Chapitre IV. Marseille et la Gaule
p. 239-241
Texte intégral
1Michel Bats est un Gaulois d’Aquitaine émigré en Provence. Sa formation d’historien et ses fouilles de Lescar l’ont porté d’abord vers la période romaine, mais c’est à Olbia qu’il attrapa le virus grec dont on sait qu’on ne se débarrasse pas facilement, d’autant que cette inclination fut renforcée par son séjour en Grande-Grèce, au Centre Jean Bérard de Naples.
Des mérites de l’extériorité
2Ayant fait sa thèse sur la vaisselle céramique d’Olbia de Provence à l’époque grecque, reprenant ensuite la direction des fouilles du site, Michel Bats ne pouvait se désintéresser de Massalia dont il révélait indirectement le faciès matériel à l’époque classique et hellénistique, quasiment inconnu sur place. Certains pourraient s’étonner qu’il n’ait jamais fouillé à Marseille, ce qui aurait été pour tous certainement bénéfique, mais ce serait méconnaître la complexité de la situation de l’archéologie marseillaise1. Les analyses menées à Olbia seront d’ailleurs très utiles pour les chercheurs marseillais, dès lors que les recherches à Marseille seront suffisamment développées pour permettre des études statistiques de la céramique.
3Et cette position extérieure lui permit d’envisager Marseille non point seulement en tant que cité grecque, mais également dans ses deux contextes principaux, maritime et terrestre, dans leurs dimensions politique, économique et culturelle, en fonction notamment des modes de contact avec les Gaulois.
4Travaillant sans cesse en Gaule et sur la Gaule, il ne s’est en effet jamais désintéressé des Gaulois, mais en les considérant le plus souvent en tant qu’environnement des Grecs, clients des Grecs, récepteurs ouverts ou fermés à telle ou telle influence grecque, objets de commentaires des auteurs grecs, voire menace pour les Grecs. Ainsi donc, c’est un regard encore une fois extérieur qui nous est proposé sur la Gaule, d’autant plus précieux qu’il relaie tout en les relisant les seules indications littéraires à peu près contemporaines dont on dispose sur les populations autochtones du Midi. Regard extérieur, certes, mais regard documenté, intéressé aux données les plus récentes issues des fouilles des sites indigènes de la Provence jusqu’au Toulousain, et, du fait même de son extériorité, regard constructivement critique sur les interprétations sociologiques et culturelles qu’on pouvait en tirer.
De la terre à la mer
5Dès 1986, dans sa première contribution sur Marseille (que l’on peut compléter par un article sur les îles d’Hyères paru l’année précédente)2, Michel Bats s’attaque à l’une des questions les plus délicates de l’histoire de la cité : celle de son territoire et des rapports directs, à sa frontière, entre les Grecs et les indigènes3. Face à des textes antiques laconiques et toujours difficiles à interpréter, et à des théories modernes fondées sur des arguments contestables, il développe une approche utilisant de manière dialectique les données archéologiques et historiques, sans masquer les nombreuses zones d’ignorance qui minent le dossier. Contrairement à ses prédécesseurs, il montre que Marseille fut et resta une ville modeste au regard des grandes cités méditerranéennes de son temps, et que sa chôra fut limitée et ne s’accrut que peu et par étapes. Le lecteur trouve ici, dès l’origine en quelque sorte, ce qui va caractériser l’œuvre du chercheur dans la suite de sa production, à savoir honnêteté intellectuelle, précision et clarté du discours, utilisation critique des preuves, constants allers-retours entre les sources littéraires et matérielles.
6En complément du territoire terrestre, Michel Bats a appliqué une méthodologie semblable au territoire maritime de Marseille, envisagé non seulement sous l’angle commercial, mais également du point de vue politique et militaire4. Face à l’ancienneté et à l’enracinement d’une image emphatique d’une Massalia régnant en maître sur la Méditerranée occidentale, il ramène les choses à leur juste mesure d’une part en périodisant précisément les données, et d’autre part en comparant les activités maritimes des principaux acteurs de cette zone, tels Syracuse, Carthage et Rome. Faut-il se plaindre que l’image de la colonie phocéenne en sorte réduite à celle d’une puissance secondaire, peu engagée dans les conflits des grandes thalassocraties et, bien que jouissant au départ d’un certain rayonnement de l’Italie à l’Espagne et à la Gaule interne, se repliant bientôt sur un domaine de proximité : la Gaule méridionale ? Certainement pas, car l’archéologie n’a nul intérêt à survaloriser le rôle d’une cité, fût-elle grecque, et nulle obligation à suivre à ce propos les déclarations dithyrambiques d’un Strabon ou d’un Justin. Ceci posé, il reste que l’histoire des activités maritimes de Marseille en Gaule méridionale apparaît dans cette région particulièrement complexe, faite de relations de nature différente dans chaque zone, conflictuelles avec les Ligures s’adonnant à la piraterie, paradoxales en Provence occidentale où une forte présence s’accompagne de fréquents conflits, continue et monopolistique avec le Languedoc oriental, plus distendues avec le Languedoc occidental, aire de jeu des Ibères et des Grecs d’Emporion, les rapports de ces derniers avec Marseille posant d’ailleurs toujours problème.
7En marge des activités maritimes, il étudie très précisément l’état de la marine de guerre de Marseille lors du conflit de 49 av. J.-C. Il en tire de conclusions démographiques (autour de 20000 habitants) qui paraissent encore aujourd’hui très vraisemblables : elles vont également dans le sens d’un redimensionnement de la colonie phocéenne par rapport aux grandes métropoles méditerranéennes que sont Rome, Carthage ou Athènes, mais aussi Syracuse ou Agrigente en Sicile. Il faut en effet rappeler que, si Marseille, avec ses 50 ha intra-muros, paraît grande par rapport à beaucoup d’oppida indigènes ou à des sites comme Olbia ou Emporion, elle reste très modeste par rapport à la plupart des colonies grecques d’Italie du Sud ou de Sicile.
Le rôle des rivages
8Entre terre et mer, Michel Bats ne pouvait se désintéresser de ces points de contact privilégiés que représentent les relais littoraux grecs et indigènes qui se développent durant l’Âge du fer des Alpes au Pyrénées. Il s’est beaucoup investi dans cette problématique, à travers ses fouilles, à Olbia, à Antibes, à Lattes, et par sa participation active à plusieurs programmes collectifs sur les comptoirs littoraux protohistoriques ; ce n’est donc pas un hasard qu’il ait tenu à présenter une synthèse sur ce thème au colloque sur “Marseille grecque et la Gaule”5. Dans cette étude, où il affirme encore une fois la nécessité d’une périodisation des processus, il s’appuie sur de nombreuses données quantitatives (proportions des importations de vaisselle et d’amphores méditerranéennes en différents points du littoral) pour développer une approche systémique débouchant sur une classification des sites selon leur type de consommation. Certes, l’analyse se fondant exclusivement sur des chiffres dont la base statistique est très inégale et la signification non contextualisée apparaît aujourd’hui quelque peu sommaire et liée à la mode du temps, mais elle présente néanmoins l’intérêt d’inciter à sortir d’une vision locale et à envisager comment ces données peuvent s’intégrer dans des modèles généraux, que Michel Bats emprunte aux chercheurs anglo-saxons, grands producteurs de modèles, on le sait : ainsi trouverait-on à côté des emporia tenus par les Grecs (Marseille, Arles, Agde, Emporion) des sites d’interface (gateway communities) situés dans la zone littorale tels que Saint-Blaise, Espeyran, Lattes, Béziers, La Monédière, Pech-Maho, et, dans l’hinterland, des sites redistributeurs au sein de systèmes dendritiques (central places) et d’autres plutôt récepteurs, à consommation plus ou moins forte.
D’une rive du Rhône à l’autre…
9Si Michel Bats est un Aquitain immigré en Provence, c’est aussi un Lattois installé à Aix-en-Provence. Appartenant pendant toute sa carrière de chercheur à l’UMR de Lattes, il est aussi chercheur associé au Centre Camille Jullian, où sa présence fut loin d’être anecdotique. Co-fondateur en 1986 de la collection Études massaliètes, il l’a animée pendant toutes ces années en organisant, seul ou avec d’autres, plusieurs colloques, sur le territoire de Marseille grecque (ÉtMass 1, 1986), les amphores de Marseille grecque (ÉtMass 2, 1990), Marseille grecque et la Gaule (ÉtMass. 3, 1992), un volume collectif à la mémoire d’André Nickels (ÉtMass. 4, 1994) et, plus récemment (ÉtMass 9, 2006), un livre sur Olbia, dont il sera fait état ailleurs. Entre Languedoc et Provence, il a su être un de ces “ponts” sur le Rhône dont les chercheurs sur la Gaule méridionale déplorent parfois la rareté.
Des débats ouverts
10Que Michel Bats soit un chercheur ouvert au débat est une évidence pour tous ceux qui le connaissent et ont eu l’occasion de travailler avec lui. Les questions concernant le rôle des Grecs, et principalement des Massaliètes, dans l’évolution des communautés indigènes de la Gaule méridionale, ont constitué durant ces dernières décennies un espace particulièrement riche en discussions, non seulement à l’occasion des rencontres scientifiques, mais également sur le terrain. Des découvertes nouvelles, comme celles de Béziers, ou la mise en évidence d’une présence étrusque à Lattes au tournant des VIe et Ve s. av. n. è., et bien d’autres, sont venu alimenter, voire compliquer, une thématique naguère schématisée sous le terme global d’hellénisation. Le développement des fouilles laissant entrevoir l’existence de systèmes d’organisation élaborés et de groupes puissants dans le monde indigène dès le début de l’âge du Fer (comme les Élysiques en Languedoc occidental et plus tard les Salyens en Provence ou les Arécomiques en Languedoc oriental), capables de négocier d’égal à égal avec les Grecs, voire d’imposer leurs conditions, a nécessité et nécessitera de réévaluer le rôle de chacun des partenaires dans les processus de contact, d’échange, d’acculturation. L’approche anthropologique, développée notamment en collaboration avec notre collègue et ami commun Michael Dietler6, en ouvrant de nouvelles fenêtres et en créant de nouveaux courants d’air, invite également aujourd’hui à intégrer de nouveaux concepts. À toutes ces problématiques, le point de vue de Michel Bats, le Grec, a apporté, continue d’apporter, et apportera encore longtemps une contribution essentielle.
Notes de bas de page
1 À l’exception de quelques sondages, qui concernent uniquement le chantier de la Bourse, toutes les fouilles pratiquées à Marseille, anciennement ou récemment, l’ont été dans le cadre de fouilles préventives.
2 M. Bats, Les Îles d’Hyères chez les auteurs antiques, Travaux du Parc National de Port Cros, 11, 1985, p. 83-87.
3 M. Bats, Le territoire de Marseille : réflexions et problèmes, dans Le territoire de Marseille grecque, Études Massaliètes, 1, 1986, 17-42. Voir aussi sur le même thème M. Bats, La chôra de Massalia, dans Problemi della chora coloniale dall’Occidente al Mar Nero. Atti XL Convegno intern. di studi sulla Magna Grecia (Taranto, 2000). Napoli, 2001, 491-512.
4 M. Bats, Définition et évolution du profil maritime de Marseille grecque (VIe-Ier s. av. J.-C.), dans La mer, moyen d’échange et de communication. VIe Rencontres Internationales d’Archéologie et d’Histoire d’Antibes (1985), Juan-les-Pins, 1986, p. 31-53.
5 M. Bats, Marseille, ses colonies et les relais indigènes du commerce massaliète en Gaule méridionale, in : Marseille grecque et la Gaule. Actes des colloques de Marseille (1990), Lattes-Aix-en-Provence, 1992, p. 263-278 (EtMass 3), infra dans ce volume.
6 Outre de nombreux articles bien connus, voir sa récente synthèse : M. Dietler, Archaeologies of Colonialism, Consumption, Entanglement and Violence in Ancient Mediterranean France, University of California Press, Berkeley, 2010, 464 p.
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