Des aluns naturels aux aluns artificiels et aux aluns de synthèse : matières premières, gisements et procédés
p. 13-38
Texte intégral
1L’alun ou plutôt les aluns sont des produits dont l’utilisation est très ancienne et remonte sans doute à plusieurs millénaires1. Ils ont d’abord été exploités à l’état natif (on parle en ce cas d’aluns naturels), puis élaborés à partir de matériaux comme l’alunite ou les schistes pyriteux (on parle alors d’aluns artificiels), avant de devenir un produit courant de l’industrie chimique (c’est l’alun de synthèse). Ces appellations qui peuvent varier selon les auteurs ont le mérite de la simplicité, ce qui est une des raisons qui nous les ont fait adopter, outre celle de correspondre à des modes de production bien caractérisés.
2Les aluns ont d’abord été définis empiriquement par un certain nombre de propriétés et d’utilisations qui sont proches de celles du plus connu d’entre eux (au moins depuis l’époque moderne), l’alun de potassium de formule KAl(SO4)2.12 H2O. Tous les aluns sont doués de propriétés astringentes (ou de stypticité, du nom grec de l’alun, stypteria), qui leur confèrent une saveur très particulière et explique certains de leurs usages, médicaux notamment2. Dès l’Antiquité, mais surtout à partir de l’époque médiévale, les aluns eurent une importance économique considérable par suite de leur emploi en teinturerie, pour la fixation des couleurs (le mordançage des tissus), et en tannerie pour la préparation de certains cuirs (les aluns servirent également, et jusqu’à nos jours, à l’ignifugation du bois, et ils furent souvent cités dans des opérations métallurgiques qui restent toutefois assez obscures)3.
3Répétons que les aluns ayant été identifiés de manière empirique par leurs propriétés communes, et l’ayant été de cette manière jusqu’au développement des concepts chimiques des XVIIe et XVIIIe siècles, on ne saurait s’étonner d’avoir affaire à un ensemble assez hétérogène de produits qu’il n’est pas très facile de circonscrire. D’autant que leurs gisements sont nombreux et divers (fig. 1).
4Pour y voir plus clair, il nous faudra examiner séparément les trois catégories d’aluns indiquées précédemment : les aluns naturels, les aluns artificiels et les aluns de synthèse. Car il existe des rap- ports préférentiels entre la nature des produits, et les gisements et procédés d’extraction. Cependant on notera dès à présent que les aluns sont généralement des sulfates complexes d’aluminium et d’un ou plusieurs autres métaux : potassium, sodium, (ammonium), magnésium, fer, etc. On admet que c’est à la présence de l’ion Al+++ que les aluns doivent leurs propriétés les plus caractéristiques, et particulièrement celles qui permettent leur utilisation en teinturerie. Mais d’autres cations peuvent avoir un rôle comparable, et d’autres espèces minérales servir de mordant4.
1. Les aluns naturels
1. 1. Les gisements
5Nous n’avons pas l’intention d’évoquer les nombreux processus géochimiques qui sont responsables de la formation des gisements d’aluns naturels5. Il nous suffit de savoir que les aluns sont des sulfates qui résultent de l’action de fluides acides d’origine fumerollienne, hydrothermale (voire partiellement météorique), sur des roches riches en aluminium de quelque nature qu’elles soient. Mais à cause du rôle important quoique non exclusif que jouent dans ces phénomènes les émanations liées au volcanisme, ce sont fréquemment dans des formations volcaniques que se rencontrent les gisements d’aluns naturels. Il s’en trouve aussi dans d’autres types de formations, notamment dans des argiles et plus particulièrement des schistes argileux ayant subi des actions hydrothermales acides, lesquelles sont d’ailleurs fréquemment liées à l’altération de gisements métalliques sulfurés. Enfin on notera que les gisements d’aluns ne se constituent pas nécessairement à l’endroit même où se sont produites les altérations acides6.
6Du point de vue des techniques anciennes d’extraction et de préparation des aluns naturels, qui nous concernent surtout, ce sont les caractéristiques des gisements, et leurs caractéristiques physiques peut-être plus que leurs caractéristiques chimiques, qui nous retiendront. Les premières induisent en effet des opérations de préparation différentes selon qu’on se trouve en présence de gisements massifs, de gisements dans lesquels les aluns sont moyennement dispersés, ou de gisements où les aluns sont très fortement dispersés au sein d’une matrice.
7Des gisements massifs d’aluns naturels, en couches épaisses ou en amas importants, peuvent se rencontrer dans les zones désertiques ou arides. C’est le cas en Egypte dans les oasis du désert occidental, à Dakhla et Kharga notamment7. Mais on ignore si de tels gisements y furent exploités dans l’Antiquité, et on continuera à l’ignorer tant que les travaux souterrains, sans doute d’époque romaine, signalés par Beadnell, n’auront pas été explorés et étudiés (Beadnell 1909, p. 222-223). Des gisements massifs d’aluns naturels peuvent encore se rencontrer dans les milieux volcaniques ayant eu récemment une activité fumerollienne intense. Il est possible que les gisements décrits par Pitton de Tournefort dans l’île de Mélos aient été de ce type ou d’un type un peu plus dispersé (Pitton de Tournefort 1982-1717, p. 167). Sans doute y en eut-il de semblables dans les îles éoliennes.
8Les aluns des gisements massifs sont souvent considérés, à tort ou à raison, comme relativement purs, suffisamment pour n’avoir nécessité aucun traitement préalable d’enrichissement et de purification8. On suppose que ce sont des produits de ce genre, ou des produits peu différents, comme ceux des gisements où les aluns sont moyennement dispersés (voir plus bas) qui étaient transportés dans les amphores de Mélos et de Lipari. Mais il faudrait pour en être sûr que les travaux miniers anciens fassent l’objet, sur ces deux îles, d’études spécifiques.
9Dans le domaine méditerranéen les gisements massifs semblent assez rares. Ils le seraient aussi en Egypte où prédominent les couches de faible épaisseur (Hussein et El Sharkawi 1990, p. 559). Dans toutes ces régions on rencontre beaucoup de gisements où les aluns sont moyennement dispersés, amas de taille décimétrique et souvent même centimétrique dont l’exploitation requiert au minimum un tri manuel attentif. Celui-ci devait consister d’abord à éliminer la gangue rocheuse, ce qui est relativement aisé pour les aluns de l’oasis de Kharga où cette gangue est fréquemment constituée de schistes altérés, peu résistants. Dans cette même oasis la séparation des aluns et du gypse paraît assez facile à effectuer manuellement, celle du chlorure de sodium, heureusement moins présent, requérant plus d’expérience (cette expérience ayant pu se forger toutefois grâce à la saveur fortement contrastée de ces produits)9.
10On comprend donc que les aluns natifs aient pu être parfois de bien mauvaise qualité, malgré le soin apporté aux tris manuels. Ce qu’aggravait encore la nature même de la plupart de ces produits dont les propriétés à l’état pur se comparent difficilement à celles des aluns artificiels10. Mais la situation la pire, susceptible d’affecter profondément la qualité des aluns naturels, c’est celle que l’on rencontre souvent dans les gisements où les aluns sont très fortement dispersés.
11Il existe en effet de nombreux gisements où les aluns se trouvent dans un état de dispersion, ou division, tel qu’ils ne peuvent être extraits de la matrice qui les renferme, que par dissolution et cristallisation. Or ces opérations de lessivage ne sont pas anodines, car elles peuvent entraîner, selon la manière dont elles sont conduites, de très importantes variations de composition du produit final, et une qualité pouvant aller du médiocre au pire.
12Prenons à titre d’exemple le cas d’un gisement où l’halotrichite (variété d’alun très courante, d’assez bonne qualité) serait en quantité sensiblement égale à la mélantérite ou couperose ou vitriol vert (produit plutôt médiocre en teinturerie, notamment pour les couleurs claires) (cf. 1. 2). Si on lave à froid les matériaux bruts extraits du gisement, on dissoudra peu d’alun et beaucoup de couperose, par suite de la différence de solubilité à froid de ces deux espèces minérales (fig. 2). Puis concentrant à chaud la solution obtenue pour la faire cristalliser, on risque, si l’opération de concentration de la solution est trop poussée, d’obtenir au refroidissement un matériau pâteux, constitué d’un mélange intime de microcristaux et de liquide, le beurre de mordant ou beurre fossile, qui a d’ailleurs été vendu sous cette forme. Pour que les cristaux se développent correctement, de sorte qu’on puisse commercialiser un produit sec, il faut partir d’une solution moins concentrée et attendre le temps nécessaire à la cristallisation. Dans ce cas d’ailleurs on favorisera la cristallisation de l’halotrichite aux dépens de la coupe- rose, comme cela se produit naturellement dans les flaques d’eau, sur de nombreux gisements (fig. 3).
13Ainsi, en jouant sur les températures et les concentrations, on peut obtenir des produits très différents, à partir du même matériau de base, certains de ces produits, beaucoup trop riches en fer, ayant des emplois limités en teinturerie, alors que d’autres, mieux raffinés, trouvaient plus d’applications. Or c’est effectivement ce qu’on observe, certaines fabriques parvenant à commercialiser des produits d’une qualité appréciable, alors que d’autres vendent des produits très inférieurs, à une clientèle locale ou régionale11.
14Examinons maintenant quelques gisements qui ne seraient guère exploitables que par dissolution et cristallisation. Certains d’entre eux peuvent n’être que des variantes très dispersées des gisements d’aluns massifs ou moyennement dispersés, évoqués précédemment. Mais, tant du point de vue de leur genèse que de leurs caractéristiques, les gisements concernés sont bien plus variés. On les regroupe habituellement sous l’appellation de terres alumineuses (ou vitrioliques)12. Ce sont des gisements où les aluns sont disséminés dans une matrice, souvent hétérogène lorsqu’elle est d’origine volcanique, plus homogène si elle est de nature sédimentaire. En général ces terres alumineuses renferment, en dehors des aluns, de nombreux autres sels solubles dont certains peuvent être fort gênants en teinturerie, comme la mélantérite, surtout pour des couleurs claires.
15Des gisements de ce type ont été exploités, par lavage des terres, à la Solfatare de Pouzzoles au XVIIIe siècle 1313. Ils fournissaient un alun dont Fouge-roux de Bondaroy soulignait la médiocre qualité (étant notamment trop riche en fer pour être utilisé sans discernement en teinturerie)14. En Italie les gisements de terres alumineuses sont nombreux, plus que les gisements d’alunite utilisés dans l’un des procédés de fabrication des aluns artificiels, et leur exploitation est de surcroît peu onéreuse, ce qui en rend les produits attractifs, malgré leurs défauts15.
16On rapprochera des terres alumineuses les exsudations ou encroûtements dont parle Pline (H. Ν. XXXV, 184). S’y rattachent notamment les exsudations recueillies régulièrement (par balayage) à la surface de la Solfatare de Pouzzoles, puis raffinées (Singer 1948, p. 175). Les aluns liquides étant une autre forme, mais rare, d’exsudations16.
17Des exsudations comprenant surtout de la couperose et un peu d’alun s’observent souvent aux affleurements des schistes pyriteux. Elles peuvent être suffisamment importantes, et se renouveler suffisamment vite, pour qu’on ait pu envisager de les exploiter17. Résultant principalement de l’action des eaux météoriques sur les schistes pyriteux elles sont riches en sulfate de fer et pauvres en sulfate d’aluminium, donc peu utilisables en teinturerie, sauf pour des applications particulières. Mais, par artifice, on parviendra, sans doute au tournant des XVe et XVIe siècles, à augmenter la proportion de sulfate d’aluminium au détriment du sulfate de fer (ce qui sera l’un des procédés permettant la fabrication d’aluns artificiels). Il suffit pour cela d’effectuer-soit par inflammation spontanée résultant de la mise en tas et de l’aération des schistes, soit par inflammation provoquée par un apport de combustible-un grillage de ces schistes, ce qui développera la formation de sulfate d’aluminium qu’on pourra transformer ensuite en aluns artificiels18. Si c’était au contraire le vitriol dont on souhaitait privilégier la formation, on éviterait tout grillage ou échauffement important, et on arroserait les tas pour faciliter la transformation du sulfure de fer en mélantérite que l’on extrairait par lavage à froid. On reviendra sur ces questions à propos des aluns artificiels (cf. 2).
18Quant à savoir si les exsudations naturelles des schistes pyriteux ont été utilisées à des périodes plus anciennes, sans autre traitement qu’une simple mise en solution, on l’ignore. Mais c’est sûrement une interrogation importante pour l’histoire des aluns (cf. 1. 3) 1919.
1. 2. Les produits
19On rappelle que les aluns naturels couvrent une très grande variété de produits, et que la prédominance des aluns artificiels qui s’instaurera progressivement au cours du bas Moyen Âge et au début de l’époque moderne, se traduira non seulement par une augmentation spectaculaire du tonnage des exportations, mais par une diminution tout aussi spectaculaire de la diversité des produits. Seule sera maintenue et développée l’utilisation d’aluns possédant les qualités les plus appréciées en teinturerie (comme mordants). Cet artisanat devenant, avec l’essor de l’industrie textile qui se produit alors, le client presque exclusif du commerce de l’alun, et se trouvant donc à l’origine de la fortune attachée à cette production (Singer 1948 ; Heers 1954 ; Heers 1971-1961 ; Delumeau 1962).
20Antérieurement, de nombreux produits durent être exploités et commercialisés comme aluns. D’ailleurs la diversité des aluns naturels est si grande qu’on ne saurait évoquer que peu d’entre eux, qui se distinguent par des propriétés particulières, ou par leur relative abondance. On les présentera sous forme de liste, accompagnés de quelques observations, avec leur composition et leurs appellations les plus courantes (mais il ne faut surtout pas oublier qu’avec les aluns naturels les mélanges sont presque toujours la règle).
- KAl(SO4)2.12 H2O – alun de potassium
- NH4Al(SO4)2.12 H2O – alun d’ammonium
21Ce sont les deux aluns artificiels les plus courants, mais ils existent aussi à l’état naturel. Le second est relativement rare, le premier un peu moins, quoique fréquent. Leur intérêt en teinturerie est en principe de ne pas contenir de fer pouvant altérer la couleur des teintures vives et claires. De fait, l’alun de potassium est rarement pur à l’état naturel, et donc rarement exempt de fer.
- (Mg.Fe)Al 2(SO4)4.22H2O (avec Fe>Mg) – halotrichite
- (Mg.Fe)Al 2(SO4)4.22H2O (avec Fe<Mg) – pickéringite
22Ces deux aluns comptent parmi ceux qui se rencontrent le plus souvent dans la nature. On peut donc estimer qu’ils étaient largement représentés dans beaucoup d’aluns naturels utilisés en teinturerie, jusqu’à ce que les aluns artificiels finissent par supplanter définitivement les aluns natifs. La présence de fer dans leur composition (parfois remplacé par le manganèse dans l’apjohnite MnAl 2 (SO4)4. 22 H 2 O) les rend un peu moins aptes que les aluns de potassium ou d’ammonium à la réalisation de teintures fines ou claires.
23Il arrive souvent que ces aluns cristallisent en donnant des filaments (le nom d’halotrichite venant de là), ce qui les a fait désigner comme “aluns de plume”. Mais bien d’autres sulfates et bien d’autres sels peuvent se présenter sous cette forme :
- NaAl(SO4)2.6H2O – tamarugite
- Al 2(SO4)3.18H2O – alunogène
24Le premier de ces deux composés est encore un sulfate d’aluminium complexe, comme le sont les aluns, le second un sulfate simple d’aluminium, l’un et l’autre pouvant servir de mordant et se trouvant fréquemment mêlés aux précédents (le second étant plus rare).
25D’autres sulfates qu’on n’imaginerait pas actuellement de placer parmi les aluns, ou simplement de les en rapprocher, leur étaient certainement associés autrefois, d’autant qu’ils se trouvent le plus souvent dans les mêmes gisements et qu’ils ont un certain nombre de propriétés en commun. Car il ne faut pas perdre de vue que les aluns naturels, qui étaient le plus souvent des mélanges, n’étaient définis dans l’Antiquité et à l’époque médiévale que par leurs propriétés et leurs utilisations. Dans ces conditions il est normal que de nombreux autres composés se soient trouvés en quelque sorte assimilés aux aluns, bien qu’étant souvent, du point de vue chimique, très différents. Leur liste est impressionnante, et on en trouvera des éléments dans les traités de minéralogie (Palache et al. 1951, p. 390-634). On ne citera que les trois composés suivants :
- MgSO4.7 H2O – epsomite
- FeSO4.7 H2O – mélantérite (ou vitriol vert, couperose)
- CuSO4.5 H2O – chalcanthite (ou vitriol bleu, couperose bleue)
26Le premier appartient à ce très vaste ensemble de sulfates de magnésium, simples ou complexes, qui accompagnent fréquemment les aluns naturels dans leurs gisements. Un certain nombre d’entre eux, et l’epsomite en particulier, sont utilisés comme mordant, en teinturerie. Le cas de la mélantérite, de la chalcanthite et de quelques autres sulfates de fer et/ou de cuivre, simples ou complexes, sont un peu différents, dans la mesure où il s’agit souvent de produits colorés, qu’on a donc eu tendance à distinguer, dès l’Antiquité, de tous ceux dont on a parlé jusqu’ici, qui sont plutôt incolores ou blancs à l’état solide. Malgré son taux de fer élevé, la mélantérite a elle-aussi été utilisée comme mordant, en teinturerie, mais uniquement pour des couleurs sombres (Preisser 1840 ; Cardon 2003, p. 27-53)20.
27On terminera ce survol de quelques aluns naturels en évoquant des composés qui les accompagnent souvent dans leurs gisements :
- NaCl – halite ou sel gemme
- MgCl2 – chloromagnésite
- FeCl2 ou (Fe.Ni)Cl2 – lawrencite
- FeCl3 – molysite
- NH4Cl – salammoniac ou salmiac
- CaSO4.2 H2O – gypse
- CaSO4 – anhydrite
- Al2Si2O5(OH)4 – kaolinite
- KAl3(SO4)2(OH)6 – alunite ou pierre à alun
- KFe3(SO4)2(OH)6 – jarosite
- SiO2 – silice
28À l’exception des cinq premiers, ce sont des corps pratiquement insolubles dans l’eau, et inertes. Ils sont fréquemment mêlés aux aluns naturels dont ils contribuent à altérer la qualité. Aussi seront-ils sans doute en partie responsables de la désaffectation du grand commerce maritime de l’époque médiévale pour ce type de produit (cf. 1. 3).
1. 3. Les évolutions
29Il est clair qu’on n’est pas en mesure actuellement de proposer une histoire de l’alun, du moins pour les périodes les plus anciennes qui conservent encore tant de zones d’ombre. En revanche on doit au travail admirable de Charles Singer d’avoir posé un certain nombre de jalons pour l’Antiquité, et de nous avoir donné plus qu’une simple esquisse historique pour les périodes plus récentes (Singer 1948). Aussi nous contenterons-nous d’examiner quelques questions concernant l’évolution de la production et de la commercialisation, en essayant de proposer des réponses plausibles qui pourraient se muer ultérieurement en orientations de recherche. Il ne s’agira pour l’instant que des aluns naturels.
30Examinons d’abord les débuts qui, rappelons-le, n’ont guère d’intérêt, pour l’histoire des techniques, que s’ils correspondent à des situations dont il est possible d’appréhender le devenir. Etant assuré de n’avoir pas affaire à de simples accidents, sans véritable signification.
31L’Égypte ancienne est sûrement la région où la documentation sur les premières utilisations de l’alun devrait être la plus riche. On manque pourtant d’une étude sur les occurrences les plus anciennes des termes désignant l’alun. Il en est quelques-unes qui remontent au Nouvel-Empire (Singer 1948, p. 5). D’autres types de documents viennent d’ailleurs confirmer cette assertion, témoignant de l’exploitation des aluns des oasis occidentales égyptiennes dès cette époque. Il s’agit d’arguments indirects fondés sur l’emploi, comme colorant bleu, du cobalt des aluns (Kaczmarczyk 1986). Ce sont surtout les verres qui ont fait l’objet des études les plus poussées. Mais d’autres ont concerné les peintures des céramiques et les revêtements des faïences siliceuses (Kaczmarczyk et Hedges 1983, Spencer 1997, Spencer et Schofield 1997, Gratuze et Picon 2005).
32En Mésopotamie, les mentions concernant l’alun seraient plus récentes, de plus d’un millénaire semble-t-il (Singer 1948, p. 6-7). Et sans doute s’agirait-il d’aluns importés d’Égypte (ce qui mériterait pour le moins d’être réexaminé).
33Pour les autres régions productrices d’aluns naturels, Mélos et Lipari notamment, on manque vraiment d’indications sur les débuts de la production. Certes, la tradition érudite s’est ingéniée depuis longtemps à voir des influences mycéniennes à l’origine de ces exploitations, et même de celles de la Tolfa (Toti 1996, Zifferero 1996). Mais cela demeure conjectural, ce qui ne veut pas dire que l’alun n’était pas connu et utilisé à l’époque mycénienne (cf. dans ce même volume la communication de M. Perna).
34Plus concrètes et accessibles sont les questions relatives au déclin des aluns naturels. Leur production perdure certes jusqu’à l’époque moderne, en Egypte, à Mélos et dans les Éoliennes, mais elle n’a plus alors qu’une importance relative des plus restreintes. De fait c’est entre les XIIIe et XIVe siècles que les aluns naturels allaient se trouver progressivement évincés du grand commerce méditerranéen, au profit des aluns artificiels, et ramenés au rang de produits d’utilisation locale ou régionale. Symptomatique de ce déclin, la “Pratica della Mercatura” de Pegolotti ne s’intéresse guère qu’aux aluns artificiels et plus précisément aux aluns d’alunite (à l’exception de l’alun de Castiglione, en pays barbaresques, mentionné plutôt comme curiosité, et des aluns de Chypre que Pegolotti n’a cependant pas jugé bon de reprendre dans sa synthèse finale sur les commodités) (Pegolotti 1936- circa 1340, p. 368-370) (cf. dans ce même volume la communication sur la Turquie).
35Il semblerait que deux causes majeures soient susceptibles de rendre compte de cette évolution. On a déjà signalé que la qualité des aluns naturels pouvait être fort médiocre, comportant souvent des résidus insolubles importants, et des produits solubles sans intérêt pratique, comme NaCl, voire nuisibles en teinturerie fine, comme les sels de fer. Mais, peut-être plus que la médiocre qualité de ces produits, c’est l’instabilité de leurs caractéristiques qui dut rebuter les teinturiers et leur causer de réelles difficultés. Alors que les aluns artificiels apportaient à la fois qualité et stabilité.
36Cela pourrait suffire à expliquer la quasi-disparition des aluns d’Egypte vers cette époque (Cahen 1963). Comme le mauvais accueil réservé alors aux aluns de Vulcano, et les interdictions qui les frappent21. Les exigences grandissantes des teintureries en matière de qualité allaient sans doute donner le coup de grâce à des produits qui ne correspondaient plus aux besoins du moment22. En même temps, les aluns artificiels apportaient, avec une qualité supérieure, une normalisation technique devenue indispensable, compte tenu du développement et de la complexité de l’industrie textile médiévale (Heers 1971, p. 173-192, Cardon 1999). On reviendra plus loin sur les facteurs économiques et techniques qui durent intervenir dans ce remplacement progressif des aluns naturels par les aluns artificiels.
37Si l’exploitation des aluns naturels d’origine volcanique ou hydrothermale est amplement attestée durant l’Antiquité, quoique encore assez mal connue, celle des aluns naturels provenant de l’altération, surtout météorique, des schistes pyriteux n’a pas encore été démontrée pour cette époque.
38Il y aurait pourtant quelque intérêt à se pencher sur cette question. Car les schistes pyriteux sont à la base du procédé qui deviendra progressivement, à partir des XVIe et XVIIe siècles, la principale source d’alun artificiel de l’Occident, ce qui provoquera le transfert du centre de gravité de la production d’alun, de la Méditerranée vers l’Europe centrale et l’Europe du nord. Mais on ignore complètement si cette exploitation des schistes pyriteux pour la fabrication d’aluns artificiels a été précédée par un ramassage des aluns naturels aux affleurements. Or on aurait pu recueillir et pendant très longtemps les aluns naturels des exsudations et encroûtements résultant des actions météoriques sur les schistes pyriteux, avant d’imaginer des procédés permettant de développer une production d’aluns artificiels à partir de ces mêmes schistes.
39L’hypothèse semble plausible quand on voit les prospecteurs vénitiens rechercher de l’alun au Tyrol dès 1461 (c’est-à-dire à l’époque même de la découverte de la Tolfa) et le faire dans la vallée de l’Inn où se développeront très rapidement des fabrications d’aluns artificiels utilisant le grillage des schistes pyriteux (Singer 1948, p. 178). Or on imagine mal les prospecteurs, vénitiens et autres, se diriger vers les zones des schistes alpins, sans avoir eu vent de l’existence d’exploitations d’alun dans ces régions. Peut-être ne s’agissait-il encore que de ramassages d’aluns naturels à la surface des affleurements, mais peut-être le grillage des schistes pyriteux et la fabrication des aluns artificiels dont il constitue la première phase furent-ils plus anciens qu’on ne l’imaginait jusqu’à présent. En tout cas l’utilisation de l’alun, naturel ou artificiel, dans le tannage des cuirs pourrait avoir été une pratique ancienne, dans des régions où l’on ne voit guère que les schistes pyriteux, comme source d’alun possible. C’est ainsi du moins que l’on serait tenté d’interpréter le passage où César parle d’aluta, à propos des voiles des Vénètes (De bello Gallico, III, 13)23. Autant de questions dont l’étude mériterait d’être reprise, surtout du point de vue de la géologie locale.
2. Les aluns artificiels
40Ces aluns sont produits par artifice, ou par un effet de l’art, et ne sont donc pas recueillis tout formés dans la nature comme c’est le cas pour les aluns naturels. Il sont de deux sortes : les aluns d’alunite et les aluns des schistes pyriteux. On les étudiera dans cet ordre-là (et plus brièvement pour les seconds dont la fabrication pourrait être moins ancienne).
2. 1-Les aluns d’alunite
2. 1. 1. L’alunite et ses gisements
41De formule KAl3(SO4)2(OH)6, l’alunite ou pierre à alun se présente sous forme d’une roche de couleur blanche, parfois jaunâtre ou rosâtre, fréquemment associée à la kaolinite et à la silice. Une partie, généralement faible, du potassium peut être remplacée par le sodium (natroalunite) (Palache et al. 1951, p. 555-560).
42L’alunite résulte en principe de l’action de fluides acides d’origine fumerollienne (ou de fluides acides résultant par exemple de l’oxydation d’amas sulfurés comme les pyrites) sur des roches volcaniques riches en feldspaths potassiques, les trachytes et les andésites notamment, ou, plus rarement, sur d’autres types de roches ayant des pourcentages élevés d’alumine, Al2O3, et de potasse, K2O. Les processus de transformation des roches en alunite, ou alunisation, s’accompagnent très souvent de processus de kaolinisation et de silicification (Lombardi 1977 ; Lombardi et Mattias 1977 ; Lombardi et Sonno 1979 ; Ôzgenç 1992 et 1993 ; Çelik 1999 ; Karakaya et Karakaya 2001). On verra que la composition hétérogène des pierres à alun, qui contiennent donc fréquemment de la silice et de la kaolinite, intervient dans la qualité de l’alun fabriqué à partir de l’alunite (cf. 2. 1. 3). La silicification peut aussi rendre difficile l’exploitation de la pierre à alun, et sa transformation ultérieure en alun.
43À la différence des aluns naturels, l’alunite est pratiquement insoluble dans l’eau. Ce qui assure la pérennité de ses gisements dans des contextes volcaniques ou hydrothermaux anciens, alors qu’il faut aux aluns naturels des conditions assez rares pour que leurs gisements se conservent, les eaux d’origine météorique finissant par les disperser à plus ou moins longue échéance. Les conditions permettant la conservation des gisements d’aluns naturels peuvent être l’existence d’apports sans cesse renouvelés, comme cela se produit quand on se trouve en contexte fumerollien ou hydrothermal actif, ou des situations climatiques particulières, comme celles qui règnent en milieu désertique.
2. 1. 2. Le traitement de l’alunite
44Par quel artifice, et à la suite de quels tâtonnements, est-on parvenu à passer de l’alunite, produit insoluble de formule KAl3(SO4)2(OH)6, à l’alun de potassium, sulfate double d’aluminium et de potassium, soluble, correspondant à la formule KAl(SO4)2.12 H2O ? Si la démarche originelle nous échappe, le procédé nous est quand à lui bien connu, au moins dans ses grandes lignes, grâce aux nombreuses descriptions qu’en ont donné les curieux, les voyageurs et les savants qui ont eu l’occasion de l’observer en Orient comme en Occident24. Ce procédé, relativement complexe, semble avoir toujours comporté, depuis qu’il a été décrit à l’époque médiévale, les quatre phases principales que sont le grillage, la macération, la lixiviation et la cristallisation, en dépit de quelques variations ou aménagements mineurs qui ne nous concerneront pas ici25 (fig. 4).
45- le grillage (ou calcination). C’est une opération qui a pour effet de transformer l’alunite en sulfate anhydre KAl(SO4)2 avec le meilleur rendement possible. La réaction est assez complexe et laisse, en théorie du moins, un excès d’alumine Al(OH)3 (mêlée en fait à d’autres sulfates, et plus ou moins déshydratée)26. Il s’agissait d’une opération délicate, compte tenu des nombreux incidents survenus en cours d’opération. Elle nécessitait de bien maîtriser la température de grillage qui devait se situer entre 600 et 700° C. Au-dessous, la décomposition de l’alunite est incomplète et le rendement peu élevé, au-dessus il y a perte de soufre, et la rentabilité de l’opération diminue également. Le grillage de l’alunite était effectué dans un four semblable à un four à chaux, ce qui permettait d’y construire une voûte surmontant le foyer, en entassant les pierres à alun (fig. 5). Les flammes passaient par les interstices existant entre ces pierres, mais comme la partie intérieure de la voûte était nécessairement plus cuite que sa partie extérieure, il arrivait que l’on procédât à une double cuisson, démolissant la voûte après refroidissement et la reconstruisant en prenant soin de disposer vers l’extérieur les pierres les plus cuites. La durée du grillage pouvait donc varier considérablement, de 5 à 24 heures parfois27.
46Le grillage avait une seconde fonction, favorisée par un refroidissement rapide, celle de provoquer la fissuration des pierres à alun, et de faciliter ainsi l’opération suivante.
47- la macération. C’est une opération qui était fort longue et avait pour effet de réhydrater le sulfate KAl(SO4)2 résultant du grillage de l’alunite et de le transformer ainsi en alun de potassium KAl(SO4)2. 12 H2O. Cette transformation était obtenue en maintenant humides les pierres à alun, mises en tas au sortir du four où elles avaient été cuites. Les pierres étaient disposées sur des aires ou dans des bassins, de formes et de dimensions variables. L’essentiel étant de les arroser régulièrement, en s’arrangeant si possible pour récupérer l’eau en excès, ou en évitant qu’il y en eût trop28.
48L’arrosage avait lieu une ou deux fois par jour, suivant la température et la saison. Il se poursuivait en général deux à quatre mois, jusqu’à ce que les pierres à alun fussent désagrégées et transformées en une masse pâteuse, attestant de la réussite des opérations. Il ne restait plus alors qu’à extraire de cette pâte l’alun de potassium, par lixiviation.
49- la lixiviation (ou lessivage). Cette opération consistait donc à extraire l’alun que contenait la masse pâteuse résultant de la macération, en procédant à son lessivage. Il se faisait en principe à l’eau chaude, et même dans la plupart des cas à l’eau bouillante, car la solubilité de l’alun y est maximale. Mais à la lixiviation se trouvaient nécessairement associées deux autres opérations, dont l’une était l’épuration de la solution d’alun, afin d’en retirer les produits insolubles, et l’autre la concentration de cette même solution, afin d’en permettre la cristallisation lors du refroidissement (fig. 6).
50Certes, il eût été possible d’effectuer successivement, et avec plus de facilité, ces trois opérations, mais elles eussent exigé beaucoup de temps et multiplié les dépenses en combustible. Aussi les aluniers regroupèrent-ils la lixiviation proprement dite, l’épuration et la concentration en une seule et même opération que recouvre le terme général de lixiviation.
51La mise en solution de l’alun, ou lixiviation proprement dite, se faisait dans une chaudière où de l’eau était portée à ébullition. On y jetait des charges prélevées dans la masse pâteuse résultant des deux opérations précédentes : le grillage et la macération. L’eau dans la chaudière était soigneusement remuée afin que l’alun s’y dissolve entièrement. Mais en général les charges étaient introduites de manière à ménager entre elles un certain laps de temps, ce qui permettait à l’ouvrier chargé de l’épuration de la solution d’intervenir.
52La masse pâteuse contenait en effet de nombreux corps insolubles, depuis des fragments de roches de dimensions et de nature diverses, jusqu’à des produits sableux ou pulvérulents. Les plus gros se déposaient au fond de la chaudière de lixiviation, d’où il fallait les extraire en utilisant une sorte de louche perforée, de très grande taille.
53À mesure qu’on ajoutait dans la chaudière de nouvelles charges prélevées dans la masse pâteuse qui s’était formée au cours de la macération, la concentration de la solution d’alun augmentait, ce qui évitait, pour parvenir au même résultat par évaporation, de faire bouillir la solution pendant des jours entiers. De fait, l’opération de lixiviation, au sens large du terme, demandait de douze à vingt-quatre heures par chaudière.
54Une fois la concentration de l’alun jugée satisfaisante pour permettre sa cristallisation, on arrêtait le chauffage et on laissait reposer la solution d’alun un temps suffisamment court pour qu’elle ne se refroidisse pas trop, mais suffisamment long pour qu’elle dépose sous forme de boue une fraction importante de ses impuretés solides demeurées en suspension29. Cependant on ignore si cette pratique était ancienne, et si, bien souvent, on ne passait pas à la cristallisation, sans procéder à cette ultime purification qui ne pouvait d’ailleurs qu’être partielle.
55- la cristallisation. C’était une opération relativement simple, dans la mesure où l’on avait su apprécier à quel moment la solution d’alun, extraite par lixiviation, avait atteint une concentration optimale pour sa cristallisation. Une solution trop diluée ne permettant la cristallisation que d’une petite partie de l’alun présent dans la solution, alors qu’une trop forte concentration ne donnait, comme on l’a déjà vu, qu’un produit pâteux, extrêmement difficile à sécher, dont la purification ne pouvait être poursuivie sans redissolution et recristallisation.
56La cristallisation se faisait en remplissant, avec la solution chaude d’alun puisée dans les chaudières de lixiviation, des cuves de formes diverses, généralement en bois, qui affectaient souvent l’apparence d’auges ou de caisses. L’alun étant beaucoup plus soluble à chaud qu’à froid, il suffisait d’attendre le temps nécessaire pour que le refroidissement se fasse et que les cristaux d’alun aient la possibilité de se développer. Généralement une quinzaine de jours étaient nécessaires pour cette opération de cristallisation, mais parfois moins.
57La taille des cristaux d’alun varie beaucoup selon leur position à l’intérieur des cuves de cristallisation. C’est normalement ceux qui sont accrochés vers le haut des parois qui sont les plus gros et les plus purs, ceux qu’on désignait souvent à l’époque médiévale comme alun de roche ou alun de glace, ces dénominations étant d’ailleurs loin d’avoir toujours la même signification. La taille des cristaux diminue généralement vers le fond des cuves de cristallisation où l’on ne récupère souvent que de très petits cristaux, mêlés à une boue qui provient des impuretés insolubles, demeurées en suspension dans la chaudière de lixiviation. Ces petits cristaux, l’alun minuto des textes médiévaux, sont souvent impurs car il peuvent avoir emprisonné des produits pulvérulents en suspension, analogues à ceux dont est constituée la boue qui s’accumule au fond des cuves de cristallisation (et des cuves de lixiviation). S’il n’est pas possible de débarrasser les petits cristaux d’alun des produits pulvérulents qu’ils renferment, sans les redissoudre à chaud et les faire recristalliser, on peut au moins les purger de la boue qui les salit extérieurement. Il suffit pour cela de les rincer à l’eau froide, ce qui n’entraîne qu’une perte d’alun minime, car on a déjà vu que la solubilité de l’alun à froid est peu élevée. Mais on ne sait pas grand-chose sur l’ancienneté de ces pratiques, quoique le rinçage des cristaux d’alun soit attesté au XVIe siècle (Agricola 1992-1556, p. 463).
58Lorsque la cristallisation est achevée, il reste dans les cuves, au-dessus de la boue et des petits cristaux dont on vient de parler, une solution d’alun appauvrie (eau mère) qu’on a l’habitude de récupérer et de recycler en la transvasant dans les chaudières de lixiviation, afin qu’elle s’y enrichisse au contact de nouvelles charges provenant de la masse pâteuse issue de la macération.
59La boue qui est au fond des cuves de cristallisation (et des cuves de lixiviation) peut subir elle-aussi un nouveau traitement afin de récupérer l’alun qui s’y trouverait encore (Collet-Descotils 1816, p. 345). Mais elle peut être rejetée telle quelle (Biringuccio 1572-1540, chap. 6, feuillet 52)30.
60Pour terminer, l’alun est séché et mis en sacs, en paniers, en caisses ou en tonneaux, afin d’être commercialisé.
2. 1. 3. Le produit
61On ne parlera pas des produits, mais du produit obtenu à l’issue des opérations précédentes. Le pluriel s’imposait de lui-même pour les aluns naturels qui sont très variés. Or ce n’est pas le cas de l’alun d’alunite qui est toujours de l’alun de potassium, KAl(SO4)2. 12H2O, malgré la présence éventuelle d’un peu de sodium, remplaçant une petite partie du potassium, ce qui n’en modifie guère les caractéristiques31. En revanche la couleur de l’alun d’alunite peut varier. Celui de la Tolfa, dit aussi de Rome, était rose, alors que des aluns d’autres provenances peuvent être blancs ou incolores. Cela dépend pour une large part des particularités géologiques et géochimiques des gisements d’alunite, et n’affecte pas les propriétés de l’alun.
62On a déjà souligné que la qualité des aluns d’alunite pour la teinturerie, jointe à l’immutabilité de leurs caractéristiques, eurent sans doute pour conséquence de reléguer au second plan, à partir des XIIIe ou XIVe siècles, les aluns naturels, pourtant moins onéreux (cf. 1. 3). Mais il existait quand même, au sein des aluns d’alunite, des produits diversement appréciés (Pegolotti 1936- circa 1340, p. 369). Ce qui n’est guère surprenant lorsqu’on a perçu à quel point le savoir-faire des ouvriers, mais aussi la nature des gisements d’alunite, pouvaient modifier la quantité de produits pulvérulents demeurés en suspension dans la solution d’alun, et leur abondance à l’intérieur même des cristaux32.
63Ces inclusions de produits solides au sein des cristaux d’alun diminuaient certes la qualité de l’alun, mais surtout parce qu’il en fallait plus pour parvenir au même résultat que celui qu’on aurait obtenu avec un alun qui en était dépourvu. Toutefois de telles variations de qualité furent sans doute bien moindres que celles qui affectaient les aluns naturels33.
64Rappelons enfin que c’est à leurs très faibles pourcentages de sels de fer que les aluns d’alunite durent une part importante de leur succès en teinturerie, car ils permettaient l’obtention de teintes vives et claires, tout en leur assurant une très bonne fixation sur les tissus. Le développement de l’industrie textile au Moyen Âge faisant le reste.
2. 1. 4. Les évolutions
65Pour l’alun d’alunite, c’est l’ancienneté éventuelle de sa fabrication qui a surtout attiré l’attention des chercheurs au cours de ces dernières années. On avait pendant longtemps admis que ce procédé devait être une innovation médiévale. Mais l’examen critique d’un certain nombre de données archéologiques, particulièrement de celles qui ont trait à la répartition des sigillées phocéennes dans le bassin méditerranéen, semblait accréditer l’idée d’une production d’alun à Phocée, remontant pour le moins aux Ve ou VIe siècles de notre ère (Picon 2000, p. 527-529). Une telle suggestion avait déjà été faite, de manière indépendante, par G. Volpe lors de son étude des sites du littoral adriatique de l’Italie du sud (Volpe 1996, p. 323-324) (cf. dans ce même volume la communication sur la Turquie)34.
66La découverte récente à Lesbos d’un atelier de fabrication d’alun d’alunite, dont une partie au moins pourrait être d’époque romaine tardive, fournira peut-être une confirmation directe de l’ancienneté de ce type de fabrication, lorsque les fouilles seront terminées et les datations mieux assurées. En attendant, les seuls arguments dont on dispose résultent de la confrontation des textes médiévaux et des indications de Pline et Dioscoride sur l’alun de Turquie et de Macédoine, qui suggère que les gisements d’alunite de ces régions étaient déjà exploités au Ier siècle de notre ère (voir les communications relatives à ces deux régions). Sans doute peut-on s’attendre à ce que des périodes encore plus anciennes soient concernées par ces fabrications. Les prospections et les fouilles devront tenir compte de cette éventualité.
67Du point de vue de l’histoire de la chimie empirique des anciens, la complexité des procédés mis en œuvre pour la fabrication de l’alun d’alunite bouscule beaucoup d’idées reçues. On souhaite que ces données nouvelles contribuent à rouvrir, et à réexaminer sur d’autres bases, un certain nombre de dossiers portant sur les mines et les produits non métalliques dans l’Antiquité. Ce sont des questions sur lesquelles on reviendra ultérieurement.
68À propos de l’alun d’alunite on peut encore se demander pour quelles raisons cette production, si précocement connue en Orient, mit aussi longtemps à supplanter les aluns naturels. Plusieurs explications peuvent être avancées, qui ne sont encore que des hypothèses. L’une pourrait être le prix de revient plus élevé des aluns d’alunite où interviennent l’extraction souvent difficile de la pierre à alun et son transport, la construction et l’entretien des structures et installations permettant le grillage, la macération, la lixiviation et la cristallisation, auxquels il faut encore ajouter le combustible et les ouvriers assurant les nombreuses opérations nécessaires à la fabrication de ce produit. En comparaison, les aluns naturels étaient extraits de gisements qui n’offraient le plus souvent guère de difficulté35. Et, dans la plupart des cas, ces aluns ne requéraient que des tris manuels, ou des opérations de purification sommaires, peu onéreuses.
69Sans doute fallut-il attendre que l’artisanat textile exprimât des demandes plus pressantes, avec des exigences de qualité plus contraignantes, pour que l’alun d’alunite finisse par devenir un produit indispensable dans la plupart des teintureries, malgré son prix, certainement plus élevé que celui des aluns naturels36. Il semblerait d’ailleurs que ce prix ait beaucoup baissé avec le développement de la production d’alun d’alunite aux XIIIe et XIVe siècles, développement auquel a dû probablement concourir aussi l’acquisition de techniques de chaudronnerie élaborées, permettant la réalisation de cuves de lixiviation en tôles de cuivre épaisses, de capacité très supérieure à celles des anciennes cuves en plomb (cf. fig. 6). En ce cas l’évolution des aluneries aurait été symétrique, quoique décalée dans le temps, de celle qui verra le remplacement, dans les salines des XVIIe et XVIIIe siècles, des “poêles” en plomb par de très grandes “poêles” en tôles de fer qui avaient des capacités cinquante à cent fois supérieures (Rouzeau 2002, p. 122).
70Une autre interrogation relative à l’évolution de la production de l’alun d’alunite est celle de ses débuts en Italie (et en Espagne aussi). On accepte souvent l’idée que ce procédé dut son implantation en Occident à la prise de Phocée par les Ottomans en 1455 et à la découverte des gisements de la Tolfa vers 1460. Or c’est une opinion qui n’est guère argumentée et qui semble assez difficile à soutenir, bien qu’aucune étude spécifique ne lui ait été consacrée.
71On notera d’abord que d’assez nombreuses mentions de sites occidentaux, producteurs d’alun, figurent dans des textes du Xe au XIIIe siècle, dont l’inventaire demanderait certes à être revu et complété (Singer 1948, p. 81-84 et 139). Il est probable qu’un certain nombre de ces sites concernent des gisements d’aluns naturels. Ce pourrait être le cas, en Espagne, de Niebla sur le Rio Tinto, connu depuis le Xe siècle, et en Italie de Lipari, Stromboli, Pozzuoli, et sûrement de Viterbo (cf. dans ce même volume la communication sur Viterbe). En revanche on a plus de difficulté à considérer l’île d’Ischia et surtout le Monte Argentatio, ou la région de Mazzaron en Espagne comme des sources potentielles d’aluns naturels.
72Pour tenter d’y voir plus clair il faudrait d’abord compléter les données fournies par les textes, et les confronter aux données historiques et géologiques37. Mais en attendant on peut admettre qu’il existe de fortes probabilités pour que l’alun d’alunite ait été produit sur ces trois sites, bien avant le milieu du XVe siècle, et peut-être même dès le XIIIe siècle (voire plus tôt ?). La question se pose également pour des régions où l’on sait que l’alunite y fut exploitée plus tardivement, aux XVe et XVIe siècles, comme à Pouzzoles et dans le sud de la Toscane, mais elle peut aussi l’avoir été antérieurement.
73En tout cas il semble raisonnable de considérer qu’il existe des indices suffisants en faveur de l’implantation ancienne en Occident d’une fabrication d’alun d’alunite, pour justifier un réexamen du dossier.
2. 2. Les aluns des schistes pyriteux
2. 2. 1. Les schistes pyriteux et leurs gisements
74L’expression de schistes pyriteux n’est qu’un terme commode, dépourvu de signification pétrographique précise. On s’en sert ici pour désigner un ensemble de roches qui constituent la matière première utilisée pour la fabrication d’aluns artificiels, selon des processus autres que celui de l’alun d’alunite.
75Ces “schistes pyriteux” sont riches en aluminium (Al) et en soufre (S). Ils se présentent sous des formes variées, souvent schisteuses comme leur nom l’indique, et pouvant être alors friables ou compacts, parfois terreux et presque dépourvus de consistance.
76Il s’agit en principe de roches sédimentaires, de couleur généralement sombres, brunes ou noires38. Ces couleurs sombres sont dues à la présence de carbone et/ou de matières organiques, témoignant de conditions de sédimentation réductrices. Ce sont d’ailleurs à ces mêmes conditions réductrices que ces roches doivent d’être riches en soufre. Leurs concentrations en soufre, qui peuvent aller de quelques unités pour cent à dix ou quinze, rarement plus, sont généralement dues à des processus biochimiques39. Le soufre s’y trouve presque toujours sous forme de sulfure de fer ou pyrite, FeS2 ; mais la taille des cristaux de pyrite est extrêmement variable, millimétrique, voire centimétrique, ou invisible à l’œil nu.
77Les schistes pyriteux qui ont servi à la fabrication d’aluns artificiels proviennent de tous les horizons géologiques, du précambrien au quaternaire, et de milieux de sédimentation très divers : marins, lagunaires, lacustres, continentaux... En Angleterre, par exemple, ce sont les argiles marines du Lias qui ont été utilisées dans le Yorkshire, alors que dans la région de Glasgow ce furent les schistes houillers du Carbonifère (ces deux mêmes formations ayant d’ailleurs été souvent exploitées pour l’alun, en dehors de l’Angleterre).
78L’extrême variété des schistes pyriteux servant de matière première aux différentes alunières d’Europe centrale, septentrionale et occidentale, a sans aucun doute posé un grand nombre de problèmes de fabrication, dont la résolution constituera, pour la chimie naissante, un substrat empirique sans lequel celle-ci ne serait probablement pas parvenue à se développer comme elle le fit à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle.
79On notera enfin qu’à cette grande variété de schistes pyriteux correspond un nombre élevé d’appellations diverses dont à vrai dire aucune n’est bien plus précise ou bien mieux adaptée que l’autre : schistes alumineux et pyriteux, schistes et terres vitrioliques, terres sulfuriques, schistes bitumeux pyriteux, schistes pyriteux charbonneux, etc.
2. 2. 2. Les procédés de fabrication
80Compte tenu de la variété des schistes pyriteux, et de la diversité des traitements qu’elle imposait, il ne peut être question dans le cadre de cet exposé de présenter autre chose que des indications générales sur les procédés de fabrication et sur ce qui les distingue nettement de la production de l’alun d’alunite.
81On rappellera d’abord le principe de cette fabrication d’aluns artificiels, qui est de provoquer, au sein des schistes pyriteux, la formation de sulfate d’aluminium, nécessairement accompagné de sulfate de fer. Puis après avoir récupéré ces deux produits par lessivage, de transformer le sulfate d’aluminium en alun et de se débarrasser du sulfate de fer. Schéma très général, voire sommaire, qui comporte de nombreuses variantes et des exceptions notables.
82La première phase de la fabrication consiste à extraire les schistes pyriteux et à prendre les dispositions nécessaires pour que les pyrites qu’ils renferment s’altèrent et donnent-en simplifiant à l’extrême-du sulfate de fer et de l’acide sulfurique. C’est cet acide qui transforme une toute petite partie des schistes en sulfate d’aluminium.
83Pour que les schistes pyriteux produisent quand même le plus de sulfate d’aluminium possible, on procède souvent en deux temps (Christian 1799, p. 250-255). Le premier est l’effleurissage qui consiste à mettre les schistes en tas, et à laisser agir les eaux de pluie, complétées si besoin est par un arrosage modéré40. Les schistes s’exfolient et se désagrègent progressivement, en même temps que les sulfates d’aluminium et de fer commencent à se former, grâce à l’oxydation des pyrites. Dans un deuxième temps on procède au grillage41. Pour cela on dispose une couche de schistes effleuris sur un lit de combustible, souvent des fagots, puis on rajoute un autre lit de combustible et une autre couche de schistes, et ainsi de suite42. L’inflammation du combustible permet le grillage des schistes qui parachève la décomposition des pyrites et, surtout, rend les schistes plus aptes à être attaqués par l’acide sulfurique résultant de cette décomposition43.
84Après le grillage vient le lessivage qui a pour but de récupérer les sulfates produits au cours des opérations précédentes. Le lessivage des schistes grillés est assez différent de la lixiviation des pierres à alun, car les schistes sont beaucoup plus pauvres en sulfates. Les lessives contiennent donc beaucoup plus de matériaux insolubles, qu’on a intérêt à ne pas laisser au contact d’une lessive très concentrée, car il en résulterait de trop grandes pertes en sulfates, par imprégnation et entraînement. Les aluniers ont donc été amenés à séparer le lessivage des schistes, et la concentration de la solution de sulfates ainsi obtenue44. Celle-ci se fera ensuite par ébullition-évaporation.
85Mais la différence la plus importante qui existe entre les deux systèmes de fabrication d’aluns artificiels, c’est qu’en principe on n’a pas affaire ici à une solution d’alun, comme c’était le cas dans la fabrication de l’alun d’alunite, mais à une solution de sulfate de fer et de sulfate d’aluminium. Certes le sulfate d’aluminium est un excellent mordant, supérieur même aux aluns45. Mais il y avait un obstacle majeur à son utilisation en teinturerie, car on ne savait pas bien le purifier, et, notamment, le séparer du sulfate de fer. Or en transformant le sulfate d’aluminium en alun, les opérations de purification devenaient relativement aisées46.
86Pour transformer en alun le sulfate d’aluminium des lessives il faut leur ajouter une solution alcaline. Deux possibilités s’offraient aux aluneries, utiliser une lessive de cendres végétales, riche en potassium, ou utiliser de l’urine fermentée qui apportait des sels ammoniacaux47. On obtenait dans le premier cas de l’alun de potassium, et dans le second de l’alun d’ammonium, voire un mélange des deux si l’on utilisait les deux ajouts à la fois, ce qui se fit souvent, particulièrement dans le Yorkshire48.
87Il ne restait plus alors qu’à procéder à la cristallisation de l’alun, en refroidissant les lessives après la phase de concentration par ébullition. Souvent on rinçait les cristaux d’alun à l’eau froide pour les débarrasser du sulfate de fer déposé à leur surface par les eaux-mères. Et on les raffinait éventuellement en effectuant leur redissolution à chaud, suivie d’une recristallisation.
2. 2. 3. Les produits
88Les alunières dont les schistes pyriteux constituaient la matière première pouvaient donc fabriquer, selon la nature des ajouts introduits (volontairement ou non) en cours d’opération, les deux aluns suivants, ou un mélange des deux :
- KAl(SO 12HO alun de potasse
- NH Al(SO 12HO alun d’ammonium
89Leur utilisation en teinturerie était la même.
90À ces deux produits de base, il faut rajouter, extrait des eaux-mères qui restent après cristallisation de l’alun, un autre produit :
91- Fe(SO4)2. 7H2O – vitriol vert ou couperose ou mélantérite On a vu en effet que le procédé de fabrication de l’alun des schistes pyriteux laissait des eaux-mères qui renfermaient-souvent de façon prépondérante-du sulfate de fer (alors que les eaux-mères des aluns d’alunite étaient constituées presque unique- ment d’une solution appauvrie d’alun de potassium, que l’on recyclait). Le sulfate de fer contenu dans les eaux-mères des aluns des schistes pyriteux pouvait en être extrait facilement, et ce fut souvent le cas. La couperose ou vitriol ainsi obtenue servait de mordant pour des teintures de couleur plutôt sombres, l’alun de potassium et celui d’ammonium étant réservé à des couleurs plus vives et plus claires. Ces différents produits pouvant servir aussi en tannerie.
92Les utilisations que le vitriol et les aluns possèdent en commun firent que la séparation de ces produits ne fut pas toujours jugée nécessaire. De petites exploitations, très artisanales, qui pouvaient ne comporter qu’une seule personne, se contentaient d’épuiser les schistes grillés, et d’évaporer la lessive ainsi obtenue jusqu’à la formation d’une pâte constituée de microcristaux, qui retenait dans ses interstices les eaux-mères restantes (Monteil 1802, p. 62 ; Cordier 1809, p. 413-414). Cette pâte, le beurre de mordant (ou beurre fossile), fut commercialisée sous cette forme ; elle devait renfermer du vitriol, du sulfate d’aluminium et de l’alun, et fut employée en teinturerie et en tannerie. Compte tenu de l’extrême simplicité des procédés mis en œuvre, on peut s’interroger sur leur ancienneté possible.
93Dans les alunières plus évoluées et plus importantes, l’alun et le vitriol étaient des produits distincts, résultant du traitement des schistes pyriteux. Ce qui explique la confusion qui règne souvent dans les noms dont on se servait alors pour désigner ces exploitations. On parle en effet tantôt de fabrique d’alun, tantôt de fabrique de vitriol, alors qu’il s’agit des mêmes schistes pyriteux et de la même exploitation.
94Il est vrai qu’en fonction de la demande et de l’état du marché les alunières pouvaient mettre l’accent sur une production ou sur une autre. Par exemple se débarrasser du sulfate de fer en utilisant un excès de potasse, ou le faire cristalliser en évaporant les eaux-mères. En dehors des contraintes du marché, le choix d’un traitement dépendait beaucoup de la composition des schistes pyriteux, celle-ci pouvant être à l’origine d’autres sous-produits, comme le sulfate de magnésium dans certaines exploitations du Yorkshire.
95Ces quelques remarques sur les produits et les sous-produits des alunières des schistes pyriteux rejoignent celles qui ont été faites précédemment, soulignant à quel point ces fabriques avaient contribué à établir les bases empiriques à partir desquelles allait se constituer la chimie moderne, et se développer, par des démarches raisonnées, les premières véritables industries chimiques.
2. 2. 4. Les évolutions
96La plupart des alunières des schistes pyriteux allaient disparaître les unes à la suite des autres sous l’effet de la concurrence extérieure, aggravée par le développement inéluctable des aluns de synthèse (développement auquel elles avaient d’ailleurs indirectement contribué, comme on vient de le souligner). Ainsi les exploitations de la région de Liège cessèrent-elles toute activité en 1826, et celles du Yorkshire en 1871 (Singer 1948, p. 197 et 212). Dans le même temps la synthèse des aluns et celle du sulfate d’aluminium prenaient de plus en plus d’importance. Ces évolutions sont connues et il n’y a pas lieu de s’y attarder ici.
97En revanche les débuts de la fabrication des aluns des schistes pyriteux demeurent dans l’ombre. On voit certes des exploitations apparaître au Tyrol et dans la région de Cologne dans les années mêmes qui furent celles des premiers contrats d’affermage de la Tolfa, autour de 1460 (Singer 1948, p. 132 et 178). Mais rien ne nous dit qu’à l’instar de l’alun d’alunite, la fabrication des aluns des schistes pyriteux n’ait pas été bien plus ancienne. C’est en tout cas une éventualité qu’il serait peut-être raisonnable de ne pas écarter trop vite.
98On a vu également que la question de l’ancienneté éventuelle des aluns des schistes pyriteux se posait déjà pour les aluns naturels de ces schistes, dont le ramassage aux affleurements aurait pu précéder, et suggérer dans une certaine mesure, leur fabrication artificielle. Autant de questions sur lesquelles on reviendra lorsqu’on tentera d’esquisser ce qui pourrait être un bilan et un programme de recherche pour l’alun.
99Il faudrait bien sûr étudier aussi, et avec un peu de précision, comment les aluneries se sont adaptées aux particularités pétrographiques, minéralogiques et chimiques des schistes dont elles disposaient. Et quelles ont été les améliorations qui furent apportées peu à peu aux procédés de fabrication et aux produits. En dehors de l’intérêt qu’elles ont en soi, ces connaissances pourraient nous aider à imaginer quelles furent les exigences et les caractéristiques des premières aluneries, ce qui serait fort utile avant d’entreprendre des recherches sur le terrain pour en retrouver les traces.
3. Les aluns de synthèse
100L’histoire des aluns de synthèse est un chapitre de l’histoire de la chimie et des industries chimiques, assez bien connu. Aussi n’est-ce point cette histoire-là que nous voudrions évoquer ici, préférant nous limiter à quelques observations qui pourraient sembler marginales, si elles ne comportaient des leçons d’une portée plus générale. Ce sera le cas par exemple de la manière dont furent accueillis ces “nouveaux aluns” par ceux auxquels ils étaient destinés, au premier rang desquels figurent les teinturiers. Auparavant on rappellera quand même ce que sont ces aluns et comment ils étaient fabriqués.
101Les premiers essais de synthèse de l’alun, par action de l’acide sulfurique sur une argile préalablement grillée, et addition d’une lessive de potasse, sont probablement dus au chimiste allemand Marggraf, vers le milieu du XVIIIe siècle. Ils furent repris et complétés par Monnet, Inspecteur des mines, puis perfectionnés et industrialisés par Chaptal à la fin du XVIIIe siècle (Chaptal 1803-1790, t. II, p. 55-60 ; Singer 1948, p. 250 et 253). Le produit obtenu était de l’alun de potassium, KAl(SO2)2. 12H2O, le même que celui de la Tolfa, à la couleur près. L’alun de la Tolfa, vendu généralement sous le nom d’alun de Rome, était rose, les aluns de synthèse, comme d’ailleurs les aluns artificiels étant le plus souvent incolores49.
102Il est intéressant d’observer les discussions et les débats souvent passionnés auxquels la fabrication des aluns des schistes pyriteux, et plus encore celle des aluns de synthèse, donnèrent lieu. Ils trouvaient leur origine dans les réticences des teinturiers à utiliser ces produits qu’ils jugeaient inférieurs à ceux de la Tolfa. Attitude qui fit peser une réelle menace sur l’industrie naissante des aluns de synthèse, dont l’ambition était de mettre fin aux importations de l’étranger et de les supplanter en qualité.
103Pour tenter de clarifier ces questions, la toute jeune Société d’Encouragement pour l’Industrie Minérale décidait dès 1803 (qui était sa première année d’existence) de proposer un prix pour la fabrication de l’alun50. La conclusion de cette proposition mérite d’être reportée in extenso : « La Société propose donc un prix de 1200 francs à celui qui déterminera d’une manière précise à quoi tient la supériorité de l’alun de Rome sur tous les autres aluns du commerce, et qui indiquera un bon procédé, exécutable en grand, pour la donner aux aluns françois ; ou enfin à celui qui présentera des aluns fabriqués en France, soit directement avec l’acide sulfurique, l’alumine et un alkali, soit avec les schistes alumineux, et qui ayent dans l’art de la teinture les mêmes avantages que l’alun de Rome ».
104La proposition fut renouvelée en 1804, puis prorogée en 1805 sans résultat déterminant, malgré le doublement de la récompense51. Finalement, lors du Conseil d’Administration de la Société, de Frimaire an IV (1806), Guyton soutint que « la supériorité que l’on accorde à l’alun de Rome n’est qu’imaginaire »52. Point de vue qui a été repris, dans une séance du Conseil de Février 1806, par Chaptal qui a fait remarquer « que la plus grande partie de l’alun employé et vendu sous le nom d’alun de Rome, étoit fabriqué ou purifié en France : il a ajouté que l’alun de mine purifié remplaçoit celui de Rome avec avantage, que celui qu’on formoit de toutes pièces dans nos fabriques étoit aussi pur et aussi bon que l’alun de Rome, qu’il n’y avoit pas d’alun qui ne pût être ramené à la qualité de l’alun de Rome par la calcination et une seconde crystallisation, et il a conclu que dans quelques années on n’importeroit plus d’alun en France, parce que nous le fabriquions de qualité supérieure et à bas prix par des procédés faciles et que les fabriques de cette nature se multiplioient sur tous les points de l’Empire »53. Ce qui eut pour conséquence de faire retirer la proposition de la Société d’Encouragement.
105Ce n’est là qu’un exemple parmi d’autres des réticences, pouvant aller jusqu’au rejet de principe, que provoqua souvent l’apparition d’un nouveau produit (ou d’une technique nouvelle)54. Le conservatisme des artisans, celui des artisans teinturiers en l’espèce, fut parfois difficile à surmonter55.
106Mais cette période de contestation fut aussi une période de débats intenses, dont la fécondité se manifeste par le nombre élevé des études qu’elle suscita, portant sur des comparaisons entre les différentes catégories d’alun ou les sous-produits de leur fabrication, et sur les caractéristiques des uns et des autres. Ce fut aussi une période où la rationalisation des procédés de fabrication fit de grands progrès, qu’il s’agisse des aluns des schistes pyriteux (dont l’exploitation bénéficia d’un dernier sursis grâce au blocus continental), ou des aluns de synthèse. Mais après deux ou trois décennies, la cause semblait entendue, les importations d’alun étranger disparaissaient définitivement, et les aluns de synthèse prenaient progressivement le pas sur les aluns des schistes pyriteux56.
4. Les produits chimiques et les mines non métalliques
107Le renouveau actuel des études sur l’alun-et plus généralement sur les produits chimiques et les mines non métalliques-voudrait inclure aussi l’Antiquité. Ce serait du moins le souhait légitime d’un certain nombre de chercheurs qui travaillent sur cette période. Mais on paraît oublier parfois que ces études peuvent difficilement progresser si elles ne s’ouvrent pas, et largement, sur d’autres périodes. À moins de refaire les éternels commentaires de textes de l’Antiquité, qui n’offrent guère d’intérêt, ayant donné depuis longtemps tout ce qu’ils pouvaient, c’est-à-dire à peu près rien sur les questions qui touchent aux gisements, aux procédés, aux produits et aux débouchés. Rien en tout cas qui puisse servir à élaborer ce chapitre si mal connu de l’histoire des techniques, qui concerne la chimie empirique des Anciens.
108Pour avancer, les recherches sur l’alun et les produits chimiques de l’Antiquité ont un besoin vital du soutien et de l’éclairage que seules des études sur la longue durée peuvent leur apporter. Aussi les périodes médiévale et postmédiévale constituent-elles un point de départ obligé en fournissant des éléments de comparaison et d’interprétation irremplaçables.
109Toutefois il ne faudrait pas s’imaginer que nos connaissances sur l’alun de ces époques n’aient pas besoin d’être sérieusement revues, corrigées et complétées. Car ce sont des questions qui n’ont guère attiré l’attention des historiens et des archéologues57. Aussi nos ignorances demeurent-elles considérables.
110Mais s’il est un domaine de la recherche sur les aluns que tout le monde s’accorde à considérer comme prioritaire, c’est bien celui des mines, carrières et autres types d’exploitation. Car presque rien n’y a été fait jusqu’ici, du moins pour les aluns naturels si largement présents dans l’Antiquité. Or de telles recherches sont incontournables. Qu’on songe, par exemple, à ce que serait le niveau de nos connaissances sur la sidérurgie en Gaule, si l’on s’était contenté des textes de l’Antiquité, qui ne nous disent rien, ni des régions productrices, ni des techniques, et si l’on n’avait pas recherché et étudié les minerais et leurs gisements, les sites de réduction et les forges58.
111Pour l’alun, comme pour les autres produits chimiques de l’Antiquité (soude, potasse, nitrates, chlorures, sels ammoniacaux, soufre, terres aux propriétés diverses...) la situation est la même, les textes étant aussi discrets. C’est une situation qui ne peut donc se dénouer que par des recherches sur le terrain, en commençant par les indispensables travaux d’inventaire des gisements d’alun, complétés par des études monographiques de quelques sites particulièrement instructifs59.
112Malgré l’apport irremplaçable des données géologiques à la réalisation de tels inventaires, il semble plus judicieux d’accorder, dans la mesure du possible, la priorité aux sites mentionnés comme sites d’exploitation ou de fabrication de l’alun dans les textes médiévaux et postmédiévaux (ou, éventuellement, dans les textes antiques). Car on a probablement plus de chance, en procédant ainsi, d’avoir affaire à des sites ou à des zones qui furent exploités à des périodes plus anciennes que celles de leur apparition dans les textes. Alors que des sites qui ne seraient définis que sur des critères géologiques peuvent n’avoir jamais été exploités, à quelque époque que ce soit. Peut-être certains d’entre eux ont-ils des caractéristiques qui furent jugées de peu d’intérêt pour justifier leur exploitation, et dans ces conditions méritent-ils moins d’être recensés et étudiés.
113Ce travail d’inventaire, et les études qui lui sont associées, devraient permettre de combler une partie au moins de nos lacunes sur les gisements d’alun, leur spécificité et les particularités de leur exploitation.
114Sans doute permettront-ils aussi d’apporter des éléments de réponse à une interrogation banale qu’on ne peut écarter lorsqu’on examine les sources littéraires antiques sur l’alun, bien qu’on ait par principe ou par commodité préféré l’ignorer. Il s’agit de la signification qu’il faut accorder à la liste des sites et des pays producteurs d’alun. Comment savoir ce que nous disent sur ce point les textes de l’Antiquité et ce qu’ils nous taisent ?
115Pour l’Italie, par exemple, Pline et Dioscoride ne nous parlent que de Lipari et de Strongyle, donc des Iles Eoliennes, et de la Sardaigne60. Ce qui est bien peu si l’on se réfère aux données géologiques, et à la situation des centres de production que l’on commence à entrevoir en Italie pour les périodes médiévale et postmédiévale.
116Les indications encore trop rares dont on dispose actuellement-mais qu’il serait apparemment facile de compléter-suggèrent par exemple que dans les Etats Pontificaux eux-mêmes il dut exister, à côté de la production officielle d’alun d’alunite de la Tolfa, contrôlée par la Chambre Apostolique, des productions d’aluns naturels qui échappaient à son contrôle, et contrevenaient (certainement le plus discrètement possible) aux interdictions frappant les aluns d’autres origines. Les aluns empruntant ces circuits parallèles et marginaux ne pouvaient certes concurrencer sérieusement l’alun de la Tolfa, ni même approcher de sa qualité. De plus ils ne devaient toucher qu’une clientèle locale ou régionale. Mais sans doute avaient-ils pour eux un prix de revient très bas, s’agissant d’aluns naturels extraits des “terre alluminose” ou terres alumineuses qui possèdent l’avantage supplémentaire d’avoir de nombreux gisements, et donc de nombreux points d’exploitation possibles61.
117L’existence dans les Etats Pontificaux de circuits parallèles de production et de commercialisation d’aluns, autres que l’alun d’alunite, est clairement attestée au début du XIXe siècle par les interdictions et les sommations de la Chambre Apostolique, destinées à ceux qui utiliseraient encore des terres alumineuses62. Sans doute ne sera-t-il pas très difficile de localiser un certain nombre de ces exploitations d’aluns naturels frappées d’interdit, en consultant les Notificazioni de la Chambre Apostolique (et en recherchant, dans les documents des tribunaux, les jugements et les pénalités dont les contrevenants firent l’objet).
118Mais il faudra nécessairement se tourner vers d’autres sources documentaires pour les périodes antérieures aux débuts de la Tolfa (autour de 1462) et aux interdictions papales qui suivirent. Un document de ce genre est le tarif des péages, annexé aux Statuts de Viterbe qui datent du milieu du XIIIe siècle. Il y est fait mention d’un alun naturel, dit de Ferento (Pinzi 1887, p. 556). Ferento étant une ville médiévale située à l’emplacement d’une cité antique dont subsistent des restes importants à moins d’une dizaine de kilomètres de Viterbe63. Les données géologiques locales montrent que le gisement d’alun naturel (mêlé de couperose) était suffisamment étendu et d’extraction aisée pour permettre l’installation de nombreuses exploitations, sur une surface de plusieurs dizaines de km2 (cf. dans ce même volume la communication sur Viterbe). Il est dommage que la ville romaine, fouillée anciennement, n’ait pas permis d’observation sur l’existence éventuelle de structures artisanales liées à la préparation et/ou l’utilisation de l’alun. Mais on serait satisfait de voir ces préoccupations techniques prises en compte lors de fouilles récentes, dans cette même zone de production ou dans d’autres.
119L’exemple de Ferento montre bien que ce n’est pas en procédant simplement à l’inventaire des sites d’exploitation médiévaux et postmédiévaux-aussi intéressant qu’il soit-que nos connaissances sur les aluns de l’Antiquité progresseront nécessairement. Il faut y associer l’étude des implantations antiques qui pourront révéler, sinon des restes ou des traces d’exploitation, du moins des structures artisanales témoignant de l’emploi intensif d’aluns. L’inventaire des sites d’exploitation médiévaux et postmédiévaux est certes indispensable pour orienter le choix des implantations antiques à étudier, mais c’est le recoupement des observations et des travaux effectués sur ces implantations, qui permettra de confirmer que certaines d’entre elles furent-malgré le silence des textes-très étroitement liées à des régions où des aluns ont été exploités dès l’Antiquité64.
120Plus simples à aborder sont les questions déjà évoquées, qui concernent les débuts de la fabrication de l’alun d’alunite en Italie. Dans l’hypothèse où une fabrication médiévale antérieure à 1455, date de la chute de Phocée, aurait existé en Italie, il devrait être facile, au moins dans un certain nombre de cas, de se faire une opinion en confrontant les localisations fournies par les textes, à l’environnement géologique. Des recherches sur le terrain pourraient être entreprises, afin de confirmer ces localisàtions. Car les installations nécessaires à la fabrication de l’alun d’alunite comportent des structures bâties (fours de grillage, aires ou bassins de macération, chaudières de lixiviation...) dont il devrait rester quelques vestiges. Observation qui vaut aussi pour l’Antiquité, en Italie et hors d’Italie.
121Les débuts de la fabrication d’aluns artificiels à partir des schistes pyriteux restent une inconnue majeure de l’histoire des aluns. On a vu qu’on situait généralement ces débuts dans les régions alpines et plus précisément au Tyrol où se développeront effectivement des centres de production importants, dès le début du XVIe siècle. Mais on ignore si cette production a été précédée, comme on pourrait l’imaginer, par l’exploitation des aluns naturels aux affleurements des schistes. Ce qui aurait pu constituer une source d’aluns appréciable pour les régions du centre et du nord de l’Europe, où son utilisation pourrait être fort ancienne. Il y a donc, là aussi, un travail d’inventaire à effectuer en priorité, qui devrait conduire à des développements comparables à ceux qui ont été indiqués précédemment pour l’Italie centrale, avec des recherches conjointes sur les implantations antiques et médiévales. Mais ici tout est à faire.
122D’autres orientations de recherche existent encore qui sont susceptibles d’apporter une contribution à la connaissance des aluns de l’Antiquité et du Moyen Âge, mais nous nous contenterons d’évoquer en note certaines d’entre elles65. En revanche il nous paraît indispensable de souligner que si toutes ces recherches s’inscrivent nécessairement dans la longue durée, elles gagneraient aussi à ne pas s’isoler des travaux qui concernent l’histoire des autres produits chimiques, car ces approches sont complémentaires66.
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Notes de bas de page
1 Sur l’ancienneté de l’exploitation des aluns, qui remonte au moins au IIème millénaire avant notre ère, cf. 1. 3.
2 L’astringence des aluns est une propriété qui consiste à resserrer et contracter les chairs qui sont à leur contact. Elle est à l’origine de leur utilisation en médecine comme hémostatiques, et pour favoriser la cicatrisation des plaies. D’ailleurs la quasi-totalité des textes de l’Antiquité qui nous ont été conservés sur les aluns concernent des usages médicaux.
3 La principale utilisation des aluns est en teinturerie, comme mordant servant à la fixation des couleurs. Les aluns lui doivent le rôle économique très important qui fut le leur à certaines époques (Singer 1948 ; Delumeau 1962 ; Heers 1971-1961). Certes toutes les teintures n’exigent pas l’utilisation d’un mordant, mais la plupart le demandent, l’alunage améliorant de surcroît la tenue des tissus (d’où son rôle très probable dès l’Antiquité dans le travail des foulons). Pour le tannage des cuirs et des peaux, l’alun, très largement concurrencé par les tanins végétaux, est plutôt réservé à des productions soignées, fines et souples.
La présence d’eau dans la formule des aluns explique leurs propriétés ignifuges, les aluns fondant autour de 100°C dans leur eau de constitution (ou de cristallisation), et la perdant progressivement à plus haute température. Aussi, lors d’une tentative d’inflammation de bois imprégnés d’alun, se forme-t-il une gaine protectrice de vapeur d’eau qui arrête la combustion. C’est une propriété qui était connue et mise à profit dans l’Antiquité pour l’ignifugation de machines de guerre et de navires (Ciusa et Lorusso 1978).
Enfin l’utilisation des aluns dans le travail des métaux, signalée fréquemment dans les textes alchimiques, demeure souvent énigmatique (n’était l’action décapante de quelques-uns d’entre eux) (Berthelot 1963-1887 ; Halleux 2005).
4 C’est le cas par exemple de l’epsomite, MgSO4.7 H2O, et de la mélantérite ou vitriol vert, ou couperose, FeSO4.7 H2O, deux sulfates utilisés en teinturerie (cf. 1. 2).
5 On trouvera des indications à ce sujet dans les communications consacrées dans ce volume aux aluns de Melos.
6 Des transports par les fluides actifs, ou des reprises ultérieures par d’autres fluides, étant fréquents à l’intérieur des formations géologiques concernées.
7 À Kharga il s’agit en fait d’un gisement de plusieurs centaines de tonnes de sulfate de magnésium (Beadnell 1909, p. 222). Ce sel n’est pas un alun au sens chimique du terme, mais il a été employé lui-aussi pour le mordançage des tissus (cf. 1. 2). Voir également les couches massives pouvant atteindre une quarantaine de centimètres d’épaisseur, signalée par W. Hamilton (Lucas et Harris 1999, p. 258).
8 Il ne s’agit pas ici de pureté au sens chimique du terme, la plupart des aluns naturels étant des mélanges. Ce terme désigne simplement une qualité, appréciée des utilisateurs, qui implique un faible résidu insoluble (comme la silice ou le gypse), un taux peu élevé de produits solubles n’ayant pas grand chose à voir avec les utilisations normales des aluns en teinturerie (comme NaCl et autres chlorures), et, surtout, de très faibles pourcentages de produits gênants, rendant difficiles les utilisations pour la teinture en couleur claire (comme la couperose ou mélantérite, FeSO4.7 H2O) (Preisser 1840).
Lorsque les aluns naturels sont par trop impurs, il reste toujours la possibilité de leur faire subir des traitements de purification et d’enrichissement spécifiques, que l’on évoquera à propos des gisements très dispersés pour lesquels ils sont d’une pratique courante, car souvent indispensables.
Ajoutons enfin que si l’on considère que les aluns des couches massives sont plus purs que les autres, il s’agit moins d’une réalité objective que d’un choix d’exploitation. En effet le tri manuel qui est habituellement pratiqué lorsque les aluns sont moyennement dispersés dans leurs gisements, n’est guère envisageable, s’agissant de couches massives. Celles-ci sont donc débitées au pic, et les blocs commercialisés tels quels (étant de ce fait supposés commercialisables sans purification ni tri).
9 Signalons aussi l’épuration des aluns qui est encore pratiquée par les habitants du village de Balat, dans l’oasis de Dakhla, Egypte. Elle consiste à faire fondre les aluns dans leur eau de cristallisation, autour de 100°C, ce qui permet d’éliminer les impuretés majeures infusibles. Quant au tri manuel, il était encore pratiqué dans l’oasis de Kharga jusque dans les années 40, pour le commerce à destination du Caire, et il l’est encore pour des usages domestiques. L’alun de l’oasis de Kawar au Niger semble avoir été lui aussi trié manuellement (Lange 1982).
10 Aussi allaient-ils disparaître complètement ou presque du grand commerce méditerranéen, au cours des XIIIe –XIVe siècles (Cahen 1963). Sur les défauts des aluns naturels à l’état pur, cf. 1. 2.
11 Voir à ce propos la communication sur l’alun de l’Aveyron, dans ce même volume, infra, p. 139-155.
12 Ce terme est souvent employé pour désigner aussi des gisements, surtout sédimentaires, qui servirent à la fabrication des aluns artificiels. Il s’agit parfois des mêmes types de formations, mais les traitements sont autres (Dupuget 1796).
13 Il y eut anciennement, dans la zone de la Solfatare, à Pouzzoles, d’autres types d’exploitation d’alun et notamment des fabrications d’alun artificiel à partir de l’alunite (Singer 1948, p. 165-176).
14 Fougeroux de Bondaroy 1768 (1765), p. 277.
15 On comprend alors les interdictions répétées de la Chambre Apostolique frappant l’exploitation des terres alumineuses dans les Etats Pontificaux (la Chambre Apostolique cherchant évidemment à défendre le monopole de l’alun artificiel de la Tolfa) (cf. dans le même volume la communication sur Viterbe). Soulignons que la simplicité dont s’accommode l’exploitation de ce type de gisement d’alun, nous fait nous interroger sur son ancienneté éventuelle.
16 L’existence d’aluns liquides est depuis l’Antiquité une mention récurrente des textes consacrés aux aluns naturels (par exemple, Pline H. N. XXXV, 184, Pitton de Tournefort 1982 (1717), p. 168, l’un et l’autre à propos de Melos). De tels produits existent effectivement, et l’on a pu en observer dans l’oasis de Dakhla en Egypte. Ils ne semblent pas y être de simple solutions des aluns naturels fréquents dans cette région, mais faute d’études spécifiques, on ne saurait en dire plus (on a pu toutefois constater, dans des aluns liquides du désert occidental égyptien, une forte présence de chlorure de fer et de chlorure de magnésium qui sont des produits très hygroscopiques). Il existe aussi des sources d’eaux minérales contenant de l’alun en solution, parmi lesquelles on peut citer celle de Pouzzoles, et celle de Cransac dans l’Aveyron.
17 Voir à ce propos le rapport de Chaptal (1785 ? 1790) publié dans les Mémoires de la Société des Lettres, t. II, 1840, p. 129-132 : “Extrait d’un Mémoire de M. le comte Chaptal sur quelques terrains alunifères du département de l’Aveyron”. Il s’agit de l’inventaire et de la description des exsudations des schistes cambro-siluriens du sud du département, schistes pour l’exploitation desquels Chaptal préconise d’ailleurs un grillage préalable. Mais leur exploitation n’alla guère au-delà de ce travail préliminaire de reconnaissance.
18 Les aluns des houillères embrasées occupent une position intermédiaire entre les aluns naturels et les aluns artificiels. Ces embrasements peuvent s’être produits spontanément, en dehors de tout contexte d’exploitation, comme ceux que rencontra en 1805 l’expédition de Lewis et Clark ; ils étaient alors à l’origine de pollutions importantes de nombreuses rivières et du Missouri lui-même (Lewis et Clark 1993, avril-mai 1805). Ce fut apparemment le cas aussi de ceux qu’observa Audubon près de 40 ans plus tard, dans la même région (Audubon 1990, 24 mai 1843, p. 88). Mais le plus souvent l’embrasement s’est produit spontanément à la suite de l’exploitation anarchique des houillères, ou accidentellement lors de ces mêmes exploitations (Cavillier, an VI, 1797-1798 ; Cordier 1809).
On n’a pas cru nécessaire de dissocier ici le cas des embrasements spontanés produisant des aluns qui pourraient être rattachés aux aluns naturels, des embrasements consécutifs à l’exploitation des houillères. D’autant que dans un cas comme dans l’autre on s’est contenté parfois de pratiquer de simples lavages, comme pour les aluns naturels, alors qu’ailleurs on a cherché à améliorer la qualité des produits par l’adjonction de lessives alcalines, ce qui relève clairement des aluns artificiels.
19 On verra (cf. 1. 3) qu’on a quelque raison de se demander si des pratiques rudimentaires de ce genre ne pourraient pas avoir été en usage autrefois, dans le monde celtique notamment.
20 S’il est sûr que certains aluns naturels exploités à différentes époques pour la teinturerie renfermaient de la mélantérite et, sans doute en moindre proportion de la chalcanthite, on a des arguments pour supposer que ces deux produits furent identifiés très tôt par leur couleur, mais peut-être pas très clairement distingués l’un de l’autre, à cause de leur mélange fréquent. Ils sont désignés dans l’Antiquité sous différentes appellations (atramentum sutorium, chalcanthum...) dont la spécificité n’est pas très claire. Plus près de nous, l’extraction et la purification du vitriol vert sont longuement décrites dans le De re metallica (Agricola 1992-1556, p. 463-468).
21 Ainsi l’utilisation de l’alun de Vulcano fut-il interdit à la Giudecca de Venise (en 1271), à Pise (en 1308) et en bien d’autres lieux (Singer 1948, p. 87-88, 99 et 113). En Provence l’alun de Vulcano était faiblement taxé, comme un produit de médiocre qualité, sauf à Orgon où il l’était fortement, ce qui pouvait équivaloir à une interdiction déguisée (Singer 1948, p. 113). On peut se demander enfin si une place commerciale comme Konya, ayant eu un rôle de premier plan dans le commerce de l’alun vers le milieu du XIIIe siècle et ne figurant plus dans le manuel de Pegolotti un siècle plus tard, n’aurait pas subi le contrecoup de la désaffectation progressive qui se serait attachée aux aluns naturels, dont les gisements semblent avoir été particulièrement nombreux dans cette région (cf. la communication sur la Turquie dans ce même volume). Toutefois des vérifications seraient plus que nécessaires. On peut ajouter que dans Pegolotti l’île de Melos n’est mentionnée que pour ses meules à grain, dont il est souligné, curieusement, que leur pierre ressemble à celle de Phocée (Pegolotti 1936, p. 367). Mais il n’est pas question d’alun de Melos.
22 Si les aluns naturels paraissaient condamnés à des débouchés de plus en plus restreints, l’évolution effective de leur production ne fut pas aussi inéluctable. En effet l’exploitation des aluns naturels allait pouvoir bénéficier à son tour des progrès considérables réalisés dans le raffinage et la purification des aluns artificiels, et particulièrement des aluns des schistes pyriteux. Ce qui devait permettre à certaines de ces productions de retrouver, temporairement au moins, quelque crédit, et aux exploitations de conserver quelque activité à laquelle le développement des aluns de synthèse mettrait un terme, cette fois définitif.
Mais il faudra certainement des investigations poussées pour que les transformations qui ont affecté la production des aluns naturels soient convenablement déchiffrées. Car en de nombreux endroits des installations très différentes ont coexisté, ou se sont succédées. L’exemple le mieux connu est celui de la région de Pouzzoles. Au moment de l’accord de 1470 entre le Pape Paul II et le roi de Naples Ferdinand Ier, accord qui prévoyait la mise en commun des ressources en alun des deux états, il ne pouvait s’agir que d’alun d’alunite, à Naples comme à la Tolfa (Delumeau 1962, p. 24-25). Or deux siècles plus tard existait dans la région de Pouzzoles, à côté de cette fabrication d’alun artificiel, qui disparaîtrait bientôt, une production d’alun naturel, par lessivage des terres alumineuses, qui connaîtrait différentes modifications et améliorations jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, les techniques de raffinage ayant évolué pendant ce temps (Singer 1948, p. 165-176).
Il est difficile d’imaginer que cette multiplicité des productions n’ait pas concerné aussi l’Antiquité, même si elle pourrait avoir été largement occultée par les préoccupations médicales ou commerciales des auteurs anciens qui n’avaient sans doute guère de raisons de s’intéresser à de très petites productions, aussi médiocres, et aussi peu localisables car trop dispersées.
23 L’aluta serait à l’époque romaine un cuir souple tanné à l’alun.
24 Pour Phocée, trois descriptions nous sont parvenues, qui se situent entre la première moitié du XIVe siècle et le milieu du XVe : celle du dominicain français Jordan Catalan, celle du florentin Pegolotti et celle du grec Michael Dukas (Pegolotti 1936-circa 1340, p. 367-368 ; Singer 1948, p. 92-99). Plus tardive et ne concernant pas Phocée, mais la Thrace, est celle de P. Belon du Mans, vers le milieu du XVIe siècle, qui souligne la profonde similitude des techniques entre Cypsella de Thrace et la Tolfa (Belon du Mans 2001-1553, p. 196-197). Pour la Tolfa et les autres exploitations contemporaines d’alun d’alunite, les premiers renseignements détaillés nous sont donnés par les traités techniques du milieu du XVIe siècle (Biringuccio 1572-1540, chap. 6, feuillets 49 à 52 ; Agricola 1992-1556, livre douze, p. 462-463). Ces renseignements confirment pleinement les indications fournies par les sources plus anciennes. Ultérieurement de nombreux savants et ingénieurs visitèrent la Tolfa et décrivirent les procédés qui étaient alors en usage, ceux-ci n’ayant d’ailleurs que peu évolué au cours du temps, sauf sur des points de détail. Parmi les plus connus de ces visiteurs on peut signaler, pour la seconde moitié du XVIIIe siècle, A. Fougeroux de Bondaroy dont les planches ont été reproduites dans tous les ouvrages traitant de la Tolfa, et pour le début du XIXe siècle H. V. Collet-Descotils dont le mémoire sur les alunières de la Tolfa apporte de nombreuses précisions, et suggère différentes améliorations aux procédés en usage (Collet-Descotils 1816).
25 On verra plus loin qu’à la lixiviation on aurait pu ajouter l’épuration et la concentration. Mais ces trois opérations se faisant simultanément, on a préféré les regrouper sous l’appellation de lixiviation (ou lessivage), afin de ne pas donner une fausse impression de succession dans le temps.
26 Le détail des réactions qui se produisent effectivement au cours du grillage de l’alunite est assez mal connu, comme c’est bien souvent le cas pour les productions qui avaient perdu tout intérêt économique à l’époque où les examens de laboratoire se sont développés.
27 Si l’ensemble des auteurs (de Biringuccio et Agricola, jusqu’à Fougeroux de Bondaroy et Collet-Descotils) s’accordent pour rapprocher des fours à chaux les fours de grillage de l’alunite, on peut imaginer que des différences importantes ont existé d’un lieu à un autre, et d’une époque à l’autre (ce qui est aussi le cas d’ailleurs pour les fours à chaux eux-mêmes). Les représentations que nous avons des fours de grillage sembleraient confirmer l’existence de telles variations, dans la mesure toutefois où elles ne seraient pas dans certains cas le fait des illustrateurs. Mais ces variations n’ont qu’une importance des plus restreintes pour la connaissance des procédés de fabrication de l’alun d’alunite et pour celle de leur évolution ; elles peuvent être tenues pour négligeables dans toute perspective privilégiant l’histoire des techniques.
28 L’eau d’arrosage des tas aurait eu tendance à entraîner de plus en plus d’alun, au fur et à mesure de l’avancement de la macération, d’où l’intérêt de ne pas arroser avec excès, ou de récupérer cet excès. Le texte de Biringuccio laisse ouverte la possibilité d’une récupération de l’eau d’arrosage, alors que rien de tel n’apparaît chez Agricola. Avec Fougeroux de Bondaroy et Collet-Descotils les dispositifs de récupération des eaux d’arrosage sont au contraire très élaborés. On notera toutefois que l’alun est peu soluble dans l’eau, à froid, alors que sa solubilité à chaud est très élevée.
29 On peut rappeler que les concentrations des solutions d’alun ne doivent pas être trop élevées, faute de quoi la cristallisation provoquera, lors du refroidissement, la formation d’un produit pâteux constitué d’une multitude de microcristaux retenant une phase liquide interstitielle importante. Un tel produit, appelé en France beurre de mordant ou beurre fossile, a toutefois été commercialisé lui-aussi (cf. dans ce même volume l’article sur l’alun de l’Aveyron, infra, p. 139-155).
30 Cela dépend évidemment du contenu en alun de ces boues, et donc des caractéristiques particulières des pierres à alun et des modalités de leur traitement, toujours un peu changeantes d’un site à un autre et d’une époque à l’autre. Mais pour l’alun d’alunite ces différences ne concernent guère que des points de détail. On verra qu’il en ira tout autrement pour les aluns des schistes pyriteux.
31 Le remplacement très partiel du potassium (K) par le sodium (Na) tient à la présence fréquente d’un peu de natroalunite, (Na. K)Al 3 (S0 4) 2 (OH) 6, dans les gisements d’alunite.
32 On peut imaginer aussi que la présence des composés du fer dans certains gisements d’alunite ait pu avoir quelque conséquence sur la qualité de l’alun. Mais aucune recherche touchant à ces questions n’a encore été faite sur les gisements d’alunite, ni aucune expérimentation, permettant d’en savoir plus.
33 L’histoire ultérieure des aluns devait montrer, particulièrement lors de l’apparition des aluns de synthèse, que l’appréciation de leurs qualités comportait aussi, de la part des teinturiers, des éléments subjectifs, souvent dominants.
34 On avait aussi voulu voir, dans des textes de l’Antiquité concernant la “pierre de Phrygie” et ses utilisations, l’évocation de procédés rudimentaires d’obtention d’alun d’alunite. Mais ces textes sont si confus et si contradictoires qu’aucune conclusion ne semble pouvoir en être tirée (Borgard 2001, p. 73-77).
35 À propos de le difficulté d’extraction de la pierre à alun, on peut rappeler qu’à la Tolfa, au début du XIXe siècle, seul un dixième du volume tiré des carrières était utilisable (Collet-Descotils 1816, p. 348).
36 Pour un exemple de comparaison du prix d’un alun naturel, celui de Ferento, et du prix de l’alun d’alunite, voir dans ce même volume la communication sur Viterbe (les taxes correspondantes y étaient probablement de un à mille, au XIIIe siècle) (Pinzi 1887, p. 551). Quant au prix des variétés d’aluns naturels les plus prisées en médecine, elles relèvent sans nul doute d’autres critères d’évaluation.
37 Pour ne citer qu’un exemple, certes plus tardif, on peut revenir sur le contenu de l’accord de 1470 conclu entre le Pape et le Roi de Naples, qui mettait en commun et sur un pied d’égalité les ressources en alun des deux états. Cet accord ne paraît pouvoir s’appliquer qu’à des fabrications de même type, donc à des aluns d’alunite. Reste à savoir quelles exploitations furent explicitement ou implicitement incluses dans l’accord, leur liste variant d’un auteur à l’autre (ce qui exigera pour le moins de revenir aux documents originaux). En tout cas Pouzzoles et Ischia paraissent avoir été du nombre, et l’on sait que dans l’un et l’autre cas il y eut effectivement, à cette époque, des exploitations d’alun d’alunite (celles d’Ischia semblant d’ailleurs avoir été en activité longtemps auparavant).
38 Il en est même de légèrement métamorphosées comme à Plaisance et Curvalle dans l’Aveyron (cf. dans ce même volume la communication sur l’alun de l’Aveyron). Mais, normalement, un métamorphisme un peu poussé restreint singulièrement les possibilités de réaction conduisant à la fabrication d’alun artificiel.
39 Il existe cependant quelques cas de schistes pyriteux où le soufre serait d’origine hydrothermale, mais ils sont semble-t-il fort rares. Il existe aussi des schistes pyriteux relativement clairs, bien que le soufre y soit quand même d’origine biochimique.
40 À Flone, près de Liège, on laissait s’effleurir à l’air les schistes les plus durs, trois ou quatre années (Christian 1799, p. 250-251).
41 Dans certaines alunières on passait directement au grillage, sans procéder à l’effleurissage, la nature des schistes n’exigeant peut-être pas cette opération préalable, ou les installations ne permettant pas la mise en oeuvre d’une opération aussi longue, qui demandait d’avoir à sa disposition de très grandes surfaces (mais le rendement en sulfate s’en trouvait dit-on sensiblement affecté) (Cavillier 1798, p. 775-776). L’opération de grillage elle-même devenait inutile lorsqu’on se contentait d’extraire l’alun des schistes des houillères embrasées, mais ce ne fut jamais une ressource importante (Cavillier 1798, p. 770 ; Cordier 1809).
42 Il n’est pas rare que les schistes pyriteux mis en tas s’enflamment spontanément, ou qu’il suffise d’amorcer la combustion en un point pour qu’elle s’étende à toute la masse, la difficulté étant comme toujours dans ce type d’opération que le grillage ne s’emballe, ou ne retombe, éventuellement (Dupuget 1796, p. 54-57 ; Anon. 1797, p. 62-63 ; Cavillier 1798, p. 774-776).
43 Les schistes et les argiles sont difficiles à attaquer par l’acide sulfurique, tant que leur structure n’a pas été profondément perturbée ou détruite par la cuisson. C’est une leçon dont sauront profiter les fabricants d’aluns de synthèse.
44 Un dispositif fréquemment utilisé pour épuiser les sels des schistes pyriteux grillés consiste à effectuer des lavages successifs, dans des bassins séparés dont les uns contiennent des schistes ayant déjà subi trois lavages, d’autres deux lavages, d’autres encore, un seul, et d’autres enfin, aucun lavage. L’eau circule des bassins contenant les schistes lessivés trois fois, vers ceux dont les schistes sont de moins en moins lessivés, donc de plus en plus riches. Les schistes lessivés quatre fois sont rejetés, ou soumis à un nouveau cycle de formation et récupération des sels par effleurissage, grillage et lessivage.
45 Le sulfate d’aluminium, que l’industrie chimique permet d’obtenir très pur, est actuellement le mordant d’aluminium le plus employé, alors que l’utilisation de l’alun en teinturerie tend à disparaître. Le sulfate d’aluminium est d’ailleurs désigné sous le nom d’alun aux Etats-Unis (Cardon 2003, p. 37-38). On a vu aussi que le sulfate d’aluminium figurait parmi les aluns naturels, c’est l’alunogène, mais qu’il était assez rare.
46 Le sulfate d’aluminium et le sulfate de fer sont tous deux très solubles à froid dans l’eau, donc pas très faciles à séparer l’un de l’autre. Dans les mêmes conditions l’alun est peu soluble. En revanche il est beaucoup plus soluble à chaud que les deux premiers. Ce qui permet, en jouant sur ces différences de solubilité, sur les concentrations et sur les températures, de séparer assez facilement l’alun et le sulfate de fer. D’où l’intérêt qu’il y avait alors de transformer le sulfate d’aluminium en alun.
47 Quant à la recommandation récurrente d’utiliser de l’urine d’enfant impubère, elle ne repose sur rien, mais fait partie de ces très nombreuses indications qui doivent plus à des croyance occultes qu’à l’expérience (Agricola 1992-1556, p. 459). De fait on s’est servi de toutes sortes d’urines, surtout d’origine humaine (dont il a existé, en Angleterre notamment, un véritable commerce, avec ses systèmes de ramassage et de transport, ses fraudes, etc.) mais aussi “de l’urine de vache, putréfiée” (Dupu-get 1796, p. 58). Bien plus tard on eut recours à l’ammoniaque, sous-produit de distillation de la houille.
48 Il y eut aussi des alunières où l’on n’ajoutait aucune lessive alcaline, quoique l’on y fît quand même de l’alun. C’était parfois le cas, lorsque les schistes pyriteux avaient des taux élevés de potassium, mais, plus souvent encore, lorsque le grillage exigeait une quantité importante de combustible dont les cendres, mêlées aux schistes grillés, suffisaient à apporter le potassium nécessaire à la transformation du sulfate d’aluminium en alun (sans qu’on en eût toujours pleinement conscience).
49 Les matières premières soumises à l’action de l’acide sulfurique en vue de la fabrication d’aluns de synthèse étaient généralement des argiles grillées, et notamment des argiles blanches, pauvres en fer. Mais d’autres matériaux ont été employés, l’alunite par exemple, comme celle qui était exploitée en France, à Madériat dans le Puy-de-Dôme, et traitée dans la région parisienne (Pommier 1884, p. 181-184). Il est probable que l’alunite de la Tolfa, grillée et pulvérisée sur place avant d’être expédiée à Rouen, pourrait y avoir été traitée elle-aussi par l’acide sulfurique, mais cela demande confirmation (Pommier 1884, p. 178). Ce serait en ce cas un des derniers avatars de l’alun de Rome.
50 Bulletin de la Société d’Encouragement pour l’Industrie Nationale, 1ère année, an XI (1803), p. 50.
51 Bulletin de la Société d’Encouragement pour l’Industrie Nationale, 2ème année, an XII (1804), p. 156 ; troisième année, an XIII (1805), p. 213-214.
52 Bulletin de la Société d’Encouragement pour l’Industrie Nationale, 4eme année, n° XVIII, frimaire an XIV (1806), p. 129-130.
53 Bulletin de la Société d’Encouragement pour l’Industrie Nationale, 4ème année, février 1806, p. 222.
54 Les mêmes préventions durent certainement jouer à d’autres époques, et l’on ne saurait affirmer que les appréciations de Pegolotti elles-mêmes ne relèvent en partie au moins de réactions semblables (Pegolotti 1936-circa 1340, p. 369-370).
55 Ainsi des fabricants d’alun, dans l’Angleterre du XVIIe siècle, crurent-ils bon de teinter en rose leur production, pour lui donner l’apparence de l’alun de Rome et en faciliter la commercialisation (tout en en tirant bénéfice) (Singer 1948, p. 191). Il est vrai que certains aluns des schistes pyriteux devaient paraître bien médiocres, si on les comparait à celui de la Tolfa.
56 C’est ainsi que l’“Apperçu de l’extraction et du commerce des substances minérales en France avant la Révolution” (Journal des Mines, Vendémiaire an III, 1794, p. 55-92) signale pour l’année 1787 des importations d’alun et de couperose respectivement égales à 1410 et 970 tonnes. En 1830 ces importations ne sont plus que de 37 et 4 tonnes (Le Play et De Cheppe 1832, Observations sur le mouvement commercial des principales substances minérales, entre la France et les puissances étrangères, pendant les douze dernières années, et particulièrement pendant les années 1829, 1830 et 1831, Annales des Mines IIIe série, t. II, p. 501-548). Durant cette même année 1830 la production française d’alun (schistes pyriteux et synthèse confondus) atteint 7175 tonnes, et celle de couperose 1414 tonnes. En outre il semblerait que le prix de l’alun se soit effondré entre 1784 et 1830, du moins si l’on en juge par le rapport du prix de l’alun à celui de la couperose qui, d’après les mêmes sources, passe de 3. 86 à 0. 64.
57 Il va sans dire que cela ne concerne pas le travail admirable de Charles Singer qui demeure un modèle (Singer 1948). Mais des faits nouveaux, ainsi que l’évolution des perspectives en histoire des techniques, nous incitent à donner, dans la mesure de nos moyens, un prolongement à son travail.
À l’exception de Charles Singer, la plupart des chercheurs qui se sont occupés des aluns manifestèrent peu d’intérêt pour les procédés d’extraction et de fabrication de ces produits, se contentant d’emprunter, en guise d’explications techniques, quelques illustrations extraites de publications anciennes, souvent bien mal comprises d’ailleurs. Pourtant l’acquisition de connaissances techniques élémentaires aurait permis d’éviter bien des contresens.
58 Certes la sidérurgie a pour elle de générer des scories abondantes et d’autres déchets variés, assez faciles à repérer. Mais les aluneries, quoique plus discrètes, ne passent pas inaperçues en fouilles, et parfois même en prospections, pourvu qu’on sache à quoi elles peuvent ressembler. Elles ont en outre l’avantage, sur les installations sidérurgiques, d’être liées à des contextes géologiques très particuliers, bien moins répandus que ne le sont ceux qui correspondent aux minerais de fer. Ce qui pourrait faciliter la mise en place d’actions de sensibilisation, de formation, voire de prévention auprès des archéologues, dans les zones les plus propices à une production d’aluns, et permettre ainsi d’identifier de nouvelles aluneries (il ne faut toutefois pas oublier que des complications peuvent survenir, l’hétérogénéité de certains gisements ayant permis à des productions différentes de coexister en un même lieu, ou de s’y succéder).
59 À condition que dans ces études l’accent soit mis sur les procédés d’extraction et de préparation des aluns, sur l’étendue et les caractéristiques des gisements, plus que sur la genèse de ces formations qui ne nous concerne que marginalement.
60 Pour un tableau comparatif des différentes origines des aluns, selon Pline et Dioscoride, cf. dans ce même volume la communication sur la Macédoine, infra, p. 69-75.
61 Il ne faut pas confondre ces terres alumineuses, qui sont ici des terres-le plus souvent d’origine volcanique-imprégnées d’aluns naturels (et d’autres sels aussi), avec les différentes variétés de schistes pyriteux servant à la fabrication d’aluns artificiels.
62 Ainsi la “Notificazione” du 20 Décembre 1828 du Cardinal Cristaldi, Pro-Tesoriere Generale délla Reverenda Camera Apostolica, rappelle-t-elle les interdictions qui frappaient l’utilisation des terres alumineuses de Scrofiano et Filacciano, et de quelques autres lieux déjà mentionnés dans une notification plus ancienne.
63 La ville médiévale de Ferento fut détruite en 1172 par les habitants de Viterbe. Au cours des fouilles conduites il y a quelques années par Gabriella Maetzke et Paolo Gull à l’emplacement de la ville médiévale, des structures énigmatiques furent mises au jour. Elles comportaient une succession de huit fosses allongées évoquant les fosses en planches des aluneries, où l’on faisait cristalliser les solutions d’alun. Ces structures ont été datées du XIIIe siècle, postérieurement donc à la destruction de la ville médiévale.
64 En ce cas il faudrait se demander si les sites ou régions figurant dans les textes de l’Antiquité n’auraient pas été mentionnés à cause de la qualité généralement reconnue de leur production et de la commercialisation lointaine dont ils bénéficiaient. Des sites dont la production était de médiocre qualité, peu importante de surcroît, et de diffusion restreinte, n’auraient pas été cités, pour ces raisons-là, bien qu’ils aient pu être fort nombreux. Mais, évoquant ici la qualité des aluns, et surtout celle des aluns naturels, on se doit de rappeler que celle-ci peut varier considérablement dans le temps et dans l’espace, selon la zone exploitée et les procédés utilisés. Ce qui pourrait avoir été le cas par exemple de l’alun des îles éoliennes, mentionné par Pline. Les interdictions répétées dont il fit l’objet à l’époque médiévale attestent du peu de considération qu’on lui accordait alors, ce qui n’était peut-être pas le cas à l’époque de Pline et de Dioscoride. Quoi qu’il en soit, cela devrait nous pousser à effectuer des recherches approfondies sur les mines et les carrières des sites mentionnés dans les textes antiques (et médiévaux), où presque rien n’a été fait jusqu’ici.
65 On ne reviendra pas sur ce que peut apporter l’étude des céramiques d’accompagnement des cargaisons d’alun, la question ayant été assez longuement évoquée à propos de Phocée (cf. dans ce même volume la communication sur la Turquie, infra, p. 59-68).
Quant aux amphores à aluns, on ne peut nier leur contribution à la connaissance du commerce de ces produits dans l’Antiquité. Mais on a aussi des raisons qui nous font craindre que l’utilisation de cette seule source de renseignements ne conduise, comme les textes de l’Antiquité, à une vision très réductrice et peu représentative de l’alun antique. Il serait cependant indispensable de pouvoir répondre à quelques-unes des interrogations que soulèvent ces amphores (amphores de Lipari et amphores de Melos) : leur contenu d’abord, leur présence sur certains sites de production et leur absence sur d’autres, leur apparition et leur disparition, et même certaines identifications (Borgard 2001 ; Picon 2001) (cf. également dans ce même volume la communication sur Chypre, infra, p. 201-210).
66 Il y a notamment, dans les travaux sur le sel, des exemples et des démarches dont on aurait intérêt à s’inspirer pour l’alun (Daire 1994 ; Prilaux 2000 ; Weller 2002 ; Daire 2003).
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