δυσχερῆ τῶν πραγμάτων καταπραΰνει (ES. Fables 368, trad. perso.).
42Plutarque et Pausanias expliquent enfin l’origine du nom des Locriens Ozoles (« qui dégagent une odeur ») par le port de peaux non tannées :
Leur nom leur venait, selon les uns, du centaure Nessus ; selon d’autres, du serpent Pithon qui, poussé sur leur rivage, avait pourri dans la région des Locriens. Il y en a qui attribuaient leur mauvaise odeur aux peaux de moutons et de chèvres dont ils étaient vêtus, et à leur habitude de vivre au milieu de ces animaux. D’autres, au contraire, prétendent que ce surnom signifie une bonne odeur, et qu’il vient de la grande quantité de fleurs dont leur pays était couvert.
Ὀζόλαι Λοκροὶ κατῴκησαν. Ὀζόλας δὲ Λοκροὺς οἱ μὲν διὰ Νέσσον, οἱ δὲ διὰ τὸν Πύθωνα δράκοντα κληθῆναι λέγουσι, ἐκβρασθέντας ὑπὸ τῆς θαλάττης καὶ σαπέντας ἐν τῇ τῶν Λοκρῶν χώρᾳ· τινες δὲ κώδια καὶ τραγέας τοὺς ἀνθρώπους φοροῦντας καὶ τὰ πλεῖστα συνόντας αἰπολίοις γενέσθαι δυσώδεις. Ἔνιοι δὲ τοὐναντίον πολυάνθεμον τὴν χώραν οὖσαν ὑπ’ εὐωδίας τοὔνομα λαβεῖν (PLUT. Qu. Gr. 15).
Une autre version raconte que les premiers habitants de cette contrée étaient des autochtones, mais comme ils ne savaient pas encore comment coudre les vêtements, ils avaient l’habitude de se fabriquer une protection contre le froid à partir de peaux non tannées de bêtes, tournant à l’extérieur la fourrure des peaux pour se parer. Donc leur propre peau, à coup sûr, sentaient aussi mauvais que le cuir.
Λέγεται δὲ καὶ ὡς οἱ πρῶτοι τῶν ἐνταῦθα ἀνθρώπων ἦσαν αὐτόχθονες, ἐσθῆτα δὲ οὐκ ἐπιστάμενοί πως ὑφαίνεσθαι σκέπην πρὸς τὸ ῥῖγος θηρίων δέρματα ἐποιοῦντο ἀδέψητα, τὸ δασὺ τῶν δερμάτων ἐς τὸ ἐκτὸς ὕπερ εὐπρεπείας τρέποντες· ἔμελλεν οὖν κατὰ τὸ αὐτὸ ταῖς βύρσαις καὶ ὁ χρώς σφισιν ἔσεσθαι δυσώδης (PAUS. Per. X, 38, 3).
43Quant à savoir si cette gêne est à l’origine d’une mise à l’écart des tanneries, comme Artémidore semble en faire une loi pour l’époque impériale45, il est plus prudent de formuler que ces nuisances étaient ressenties par les Anciens, étaient reconnues comme telles dans leurs témoignages et plus ou moins exagérées par le registre comique, mais qu’elles « ne semblent pas […] avoir spécialement entraîné leur déplacement en périphérie urbaine, même si cette localisation existe parfois46 ».
Impureté du matériau, souillure religieuse
44La deuxième raison qui viendrait justifier le mépris que subissent les tanneurs et une éventuelle mise à l’écart des centres urbains des tanneries est la répugnance des Anciens à conserver dans leur enceinte toute source de souillure (ordures, sang, cadavres), ainsi que le rappelle Aristote dans la Constitution d’Athènes, où il fait mention de certains magistrats athéniens chargés, à son époque, de veiller à la bonne évacuation en dehors de la ville de tout ce qui pourrait la souiller : « Les astynomes […] veillent aussi à ce que les boueurs ne déchargent pas leurs ordures à moins de dix stades de l’enceinte », οἱ ἀστυνόμοι […] καὶ ὅπως τῶν κοπρολόγων μηδεὶς ἐντὸς ι’ σταδίων τοῦ τείχους καταβαλεῖ κόπρον ἐπιμελοῦνται (ARIST. Const. Ath. 50, 2).
45Or, le tanneur, s’il ne met pas à mort lui-même la bête dont il utilise la peau, n’en manie pas moins la dépouille, ainsi que le rappelle Artémidore, qui en fait, là encore, une raison systématique de relégation à la périphérie de telles activités, tout comme celles des potiers47 : « Les vautours <aperçus en rêve> sont bons pour les potiers et les corroyeurs parce qu’ils émigrent hors de la ville et qu’ils touchent aux cadavres », γῦπες δὲ κεραμεῦσι καὶ βυρσοδέψαις ἀγαθοὶ διὰ τὸ τῆς πόλεως ἀπῳκίσθαι καὶ τὸ νεκρῶν ἅπτεσθαι σωμάτων (ARTEM. Onir. II, 20).
46Artémidore associe d’ailleurs nuisance olfactive et souillure lorsqu’il signale que « <rêver d’> être tanneur, c’est mauvais pour tous : car le tanneur touche des cadavres et il réside hors de la ville ; en outre, ce rêve met en évidence les choses cachées, à cause de l’odeur », τὸ δὲ βυρσοδεψεῖν πᾶσι πονηρόν· νεκρῶν γὰρ ἅπτεται σωμάτων ὁ βυρσοδέψης καὶ τῆς πόλεως ἀπῴκισται· ἔτι καὶ τὰ κρυπτὰ ἐλέγχει διὰ τὴν ὀδμήν (ARTEM. Onir. I, 51).
47L’impureté sacrilège rejaillit dans certains cas de la dépouille aux objets fabriqués dans le cuir de l’animal, comme les chaussures : plusieurs lois sacrées témoignent de l’interdiction d’entrer chaussé (de cuir) dans un sanctuaire ou un temple, soit que la présence de tel animal, vivant ou sous forme d’objet dérivé, soit particulièrement perçue comme sacrilège, soit que la peau pourtant tannée et travaillée soit encore porteuse de la souillure de la mort de l’animal abattu48.
48Ce sentiment de souillure, exprimé ainsi au cas par cas dans certaines lois sacrées, a pu entacher ainsi un peu plus encore la réputation de l’ouvrier préparateur de peaux, sans que le motif soit toutefois aussi développé dans nos sources que celui de l’odeur pestilentielle.
49Ainsi, le jugement défavorable au cordonnier connaît une tendance inverse consistant à reconnaître son savoir-faire et son utilité, alors que le tanneur ne bénéficie pas d’une telle image valorisante dans nos sources littéraires, soit qu’il est totalement déprécié en raison des odeurs nauséabondes dues à son activité et à son assimilation aux métiers de force les plus durs qui le ravalent au rang de l’homme vulgaire, soit qu’il est simplement oublié des sources. Il est remarquable, en effet, que des représentations que nous avons pour le monde grec, sur vases ou stèles, d’artisans et d’ateliers, aucune ne montre de tanneur ou de tannerie. En revanche, parce qu’il est parfois le pourvoyeur de produits finis de luxe, le cordonnier peut être fréquenté par une clientèle aristocratique et s’en trouve valorisé dans les représentations figurant sur des vases destinés à cette même clientèle lors du banquet. Il y rejoint ainsi le personnel des hétaïres et d’autres artisans de produits fastueux : fondeurs de statues en bronze, peintres sur vases… L’association possible dans nos deux images vasculaires du cordonnier à une clientèle riche49, qu’elle consiste en la présence de cette dernière au sein de l’atelier dans la représentation ou dans le fait de montrer dans le cadre du banquet des images représentant le travailleur en pleine activité, en fait rejaillir le prestige sur l’artisan.
Notes de bas de page
1 Tran 2013, p. 13.
2 Sur ce personnage, voir supra p. 165.
3 Analyse reprise à Lévy 1979, p. 42.
4 Scheid-Tissinier 1999, p. 114-115 : « [ces demioergoi] possèdent tous un savoir-faire technique bien précis, qui permet de satisfaire certains besoins de la communauté. En même temps, ils sont nécessairement au service de ceux qui font appel à eux et les rémunèrent, ce qui, au regard de la mentalité aristocratique dominante, les place toujours dans une position de subordination qui est déconsidérée » ; Picard 2008, p. 57 : « série de professions qui vont proposer leurs services de cité en cité ».
5 Sanidas 2013a, p. 12.
6 Lévy 1979, p. 42.
7 Voir supra p. 165-169.
8 D’Ercole 2013, p. 59-60.
9 Ibid., p. 53. Voir PLAT. Soph. 223d : « La première division est vente directe par le producteur (ἡ τῶν αὐτουργῶν αὐτοπωλική) ; l’autre, où l’on trafique de ce que produit autrui, est trafic » (ἡ τὰ ἀλλότρια ἔργα μεταβαλλομένη μεταβλητική) ; « de ce trafic, l’échange intra-urbain (ἡ κατὰ πόλιν ἀλλαγή) fait presque la moitié ; ne l’appelle-t-on pas petit commerce (καπηλική) ? » ; « l’échange qui circule de ville en ville, achetant et vendant (τὸ ἐξ ἄλλης εἰς ἄλλην πόλιν διαλλάττον ὠνῇ καὶ πράσει), n’est-ce pas le négoce (ἐμπορική) ? »
10 D’Ercole 2013, p. 58. Voir PLAT. Rép. II, 371c, où ce rôle d’intermédiaire est dévolu aux seules personnes incapables d’accomplir un autre travail : « si le laboureur ou quelque autre artisan (τι ἄλλος τῶν δημιουργῶν), apportant au marché quelqu’un de ses produits, n’arrive pas au même moment que ceux qui ont besoin de lui acheter sa marchandise, laissera-t-il son travail ininterrompu pour rester assis au marché ? — […] Il y a des gens qui, voyant cet inconvénient, se chargent du service d’intermédiaires (ἐπὶ τὴν διακονίαν). Dans les États bien réglés, ce sont ordinairement les gens les plus faibles de santé (ἀσθενέστατοι τὰ σώματα), incapables de tout travail ((ἀχρεῖοί τι ἄλλο ἔργον πράττειν). Leur rôle est de rester au marché, d’acheter à prix d’argent à ceux qui désirent vendre et de vendre (ἀντ’ ἀργυρίου ἀλλάξασθαι τοῖς τι δεομένοις ἀποδόσθαι), à prix d’argent aussi, à ceux qui désirent acheter (τοῖς δὲ ἀντὶ αὖ ἀργυρίου διαλλάττειν ὅσοι τι δέονται πρίασθαι) ».
11 Voir supra p. 55.
12 Voir p. 67, n. 4 ad loc. du volume de la CUF, qui définit les travaux salariés à la lecture de Pol. I, XI, 4, 1258b 25 sq : « le travail salarié est l’affaire, d’une part, des professionnels de l’artisanat et, d’autre part, des ouvriers non spécialisés dont toute l’utilité se réduit à leur force corporelle, ταύτης (τῆς μισθαρνίας) ἡ μὲν τῶν βαναύσων τεχνῶν, ἡ δὲ τῶν ἀτέχνων καὶ τῷ σώματι μόνῳ χρησίμων. Le travail des μισθαρνοῦντες merite d’etre appele βάναυσον parce qu’il degrade le corps (τὸ σῶμα... χεῖρον διακεῖσθαι) et aussi l’esprit (ταπεινήν) en le privant de tout loisir (ἄσχολον) ».
13 Tran 2013, p. 9.
14 Pour d’autres passages définitoires, voir ARIST. Pol. II, 2, 5, 1261a 35-37 ; III, 9, 10, 1280b 20-21 ; Métaph. B2, 996a, 33-34.
15 Voir aussi le propos de Platon au sujet des « hommes de qualité inférieure » (ἀνθρωπίσκοι), qui se jettent sur la philosophie pour le prestige dont elle bénéficie et bien qu’ils soient des « gens imparfaitement doués dont les professions et les métiers ont à la fois déformé le corps, et mutilé et dégradé l’âme par des travaux manuels », πολλοὶ ἀτελεῖς μὲν τὰς φύσεις, ὑπὸ δὲ τῶν τεχνῶν τε καὶ δημιουργιῶν ὥσπερ τὰ σώματα λελώβηνται, οὕτω καὶ τὰς ψυχὰς συγκεκλασμένοι τε καὶ ἀποτεθρυμμένοι διὰ τὰς βαναυσίας τυγχάνουσιν (PLAT. Rép. VI, 495d).
16 Le verbe composé ἐπικύπτω signifie « se pencher sur » mais pourrait contenir l’idée de douleur, certainement présente dans (ὑπο)κύπτω. Cf. Taillardat 1965, p. 153, n. 3.
17 Lévy 1979, p. 42 : « la position courbée [de l’artisan] contraste avec la station droite de l’homme libre ». Cette façon de voir les choses se conçoit par analogie avec la supériorité de la pensée de l’homme, seul animal à se tenir droit, ὀρθός (ARIST. Part. An. II, 10, 656a 13), « parce que sa nature et son essence sont divines », διὰ τὸ τὴν φύσιν αὐτοῦ καὶ τὴν οὐσίαν εἶναι θείαν (ARIST. Part. An. IV, 10, 686a 27-28) ; « car la pesanteur enlève toute souplesse au raisonnement et au sens commun », τὸ γὰρ βάρος δυσκίνητον ποιεῖ τὴν διάνοιαν καὶ τὴν κοινὴν αἴσθησιν (ARIST. Part. An. IV, 10, 686a 30-32).
18 Lévy 1979, p. 44 et n. 137 : Aristote émet une véritable protestation à l’idée qu’une cité puisse avoir autant besoin de cordonniers que de paysans (ARIST. Pol. IV, 1291a, infra p. 193).
19 L’accusation de mollesse, due à la sédentarité excessive de ces travailleurs, continuera à se développer par la suite, privant le proverbe de son sens premier. Voir Érasme de Rotterdam, Les adages, Paris, 2011, no 2529 (III, VI, 29) : « Les hommes blancs n’ont aucune utilité. Les hommes blancs ne sont d’aucun usage, excepté pour la cordonnerie. On dit cela des hommes doux et efféminés comme aussi de ceux qui sont nés dans la volupté », Nulla candidorum virorum utilitas. Oὐδὲν λευκῶν ἀνδρῶν ὄφελος σκυτοτομεῖν, id est Nullus candidorum virorum usus nisi ad cerdonicam. In molles et effoeminatos dictum ac veluti voluptatibus natos.
20 Grand Clément 2011, p. 242-243, qui renvoie par exemple à HIPPO. Epid. VI, 2, 25.
21 Voir, par exemple, AR. Cav. 1373 : « les imberbes qui flânent sur l’agora », donné comme un comportement blâmable ; ISO. Aréop. 48 : il était un temps où les jeunes gens ne passaient pas leur temps à jouer, à perdre leur temps en réunions, « telle était leur aversion pour la place publique que, s’ils étaient forcés de la traverser, c’était avec beaucoup de réserve et de sagesse qu’on les voyait faire », Οὕτω δ’ἔφευγον τὴν ἀγορὰν ὥστ’, εἰ καί ποτε διελθεῖν ἀναγκασθεῖεν, μετὰ πολλῆς αἰδοῦς καὶ σωφροσύνης ἐφαίνοντο τοῦτο ποιοῦντες.
22 Cf. supra p. 52 et 184.
23 On ressent encore ce mépris à l’égard des cordonniers, associés aux foulons, cuisiniers et médecins (d’après les exemples que prend Socrate), dans les propos de Callicratès, qui les caractérise par une « mollesse d’âme », μαλακία τῆς ψυχῆς, à l’exact opposé des hommes capables de gouverner, « courageux, capables d’exécuter les projets qu’ils ont conçus », ἀνδρεῖοι ἱκανοὶ ὄντες ἃ ἂν νοήσωσιν ἐπιτελεῖν (PLAT. Gorg. 491a-b). Chez Élien, Socrate donne pour conseil à Alcibiade, alors pris de peur à l’idée de parler devant le peuple, de le mépriser (καταφρονεῖν) en bloc, de même qu’individuellement le jeune homme méprise – il le reconnaît sans hésitation – le cordonnier (σκυτοτόμος) que le philosophe lui désigne, ainsi qu’un héraut de l’agora et un fabricant de tentes (EL. Hist. Var. II, 1).
24 Nous suivons Picard 2008, p. 57, qui propose de traduire le terme technitès par « gens de savoir-faire » ou « gens de métier » plutôt que par « artisan », trop vague.
25 Lévy 1979, p. 41.
26 Ziomecki 1975, p. 137-138.
27 Sur cette question, qui ne nous intéresse pas directement puisque sur nos trois vases les cordonniers sont représentés entièrement habillés ou torse nu, une exomis courte tombée sur les hanches, voir Ziomecki 1975, p. 139-140.
28 Sur la question de l’identification des clients des vases et du commanditaire des images, voir La Genière 2006, notamment p. 12-14.
29 Vidale 2002. Voir également D’Ercole 2014.
30 Briant et al. 1995, p. 325. Sur la richesse manifeste d’artisans pour le ive siècle, exerçant notamment de lourdes liturgies, voir en dernier lieu Lafargue 2013, p. 108-109, 263, n. 211.
31 Jockey 2003, p. 67.
32 Sanidas 2013a, p. 11 : « La technè, le terme le plus récurrent à propos de l’artisanat grec, couvre des catégories d’activités plus nombreuses que la production artisanale, et qui ne recouvrent pas toutes celles de la production » : poésie dramatique, danse, médecine, équitation, art de la guerre, art de régner.
33 Lévy 1979, p. 32 : « Dans la Politique, le technitês a une valeur positive, détenteur d’un savoir-faire spécialisé ; technê est plus souvent rapprochée de l’espistémè que de l’empeiria, et est volontiers opposée à tyché, le hasard. La technè offre une place élevée parmi les capacités (dynameis) humaines. »
34 Monteix, Tran 2011, p. 6, et l’article de M. Flohr sur les foulons dans le même ouvrage.
35 Voir ARTEM. Onir. I, 51, infra p. 197.
36 Robert 2003, notamment p. 90 et 93.
37 Voir supra p. 160-161.
38 Voir AR. Pl. 514, où Pauvreté tente de persuader Chrémyle de ne pas laisser Ploutos retrouver la vue : « qui voudra être forgeron, construire des vaisseaux, coudre, être charron, cordonnier, briquetier, blanchisseur, tanneur » s’il dispose de richesses et n’a pas besoin de travailler ? La réponse de Chrémyle ne se fait pas attendre : « Tous ces travaux, nos serviteurs en auront la peine », οἱ θεράποντες μοχθήσουσιν (AR. Pl. 518).
39 Lévy 1979, p. 31-32.
40 Lafargue 2009, p. 192-193 et n. 17, signale à juste titre que la classification établie par H. Lind et les identifications précises qu’il donne des différents métiers du cuir, en les associant à certaines catégories de défauts, sont forcées : « dans l’esprit du poète, la tannerie était une activité suffisamment large pour englober le tout, sans réelles distinctions [de métier] ».
41 Sanidas 2013b, p. 187. Sur la sensibilité des individus dans le monde gréco-romain aux ordures et aux déchets, et la relation entre l’ordure et la souillure religieuse, voir Liebeschuetz 2000, p. 61 : « the extreme sensitivity of most of us to the sight and smell of excreta is a quite recent phenomenon, whose development can be observed in the gradual refinement of manners since the Renaissance ». L’auteur illustre le fait que si les Grecs et Romains n’étaient pas insensibles à la saleté et aux mauvaises odeurs, leur définition de ce qui la constituait (et l’urgence avec laquelle ils estimaient devoir s’en débarrasser) était différente de la nôtre.
42 Sanidas 2013b, p. 181, qui écrit d’ailleurs l’expression « activités “polluantes” de tannerie » avec guillemets pour l’adjectif.
43 L’explication rationnelle de la Souda, selon laquelle l’odeur de Cléon vient de ce qu’il tanne les peaux, ne saurait constituer un argument de poids : « sentir mauvais, du fait de tremper les peaux et de les laisser un nombre assez important de jours <immergées> dans un produit », τὸ ἐκ τοῦ ἐμβρέχειν τὰ δέρματα καὶ πλείοσιν ἡμέραις ἐᾶν αὐτὰ εἰς τὸ φάρμακον […] ἄχαρι ὀδωδέναι (Souda, s.v. βυρσαίετος, voir AR. Cav. 203).
44 Cléon, raillé sur son origine sociale par Aristophane, sent le cuir, mais aussi « les odeurs d’ordures, de bourbier, d’excréments, de pets et d’immondices, bref, tous les effluves de la ville et des quartiers où l’on travaille, dans la sueur et la saleté » (Lafargue 2013, p. 89, « un personnage nauséabond », qui renvoie, dans sa n. 3 sur la question des odeurs chez Aristophane, à Thiercy 1993, p. 506-510 et 517-519).
45 Voir p. suiv..
46 Hellmann 2013, p. 161. Le cas n’est pas isolé : « les textes littéraires et les réalités archéologiques offrent quantité d’exemples d’artisans dangereux ou au minimum polluants (fondeurs, forgerons, verriers, potiers…) mais néanmoins installés en pleine ville » (ibid., avec références).
47 Étienne 2004, p. 140 : les activités de poterie « exigeantes en eau » ont pu « se trouve[r] au bord du fleuve » et être « soumises à un strict contrôle à cause de leur caractère polluant ».
48 Voir, par ex., Le Guen-Pollet 1991a, no 27 = LSG 68 (Lykosoura, iiie siècle av. J.-C. ?) ; no 28 = LSG 136 (sanctuaire d’Alektrôna, v. 300 av. J.-C.) ; LSG 65, l. 22-23 (92 av. J.-C.). Cf. supra p. 18, n. 8.
49 La clientèle représentée sur ces vases, bien que difficilement identifiable (cf. supra p. 4), pourrait être une courtisane (fig. 32), un éphèbe à qui un client plus âgé (l’érastès ?) offrirait une paire de chaussures (fig. 6), autant de personnages croisés dans la comédie aristophanesque ou les Mimes d’Hérondas.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Les bois sacrés
Actes du Colloque International (Naples 1989)
Olivier de Cazanove et John Scheid (dir.)
1993
Énergie hydraulique et machines élévatrices d'eau dans l'Antiquité
Jean-Pierre Brun et Jean-Luc Fiches (dir.)
2007
Euboica
L'Eubea e la presenza euboica in Calcidica e in Occidente
Bruno D'Agostino et Michel Bats (dir.)
1998
La vannerie dans l'Antiquité romaine
Les ateliers de vanniers et les vanneries de Pompéi, Herculanum et Oplontis
Magali Cullin-Mingaud
2010
Le ravitaillement en blé de Rome et des centres urbains des début de la République jusqu'au Haut Empire
Centre Jean Bérard (dir.)
1994
Sanctuaires et sources
Les sources documentaires et leurs limites dans la description des lieux de culte
Olivier de Cazanove et John Scheid (dir.)
2003
Héra. Images, espaces, cultes
Actes du Colloque International du Centre de Recherches Archéologiques de l’Université de Lille III et de l’Association P.R.A.C. Lille, 29-30 novembre 1993
Juliette de La Genière (dir.)
1997
Colloque « Velia et les Phocéens en Occident ». La céramique exposée
Ginette Di Vita Évrard (dir.)
1971