Les Ligyens et les Salyens d’Hécatée à Strabon*
p. 189-210
Texte intégral
1Le point de départ de cette étude se trouve, d’abord, dans l’ouvrage fondateur de G. Barruol où notre génération eut la chance d’être initiée à une nouvelle vision de la géographie historique des peuples préromains du Sud-Est de la Gaule, et plus précisément, dans un passage (IV, 6, 3) de la Géographie de Strabon souvent cité et qui ne peut se comprendre qu’en le resituant, comme y invite Strabon lui-même, dans le cadre de la géographie historique grecque :
« Tout de suite après [Antibes]1 et jusqu’à Massalia et un peu plus loin encore, le peuple des Salyens habite les Alpes en arrière du littoral et certaines portions du littoral lui-même mêlés aux Grecs. Les [auteurs] grecs anciens qualifient les Salyens de Ligyens et de ligystique la chôra occupée par les Massaliotes ; les [auteurs] suivants les nomment Celto-ligyens et leur attribuent en outre les régions de plaine jusqu’à Luério et jusqu’au Rhône, où, divisés en dix parties, ils équipaient des troupes non seulement d’infanterie, mais aussi de cavalerie. Ce furent eux les premiers des Celtes transalpins que soumirent les Romains, après avoir longuement combattu contre eux et les Ligyens qui leur fermaient les passages vers l’Ibérie, du moins ceux par le littoral ».
2Strabon nous propose la définition des Salyens en stratigraphie historique où il note deux couches successives précédant son propre temps. En fait dans les textes grecs dont nous disposons, les Salyens ne sont pas nommés en tant que tels avant Strabon, mais on peut penser que son témoignage signifie qu’ils étaient cités par des auteurs grecs anciens. Ainsi lorsque Tite-Live (V, 34) mentionne les Salyens agressant les Phocéens au moment de la fondation de Marseille, il est possible qu’il établisse une équivalence ethnique avec une information postérieure ; cependant le fait que les meilleurs manuscrits offrent pour ce passage la leçon Saluum (gén. pluriel d’un nominatif Salues) au lieu de la forme Salluuiorum (utilisée partout ailleurs par Tite-Live) orienterait vers une source grecque et la transcription du grec Σάλυες. De même, la mention du nom des Salyens se trouve, chez Aviénus, qui affirme avoir utilisé des sources grecques des VIe-IVe s. av. J.-C., non pas avec la forme latine Salluuii, mais avec translittération de la forme grecque, Salyes. La translittération est ici, d’ailleurs, sans doute fautive, car la forme latine Salluvii montre que le nom grec des Salyens, Σάλυνς ou Σάλλυες, devrait avoir été emprunté avant la palatalisation de upsilon (avant que upsilon désigne le son/ü/), c’est-à-dire avant le IVe s. av. J.-C. Ce peuple, plutôt ligure que celte d’ailleurs, selon P.-Y. Lambert (1997, 37), devait probablement s’appeler les *Salw[oi]. Nous ignorons si les Salyens se nommaient eux-mêmes ainsi, mais il s’agit vraisemblablement d’un nom issu de leur langue. En anticipant sur le débat auquel nous introduit Strabon (et la remarque de P.-Y. Lambert), il faut rappeler que le nom des Salluvii est aussi celui d’une peuplade gauloise émigrée en Italie dans le sillage de Bellovèse, selon Tite-Live (I, 35), sans doute identiques aux Sallui, fondateurs de Vercellae Libiciorum, d’après Pline (III, 124). Il est à rapprocher également de l’ethnonyme celtibère des Salluienses, cités sur le bronze de Contrebia Belaisca (Botorrita, Zaragoza), en 87 av. J.-C. (Fatàs 1980) et des membres de la Turma salluitana, originaires de Celtibérie, cités sur le bronze d’Ascoli, en 89 av. J.-C. (CIL, I2, 709 = ILS, 8888 ; Roldán 1986). C’est encore peu pour retrouver l’arrière-plan de la remarque de Strabon, mais comme les Salyens sont qualifiés de Ligyens, puis de Celto-Ligyens, on peut essayer de tourner la difficulté en recherchant la stratification signalée par Strabon à travers les variations de l’espace géographique dévolu aux Ligyens qui eux sont bien présents dans la littérature grecque2.
1. Les Ligyens dans la littérature antique
1.1. Les Ligyens d’après « les auteurs grecs anciens »
3Pour « les auteurs grecs anciens » auxquels fait allusion Strabon, les Salyens sont considérés comme faisant partie des Ligyens et la chôra de Marseille est située en pays ligystique3. Cette première strate regroupe les historiens et géographes d’Hécatée à Ératosthène On ne sait si Hésiode (ou un Pseudo-Hésiode) citait déjà les Ligyens au VIIIe s. av. J.-C. comme l’écrit Strabon (VII, 3, 7) d’après Ératosthène ; on peut hésiter en effet entre conserver la leçon Ʌίγυς des manuscrits de Strabon ou adopter la leçon Ʌίβυς d’un papyrus d’Oxyrhynchus (cf. Duval 1971, I, no 2, 174) dans le vers d’Hésiode cité par Strabon, car les Ligyens seraient bien à leur place dans la géographie archaïque pour incarner les peuples de l’Ouest à côté des deux autres peuples cités dans le vers d’Hésiode, les Éthiopiens, pour incarner le Sud, et les Scythes, pour incarner le Nord (cf. Arnaud 2001, 331-333). Le nom même des Ligyens paraît être un autonyme plutôt qu’un hétéronyme à clef grecque, comme le propose P. Arnaud (2001, 330-331), “les braillards”, qui serait un jeu entre des mots homonymes d’accentuation différente ; l’existence du doublet latin, Liguri/es, non identique, mais de même racine lig-, présente aussi dans le nom de la Loire (Liger) ou du peuple des Ligauni, voisins des Oxybiens, selon Pline (III, 35), argumente en faveur d’une forme celte.
4Pour Hécatée (vers 500 av. J.-C.), outre Monoikos (ap. St. Byz., s.v., πόλις Λιγυστική. Ἑκαταῖος Εὐροώπῃ), Massalia (ap. St. Byz., s.v.) se situe « en Ligystique au-dessous de la Celtique » (πόλτς τῆς Λιγυστχκῆς κατὰ τήν Κελτικήν, ἄποικος Φωκαέων. Ἑκαταῖος Εὐρώπῃ) et les Ligyens s’étendent au moins jusqu’à la basse vallée de l’Aude occupée par le peuple des Élisyques (ap. St. Byz., s.v. Ἑλίσυκοἱ, ἔθνος Λιγυων, Ἑκαταῖος Εὐροώπῃ), regroupés aux abords de l’étang Helice (étang de Bages et Sigean) et du fleuve Atax (l’Aude) dans un royaume ayant pour capitale Naro (Aviénus, Ora mar., 589-590) ; Hécatée qualifiait l’étang et le fleuve de Narbaioi (ap. St. Byz., s.v. Νάρβων, ... ἔστι καὶ λίμνη Ναρβωονῖτις ... καὶ ποταμòς Ἄταξ. Ἑκαταίος και Ναρβαίους αὐτούς φησι). On ignore l’emplacement d’Ampelos également qualifié de πόλτς τῆς Λιγυστχκῆς. La définition par Hécatée des Elisyques comme peuple ligyen contredit l’affirmation de Strabon (III, 4,19) – « les premiers auteurs appellent Ibérie tout le pays situé au-delà du Rhône et de l’isthme entre les golfes gaulois » –, éventuelle simplification d’une information plus complexe rapportée par le Pseudo-Scylax dont une partie de l’œuvre pourrait remonter au VIe s. (cf. infra).
5Selon Eschyle (ap. Strabon, IV, 1, 7) (première moitié du Ve s. av. J.-C.), c’est dans la plaine de La Crau qu’Héraclès ramenant les bœufs du troupeau de Géryon est attaqué par les Ligyens. L’épandage de pierres de La Crau est expliqué par la pluie de pierres envoyée par Zeus à Héraclès pour s’en servir comme projectiles contre ses attaquants. Au siècle suivant, Aristote4, qui le situe aussi en Ligystique, explique cet épandage par un tremblement de terre.
6Hérodote (milieu du Ve s. av. J.-C.) parle des « Ligyens, ceux qui habitent en remontant au-dessus de Marseille » (Λίγυες οἱ ἄνω ὑπὲρ Μασσαλίης οἰκέοντες), ce qui pourrait d’ailleurs laisser entendre qu’il en existe d’autres.
7Dans le Triptolème de Sophocle, un contemporain d’Hérodote (ap. Denys d’Halicarnasse, I, 12), Déméter, indiquant à Triptolème l’étendue des terres qu’il devra ensemencer, après l’Italie orientale et la Sicile, « se tourne vers l’Italie occidentale et énumère les plus importantes parmi les nations qui habitent ce littoral », en citant successivement les habitants de l’Italie méridionale, les Étrusques et les Ligyens : « Et ensuite à ta main droite, c’est l’Œnôtrie tout entière, le golfe Tyrrhénien et la terre ligystique qui t’accueilleront ». Ce qui, certes, ne nous précise pas la limite entre Étrusques et Ligyens !
8Le Pseudo-Scylax (IVe s. av. J.-C.) – une compilation, dans l’état qui nous est parvenu, d’un Périple de la mer de l’œkoumène européen, de l’Asie et de la Libye – décrit le littoral à partir des Colonnes d’Héraclès :
« 2. Ibères. Les premiers en Europe sont les Ibères, peuple de l’Ibérie, et le fleuve Iber... Ensuite Emporion, ville grecque... Ce sont des colons des Massaliotes. La navigation le long du littoral de l’Ibérie est de 7 jours et 7 nuits. 3. Ligyens et Ibères. Après les Ibères habitent les Ligyens et les Ibères mélangés jusqu’au Rhône. Le littoral des Ligyens d’Emporion au Rhône se parcourt en deux jours et une nuit. 4. Ligyens. Après le Rhône habitent les Ligyens jusqu’à Antion. Dans cette région se trouve la ville grecque de Massalia avec son port. Il y a ensuite des colons de Massalia5. Du Rhône à Antion, la navigation le long du littoral est de 4 jours et 4 nuits. 5. Tyrrhéniens. À partir d’Antion, on trouve le peuple des Tyrrhéniens jusqu’à la ville de Rome. La navigation le long du littoral est de 4 jours et 4 nuits. »
9La mention d’Antion – la ville latine d’Antium étant exclue – a fait l’objet d’hypothèses diverses dont aucune n’est totalement convaincante. On a proposé d’y voir le nom dissocié d’Antipolis (entendue Antion polis de la même façon que Stéphane de Byzance parle d’Athénai, polis Ligustiôn, qui serait équivalente à l’Athenopolis Massiliensium de Pline6): cette hypothèse a le défaut d’exclure les Ligyens de toute la partie italienne7. Comme on peut difficilement affirmer que les Tyrrhéniens aient occupé l’espace jusqu’au Var, M. Bonamici et M. Gras8 ont proposé comme solution de faire d’Antipolis la limite entre l’emporía massaliète et l’emporía étrusque au lendemain de la bataille d’Alalia. Mais il faudrait alors envisager que le Ps.-Scylax passe d’une définition ethnique (les Ibères, les Ibères et les Ligyens, les Ligyens) à une définition socio-politique (le contrôle commercial d’une région par un peuple différent de celui qui l’habite) : or il est question du peuple des Tyrrhéniens et non de Ligyens et Tyrrhéniens mêlés comme on l’attendrait en parallèle aux Ligyens et Ibères mêlés notés à l’ouest du Rhône. Reste aussi que le temps de navigation (même s’il est fonction des vents et des courants autant que de la distance) du Rhône à Antion – 4 jours et 4 nuits –, qui semble bien long pour aller du Rhône à Antipolis (alors qu’il suffit de 2 jours et une nuit pour aller d’Emporion au Rhône), est identique à celui mis par Scipion, en 218, pour aller de Pise jusqu’à l’embouchure du Rhône (cf. ci-dessous). En revanche le temps de navigation de 4 jours et 4 nuits semble un peu court pour aller d’Antipolis à Rome. Enfin, Antibes est toujours noté dans la littérature et l’épigraphie grecques et latines sous le vocable d’Antipolis. Aussi, G. Barruol acceptait-il la proposition de N. Lamboglia9 d’identifier Antion à Anzo di Framura – à la limite nord du territoire de Luna qui avait été à l’origine occupé par les Étrusques, selon Tite-Live10 –, mais Antion aurait dû normalement donner Anzio et non Anzo. Notons pour ce qui concerne l’espace attribué aux Ligyens qu’après y avoir signalé des Ligyens et des Ibères mêlés, le texte parle ensuite seulement du littoral des Ligyens d’Emporion au Rhône.
10C’est en latin qu’Aviénus compose les Ora maritima au IVe s. de notre ère, mais les sources, nommées par l’auteur aux vers 42-50, sont toutes des sources grecques du VIe au IVe s. av. J.-C., d’Hécatée à Thucydide. Dans son poème, la frontière entre la terre ibère (v. 613 : Hibera tellus) et les Ligyens (transcrits ici du grec, Ligyes, à côté de la forme latine Ligures aux vers 132 et 135) est placée à la montagne de Sète (v. 629 : setiena ab arce) ou au fleuve Oranus (Hérault ?) proche de l’étang de Thau (v. 609-614) et donc, les Salyens nommés sur la rive gauche du Rhône (v. 701 : Salyes atroces), après les Nearchi, la cité de Bergine et avant l’étang de Mastrabala, le cap Cecylistrium et Massalia, doivent être considérés comme des Ligyens. Si Bergine est Ernaginum, l’étang de Mastrabala, l’étang de Berre et le Cecylistrium le cap Couronne, les sources d’Aviénus attribueraient déjà aux Salyens une partie des plaines occidentales au sud des Alpilles (cf. aussi la source de Tite-Live, V, 34, évoquée ci-dessus).
11Selon Stéphane de Byzance (s.v. Ἀγάθη), Eudoxe (de Rhodes, au milieu du IIIe s. av. J.-C. ?) situait Agde, que Timosthène (vers 280 ?) appelait Agathè Tychè, en Ligystique, comme Philon (de Byblos, deuxième moitié du Ier s. ?), qui la définissait « ville des Ligystiens, près d’un étang ligystien »11.
12Apollonios de Rhodes (milieu du IIIe s. av. J.-C.), qui, dans Les Argonautiques, décrit les Argonautes descendant le Rhône à travers « les peuples innombrables des Celtes et des Ligyens pour arriver dans les îles Stoechades (v. 646-650) appelées aussi Ligystides (v. 553-555), est la source probable de St. de Byzance (s.v., Στοιχάδες, νῆσοι τρεῖς πρòς τῇ Μασσαλίᾳ. καλοῦνται δὲ καὶ Λιγυστίδες) : soulignons qu’Apollonios ne paraît pas dire que Celtes et Ligyens sont mélangés, mais que les Argonautes traversent successivement les Celtes, puis les Ligyens en allant de l’intérieur vers la mer.
13Le Pseudo-Scymnos est l’auteur inconnu d’un Circuit de la terre, un poème en trimètres iambiques, qui devait présenter une description de la Méditerranée à partir des Colonnes d’Héraclès, rédigé dans le dernier tiers du IIe s. av. J.-C., mais d’après des sources des Ve-IIIe av. J.-C. (citées par l’auteur aux v. 109-127, d’Hérodote à Ératosthène)12. La description du littoral nord-occidental de la Méditerranée est aux v. 199-219 :
« Ensuite les Ibères sont contigus aux Tartessiens. Au-dessus de ces terres sont situés les Bébryces. Ensuite, le bas est occupé par les Ligyens du bord de mer et les villes grecques fondées par les Phocéens Massaliotes ; la première est Emporion, Rhodè la seconde (...) C’est en pays ligystinien que les Phocéens fondèrent Massalia 120 ans, à ce qu’on dit, avant que n’eût lieu la bataille de Salamine. C’est ainsi que Timée en relate la fondation. Après cette ville vient Tauroeis et, tout près, la ville d’Olbia13, et Antipolis, la dernière d’entre elles. Après le pays ligystique14, on trouve les Pélasges qui, venus de Grèce, se sont d’abord installés avant de partager le pays avec les Tyrrhéniens ».
14Ἀντίπολις αὐτῶν ἐσχάτη, « Antipolis, la dernière de celles-ci », est clairement la fin de l’énumération des πόλετις Ἑλληνίδες (représentées par αὐτῶν) commencée avec Emporion (Ἀντίπολις ἐσχάτη répond au πρώτη Ἑμπόριον du v. 204) ; l’auteur utilise le terme ἔσχατη et non ὔστατη que l’on attendrait dans une énumération, parce qu’il y ajoute une idée d’espace, la dernière, c’est-à-dire aussi la plus éloignée. Ἔσχατη est le terme utilisé par le même auteur (v. 147-149) pour Mainaké, των Ἑλληνίδων πόλεων ἐσχάτη. Antipolis et Mainaké sont les plus extrêmes des implantations coloniales massaliotes, l’une vers le Levant, l’autre vers le Couchant. Il n’est donc pas question ici de la frontière du pays ligystique : traduire ἕσχάτη, « aux confins du pays » (Marcotte in coll. Budé avec commentaire, p. 171 : « elle est effectivement la dernière ville de la côte avant le Var qui jouait au temps de Strabon un rôle de frontière avec l’Italie ») est donc erroné et résulte d’une interprétation anachronique (la frontière du Var date de la création de la Transalpine) et tendancieuse : car, pour la justifier, ou bien on est obligé de dire que le territoire de Marseille est continu d’Emporion (voire de Mainaké) à Antipolis (ce qui est difficilement soutenable), ou bien l’on parle (Arnaud 2001, 333-335) de « zone d’influence de Marseille » ou de « territoire contrôlé par Marseille » (ce qui permet, en tout état de cause, de justifier d’autant mieux la correction Antion/Antipolis chez le Ps.-Scylax) : que le pays des Ligyens soit scandé par des fondations massaliètes ne dispense pas qu’il soit aussi, et d’abord, occupé par des Ligyens. « Limiter les Ligyens aux Salyens, c’est-à-dire au voisinage immédiat de Marseille » dès le début du Ve s. (Arnaud 2001, 333), c’est vouloir ignorer les informations d’Hécatée à propos de Monoikos et des Élisyques (signalés aussi, à côté d’autres Ligyens indéterminés, comme mercenaires d’Hamilcar en 480 par Hérodote, VII, 165). Dire que « l’assimilation de la Ligystique à l’expansion massaliète constitue l’état normal du savoir à la fin du VIe s. » (Arnaud 2001, 334) fait l’impasse sur la chronologie des colonies massaliètes provençales et substitue une logique politico-commerciale, anachronique, à une logique ethnique qui est celle de la géographie grecque archaïque, comme le note bien l’auteur (ibid. 336).
15La géographie du Circuit de la terre est, si l’on en croit son auteur, celle d’Ératosthène (v. 112-114 : « c’est à Ératosthène que j’ai prêté le plus de confiance »), directeur de la Bibliothèque d’Alexandrie dans la deuxième moitié du IIIe s. av. J.-C., créateur de la géographie mathématique, célèbre pour avoir calculé la circonférence de la terre.
16Pour Strabon, la coupure chez les auteurs grecs dans la connaissance de l’Occident est à faire après Ératosthène. Il le dit clairement en II, 1, 41 : « Timosthène, Ératosthène et leurs prédécesseurs ignoraient tout des choses de l’Ibérie et de la Celtique ».
1.2. Les Ligyens d’après “les auteurs grecs suivants”
17Vers le milieu du IIe s., Polybe, qui a « affronté les dangers et les fatigues d’un voyage à travers l’Afrique et l’Ibérie ainsi qu’en Gaule » (III, 59, 7) et qui a refait l’itinéraire d’Hannibal, « reconnaissant les lieux et traversant les Alpes » (III, 48, 12), est le premier à définir comme Celtes les peuples rencontrés par le chef carthaginois dans son trajet des Pyrénées au Rhône (III, 37, 1 ; 41, 6-7), puis du Rhône aux Alpes où il nomme les Allobriges (III, 49-50), tout en continuant à qualifier de ligystique le littoral depuis Pise jusqu’à Marseille (III, 41, 4), car pour lui l’Apennin, où vivent les Ligyens, se poursuit au-delà de l’Italie et englobe les montagnes qui constituent aujourd’hui les Alpes du sud et les Préalpes provençales jusqu’au-dessus de Marseille :
« L’Apennin, depuis son origine au-dessus de Marseille et sa jonction avec les Alpes15, est habité par les Ligystins, aussi bien sur le versant de la mer Tyrrhénienne que sur le versant de la plaine [du Pô], sur la façade maritime jusqu’à la ville de Pise, la première ville d’Étrurie à l’Ouest, et sur la façade continentale jusqu’à la région d’Arretium » (II, 16, 1-2) tandis que « sur les deux versants des Alpes, celui qui regarde le Rhône et celui qui regarde la plaine en question, les parties moyennes et basses sont habitées, sur le versant rhodanien et septentrional, par les Gaulois dits transalpins et sur le côté de la plaine, par les Taurisques, les Agones et plusieurs autres peuples barbares » (II, 15, 8) ;
III, 37, 9 : « À partir du fleuve Narbon, toute la région voisine est habitée par des Celtes jusqu’aux montagnes dites Pyrénées » ;
III, 41, 4 : « Scipion, longeant le littoral ligystique, arriva dans la région de Massalia le cinquième jour après avoir quitté Pise et aborda à la première bouche du Rhône », alors que Tite-Live (XXI, 26, 3) rapportant le même événement écrit que, parti de Pise, Scipion « longe la côte de l’Étrurie et le littoral ligure, puis les monts des Salyens avant de parvenir à Marseille » ;
XXXIII, 8 : « Les Massaliotes étaient depuis longtemps soumis aux attaques des Ligyens. Ils étaient maintenant bloqués chez eux tandis qu’Antipolis et Nikaia étaient même assiégées » par les Oxybiens et les Déciates eux aussi qualifiés de Ligyens.
XXXIII, 10 : « Postumius concentra ses troupes à Placentia, puis, franchissant l’Apennin, arriva dans le pays des Oxybiens ».
18P. Arnaud (2001, 338-342) propose de distinguer une tradition grecque des Ligyens de l’Ouest (Ligyes) d’une tradition romaine des Ligures d’Italie (Ligures) et accuse Polybe de brouiller les cartes en fusionnant les deux traditions. Il est évident que Ligyens et Ligures sont pour les auteurs anciens un seul et même ethnos : les auteurs grecs ne se sont intéressés à ceux d’Italie qu’à partir du moment où ils prennent en compte l’expansion romaine : on connaît les belles pages écrites sur ce thème par A. Momigliano (1979). Il est donc normal que Polybe utilise indifféremment les formes Ligystinoi/Ligyes, Ligystikè/Ligystiné pour désigner les uns et les autres. On ne peut même pas affirmer (Arnaud 2001, 330) que Polybe ait formé le terme ligustinos sur le latin ligustinus, car d’une part la forme existe déjà, au IIIe s., chez Lycophron (Alex., v. 1356 : “Agylla terrible aux Ligustinoi”) (et le Ps.-Scymnos l’utilise, à côté de la forme ligustikè, pour les Ligyens de l’Ouest [cf. n. 13]), d’autre part, la suffixation en-inos n’est pas d’origine spécifiquement latine ; ce suffixe, particulièrement productif aussi dans les autres langues italiques, est présent dans le grec italiote ou sicéliote, comme en témoigne le nom des Grecs de Rhégion (Rhéginoi), de Tarente (Tarantinoi), de Métaponte (Metapontinoi) ou d’Agrigente (Akragantinoi), attestés dès Pindare ou Hérodote16. Quant à Polybe, il cite 18 fois les Ligyens, comme nom ou comme adjectif, dont 12 fois sous la forme ligystinpour désigner les Ligyens en général (notamment les mercenaires au service des Carthaginois) ou les Déciates et les Oxybiens, 3 fois sous la forme Ligyes (dont 1 fois en XXXIV, 10, 18 dans un passage connu à travers une citation de Strabon et 2 fois à propos de Timée), 3 fois sous la forme ligystik-(dont une fois en II, 31, 4, pour désigner la Ligystique d’Italie : après la bataille de Télamon, le consul L. Emilius, « traversant la Ligystique se jeta sur le pays des Boïens » ; une fois en III, 41, 4 [selon tous les manuscrits sauf un] pour désigner la côte de Pise à Marseille et une fois pour qualifier les boucliers utilisés par des soldats romains).
19Dans la partie conservée de son œuvre, Polybe ne cite pas les Salyens et Hannibal reste sur la rive droite du Rhône avant de le franchir à quatre jours de marche de l’embouchure où s’est ancrée la flotte de Scipion : la traversée du fleuve depuis le pays volque se ferait donc au-delà du territoire des Salyens, chez les Cavares. Mais Polybe (III, 41, 9) signale aussi que Scipion, pour remonter la vallée du Rhône, sur la rive gauche, de son point de débarquement vers l’armée d’Hannibal, utilise comme guides (donc pour leur connaissance du pays) des auxiliaires celtes à la solde de Marseille : ces auxiliaires pourraient être des Salyens.
20Polybe apparaît donc comme un auteur charnière dans la connaissance ethnographique du pays qualifié jusque là de ligystique : pour lui, les Ligyens habitent encore les montagnes au nord-est de Marseille, mais le bas Rhône lui apparaît occupé par des Celtes. Dans sa géographie qui reste celle d’Ératosthène, l’arrière-pays entre Gaule et Italie n’est pas encore parfaitement perçu, notamment par rapport à Marseille. Il pourrait cependant être, en fonction des parties de son œuvre qui nous manquent, le premier de ces auteurs grecs qui, selon Strabon, nomment les Salyens Celto-ligyens et leur attribuent un territoire supplémentaire dans la basse vallée du Rhône, entre Rhône et Durance : il est vraisemblable que c’est l’ajout de ce territoire qui justifie la nouvelle définition et Polybe, le premier, y signale la présence de Celtes.
21Dans la littérature grecque, le terme de Celtoligyens apparaît une autre fois chez le Pseudo-Aristote (Des Singularités merveilleuses, 85), compilation de la fin du IIIe s. de notre ère, à propos d’une voie héracléenne d’Italie en Ibérie : « On dit qu’il y a une route, appelée héracléenne, de l’Italie jusqu’en Celtique, jusqu’au pays des Celto-ligyens et à celui des Ibères, sur laquelle tout voyageur grec ou indigène se trouve sous la protection des riverains afin qu’il ne subisse aucun dommage ; car ceux qui seraient responsables d’un dommage paieraient une amende ». La Celtique dont il est question, c’est logiquement la Cisalpine. Ce texte sur l’immunitas attachée à la route n’est pas sans en rappeler une autre, plus restreinte, rapportée par Strabon (IV, 6, 3) signalant « qu’après quatre-vingts ans de guerre contre les Ligyens et les Salyens, les Romains obtinrent à grand-peine que le passage fût laissé libre sur une largeur de 12 stades à ceux qui l’empruntaient pour le service de l’état » ; l’information est habituellement mise en rapport avec la bande de 12 à 8 stades évacuée par C. Sextius Calvinus le long du littoral et remise aux Massaliotes (IV, 1, 5). Y. Roman (1991) a proposé de distinguer les deux opérations et de lier la première à l’intervention d’Opimius en 154 (les 80 ans de guerre débutant avec les premières opérations contre les Ligures d’Italie en 238). La principale objection est que Strabon parle de 80 ans de guerre contre les deux peuples des Ligyens et des Salyens, qu’Opimius n’est intervenu que contre les Ligyens Oxybiens et Déciates et que la première intervention romaine connue contre les Salyens est celle de M. Fulvius Flaccus en 124. Strabon nous fournit pourtant la clef d’interprétation. Il nous précise, en effet, que si les Romains combattirent les Ligyens et les Salyens, c’est parce qu’ils « leur barraient les passages vers l’Ibérie, du moins ceux par le littoral ». Or cette remarque ne prend tout son sens qu’à partir du moment où les Romains sont installés en Espagne. Cela se passe après les campagnes de Scipion au cours de la deuxième guerre punique et l’expulsion des Carthaginois et où son départ pour l’Afrique, à la fin 206, est retenu comme point de départ de l’ère des provinces romaines d’Espagne Ultérieure et Citérieure : d’abord confiées à des généraux cum imperio, mais sine magistratu, leurs limites ne seront définies que par les préteurs élus en 198 (Richardson 1996, 41-51). Or Toynbee (1965, 252-285) a bien montré que c’est à partir de 203, lorsque Magon, rappelé à Carthage, quitte la Ligurie où il s’était installé depuis 205, que les Romains reprennent la conquête de la Gaule Cisalpine et entament systématiquement celle de la Ligurie où les campagnes sans lendemain de 238/233 et 225/223 avaient été interrompues par la guerre hannibalique qui avait révélé la dangerosité des peuples gaulois et ligures du nord-ouest de la péninsule. La nécessité des relations avec l’Espagne représente un objectif supplémentaire. Toynbee propose de dater l’ouverture de la via Aurelia jusqu’à Pise en 200 ; au-delà, les Ligures Apuani et Ingauni furent définitivement soumis dans les années 180 et la colonie romaine de Luna fondée en 177. D’autres triomphes sont célébrés sur les Ligures entre 166 et 155 et, en 154, Q. Opimius intervient contre les Ligures Oxybiens et Déciates. Le décompte des 80 ans est donc à faire à partir des dernières années du IIIe s. et se termine en 123 avec les campagnes de Sextius contre les Salyens. Comme Strabon précise que la bande de 12 stades libre pour le service de l’état concerne la route « menant en Ibérie par le littoral », alors que le texte du Pseudo-Aristote évoque plutôt celle qui par la Cisalpine traverse les Alpes au col du Mont-Cenis ou du Mont-Genèvre et rejoint la vallée de la Durance, on pourrait envisager qu’Opimius avait certes dégagé une première bande dans la zone orientale prolongeant les conquêtes de Paul-Émile17, mais que c’est Sextius Calvinus qui l’avait prolongée jusqu’à Marseille le long du littoral salyen, « n’ayant pu lui-même triompher complètement des Salyens et étant juste assez fort pour les obliger à reculer » jusqu’à 12 ou 8 stades de la mer. Les deux informations transmises par Strabon en réalité se complètent, car elles sont faites dans deux contextes différents : la première dans le contexte des relations entre Salyens et Massaliètes, la deuxième dans le contexte de la lutte des Romains contre les Ligyens et les Salyens. « Après cela », ajoute Strabon, – c’est-à-dire dès 122/121 et la défaite des Allobroges auprès de qui s’étaient réfugiés les chefs salyens ou encore en 90 après leur révolte matée par C. Caelius –, « les Romains les abattirent définitivement ». Entre temps, la conquête de l’Espagne a été complétée pour toute la moitié orientale et consolidée par la prise de Numance en 133 et la route du littoral salyen peut faire sa jonction avec celle menant d’Emporion au Rhône, qui était sans doute déjà sous le contrôle de Rome18. En tout état de cause, on y reviendra plus loin, le terme de celto-ligyen doit avoir été employé dans la courte période qui sépare le voyage de Polybe (vers le milieu du IIe s.) de la conquête romaine de la Transalpine : avant lui, il n’y a pour les géographes grecs que des Ligyens, alors qu’après l’intervention romaine de 124-121, on connaît la nature véritable des peuples établis dans le bas Rhône et à l’est du fleuve. C’est donc à la même époque que renverrait le texte du Pseudo-Aristote dont la route héracléenne – peut-être la voie grecque par les Alpes Graiae (= grecques), l’une des cinq routes à travers les Alpes mentionnées par Varron, d’après Servius (Commentaire à l’Enéide, X, 13) – n’aurait rien à voir ni avec Opimius ni avec Sextius.
22Stéphane de Byzance, en utilisant pour Agathè/Agde la formule « ville des Ligyens ou des Celtes » (c’est-à-dire, bien sûr, “chez les Ligyens ou chez les Celtes”), n’évoquait pas le terme de celto-ligyen, mais l’éventuelle existence de deux villes du même nom, avant d’estimer qu’il s’agissait d’une seule et même ville : à côté de Scymnos, Timosthène, Eudoxe et Philon, qui parlaient de ville des Ligyens, il disposait manifestement d’une autre source, postérieure (Arté-Artémidore ?) qui situait Agde chez les Celtes.
23Des auteurs grecs contemporains de Polybe, susceptibles d’avoir mis à jour les informations concernant la Gaule méridionale et d’avoir utilisé le qualificatif de celto-ligyen, comme Callisthène, Hipparque ou Apollodore (cf. n. 19), seules subsistent des bribes de leur œuvre.
1.3. Ligyens et Salyens chez les auteurs grecs de la conquête de la Transalpine à Strabon
24Après Polybe, les deux grands géographes de langue grecque sont, pour l’Occident, Artémidore et Poseidonios qui eux aussi ont fréquenté les régions qu’ils décrivent, mais dont les écrits ne nous sont connus que par des fragments cités par d’autres auteurs. Un autre point commun d’Artémidore et de Poseidonios est que leur témoignage est postérieur à la conquête romaine de la Transalpine. Si Polybe avait déjà affirmé la celticité des peuples “ligures” du bas Rhône occidental, c’est seulement grâce à cette intervention politico-militaire que les géographes ont pu préciser leur identité et l’étendue de leurs territoires à l’Est du fleuve. On en a sans doute le témoignage dans la rédaction des Fastes triomphaux de M. Fulvius Flaccus en 123 et de C. Sextius Calvinus en 122 : de Liguribus Vocontieis Salluveisque où la distinction est clairement faite, pour la première fois, entre Ligures et Salyens. Je préfère, en effet, considérer que les Fastes énumèrent trois peuples distincts plutôt que faire de Vocontieis et Salluveis des ethniques précisant les tribus du peuple des Ligures : par comparaison avec la formulation des autres triomphes, les deux lectures sont, en effet, possibles.
25Artémidore (vers 100 av. J.-C.) situe l’étang de Berre (palus Mastrabala d’Aviénus ; stagnum Mastromela de Pline) en terre celte (ap. St. Byz., s.v., Μαστραμέλη, πόλις καὶ λίμνη τῆς Κελτικῆς. Ἀρτεμίωρος ἐν τῇ ἐπιτομῇ τῶν ἕνδεκα). C’est à lui aussi qu’il faut vraisemblablement assigner la notice ap. St. Byz. s.v., Ταυρόεις, πόλχς Κελτική, suivie du récit de fondation, attribuée par St. de Byzance à Apollodore19, mais avec référence au livre I des Géographouména, œuvre d’Artémidore : Tauroeis, colonie de Marseille, située au Brusc (Var), appartient au pays celte. On notera enfin qu’Artémidore utilisait la forme latine Ligures, pour désigner les Ligyens, si l’on en croit Stéphane de Byzance, s.v., Λίγυρες, ἕθνος προσεχὲς τοῖς Τυρρηνoῖς. Ἀρτεμίδωρος ἐν ἐπίτομῇ τῶν ἕνδεκα. (cf. aussi Δερτών, πόλις Λιγύρων. Ἀρτεμίδωρος ἐν ἐπιτομῇ τῶν ια' “τὴν καλουμένην Δερτῶνα πάλιν”)20.
26Poseidonios (début du Ier s. av. J.-C.) est nommément cité par Strabon (III, 4, 17) comme source d’une anecdote située en terre ligystique, sur le domaine du massaliote Charmoléon dont il fut l’hôte. La même anecdote est reprise par Diodore de Sicile (IV, 20), qui en fait une caractéristique des Ligyens d’Italie et dans la compilation dite du Pseudo-Aristote (Des Sing. merv., 91) à propos des Ligyens en général : c’est donc sur le territoire d’Antipolis ou de Nikaia que Poseidonios a été le témoin de ce fait divers, comme on doit le déduire aussi de la définition territoriale des Ligyens par Strabon.
27Polybe, Artémidore et Poseidonios représentent les sources principales de Strabon21 et de Diodore de Sicile, les deux auteurs sur qui repose l’essentiel de notre information dans la mesure où les œuvres d’Artémi dore et de Poseidonios ne nous ont pas été transmises. Mais en outre Strabon connaît le découpage administratif augustéen de l’Italie et des provinces. Il distingue les Salyens des Ligyens, les considère comme des Celtes et leur attribue l’espace correspondant de son temps aux trois cités de Fréjus, Aix et Arles. Diodore (V, 32, 1) qui ne nomme pas les Salyens, situe les Celtes « dans l’arrière-pays de Marseille et aux abords des Alpes et de ce côté-ci des Pyrénées ».
28C’est dans ce contexte que Strabon effectue la présentation des peuples et de leur localisation. Il propose ainsi pour les Ligyens une triple définition, géographique, ethnique et administrative. Pour lui (IV, 6, 1), la limite entre l’Apennin et les Alpes est à la hauteur de Savone, limite aujourd’hui encore entre l’Apennin Ligure et les Alpes Ligures. De là, l’affirmation au livre II, 5, 28 : « Les Alpes abritent dans leurs monts diverses peuplades, toutes de race celte, sauf les Ligyens ; ceux-ci sont d’une race différente tout en ayant un mode de vie très voisin » ; or pour Strabon la distinction de race passe d’abord par la langue, l’aspect physique et le mode de vie, comme il le note pour les Aquitains (IV, 1, 1 et 2, 1) ou pour les Arabes (I, 2, 34). Strabon est d’accord avec Polybe pour qualifier les Oxybiens et les Déciates de Ligyens (IV, 1, 10 ; 6, 2). Pour lui, en effet, la zone qui va du Rhône au Var est occupée, en partant du Rhône, par les Salyens et, « à l’autre extrémité, par les Ligyens aux confins avec l’Italie » (IV, 1, 9). Car il les situe aussi dans le cadre de la nouvelle organisation administrative augustéenne. Pour lui, la limite entre Italie et Narbonnaise est sur le Var : donc les Ligyens, peuples pérégrins, comme les Allobriges, dont il précise qu’ils sont soumis au gouverneur de la Narbonnaise (IV, 6, 4), ce sont les Déciates et les Oxybiens. Mais la frontière administrative ne correspond pas à la frontière ethnique : elle coupe les Ligyens en deux, et même en trois. En effet, à l’Est du Var, au-delà du territoire massaliète de Nikaia, les deux grands peuples ligyens du littoral sont les Intemelioi et les Ingaunoi qui appartiennent à la province de Ligurie tandis que ceux de la montagne appartiennent au district des Alpes Maritimae (IV, 6, 4)22. Strabon est très clair sur le point que le Var marque la frontière avec l’Italie et il y revient à plusieurs reprises23 et pour lui, c’est après le territoire d’Antibes que commence le territoire des Salyens, définis comme Celtes, dont ne font partie ni les Déciates, situés entre Antibes et le Var, ni les Oxybiens qui ne doivent donc être placés, ni dans la basse vallée de l’Argens, ni dans l’Estérel (où d’ailleurs l’archéologie révèle le vide de tout habitat y compris sur la côte)24, mais sur le littoral (où se trouve le port d’Oxybios) entre la Siagne et Antibes et sans doute faut-il leur rattacher les habitants des îles de Lérins (« les îles des Ligyens » par opposition aux Stoechades définies « îles des Massaliotes », en II, 5, 30).
29De même, Strabon livre à la fois une définition géographique et ethnique des Salyens. L’espace géographique comprend le littoral et les Alpes en arrière du littoral, d’au-delà de Massalia jusqu’au territoire d’Antibes (IV, 1, 3 ; 1, 5 ; 1, 6 ; 1, 9 ; 6, 3), et vers l’intérieur « les plaines et les montagnes » entre Massalia, le Rhône, la Durance, le Lubéron et les Alpes (IV, 1, 11 ; 6, 3). La définition ethnique précise les peuples qui les bordent, en dehors du littoral où ils sont mêlés aux Grecs (IV, 6, 3) :
- vers l’Est, les Ligyens (IV, 1, 3 ; 1, 9) ;
- au delà de la Durance, d’Avignon à Cavaillon, les Cavares (IV, 1, 11)
- vers le Nord, les Albiens, les Albièques et les Voconces (IV, 6, 4)
- à l’Ouest, sur la rive opposée du Rhône, les Volques (IV, 1, 12).
30Strabon fait peut-être aussi allusion à une frontière politico-administrative impliquant les Salyens occidentaux. On sait que la zone au Nord des Alpilles fait l’objet, depuis C. Jullian, en fonction des limites des diocèses, d’un débat d’attribution entre les cités d’Arles et d’Avignon25. Ph. Leveau (1999, 106-107 ; 2000) l’a récemment relancé en l’élargissant. Pour montrer qu’un fleuve, en l’occurrence le Rhône, pourrait ne pas constituer une frontière naturelle intangible, Ph. Leveau, s’appuyant sur un passage de Tite-Live (XXI, 26, 6-7) qui note qu’au moment du passage d’Hannibal, les Volques habitent (colunt) les deux rives du fleuve, envisage qu’Avignon, ville des Volques, ait pu connaître plusieurs phases au cours du Ier s. av. J.-C. : remise aux Massaliètes par Pompée (César, BC, I, 35)26, réintégrée au domaine volque après 49 (CIL, XII, 1028), elle aurait été finalement une division du territoire cavare sous Auguste lorsque le Rhône devient une frontière inter-cités (Strabon, Pomponius Mela, Pline). Malheureusement, alors qu’ils écrivent à partir des mêmes sources – auxquelles Polybe a ajouté une enquête personnelle –, l’affirmation de Tite-Live sur le contexte ethnique du franchissement du Rhône n’est pas corroborée par Polybe, malgré ce qu’écrit Ph. Leveau (2000, 41) : au contraire, Polybe (III, 42-43) oppose, sans les nommer, mais en distinguant les peuples des deux rives, la collaboration des peuples de la rive droite du Rhône, fournissant bateaux et bois d’œuvre, à l’hostilité de ceux de la rive gauche qui tentent de s’opposer par les armes à la traversée de l’armée carthaginoise. Il n’est pas interdit, il est vrai, d’envisager que deux tribus d’un même peuple aient pu avoir des attitudes différentes. Mais Tite-Live précise que la plupart des Volques de la rive droite sont passés sur la rive gauche pour s’opposer à Hannibal : il y a donc une stratégie contradictoire au sein du même peuple dont une partie s’active à aider Hannibal pour qu’il passe au plus vite, tandis que l’autre prend les armes pour s’y opposer ; à moins qu’il ne s’agisse d’un véritable piège orchestré dans le but (et avec l’ambition) de se débarrasser d’une armée bien encombrante. Il n’est pas impossible de croire qu’Avignon volque, abritant un praetor Volcarum, magistrat confédéral, aurait pu devenir du jour au lendemain le chef-lieu du peuple des Cavares, Avennio Cavarum, par la volonté romaine qui, par ailleurs, semble tenir compte des subdivisions ethniques de Narbonnaise dans la promotion des chefs-lieux de cité tout en n’hésitant pas à trancher dans le vif ; alors les Cavares27 ne seraient-ils qu’une branche détachée des Volques Arécomiques et divisée elle-même en plusieurs unités, parmi lesquelles celle d’Avignon aurait été récompensée par l’accession à l’autonomie à travers l’octroi du droit latin, puis, sous Auguste, du titre de colonie latine ?28. Chez Strabon, les Cavares apparaissent comme une vaste entité au point que G. Barruol (1969, 231-272) en a fait une grande confédération ; or, ils y sont décrits à partir d’informations puisées en particulier chez Artémidore, qui a parcouru la région – où il a vu, par exemple, “la position vraiment aérienne” d’Aéria –, à un moment où, selon le schéma de Ph. Leveau, les Cavares devraient être définis comme des Volques. Pas plus que le Rhône, la Durance n’est une frontière naturelle intangible : on a vu que l’ethnie des Salyens l’enjambe sans doute jusqu’au Lubéron. Dans ce cas, pourquoi la promotion augustéenne envers les Cavares d’Avignon (qu’ils aient été ou non des Volques) ne leur aurait-elle pas en même temps fait franchir ce fleuve et englober la zone au nord d’Arles dans une région attribuée par ailleurs ethniquement aux Salyens ?29. On sait que, sur ce point, Strabon (IV, 1, 12) emploie une formulation qui pourrait trouver un écho dans la géographie un peu elliptique de Pomponius Mela (II, 79 : « Le Rhône débouche entre les Volques et les Cavares ») :
« Les Volques sont voisins du Rhône et ont les Salyens et les Cavares qui s’étendent en face d’eux sur la rive opposée30. Mais le nom des Cavares l’emporte et on qualifie ainsi désormais tous les barbares de cette rive, qui d’ailleurs ne sont plus des barbares, puisqu’ils ont pour la plupart adopté le modèle romain, aussi bien pour la langue que pour le mode de vie, voire même pour le système politique ».
31Cela ne veut-il pas dire que déjà du temps de Strabon, c’est-à-dire à la suite de la réorganisation augustéenne, toute la zone de rive gauche du Rhône au nord d’Arles est passée dans le domaine politique cavare (ce qui n’est pas en contradiction avec son rattachement à l’ethnie des Salyens par Ptolémée et Strabon lui-même), c’est-à-dire intégrée, non dans la cité d’Arles, mais dans la cité d’Avignon, Avennio Cavarum, selon Pline ? La densité d’oppida latina s’y accorderait bien avec la remarque de Strabon sur l’adoption du modèle romain.
2. Ligyens, Celtes et Celto-ligyens
32Strabon situe sa réflexion dans le cadre de l’évolution de la géographie historique grecque et de la confusion entre un sens ethnique et un sens géographique en un temps où géographie et ethnographie (et traditions mythologiques) ne sont pas des domaines autonomes et où la découverte progressive du monde et les délais de son enregistrement par les auteurs modifient peu à peu, mais lentement, les données disponibles. Ce qu’explique très bien Strabon lui-même : défendant la vérité des informations transmises par Homère parce que conformes aux vues et aux réalités de son temps – c’est au lecteur à discerner la part de vérité en se replaçant dans le contexte – et estimant pour cela qu’il est inutile de les contester, il prend successive ment comme exemples la connaissance qu’Homère avait du Nil et de l’Égypte, de l’isthme arabique et de l’Éthiopie, à propos de laquelle il note :
I, 2, 27 : « Je dis ceci au sujet de l’opinion des anciens [auteurs] Grecs : de même qu’ils appelaient les régions situées vers le Nord, celles connues, du nom unique de Scythes ou de Nomades, comme le fait Homère, de même que celles des régions situées vers l’Ouest, une fois connues, furent désignées du nom de Celtes et d’Ibères ou du nom mixte de Celtibères et de Celto-scythes, tous les peuples étant ainsi rangés par ignorance sous un seul vocable, de même toutes les régions du Midi vers l’Océan étaient appelées Éthiopie. (...) [I, 2, 28] Si donc les [auteurs] suivants ont restreint les Éthiopiens et ce que dit Homère des Pygmées aux seuls peuples voisins de l’Égypte, cela ne saurait en rien affecter les faits anciens. Aujourd’hui, en effet, nous n’appelons plus Achéens et Argiens tous ceux indifféremment qui ont pris part à l’expédition contre Troie, alors qu’Homère le fait ».
33Un auteur peut commettre des erreurs par ignorance, l’important est qu’il n’ait rien dit de mensonger. Le rôle du géographe est donc de corriger, mais aussi de compléter le système géographique de ses prédécesseurs parce que la science a progressé et que de nouvelles régions de l’œkoumène ont été explorées.
34Comme les Éthiopiens sont le nom générique de tous les peuples du Sud de l’œkoumène, les Indiens de ceux de l’Est et les Scythes de ceux du Nord, le monde est occupé à l’Ouest par les Ibères et par les Celtes31, qui, de l’Océan aux Scythes, s’intercalent entre les Ibères et les Hyperboréens situés au-delà du monde connu. Rendant compte de l’existence d’un peuple ibère autour du Caucase, A. Dominguez Monedero32 a montré comment le même nom d’Ibères a été donné par les Grecs à deux peuples situés aux deux extrémités du monde à cause de leur richesse mythique ou réelle (la Colchide de la Toison d’or d’un côté, Tartessos de l’autre), comme le note Strabon (XI, 2, 19). Or, on trouve peut-être le même schéma avec les Ligyens, présents à l’Ouest et au Nord33, comme parallèle à une dénomination générique de peuples des confins, même si la tradition est plus floue. Une autre tradition est plus largement attestée. Si l’on en croit les sources d’Aviénus34, les Ligyens occupaient à l’origine les espaces septentrionaux dévolus ensuite aux Celtes qui les en auraient chassés35. À leur tour, ayant atteint le littoral méditerranéen jusqu’à la mer Sarde (v. 628-630) et pénétré jusqu’en Ibérie, où Aviénus situe un ligustinus lacus où naît le fleuve Tartessos et Stéphane de Byzance une ville du nom de Ligustinè, « ville des Ligyens, près de Tartessos », ils en auraient chassé une partie des peuples, selon une tradition qui faisait des Sicanes « des Ibères délogés par les Ligyens des rives du Sicanos en Ibérie »36 ; à une date haute puisque l’on sait que les Sicanes étaient considérés comme les plus anciens habitants que les colonisateurs grecs trouvèrent établis au VIIIe s. en Sicile.
35Au temps de la géographie d’Hécatée et d’Hérodote, l’Occident est donc défini par les peuples qui l’habitent (les Ibères, les Ligyens, les Celtes) ou par un adjectif ethnique qualifiant un territoire (ligustikè ou kéltikè gè) ; l’Ibérie est déjà un nom géographique, un choronyme, qui désigne la côte méditerranéenne orientale de l’Espagne à la suite du royaume de Tartessos. Alors que pour Hérodote (II, 33), après avoir noté que le cours de l’Istros commence « chez les Celtes près de la ville Pyrénè », « les Celtes sont au-delà des Colonnes d’Héraclès, jusqu’aux Kynésiens, qui eux sont les derniers habitants de l’Europe du côté du Couchant », les Ligyens sont situés le long du littoral entre l’Ibérie et les Étrusques : mais si les Étrusques constituent un peuple assez bien repéré par les auteurs grecs, les Ligyens, comme les Ibères ou les Celtes, sont encore un nom générique recouvrant un ensemble de peuples dont on découvre peu à peu l’extension et d’éventuels ethnonymes dans le même temps où ils évoluent. La distinction entre ces blocs et leur définition territoriale se modifie et se précise avec les contacts, plus lentement pour les Celtes, qui restent longtemps mal cernés – comme le rappelle Strabon (II, 1, 41), « Timosthène, Ératosthène et leurs prédécesseurs ignoraient tout des choses de l’Ibérie et de la Celtique » – et dont la caractérisation et notamment la différence avec les Ligyens paraissent se résumer à une opposition peuples du littoral/peuples de l’intérieur. À l’ouest du Rhône, la frontière évolue entre Ibères et Ligyens : si pour le Pseudo-Scymnos et le Pseudo-Scylax, les Ligyens commencent au-delà d’Emporion, pour le premier, ils occupent tout l’espace, pour le second ils y sont mêlés aux Ibères, tandis qu’Aviénus retient de ses sources qu’ils s’y succèdent. Notons que, dans ce secteur, pour les auteurs grecs de cette période, ce n’est pas avec les Celtes que les Ligyens se mêleraient, mais avec les Ibères. Or ces informations issues de contacts en général limités au littoral s’accordent avec les informations archéologiques qui constatent la continuité des habitats dans un contexte de culture matérielle fortement ibérisé, témoignant notamment de l’impact du commerce ibère et de la présence d’Ibères, documentés dès le IVe s. par des inscriptions en alphabet et langue ibères, depuis le site de Pech Maho jusqu’à celui d’Ensérune, où l’ibère apparaît comme une langue véhiculaire utilisée indifféremment par leurs habitants aux noms ibères ou celtes37. À l’Est du Rhône, zone toujours définie comme ligyenne, l’archéologie constate la même continuité d’occupation que paraît confirmer un indice onomastique : les Sigunnoi ligyens d’Hérodote trouvent un parallèle dans le nom Segunnos (premier élément sig-/seg- avec alternance i/e résultat de l’évolution phonétique), au sanctuaire de l’Acapte (Hyères, Var), dans le dernier quart du IIe s., en compagnie d’une vingtaine d’autres non-Grecs, tous du stock gaulois38. On rappellera dans le même sens l’information de Trogue-Pompée à propos de la fondation de Marseille « inter Ligures et feras gentes Gallorum », où il semble mêler tradition ancienne (les Ligures) et réalité contemporaine (les Gaulois), mais où l’ethnique des Segobrigii39 ne peut être que celte, de même que sont celtes les noms de Comanos40, fils de Nanos, et de Catumandos, chef local du début du IVe s. Il y a plus : aujourd’hui, il apparaît que les statues des guerriers assis de Roquepertuse, de Glanum et de Constantine, qui présentent une position et une cuirasse identiques à celles d’une figurine de bronze de Glauberg (Frey, Herrmann 1997), peuvent être replacées dans un contexte celte plus large au moins à partir du Ve s. av. J.-C. On ne peut manquer d’évoquer en parallèle, dans le même domaine, le buste hermaïque sans tête, mais orné d’un torque à la base du cou, retrouvé, en Languedoc oriental, sur l’oppidum du Marduel dans un contexte antérieur à la fin du VIe s. av. J.-C. (Py 1994). À l’autre bout de la terre ligystique, les quelques données épigraphiques de la Lunigiana, vers 500 av. J.-C., en alphabet étrusque, témoignent d’une langue celte, de même que l’inscription de Gênes, en langue et alphabet étrusques (mi nemeties), révèle une onomastique celte ; et on se souviendra que les inscriptions lépontiques de la zone de Golasecca attestent dès le VIe s. une langue de type celte chez des populations considérées par les anciens comme ligures (tels les Lepontii ou les Laevi). D’où la proposition de Prosdocimi (1986 ; 1987) de relier le “ligure” d’Italie au pré-celte d’une ancienne et vaste unité où des aires transalpines (centres hallstattiens, puis laténiens) auraient innové pour donner le celte au sens strict, avec des zones de diffusion (d’où lépontique, puis gaulois en Cisalpine, liés ou non à des invasions que Tite-Live voit continues depuis les Bituriges de Bellovèse au début du VIe s. jusqu’aux Sénons de la prise de Rome au début du IVe s.) et des zones qui se seraient tenues à l’écart (ligure). Ce schéma, élaboré pour l’Italie, pourrait aussi bien s’appliquer à la Gaule : une “celticité” par contamination, qui s’est faite peu à peu, avec des déphasages marginaux, mais de façon unitaire avec les aires d’origine. On aboutit ainsi à des degrés (et des aspects) de celticité dont la perception par les témoins étrangers est elle-même déphasée.
36Il faut attendre, en effet, le IIe s. pour assister à un tournant dans la connaissance ethnographique de la Gaule méridionale avec les enquêtes de Polybe sur l’équipée d’Hannibal, qui décrivent une situation applicable au IIIe s. : aux Ibères jusqu’aux Pyrénées font suite les Celtes jusqu’au bas Rhône et aux Alpes41. C’est alors que l’on forge vraisemblablement le terme de Celto-ligyen qui engloberait déjà les Salyens reconnus dans la partie occidentale. On a voulu voir dans ce terme l’expression d’un mélange de populations dû, essentiellement, à l’arrivée des Celtes sur un substrat ligure42. Or le terme de celto-ligyen a des parallèles en grec, « celtibère », « celto-scythe », « liby-phénicien », « sardo-libyen », « helléno-scythe », « helléno-galate », etc., mais le contenu n’en est pas clair. A. Piganiol (1973) avait remis en cause la démonstration de Schulten selon lequel « toutes les fois qu’un peuple porte un nom composé, le premier élément du nom a valeur d’un adjectif, le second d’un substantif qui seul désignerait l’origine ethnique » : ainsi les Sardo-libyens seraient les Libyens qui habitent la Sardaigne. En effet, les choses ne sont pas aussi simples, les auteurs antiques eux-mêmes ayant varié dans le sens à attribuer à l’expression. Lorsque Hérodote (IV, 17) qualifie les Callipides d’hellénoscythes, il l’explique en disant « qu’ils ont sur les autres points le même genre de vie que les Scythes, mais qu’ils sèment et consomment du blé, ainsi que des oignons, de l’ail, des fèves et du millet » (comme les Grecs). Pour Diodore, les noms composés sont toujours, selon ses explications, ceux de peuples mélangés : tel est le cas des Liby-phéniciens (XX, 55), des Helléno-galates (V, 32) et des Celtibères (V, 33). Strabon, on l’a vu, explique le recours à un vocable unique, qu’il soit simple ou composé, par l’état d’ignorance où étaient les auteurs anciens au moment de la découverte de ces peuples. Dans les composés à base de “celte”, l’ethnique “celte”, qui qualifie le peuple le plus récemment reconnu, se trouverait ainsi accolé à un terme qui à l’origine recouvrait un espace ethnique et qui prend alors un sens géographique, l’Ibérie, la Scythie, la Grèce d’Asie. De la même façon, la périphrase ligustikè gè a perdu peu à peu son sens ethnique originel et ne conserve plus qu’une signification géographique : ainsi Ératosthène (ap. Strabon, II, 1, 40) appelait encore « “promontoire ligystique” celui qui descend jusqu’aux Colonnes d’Héraclès et porte de l’Ibérie », alors qu’il y connaît l’existence de Gadeira et des Ibères et, encore au temps de Strabon, nommait-on “mer Ligystique” la partie de Méditerranée comprise entre la “mer Ibérique” et les mers “Sarde” et “Tyrrhénienne” (II, 5, 19 et 29) tandis que notre golfe du Lion en constituait une sous-partie sous le nom de “golfe Galatique” (II, 5, 28 ; IV, 1, 6). Il est donc possible que d’autres peuples que les Salyens reçurent le qualificatif de Celto-ligyens. À partir du moment où Polybe découvre qu’une partie de la “terre ligyenne” s’avère peuplée de Celtes, on a dû qualifier de Celto-ligyens (mais pour peu de temps) des populations installées dans un espace nommé depuis l’époque archaïque “terre ligyenne”, peuples des plaines du Languedoc et du bas Rhône, nouvellement reconnus comme “celtes” par leur langue et leurs expressions culturelles plus que par leur mode de vie. Dans le même temps, les peuples encore définis comme Ligyens se retrouvent repoussés vers l’Est dans les zones montagneuses toujours mal explorées des Alpes de Provence, des Maures et de l’Estérel, nommées Apennin par Polybe. Il s’agit de peuples dont la “gallicisation”, moins avancée, sera finalement déviée par la conquête romaine qui fossilisera en quelque sorte l’état où ils sont parvenus à la fin du IIe s., en les incorporant dans un nouveau système politico-culturel.
37En effet, c’est la conquête romaine qui fournit les conditions pour faire la distinction ethnographique (essentiellement par la langue puisque Strabon reconnaît qu’ils ont “un mode de vie très voisin”) au sein des peuples des Alpes et montagnes provençales entre “Celtes” et “Ligures”. Une meilleure connaissance, acquise par l’intervention romaine de 124-123 (triomphes de 123 et 122 sur les Ligures, les Voconces et les Salyens dont la succession définit la marche victorieuse des armées romaines), et les historiens géographes voyageurs, Artémidore et Poseidonios, permet de distinguer entre les Ligyens et les Celtes. En réalité, les premiers Celtes au-delà des Ligyens sont les Salyens dont le domaine commence précisément à l’ouest d’Antibes.
38Les Fastes triomphaux de M. Fulvius Flaccus en 123 et de C. Sextius Calvinus en 122, de Liguribus Vocontieis Salluveisque, marquent une rupture avec la géographie polybienne dans la définition de l’Apennin et des Alpes tout en confirmant et précisant ses acquis ethnologiques. Les armées romaines ont dû emprunter la route interne des Alpes par les cols de Larche (E. Pais) ou, plus vraisemblablement, du Mont Genèvre (C. Jullian) et la vallée de la Durance, comme cela est retenu en général : c’est la route qu’emprunte César, en 58, depuis la Cisalpine, pour aller barrer la route aux Hélvètes « en prenant au plus court, à travers les Alpes », parvenant en 7 jours « in fines Vocontiorum » (BG, I, 10), d’où il remonte vers le Nord, alors que les armées de 123/122 ont descendu la vallée de la Durance jusqu’au territoire des Salyens. Cet itinéraire est préférable à celui du littoral, par la route per Alpes maritimas, en principe dégagée depuis l’intervention de Paul-Émile contre les Intemilii (en 181) et d’Opimius contre les Déciates et les Oxybiens (en 154), puis la voie de l’Argens et de l’Arc (la future via Julia Augusta) ; dans ce dernier cas, en effet, il faudrait faire descendre les Voconces jusque dans la vallée de l’Argens dans une zone où Lépide dans une lettre à Cicéron nomme un Forum Vocontium, mais qualifié de Forum Voconii par Plancus, au même moment, dans une autre lettre à Cicéron et par les Itinéraires routiers postérieurs. Dans la nouvelle définition des Alpes, on retrouve ainsi un accord avec les expressions utilisées par Tite-Live qui qualifie Oxybiens et Déciates – situés, on l’a vu, par Polybe (XXXIII, 10) au-delà de l’Apennin –, de Ligures transalpins (Per., 47) et qui, dans la Per., 60 (« M. Fulvius Flaccus réduisit d’abord les Ligures transalpins par la guerre43 alors qu’il avait été envoyé au secours des Marseillais contre les Gaulois Salluviens qui pillaient le territoire de Marseille »), recoupe bien la distinction ethnique des Fastes entre Ligures et Salyens. Car ces Ligures transalpins, ce ne sont pas cette fois les Déciates ou les Oxybiens, mais des tribus des Alpes Cottiennes dans la région du Mont-Genèvre où Strabon (IV, 6, 6) situe des peuples Ligyens. Dans ce contexte, on comprend mal pourquoi Pline (III, 5, 47), dans sa description des peuples de l’Italie, revenant sur les peuples ligures transalpins les plus célèbres (d’après quelles sources ?), y inclut les Salyens (qu’il a cités par ailleurs dans le cadre de l’oppidum latinum d’Aquae Sextiae) à côté des Oxybiens et des Déciates44.
39Le territoire des Salyens de Strabon, dans un espace marqué par l’organisation de la province romaine, recouvre donc globalement le territoire des trois cités de Fréjus, Aix et Arles.
3. Les Salyens occidentaux d’après Strabon
40Dans la phrase de Strabon qui nous a servi de point de départ, il faut maintenant analyser le contenu des informations qui concernent la partie occidentale du territoire des Salyens : τὴν μέχρι Λουερίωνος καὶ τοῦ Ῥοδανοῦ πεδιάδα τούτοις προσνέμουσιν, ἀφ' ς οὐ πεζὴν μόνον ἀλλα καὶ ἱππικὴν ἕστελλον στρατιάν, εἰς δέκα μέρη διῃρημένοι : « (les [auteurs] suivants) leur attribuent en outre les régions de plaine jusqu’à Luério et jusqu’au Rhône, où, divisés en dix parties, ils équipaient des troupes non seulement d’infanterie, mais aussi de cavalerie ».
41τὴν μέχρι Λουερίωνος καὶ τοῦ Ῥοδανοῦ πεδιάδα (s-e γῆν ου χώραν). Luério présente une difficulté : G. Barruol45 l’identifie au Lubéron, tout en notant que Strabon ne mentionne jamais une montagne (ou un fleuve) sans article défini ou sans qualificatif (oros) ; le mot devrait désigner une agglomération, inconnue par ailleurs, mais dont la parenté avec le nom de la montagne est évidente. S’il fallait corriger46, on pourrait soit ajouter simplement l’article défini, soit, en se reportant à IV, 1, 1147, proposer, comme l’avait fait A. Coray au XIXe s., μέχρι τοῦ Δρουεντία, qui, en tout état de cause, donne la limite Nord du territoire occupé par les Salyens. En faveur de l’identification de Luério avec le Lubéron, il faut noter que les limites de la cité d’Aquae Sextiae incluent le pays d’Aigues entre Durance et Lubéron, ce qui est en accord avec le contact des Salyens avec les Albiens, les Albièques et les Voconces signalé par Strabon (IV, 6, 4). Quoi qu’il en soit, le territoire de plaines en question s’étend, géographiquement, de la plaine d’Aix à la Crau, la Camargue, la zone autour de l’Étang de Berre et la Petite Crau ; administrativement, il couvre, au temps de Strabon, vraisemblablement, la partie occidentale de la cité d’Aix, mais aussi la partie orientale de la cité d’Arles (et/ou méridionale de la cité d’Avignon).
42On l’a déjà dit, c’est cette partie du territoire des Salyens qui leur a fait attribuer la qualification de Celto-ligyens. Or le degré de celticité y apparaît particulièrement manifeste à travers l’usage de la langue et l’onomastique gauloise révélées par les inscriptions grecques et gallo-grecques des IIe-Ier s. av. J.-C. La figure 2 montre bien l’exceptionnelle concentration de ces inscriptions, en dehors du vide de la Crau (qui est aussi un vide d’habitat permanent) dans cette région occidentale, et combien elle s’oppose en ce domaine avec le reste du territoire salyen et au contraire se relie à celui des Cavares de la basse Durance et des Volques du Languedoc oriental : faut-il s’étonner que le Rhône et sa basse vallée aient constitué une zone plus ouverte que les montagnes de Provence orientale à l’impact de la “gallicisation” ?
43ἕστελλον στρατιάν : “équiper, mettre sur pied une armée, des troupes, des soldats” est une expression bien attestée chez Strabon48, notamment, avec une construction identique, en V, 1, 749 et en V, 4, 1250. Le verbe à l’imparfait désigne évidemment une action passée, avec un renforcement dans les deux exemples précédents par l’ajout de « autrefois » (cf. aussi VI, 3, 4) : elle peut être considérée dans sa durée, mais unique, équivalent souvent en français à un passé simple, mais également une action répétée, habituelle dans le passé. Il peut aussi marquer l’effort, la volonté, la capacité de faire une telle action (« étaient capables d’équiper »).
44εἰς δέκα μέρη διῃρημένοι : le verbe est un participe parfait moyen ou passif, avec donc deux possibilités de sens, au passif, « ayant été divisés », au moyen (le sujet fait l’action pour lui-même), « s’étant eux-mêmes divisés ». Le parfait exprime ici la situation existant au moment où les Salyens équipaient une armée, comme résultat d’une action antérieure. Διῃρημένοι au nominatif pluriel, accordé avec le sujet logique de estellon, s’applique donc normalement aux Salyens de la plaine. Mais on pourrait envisager aussi une syllepse (accord d’après le sens) entre stratian et dièrèménoi.
45Méros permet-il de choisir ? Or, μέρος est un terme général, “partie”51, utilisé des centaines de fois par Strabon avec un sens général de “partie”, et dont il faut a priori conserver cette valeur, même s’il est ensuite permis de s’interroger sur la “partie” que le mot recouvre. Quand il l’applique à stratia, Strabon désigne de façon anecdotique une portion d’armée qui se divise dans telle ou telle occasion52. En revanche, on retiendra comme significatifs les parallèles s’appliquant à un peuple ou un espace géographique ou politique53 :
- espace géographique et ethnographique
- Les Celtibères (III, 4, 13) et la Celtibérie (III, 4, 19) divisés en 4 (ou 5) “parties”, qui correspondent à des peuples54 ;
- espace géographique et politique
- Les Achaïens (VIII, 7, 4) divisés en 12 “parties” correspondant aux 12 cités de la confédération achaïenne55 ;
- La Thessalie (IX, 1, 4) dont le koinon (confédération) est divisé en 4 “parties” qui sont les 4 tétrades ayant à leur tête un tétrarque et où chaque domaine fournit fantassins et cavaliers pour l’armée confédérale.
46Ces parallèles nous invitent donc à envisager pour les Salyens occidentaux une division géographique en dix secteurs servant de base à une division ethnographique et/ou politique.
47Maintenant tournons-nous vers l’information que ces Salyens fournissaient des troupes d’infanterie et même de cavalerie : comme je l’ai déjà dit, l’imparfait indique qu’il s’agit d’une action éventuellement répétée dans le passé, mais qui, au temps où écrit Strabon, est terminée. Précisons tout de suite qu’il n’y a pas de liaison obligatoire entre l’attribution des zones de plaines aux Salyens et le fait qu’elles étaient divisées en 10 districts, alors que la liaison est évidente entre ces districts et l’équipement de troupes. Autrement dit, Strabon ajoute une nouvelle information qu’il ne tient pas obligatoirement des “auteurs grecs suivants”. Cette information pourrait donc venir aussi bien de Polybe (ou d’un de ses contemporains) que d’Artémidore, de Poseidonios ou d’un auteur postérieur (Timagène, Diodore, voire d’un auteur latin comme Trogue-Pompée ou Tite-Live). On peut envisager deux possibilités :
- les Salyens équipaient ces soldats pour eux
- soit avant la conquête romaine de la Transalpine : Polybe, Strabon ou Trogue-Pompée font allusion à de multiples combats que les Massaliotes eurent à soutenir contre leurs voisins, notamment en 154 au moment de l’intervention romaine contre les Déciates et les Oxybiens alors que, selon Polybe, « les Massaliotes étaient bloqués chez eux ».
- soit au moment de la conquête, lors des combats contre M. Fulvius Flaccus en 124 et C. Sextius Calvinus en 123, soit encore lors de la révolte de 90 matée par C. Caelius ;
- ils le faisaient pour le compte de Rome, en fournissant des troupes auxiliaires.
48En effet, selon Brunt 1971, il n’y a pas de témoignage clair de recrutement de citoyens en Gaule au cours du Ier s. av. J.-C. En 44-43, lorsque Lépide recréa trois légions en Espagne Citérieure et en Narbonnaise, il est vraisemblable qu’il ait puisé dans les villes romanisées non pourvues de la citoyenneté romaine et notamment dans les villes auxquelles César avait octroyé le droit latin connues grâce à Pline et dont un certain nombre se trouve chez les Salyens occidentaux, Aquae Sextiae, Anatilia, Caenicenses, Glanum, Libii, Tarusconienses. Mais il y eut des recrutements d’auxiliaires, depuis ceux enrôlés par Fonteius jusqu’aux 22 cohortes recrutées en Transalpine par César en 52 pour la défense de la province56 et à la Legio vernacula Quinta Alaudae, recrutée par César en Transalpine en 4957, qui faisait vraisemblablement partie des trois légions laissées pour le siège de Marseille (Brunt 1971, 468) : constituées d’indigènes qui reçurent plus tard la citoyenneté, il est possible que des Salyens y furent incorporés.
49Ma préférence va à la première possibilité et à un emprunt à Artémidore ou Poseidonios décrivant la situation au moment des combats entre Salyens et armée romaine en 124. Quelle que soit la solution retenue, il reste que la division en 10 secteurs peut s’appliquer à une organisation indigène d’avant la conquête ou à un découpage postérieur dû à (ou repris par) l’administration romaine, comme pourrait le suggérer la précision de l’information transmise par Strabon. Ainsi, Fl. Verdin58, privilégiant l’aspect militaire, hésite-t-elle entre « une organisation militaire imposée aux indigènes » par les Romains et « une organisation de type essentiellement militaire mise en place pour faire face à un adversaire commun, en l’occurrence Marseille alliée à Rome, dont l’existence aurait été éphémère » et se serait surimposée à l’organisation politique préexistante. En fait, on voit bien qu’au sein du peuple des Salyens ces districts recouvrent une circonscription territoriale correspondant à la fois à un groupement ethnique et à une subdivision de l’armée, une unité militaire : c’est la définition que donnait E. Sereni59 à l’unité de base d’une tribu, le pagus. Il est possible qu’il y ait eu entre ces pagi une organisation “confédérale”, selon le sens que l’on attribue à l’expression de “roi des Salyens” utilisée par l’abréviateur de Tite-Live (Per. 61) pour Toutomotoulo, à côté des dynastai cités par Appien (Celt., XII) à propos du même épisode. Ces unités territoriales (les 10 occidentales et d’autres, non signalées par Strabon, sur le reste du territoire salyen) se sont retrouvées plus tard insérées, à côté du territoire d’Aix60, dans les territoires des colonies romaines d’Arles, puis de Forum Iulii.
50En effet, ces 10 districts des « régions de plaine » des auteurs grecs précédant Strabon occupent en fait la zone attribuée par Ptolémée (II, 10, 8) aux Salyens avec, outre Aquae Sextiae, les cités de Tarusco, Glanum, Arles, Ernaginum. Si Aquae Sextiae est une création romaine, elle fut implantée à proximité de l’oppidum d’Entremont, fondé vers le début du IIe s., que l’on considère comme la capitale des Salyens61 au moment de la conquête romaine. Quant aux autres villes, elles occupent des sites déjà existants avant la fin du IIe s. av. J.-C. Mis à part Ernaginum et Arles, on note qu’elles figurent dans la liste des oppida latina transmise par Pline. La date d’attribution de ce droit est incertaine : on hésite entre César et les triumvirs. Ces villes et peuples dotés du droit latin représentaient en tout cas des entités ethniques ou politiques parvenues à un certain stade de développement interne. C’est parmi elles qu’on peut essayer de retrouver les autres « parties » (= tribus ou pagi) des Salyens : on doit retenir alors Anatilia, les Caenicenses, les Libii, auxquels on peut ajouter les Avatici (avec la ville nouvelle de Maritima Avaticorum, oppidum chez Pline et colonia chez Ptolémée, dont le nom évoque un site côtier par opposition à une autre ville existant déjà située à l’intérieur, par exemple, Mastramélè, citée avec l’Étang du même nom par Artémidore, mais aussi par Aviénus d’après des sources plus anciennes ?)62, tous villes et peuples particulièrement mal identifiés, mais dont le territoire se trouvait en tout cas chez les Salyens occidentaux63. Le dixième pourrait être, plutôt que les Comani, oppidum latinum de Pline, sur le territoire desquels Ptolémée situe Marseille (mais aussi Tauroentium, Olbia et Forum Iulii), la tribu (ou la ville) des abords de l’étang de Berre dont le nom commencerait par Soma( ) pour lequel l’inscription grecque ou gallo-grecque de Vitrolles mentionne un praitor : le titre pourrait désigner une magistrature, sinon confédérale comme le praetor Volcarum de l’inscription d’Avignon, du moins liée à une organisation politique nouvelle, comme le praetor de Nîmes, d’Aix, de Vaison ou de Carcassonne64.
51En somme, les informations transmises ici par Strabon pourraient s’appliquer à une situation existant déjà à la période de l’indépendance salyenne et reprise en compte dans l’organisation pré-impériale de la province romaine.
52La phrase de Strabon, qui m’a servi de point de départ, sous-entend un important travail de confrontation et de mise à jour de géographie historique. Cet auteur auquel on a reproché un manque d’esprit scientifique se révèle un informateur irremplaçable dans le domaine ethnographique et historique, trop souvent allusif à notre goût. Le cas des Ligyens est un exemple type de la mise à jour dynamique de la géographie grecque dont les auteurs, tout en n’oubliant jamais leurs prédécesseurs, les prolongent et les remettent en question. Comme l’a fait Strabon, mais moins bien que lui du fait de la perte de la plupart de ses références, nous pouvons essayer de suivre la mise au point de la définition de cet ensemble ethnique depuis sa définition la plus large jusqu’à son acception la plus étroite lorsque la conquête romaine a pénétré du littoral à l’intérieur des terres. Le point de départ est fourni par l’archéologie : c’est la révélation d’une unité culturelle de l’Europe occidentale (moins la zone ibéro-orientale) à la fin de l’Âge du bronze, « considérée comme le fait d’une civilisation commune, avec des accents différenciés selon la précocité, les dynamismes, les relations, les traditions et les évolutions régionales » avec déjà comme centre d’irradiation un vaste complexe culturel dénommé “Rhin-Suisse-France orientale”. Les populations méridionales y participent « tant pour la vaisselle quotidienne que pour les modes métalliques et tardivement pour les rites sépulcraux », tout en préservant leur propre identité en métissant ces apports (Gasco 2000). Avec toute la prudence qui s’impose, cette unité culturelle rejoint l’idée d’une unité linguistique pré-celtique, mais non “anticeltique” selon la terminologie de Prosdocimi (1987). Mais ces populations continuent à évoluer et aux apports continentaux s’ajoute bientôt l’impact des civilisations méditerranéennes qui ont joué un double rôle de séduction et de répulsion. Ces peuples qui du nord de l’Italie à l’Ibérie, placés entre les Ibères et les Étrusques, semblaient uniformes (et l’étaient certainement dans leur fond ethno-linguistique et culturel) se sont différenciés peu à peu. Du côté de l’Extrême-Occident, où les Ibères, qui étaient déjà à part, se sont plus vite individualisés au contact des navigateurs méditerranéens grecs et puniques et, aux Ve-IIIe s., ont directement relayé les rencontres et sont devenus les interlocuteurs privilégiés des Grecs, donnant l’impression d’une extension plus grande alors qu’ils n’occupaient, en Languedoc occidental, que les interstices de communication commerciale et linguistique au sein de populations différentes malgré le cadre d’une culture matérielle fortement ibérisée, comme l’attestent, par exemple, les tombes “pluriculturelles” d’Ensérune65, la frontière a pu paraître plus fluctuante. En outre, l’Extrême-Occident est resté longtemps pour les Grecs un monde inconnu, en fait l’extrémité du monde aux mystères insondables, où les explorations de Pythéas déclenchaient surtout l’incrédulité (à l’exception, semblet-il, d’Ératosthène). Les Phocéens de Marseille eux-mêmes se sont longtemps contenté de fréquenter les côtes, utilisant les indigènes comme relais de leur commerce au-delà du littoral. Le grand tournant est venu de l’affrontement Carthage/Rome et de l’expansionnisme romain qui en est résulté, d’abord vers l’Ibérie, puis vers la Gaule. Du côté de la science géo-historique, c’est Polybe qui a accompagné la véritable découverte de ce nouveau monde, révélant que ces “Ligyens” s’étaient “celtisés” au point qu’on les distinguait difficilement des Celtes de l’intérieur et repoussant les derniers Ligyens dans les zones montagneuses alpines et apenniniques où ils avaient vécu plus isolés des contacts extérieurs. R. De Marinis reconnaît que « tout exclut une nette opposition entre Ligures et Celtes du point de vue ethno-linguistique et témoigne en faveur d’une antique parenté ». Mais il estime que « la distinction opérée par les sources grecques et latines reposaient à l’évidence sur des éléments de caractère culturel, linguistique et de mœurs » et conclut que « même si les dialectes ligures appartenaient à une famille linguistique européo-occidentale comprenant les dialectes celtiques, sur le plan historique la distinction entre Ligures et Celtes transalpins doit être maintenue, dans la mesure où il s’agit de deux ethnies différentes, comme par exemple entre Français, Italiens, Espagnols qui appartiennent pourtant à la même famille linguistique »66. S’agit-il vraiment de deux ethnies différentes ou bien de degrés et de formes de celticité sur une base de peuplement “unitaire” à l’origine ? A. L. Prosdocimi insiste sur la « celticità come farsi e non come essere » et sur la dynamique des phénomènes d’irradiation du centre vers la périphérie pour expliquer les décalages d’évolution linguistique, préférant parler de dialectes celtes en formation plutôt que d’un celte “compact”. Polybe n’a pas retrouvé les Ligyens d’Hécatée, mais des peuples qui sont le résultat d’une évolution différentielle selon les contacts et les ouvertures, qu’il assimile cependant, sans difficulté, aux autres Celtes et qui eux-mêmes affirment leur parenté avec ces derniers67. Les derniers Ligyens sont les Ligures des Alpes et de l’Apennin qui sont restés à l’écart de l’irradiation gauloise laténienne. Que cette irradiation vers le Midi “ligyen” n’ait pas été accompagnée de déplacements de populations ou d’invasions, attestées à plusieurs reprises en Cisalpine (même si, selon Tite-Live, les Bituriges de Bellovèse ont traversé la Gaule et fait étape à Marseille avant de rejoindre l’Italie), les relations continues depuis la période hallstattienne, accélérées notamment sous l’impulsion des trafics méditerranéens, suffisent à l’expliquer par un cheminement à travers des relais différentiels intercommunautaires. Ainsi, les archéologues ont-ils depuis longtemps relevé l’existence de grands espaces culturels – occidental, bas-rhôdanien et oriental – en Gaule méditerranéenne, en place dès le premier Âge du fer, mais évoluant au gré des rapports de force internes, des dynamiques externes, des emprunts et des refus68. En fait, l’histoire des Ligyens rappelle que la construction ethnographique est continue. Pas plus que les Celtes continentaux, les Ligyens n’ont constitué un ensemble immobile. Les auteurs anciens ont eu du mal à les cerner au fil des siècles, à suivre leurs transformations, différents et en même temps proches des autres “indigènes” qu’ils découvraient des Alpes aux Pyrénées. Néanmoins, leurs textes, les témoignages linguistiques et matériels nous livrent quelques clefs qui nous invitent à chercher l’évolution du contenu derrière les mots. Contrairement à son succès de nos jours, le terme de celto-ligyen n’a guère eu de diffusion antique parce qu’il a correspondu seulement à un moment de la connaissance ethno-historique du monde occidental par les auteurs grecs anciens. Les historiens modernes devraient en prendre acte pour éviter de faire des Ligyens une réalité ethnique figée sans fondement.
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Notes de bas de page
1 Et non Monoikos comme le dit Arnaud 2001, 340 ; en effet, après avoir cité le port de Monoikos, Strabon poursuit : [Monoikos] « se situe à un peu plus de 200 stades d’Antipolis » et enchaîne : « Tout de suite après [Antibes] et jusqu’à Massalia et un peu plus loin encore, etc ».
2 Les textes antiques concernant les Ligures se trouvent réunis dans Forni 1976 que je n’ai malheureusement pas pu consulter.
3 Pour P. Arnaud 2001, 333, Strabon ferait l’équivalence entre Ligyens et Salyens et « entre la notion de Ligystique et le territoire contrôlé par Marseille », ce qui est contradictoire puisque les Salyens sont situés à l’est du Rhône tandis que le contrôle massaliète s’étend jusqu’en Espagne : le parallèle Ligyens/Celto-ligyens indique que, pour Strabon, les Salyens ne sont qu’un groupe appartenant à l’ethnie des Ligyens (ce que P. Arnaud retient explicitement, p. 337) et que le territoire de Marseille est inclus dans une « terre ligystique » plus vaste. On aura l’occasion d’y revenir plus loin.
4 Météorol., 368b32.
5 Le texte n’est pas clair : il pourrait y avoir une lacune avant ou après ; mais on doit retenir l’allusion à des colons de Marseille sur le littoral provençal, ce qui, en fonction de ce que l’on sait de la chronologie des epiteichismata massaliotes, pourrait être un argument contre l’attribution de ce Périple, défendue par Peretti 1979, à Scylax de Caryanda.
6 Cf. Barruol 1969, 222, n. 1.
7 Une des raisons pour Arnaud 2001 de distinguer Ligyens de Gaule et Ligures d’Italie.
8 Bonamici 1996 ; Gras 2000.
9 Lamboglia 1939, 6, n. 5 et 232-233.
10 Polybe cite Pise comme la première ville étrusque au-delà du territoire des Ligyens, mais Tite-Live (XLI, 13, 5) note que l’ager Lunensis « Etruscorum ante quam Ligurum fuerat ».
11 Ἀγάθη, κόλις Λιγύων ἢ Κελτὼν. Σκύμνος δὲ Φωκαέων αὐτήν φησιν ἐν τῂ Εὐρώπῃ... εστι δὲ καὶ ἄλλη πόλις, ὡς Φίλων, Αιγυπτίων, ἐπὶ λίμνης Λιγυστίας. τάχα δ' ἡ αὐτή ἐστι τῇ πρώτῃ, ὡς, Εὔδοξος. La notice de St. de Byzance est, à vrai dire, peu claire, dans la mesure où l’on n’est même pas assuré de l’identité des auteurs cités et où il avance la possibilité qu’il y ait deux villes du même nom, tout en concluant qu’il n’y a vraisemblablement (τάχα) qu’une seule Agathé, « ville des Phocéens », selon Scymnos.
12 On se reportera aux claires et convaincantes « introduction générale » (p. XIII-CLXVIII) et « notice » (p. 1-100) de D. Marcotte dans le premier tome des Géographes grecs, CUF, Paris, Les Belles Lettres, 2000 ; la traduction et les notes complémentaires, particulièrement en ce qui concerne l’archéologie, appellent une lecture critique.
13 Comme dans le Ps.-Scymnos, Olbia (Hyères, Var) est citée sans référence chez St. de Byzance, s.v., en tant que ville en terre ligystique, πόλις Λιγυστική.
14 Au vers 211, le manuscrit donne λυγιστινὴ (corrigé λιγυστίνῃ) et λιγυστικήν au vers 217.
15 Cf. aussi en II, 14, 8 : « la jonction du massif Apennin et du massif alpin non loin de la mer de Sardaigne au-dessus de Marseille » : même si l’indication des distances est vague, il convient de souligner la référence à la proximité de la mer Sarde qui, pour Polybe, est celle où débouche le Rhône.
16 Sur ce problème de suffixation en -inos, on se reportera à Poccetti 2001, particulièrement 182-186.
17 En 137, le consul C. Hostilius Mancinus, qui se rend en Espagne, rejoint par terre le Portus Herculis (Monaco) où il doit s’embarquer, mais, retenu par un mauvais présage, il fait demi-tour et s’embarque à Gênes (Val.-Max., I, 6, 7).
18 Polybe, III, 39, 8 ; on sait que pour conserver à Cn. Domitius la paternitié de la via Domitia, on a considéré le passage de Polybe comme une extrapolation postérieure. Le milliaire de Treilles au nom de Cn. Domitius Ahenobarbus semble aller dans ce sens, de même que les 4 milliaires d’époque républicaine retrouvés en Catalogne en dehors de la via Augusta et datés sur des bases peu sûres des années 120/110 (cf. M. Mayer, I. Rodá, La epigrafía republicana en Cataluña. Su reflejo en la red viaria, dans Epigrafía hispánica de época romano-republicana. Actas de la reunión de Zaragoza [1983]. Zaragoza, 1986, 157-170). Sur l’hypothèse d’un contrôle romain en Languedoc-Roussillon avant 118, voir Ebel 1976, 41-63 et les remarques de Goudineau 1978, 686-687.
19 Selon Duval 1971, repris par Roman 1991, les Chroniques d’Apollodore ne rapporteraient aucun événement postérieur à 144, date présumée de la dédicace de l’œuvre au roi Attale II, mort en 138. En réalité, il a été démontré depuis longtemps (Jacoby 1902), que seuls les trois premiers livres étaient rédigés à cette date et que le livre IV, conçu comme un addendum, devait porter sur la période postérieure : il va jusqu’en 120/19, année de la mort de l’Académicien Boéthos (ou même 110/109, date de la mort de Kleitomachos) et Jacoby, malgré l’indication d’appartenance au livre II, y a inséré, avec vraisemblance (aux côtés des Arvernes, des Héduens et d’Aeria cités en référence au livre IV), le fragment ap. St. Byz. s.v. Φαβία (πόλις Κελτογαλατῶν, κτίσμα Φαβίου στρατηγοῦ Ῥωμαίων. Ἀπολλόδωρος ἐν δευτέρῳ χρονικῶν), la ville fondée par le consul Q. Fabius Maximus vainqueur en 121 des Allobroges et des Arvernes. Que la mention de Tauroeis chez Stéphane de Byzance soit tirée d’Apollodore ou d’Artémidore, elle serait postérieure à la conquête romaine.
20 On attribue à Artémidore la situation de l’oppidum Decietum en Italie (alors que la frontière est au Var) d’après St. de Byzance, s.v. (Δεκίητον, πόλις Ίταλίας. Τò ἐθνικòν Δεκιῆται, ὡς Ἀρτεμίδωρος ἐν α' γεωγραφουμένων), mais, en fait, la seule référence à Artémidore est ici celle de l’ethnique et on ignore la source de St. de Byzance qui situait Dékièton en Italie ; on rapprochera peut-être cette indication de l’information de Strabon (IV, 1, 9) faisant d’Antipolis, située sur le territoire dévolu aux Déciates, une cité “italiote” après qu’elle a acquis son indépendance par rapport à Marseille.
21 Polybe est cité 57 fois dans l’œuvre de Strabon (dont 5 fois au livre IV), Artémidore est cité 59 fois (dont seulement 3 fois dans le livre IV), Poseidonios 78 fois (dont 5 dans le livre IV).
22 IV, 6, 4 : « Les Allobriges et les Ligyens dépendent des gou verneurs envoyés en Narbonnaise... Quant aux Ligyens installés entre le Var et Gênes, ceux du bord de la mer sont rattachés aux Italiotes tandis qu’on envoie à ceux qui habitent les montagnes un préfet de l’ordre équestre ». Contrairement à ce qu’écrit Arnaud 2001, 340, il n’y a aucune contradiction chez Strabon pour qui les Ligyens se situent à la fois à l’Ouest du Var (IV, 1, 9 et IV, 6, 4) où ils dépendent de la Narbonnaise, et à l’Est du fleuve, dans les Alpes (IV, 6, 1-2 et 4) et les Apennins (V, 2, 1), où ils appartiennent à l’Italie et au district des Alpes maritimae. Strabon ne cite pas les Vediantii, peut-être une tribu des Intemelii, et leur oppidum de Cemenelum enregistré par Pline.
23 G. Barruol (1969, 189, n. 2), tout en reconnaissant que la frontière du Var est signalée par « César, Strabon et tous les historiens et géographes de l’Empire » avance que « la véritable frontière orientale de la Narbonnaise était sur le Loup » et que « le territoire d’Antibes (peuplade des Déciates) dépendait de la confédération salyenne ». En cela, il s’appuie vraisemblablement sur le fait que les limites du diocèse d’Antibes sont sur le Loup, tandis que la zone entre Var et Loup appartient au diocèse de Vence et que la frontière de la province des Alpes Maritimes pourrait suivre ce tracé ; comme A. Chastagnol (1992, 22-23), je préfère suivre Strabon sur la limite du Var, confirmée par Pline, Ptolémée (II, 10, 1 et 6) et Pomponius Mela.
24 Cf. en dernier lieu Brun 1999, en part. fig. 38.
25 Cf. en dernier lieu à propos de Glanum : Roth-Congès 1997 ; Christol, Janon 2000 ; Leveau 2000, partisans d’un rattachement de Glanum (et de Tarascon) à la cité d’Avignon seulement à la fin du IIIe s.
26 César parle de territoires chez les Arécomiques, mais de toute façon Avignon est qualifiée de polis Massalias (s.v., ap. St. Byz.).
27 La première mention des Cavares dans la littérature antique est, à propos de jambons réputés jusqu’à Rome, chez Varron (RR, II, 4, 10) qui commença la rédaction de son ouvrage à l’âge de 80 ans et mourut dix ans plus tard en 27 av. J.-C.
28 J. Gascou (1990) a bien montré qu’Avignon, qualifiée de Colonia Iulia Augusta Hadriana, a reçu le titre de colonie latine d’Auguste, puis de colonie romaine d’Hadrien ; mais rien n’interdit qu’elle ait pu déjà bénéficier du droit latin de la part de César ou des triumvirs en même temps que Cavaillon autre ville cavare un temps sous le contrôle massaliète.
29 Cf. dans le sens d’une suprématie politique des Cavares Verdin 2001.
30 Ph. Leveau (2000, 41) met en doute la précision du texte grec par rapport à la traduction de F. Lasserre : en suivant le texte grec au plus près, comme je l’ai fait, il n’y a pourtant aucun doute que Salyens et Cavares sont sur la rive opposée (ἐν τῃ πέραίᾳ, utilisé avec le même sens un peu plus loin dans le paragraphe, pour situer Tarusco par rapport à Nîmes et au Rhône) à celle occupée par les Volques et que ceux-ci touchent au Rhône (γειτονεύω, toujours utilisé par Strabon avec le sens d’être voisin, limitrophe, sauf dans un cas où les Troglodytes sont dits voisins des Arabes du fait de l’étroitesse du golfe Arabique).
31 Cf. Strabon (III, 4, 19) : « les premiers auteurs appellent Ibérie tout le pays situé au-delà du Rhône et de l’isthme entre les golfes gaulois » et Hérodote, II, 33, cité ci-après, « les Celtes sont au-delà des Colonnes d’Héraclès, jusqu’aux Kynésiens, qui eux sont les derniers habitants de l’Europe du côté du Couchant ».
32 Dominguez Monedero 1983, 203-209, avec notamment le déplacement du Nord à l’Occident du mythe du Jardin des Hespérides et le parallèle entre ce dernier et la légende des Argonautes
33 Cf. Hérodote, VII, 72 ; Lycophron, v. 1312 et les commentaires d’Eustathe et Tzétzès ; et la légende du roi ligure Cycnos.
34 Ora Marit., 129-145.
35 Cette tradition d’une origine nordique trouve un écho dans l’épisode rapporté par Plutarque (Marius, 19) lors de la bataille d’Aix en 102 : les Ligures italiens de l’armée de Marius auraient reconnu dans le nom des Ambrons « leur appellation traditionnelle », car « les Ligures donnent ce nom d’Ambrons à l’ensemble de l’ethnos auxquels ils appartiennent ».
36 Thucyd., VI, 2, 2 : sur cette tradition, représentée aussi par Hellanicos, Philistos et Éphore, voir Bérard 1957, 448-454.
37 La tentative de J. Untermann (1969 et 1992) de distinguer en Languedoc occidental une onomastique ligure d’une onomastique gauloise pâtit du fait qu’elle mêle des informations de chronologie disparate et révèle, en fait, les effets d’une “gallicisation” de certains patronymes à côté d’éléments ibères et d’autres qualifiés de “ligures” (mais non “anticeltes” selon la terminologie de Prosdocimi).
38 Comme Adretilos, Diuiomaros, Kongenoalos, Oueninos, Regoalos ou Solimaros : cf. Coupry, Giffault 1984.
39 Avec premier élément seg-, comme Segunnos : sur cet élément (Ir. seg, fort, vigoureux ; Goth. sigis, victoire), cf. Evans 1967, 254-257. Barruol 1969, 207-208 en fait une tribu des Salyens.
40 À rapprocher du peuple des Comani que Ptolémée (II, 10, 5) situe de Marseille à Fréjus.
41 On a cru retrouver déjà chez Polybe (en dernier lieu Roman 1997, 210-212, qui s’appuie sur un article de A. Bertrand, in RA, 31, 1876, et fait des Galates une seconde vague d’immigration du IVe s.) la distinction entre Celtes (en Gaule du Sud) et Galates (de l’Océan à la Scythie), en s’appuyant notamment sur le fait que Polybe (III, 49, 13) qualifie les Allobroges de Galates : mais Polybe, s’il utilise uniquement le terme de Galates pour désigner les Gaulois d’Asie Mineure, emploie indifféremment l’un ou l’autre terme pour tous les Celtes d’Occident. Ainsi en II, 15, 8 ; 22, 1 et 34, 2, les Celtes des Alpes « des bords du Rhône » sont nommés Galatai, mais en III, 47, 3 et III, 48, 6, ils sont nommés Keltoi ; les Celtes « des plaines du Pô » sont qualifiés, dans le chapitre 34 du livre II, d’abord de Keltoi (34, 7), puis de Galatai (34, 10) et de nouveau de Keltoi (34, 15), de Keltoi en III, 48, 6 et de Galatai en III, 54, 3, etc. En fait, la distinction, effectuée par Diodore (V, 32, 1), est postérieure à la conquête comme il résulte de Strabon (IV, 1, 14 et 4, 2) et de César (BG, I, 1) : sont appelés Celtes les peuples de la province de Narbonnaise (selon leur nom en grec, d’après Strabon, Keltai = Celtae) et Galatai (= Galli, mais César précise qu’ils se nomment eux-mêmes Celtae – depuis longtemps si l’on se réfère à une inscription étrusque de Caere de la fin du VIe s., mi celθestra, signalée par G. Colonna et M. Cristofani, in Il commercio etrusco arcaico, Atti dell’incontro di studio (Roma 1983). Roma, 1985, 270-271) les peuples du reste de la Gaule que César distingue des Belges et des Aquitains et Strabon des seuls Aquitains ; après la conquête césarienne, de même que les Grecs qualifient tous les Gaulois de Keltoi, les Romains utilisent le terme de Galli (que Diodore et Strabon traduisent par Galatai).
42 C’est ce qui ressort d’un passage de Plutarque (Aem. 6, 1) où il note, au moment de l’intervention en Ligurie (italienne) de Paul-Émile, en 181 av. J.-C., que les Ligyens « occupent l’extrémité de l’Italie qui se termine aux Alpes et, dans les Alpes mêmes, la partie baignée par la mer Tyrrhénienne qui fait face à la Libye, mêlés aux Gaulois et aux habitants du littoral des Ibères » : l’auteur, qui semble peu au fait de la géographie de l’Occident et des distances, tente, semble-t-il, d’accorder entre elles des sources disparates qui rappellent en particulier le Périple du Pseudo-Scylax (les Ligyens mêlés aux Ibères jusqu’au Rhône, mais où il ajoute la présence des Gaulois). De la même façon, écrit-il, dans la Vie de Marius (15, 5), alors que Marius a installé son camp sur la rive gauche du Rhône, où il fait creuser la fameuse Fossa : « il incombe aux Teutons et aux Ambrons de marcher contre lui à travers les Ligyens au bord de la mer » ; on ne sait d’où ils viennent (par le Nord), mais la position du camp de Marius, vraisemblablement situé entre Arles et l’embouchure du Rhône, implique que Plutarque situe aussi les Ligyens à l’Est du Rhône.
43 « M. Fulvius Flaccus primus transalpinos Ligures domuit bello... » : il faut donner à primus le sens de primum ; l’abréviateur n’a certainement pas saisi la nuance que le texte de Tite-Live devait contenir dans la mesure où déjà dans le résumé du livre 47 il utilise le terme de “Ligures transalpins” pour désigner les Oxybiens et les Déciates.
44 De même Florus (I, 19), au début du IIe s., cite à la queue leu leu comme peuples ligures vaincus par les Romains, « Salluvii, Deciates, Oxubii, Euburiates, Ingauni ». Mais Florus n’est pas Pline...
45 Barruol 1969, 189 et n. 1.
46 On a proposé, du fait de graphies proches, de corriger Λουερίωνος par Ἀουενίωνος (Kramer, Avignon) ou Δουρίωνος (Casaubon, ville inconnue citée en IV, 1, 11).
47 IV, 1, 11 : « En partant de Massalia et en abordant le territoire entre les Alpes et le Rhône, on trouve les Salyens jusqu’au fleuve Durance sur 500 stades (env. 90 km) ».
48 15 occurences : “équiper, mettre sur pied des soldats, une armée, des bateaux” (et non pas “envoyer” comme le propose Pralon 1998 : un seul exemple avec ce sens, en XII, 3, 6, “envoyer une colonie”).
49 ... καὶ τò πάλαιòν δὲ ἔστελλε δώδεκα μυριάδας στρατιᾶς : « (Patavium) équipait autrefois une armée de 120 000 hommes ».
50 ... οἵ γε καὶ ὀκτὼ μυριάδας ἔστελλóν ποτε τῆς πεζῆς στρατιᾶς, ἱππέας δ' ὀκτακισχιλίους : « (Les Samnites) équipaient autrefois une armée de 80 000 fantassins et 8 000 cavaliers ».
51 Aussi est-il inutile de rechercher un équivalent latin institutionnel comme le fait Mason 1974 : l’équivalent latin de méros est pars, un terme aussi vague que lui et qui comme lui peut recouvrir des institutions diverses.
52 Trois occurences : VI, 2, 4 et VIII, 7, 5 : une partie de l’armée ; XVII, 3, 20 : Ἐκ ταύτης τῆς πόλεως τριακοσταῖος πεζῇ περιώδευσε τὴν σύρτιν Μάρκος Κάτων, κατάγων στρατιὰν πλειόνων ἢ μυρίων ἀνδρῶν, εἰς μέρη διελὼν τῶν ὑδρείων χάριν : « sorti de la ville, Marcus Caton contourne la Syrte par terre en 30 jours, à la tête d’une armée de plus de 10000 hommes, qu’il a divisée en plusieurs parties (= détachements) en fonction des réserves d’eau ». Aucun des cas ne peut prendre un sens précis tel que contingent ou escadron comme l’envisage Barruol 1969, 106, n. 8.
53 Neuf occurences. Outre les 3 exemples retenus, méros peut désigner un espace purement géographique (le ciel et la terre divisés en 4 parties, la Libye divisée en 2 parties, l’Asie divisée en plusieurs parties) ou social (les Indiens divisés en 7 parties, philosophes, agriculteurs, éleveurs et chasseurs, artisans, etc.).
54 Méros est ici l’équivalent exact du latin pars utilisé, par exemple, par César, BG, I, 1, 1 : « l’ensemble de la Gaule est divisée en trois parties (partes) : l’une est habitée par les Belges, l’autre par les Aquitains, la troisième par ceux qui dans leur langue se nomment Celtes et dans la nôtre Gaulois ».
55 Ή δὲ τάξις τῶν τόπων, οὓς κατῴκουν εἰς δώδεκα μέρη διῃρημένοι, τοιαύτη τίς ἐστι : « la disposition des lieux, qu’ils habitaient divisés en 12 parties, est la suivante » ; on notera le parallélisme de la construction (verbe à l’imparfait+ participe parfait) pour marquer la contemporanéité.
56 BG, VII, 64-65 ; il est en outre question des Helviens, des Allobroges et des Volques Arécomiques, qui se mobilisent eux-mêmes.
57 Suétone, Iul., XXIV, 2.
58 Verdin 1998, p. 91 pour la première hypothèse, p. 97 pour la seconde.
59 Sereni 1971, part. 322-383, qui reste l’étude fondamentale sur le pagus ligure.
60 D. Roman (1987) propose la création d’une colonie latine à Aquae Sextiae dès 124, mais n’envisage pas le problème de son territoire : fut-il dès l’origine celui que nous pouvons connaître après les créations des colonies romaines d’Arles et de Fréjus ?
61 Depuis M. Clerc, on admet que le récit de Diodore, XXXIV, 23 (« Sextius ayant pris la ville des Gaulois et faisant vendre ses habitants aux enchères, un certain Craton se déclarant ami des Romains... fut amené etc. ») s’applique à la prise d’Entremont par Sextius ; mais on sait que ce passage ne nous est connu que par un recueil d’histoires morales (Excerpta de virtutibus et vitiis) réalisé au Xe s. à la demande de l’empereur Constantin VII Porphyrogénète et on ignore tout de ce qui précédait ; aussi a-t-on surévalué la signification de l’emploi de l’article défini (τὴν τῶν Γαλατῶν πόλιν, “la ville des Gaulois”) pour en faire la ville par excellence, c’est-à-dire le chef-lieu de la cité alors que l’article devait simplement rappeler la ville dont Diodore venait de parler (et qui était peut-être en effet le chef-lieu de la cité).
62 On a proposé d’identifier Mastramélè à Saint-Blaise, mais ce pourrait être aussi bien Saint-Pierre de Martigues (cf. pour les dernières fouilles, BSR PACA, 2000, 122-124) et Maritima se situe peut-être sur le site très prometteur de Tholon, sur la rive ouest de l’Étang de Berre à Martigues en cours de fouille (cf. BSR PACA, 2000, 125-126).
63 Pour le sens à donner à ces dénominations et leur localisation, on se reportera à leur nom chez Barruol 1969 (et Verdin 2000 pour les Caenicenses). On doit éliminer Forum Voconii et les Bormani, situés hors des plaines occidentales.
64 Lejeune 1985, 123-125 ; Christol, Goudineau 1987-88, 93-98. Il existe dans le stock gaulois des noms de personnes à élément Su-/So-, tels que Somaro ou Somaco ; la répétition du mot et la gravure soignée de l’inscription empêchent d’envisager une erreur du lapicide pour Koma(noi)/Comani, où l’on aurait pu faire une confusion entre sigmas Σ et C lunaire.
65 Cf. Schwaller et alii 2001.
66 De Marinis 1988, 248-249.
67 Cf. par exemple la réponse des Gaulois aux ambassadeurs romains qui tentent de les dissuader de laisser passer Hannibal en route vers l’Italie : « ils entendaient dire que des gens de leur race étaient chassés par le peuple romain des terres et des frontières d’Italie, payaient tribut et souffraient toutes les autres indignités possibles » (Tite-Live, XXI, 20, 6).
68 Cf. Bats 1999.
Notes de fin
* Les Ligyens et les Salyens d’Hécatée à Strabon, dans Peuples et territoires en Gaule méditerranéenne, Hommage à G. Barruol. Montpellier, 2003, 147-166 (Suppl. 35 à la RANarb).
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