Chapitre 3. L’organisation des métiers des peaux et du cuir
p. 159-186
Texte intégral
1Après avoir abordé les questions techniques relatives à la fabrication du cuir et à ses utilisations, il nous faut examiner l’organisation sociale en « métiers » de cette production, définir la « confection » qui appréhende les étapes de la fabrication dans leur succession et leur durée, de même que dans leur répartition et leur dispersion spatiale. Il nous reste ainsi à répertorier les situations particulières et les choix conventionnels de la société grecque antique à certains endroits et certains moments de son histoire quant à cette répartition des responsabilités et des tâches en différents métiers qui « n’a rien d’universel mais est toujours idiomatique, car ressortissant à l’usage1 ».
L’organisation de la production et de la vente
2Il nous faut d’abord envisager la question de l’échelle de la production du cuir et des objets réalisés en peau ou en cuir, indissociable de celle de la vente : où produisait-on, en quelle quantité et pour qui ? Nous verrons que la question du statut social des artisans du cuir dans nos occurrences n’est discernable que lorsqu’elle est indiquée explicitement : la galerie de portraits passés en revue par la convocation des exemples montre que, la plupart du temps, il peut tout aussi bien s’agir d’un esclave que d’un homme libre, métèque ou citoyen ; il est question parfois d’un enfant, d’une femme.
Une production domestique à petite échelle et à moyens limités
L’individu autourgos
3Sociologiquement, il est fréquent, mais pas nécessaire, que le producteur soit une autre personne que l’utilisateur. Or, pour le monde grec, le travail des peaux occupe une place importante dans les campagnes2 – où les peaux des espèces domestiques et la fourrure sont abondamment utilisées pour le vêtement – à l’instar des autres activités de transformation qui procurent aux paysans et éleveurs ce dont ils ont besoin pour vivre et s’équiper au quotidien : productions alimentaires (vin, huile…), taille de la pierre et du bois3, fabrication de briques séchées ou cuites, filage et tissage de la laine (couvertures, vêtements…), travail du lin, du chanvre… tant et si bien que « le domaine vit le plus possible en autarcie4 ».
4De nombreuses références de notre corpus montrent un travail rudimentaire des peaux dans la campagne, sans qu’on puisse dire qu’il s’agit à proprement parler de cuir, c’est-à-dire d’une peau ayant subi un tannage véritable par macération dans un bain de tanins végétaux5. Les dépouilles utilisées sont celles du petit bétail commun, très répandu (ovins et caprins), parfois de prises de chasse (cerf, ours…), peut-être même d’animaux domestiques comme le chien6. La matière première est donc issue de l’univers quotidien7.
5La figure du paysan autourgos qui produit lui-même les protections en peau ou cuir dont il a besoin apparaît à plusieurs reprises dans la littérature grecque des premiers temps : Eumée, le porcher d’Ulysse, travaille lui-même le cuir de bœuf pour se confectionner des « sandales (πέδιλα) taillées dans un cuir coloré de bœuf (δέρμα βόειον ἐϋχροές) » (Od. 14, 23-24 et 34) ; Laërte, décrit dans un état de pauvreté dégradant, s’est fabriqué des « jambières de cuir (περὶ δὲ κνήμῃσι βοείας κνημῖδας) et des gants de protection (χειρῖδάς τ’ἐπὶ χερσὶ) » pour cultiver (Od. 24, 227-229) ; Hésiode conseille aux paysans de « se coudre » eux-mêmes des manteaux de « peaux de chevreaux » (ἐρίφων... δέρματα συρράπτειν) pour affronter le froid de l’hiver (HES. Trav. 543-544)8. Or, comme l’indique G. Sanidas, « [cet] exemple du paysan techniquement autosuffisant, exprimé dans Les Travaux et les Jours d’Hésiode, malgré la présence d’artisans indépendants, a dû exister à toute période. Néanmoins, les variations selon le temps et l’espace ne sont pas encore perceptibles faute de documentation disponible9 ».
6On notera dans ces exemples la variété de provenance et de qualité du traitement du matériau : à côté des caprins qui permettent d’obtenir avec peu de moyens une peau pseudo-tannée, le premier exemple présente la peau d’un bœuf qualifiée de « colorée », ce qui est le signe d’un tannage par la graisse, procédé déjà décrit dans l’Iliade.
Une production autogérée au sein de l’oikos
7D’autres passages attestent, au sein de la maisonnée, une organisation hiérarchisée d’un ensemble d’individus, plus ou moins spécialisés, serviles ou non, tant en matière de transformation des peaux que pour leur utilisation une fois apprêtées, au moins pour des objets assez simples ne demandant pas un montage complexe.
8Dans cette organisation à l’échelle domestique, il est difficile, sinon impossible, de saisir les rôles distincts des ouvriers, que les auteurs décrivent la plupart du temps occupés à une seule tâche à un moment précis, entre la récolte des peaux, le nettoyage, le traitement, le débitage, l’assemblage... sans qu’il faille y voir nécessairement une quelconque spécialisation.
9Chez Homère déjà, c’est au laos – entendu ici comme l’ensemble des personnes au service du palais (serviteurs et producteurs-artisans) – que le maître donne la tâche de graisser une grande peau de taureau en l’étirant par secousses successives (Il. 17, 389-393)10, mais il s’agit d’une échelle plus vaste que le simple foyer.
10À la suite de la guerre du Péloponnèse, la société athénienne a connu une évolution notable qui a consisté en un développement de nouveaux métiers en ville, du fait notamment de « l’enfermement derrière ses remparts d’une partie importante de la population, désormais coupée de la campagne11 ». Ce phénomène pourrait expliquer la fabrication d’objets en cuir par et pour soi-même, telle qu’on la retrouve chez Aristophane – dans des œuvres certes contemporaines du conflit – qui témoigne de cette habitude pour le peuple de la ville, même si les objets produits paraissent de facture grossière : un enfant se construit, en guise de jouet, des « petits chariots de cuir », ἁμαξίδας τε σκυτίνας ἠργάζετο (AR. Nu. 880) ; le Charcutier des Cavaliers fustige Cléon de « n’avoir jamais cédé le moindre morceau de cuir » à Démos pour qu’il puisse « rapiécer lui-même ses chaussures » en cas de besoin, σκύτη [...] ἔδωκας ἤδη τουτῳὶ κάττυμα παρὰ σεαυτοῦ | ταῖς ἐμβάσιν (AR. Cav. 868-870). Xénophon évoque quant à lui la capacité technique de citoyens artisans qui composent le dèmos, au sein de l’ecclésia : « Les cardeurs, les cordonniers, les menuisiers, les forgerons, les agriculteurs, les commerçants […], c’est de tous ces gens-là que l’assemblée se compose », τοὺς γναφεῖς αὐτῶν ἢ τοὺς σκυτεῖς ἢ τοὺς τέκτονας ἢ τοὺς χαλκεῖς ἢ τοὺς γεωργοὺς ἢ τοὺς ἐμπόρους [...] Ἐκ γὰρ τούτων ἁπάντων ἡ ἐκκλησία συνίσταται (XEN. Mém. III, 7, 6).
11Théocrite, pour sa part, fait allusion au travail de nettoyage de peaux et/ou de toisons au domicile juste après leur achat par Gorgô, l’épouse de Diokleidas. Cette dernière appartient à la galerie de figures féminines de condition libre de la littérature grecque (à l’instar de Pénélope, de la femme d’Ischomaque) qui réalisent un travail artisanal, parfois entourées d’esclaves, dans et pour la maison. Elle en est cependant la figure inversée puisqu’elle rechigne à accomplir ses tâches : elle considère que laver ce que son mari lui a rapporté du marché la veille est « du travail à n’en plus finir ! », ἔργον ἐπ’ ἔργῳ. De quoi s’agit-il ? « Cinq toisons », πέντε πόκως, affirme-t-elle, ainsi que « des peaux de chien et des épluchures de vieilles besaces, rien que de la saleté », κυνάδας, γραιᾶν ἀποτίλματα πηρᾶν… | ἅπαν ῥύπον (THEOCR. XV, 19-20). Deux interprétations sont dès lors possibles : si l’on considère que les « épluchures de vieilles besaces » sont à prendre au sens littéral, il revient à Gorgô de nettoyer un matériau de récupération, des objets usagés qui seront peut-être démontés ou découpés pour en faire de nouveaux objets ou des pièces de ravaudage. Si, au contraire, le lexique vulgaire utilisé ici a un caractère métaphorique, il s’agit pour l’épouse à la fois de laver et de démêler des toisons sales, mais aussi de nettoyer des peaux de chèvres sommairement traitées ayant encore leurs poils – il ne s’agit pas que de laine12. Une fois ces peaux nettoyées, Gorgô, imagine-t-on, aurait certainement à les couper et à les assembler pour en faire de petits objets quotidiens... mais le texte n’en dit pas plus. On pourrait donc lire ici l’exemple d’une préparation sommaire de peaux ne requérant pas nécessairement un savoir-faire très spécialisé, peaux que l’on s’est procurées soimême mais auprès d’autrui, en vue d’une utilisation personnelle domestique.
Au-delà de la production autosuffisante : une « production artisanale » en ateliers
12À côté d’une activité à destination proprement domestique, d’un seul ou d’un petit nombre individus, visant à l’autoconsommation et à couvrir les besoins courants – ce qu’on a parfois dénommé un « artisanat de la pauvreté13 » –, il existe une réelle production artisanale des peaux et du cuir, c’està-dire « des domaines et des branches d’activités précis et réels […] en prolongement ou au-delà du cadre strictement domestique et de l’autoconsommation14 ».
13Les scènes d’ateliers figurées sur les vases, avares de détails architecturaux, contraintes de tenir dans le champ disponible pour la représentation15, ne cherchent nullement à donner à voir de manière réaliste et exacte le lieu de l’activité, qui n’est envisagé que fonctionnellement par les outils et le mobilier, voire sociologiquement par la représentation de la clientèle et du lien entre l’exécutant et le demandeur (fig. 6 et 32). Elles n’autorisent aucune conclusion sur la nature concrète du lieu évoqué : taille de la pièce, insertion ou non dans l’espace domestique, disposition du mobilier et des ouvriers les uns par rapport aux autres dans une éventuelle logique de division du travail...
14Nous disposons en revanche de rares documents qui font mention d’ateliers voués à une production artisanale d’échelle moyenne, sans qu’ils soient nécessairement localisés ailleurs qu’à domicile. Ainsi, Démosthène évoque la maison de résidence d’un certain Conon (ἡ οἱκοία ἐν ᾗ ᾤκει αὐτὸς ὁ Κόνων), qui dispose chez lui d’une main-d’œuvre d’esclaves chargés de « coudre des sacs (en tissu) », οἱ σακχυφάνται, et, dans une seconde maison, d’esclaves « broyeurs de drogues », οἱ φαρμακοτρίβαι (DEM. C. Olymp. 12-13). À la même époque, dans le premier discours du Contre Timarque d’Eschine, apparaît une organisation très hiérarchisée et lucrative d’« esclaves ouvriers en cuir, neuf ou dix » (οἰκέτας δημιουργοὺς τῆς σκυτοτομικῆς τέχνης ἐννέα ἢ δέκα), dirigés par un « chef d’atelier » (ὁ δ’ ἡγεμὼν τοῦ ἐργαστηρίου), qui travaillent dans le domaine du maître, le père de Timarque, et lui rapportent un revenu de deux oboles par jour par ouvrier, et trois pour le chef, soit au moins 3,5 drachmes par jour d’activité, sept fois plus que les trois oboles du salaire des juges des tribunaux d’Athènes à l’époque classique, et qui correspondaient à la somme journalière nécessaire à l’entretien d’une personne modeste (ESCHN. C. Tim. I, 97). Le propriétaire, dans ce cas, vit en ville et a placé un intendant à la tête du domaine ainsi qu’un contremaître à la tête de l’atelier16.
15L’atelier du dénommé Cerdon, confectionneur et vendeur de chaussures de luxe, qui devait se trouver dans un autre espace que la maison – plutôt même, en effet, dans un atelier-boutique où se déroule la scène – semble prospérer, quoi qu’en dise l’homme, puisqu’il compte plus d’une douzaine d’esclaves couseurs : « j’ai treize esclaves à nourrir », τρεῖς καὶ δέ[κ’ οἰκέτας β]όσκω (HER. VII, 44).
16S’esquisse donc à travers ces exemples un « artisanat de “maîtres d’ateliers”, où le patron est un homme de l’art qui dispose des moyens nécessaires pour être à la tête d’ateliers à la main-d’œuvre plus importante, où le travail peut être différencié17 ».
Dans l’entre-deux : petites unités domestiques et travail des femmes
17Il existait vraisemblablement par ailleurs de « petites unités intégrées la plupart du temps dans un habitat », selon la formule de Roland Étienne18, limitées à un très petit nombre de travailleurs et dont les produits permettaient de tirer plus occasionnellement quelques profits. Un autre passage d’Hérondas (HER. VI, 63-64) nous laisse peut-être entrevoir cette existence d’un atelier de cordonnerie à domicile : mais le texte n’est pas suffisamment explicite quant au nombre de travailleurs (il semblerait que Cerdon œuvre seul toutefois), et il s’agit surtout d’y dénoncer la pratique frauduleuse d’un cordonnier qui tient chez lui un atelier clandestin (κατ ’οἰκίην δ’ ἐργάζετ’ ἐνπολέων λάθρη, v. 63) pour éviter d’être taxé par des inspecteurs19.
18L’existence d’ateliers plus importants comme ceux qu’attestent Eschine et Hérondas – ateliers eux-mêmes parfois considérés comme la « limite haute » d’une production domestique –, n’exclut nullement qu’on ait pu commercialiser des produits fabriqués à domicile volontairement en surnombre20 ou prévus initialement pour une autoconsommation, en cas de « surplus accidentel » ou encore de nécessité économique pouvant mener, par exemple, à la mise en vente de produits finis ayant déjà servi. À l’échelle globale de l’artisanat antique, cette question de « la production à domicile dont on ne sait pas jusqu’à quel point elle était réservée aux besoins de l’oikos et n’était pas mise sur le marché en cas de surplus21 » divise encore les spécialistes, et devant le peu de sources explicites, nous sommes bien en peine de nous prononcer pour le domaine de la peau et du cuir qui nous occupe. Ce que l’on peut affirmer, c’est que la possibilité d’une production de cuir à petite échelle est très certainement à exclure, en raison du savoir-faire et surtout des installations qu’elle requiert ; en revanche, la question reste ouverte pour les activités consistant à découper et à assembler des morceaux de cuir pour élaborer des produits finis, activité non dénuée d’un savoir-faire mais qui peut s’acquérir à cette échelle avec des degrés divers de spécialisation et qui ne nécessite que peu de matériel.
19Or, c’est précisément dans cet entre-deux, entre travail à proprement parler domestique et surproduction à des fins lucratives au sein de la maison, que se pose la question du travail des femmes. Les sources le concernant sont, en général, « éparses et laconiques22 ». On peut supposer que l’apprentissage d’un savoir-faire reposant sur la pratique à domicile devait se faire par l’intermédiaire du père ou chez un tiers. Mais là encore, il reste particulièrement difficile de trouver, dans notre domaine comme pour la plupart des artisanats, la délimitation entre les travaux accomplis par les femmes de la maisonnée pour un usage personnel ou domestique et une production volontairement surnuméraire en vue de la vente23.
20Souvent, dans les sources évoquant le travail féminin, la femme est décrite en pleine activité24 ; lorsque le nom d’un « métier » est renseigné et associé étroitement au nom propre d’une femme, comme l’usage semble se répandre à partir du ive siècle, cela peut signifier soit que la femme vient en aide à son mari dans son activité artisanale, soit qu’il s’agit bien d’une activité professionnelle qu’elle exerce seule en dehors du cadre domestique, le plus souvent alors dans le commerce de détail et la vente de marchandises25, notamment de trois sortes de biens (la nourriture, les vêtements et la cosmétique)26, ce qui n’est jamais formulé explicitement dans notre corpus. Enfin, il faut bien comprendre que la variété des activités attribuées aux femmes après le milieu du ve siècle dans Athènes correspond davantage à une « très haute fragmentation des tâches » plutôt qu’à une réelle spécialisation, chacune d’entre elles pouvant les assumer à tour de rôle ou les cumuler27.
21Dans le domaine des peaux et du cuir, nous disposons de trois inscriptions mettant en relation un nom propre de femme et un terme de métier des peaux ou du cuir, et elles ne nous permettent pas réellement de comprendre la place exacte de la femme dans la chaîne de production et de vente des produits, dont on ne sait même pas ici s’ils sont réalisés à la maison ou en atelier.
22La moins pertinente pour nous, peut-être du iiie siècle av. J.-C., apparaît sur une tablette de défixion : elle concerne une certaine « [X]énodikè, femme de tanneur », [Ξ]ενοδίκη | ἡ [τοῦ] βυρσοδέψου | γυνή (IG III(3) Ap. no 46, l. 3-5), formule qui n’implique nullement une quelconque participation aux activités du mari.
23Pour ce qui est de la cordonnerie, une inscription très mutilée, datée de 330-310, mentionne « Myrrin[è ?], <fille de> [-]ippos, demeurant [au Pir]ée (?), cordo[nnière] » qui « [a été affranchie] », ἐμ Πειρ]αι? οἰκοῦσα σκυτ | [ἀπέφυγε ---- ί]ππου Μυρριν· (IG II2 1578, l. 5-6) : faut-il y voir une femme cordonnier ou une préposée à la vente des chaussures que fabriquai(en) t un ou des homme(s) de l’atelier28 ? Le terme relatif à son activité étant abrégé, était-elle plutôt une « vendeuse de cuir ou d’objets en cuir » ? Il nous est impossible de trancher définitivement.
24Un dernier témoignage du iiie siècle (?)29 concerne « la cordonnière M[al]thakê fille d’Euthykr[atès] », ἡ σκυτοτόμος Μ[αλ]θάκη ἡ Εὐθυκρ(άτους), visée par une défixion (IG III(3) Ap. no 12)30. Cette fois, le nom de métier est directement associé à la femme et semble la caractériser comme une ouvrière s’adonnant à une activité spécialisée, et non à une tâche domestique parmi d’autres.
Une industrie profitable : un « artisanat de propriétaires » ?
25Deux personnages historiques dont l’activité est attestée dans le dernier quart du ve siècle et au début du ive siècle sont donnés par la tradition comme des propriétaires d’un artisanat de peaux, peut-être à grande échelle, leur permettant de tirer des profits importants. Il s’agit de Cléon et d’Anytos.
26Cléon, cible privilégiée d’Aristophane, a fait l’objet d’une étude récente qui recense les informations dont nous disposons à son égard et jette plus d’un doute sur la véracité de son appartenance aux métiers du cuir, qui pourrait n’être qu’une fiction mise en scène par le dramaturge31. Une scholie nous apprend que « son père, Kléonymos [en réalité, Kléainetos]32, était propriétaire d’un atelier d’esclaves tanneurs », ὁ πατὴρ αὐτοῦ Κλεώνυμος ἐργαστήριον εἶχε δούλων βυρσοδεψῶν (Sch. Cav. 44c (II) [vet]). Le nombre n’en est pas précisé, mais on a pu voir dans le Paphlagonien, présenté comme une « sorte d’intendant au service de Démos », une allusion à un Cléon administrateur d’un grand atelier, ne se contentant pas d’en tirer les profits33. La démonstration se poursuit et interroge le milieu social de Cléon : était-il « roturier parvenu, bourgeois ambitieux, membre de l’élite traditionnelle34» ? Elle aboutit à la conclusion que Cléon, tirant ses richesses non de sa propriété foncière mais d’un artisanat et d’un commerce de peaux (βυρσοπώλης), ne serait toutefois pas un « nouveau riche », un « démagogue roturier », mais viendrait d’une famille dont la fortune serait constituée depuis un certain temps déjà et qui aurait investi dans de grands ateliers de tannerie35. Enfin, l’accusation portée contre Cléon, à travers le personnage du barbare, d’être personnellement un artisan, de s’adonner à la pratique, relèverait du topos littéraire du démagogue, entre autres choses défini par ses vices et une activité servile ou quasi servile – topos qui n’empêche nullement l’accusation de reposer sur une revendication bien réelle de la part de Cléon de participer à ce type d’activités artisanales pour séduire le petit peuple qui jouait un rôle important à l’Assemblée36. On aurait alors l’exemple ici d’un autre niveau de gestion dans la production du cuir, un « artisanat de propriétaires » ou « d’entrepreneurs » où les ateliers sont perçus comme une « source d’investissements par des possédants qui tirent profit de la vente des produits fabriqués, sans être eux-mêmes des professionnels37 ».
27Nous disposons de peu d’éléments concernant une autre figure de citoyen athénien, Anytos d’Érechtheis, fils d’Anthémion, stratège en 409/408, qui aurait perdu beaucoup d’argent sous les Trente. Il était vraisemblablement propriétaire d’une tannerie et, par ailleurs, il est bien connu comme l’un des accusateurs de Socrate38. Une scholie à l’Apologie de Socrate de Platon dit de lui qu’il était « l’amant d’Alcibiade, enrichi par la tannerie », et précise que « Théopompe l’appelle Embadas, en rapport avec les embades, tandis qu’Archippos le raille sous prétexte qu’il était cordonnier », οὗτος ὁ Ἄνυτος ἦν... Ἀλκιβιάδου ἐράστης, πλούσιος ἐκ βυρσοδεψικῆς [...] Θεόπομπος δὲ Ἐμβάδαν αὐτὸν εἶπε παρὰ τὰς ἐμβάδας, ἐπεὶ καὶ Ἄρχιππος ὡς σκυτέα αὐτὸν σκώπτει (Sch. PLAT. Ap. 18b)39. Dans le dialogue du même nom de Xénophon, Socrate interpelle directement Anytos et semble le rattacher au monde des artisans du cuir puisqu’il souhaiterait transmettre son savoir-faire à son fils (XEN. Ap. 29)40. Ces quelques sources permettent donc difficilement de comprendre quelles étaient l’activité réelle d’Anytos et la taille de l’entreprise à l’origine de sa fortune, mais elles le rattachent au monde des artisans de manière moins équivoque que dans le cas de Cléon.
L’approvisionnement en peaux (brutes, semi-finies) et en cuir
28Le commerce des peaux et du cuir peut s’entendre à deux niveaux : il s’agit, pour l’un, de se procurer la « matière première », à savoir de se fournir en peaux en vue de les traiter, ou en cuir, donc un matériau déjà transformé mais non agencé, en vue de fabriquer des objets ; pour l’autre, d’acheter des produits semi-finis (courroies, feuilles de cuir) ou finis susceptibles d’être mis en usage immédiatement. Dans les deux cas, on peut se demander s’il existe plusieurs échelles pour ce commerce.
29On peut, à l’aune d’études sur le commerce grec et les marchands, établir d’après nos sources que :
il existe un commerce par mer de peaux, dont l’état exact ne nous est pas connu : elles pouvaient être déjà lavées et avaient nécessairement reçu un traitement stoppant leur putréfaction (par séchage, par exemple) ;
il existe des moyens de proximité de se procurer des peaux fraîches (nous sommes bien renseignés sur ce qui se passe lors des sacrifices, notamment), des peaux semi-apprêtées en vue d’une fabrication plus ou moins grossière d’objets à une échelle domestique ;
on se procure des objets finis auprès de revendeurs, sur des lieux qui tiennent à la fois de l’atelier et de la boutique41.
Les sources d’approvisionnement en peaux : campagne, sanctuaires
30À la campagne, il est facile de se procurer la peau, puisqu’on vit au contact des animaux qui la fournissent. Bien que n’ayant pas d’exemple de ce type d’approvisionnement dans notre corpus – mais on trouve un parallèle pour la laine qui, produite à la ferme par des esclaves, est ensuite vendue en ville par les mêmes personnes42 –, on peut supposer un traitement (sommaire) de la peau à la ferme suivi de la vente en ville.
31Il ne faut par ailleurs pas négliger la part des sanctuaires, qu’ils fussent urbains ou non, dans l’approvisionnement des peaux pour le monde grec. Nombre de témoignages montrent en effet que, dans le cadre du sacrifice, la peau revient, dans la majorité des cas, au célébrant ou à celui qui offre le sacrifice, et parfois au prêtre du sanctuaire où le sacrifice est célébré43. Elle est à la fois un signe d’élection du destinataire (valeur honorifique et religieuse) et un émolument (valeur marchande)44. Les textes littéraires et les inscriptions emploient unanimement le terme générique δέρμα(τα) pour désigner ce morceau de choix45, attribué en outre, pour les mêmes raisons, à leur roi par les Spartiates, d’après Hérodote (HDT VI, 56 et 57, qui emploie les expressions τῶν θυομένων ἁπάντων τὰ δέρματα et τῶν τυθέντων τὰ δέρματα), ou encore attesté comme prix estimé dans un concours : « peau de bœuf et bétail, prix d’un concours de vitesse », ἱερήιον [...] βοείην | [...] ἅ τε ποσσὶν ἀέθλια γίνεται ἀνδρῶν (Il. 22, 159-160) ; « peaux », mais aussi « bétail et manteaux », « récompenses » offertes aux vainqueurs de jeux gymniques en l’honneur de Persée, dans la ville de Chemmis qui a adopté les usages grecs, παρέχοντες ἄεθλα κτήνεα καὶ χλαίνας καὶ δέρματα (HDT II, 91). Des compensations financières, d’un montant fixé à l’avance et ne correspondant pas à la valeur marchande réelle de la peau, sont parfois prévues dans les casuels pour le cas où l’officiant ne pourrait obtenir la peau du bétail sacrifié, que la victime fût entièrement brûlée au cours du rituel ou la peau laissée à d’autres participants. Le premier cas est attesté, par exemple, dans un casuel trouvé à Athènes, établi au ive siècle par les autorités d’un dème, qui précise les gêrê de différentes prêtresses : elles reçoivent pour émoluments cinq drachmes et la peau de jeunes animaux (τὸ δέρμα τō ἐτέλο) ; la prêtresse d’Héra, quant à elle, reçoit trois drachmes supplémentaires pour tout animal adulte sacrifié sans que sa peau ait été prélevée (τὸ δέρμα ἅπαντος εὑστō τελέο, « la peau entièrement brûlée », l. 12)46. Le second cas de figure est prévu dans une convention passée entre les cités de Delphes et de Skiathos au cours de la première moitié du ive siècle, qui autorise les Skiathiens à emporter les peaux des victimes, revenant de droit aux Delphiens, après le sacrifice contre un paiement de deux ou une obole selon que l’affaire fût publique (τὸ δαμόσιον) ou privée (τὸ ἴδιον), « en échange de la peau » (ἐς τὸ δέρμα, l. 12-15)47.
32Dans les cas précédents, les personnes qui en deviennent propriétaires ont toute latitude ensuite de vendre la peau à un artisan tanneur ou à un pelletier, ou de l’échanger contre un bien, et il devait exister en dehors de ce circuit tout un réseau de collecte et de vente de peaux aux particuliers. Un troc de ce type est mis en scène dans l’Iliade entre les Achéens, qui offrent alors aux dieux des sacrifices de bœufs, et les fils d’Atrée : en échange du vin de ces derniers, les Achéens échangent « du bronze, du fer luisant, des peaux, des bœufs sur pied, des esclaves » (Il. 7, 473-475 : ἄλλοι μὲν χαλκῷ, ἄλλοι δ’ αἴθωνι σιδέρῳ, | ἄλλοι δὲ ῥινοῖς, ἄλλοι δ’ αὐτῇσι βόεσσιν, | ἄλλοι δ’ ἀνδραπόδεσσι). Pour ce qui est des ventes de peaux, un règlement d’Oropos du ive siècle relatif aux droits et devoirs du prêtre d’Amphiaraos stipule que « la peau de toutes les bêtes immolées dans le sanctuaire <doit être consacrée> », τῶν δὲ θυομένων ἐν τοῖ ἱε-|ροῖ πάντων τὸ δέρμα <ἱερὸν εἶναι>, c’est-à-dire que les peaux ne reviennent pas au prêtre mais au héros, ce qui revient à dire que le produit de leur vente alimentait le trésor d’Amphiaraos48.
33À Athènes enfin, dans le dernier tiers du ive siècle, est créé le dermatikon, un fonds public alimenté par la vente des peaux des victimes des sacrifices organisés pendant les grandes fêtes publiques49. La Souda attribue à l’administration de l’orateur Lycurgue, alors en charge des finances publiques, une telle pratique au profit du trésor public :
Lycurgue désigne <par le terme> dermatikon l’argent provenant de la vente des peaux.
δερματικόν· Λυκοῦργος λέγει τὸ ἐκ τῶν δερματίων τῶν πιπρασκομένων περιγινόμενον ἀργύριον (Souda s.v.).
34Il est fort probable que Lycurgue n’ait pas inventé ex nihilo cette mesure, mais qu’il n’ait fait que réguler – ou encore simplement enregistrer – une pratique existant avant lui50. Les comptes que nous en avons conservés (IG II2 1496)51 s’échelonnent de novembre/décembre 334 à février/mars 330 : la stèle, qui comporte des lacunes, donne une liste des sacrifices annuels pris en compte par la mesure de vente des peaux et les montants reçus. Différentes interprétations ont été données du nombre de victimes sacrifiées et du prix de vente des peaux. On a toutefois pu proposer, en recoupant les comptes du dermatikon et d’autres sources (IG II2 1356, l. 5-6, du début du ive siècle, donnant vraisemblablement le prix d’une peau de pourceau ; IG II2 1673, l. 47, probablement de 327/326, et IG II2 1672, l. 104, de 329/328, donnant le prix d’une diphtera, donc d’une peau de caprin sommairement préparée), l’estimation large mais prudente suivante : entre 1,5 à 5 drachmes pour une peau de pourceau, de chèvre ou de mouton, et de l’ordre de 4 à 10 drachmes pour une peau de bœuf52.
De rares témoignages de ravitaillement en peaux et cuir dans les centres urbains
35Platon a conçu théoriquement un système à grande échelle d’approvisionnement de tels biens : Socrate, dans sa construction de l’État idéal, évoque les relations entre les « bouviers, bergers et les autres espèces de pasteurs », βουκόλοι, ποιμένες, ἄλλοι νομεῖς, et les artisans que sont les « cordonniers et tisserands », ὑφάνται καὶ σκυτοτόμοι, auxquels les premiers procurent « des peaux et des laines », δέρμασίν τε καὶ ἐρίοις (PLAT. Rép. II, 370e), et réclame une gestion menée par l’intermédiaire de commissionnaires nécessaires « pour importer et exporter les diverses denrées » (PLAT. Rép. II, 371a : διακόνων [...]τῶν τε εἰσαξόντων καὶ εξαξóντων ἕκαστα). Cependant, ce sont bien des petits revendeurs qui peuplent la ville de Théophraste ou de Théocrite : le « Rustre » des Caractères, « quand il descend à la ville, interroge le premier passant sur le prix des peaux et du poisson salé », εἰς ἄστυ καταβαίνων ἐρωτῆσαι τὸν ἀπαντῶντα πόσου ἦσαν αἱ διφθέραι καὶ τὸ τάριχος (THEOPH. Car. IV, 15), deux biens courants et de première nécessité ; le mari de Gorgô achète pour le ménage, à un prix exorbitant, des toisons et peaux de mauvaise qualité (THEOCR. XV, 19-20)53.
36Le βυρσοπώλης, « revendeur de peaux/de cuir », vendait les peaux traitées en les débitant : c’est pourquoi le terme est associé à l’acte de « couper la peau » (ταῦτα ἐποιοῦν καὶ οὗτως ἔτεμνον οἱ βυρσοπώλαι, « les bursopôlai agissaient ainsi [i.e. frauduleusement] et coupaient de cette manière » (Sch. Cav. 317 b [vet])54.
37Quant à la scène représentée sur l’amphore de Boston (fig. 32), il n’est pas assuré qu’il faille y voir une jeune femme tendant au cordonnier une peau qu’elle se serait elle-même procurée : celle-ci paraît au contraire suspendue dans le champ, comme accrochée à un clou, et non saisie entre les doigts du personnage dont la main se détache nettement à l’avant de l’objet55.
Des échanges à grande échelle : le commerce d’importation de peaux
38Une liste de produits importés à Athènes au ve siècle précise que proviennent « de Cyrène la tige du silphium et le cuir de bœuf », ἐκ μὲν Κυρήνης καυλὸν καὶ δέρμα βόειον (ATH. I, 27f)56. On est tenté de rapprocher ce cuir de « celui de Libye » dont Hésychius relève qu’il était « le plus estimé », δέρμα Λιβυκόν· ὡς κάλλιστον (HESYCH. s.v.). Le « cuir de Carthage » est mentionné à plusieurs reprises par Hippocrate (HIPPO. Art. 33, 37, 38 ; Mochl. 2)57, mais nous n’avons aucune idée précise de sa véritable nature.
39Nous possédons par ailleurs pour le ive siècle le témoignage d’un commerce de grande envergure d’importation de peaux traitées (mais à quel degré ?) en provenance de la mer Noire58, qui entre dans ce qu’on a pu désigner comme le « troisième cercle » des échanges d’Athènes pour la période classique, constitué par l’arrière-pays (Macédoine, Thrace, mer Noire, Égypte, Chypre, Proche-Orient)59. Ainsi, dans le Contre Lacritos, le plaideur Hippias témoigne contre Apollodore, qui n’aurait rapporté du Pont que de trop rares marchandises pour remplacer les amphores qu’il allait y vendre, dont « deux ou trois paquets de peaux de chèvres », δέρματ’ αἴγεια, δύο δέσμας ἢ τρεῖς (DEM. C. Lacr. 34). Dans un autre procès contemporain, le Contre Phormion, il est question d’un bateau qui a coulé avec ses marchandises en raison de sa trop lourde cargaison, contenant entre autres choses « mille peaux », χιλίας βύρσας (Ps-DEM. C. Phorm. XXXIV, 10)60.
40Au début du ier siècle apr. J.-C., Strabon signale encore comme pôle marchand la ville de Tanaïs, en Asie Cistaurique :
Fondée par les Grecs qui détenaient le Bosphore, elle servait de marché d’échange à la fois pour les nomades d’Asie et d’Europe et pour les navigateurs venus du Bosphore trafiquer sur le Méotide, les premiers procurant des esclaves, des peaux et en général ce que pouvaient offrir des nomades, les seconds apportant en contrepartie des vêtements, du vin et tout ce qui est propre à notre mode de vie <civilisé>.
[ἡ] Τάναϊς, κτίσμα τῶν τὸν Βόσπορον ἐχόντων Ἑλλήνων [...] ἦν δ’ἐμπόριον κοινὸν τῶν τε Ἀσιανῶν καὶ τῶν Εὐρωπαίων νομάδων καὶ τῶν ἐκ τοῦ Βοσπόρου, τὴν λίμνην πλεόντων, τῶν μὲν ἀνδράποδα ἀγόντων καὶ δέρματα καὶ εἴ τι ἄλλο τῶν νομαδικῶν, τῶν δ’ἐσθῆτα καὶ οἶνον καὶ τἆλλα, ὅσα τῆς ἡμέρου διαίτης οἰκεῖα, ἀντιφορτιζομένων (STRAB. XI, 2, 3).
41Par le même auteur, nous savons en outre que deux autres régions étaient pourvoyeuses de peaux au ier siècle : la Bretagne et la ville d’Aquileia en Istrie, fondée par les Romains en 181 av. J.-C. et protégée des peuples barbares de l’arrière-pays par une série de remparts :
[La Bretagne] produit du blé, du bétail, de l’or, de l’argent et du fer. Les produits sont exportés, ainsi que des peaux, des esclaves et d’excellents chiens de chasse.
φέρει δὲ σῖτον καὶ βοσκήματα καὶ χρυσὸν καὶ ἄργυρον καὶ σίδηρον· ταῦτα δὴ κομίζεται ἐξ αὐτῆς καὶ δέρματα καὶ ἀνδράποδα καὶ κύνες εὐφυεῖς πρὸς τὰς κυνηγεσίας (STRAB. IV, 5, 2).
[Aquileia] ouvre son marché aux peuples de l’Illyrie qui habitent le bassin de l’Istros : ils viennent y chercher les marchandises acheminées par mer, du vin [...] et de l’huile, tandis qu’on leur achète des esclaves, du bétail et des peaux.
ἀνεῖται δ’ ἐμπόριον τοῖς περὶ τὸν Ἴστρον τῶν Ἰλλυριῶν ἔθνεσι· κομίζουσι δ’ οὗτοι μὲν τὰ ἐκ θαλάττης, καὶ οἶνον [...] καὶ ἔλαιον, ἐκεῖνοι δὲ ἀνδράποδα καὶ βοσκήματα καὶ δέρματα (STRAB. V, 1, 8).
42Ainsi, un commerce procédant à l’échange de produits finis et de luxe contre des esclaves et des matières premières, dont des peaux61, est bien attesté au moins dès le ive siècle62. Par conséquent, si les Grecs importent des peaux non encore transformées en cuir, ils ont nécessairement développé des tanneries, même si ni les sources ni l’archéologie n’en trouvent la trace.
43Ces questions d’échelle de production et de diffusion des produits semi-finis ou finis étant posées, il convient désormais de voir si une organisation en métiers a été effective ou non dans le monde grec et dans quelle mesure on peut parler de spécialisation, à partir des sources plus nombreuses depuis l’époque classique.
Les métiers et « filières » des peaux, fourrures et cuir
Lexique des métiers
44Le caractère domestique de la production dans de nombreux domaines de la culture matérielle, comme nous l’avons signalé auparavant, ne facilite pas l’établissement d’un catalogue exhaustif des métiers artisanaux63. Toutefois, dans le domaine du cuir, nos sources fournissent un assez grand nombre de termes. Trois phénomènes lexicaux sont bien visibles, malgré le recoupement de certains sens et l’emploi inévitable de mots génériques, faussant quelque peu notre réception quant à la précision des emplois :
la répartition de tous ces mots en deux familles sémantiques bien différenciées, souffrant peu d’exceptions, et qui pourrait correspondre à une différenciation des tâches en deux catégories distinctes d’activités, ou « filières » (plutôt que « corps de métiers »), à savoir la tannerie et la cordonnerie, les tâches de corroyage n’étant pas clairement posées comme étant de l’une ou l’autre filière ;
la création de deux composés, renvoyant à la fabrication de la fourrure et dont la rareté d’emploi doit être imputée au discrédit porté sur un tel matériau, du moins dans le domaine du vêtement64 ;
un emploi restreint fréquent du nom skutotomos, au sens étymologique générique, mais aussi des emplois spécialisés, bien explicités par leur contexte, dans lesquels il n’est pas interdit de voir la marque d’une polyvalence technique de l’artisan qui porte ce nom.
Deux filières distinctes
Deux familles de mots : « amollir » vs « couper/assembler »
45En dehors des individus qui pouvaient se prêter à la transformation sommaire des peaux et à leur assemblage dans le cadre de la campagne ou du petit peuple en ville, il existe des professionnels du cuir à proprement parler, ainsi qu’en témoignent les énumérations de noms de métiers, dont nous avons déjà parlé, et les définitions des lexicographes. Ces dernières répartissent de façon systématique les tâches en deux grands secteurs d’activités : d’un côté, celles qui consistent à « amollir la peau » fraîche en la trempant (lavage et/ou tannage) et à l’« assouplir » en la graissant, sens perceptible dans le radical δεψεῖν, « pétrir, amollir, assouplir »65, de termes composés, qui reçoivent alors des traductions diverses mais pas toujours précises en contexte (« tanneur », « corroyeur ») ; de l’autre, les activités de segmentation et d’assemblage du cuir, consistant à le « couper » (famille de τέμνω/τομή) et à le « coudre » (famille de ῥάπτω), ces « découpeurs-assembleurs » de peaux effectuant les opérations de cordonnerie, de bourrellerie, de sellerie, de raccommodage... Dans plusieurs listes de métiers, ces noms d’agents et verbes d’action apparaissent en couples bien dissociés (AR. Pl. 162 et 166-167, avec parfois la nette distinction d’avec un troisième ouvrier qui lave les « toisons », κῴδια)66.
46Chez les lexicographes, il n’y a pas, à une exception près67, de synonymie possible entre l’« amollisseur » et le « coupeur-couseur ». Le lexique semble donc traduire une démarcation entre deux grandes familles de métiers, deux « filières », et refléter une organisation socio-économique des tâches, en ce qu’elle suppose l’existence de réseaux d’acheteurs et de vendeurs de nature et d’ampleur différentes ; en ce que l’investissement d’un cordonnier, qui n’a besoin que de peu d’équipements, n’est pas le même que celui d’un tanneur, qui nécessite des installations lourdes pour la transformation et le stockage des peaux (bâtiments, cuves…). Et, de fait, pour le monde grec, les études sur l’artisanat montrent qu’hormis pour certains domaines comme le textile ou la céramique, les cas d’« intégration complète de la production », où une seule et même personne contrôle « l’ensemble du cycle, de la production de la matière première à l’artefact68 » sont rares, précisément pour des raisons d’investissement.
Attestation et place du corroyeur
47Bien que la distinction entre les deux familles de mots hyperonymes soit globalement opératoire, il existe cependant quelques anomalies dans les occurrences littéraires, qui nous laissent entrevoir, sinon une perméabilité effective entre les deux filières, du moins un flottement dans l’usage de certains termes qui pourraient désigner les personnes en charge des opérations de corroyage, susceptibles d’être accomplies dans l’atelier du tanneur ou dans celui du cordonnier.
48Chez Théophraste, un client demande ainsi à un skutodepsès de lui « rapiécer » (ἐπιρράψαι) un sac troué (THEOPH. Car. XVI, 6). On attendrait plutôt un skutotomos pour ce genre de tâche de couture. Le terme skutodepsès désigne vraisemblablement ici ce que nous nommerions un « corroyeur », la personne qui assouplit une peau déjà tannée, plutôt qu’un « tanneur »69. Le cordonnier assurant lui aussi des tâches d’assouplissement et d’entretien du cuir à la graisse, il peut tout à fait être désigné ici par cette appellation. La nuance lexicale, à supposer qu’elle soit voulue, distingue donc tout au plus des tâches mais ne correspond pas à un découpage en métiers distincts.
49Toutefois, corroyer un cuir est une tâche qui s’effectue à différents stades, non exclusifs l’un de l’autre, de la production de l’objet : immédiatement après le tannage, donc possiblement encore dans l’atelier du tanneur ; au moment de la fabrication de l’objet à partir du cuir, donc dans l’atelier du cordonnier. Un passage très altéré du Mime VII d’Hérondas fait allusion à la teinture de paires de chaussures par vernissage ou cirage : le cordonnier Cerdon affirme à sa cliente qu’un certain Candas a reçu une bonne somme en récompense de ce travail (HER. VII, 29-30). Or, dans le Mime VI, le lecteur apprend le métier de ce personnage : il est bursodepsès (HER. VI, 87-88 : Κανδᾶτος | τοῦ βυρσοδέψεω). Il s’agirait donc d’un artisan de la tannerie exerçant des tâches de corroyage et, par là, de teinture avant de livrer le cuir à l’artisan monteur de la chaussure – non sans l’avoir, peut-être, découpé au préalable à certains formats en cas de besoin70. Si bien que, là encore, on peut estimer que ce que nous désignons par le terme de « corroyeur » ne correspondait pas à un métier identifié en tant que tel dans le monde grec, et que les termes se référant à ce type d’opération d’assouplissement par graissage (donc relevant de la famille de depso) ne sont pas marqueurs d’une division stricte du travail ni d’un cloisonnement précis à un atelier ou un autre. Il faut bien reconnaître que « la limite est parfois floue entre les artisans [...] [et qu’] il n’y a, du moins dans un premier temps, qu’une multiplicité de facettes d’une même activité qui concerne davantage un matériau qu’une compétence71 ».
Les « fourreurs »
50On notera par ailleurs que la distinction entre « préparateur de cuir » (bursodepsès) et « préparateur de fourrures » (nakodepsès) n’est que peu attestée dans notre corpus72. Le dernier terme se rencontre sans ambiguïté chez Hippocrate puisqu’il est accompagné de la liste des phases de préparation des peaux non dépilées : « les fourreurs (νακοδέψαι) étendent, pressent, peignent, lavent » (HIPPO. Rég. I, 19, 1)73. Un passage d’Athénée emploie la même forme nominale pour désigner un artisan de Sicyone, sans expliciter outre mesure le matériau qu’il utilise, l’étymologie suffisant (ATH. VIII, 352b). Il s’agit peut-être des personnes qui confectionnaient les katônakes, probables manteaux bordés de fourrure que portaient les esclaves à Sicyone, d’après le même Athénée citant Théopompe (ATH. VII, 271d)74. On ne rencontre qu’une fois le composé σισυροποιõι, dans une inscription crétoise de la fin de la période archaïque (IC II, XII, 9 [Prinès], l. 3) : il s’agit d’un contrat passé entre la cité d’Éleutherne et un « fabricant de pelisses » auquel elle attribue trois oboles pour un travail qui demeure inconnu du fait de la lacune de la pierre75.
Skutotomos : polysémie du terme et polyvalence de l’artisan
51D’après les différentes occurrences du terme hyperonyme skutotomos (génériquement « le coupeur de cuir/de lanières »), on constate qu’il désigne principalement le « cordonnier », c’est-àdire la personne qui « fabrique, répare, entretient les chaussures » (AR. Lys. 413-419 : il ajuste les courroies de sandales ; PLAT. Alc. 129c : il tranche avec le tomeus ; PLAT. Banq. 191a : il fait des finitions ; PLAT. Gorg. 447d : il fabrique des chaussures ; THEOPH. Pl. V, 5, 1 : il prépare son aiguisoir ; LUC. Songe 26 : il tranche et entaille ; LUC. Trav. 15 : il tranche, utilise du cirage et dispose d’une alène ; etc.) mais il n’y a guère que dans la construction théorique de la cité-État idéale, où chacun joue un rôle bien précis, que la restriction de sens du mot correspond à une spécialisation stricte, pour les besoins de la démonstration : l’interlocuteur parle alors de « cet excellent règlement qui enjoignait à l’homme né pour être cordonnier de faire des chaussures, et rien d’autre », τὸ τὸν μὲν σκυτοτομικὸν φύσει ὀρθῶς ἔχειν σκυτοτομεῖν, καὶ ἄλλο μηδὲν πράττειν (PLAT. Rép. IV, 443c). Le mot connaît en effet quelques autres acceptions bien repérables en contexte et peut dès lors recevoir d’autres traductions : l’épopée homérique (Il. 7, 221) et Hésychius (HESYCH. s.v. Τυχίος) désignent ainsi Tychios, un fabricant de boucliers ; selon Platon, il revient au σκυτοτόμος/σκυτεύς de fabriquer brides et mors (PLAT. Rép. X, 601c) ; Hérondas fait d’un dénommé Cerdon – nom générique de trois artisans dans son œuvre – le très doué fabricant d’un godemiché (HER. VI) ; Hésychius englobe dans sa définition du terme le « couseur de tentes », σκηνορράφος ; etc.
52Cette polysémie correspond à coup sûr dans les faits à une polyvalence de l’artisan. En témoignent deux passages de Xénophon. L’un renvoie aux préparatifs de campagne de Cyrus (XEN. Cyr. VI, 2, 37)76 ; l’autre à l’organisation à Éphèse de concours entre soldats, dans le but de les entraîner, par le roi de Sparte Agésilas :
L’agora était pleine de toute espèce de chevaux et d’armes à vendre. Forgerons, menuisiers, bronziers, cordonniers, peintres, étaient tous occupés à fabriquer des armes de combat, si bien que la cité avait réellement l’aspect d’un atelier de guerre.
ἥ τε γὰρ ἀγορὰ ἦν μεστὴ παντοδαπῶν καὶ ἵππων καὶ ὅπλων ὠνίων, οἵ τε χαλκοτύποι καὶ οἱ τέκτονες καὶ οἱ χαλκεῖς καὶ οἱ σκυτοτόμοι καὶ οἱ ζωγράφοι πάντες πολεμικὰ ὅπλα κατεσκεύαζον, ὥστε τὴν πόλιν ὄντως οἴεσθαι πολέμου ἐργαστήριον εἶναι (XEN. Hell. III, 4, 17).
53Dans les deux cas, les skutotomoi sont enrôlés dans l’armée au côté d’autres artisans, en vue de fabriquer tous les équipements utiles au combat, au harnachement et au transport. Il est certain que les préparatifs de campagnes militaires réclamaient un effectif important d’artisans – ce qui semble montrer qu’on ne trouvait pas en nombre suffisant des hommes dotés des compétences requises – qui étaient alors sollicités pour produire des objets et équipements dont certains étaient communs et d’autres plus inhabituels ; grâce à leur savoir technique très large dans leur domaine, ils pouvaient s’adapter facilement. Qui plus est, la rencontre entre ces différents artisans a pu être un vecteur d’échange d’art et de diffusion matérielle (outils, artefacts…) ou immatérielle (modèles, processus…), mais cela est difficilement appréciable faute de témoignages77.
54Il apparaît donc, à la lueur de cette étude lexicale, que si le burso-/skuto-depsès s’occupe majoritairement de transformer les peaux, le terme peut aussi désigner un individu qui effectue des tâches d’apprêt du cuir : vernissage ou cirage, débitage, rapiéçage. La façon de distinguer les tâches n’est pas toujours extrêmement précise ou exacte, et la nomenclature correspond moins à une typologie fixée et très nuancée des métiers qu’à deux grandes « filières » : celle de ce qu’on a pu dénommer des « ateliers primaires », où l’on préparait les peaux brutes, et celle d’« ateliers secondaires », où l’on fabriquait les objets finis78. Le skutotomos, exerçant dans ce dernier cadre, est amené à fabriquer des chaussures, mais il n’est pas qu’un cordonnier (bien que dans des contextes généraux, il faille lui donner ce sens) : ses compétences techniques lui assurent une polyvalence reconnue dans bien des cas.
55Un tel cloisonnement entre les deux « filières » d’activités évoquées ci-dessus, reposant sur une opposition lexicale, doit toutefois, pour être validé, trouver son fondement dans le système technique, car, dans bon nombre de cas, « c’est la technique qui paraît déterminer une forme d’organisation [en filières]79 ». De fait, la distinction des tâches entre préparateur de peaux et « coupeur/couseur de cuir » semble acceptable pour trois raisons :
une différence d’investissement, dans la nature de l’outillage et les capitaux à mobiliser : le tannage par trempage nécessite des infrastructures fixes (cuves creusées, canalisations) ou difficilement transportables (amphores-cuves), de façon plus générale un point d’eau courante, sans oublier des espaces de stockage (peaux à traiter, écorce). Le cordonnier dispose au contraire d’outils transportables pour accomplir sa tâche, et son activité peut se faire dans n’importe quel « local », voire à domicile (pièce réservée ou mezzanine)80. La question des capitaux n’est pas négligeable : pour le tanneur, le stockage et la main d’œuvre mobilisent des capitaux, alors que le cordonnier peut travailler seul et n’a pas besoin de stocker le cuir ni les objets fabriqués.
une différence de nature de leur technè : chacune des activités (préparation de peaux/segmentation et assemblage de pièces de cuir) relève d’un savoir-faire très spécialisé, d’un ensemble de processus et de gestes bien différents ;
la différence de localisation des ateliers : le tanneur peut éventuellement être mis à l’écart des centres urbains ou des sanctuaires, plus par crainte d’une souillure religieuse que par la prise en compte de nuisances, mais surtout il doit s’implanter au plus près d’un accès en eau, voire, secondairement, de la matière première (donc des élevages) et des voies de communication en vue d’un acheminement des peaux81. Le cordonnier, bourrelier, sellier... doit, lui, être au plus proche de sa clientèle : son atelier-boutique est de préférence situé au cœur de la ville (agora et abords), sur les artères principales ou aux portes de la ville.
La question de la spécialisation du travail à l’époque classique
Textes théoriques
56Reste à savoir s’il a existé dès l’époque classique une spécialisation poussée des tâches, notamment en cordonnerie pour laquelle les sources sont plus fournies. Il faut, sur cette question, distinguer la fragmentation du travail et la division des tâches de la spécialisation. Cette dernière est manifeste à partir du moment où le travailleur est considéré comme l’expert d’un geste qu’il réalise au mieux (en termes de qualité et/ou de quantité dans la production). La spécialisation est liée généralement à l’existence d’une clientèle locale et à la situation d’un atelier dans une grande ville. C’est en effet ce qu’affirme Xénophon, dans un passage très connu de la Cyropédie où il fait une digression en partant du constat que la table royale du Grand Roi atteint la perfection ; selon lui, le niveau d’excellence de la cuisine et des technai en général est dû au degré de spécialisation des travailleurs :
Dans les petites cités, c’est le même homme qui fabrique lits, portes, charrues ou table et c’est souvent le même aussi qui est maçon ; encore heureux si, de la sorte, il trouve suffisamment d’employeurs pour le nourrir ; cela étant, il est impossible qu’un artisan qui exerce plusieurs métiers excelle en tous. Dans les grandes villes, du fait que beaucoup de gens ont besoin de chaque objet, chaque métier suffit à lui seul à faire vivre son artisan, et souvent même il suffit d’exercer une simple branche de spécialité : l’un fabrique des chaussures d’hommes, l’autre de femmes. Il est des lieux où l’un gagne sa vie à tirer le ligneul, l’autre à tailler des empeignes, l’autre à découper simplement des tiges, l’autre ne procédant à aucune de ces façons mais à l’assemblage des pièces. Il est donc nécessaire que celui qui se consacre au travail le plus délimité soit aussi forcé d’être le meilleur fabricant82.
Ἐν μὲν γὰρ ταῖς μικραῖς πόλεσιν οἱ αὐτοὶ ποιοῦσι κλίνην, θύραν, ἄροτρον, τράπεζαν, πολλάκις δ’ ὁ αὐτὸς οὗτος καὶ οἰκοδομεῖ, καὶ ἀγαπᾷ ἢν καὶ οὕτως ἱκανοὺς αὐτὸν τρέφειν ἐργοδότας λαμβάνῃ· ἀδύνατον οὖν πολλὰ τεχνώμενον ἄνθρωπον πάντα καλῶς ποιεῖν. Ἐν δὲ ταῖς μεγάλαις πόλεσι διὰ τὸ πολλοὺς ἑκάστου δεῖσθαι ἀρκεῖ καὶ μία ἑκάστῳ τέχνη εἰς τὸ τρέφεσθαι, πολλάκις δὲ οὐδ’ ὅλη μία· ἀλλ’ ὑποδήματα ποιεῖ ὁ μὲν ἀνδρεῖα, ὁ δὲ γυναικεῖα· ἔστι δὲ ἔνθα καὶ ὑποδήματα ὁ μὲν νευρορραφῶν μόνον τρέφεται, ὁ δὲ σχίζων, ὁ δὲ χιτῶνας μόνον συντέμνων, ὁ δέ γε τούτων οὐδὲν ποιῶν ἀλλὰ συντιθεὶς ταῦτα. Ἀνάγκη οὖν τὸν ἐν βραχυτάτῳ διατρίβοντα ἔργῳ τοῦτον καὶ ἄριστα δὴ ἠναγκάσθαι τοῦτο ποιεῖν (XEN., Cyr. VIII, 2, 5).
57Toutefois, le débat n’est pas clos entre historiens sur le sens à donner à cette division des tâches pour l’époque classique. Pour Claude Mossé, le problème n’est pas de « produire plus » (ce qui impliquerait nécessairement d’augmenter le nombre de travailleurs) « mais mieux » : chaque ouvrier devient le spécialiste d’un geste précis et exclusif, donné ici sous sa forme verbale, à l’infinitif, qu’il réalise parfaitement. La notion de « productivité » serait étrangère à Xénophon dans ce passage, où seules les « conséquences esthétiques » du travail importeraient83. Olivier Picard, se référant à l’évolution de l’organisation du travail dans les ateliers de céramique où « la division des tâches concerne des vases de qualité très médiocre qui sont produits en très grand nombre », ne consent pas à y voir une spécialisation du travail qui aurait pour « seul objectif d’améliorer la qualité du produit et non le volume de la production84 ».
58Mais dans quelle mesure le texte de Xénophon, très proche de la pensée de Platon lorsque celui-ci, dans ses écrits les plus théoriques relatifs à l’élaboration de la cité idéale85, « fractionne et spécialise le monde artisanal86 », décrit-il une réalité de son temps ?
Des témoignages concrets de spécialisation ?
59Le relief votif du cordonnier Dionysios, consacré au milieu du ive siècle à Athènes, montre un atelier de fabrication de chaussures où travaillent dans le même temps cinq personnes (fig. 33), sans qu’on puisse parler nécessairement de spécialisation : il semble plutôt que, par souci de composition, le sculpteur ait choisi de représenter différents moments du travail répartis sur tous les plans, horizontaux et verticaux, de la préparation de la feuille de cuir (premier plan en bas à gauche) à l’accrochage d’une chaussure achevée sur une étagère (deuxième plan, coin supérieur gauche).
60Une série d’affranchissements inscrits sur des phiales vers 330-320, qui mentionne des esclaves ouvriers du cuir87, peut peut-être nous apporter des éléments de réponse concrets pour la fin du ive siècle :
Aristoménès, résidant à Mélité, cordonnier, affranchi par Thrasymèdès fils de Kèdeidès de Leukonoion, Ἀριστομένης ἐμ Μελ | οἰκ σκυτοτό ἀποφυγ | Θρασυμήδη Κηδείδο | Λευκονο (IG II2 1554, l. 36-39 = Att. Man. A, II, 217-220)88 ;
Pistoklès, résidant à Mélitè, fabriquant de chaussures, affranchi par Kallippidès fils de Kallias d’Aphidna, Πιστοκλῆς ἐμ Με[λ οἰ] | κ ὑποδηματοπ ἀπoφ[υ] | Καλλιππίδην Καλλ[ί] | ου Ἀφιδ (IG II2 1559, l. 47-50 = Att. Man. A, III, 243-246)89 ;
Polytimos résidant à Kollytos, cordonnier, affranchi par Kallias fils de Kalliadès de Paiania, Πολύτιμος ἐν Κολλυ | οἰκ σκυτοτό ἀποφυγ | Καλλίαν Καλλιάδου | Παιανιέ (IG II2 1559, l. 55-58 = Att. Man. A, III, 251-254)90 ;
[…], assembleur/couseur, résidant à Skambonidai, affranchi par […] fils de Polyrètos, νευρορά ἐν Σ |[κα οἰκ]ῶ ἀποφυγὼ...| [......] Πολυρήτου (IG II2 1558, l. 14-16 = Att. Man. A, IV, 456-458) ;
Hestiaios, cordonnier, résidant à Skambonidai, affranchi par Euthymachos fils d’Eudikos de Xypétè, Ἑστιαῖος σκυτοτό ἐν | [Σ]καμβω οἰκ ἀποφυγὼν | [Ε]ὐθύμαχον Εὐδίκου [Ξ]|[υπε]ται (IG II2 1557, l. 80-84 = Att. Man. A, V, 522-525)91 ;
Mnasôn, cordonnier, résidant à Mélitè, <affranchi par> Antigénès fils d’Épigénès de Mélitè, Ἀντιγένης Ἐπιγ<έ>νους ἐν Μελι | [ο] ἰκῶ Μνάσων σκυτο<τ> όμο ἐν Με-|[λιτ] οἰκōν (IG II2 1556, l. 39-41 = Att. Man. B, I, 14-16)92 ;
Eutychidès, fabricant d’outres (?)93, résidant à ?, affranchi par Aristokleidès […] de Phylè, Εὐτυχίδης ἀσκ[ο(ποιός ?) ἐν... οἰκ ἀποφυ] | [Ἀρ]ιστοκλείδην... |... Φυλάσιο (IG II2 1566, l. 15-17)94 ; cordonnier résidant à M-..., [... σκυτο]τό ἐμ Μ οἰκοῦ (IG II2 1566, l. 34) ;
… résidant à Skambonidai, cordonnier (?), affranchi par Pythodôros fils de Nikostratos d’Acharnai,..]ν ἐν Σκαμβω οἰκ | [σκυτ] οτό ἀπέφυγε Πυθ-|[όδω] ρον Νικοστράτου] | [Ἀχα]ρνέια (IG II2 1576, l. 8-11)95 ;
Agathoklès résidant à Kollytos, fabricant de chaussures, affranchi par Katagôgios résidant à Mélitè, Ἀγαθοκλῆς [ἐ]γ [Κολλ]υτ | οἰκῶ ὑποδη[μα]το(ποιός) [ἀπ]έφ | Καταγώγιον ἐμ Μελίτ | οἰκοῦντα (IG II2 1576, l. 36-37)96 ;
cordonnier (?), résidant à Keiriadai, affranchi : [σκυ]τοτο[μ] ἐγ Κει οἰκ ἀπ[έφυγε] (IG II2 1577, l. 4).
61Cet échantillon fournit plusieurs indications :
il précise le dème de résidence de chacun des ouvriers affranchis, qui n’est pas nécessairement leur lieu d’exercice97 : Melitè et Keiriadai à l’ouest de l’Acropole, Kollytos au sud, Skambonidai au nord, tous urbains ou périurbains et, pour la majorité, proches de l’agora (fig. 34)98 ;
il apporte des nuances dans le lexique des « métiers » et semble indiquer une relative spécialisation à partir du ive siècle : à côté des cordonniers polyvalents (σκυτοτόμοι), on notera l’« assembleur-couseur » (νευρορράφος, terme rencontré chez Platon et Xénophon), le « fabricant de chaussures (sandales) » exclusivement (ὑποδηματοποιός, usité dans cette seule inscription) et peut-être le « fabricant d’outres » (d’après la très probable mais invérifiable restitution ἀσκοποιός, qui serait alors la plus ancienne attestation du mot)99. On notera que là où Xénophon recourait à des verbes d’action, les termes sont ici des noms d’agents.
62De fait, dès la fin de l’époque classique, on remarque un développement certain dans la terminologie des activités relatives au cuir, notamment dans les inscriptions. Il pourrait témoigner d’une spécialisation progressive dans certains domaines, à savoir les chaussures (peut-être même la chaussure de luxe, industrie développée et très profitable si l’on en croit le Mime VI d’Hérondas100) et l’armement. On peut en effet relever :
des termes distinguant le « fabricant de chaussures » spécifiquement (traduit parfois par « fabricant de sandales ») : ὑποδηματοποιός (supra, Attique, v. 330 av. J.-C.), ὑποδηματάριος (IG IX, 2, 16, en Thessalie, entre 131 et 133), ὑποδηματορράφος (Hérodien le Grammairien, au iie siècle apr. J.-C.) ;
des termes distinguant les modèles de chaussures fabriqués : un cordonnier d’origine thrace, spécialisé dans la fabrication de persiques, σικοποιός (IG II2 11689, v. 400 av. J.-C.) ; des fabricants de crépides, κρηπιδουργός (POLL. VII, 83), κρηπιδοποιός (ATH. XIII, 568e) ou ῥαπιδοποιός (HESYCH. s.v.) ;
des termes marquant une fabrication spécialisée d’équipements pour l’armée, particulièrement pour la cavalerie : ἡνιοποιεῖον, « atelier de pièces de harnachement, de brides » (XEN. Mém. IV, 2, 1 et 8), χαλινοποιική (τεχνή), « artisanat de fabrication de rênes » (ARIST. Eth. Nic. 1094a11) pour le ive siècle ; chez les lexicographes, sans qu’on puisse donner de date d’apparition du mot : λωροτόμος, « fabricant de courroies » (HESYCH. et Souda), σκηνοποιός (POLL. VII, 189) et σκηνορράφος (HESYCH.), « fabricant de tentes (en cuir ?) ».
63De nombreux termes composés, de deuxième élément-ποιός, « fabricant » (peut-être μαρσιπποποιός, « fabricant de bourses », σακκοποιός, « fabricant de sacs », σαγματοποιός et σελλοποιός, « fabricant de selles »), ou -ράπτης, -ράφος, « couseur » (σακκοράφος, « fabricant de sacs (en tissu ou en cuir ?) », σαγματοράπτης, σαγματοράφος, « fabricant de selles »), apparaissent encore, mais généralement plus tardivement, au moins à partir du iie siècle et le plus souvent à partir du vie siècle (Annexe 3).
La question du regroupement géographique et professionnel
De l’intérêt de s’implanter au cœur de la ville
64Comme nous le disions précédemment, les listes d’affranchissements nous permettent de situer les dèmes de résidence de certains ouvriers du cuir du dernier quart du ive siècle, qui ne correspondent pas nécessairement à leur lieu de travail, même si la coïncidence entre la majorité des attestations et le centre ville peut être un argument en faveur d’une telle conclusion. Deux textes seulement de notre corpus précisent la localisation d’ateliers d’artisans du cuir pour l’Athènes classique du début du ive siècle. L’accusé du discours Pour l’invalide de Lysias s’adresse en effet en ces mots aux juges : « Vous avez l’habitude d’aller faire votre tour, qui chez un parfumeur101, qui chez un barbier, qui chez un cordonnier [...], le plus souvent, c’est chez des commerçants qui sont établis tout près de l’agora (ὡς <τοὺς> ἐγγυτάτω τῆς ἀγορᾶς κατεσκευασμένους), rarement chez ceux qui en sont très éloignés » (LYS. Inv. 20). Xénophon rapporte de son côté que Socrate se rendit un jour « dans l’un des ateliers de pièces de harnachement qui avoisinent l’agora », εἰς ἡνιοποιεῖον τι τῶν ἐγγὺς τῆς ἀγορᾶς (XEN. Mém. IV, 2, 1 et 8). Les deux textes localisent ainsi des boutiques à proximité de l’agora et le regroupement, tout à la fois, sur un espace limité, de services très variés (soin de la personne : parfumeur, barbier, cordonnier…) et d’artisanats semblables (il y a plusieurs ateliers d’éléments de harnachement au même endroit). Il paraît logique, en effet, que les artisans assembleurs et rapiéceurs d’objets en cuir fussent installés près de leur clientèle, en plein cœur économique de la ville102.
65C’est peut-être encore ce qu’on lit chez Hérondas, où l’un des trois cordonniers qui ont pour nom Cerdon dans le Mime VI, est présenté comme « désormais vieux » mais exerçant encore – puisqu’une des femmes suppose, dans le dialogue, qu’il a pu fabriquer l’objet qu’elle convoite –, et « habite à côté de la maison de rapport d’Hermodôros, quand on a passé la plateia », ἐγγὺς τῆς συνοικίης οἰκέων | τῆς Ἑρμοδώρου, τὴν πλατεῖαν ἐκβάντι (HER. VI, 52-53). Si le cordonnier tient son atelier chez lui, ce dernier serait donc localisé en plein quartier d’habitations collectives (συνοικίαι), certainement populaire et passant, à proximité d’une avenue (πλατεῖα)103. Il faut bien reconnaître que le texte n’est pas explicite aujourd’hui, mais on peut estimer qu’il décrit une situation proche de la réalité et très certainement familière à ses destinataires, sinon les détails topographiques n’auraient pas lieu d’être.
66Il est désormais acquis qu’il ne faut plus poser la question de la localisation des artisanats de manière générale en termes de « quartiers » ou de « zones spécialisés », même si des regroupements existaient104, et moins sûrement « pour des raisons d’hygiène publique » que par « logique de vente105 », ou encore par logique d’approvisionnement, logique familiale...
67De même, les concepts de guildes et d’associations professionnelles pour le monde grec sont à considérer avec circonspection.
Quelles formes d’« associations » de cordonniers ?
Des « associations professionnelles » ?
68Pour le monde romain, Plutarque fait remonter à plus loin la répartition en confréries des cordonniers et tanneurs, sous le règne de Numa (entre 715 et 673 av. J.-C., selon la tradition) : « Celle de ses institutions qu’on admire le plus, c’est la division qu’il fit du peuple selon les métiers. [...] Il le répartit donc en divers métiers, de flûtistes, d’orfèvres, de charpentiers, de teinturiers, de cordonniers, de tanneurs (σκυτοτόμων, σκυτοδεψῶν), de forgerons et de potiers. […] Puis il institua des assemblées et des fêtes, ainsi que des cérémonies religieuses propres à chaque groupe » (PLUT. Num. 17, 1 et 3-4). Le texte insiste ici sur le caractère cultuel de tels groupes plutôt qu’il ne met en avant un réel corporatisme professionnel.
69Pour le monde grec classique, lorsqu’Aristophane parle du « peuple des cordonniers », τὸ σκυτοτομικὸν πλῆθος (AR. A.F. 432), qui applaudit unanimement lors d’une séance de l’Assemblée, il est certain qu’il ne décrit pas une association professionnelle reconnaissable comme telle dans les rangs du peuple mais recourt à une expression moqueuse à l’encontre d’une faction partiale et malhonnête, digne de mépris.
70Les travaux de Marie-Françoise Baslez ont montré par ailleurs que, s’ils sont rares, les « groupements strictement professionnels » ne sont pas inconnus de la cité hellénistique et concernent essentiellement de petits métiers106, bien qu’aucun exemple ne soit donné pour les activités liées aux peaux et au cuir. De fait, le monde grec connaît davantage le modèle d’associations cultuelles qui se structurent autour d’une origine, d’une croyance communes. En général, « le principe de fondation du groupe professionnel est extérieur à son activité », « l’empreinte professionnelle » sur ces groupements est « secondaire, voire nulle ». Il ne s’agit, concrètement, à aucun moment de défendre les intérêts professionnels des membres de l’association107. C’est bien dans ce contexte qu’il faut replacer la dédicace formulée au nom des « ouvriers de l’artisanat du cuir », οἱ τὴν σκυτι-|[κ]ὴν τέχνην ἐργα-|[ζ]όμενοι, à Mytilène (à une date non précisée) en vue de faire une offrande commune d’une statue à Aphrodite (IG XII, 2, l. 109).
Des regroupements locaux et/ou professionnels ?
71Plus récemment, pour ce qui relève de cette question des associations dans les cités grecques, on a opéré une distinction entre des associations proprement professionnelles et des « groupements fondés sur le voisinage » ; généralement, du fait de l’existence d’associations de métiers « dénommées d’après leur installation dans un quartier précis de la ville », les historiens de l’Antiquité ont considéré ces groupements de voisinage comme « un genre d’associations professionnelles », ce qui n’était pas nécessairement le cas108. Pour le domaine qui nous concerne, l’étude d’Anne-Valérie Pont reprend l’exemple d’associations ayant toutefois ce double caractère local et professionnel, mais pas avant l’époque romaine impériale. On connaît ainsi une platéia (« avenue109 ») des cordonniers à Saittai en Lydie ou à proximité, de par les dédicaces que l’association a fait graver, selon la formule ἡ πλατεῖα τῶν σκυτέων ἐτειμήσεν (à Saittai même : TAM V, 79, année 152/153 ; 80, de 153/154 ; 81, de 173/174 ; à Halokome (nord de Saittai) : V, 1, 146, année 166/167). À Apamée de Phrygie, les « technites de la platéia des cordonniers ont érigé sur leurs propres fonds », τὴν ἀνάστασιν ποιησαμένων ἐκ τῶν ἰδίων τῶν ἐν τῇ σκυτινῇ πλατείᾳ τεχνειτῶν, une statue honorifique accompagnant l’inscription en l’honneur de Ti. Claudius Granianus de la part du Conseil, du peuple et des Romains habitant la cité (IGR IV, 790, l. 15-16 et 30-31, année 128)110. On se gardera donc bien d’appliquer au monde grec ce modèle d’organisation en guildes déjà bien différent111.
Le regroupement autour d’un ancêtre commun, signe de « confrérie » ?
72Enfin, l’émergence et l’adoption à grande échelle d’une figure de prôtos eurêtès, inventeur et ancêtre commun de la branche artisanale, sorte d’équivalent du « saint patron » pour nos corps de métiers, pourrait apporter l’indice d’un sentiment d’appartenance commune et de rattachement à une sorte de « confrérie » définie par son savoir-faire112.
73Or, la figure d’un certain Tychios est connue depuis l’épopée homérique : Ajax y est représenté portant un bouclier-tour, « son bouclier de bronze à sept peaux de bovin que lui a procuré le labeur de Tychios, l’homme habile entre tous à tailler le cuir, dont la demeure est à Hylé », σάκος... | χάλκεον ἑπταβόειον, ὅ οἱ Τυχίος κάμε τεύχων, | σκυτοτόμων ὄχ’ ἄριστος, Ὕλῃ ἔνι οἰκία ναίων (Il. 7, 219-221). Hésychius ne nous en apprend rien de plus (Τυχίος· ὄνομα τοῦ κατασκευάσαντος τὴν Αἴαντος ἀσπίδα σκυτοτόμου, HESYCH. s.v.). La Vie d’Homère, texte écrit vraisemblablement entre 50 et 150, développe en revanche quelque peu l’épisode de la rencontre qui aurait eu lieu entre cet artisan du cuir et l’aède qui, ayant été son hôte, se serait inspiré de lui dans son poème guerrier :
Parce qu’il se trouvait dans la gêne de vivre à Smyrne, [Homère] entreprit de se rendre à Cymê. Comme il voyageait sur la plaine de l’Hermos, il arriva à Néonteichos, colonie de Cymê, fondée huit ans après Cymê. C’est là, dit-on, qu’il se retourna sur une échoppe de cordonnier [...]. [Ce dernier] s’appelait Tychios, et lorsqu’il entendit les vers, il décida d’accueillir l’homme – de fait, il ressentait de la pitié pour un aveugle qui l’implorait. Il l’invita à entrer dans son atelier, lui promit de partager avec lui ce qui s’y trouvait ; l’homme entra. Alors qu’il s’asseyait dans l’échoppe du cordonnier, entouré d’autres personnes présentes, il leur fit une démonstration de son talent de poète […]. Il produisit une forte impression sur son auditoire.
ἐν τῇ Σμύρνηι ἄπορος ἐὼν τοῦ βίου, διενοήθη ἀπικέσθαι ἐς Κύμην. Πορευόμενος δὲ διὰ τοῦ Ἕρμου πεδίου ἀπικνέεται ἐς Νέον τεῖχος, ἀποικίην Κυμαίων· ὠικίσθη δὲ τοῦτο τὸ χωρίον ὕστερον Κύμης ἔτεσιν ὀκτώ. Ἐνταῦθα λέγεται αὐτὸν ἐπιστάντα ἐπὶ σκυτεῖόν τι [...] Τῶι δὲ σκυτεῖ ὄνομα ἦν Τυχίος· ἀκούσαντι δὲ τῶν ἐπέων ἔδοξεν αὐτῶι δέξασθαι τὸν ἄνθρωπον, ἠλέησε γὰρ αἰτέοντα τυφλόν, καὶ ἐκέλευσεν ἐσιέναι τε αὐτὸν ἐς τὸ ἐργαστήριον καὶ μετέξειν ἔφη τῶν παρεόντων· ὁ δὲ ἐσῆλθε. Κατήμενος δὲ ἐν τῷ σκυτείωι, παρεόντων καὶ ἄλλων, τήν τε ποίησιν αὐτοῖς ἐπεδείκνυτο [...] θωύματος ἄξιος ἐφαίνετο εἶναι τοῖς ἀκούουσι (V. H. 2, 9).
74Le personnage n’apparaît donc que très sporadiquement dans la littérature grecque. Il ne saurait être une référence que partageraient les professionnels du cuir aux époques classique et hellénistique. Ce n’est qu’à partir des auteurs latins qu’il devient le véritable inventeur de la cordonnerie et le paradigme de l’artisan de génie. Ainsi, Ovide rappelle qu’à Rome, cinq jours (le quinquatrus) sont consacrés fin mars à Minerve, déesse des écoliers et des artisans : c’est elle que doivent invoquer et honorer les tisseuses et les fileuses, les foulons et les teinturiers, les cordonniers, les charpentiers, les médecins, les maîtres d’école, les ciseleurs, les peintres, les sculpteurs et les poètes. En effet, « sans le consentement de Pallas, personne, fût-il plus expert que Tychius, ne saura bien adapter des lanières à un pied », nec quisquam inuita faciet bene uincula plantae | Pallade, sit Tychio doctior ille licet (OV. Fast. III, 823-824). Pline, dans une longue liste d’inventions et de leurs auteurs (PLIN. VII, 191-215), dont le statut se comprend si on la rattache à la thématique de l’extraordinaire, de l’exceptionnel113, cite la découverte de « l’art du cordonnier par Tychius de Béotie », sutrinam Tychius Bœotius (PLIN. VII, 196).
75Ainsi, il serait vain de chercher à localiser des ateliers des métiers du cuir en se fondant sur leur éventuelle concentration, de même que l’indice d’éloignement du centre urbain n’est pas toujours aussi valable qu’on l’a longtemps affirmé. Afin de faire le point sur nos connaissances relatives à l’emplacement des ateliers de tannerie et de cordonnerie dans le monde grec, nous passerons en revue, dans un dernier temps, les cas, peu nombreux, documentés par les sources écrites et les vestiges.
Essais de localisation d’ateliers pour le monde grec : études de cas
Localisation de tanneries grecques
76Pour la littérature grecque impériale, Artémidore fait de la migration des tanneurs hors des villes une loi générale, sans toutefois l’illustrer par quelque exemple (ARTEM. Onir. I, 51 et II, 20)114. Dans l’empire romain, cet éloignement des zones d’habitation, voire d’un camp militaire, connaît des exemples, essentiellement transmis par les textes. Ainsi, dans la Rome antique, les tanneurs sont regroupés dans le Transtiberinus, quartier « au-delà du Tibre » où se retrouvent les métiers ingrats ; cependant, cette installation en périphérie est certainement due à la présence de l’eau et au prix inférieur des terrains. Aussi, Martine Leguilloux rappelle-t-elle qu’« il semble que le choix de l’emplacement n’ait jamais fait l’objet d’une règle absolue115 » et que l’archéologie a montré qu’il existe des « exceptions » à cette exclusion hors-les-murs des activités de tannerie : la tannerie de l’îlot I 5 de Pompéi était située à l’intérieur des murs, dans un secteur d’habitat, et ses eaux usées étaient évacuées directement à l’extérieur au moyen de canalisations116 ; la fouille de l’îlot VIII 7 a mis en évidence une activité de tannerie à partir du milieu du iie siècle av. J.-C. dans la partie sud de la ville117. Toutefois, la datation avancée s’appuie sur l’observation du matériel de comblement de ces installations, qui pourrait être un remblai contenant du mobilier résiduel déposé après le tremblement de terre de 62, et les installations pourraient être contemporaines de celles, identiques, trouvées dans l’îlot I 5118.
77Aucun texte historique ou théorique ne parle explicitement, pour la Grèce ancienne, d’une exclusion des tanneries des centres de ville ou des quartiers d’habitation qui fût obligatoire et officiellement décidée par la cité. Mais dans la mesure où « la régulation par le droit des rapports de voisinage ou la mise en place d’un cadre réglementaire spécifique peut influer sur la localisation des activités artisanales au sein de l’espace urbain119 », cette mise à l’écart pouvait se produire pour des raisons de nuisances olfactives ou de souillure religieuse120. Et, nous allons le voir, il ne faut certes pas négliger dans ces logiques d’installation des considérations plus techniques et économiques, comme « l’approvisionnement en matière première, l’accessibilité à l’eau, la destination de la production121 », la gestion de l’encombrement, le prix du terrain… autant de raisons à examiner à l’aune des quatre exemples attestés de tanneries en Grèce classique et hellénistique, sur la base des textes pour les trois premiers et des vestiges archéologiques pour le dernier, vestiges dont on ne peut que déplorer la pauvreté.
Une installation sur les rives de l’Ilissos
78Une seule loi relative à des activités de tannerie nous est connue pour Athènes et le monde grec en général. Elle concerne le cours de la rivière Ilissos, placée en amont d’un sanctuaire d’Héraclès (le Cynosargues ou le Pancrateion ; fig. 35)122. De fait, chaque fois que la cité légifère pour restreindre des activités polluantes, elle ne formule jamais d’interdiction globale mais mentionne par leurs noms des secteurs précis. Il semble que « les rues et surtout les terrains libres, souvent sacrés », soient « les espaces les plus affectés par ces abus123 ».
79Cette loi sacrée de 440/420, promulguée par la cité, vise à interdire les activités de tannerie et l’évacuation des déchets dans la rivière en amont du sanctuaire. Elle n’évoque pas de nuisances olfactives mais insiste sur la pollution de l’eau au contact des dépouilles :
[...] que le basileus se s[ouc]ie [.......] ; qu’il fasse inscrire ce règlement sur une stèle de marbre et qu’il la fasse ériger aux deux extrémités du sanctuaire : interdiction de tremper les peaux dans l’Ilissos audessus du temenos d’Hérakl[è]s, de les tanner e[t de jeter] dans la r[ivière les objets utilisés pour les lus]tra[tion]s [....].
[.....] ἐ[πιμέλ]εσθαι δὲ | τὸμ βασιλέα· γράφσαι δ-|ὲ ἐστέλει λιθίνει καὶ | στεσαι hεκατέροθι· με-|δε δέρματα σέπεν ἐν τō-|ι hιλισōι καθύπερθεν | τὸ τεμένος τō hερακλέ-|ος, μεδὲ βυρσοδεφσεν, μ-|[εδὲ καθά]ρμ[ατ]α (ἐ)ς τὸν π-|[οταμὸν βάλλεν---(IG I3 257).
80Le règlement indique que l’habitude s’était installée de laver les peaux fraîches des victimes écorchées lors du sacrifice, données le plus souvent au prêtre ou tout juste achetées à ce même prêtre par une autre personne, tant il valait mieux qu’elles fussent lavées dans les plus brefs délais afin d’éviter de transporter une dépouille ensanglantée – l’odeur pestilentielle due au pourrissement de la peau écorchée n’est, quant à elle, pas immédiate. Le lexique employé renvoie toutefois moins à un simple lavage occasionnel et rapide d’une peau fraîche124, qui dans les faits n’est pas à exclure, qu’à des opérations plus systématiques de « trempe », phase qui consiste, dans une industrie de transformation des peaux en cuir, à laver les peaux pour séparer les restes de chair, de graisse, de sang du pelage, et pour les assouplir. Les deux verbes, σήπειν, « laisser se décomposer, faire pourrir », et βυρσοδεψεῖν, « amollir une peau », permettent de valider l’hypothèse d’une installation plus durable d’ateliers sur les rives de l’Ilissos. On ignore si cette implantation est antérieure au sanctuaire dont la création, dès lors, aurait entraîné une perturbation des activités exercées dans la zone, ou si les installations de tannerie sont postérieures.
81Le terme katharmata, restitué et plus ambigu, peut désigner génériquement les résidus des lustrations qu’il faut faire disparaître, les déchets sacrificiels, « substances contaminées au contact de l’impureté qu’elles étaient chargées de dissiper125 » – associant donc bien ainsi, en les rapprochant temporellement et localement, les deux opérations que sont le sacrifice au cours duquel on dépèce les bêtes au moyen d’instruments et le lavage des peaux –, plutôt que des déchets de tannerie126. Pourtant, les déchets osseux, restés solidaires des dépouilles avant le traitement des peaux, pouvaient constituer un encombrement et une pollution importants. Si les éléments de grande taille (carcasses) étaient éliminés au moment même de l’abattage, puisque les viandes étaient consommées et les os brûlés ou jetés dans le cadre du sacrifice, les archéozoologues constatent que, de façon récurrente, on enlevait les peaux du corps de l’animal avec les extrémités (dernières phalanges, parfois une partie du crâne et les chevilles osseuses)127 lors du dépeçage, et qu’il devait revenir aux travailleurs de peaux, qui ôtaient totalement les restes osseux lors des premières phases de leur travail, d’évacuer ces rejets.
82Cette réglementation de la propreté des eaux de l’Ilissos trouve un écho dans une autre inscription, accompagnant une stèle à relief (figurant Pan, Hermès, trois Nymphes) et un autel encadré par un homme à cheval et Déméter-Corê : elle nous informe de l’installation en aval du sanctuaire d’Héraclès Pancratès de l’activité d’un groupe de « laveurs », peut-être réunis en association de professionnels autour d’un culte (comme peut le laisser croire le pluriel collectif du début de dédicace)128 peu après le milieu du ive siècle av. J.-C. Le texte donne notamment le nom de ces travailleurs, onze hommes et deux femmes129, vraisemblablement des métèques libres et des esclaves, ainsi que l’indiquent leurs patronymes :
Les laveurs ont consacré <ce monument>; aux Nymphes et à tous les dieux, à la suite d’un vœu : Zôagoras fils de [Z]ôkypros, Zôkypros fils de Zôagoros, Thallos, Leukè, Sokratès fils de Polykratos, Apollophanès, Euporionos, Sosistratos, Manès, Myrrhinè, Sosias, Sosigénès, Midas.
οἱ πλυνῆς : Νύμφαις : εὐξάμενοι : ἀνέθεσαν : καὶ θεοῖς πᾶσιν : Ζωαγόρας : <Ζ>ωκύπρου : Ζώκυπρος : Ζωαγόρου : Θάλλος : Λεύκη : Σωκράτης Πολυκράτους : Ἀπολλοφάνης : Εὐπορίωνος : Σωσίστρατος : Μάνης : Μυρρίνη : Σωσίας : Σωσιγένης : Μίδας (IG II2 2934)130.
83Il s’agit là très vraisemblablement de laveurs de vêtements et non de laveurs de peaux, ce que le texte n’aurait certainement pas manqué de préciser131. Dans les deux cas – certes a fortiori pour des laveurs de vêtements –, leur activité nécessite un degré minimal de salubrité des eaux, ce qui paraît incompatible avec l’activité polluante d’une tannerie implantée en amont. Dans les faits, ce ne sont pas donc pas seulement les sanctuaires qui pouvaient exprimer leur opposition à la pollution occasionnée par des activités de tanneries et en appeler à une législation émanant de la cité, mais aussi d’autres artisans. On a pu voir encore dans cette loi la volonté de la cité de veiller à la salubrité d’une eau utilisée par les athlètes qui s’exerçaient au Cynosarges et au stade132.
84Tout porte à croire, donc, que le cours de l’Ilissos a connu au plus tard dès 440 av. J.-C. des installations de tanneurs, qui restent d’ailleurs attestées à l’époque byzantine et jusqu’au xixe siècle133.
Le quartier du Kydathénaion
85La question de savoir si Cléon lui-même possédait un atelier de tanneur, dont ni Aristophane ni aucune autre source ne parlent explicitement134, a été débattue après qu’Hermann Lind en eut défendu l’idée et même précisé la localisation, en s’appuyant sur l’ensemble des allusions à l’artisanat du cuir auquel a recours le poète dans ses pièces pour railler le personnage135.
86L’inscription du dernier quart du ive siècle av. J.-C. précédemment évoquée, relative à l’affranchissement d’esclaves, mentionne un, peut-être deux tanneurs qui résidaient dans le dème de Kydathénaion situé intra muros (fig. 34) : l’un est un certain Mômos : Μῶμον σκυλο[δ]έ[ψ]ον ἐν Κυδαθ οἰκõν[τ]α (IG II2 1556, l. 34-35 = Att. Man. B, I, 8-10)136 ; l’autre, dans un passage très restitué, reste anonyme : [---βυ] ρσοδέψης [ἐν Κυδαθ ο]ἰκῶν ἀπέφυγ... (IG II2 1576, l. 5-6)137. Bien que ces textes ne précisent pas le lieu d’exercice des tanneurs mais celui de leur résidence du moment138, H. Lind les a utilisés au cœur de sa démonstration, visant à prouver que Cléon, issu de ce dème, avait un atelier au nord-est de l’Agora, en bordure du Kydathénaion, et qu’Aristophane, qui en était aussi originaire, aurait déversé dans ses comédies sa haine toute personnelle contre le démagogue, née d’une querelle de voisinage139 : le tanneur aurait pollué les rives de l’Éridanos140. Par ailleurs, les membres d’un culte d’Héraklès qui devait se dérouler dans un sanctuaire des bords de l’Éridanos, et desquels Aristophane devait être proche, auraient tâché d’empêcher Cléon de déverser ses déchets par une loi semblable à celle de l’Ilissos141. Philippe Lafargue, reprenant l’argumentaire, montre le danger d’une lecture trop littérale de l’œuvre du dramaturge et en pointe les faiblesses, et même leur contradiction interne profonde puisque parallèlement à une démarche historicisante qui accorde une foi aveugle aux propos de l’auteur comique, Hermann Lind tend à éclairer dans le reste de son ouvrage comment Aristophane a créé de toutes pièces un nouveau type comique – donc purement conventionnel et totalement caricatural – visant les démagogues dont Cléon est le paradigme142.
87S’il est donc permis de voir dans le grand nombre d’allusions moqueuses à l’encontre de Cléon, adressées à un public averti, un fond de vérité – à défaut d’être réellement un artisan du cuir, du moins étaitil un riche propriétaire tirant sa fortune d’un atelier de tannerie143 –, il est totalement exclu d’assurer la localisation d’un atelier dans le quartier du Kydathénaion, a fortiori en lien avec ce personnage.
Leproi, « Écorcheville » ?
88Nous pouvons de la même façon nous demander quel crédit il faut accorder à une scholie ancienne d’Aristophane qui indique un lieu-dit nommé Leproi où se seraient regroupées des activités de préparation du cuir.
89Dans les Acharniens, Dicéopolis « institue, comme inspecteurs du marché, les trois lanières que voici, désignées par le sort, provenant de Leproi », ἀγορανόμους δὲ τῆς ἀγορᾶς καθίσταμαι | τρεῖς τοὺς λαχόντας τούσδ’ ἱμάντας ἐκ Λεπρῶν (AR. Ach. 723-724). L’image des fouets faisant office d’inspecteurs chargés d’éloigner les sycophantes (AR. Ach. 825) s’explique par le fait que les agoranomes devaient en porter144. Quel sens attribuer et quelle portée accorder à la mention de la provenance du cuir utilisé pour leur fabrication, ἐκ Λεπρῶν, à supposer qu’il faille y lire un nom propre, la lecture ἐκ λεπρῶν [δερμάτων/βύρσων], « faites dans des cuirs rugueux145 » restant tout à fait satisfaisante ?
90En fait, ces lectures ne sont pas exclusives l’une de l’autre, et le scholiaste développe plusieurs pistes : la première explique ce qui ne serait qu’un calembour (rendu dans la version française de la CUF par le toponyme « Écorcheville ») ; la deuxième renvoyant à une ville du Péloponnèse146, sans autre explication ; la troisième propose de lire dans λεπρῶν un adjectif qualifiant les peaux (et revient en cela à notre version du texte avec minuscule)… En dernière analyse, le scholiaste privilégie l’interprétation qui localise des activités de tannerie à l’extérieur d’Athènes, bien qu’il l’associe à une citation d’Aristophane faisant référence à une ville d’Élide :
Les lanières venant de/en cuir de Leprôs : pour certains, <le mot> vient de lepein, « écorcher », au sens de tuptein, « frapper » ; pour d’autres, il vient de Léprios, ville du Péloponnèse, que cite par ailleurs Callimaque dans ses Hymnes : « la ville forte des Kaukônes dénommée Léprios » [= CALL. Hymn. I, 39] ; pour d’autres, <il faut lire> « des bœufs à la peau rugueuse ». On dit en effet que les cuirs des bœufs à la peau rugueuse sont résistants. Selon d’autres, parce que les Mégariens, avec lesquels un traité est conclu, ont le corps atteint de lèpre. La meilleure version consiste à dire que <cela vient d’> un lieu <situé> à l’extérieur de la ville, nommé Léproi, où se trouvaient les activités du cuir. Aussi, dans les Oiseaux <le poète> rappelle : « pourquoi ne pas vous installer à Lépréos en Élide ? » [= AR. Ois. 149].
Tοὺς δ’ ἱμάντας ἐκ Λεπρῶν· οἱ μὲν ἀπὸ τοῦ λέπειν, ὅ ἐστι τύπτειν. οἱ δὲ ἀπὸ Λεπρίου πολίσματος τῆς Πελοποννήσου, οὗ μέμνηται καὶ Καλλίμαχος ἐν ὕμνοις «Καυκώνων πτολίεθρον ὃ Λέπριον πεφάτισται». οἱ δὲ ἐκ λεπρῶν βοῶν. φασὶ γὰρ τὰ τῶν λεπρῶν βοῶν δέρματα ἰσχυρὰ εἶναι. οἱ δὲ ὅτι οἱ Μεγαρεῖς λεπροὶ τὸ σῶμα. πρὸς οὓς σπένδεται. ἄμεινον δὲ λέγειν ὅτι τόπος ἔξω τοῦ ἄστεος Λεπροὶ καλούμενος, ἔνθα τὰ βυρσεῖα ἦν. οὗ καὶ ἐν Ὄρνισι μέμνηται « τί δ’ οὐ τὸν Ἠλεῖον Λέπρεον οἰκίζετε; (Sch. Ach. 724 [vet] = Souda s.v. ἀγορανομίας, trad. perso.).
91Il apparaît donc clairement que le commentaire développe des hypothèses dont aucune n’est plus assurée que l’autre. À supposer que les différentes étymologies proposées pour le terme soient acceptables, renforçant d’autant plus le calembour portant sur un toponyme réel, nous sommes forcés d’admettre que la glose ne nous permet pas d’authentifier – ni, a fortiori, de localiser précisément – quelque atelier que ce soit.
Des vestiges bien peu assurés
92Dans son corpus analytique des « ateliers » artisanaux, Giorgos Sanidas republie un certains nombres de vestiges, dont certains pourraient correspondre à des installations de tanneurs, bien que les indices soient toujours bien maigres. Trois notices retiennent notre attention.
Athènes
93L’une fait état, sur le versant ouest de l’Aréopage, d’un atelier (« pièce F ») fouillé dans les années 1947-1948 par l’École américaine147. C’est la présence d’os de pieds sciés et débités, sur le sol et dans le remblai, qui a fait penser aux archéologues que pouvait s’y être développée une activité de tannerie, éventuellement en association avec la tabletterie. Toutefois, un tel raccourci n’est pas sans danger148. Par ailleurs, l’hypothèse d’une teinturerie, reposant sur la découverte de boules de pigments, est à écarter définitivement puisque ces dernières se trouvaient dans des niveaux antérieurs au premier sol, mais que, surtout, elles sont utilisées exclusivement en peinture.
94Dans le voisinage immédiat, « entre F et H » se trouvait un autre atelier, qui a livré des os sciés et des installations hydrauliques, mais aucune conclusion n’est formulée quant à sa fonction149.
Le Pirée
95Enfin, au Pirée, les services archéologiques grecs ont localisé dans les années 1980, place Hippodameias, dans la partie nord intra muros de la ville classique mais près de la muraille de Thémistocle, les vestiges de quatre pièces datés du ive siècle av. J.-C. par le matériel céramique trouvé dans un des puits150. Construites sur le rocher, ces pièces comportent des installations hydrauliques (deux murs parallèles enduits d’un mortier hydraulique, constituant une canalisation large de 35-40 cm qui aboutit à un grand bassin ; puits). Le fouilleur, prenant en compte la taille du complexe et son utilisation de grandes quantités d’eau, formule l’hypothèse d’activités de tannerie, sans qu’aucun matériel ne vienne corroborer cette conclusion.
96Un artisanat du cuir, tanneurs et cordonniers, fabricants et revendeurs, est attesté par une inscription très lacunaire trouvée au Pirée, datée après le milieu du ive siècle, sans pour autant que le texte permette de valider l’identification précédente. Il consiste en une liste de noms associés à des activités artisanales : « tanneur/corroyeur », « … orios fabricant de sacs (tissés) », « cordonnier », « transporteur (?) de sacs », « Sôsibios vendeur de cuir » : l. 1.......βυ]ρσο[δέψης], l. 5....οριος σακχυφά[ντη]ς, l. 6... σκυτοτόμ[ος], l. 7 σακκ[οφόρος ?], l. 9 Σωσίβιος σκυτοπώ[λης] (IG II2 2403). Il est certain qu’une localisation au Pirée permet de cumuler les avantages suivants, qu’ils fussent pris en compte ou non au moment de l’installation : éloignement de la ville pour y éviter toute nuisance olfactive – même si elles ne sont pas un critère de poids ; situation en aval des rivières de l’Attique et, par conséquent, absence de pollution des cours d’eau ; interface avec le port pour l’importation de matières premières.
Ateliers-boutiques de cordonnerie
« L’atelier-boutique »
97Rappelons ici – c’est un point bien acquis – que la distinction entre atelier (a fortiori un atelier permanent) et lieu de vente n’est pas aussi franche pour le monde grec, mais que la boutique « constitue très souvent le prolongement naturel de l’atelier151 ». L’ergasterion, « espace de travail152 », peut être le lieu de production et de vente à la fois, notamment dans le domaine de la cordonnerie où les chaussures doivent être réalisées sur mesure, ou du moins ajustées au pied du client, comme en attestent deux des scènes vasculaires qui nous sont parvenues (fig. 6 et 32).
98Chez Hérondas, un certain nombre d’éléments laissent penser que la boutique de chaussures de luxe de Cerdon pouvait se tenir dans l’atelier : à l’arrivée de ses clientes, le cordonnier demande à son esclave Drimyle de sortir le « plus grand banc » (τὴν μέζον(α)... σανίδα) pour ses clientes, afin qu’elles essaient des modèles déjà fabriqués (HER. VII, 5). Ces modèles sont rangés dans des « boîtes à chaussures » (<σ>αμβαλού<χ> η, [σ]α[μβα] λουχίδες ; HER. VII, 19 et 53) et divers placards permettent de stocker le matériel : Cerdon demande à son autre esclave, Pistos, d’ouvrir « l’étagère du haut, pas celle-ci, celle d’au-dessus », τὴν ἄνω πυρ[γ] ῖδα, μὴτὴν ὦδ[ε, τὴν δ’ἄνω κείνη]ν (HER. VII, 14-15). On peut lire dans toutes ces indications, si sommaires soient-elles, le soin d’organiser au mieux un espace restreint, tout à la fois de travail et de vente.
99Par ailleurs, on ne doit pas oublier que la pratique de la vente à l’étalage devait être courante. Au final, toute configuration semble possible : la boutique au sein même de l’atelier, l’ouverture d’un local ou d’un étal de vente implanté non loin de l’atelier, les ateliers en plein air ; la production et la vente sur les marchés, « sur les routes et les places, à proximité des portes de la ville, sur les voies menant aux zones périurbaines153 ».
« L’atelier de Simon » sur l’Agora
100Les opérations de terrain menées sur l’Agora grecque d’Athènes ont mis au jour un atelier dans sa partie sud-ouest, mais l’identification de cet ensemble de deux pièces, ou plutôt d’une pièce et d’une cour à appentis (fig. 36)154, dont on ne connaît pas la superficie totale, à un atelier de cordonnerie reste très discutable. La démonstration repose sur l’association étroite de trois éléments155, tous trois contestables individuellement :
les clous, qui « seuls, suffisent, par leur nombre à justifier la thèse selon laquelle l’établissement a été occupé pendant une période par un cordonnier156 » ; or, ils paraissent bien trop gros, selon nous, pour des semelles de chaussures, et ils pouvaient appartenir à un élément de mobilier157 ;
les « œillets ». En fait, des rondelles percées en os portant pour certaines des griffures, dont on ne sait que faire pour ce qui est des chaussures ; on peut les prendre tout aussi bien pour des boutons ;
un pied de coupe marqué d’un nom propre au génitif, « Simon », identifié par les fouilleurs à Simon le cordonnier que visitaient Socrate, selon Diogène Laërce (D.L. Vies II, 122), et d’autres personnalités ; mais aucun texte ne précise la localisation de cet atelier158.
101Le raisonnement est en fait tautologique : on croit reconnaître dans chacun des vestiges un élément lié à l’activité de cordonnerie (ce que l’on cherche à démontrer), et une fois que l’on dispose de ces éléments réunis au même endroit, on reconnaît là un atelier de cordonnier. Pourtant, aucun outil ni aucune chute de cuir n’ont été retrouvés (pas même dans la fosse à ordures de 1,50 m de diamètre et de profondeur de la cour, qui a fourni du matériel céramique classique) qui puissent corroborer cette thèse. Il pourrait tout autant s’agir d’un autre artisanat, comme un atelier de fabrication de perles ou de « boutons » en os159.
Industries complémentaires et implantations
Tannerie, tabletterie, engrais
102Il n’est pas impossible que, dans le monde grec, se soient regroupées autour des tanneries des activités complémentaires d’une même filière, comme le travail de la corne et de l’os160, même s’il faut attendre l’époque romaine impériale pour assister à la création de véritables boucheries (macellae) dans les centres urbains, autour desquelles, ainsi qu’en témoignent les opérations de terrain, s’organisent parfois des tanneries, ateliers de cornetiers, tabletteries, formant de véritables quartiers artisanaux161. Ainsi, à Marseille-Bourse et à Liberchies sont attestées certaines de ces « zones artisanales » se développant aux abords d’agglomérations, parfois le long d’une voie, où étaient associées des activités de boucherie et de tannerie autour desquelles s’organisait de manière complexe la distribution des matières premières : la localisation des ateliers dans un même secteur facilitait ainsi le ravitaillement et limitait les opérations de manutention162. Le regroupement de leurs décharges est un cas envisageable, désormais connu à Aix-en-Provence, pour les déchets produits par les ateliers de travail de la corne, la boucherie, la charcuterie et la tabletterie (spécialisée dans le travail de l’os d’équidés), concentrés dans des dépotoirs de taille importante bien isolés en zone périurbaine163. Plusieurs cas récents ont en revanche mené à la conclusion que ce qui avait été pris pour une tannerie romaine n’était en réalité qu’un dépotoir pour la fabrication de colle ou simplement domestique (comme au fort de Vindolanda sur le limes d’Hadrien, dans les premières couches d’occupation de la fin du ier siècle164), ou encore un atelier de tabletterie ou de récupération de tendons (pour les armes de jet, la cordonnerie...) : « Cette activité n’exclut pas le travail des peaux qui a pu avoir lieu par ailleurs, mais les témoins osseux n’en sont pas le reflet direct165. »
103En outre, il est envisageable, si l’on suit les textes, d’imaginer une association étroite (traduite par un rapprochement des installations ?) entre les préparateurs de peaux et les fabricants d’engrais à partir de la récupération des déchets de tannerie – une production que l’on peut considérer elle aussi, du reste, comme polluante. Le dépilage pouvait se faire en recourant à l’urine humaine, et le mélange de ce liquide et des résidus des peaux, poils et chairs, donnait selon Pline un excellent engrais, à condition de savoir en doser les proportions166. Faute de sources autopsiques toutefois, on ne peut que supposer une occasionnelle réunion de ces deux activités complémentaires.
Travail du cuir en synergie avec d’autres matériaux
104Le cuir est fréquemment utilisé en complément d’autres matériaux pour la réalisation d’objets : cuir et bois, osier ou métal pour des boucliers, cuir et bois ou os pour des meubles167...
105Existe-t-il (à quelles époques ?) des ateliers qui regroupent des spécialistes de techniques différentes ? Est-ce le même homme qui réalise les différentes tâches ?
106Dans les poèmes homériques, il n’est pas fait de distinction entre l’artisan qui doit s’occuper du travail principal dans la réalisation d’un objet et celui dont la tâche est de parfaire l’ouvrage : c’est le même homme qui façonne un bouclier à partir d’un morceau de bois et qui ensuite le décore. Ainsi, dans l’Iliade, le bouclier d’Ajax est entièrement réalisé par Tychios, nommé skutotomos (Il. 7, 221), qui se trouve autant qualifié pour fabriquer une arme de protection solide que pour l’orner de façon originale. Techniquement, l’artisan est capable de réaliser l’objet dans toutes ses phases. Pour les autres époques, aucun témoignage textuel ni iconographique ne vient nous renseigner sur la répartition sociale des tâches dans un même atelier en cas de synergie, lorsque plusieurs matériaux sont mis en œuvre pour un même objet. Ce qu’il y a de sûr, c’est que dans certains domaines cette répartition des tâches sur plusieurs ouvriers a été une réalité en raison de la difficulté même à maîtriser certaines techniques, comme pour la réalisation d’un bouclier qui nécessite le savoir-faire d’un métallurgiste et celui d’un assembleur de cuir, par exemple. N’est pas Tychios qui veut... Mais nous sommes bien incapables de savoir si ces phases de réalisation étaient regroupées au même endroit168.
Notes de bas de page
1 Sur la question de la « confection », voir Bruneau, Balut 1997, p. 108-109, § 89, p. 146-147, § 145-146.
2 R. Étienne rappelle que, pour Athènes, la distinction, voire l’opposition, entre ville intra muros et campagne environnante n’est pas significative des points de vue politique, administratif, économique. S’il existe bien une limite physique (les murailles) entre le centre urbain et la campagne suburbaine, et une discrimination d’ordre moral à l’encontre des « paysans », du point de vue des espaces et paysages, il n’y a pas de démarcation claire (Étienne 2004, p. 130-131). Toutefois, on imagine difficilement des élevages en plein cœur de la cité, et, par ailleurs, une vraie distinction est à opérer entre périphérie urbaine et campagne éloignée, seule la première montrant des liens culturels forts avec le centre urbain.
3 Ulysse se fabrique lui-même son radeau (Od. 5, 234-262) et a construit le lit conjugal à partir d’un tronc d’olivier (Od. 23, 189-201) ; le paysan doit, sur les conseils d’Hésiode, monter une charrue à l’automne (Tr. 423-435). Voir la synthèse sur l’artisan chez Homère et Hésiode dans Scheid-Tissinier 1999, p. 114-116, notamment pour les métiers de charpentier, d’orfèvre, de forgeron.
4 Cabanes 2006, p. 43.
5 Voir supra p. 39 et suiv. pour les peaux à peine préparées, les procédés de pseudo-tannage… et ci-après pour d’autres exemples.
6 Voir supra p. 19-20 pour la liste des animaux dont les textes mentionnent l’utilisation.
7 Ce qui n’inclut pas que, réciproquement, les artisans soient nécessairement installés à la campagne tout près des matières premières : ils peuvent se déplacer dans le monde rural : Amouretti 2000, p. 152-154.
8 Voir supra p. 75 et suiv. pour ces exemples.
9 Sanidas 2013a, p. 237.
10 Cf. supra p. 40.
11 Picard 2008, p. 56.
12 On lira le commentaire de Gow 1950, ad loc., qui, bien que tranchant en faveur de la laine, relève la confusion dans les termes entre ce qui touche, d’un côté, aux toisons (πόκοι ; ἀποτίλματα, « poils arrachés ») et, de l’autre, aux peaux (les comparants κυνάδας et πηρά, « besace », mais aussi ἀποτίλματα qui peut tout à fait signifier « morceau de peau arraché, épluchure »).
13 Briant et al. 1995, p. 325.
14 Sanidas 2013a, p. 11.
15 Ainsi, l’amphore de Boston, offrant au peintre un espace plus grand pour la représentation de l’atelier, lui permet de montrer deux artisans au travail et deux autres personnes dont au moins un client, tandis que la pélikè d’Oxford, de forme plus étroite à l’épaule, oblige à restreindre la scène à trois personnages (un cordonnier et deux « clients ») et que le tondo de la coupe de Londres ne permet d’introduire dans l’image, outre l’artisan, ni « apprenti » ni client.
16 Sur ces propriétaires ruraux habitant en ville, bien attestés à Athènes à partir de la guerre du Péloponnèse, voir Amouretti 2000, p. 154.
17 Briant et al. 1995, p. 325.
18 Sanidas 2013a, p. 5.
19 Commentaire CUF, p. 86, n. 3 : « ce sont les ἐπώνια dont parle Pollux VII, 15 », des taxes perçues par la cité sur toute marchandise mise en vente.
20 Ainsi, l’« ouvrière habile en travaux de fin lin » que possédait le père de Timarque « [va le] vendre au marché », γυναῖκα ἀμόργινα ἐπισταμένην ἐργάζεσθαι καὶ εἰς τὴν ἀγορὰν ἐκφέρουσαν (ESCHN. C. Tim. I, 97).
21 Brunet, Collin Bouffier 2007, p. 105.
22 Bielman 2002, p. 188. On trouvera un état de la question pour l’artisanat en général, entre autres références, dans Vidale 2002, p. 57-61 (« La produzione artigianale nel contesto domestico e il ruolo delle donne ») ; voir aussi les références à Sanidas 2013a qui suivent.
23 La distinction entre production destinée à l’autoconsommation et production commercialisée est en revanche bien marquée dans le domaine des textiles chez Xénophon. Dans les Mémorables, Aristarque témoigne de ses difficultés à nourrir l’ensemble de sa maison où se sont réfugiées des sœurs, des cousines, des nièces, élevant ainsi le total de personnes de condition libre à quatorze. Socrate lui conseille de les mettre à la tâche pour produire des biens et en tirer profit (XEN. Mém. II, 7, 1-10). Cf. Sanidas 2013a, p. 9 et 17.
24 Pour ne citer que quelques exemples : une femme fait une pelote qu’elle va vendre au marché (AR. Gr. 1347-1351) ; Aristarque accueille dans sa demeure des parentes, qu’il nourrit en échange de la confection de vêtements (XEN. Mém. II, 7 ; n. précéd.). Cf. Sanidas 2013a, p. 9. Homère mentionne des « femmes de Méonie et de Carie habiles à teindre les plaques d’ivoire apposées sur les mors des chevaux » (Il. IV, 141-144) ; une inscription non datée mentionne une femme qui dore les casques fabriqués par son époux (Oikonomides 1986, no 69) ; une hydrie attique (« Caouti Hydria ») offre une représentation unique d’une femme peintre ; etc. Voir Bielman 2002, p. 188 et 190.
25 Pour Bielman 2002, p. 184, « c’est le signe probable d’une acceptation plus généralisée, d’une reconnaissance sociale à l’égard des femmes engagées dans une activité professionnelle en dehors de l’oikos » à l’époque hellénistique.
26 D’Ercole 2013, p. 62-64.
27 Ibid., p. 64 et n. 66.
28 C’est ainsi qu’interprète MacLachlan 2012, p. 77 : « shoeseller ». Pour les femmes et hommes esclaves poursuivant leur activité (petit commerce, travail de la laine, musique) après avoir été affranchis, dans le dernier quart du ive siècle, voir Lewis 1959, p. 208-238.
29 Datations hypothétiques pour IG III(3) Ap. no 12 et no 46, proposées par Fraser, Matthews 1994, ad loc.
30 À moins qu’il ne faille lire, avec la ligne précédente, comme le suggère l’édition en ligne des IG : « Théa, fille d’Onomaklès, cordonnière », Ὀνομακλέους | Θέα ἡ σκυτοτόμος.
31 Arguments développés dans Lafargue 2013, p. 107.
32 La Souda (s.v. σκυτοδέψης) rétablit la filiation, connue ailleurs, et précise les activités du père sans mentionner explicitement que lui ou son fils possèdent un atelier : « l’Athénien Cléon, fils de Kléainétos, était stratège, un homme dément, le fils d’un tanneur », Κλέων ὁ Ἀθηναῖος, ὁ Κλεαινέτου, στρατηγός, μανιώδης ἀνήρ, βυρσοδέψου παῖς.
33 Lafargue 2009, p. 209.
34 Lafargue 2013, p. 89.
35 Lafargue 2009, p. 210 ; 2013, p. 110.
36 Lafargue 2009, p. 186-187 et 248-249.
37 Briant et al. 1995, p. 325 ; Amouretti 2000, p. 155-156. On connaît bien l’exemple de la fortune du père de Démosthène, propriétaire d’un atelier de coutellerie de luxe employant une trentaine d’esclaves, qui rapportait 3000 drachmes par an et était vraisemblablement situé dans une dépendance de la maison, et d’un atelier de fabrication de klinai (couchettes de banquet) comprenant vingt esclaves et rapportant 1200 drachmes par an. Cf. Picard 2008, p. 132. C’est Démosthène lui-même qui fait l’inventaire de sa fortune dans le procès qu’il intente à ses tuteurs, et il place ces ateliers dans la catégorie du « capital qui travaille », ἔνεργα (DEM. Contre Aphobos I, 4-11).
38 Traill 1994, no 139460 ; Davies 1971, p. 40-41, no 1324.
39 Théopompe : fr. 58 K.-A., vol. VII, p. 735 ; Archippos : fr. 31 K.-A., vol. II, p. 549.
40 Voir infra p. 188, de même que D. CHRYS. 55, 22 : « Socrate s’adressant à Anytos mentionna des tanneurs et des cordonniers », Σωκράτης [...] ἀλλ’ Ἀνύτῳ μὲν διαλεγόμενος βυρσέων ἐμέμνητο καὶ σκυτοτόμων.
41 Ce dernier point fait l’objet d’un développement plus complet infra p. 184 (l’atelier-boutique).
42 Sur la question et pour l’exemple concernant la laine, voir Lafargue 2013, p. 109 et n. 220.
43 Pour un développement complet de la question, on pourra consulter la thèse de Le Guen-Pollet 1982 ; voir également Le Guen-Pollet 1991b ; plus anciennement, Yerkes 1955, p. 147 et 172 ; Détienne-Vernant 1979, p. 92.
44 Sur la valeur religieuse de la peau, « enveloppe vitale », « intégrité de la bête » avant le sacrifice, « témoignage de ce qui fut », voir Le Guen-Pollet 1991a, p. 149 ; Durand 1979, p. 143. Sur la valeur honorifique, voir encore Tsoukala 2009, notamment p. 9.
45 Le Guen-Pollet 1991a, no 6 (= LSG 45 : Le Pirée, deuxième moitié du ive siècle) ; 37 (= LSA 11 : Pergame, iiie siècle ?) ; 38 (= LSG 12 : Athènes, 450-445) ; 41 (= LSA 59 : Iasos, ive siècle) ; 42 (= LSG 119 : Chios, ive siècle) ; 43 (= LSA 73 : Halicarnasse, iiie siècle) ; 44 (= LSA 44 : Milet, v. 400) ; 45 (= LSG 120 : Chios, ive siècle) ; 61 (= LSG 18 : Attique, première moitié du ive siècle) ; 62 (LSG 151B : Kos, milieu du ive siècle ?) ; 64 (= LSA 39 : Thèbes de Mykalê, milieu du ive siècle).
46 Le Guen-Pollet 1991a, no 46 (= LSG 28) et commentaire p. 154.
47 Ibid., no 79 (= LSS 41) et commentaire p. 212. Cf. Jacquemin, Mulliez, Rougemont 2012, no 31.
48 Le Guen-Pollet 1991a, no 40 (= LSG 69, avec la restitution ἱερὸν εἶναι) et commentaire p. 134.
49 Ibid., p. 134-135, n. 58.
50 Rosivach 1994, p. 48 n. 99.
51 On en trouvera une retranscription (en anglais) intégrale dans Rosivach 1994, p. 50-53, avec notes critiques.
52 Rosivach 1994, p. 62-63 et note supplémentaire C (the value of ox hides), p. 155-157, avec discussion de l’estimation de Jameson 1988, p. 107-112, qui fixe à 6-7 drachmes la peau de veau, mais en prenant pour parallèle aux comptes grecs du ive siècle av. J.-C. l’Édit de Dioclétien du ive siècle apr. J.-C.
53 On peut comprendre le texte comme une liste faisant l’addition de denrées (peaux très sales et en mauvais état, toisons) ou comme deux comparants (peaux de chiens et raclures) désignant les seuls véritables articles que seraient les « cinq toisons ». Voir supra p. 161.
54 Sur ce passage et la coupe frauduleuse, cf. supra p. 54-55.
55 Vidale 2002, p. 140, y voit même une hétaïre tendant à l’artisan une peau tachetée, qui lui rappelle la sybinê ou sybênê, le fourreau de l’aulos.
56 HERMIP. fr. 63, 4 K.-A., vol. V, p. 592 = fr. 63 K.
57 Voir supra p. 136-138.
58 . Voir Baslez 1984, carte p. 169, reconstituant un « voyage commercial au long cours au milieu du ive siècle » sur l’axe Pirée-Crimée, d’après le Contre Lacritos de Démosthène (v. 340). Les étapes en sont la traversée du Pirée jusqu’en Chalcidique, puis, depuis le Bosphore, du cabotage tout le long de la côte ouest de la mer Noire jusqu’en Crimée. Les cargaisons hétérogènes étaient écoulées par cabotage : Blondé, Muller 2000, p. 300-301. Sur la navigation « segmentée », par zones, voir Brunet, Collin Bouffier 2007, p. 119 ; sur le commerce de gros et le ravitaillement d’Athènes en mer Noire, p. 115, 127.
59 Picard 2008, p. 144 : ce cercle « constitue un marché pour les vins et les produits de luxe grecs, et c’est aussi de là que viennent les marchandises les plus importantes ».
60 Voir supra p. 29.
61 Bibliographie sur les produits des échanges dans Brunet, Collin Bouffier 2007, p. 129-133. Les esclaves ont certainement fait l’objet d’échanges dans les deux sens (Picard 2008, p. 129).
62 Des textes d’époque archaïque attestant les échanges existent, bien qu’ils soient rares ; ils témoignent notamment d’exportations de métaux, dont la mention disparaît dans la documentation d’époque classique (Picard 2008, p. 129).
63 Ziomecki 1975, p. 9. Ces catalogues existent : voir Herfst 1979, complété par Harris 2002.
64 Nous avons vu plus haut (supra p. 139-141) qu’il existe des couvertures et des tapis en peaux non dépilées, voire des fourrures, certaines étant portées par des individus qui ne sont pas des barbares. Il devait donc y avoir, à côté des traitements basiques domestiques, des artisans spécialisés dans ces productions.
65 Voir Od. 12, 48 : Circé conseille à Ulysse de boucher les oreilles de ses compagnons « après avoir pétri de la cire de miel », κηρὸν δεψήσας μελιηδέα ; HESYCH. s.v. δεψήσας, « qui a amolli », μαλάξας.
66 AR. Pl. 514 ; AR. Ois. 490-491 ; PLUT. Num. 17, 3 ; ARTEM. Onir. I, 51 ; IG II2 1576, etc. Voir le tableau récapitulatif de l’Annexe 3 pour l’ensemble de cette partie s’appuyant sur le lexique.
67 Erreur de la Souda, qui pourrait être due à une erreur de transmission du texte initial, qui fait de bursodepsès et de skutotomos des synonymes glosés par la périphrase « celui qui traite les peaux », βυρσοδέψης· σκυτοτόμος, ὁ τὰς βύρσας θεραπεύων (Souda s. v.). Voir infra et n. 70 pour une autre explication possible.
68 Blondé, Muller 2000, p. 294.
69 Leguilloux 2004a, p. 35 : « Avant leur utilisation par les cordonniers, [les cuirs devenus incorruptibles] doivent subir certains traitements destinés à les assouplir, à les polir, à les lustrer, à leur donner un bel aspect. Étymologiquement, le terme de corroyage est dérivé de l’ancien français, conreer, qui signifiait “disposer, arranger, préparer”. Il a parfois été confondu avec le terme corroier, qui dérivait de « courroie » et désignait la fabrication de sangles fortes. Le corroyeur accomplit donc les opérations définition des cuirs, à leur sortie des bains de tanins et après séchage, les principales étant le battage, l’étirage, le lustrage et le polissage. »
70 L’erreur de la Souda s’expliquerait ainsi.
71 Brunet, Collin Bouffier 2007, p. 154.
72 Leguilloux 2004a, p. 74 : « L’indigence des textes se référant au traitement des fourrures dans l’Antiquité est bien plus grande que celle que l’on a déplorée pour le travail des cuirs. »
73 Voir supra p. 36.
74 Voir supra p. 79.
75 Van Effenterre 1979, p. 291, texte F :--σισυροποιõι τριόδελον τõ. --.
76 Cf. supra p. 60.
77 Blondé, Muller 2000, p. 306 ; Amouretti 2003, p. 52 ; Brun 2012, § 87, liste les différents facteurs de développement et d’adoption des techniques.
78 Blondé, Muller 2000, p. 293.
79 Ibid., p. 294.
80 Cette question de l’outillage et des infrastructures a déjà été traitée supra p. 47 et suiv. Nous n’y reviendrons pas ici.
81 Sanidas 2013b, p. 186-187.
82 Traduction personnelle d’après E. Delebecque (CUF) et O. Picard (voir n. suiv.).
83 Mossé 1975, p. 171-172 et 175-176 ; E. Delebecque, dans son édition de la CUF, précise en note au § 6 : « Xénophon vise bien non la quantité mais la qualité de la production » (t. III, p. 169).
84 Picard 2008, p. 56-57.
85 PLAT. Rép. II, 370b-e : « Les choses en iraient-elles mieux si un seul faisait plusieurs métiers, ou si chacun se bornait au sien ? (ἄν τις εἷς ὢν πολλὰς τέχνας ἐργαζόμενος, ἢ ὅταν μίαν εἷς;) — Si chacun se bornait au sien. […] — Ainsi il nous faut plus de quatre citoyens pour les besoins dont nous venons de parler. Si nous voulons, en effet, que tout aille bien, le laboureur ne doit pas faire lui-même sa charrue, sa bêche, ni les autres instruments aratoires Ὁ γὰρ γεωργός, ὡς ἔοικεν, οὐκ αὐτὸς ποιήσεται ἑαυτῷ τὸ ἄροτρον, εἰ μέλλει καλὸν εἶναι, οὐδὲ σμινύην, οὐδὲ τἆλλα ὄργανα ὅσα περὶ γεωργίαν). Il en est de même de l’architecte (ὁ οἰκοδόμος) auquel il faut beaucoup d’outils, du tisserand (ὁ ὑφάντης) et du cordonnier (ὁ σκυτοτόμος). N’est-ce pas ? — Oui. — Voilà donc les charpentiers, les forgerons et les autres ouvriers semblables qui vont entrer dans le petit État et l’agrandir (Τέκτονες δὴ καὶ χαλκῆς καὶ τοιοῦτοί τινες πολλοὶ δημιουργοί, κοινωνοὶ ἡμῖν τοῦ πολιχνίου γιγνόμενοι, συχνὸν αὐτὸ ποιοῦσιν). — Sans doute. — Ce ne sera pas l’agrandir beaucoup que d’y ajouter des bergers et des pâtres de toute espèce (βουκόλους τε καὶ ποιμένας τούς τε ἄλλουςafin que le laboureur ait des boeufs pour le labourage (οἵ τε γεωργοὶ ἐπὶ τὸ ἀροῦν ἔχοιεν βοῦς), l’architecte, des bêtes de somme pour le transport de ses matériaux (οἵ τε οἰκοδόμοι πρὸς τὰς ἀγωγὰς μετὰ τῶν γεωργῶν χρῆσθαι ὑποζυγίοις), le tisserand et le cordonnier, des peaux et des laines (ὑφάνται δὲ καὶ σκυτοτόμοι δέρμασίν τε καὶ ἐρίοις). Voir aussi PLAT. Lois VIII, 846d-e : la loi doit consacrer la division du travail et les astynomes empêcher les changements de métier.
86 Amouretti 2000, p. 156.
87 Nous donnons ici les références dans les éditions des IG et de Lewis, qui diffèrent quelque peu entre elles. Dans notre traduction, nous ne reprenons pas, par souci de lisibilité, le système de marquage des restitutions. Nous avons par ailleurs reconstitué les noms propres en nous conformant au lexique des noms propres de Fraser, Matthews 1994. Sur la nature exacte, encore débattue, de cette série, voir en dernier lieu Zurbach 2014, p. 281.
88 Osborne, Byrne 1996, p. 326, no 7467.
89 Ibid., p. 349, no 7951.
90 Ibid., p. 350, no 7961.
91 Ibid., p. 333, no 7619.
92 Ibid., p. 345, no 7865 : « affranchi par le métèque Ἀντιγένης ».
93 Le terme restitué ἀσκ[ο (ποιός ?)], connu ailleurs en épigraphie, semble préférable à ἀσκ[οφόρος], « transporteur d’outres », qui n’est guère attesté (LSJ s.v. renvoie à Anecdota Graeca, vol. I, 214 ; Souda (λ340) cite le titre d’un auteur de comédie ancienne, Leukon, concurrent d’Aristophane en 422 et 421 : L’âne porteur d’outres, Ὄνος ἀσκοφόρος). Voir infra n. 96.
94 Osborne, Byrne 1996, p. 335, no 7654.
95 Fraser, Matthews 1994, p. 386, Πυθόδωρος no 26 : Pythodôros, fils de Nikostratos (v. 384-324).
96 Osborne, Byrne 1996, p. 323, no 7397 : « affranchi par le métèque Καταγώγιος ».
97 Whitehead 1986, p. 83 : contrairement au « démotique » du citoyen qui demeure immuable, la mention du dème au moyen de la formule « οἰκῶν/οἰκοῦσα » correspond nécessairement à la résidence du métèque au moment de l’inscription.
98 Whitehead 1986, p. xxiii, pour une carte des dèmes.
99 On rencontre le terme en BE 1964.495 (Syrie) ; IGLS 9158-9160 (Bostra). Cf. le latin utrarius.
100 Voir la liste de chaussures de luxe, supra p. 92-94.
101 Voir, par ex., à la même époque, HYP. Ath. 6 : « dans l’atelier-magasin » : ἐν τῷ ἐργαστηρίῳ ; 11 : « près des parfumeries » : πρὸς τοῖς μυροπωλίοις.
102 Voir Wycherley 1957 pour l’ensemble des témoignages littéraires et épigraphiques relatifs aux commerçants et boutiques installés sur l’agora aux différentes époques. Sur le cas de l’« atelier de Simon », voir infra p. 184-185.
103 Sur les plateiai, voir p. suiv. Nous ne reprenons pas la traduction par « place » de la CUF.
104 . Esposito, Sanidas 2012b, p. 18 ; Sanidas 2013a, p. 5. On parle volontiers aujourd’hui de « zones de concentration » d’activités de production et de vente.
105 Bresson 2007, p. 196.
106 Voir le cas des « laveurs » d’Athènes dès le milieu du ive siècle, en IG II2 2934, infra p. 180-181.
107 Baslez 1984, p. 342-343 ; 2006 : les mesures d’assistance à leurs membres par les associations concernent les domaines funéraire (présence aux obsèques, érection d’un monument commémoratif…), judiciaire (assistance au tribunal), social (régulation de l’inégalité financière dans les banquets corporatifs par un système de cotisations). Pour le monde romain, on lira les travaux de N. Tran sur les collèges romains pour l’époque impériale, où c’est encore essentiellement le culte qui compte.
108 Pont 2013, p. 131-132 et n. 7.
109 Voir Du Bouchet 2008, p. 58 : le terme πλατεῖα « [signifiant] étymologiquement la voie large et plate, […] désigne une rue large par excellence, c’est-à-dire une grand-rue ou une avenue [mais] ne désigne jamais avec certitude une place […] pour laquelle il existait un terme spécifique, ἀγορά ».
110 L. Robert mentionne, outre les exemples précédents, une πλατεῖα σκυτέων, à Apollinopolis en Égypte (réf. dans Pont 2013, p. 132, n. 10).
111 Sur la question, voir Leguilloux 2004a, p. 60-65.
112 Picard 2008, p. 57.
113 Les inventeurs, personnages hors du commun, « exceptionnels par leur imagination créatrice », sont du nombre des prodigiosa aliqua et incredibilia (PLIN. VII, 6), « ce qui est rare [étant] caractéristique de la nature dans sa diversité et sa richesse » (Naas 2002, p. 321).
114 Cf. infra p. 195-197.
115 Leguilloux 2004a, p. 14-15.
116 Leguilloux 2002 ; 2004a, p. 44-49 ; Brun, Leguilloux 2007, p. 302-306 et fig. 59-64 ; 2008. Pour le monde romain, seule la tannerie de Pompéi est clairement identifiée, dans l’insula 5 de la regio I, notamment grâce aux outils qu’on y a retrouvés. L’officine, installée dans une maison abandonnée après le tremblement de terre de 62 (ou 63) apr. J.-C., située près des remparts, comportait quinze cuves cylindriques maçonnées, bâties en moellons, mortier et enduites de béton de tuileau, pour les opérations de tannage, et un atelier destiné au travail de rivière et à la finition des cuirs installé sous le portique oriental, large de 6 m et divisé en six zones cloisonnées, comportant encore trois dolia utilisés pour le rinçage des peaux.
117 Devore, Ellis 2008, p. 9-10.
118 Nous devons ces remarques à Jean-Pierre Brun.
119 Saliou 2012, p. 40.
120 Points traités infra dans le chapitre 4, en ce qu’ils relèvent d’une histoire du jugement et de la perception des « gênes » plus que de réelles considérations techniques.
121 Sanidas 2013b, p. 186-187.
122 Vraisemblablement le temenos d’Héraklès Pankratês, découvert dans les années 1953-1954 à 1 km à l’est des murs de la ville antique, sur la rive orientale de l’Ilissos. Voir Le Guen-Pollet 1991a, no 13 (= LSS 4 = IG I3 257), p. 60-61 pour la traduction et le commentaire. Pour une synthèse sur la controverse relative à l’emplacement initial de la stèle et des « tanneurs », entre deux sanctuaires possibles d’Héraclès au bord de l’Ilissos, voir Billot 1992, notamment p. 155-156. Plan complet de l’aire de l’Ilissos dans Travlos 1971, p. 291, fig. 379.
123 Sanidas 2013b, p. 185.
124 Interprétation de Le Guen-Pollet 1991a, p. 60-61, qui voit ici l’interdiction « aux personnes désireuses de nettoyer les peaux qu’elles venaient d’acquérir dans l’enceinte sacrée à la suite d’un sacrifice ou d’une vente ».
125 Ibid. Le terme vient de kathairein, « purifier ».
126 Du reste, cette interdiction de jeter les déchets sacrificiels n’est pas exceptionnelle ; plusieurs lois sacrées témoignent du soin porté ou à porter à la propreté des sanctuaires. Ainsi, afin de ne pas souiller le lieu saint, « il avait été interdit de se débarrasser dans la rivière de tout ce qui avait pu servir à des purifications : eau, sang, parfums, ainsi que le suggère Ziehen dans son commentaire d’un texte de Paros (LGS II, 104) imposant une amende de 51 drachmes à quiconque jetterait sur la voie publique les résidus des lustrations (katharmata) sur lesquels on aurait pu glisser » (Le Guen-Pollet 1991a, p. 60-61). Un autre règlement, toutefois beaucoup moins précis quant aux objets immergés dans l’eau sacrée du sanctuaire, a été retrouvé à Délos. Il est daté du ve siècle av. J.-C. et interdit de souiller la pureté de la source des Nymphes par l’introduction ou l’immersion d’objets impurs : « Il est interdit de nettoyer quoi que ce soit dans la source, de se baigner dans la source, de jeter des ordures ou quoi que ce soit d’autre. Une amende de 2 drachmes revenant au sanctuaire sera donnée au contrevenant », Μὴ πλύνεν ἐπὶ τεν κρή[νε]ν | μηδέν, μηδὲ κολυμ[βᾶν ἐν τ-]|ει κρήνει, μηδὲ [βάλ]λ[εν] κ[α]-|τὰ τὴν κρήν[εν κόπρον μηδ-|έ τι ἄλλ]ο. ἐπ[ιζήμια]· δραχμ-|αὶ ├├ [ἱ]ερ[α]ί (LSS 50, trad. perso.). Enfin, l’auteur du traité sur La maladie sacrée insiste sur la nécessité de les faire disparaître à l’extérieur de la ville pour préserver la population : « On en brûle certains, on en jette d’autres à la mer, et ceux qui restent sont emportés dans les montagnes, là où personne ne peut les voir ni les piétiner » (HIPPO. Mal. Sacr. 148, 44 et suiv.).
127 Horard, Herbin, Vigne 2005, p. 111-114 : cette habitude de conserver les extrémités des membres attenantes à la dépouille de l’animal varie selon les espèces : dernières phalanges chez les ours, qui portent les griffes ; crâne et ensemble des extrémités des membres chez les petits ruminants. Voir aussi Leguilloux 1998 ; 2004b, et supra p. 31, n. 90.
128 Voir supra p. 176-177.
129 Sur le travail des femmes, voir supra p. 163-164. On trouve une autre mention d’une lavandière du nom de Smikythé (Σμικύθε πλύντρια) dans une dédicace athénienne trouvée sur l’Acropole, datée de 490/480 av. J.-C. (IG I3 794).
130 Traduction Bielman 2002, p. 187, no 35. Le document est daté stylistiquement par les bas-reliefs et l’écriture.
131 R. Étienne tranche pour les tanneurs : « Au ive siècle av. J.-C., une association de tanneurs, où se mêlent hommes libres et esclaves [= IG II2 2934], offre, dans un sanctuaire proche de l’Ilissos, aux Nymphes et à tous les dieux une stèle avec un joli relief, etc. » (Étienne 2004, p. 140). A. Bielman parle quant à elle, sans hésitation, de la « profession de laveurs de linge », d’un « groupe de blanchisseurs et de lavandières » (Bielman 2002, p. 187-189, no 35).
132 Pour ces deux derniers arguments, voir Sanidas 2013b, p. 181.
133 Skias 1893, p. 113 : « Μέχρι τῶν μέσων σχεδὸν τοῦ παρόντος αἰῶνος εἶχον αὐτόθι τὰ ὑπαίθρια ἐργαστήρια αὐτῶν βυρσοδέψαι ἱκανὰ ἴχνη τῆς ἐργασίας αὐτῶν καὶ μέχρι τοῦ νῦν καταλιπόντες (βόθρους, πίθους, ἄσβεστον κ.τ.λ.) ». Pour l’installation byzantine, voir Threpsiadis, Travlos 1949.
134 Voir supra p. 165 et n. 32, Schol. Cav. 44c II [vet] et Souda s.v. σκυτοδέψης.
135 Lind 1990. L’auteur relève ainsi toutes les allusions aux métiers du cuir, p. 33-34, 43-73, 80-85. On en trouve la reprise, critique à certains endroits, dans Lafargue 2009, p. 190-193 ; 2013, p. 89-92, 106-108, 244-245, n. 18-19.
136 Esclave affranchi par Évangelos fils de Theangelos, du dème de Cholleidai, v. 330-320. Cf. Osborne, Byrne 1996, p. 346, no 7881.
137 La restitution est établie d’après la ligne suivante, où est mentionné un autre personnage issu de ce dème.
138 Voir supra p. 173-175 et n. 96.
139 Voir aussi Whitehead 1986, p. 337.
140 Lind 1990, p. 31 et 160-161. Reprise et critique de la démonstration dans Lafargue 2009, p. 199-204 ; 2013, p. 91-92.
141 Lind 1990, p. 104-117. Loi de l’Ilissos, supra p. 179-181.
142 Voir Lafargue 2009, p. 190-193 ; 2013, p. 91-92 et 248, n. 46 et 48.
143 Voir supra p. 164-165.
144 Taillardat 1965, p. 506, n. 1 : « jeu de scène fondé sur une métaphore prise au pied de la lettre », le terme ἱμᾶς « devait désigner l’agoranome porteur de fouet » et devient « l’équivalent de ἱμάντα φέρων ». C’est ce qu’indique la fin d’une scholie : « lanières : courroies, fouets. En effet, jadis les inspecteurs des comptes du marché frappaient au moyen de fouets », ἱμάντες· λώρους, φραγέλλια· τὸ γὰρ παλαιὸν φραγέλλαις ἔτυπτον οἱ λογισταὶ τοὺς τῆς ἀγορᾶς (Sch. Ach. 724 [vet]).
145 Λεπρός : « à la peau écaillée, rugueuse ».
146 Strabon mentionne la ville de Lepreon (τὸ Λέπρεον), au sud de la Triphylie, étroite bande côtière au pied des montagnes d’Arcadie (STRAB. VIII, 3, 11 ; 16 ; 18 ; 21 ; 30). Voir éd. CUF, p. 280. La ville aurait été fondée par les Myniens, chassés de Lemnos par les Pélages après qu’ils eurent chassé les Paroréates et les Caucones de leurs terres (HDT IV, 148, qui donne la même leçon Λέπρεον).
147 Sanidas 2013a, p. 107, notice I.I2, fig. 40. Voir Young 1951, notamment p. 229-233 ; Thompson, Wycherley 1972, p. 177.
148 Voir infra p. 185-186.
149 Sanidas 2013a, p. 118, notice I.I13.
150 Ibid., p. 119, notice II.I3, avec références bibliographiques.
151 Blondé, Muller 2000, p. 300.
152 Sanidas 2013a, p. 19.
153 Hellmann 2012, p. 32-33 : les ergasteria, lieu de production et de vente à la fois, sont le plus souvent liés à une rue, implantés « le long d’artères importantes, qui sont des voies où passe un grand nombre de clients potentiels, par où arrivent les matériaux et par où ils repartent une fois manufacturés » ; Sanidas 2013a, p. 222-224. Voir encore ESCHN. C. Tim. I, 124 : « une de ces échoppes qui bordent nos rues », ἓν τούτων τῶν ἐπὶ ταῖς ὁδοῖς ἐργαστηρίων.
154 Sanidas 2013a, p. 102-103, notice I.E1.
155 Réunis sur le cliché 2008.20.0033, sur <www.agathe.gr>.
156 Voir Thompson 1954, p. 54-55.
157 Voir supra p. 51-52.
158 Sanidas 2013a, p. 102-103.
159 Le seul amendement à la première publication a consisté à revenir quelque peu sur l’identification du propriétaire au Simon historique : « Il est très imprudent d’admettre que la coupe a appartenu au cordonnier et qu’il était le cordonnier philosophe avec lequel Socrate, dit-on, passait beaucoup de temps » (Thompson, Wycherley 1972, p. 174, trad. perso.)
160 Sur ces productions, voir par exemple Mella, Susini 2014.
161 Voir Horard-Herbin, Vigne 2005, p. 103.
162 Leguilloux 2001, p. 417.
163 Nin, Leguilloux 2003 ; Leguilloux 2014.
164 Leguilloux 2004a, p. 53-54. Malgré les déchets osseux et les restes de cuir mis au jour sur le site, il n’y a pas de structure caractéristique (cuves, fosses, comme à Pompéi et Liberchies) auxquels les rattacher. L’hypothèse des premiers fouilleurs est désormais remise en question.
165 Rodet-Belarbi, Olive, Forest 2002.
166 Voir supra p. 154-155.
167 Voir le chapitre 2, notamment p. 60-64.
168 Joannès 1984, p. 54-57, donne pour le Proche-Orient un exemple d’atelier unique appelé tukkum, qui réunissait certains artisans spécialistes du bois et du cuir pour façonner des meubles, des chars, des boucliers... Mais il s’agit là du monde des palais, peut-être encore valable pour le monde minoen et mycénien, mais non pour la Grèce des époques archaïque à hellénistique.
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