II. Le littoral adriatique entre les fleuves Biferno et Ofanto
p. 37-88
Texte intégral
1L’étude des paysages anciens est à coup sûr l’un des domaines qui ont le plus attiré, dans les derniers temps, l’intérêt des historiens, des archéologues, des géographes et des géologues. Interdisciplinaire par excellence, cette approche considère l’espace physique comme le résultat d’une histoire naturelle et artificielle1. En fait, comme on le verra, les deux aspects sont souvent associés dans notre analyse : il est difficile de parler d’un golfe sans évoquer ses ports, ou d’une colline sans mentionner les œuvres de fortification qui l’entourent. Le paysage est ainsi le lieu où plusieurs phénomènes se produisent et se modifient réciproquement dans une dialectique continue. Chaque composante du paysage a aussi ses rythmes, ses temps, qu’on ne saurait saisir avec un paramètre unique, au point qu’on a pu élaborer le concept d’une « spatialité différentielle », adaptation de l’idée braudelienne de « temporalité différentielle »2. On ne saurait oublier non plus cette variable qu’E. Sereni a définie « la legge d’inerzia del paesaggio agrario » : à savoir la tendance du paysage à reproduire des formes identiques, même après la disparition des modes et des types de production qui les avaient créées3. À ce rythme lent du paysage s’opposent d’ailleurs les coupures et les accélérations soudaines qui impliquent souvent la modification des équilibres préexistants et l’organisation de nouveaux milieux. Ces modifications, aussi fréquentes dans le pourtour méditerranéen, obligent à « raisonner sur des systèmes instables en constant remaniement »4. Ce sont donc les moyens et les formes de l’interaction entre les hommes et leur milieu qu’il faut essayer de comprendre.
2Des raisons plus précises justifient l’intérêt pour l’aspect antique de cette partie de la côte adriatique. En premier lieu, le paysage ancien est le cadre de référence où il faut situer et expliquer les faits archéologiques. Par exemple, les premiers contacts avec les marins égéens se produisirent dans des sites (Coppa Nevigata, Cupola) qui sont actuellement à l’intérieur des terres, mais qui étaient, à l’Âge du Fer, partie intégrante d’un paysage lacustre et marin de la Daunie. En outre, certains passages des auteurs anciens sont également incompréhensibles sans cet effort de reconstitution, car ils se rapportent à un contexte géographique sensiblement différent de la réalité actuelle. En deuxième lieu, cette enquête sur le paysage antique pourra valider ou démentir l’axiome qui veut ces zones de l’Adriatique totalement dépourvues de ports naturels5.
LE PAYSAGE ACTUEL
3La côte adriatique comprise entre les fleuves Biferno au nord et Ofanto au sud, est aujourd’hui répartie entre deux différentes régions, le Molise et les Pouilles. Cette bande côtière est marquée par l’alternance de zones de formation alluvionnaire et de zones formées par émersion. De nos jours, la côte a l’aspect d’un cordon sableux plat et presque rectiligne, brusquement interrompu par les falaises hautes et très découpées du Monte Gargano.
4La partie septentrionale de ce territoire constitue un petit segment du grand arc côtier compris entre le promontoire du Conero au nord et le Monte Gargano au sud. Le littoral étroit et sableux est ici constitué par des dépôts alluvionnaires récents : ce sont des grès, des marnes et des argiles de l’Eocène. Les cours d’eau ont beaucoup contribué à façonner l’aspect du Molise, qui est traversé par trois fleuves : le Trigno, au nord, le Biferno, au milieu, et le petit torrent Saccione, qui marque aujourd’hui la limite avec les Pouilles. Ces fleuves ont en général un lit vaste, au fond graveleux ; leur cours sinueux tend à se disperser en plusieurs petits ruisseaux, qui se multiplient près de l’embouchure. Leur régime est très irrégulier, avec un débit très réduit pendant l’été et des crues parfois dangereuses durant l’hiver. Le Biferno est le fleuve le plus long du Molise (93 km), qu’il traverse entièrement à partir des Apennins (massif du Matese), où il a sa source. Son parcours se déroule à travers une étroite vallée, entourée par des reliefs souvent sujets à écroulements. Dans la dernière partie de son cours, le Biferno devient un fleuve typique de basse plaine : son lit s’élargit et reçoit les eaux de son affluent principal, le torrent Cigno. Comme on le verra, l’estuaire du Biferno a contribué à modifier le profil de la ligne de côte, grâce à ses dépôts fluviatiles. Le phénomène est assez courant dans cette partie de l’Adriatique, où le courant des fleuves provoque deux phénomènes opposés, à savoir un avancement du littoral et l’érosion des terres, respectivement au sud et au nord des embouchures6. En outre, l’action constante du Trigno et du Biferno a provoqué le creusement de profonds chenaux d’érosion qui provoquent parfois des éboulements7.
5L’aspect du littoral reste à peu près identique autour des embouchures du torrent Saccione et du fleuve Fortore, entre les confins actuels des Pouilles et du Molise. La côte est formée ici, en grande partie, par des dépôts fluviatiles, qui ont provoqué, comme on le verra par la suite, des changements assez sensibles de la ligne côtière au cours du temps. Les lacs de Lesina et de Varano se situent sur le versant septentrional du promontoire du Gargano. Le premier, s’étendant de la Punta delle Pietre Nere jusqu’à la petite colline dite du Monte Devio, a une superficie et une profondeur assez réduites8. Il communique avec la mer à travers un canal artificiel ; sa formation est évidemment due à l’action du fleuve Fortore, dont les dépôts alluvionnaires ont formé un cordon sédimentaire parallèle à la côte du promontoire9. Le même phénomène, associé à l’affluence d’eaux douces d’origine karstique, est à l’origine du lac de Varano, qui est légèrement plus étendu (60 km2 environ) et plus profond (5-6 m)10.
6En poursuivant vers le sud, le paysage change totalement. Les hautes falaises du promontoire du Gargano, recouvertes de leur florissant maquis méditerranéen, coupent brusquement l’uniformité du littoral plat et sableux. Le Monte Gargano est apparu entre le Mésozoïque et le Quaternaire grâce à un phénomène d’émersion par orogénèse11 ; encore de nos jours, ce territoire est caractérisé par une intense activité sismique12. Les falaises de calcaire blanc surplombent la mer ; à leur pied s’étend parfois un étroit cordon de galets ou de sables, formés par l’érosion des falaises mêmes13. Parfois, ces sédiments ont colmaté des anciens marais ou lagunes : c’est le cas, par exemple, du Pantano di Spinale ou de la zone comprise entre la Torre Usmai et la Torre di Calalunga.
7La pente sud-occidentale du Monte Gargano délimite une plaine large et plate, le Tavoliere ; le littoral redevient ici plat et sableux, fréquemment coupé par des zones marécageuses. En effet, cette grande plaine côtière constitue un barrage difficile à surmonter par les cours d’eau qui ont aujourd’hui un régime torrentiel et un débit insuffisant à atteindre la mer par une embouchure naturelle : d’où le recours fréquent à des canaux artificiels. Le torrent Candelaro côtoie les pentes méridionales du Gargano et se jette dans la mer un peu au sud de Manfredonia, après avoir reçu les apports de plusieurs cours mineurs formant un vaste bassin (Triolo, Salsola, Vulgano et Celone). Plus au sud, on retrouve d’autres torrents provenant des Apennins, le Cervaro et le Carapelle. Le littoral compris entre les embouchures de ces fleuves s’est formé, comme on le verra, par comblement d’anciens lacs ou marais. Au début du xixe siècle, l’une de ces anciennes lagunes, le lac de Salpi, a été aménagée en plusieurs bassins ; c’est actuellement l’un des plus grands salins d’Europe14.
8La limite méridionale du territoire daunien est marquée, aujourd’hui comme à l’époque ancienne, par le fleuve Ofanto, qui a son origine dans les montagnes de l’Irpinie. Son parcours (165 km) se déroule autour des pentes du volcan Vulture en Basilicate, et descend vers la plaine des Pouilles, formant une série de larges méandres ; son embouchure se trouve juste au sud des salins de Salpi.
9Le paysage de la basse vallée de l’Ofanto se présente donc comme une étendue de collines et surtout de plaines fertiles, modelées par les sinuosités du fleuve. Ces reliefs sont pour la plupart formés de roches sédimentaires clastiques, composées de granules de calcaire (calcareniti), de couleur blanche ou jaunâtre. Leur consistance est particulièrement friable dans le territoire de Canosa15 ; il s’agit de la crusta, sur laquelle sont fondés les villages néolithiques de la plaine du Tavoliere et dans laquelle sont creusés les hypogées funéraires de Canosa.
10Aujourd’hui, la partie finale du cours du fleuve montre une tendance nette à reculer, due aux prélèvements importants d’eau et de sable à son embouchure16 Cette tendance est néanmoins un phénomène nouveau, déterminé par les plus récentes interventions humaines ; elle a été probablement précédée au fil des siècles, par un mouvement contraire, c’est-à-dire par un avancement sensible de la ligne côtière (voir la fig. 17, p. 81).
LE PAYSAGE ANTIQUE
La base documentaire sur le paysage ancien
Les phénomènes géologiques
11La nature hétérogène des documents utilisés pour notre enquête nécessite d’une brève présentation. En premier lieu, la structure géologique du territoire et ses modifications éventuelles constituent évidemment la base essentielle de l’analyse, qui a montré son importance dans d’autres études sur le paysage ancien. Par exemple, la morphologie et la constitution géologique de la plaine côtière du Tavoliere ont contribué à éclaircir plusieurs aspects du peuplement de la région à l’époque néolithique17. Pour ce domaine particulier de la recherche, on a eu recours aux cartes géologiques publiées par l’Istituto Geografico Militare, échelle 1:100 000.
12Quant aux modifications de la ligne de côte, il faut considérer l’action combinée de plusieurs facteurs ; l’eustatisme, c’est-à-dire l’augmentation du niveau de la mer, qui provoque le recul de la ligne de côte ; 1’inlluence constante des mouvements marins, comme les courants, les vagues, le flux des marées ; l’effet des agents continentaux, tels le climat et les eaux courantes, qui provoquent des altérations superficielles de pédogenèse et de sédimentation ; les mouvements isostatiques18. Ces phénomènes, communs à tout le littoral méditerranéen, ne se manifestent pas tous en même temps, ni avec la même intensité : par exemple, durant le xxe siècle, on a constaté une prédominance de l’action eustatique, même si chaque cas régional nécessite une vérification particulière, comme le montrent les études réalisées sur quelques zones adriatiques19.
13Si les données géologiques sont la base indispensable à l’étude de la morphologie côtière, elles peuvent rarement renvoyer à une chronologie précise. Pour tenter de définir l’époque historique de ces phénomènes nous disposons d’autres instruments de recherche20.
Les sources littéraires anciennes
14Les témoignages des anciens géographes et historiens sont évidemment fondamentaux pour la reconstitution de la géographie côtière ancienne. Deux types de sources ont été ici utilisés en priorité. D’une part, les descriptions des historiens et des géographes anciens, qui sont souvent dressées à partir de l’observation du littoral21. Ces connaissances géographiques sont en effet le produit d’une longue tradition de géographie maritime, qui remonte jusqu’aux navigations minoennes et mycéniennes. Ce savoir empirique transmis oralement pendant des siècles, a finalement été formalisé dans les textes de la fin du vie siècle. Son but originaire était éminemment pratique : accompagner et faciliter la navigation en Méditerranée, sur la base d’une expérience millénaire de voyages maritimes, tout comme un portulan du Moyen Âge ou une carte nautique de nos jours. C’est pourquoi ces récits montrent souvent un vif intérêt ethnographique et enregistrent soigneusement la liste des peuples, des ports et des distances. En fait, les résultats de cette géographie empirique ont largement dépassé ses objectifs initiaux, car elle a produit les premières représentations de la Terre indépendantes des abstractions cosmologiques et religieuses. L’écho de ce patrimoine de connaissances géographiques se retrouve chez les historiens ioniens de la fin du vie siècle22. Un exemple excellent est le Périple du Pseudo Scylax ; comme A. Peretti l’a bien montré, le texte du ive siècle est le résultat d’une longue mise à jour d’une première rédaction (fin du vie siècle) ; le résultat final est dû à plusieurs géographes et navigateurs anonymes, qui tiraient leurs connaissances de l’expérience directe des traversées méditerranéennes23.
15L’influence des périples est encore perceptible dans l’œuvre de Strabon, qui pourrait même avoir retenu à travers Artémidore et Eratosthène, quelques passages du grand ouvrage en dix livres sur les ports rédigé par Timosthène, amiral de Ptolémée II Philadelphe24. L’utilisation des isthmes et des golfes comme points de repère pour tracer les confins ethniques, fréquente dans les livres V et VI consacrés à la péninsule italique, dépend certainement du schéma des périples25.
16L’œuvre d’un géographe plus tardif, Pomponius Mela, s’inscrit dans cette même ligne26, tout comme les livres III et V de la Naturalis historia de Pline. En particulier, le livre III, qui comporte une liste des lieux et des peuples de la Daunie et du Samnium27, dessine un véritable itinéraire côtier, remontant du sud vers le nord. Dans ce livre, toutefois, les contradictions sont multiples, principalement dans la démarcation des limites entre les différents ethne. Elles dérivent, probablement, de la volonté d’accorder les sources plus anciennes à la division des régions de l’Italie faite par Auguste28.
17La deuxième série de témoignages est plus hétérogène. Des informations utiles pour la reconstitution de ce paysage adriatique ont été transmises de façon incidente. Par exemple, Tite-Live trace en quelques mots le cadre de la navigation et de la fréquentation de l’Adriatique dans un contexte tout à fait particulier, à savoir l’expédition du roi Cléonime de Sparte, au ive siècle avant J.-C.29. Un autre exemple de ce type de source « occasionnelle » est Vitruve: dans le chapitre consacré à l’urbanisme des villes bâties sur les marais, il relate de la nouvelle fondation de Salapia au ier siècle avant J.-C.30. Horace, le poète de Venusia qui ne saurait se définir apulus ou lucanus, revient plusieurs fois sur les images de son paysage natal, la vallée de l’Aufidus31.
La cartographie historique
18D’autres indices importants pour la reconstitution du paysage ancien peuvent être tirés de la cartographie historique, et notamment des portulans, à partir du Bas Moyen Âge. Les fonds extraordinaires de documents conservés au Département des Cartes et Plans de la Bibliothèque Nationale de Paris ont constitué la base essentielle pour cet aspect de la recherche. Comme les périples plus anciens, les portulans constituent une source très précieuse, car ils sont rédigés sur la base de relevés précis des distances, de la morphologie de la côte et de la direction des vents et des courants, surtout à proximité des ports. Une fois de plus, l’expérience directe des marchands et des marins méditerranéens a produit un patrimoine de connaissances empiriques d’inestimable valeur, qui s’oppose à la culture érudite et abstraite de son époque, fondée sur les représentations ptoléméenncs de la Terre32.
19L’un des meilleurs exemples de cette cartographie est le plus ancien portulan connu en Occident, la carta pisana (fig. 1), conservée à la Bibliothèque Nationale de Paris, achetée à Pise mais probablement rédigée à Gênes vers la fin du xiiie siècle. On y remarque l’exactitude des proportions et l’orientation des noms de ports, qui change vraisemblablement selon le sens de la navigation33, convention respectée dans tous les portulans postérieurs. Des informations assez précises sur nos régions adriatiques se trouvent également sur des Atlas du xvie siècle, tels la Carta d’Italia (1561) et la Descriptione de la Puglia (1567) de Gastaldi, ayant pour modèle des cartes maritimes de l’Adriatique, alors nommée Golfe de Venise34. L’Atlas Géographique du Royaume de Naples, rédigé par Rizzi Zannoni à Naples à la fin du xviiie siècle, marque une nouvelle étape du développement de la cartographie. Cet ouvrage, influencé par le souille nouveau de la philosophie des lumières, offre la première représentation du sud de l’Italie relevant de l’analyse directe du territoire et non pas de la simple révision de cartes précédentes35.
La photographie aérienne
20La partie septentrionale des Pouilles, notamment la plaine du Tavoliere, a été l’objet de nombreuses couvertures aériennes, effectuées par l’aviation britannique pendant la deuxième guerre mondiale. Les résultats partiels de ces prospections ont été publiés à plusieurs reprises par J. Bradford36. Son projet de la publication complète de ces recherches, qui n’avait malheureusement pu aboutir, a été repris par les chercheurs de la British School de Rome37. Les données de ces prospections aériennes des années 1940 et des séries plus récentes, réalisées en 1954 et 1976, ont été complétées et vérifiées par les fouilles accomplies dans les Pouilles septentrionales. Ainsi nous disposons à l’heure actuelle de connaissances assez détaillées sur l’emplacement des villages néolithiques38 et sur les restes de la centuriation d’époque romaine39 dans le Tavoliere.
21De leur côté, les chercheurs italiens ont fondé sur les photographies aériennes leurs reconstitutions du réseau routier ancien de la région daunienne40 et de la côte ancienne entre le golfe de Manfredonia et l’embouchure de l’Ofanto41. Notre analyse des photographies aériennes portera principalement sur deux zones côtières essentielles à la compréhension du paysage et du peuplement anciens : les embouchures du Biferno et du For-tore, et la région des lacs du Gargano. L’enquête a été menée sur les reprises aériennes de 1954, conservées dans les Archives de l’Institut Géographique Militaire de Florence. Ces premiers résultats demandent, bien entendu, une vérification sur le terrain : il s’agit donc d’une enquête qui est bien loin d’être achevée.
La télédétection
22Les images des satellites sont de plus en plus utilisées en archéologie, surtout dans les recherches qui visent une approche globale des différents aspects du territoire : la reconstitution de la morphologie ancienne du paysage et les formes d’occupation de l’espace42. En effet, la télédétection permet d’approfondir précisément ces aspects « anthropogénétiques » du paysage, qui sont la conséquence à la fois des phénomènes naturels et des interventions humaines43. L’image du satellite constitue ainsi une sorte de radiographie du paysage, où chaque élément est défini non seulement par sa réalité visible, mais surtout par ses propriétés physiques et chimiques44.
23Dans le cas de la Daunie, ce type d’analyse a été utilisé exclusivement dans la région des lagunes de Salapia et de Sipontum ; mais les rapports publiés montrent que l’interprétation des données est encore dans une phase préliminaire45. Cette même région sera l’objet de notre analyse, pour deux raisons essentielles. D’abord parce que cette zone a déjà été examinée de façon excellente au travers de la photographie aérienne par G. Schmiedt; des éléments nouveaux pourraient donc provenir plutôt d’autres types d’analyses. Ensuite, parce que ce moyen de recherche paraît tout particulièrement approprié pour ce type de milieu environnemental, caractérisé par la présence de zones marécageuses et humides ainsi que par des changements sensibles du littoral, comme le montrent les enquêtes menées, par exemple, dans le Midi de la France46.
24Nous avons utilisé pour notre recherche les images du satellite Landsat, composées de sept longueurs d’onde ou canaux différents, qui permettent de saisir des différentes caractéristiques du paysage ; les plus importants pour la recherche archéologique sont les canaux 4, 5, et 6. Le premier permet d’apercevoir les différences de la végétation, donc la présence de zones plus ou moins humides. Le canal 5 reflète les composants minéraux des terres et des éléments artificiels, par exemple les agglomérations urbaines. Le canal 6, thermique, enregistre les variations des températures de surface et révèle le pouvoir d’inertie thermique des éléments. Ces trois canaux peuvent même être combinés entre eux pour obtenir des compositions colorées de l’image47.
25L’image de la Daunie méridionale utilisée dans ce travail est une reprise du satellite Landsat Thematic Mapper de juillet 1992. Cette image a été traitée au Centre de Téléanalyse du CAMS (U. M. CNRS 380017), École des Hautes Études en Sciences Sociales à Paris48. La composition colorée des trois canaux montre les variations de la végétation, donc le contraste entre les zones humides et sèches (canal 4), ainsi que la composition géologique du terrain (canal 5). Les variations de la température de surface du sol (canal 6 thermique) sont particulièrement importantes pour reconnaître l’alternance de terrains argileux et sableux, des conglomérations de calcaire et de zones humides. Il s’agit, là aussi, d’une première mise au point des problèmes, qui pourront mieux être précisés par la suite des recherches, en laboratoire et sur le terrain.
Les analyses paléoenvironnementales
26Les analyses du paléoenvironnement sont évidemment une source extrêmement précieuse de données49, qui est de plus en plus utilisée dans l’étude de nos régions50. Les enquêtes menées sur le paléoenvironnement du Néolithique et de l’Âge du Bronze en Daunie peuvent constituer des points de repère très utiles, même pour la période suivante. Ces études ont comporté l’analyse des dépôts sédimentaires de la plaine du Tavoliere51, ainsi que de l’ancienne lagune entre Sipontum et Salapia52.
27Les strates préhistoriques et protohistoriques du site de Coppa Nevigata ont récemment fait l’objet des recherches approfondies d’archéobotanique, complétées par des analyses chimiques et ostéologiques de la faune terrestre et maritime53. Des analyses palynologiques réalisées dans le territoire d’Arpi ont apporté des résultats importants, concernant des couches des ve et ive siècles54. Il reste enfin à signaler un intéressant essai de reconstitution de l’environnement de la Daunie côtière au premier Âge du Fer, centré sur l’analyse des représentations de la faune sculptées sur les stèles dauniennes55.
Le profil du paysage ancien
28Le territoire adriatique situé entre Biferno et Ofanto a été ici réparti en plusieurs « micro-régions » cohérentes du point de vue géographique, correspondant aux différents problèmes de reconstitution du paysage. Ainsi, nous allons considérer dans les prochains paragraphes le littoral entre les fleuves Biferno et Fortore, l’embouchure du fleuve Fortore, les lacs du Monte Gargano, les lagunes de la Daunie et l’embouchure de l’Ofanto.
La côte entre le Biferno et le Fortore
29Les sources anciennes ne sont pas très loquaces sur le paysage ancien de cette partie de l’Adriatique. Strabon (V, 4, 2) donne des éléments précieux mais dans un passage qui comporte des erreurs géographiques évidentes, à savoir le faux emplacement du fleuve Sangros, actuel Sangro56. Le géographe mentionne ici trois ports des Frentans, qui sont, du nord vers le sud, Orton, Histonium et Buca. Les trois noms reviennent dans la description de Pline qui les considère comme des oppida et non pas des ports57. Si les deux premiers sites correspondent certainement à Ortona et à Vasto58, l’identification de Buca demeure incertaine.
30D’après Strabon, ce port était à proximité de Teanos Apoulos (S. Paolo di Civitate) et devait donc se trouver près du fleuve Fortore. Plusieurs chercheurs donnent crédit au témoignage de Strabon et proposent d’identifier Buca avec Campomarino59. Cet emplacement est cependant contredit par d’autres sources, notamment Pline et Pomponius Mela, qui situent Buca plus au nord60. De toute manière, la présence de ports anciens semble incontestable, du moins à l’époque romaine ; ceci laisse supposer la présence d’anses naturelles dans cette partie du littoral.
31Cette conclusion est confirmée par les données de la cartographie ancienne et moderne. En effet, les portulans médiévaux signalent la présence du port de Termene, qui correspond à la ville actuelle de Termoli. Aussitôt au sud de cette ville, la côte semble dessiner un arc en retrait où se trouve une sorte d’estuaire profond et rectiligne, bien visible sur la « carte pisane » (fig. 1, p. 44). D’autres cartes nautiques un peu plus récentes61 portent à ce même lieu une anse avec l’indication du port de Campomarino ; nous pouvons donc déduire que l’estuaire de la carta pisana est probablement l’embouchure du Biferno, qui est située justement près de Campomarino. Sa présence dans un portulan s’explique probablement par le fait que la partie finale du fleuve était navigable.
32Cette situation semble avoir changé dès le début du xviie siècle. Sur le plan de Magini (fig. 2) et sur le plan de Hondius de 1627 conservé à la Bibliothèque Nationale de Paris62 (fig. 3), Campomarino est situé en arrière de la ligne de rivage ; cette dernière est alors devenue rectiligne, comme elle l’est encore de nos jours. Toutefois, l’ancienne anse a laissé une trace dans le cordon lagunaire, parallèle à la côte, qui relie les embouchures du Biferno et du Saccione.
33L’examen des photographies aériennes, uni à l’observation des cartes géologiques, ajoute des éléments importants pour la reconstitution du paysage ancien. La figure 4, tirée de l’observation stéréoscopique des photographies aériennes, montre que :
- les villes actuelles de Termoli et de Campomarino, ainsi que l’habitat protohistorique de Campomarino, se trouvent à la pointe extrême d’une terrasse à peu près parallèle à la côte, plus haute que la bande côtière actuelle. Les cartes géologiques indiquent que ce plateau est formé par des conglomérats du début du Pléistocène, partiellement recouverts de couches d’origines fluviatile ou lacustre63. La bande côtière au pied de la terrasse est composée par des sables et des graviers de la dernière période de l’Holocène. Or, les sites protohistoriques de Termoli et de Campomarino —ainsi que les villes actuelles— se situent exactement sur le bord de cette terrasse (fig. 4 C et D). La ligne ancienne de rivage pourrait donc correspondre au bord du plateau, qui dessine un arc coupé par le large lit du Biferno (fig. 4 A). L’avancement de la ligne côtière a certainement été provoqué par l’accumulation des dépôts fluviatiles, au nord et au sud de l’embouchure du Neuve. Plusieurs vallées (les « valloni ») sillonnent ce plateau : ce sont les lits d’anciens cours d’eau. En particulier, l’une de ces vallées (fig. 4 E) délimite l’éperon rocheux où se trouve le site actuel de Campomarino et le site protohistorique du lieu-dit Defensola. Or, la photographie aérienne montre visiblement une trace arrondie, un peu sinueuse, plus ou moins parallèle à la vallée (fig. 4 F), reliant les deux bords de la terrasse occupée par le site ancien. Cet élément semble constituer la limite du village sur le versant intérieur ; nous pouvons probablement y reconnaître le profil de 1’agger de l’habitat ancien, dont les fouilles récentes ont mis à jour une partie réduite64. La trace visible dans la photographie aérienne constitue donc un indice important à vérifier lors des recherches futures sur le terrain.
- le lit du Biferno forme plusieurs anses avant de dépasser la limite de la terrasse pour traverser la bande côtière. Les traces des courbes et déviations du cours du fleuve sont évidentes dans la photographie aérienne ; l’embouchure est au contraire rectiligne. Les variations en forme de méandre sont typiques des cours d’eau de basse plaine. Ces modifications n’ont pu se produire que sur le côté septentrional du lit du fleuve où s’étend une large plaine, formée des sédiments fluviaux. En revanche, aucune variation n’a été possible sur le côté méridional, où il y a une différence sensible de niveau, due au plateau de Campomarino.
34En résumé, il me semble très probable que le bord de la terrasse parallèle à la côte soit à identifier avec l’ancien littoral (fig. 4 A). La bande côtière actuelle a dû se former par l’accumulation des sédiments du Biferno à une époque probablement assez récente, comme en témoignent les cartes du xviie siècle. Il faut donc supposer ici l’existence originelle d’un arc côtier plutôt allongé, dominé par deux sites —Termoli et Campomarino— accrochés à deux extrémités du plateau qui borde la mer. Cette terrasse était traversée par plusieurs cours d’eau ; leurs anciens lits forment les « valloni » actuels. Le plus important était le Biferno, dont le cours a légèrement changé au fil des siècles65 ; il a pu être en partie navigable et permettre probablement la communication avec l’immédiat arrière-pays.
L’embouchure du Fortore et le versant septentrional du Monte Gargano
35Les modifications qui se sont produites dans ces deux microrégions, à savoir les variations de l’embouchure du fleuve Fortore et la formation des lacs côtiers de Lesina et de Varano, sont étroitement embriquées. Ainsi, c’est plutôt pour la clarté de l’exposition que nous avons choisi d’examiner séparément les deux questions.
1. L’embouchure du Fortore
36Le fleuve Fortore, que Pline appelait portuosum66, a connu des changements sensibles au cours du temps : plusieurs éléments intéressants à ce sujet peuvent être tirés de la cartographie ancienne. Les portulans du Bas Moyen Âge (des xiiie et xive siècles)67 indiquent dans ce territoire, en face des îles Tremiti (Trimidi), une pointe assez marquée, appelée Punta de via (fig. 1). Ce toponyme suppose l’existence d’un éperon de terre assez prononcé, qui a pu servir comme point de repère pour la navigation. L’emplacement de cet élément du paysage, situé juste au nord du promontoire du Gargano et à proximité des îles Tremiti, pourrait bien correspondre à l’ancienne embouchure du Fortore.
37La Punta de via est encore indiquée dans les cartes nautiques du xve siècle68, tandis que la situation semble avoir changé deux siècles plus tard. La carte de Magini de 1620, indique deux embouchures du fleuve ; à côté de l’une, appelée Pietra Maura, se trouve la Torre Fortore (fig. 2). Un nom presque identique, Pietra Mura, désigne l’embouchure du Fortore dans la carte de Coronelli (1688) (fig. 5)69. Ces toponymes sont des points de repère importants, puisqu’ils persistent dans la toponymie actuelle70 ; la localité Pietramaura se trouve, aujourd’hui, légèrement en retrait de la ligne côtière71.
38Ces remarques peuvent être complétées et enrichies par la lecture des photographies aériennes. Les modifications progressives du littoral, qui ressortent de nos différentes sources, ont été visualisées par la reconstitution graphique à la fig. 6. Elles peuvent être ainsi résumées :
- la photographie aérienne montre très clairement la dynamique de construction de la ligne de rivage et du cordon littoral qui barre aujourd’hui les lacs. On peut y distinguer nettement plusieurs groupes de lignes parallèles, qui constituent autant de phases successives de l’avancement du littoral. La première ligne (fig. 6 A) marque le bord d’une terrasse de formation plus ancienne, comme on l’apprend par les cartes géologiques de la zone72. Cette ancienne terrasse maritime a dû constituer la ligne côtière la plus ancienne, où se trouvait le débouché primitif du Fortore, qui a été à l’origine de tout le processus de modification de la ligne côtière. Plusieurs sites préhistoriques signalés autour du lac de Lesina se trouvent précisément sur cette terrasse et à l’intérieur de cette ligne73 (fig. 7) ; ceci constitue, évidemment, un élément important de chronologie relative. Plusieurs séries de sillons (fig. 6 Β, C, D, E) parallèles à la terrasse indiquent les avancements progressifs de la ligne côtière ; la dernière de ces bandes sableuses est la ligne de rivage actuelle (fig. 6 F). D’autres lignes se disposent en arc (fig. 6 G, E, I) et forment le cordon littoral du lac de Lesina. La ligne Β semble se prolonger par une petite langue de terre ; à son extrémité se situe une nécropole de l’époque préromaine et romaine74 (fig. 7). La ligne E semble être continue : elle constitue, probablement, une ancienne limite côtière ainsi que le cordon de barrage définitif du lac.
- la partie finale du cours du fleuve est très tortueuse. Les traces de plusieurs courbes et méandres anciens sont bien visibles.
- on arrive à distinguer au moins quatre embouchures du fleuve différentes. La première, marquée sur la fig. 6 par le numéro 1, se prolonge au sud jusqu’à traverser le cordon littoral qui barre le lac de Lesina. Dans les cartes topographiques, elle est indiquée par le toponyme de Acquarotta. Le lit du fleuve peut être nettement aperçu dans sa partie finale, alors que sa trace disparaît presque dans la zone intermédiaire, où des œuvres récentes de canalisation ont probablement altéré le paysage. La dernière partie de ce cours d’eau, qui traverse la barre sableuse qui bouche le lac de Lesina, est également le résultat d’œuvres modernes de canalisation : elle apparaît en fait dans les cartes topographiques sous le toponyme Canale Acquarotta75. Cette branche du fleuve traverse une couche géologique tout à fait cohérente avec la composition du lit du fleuve Fortore76. Elle longe, à peu près, le bord de la terrasse A, à savoir la probable ligne de rivage originaire. Une deuxième embouchure (fig. 6, n. 2) est à peu près parallèle à la première et plus proche de la ligne de rivage actuelle. Elle se trouve à la limite de deux couches géologiques de nature différente : le versant méridional a la même composition du lit du fleuve, tandis que le côté plus proche de la mer est constitué de couches sédimentaires de formation géologique plus récente, datant de la fin de l’Holocène77. Cette deuxième branche s’arrête à proximité de la localité Pietra Maura et de Torre Fortore (fig. 6, n. 5), en retrait de la ligne de côte actuelle ; elle correspond à la branche de la rivière désignée dans les cartes topographiques par l’appellation, tout à fait éloquente, de Fiume morto78. On distingue clairement sa partie finale, tandis que son cours moyen est mal lisible. Enfin, nous pouvons reconnaître deux autres embouchures plus penchées vers le nord-ouest (fig. 6, n. 3 et n. 4). Ces deux branches du fleuve sont désignées dans les cartes par les toponymes, eux aussi très parlants, de Bocca Vecchia (fig. 6, n. 3) et Bocca Nuova79 (fig. 6, n. 4). Cette dernière est l’embouchure actuelle du Fortore.
39En conclusion, la première ligne de côte doit être probablement située à la hauteur de l’ancienne terrasse marine qui apparaît dans notre fig. 6 designée par la lettre Α. V. Russi arrive à cette même conclusion, mais il estime que la plus ancienne embouchure du fleuve, la branche dite l’Acquarotta, aurait produit déjà à l’époque préhistorique le barrage du lac de Lesina80. Il est vrai que les sites préhistoriques se situent à l’intérieur de cette ligne (fig. 7), mais ceci ne peut donner aucune indication plus précise quant à l’époque de barrage des lacs ; il s’agit plutôt d’un simple terminus post quem. En revanche, une branche du fleuve paraît traverser la langue de terre délimitée par le cordon Β (fig. 6), qui se prolonge jusqu’à l’extrémité orientale du lac, sur laquelle se trouve une nécropole datée de l’époque préromaine et romaine (fig. 7). Nous pourrons donc supposer que la ligne Β a été jusqu’à cette époque la ligne de rivage. Au nord de cette ligne, les cordons C, D et G, pourraient constituer des étapes progressives de l’avancement du littoral. Si on suppose que la ligne côtière ancienne suivait le profil de ces langues de terre, on obtient une sorte de pointe avancée dans la mer81. Nous croyons qu’il s’agit justement de la Punta de via visible dans les portulans du Moyen Âge (fig. 1).
40La ligne suivante E, se superpose à tous ces cordons et se prolonge sur la bande de terre qui barre le lac (fig. 7). Sur ce cordon E se trouve une autre embouchure du fleuve, désignée par le toponyme Fiume Morto (fig. 6, n. 2). Cette branche s’arrête avant de rejoindre l’actuelle ligne côtière, juste au nord du lac, au lieu-dit Pietra Maura, près de Torre Fortore (fig. 6, n. 5).
41Ces toponymes sont exactement les mêmes que ceux indiqués dans les cartes du xviie siècle de Magini et de Coronelli (fig. 2 ; fig. 5). L’ancienne embouchure du fleuve aujourd’hui désignée comme Fiume Morto est probablement celle qui apparaît dans les cartes du xviie siècle à la hauteur de Torre Fortore et de Pietra Maura ; ce niveau de la ligne de côte correspondrait à peu près au cordon E. Il y a une dernière remarque à ajouter : la ligne côtière E, relative à l’embouchure de Torre Fortore, se prolonge jusqu’à se superposer aux langues de terre plus anciennes (B et G) et arrive à barrer le lac.
42Mais au début du xviie siècle une autre branche du fleuve, probablement Bocca Vecchia s’était déjà formée plus au nord, car une deuxième embouchure apparaît dans les cartes de Magini et Coronelli (fig. 2 ; fig. 5). Le début de ce siècle constitue donc le terme chronologique ante quem pour dater l’embouchure de Fiume Morto et post quem pour dater l’embouchure de Bocca Vecchia. Par conséquent, l’ouverture de l’embouchure actuelle Bocca Nuova doit être située au cours des derniers trois siècles. Cet intervalle de temps nous donne une idée de la relative rapidité des modifications intervenues dans ce littoral adriatique.
2. Les lacs de Lesina et de Varano
43Ces deux lacs, situés aussitôt après l’embouchure du Fortore, bordent actuellement une partie du versant septentrional du Monte Gargano ; leur formation semble toutefois être postérieure à la période historique qui nous concerne.
44Les sources anciennes offrent une documentation précieuse bien que problématique. Deux lieux significatifs apparaissent dans la description de Strabon (VI, 3, 9) : les îles Diomédées, situées en face du Monte Gargano, et la petite ville d’Uria, qui se situerait après la pointe de ce même promontoire82. En réalité, comme le souligne Lasserre, l’orientation donnée par Strabon —dont la source probable est ici Artémidore83 — n’est pas correcte. Les îles Diomédées, certainement les actuelles Tremiti, ne se trouvent pas sur la même ligne du promontoire, mais elles sont plutôt sur le prolongement de son versant nord, en face, précisément, des lacs de Lesina et de Varano84.
45Plus intéressant pour nous est un deuxième passage (VI, 3, 11), où Strabon précise qu’aussitôt après le Gargano il y a un golfe profond suivi d’un marais et qu’ici habitent les Apuliens proprement dits ; à proximité du golfe, mais à l’intérieur des terres, se trouve la ville de Teanon Apoulon85. Cette dernière indication ne laisse aucun doute sur l’emplacement du territoire décrit par Strabon.
46La ville de Teanon, dont le nom daunien était Tiati, correspond sûrement à l’actuel San Paolo Civitate86 ; cette ville se trouve, en effet, près de la vallée du Fortore, à l’intérieur du lac de Lesina. Plusieurs éléments de ce passage de Strabon demeurent toutefois problématiques ; non seulement la mention obscure des « Apuliens proprement dits », mais aussi l’emplacement erroné de Cannes dans la Daunie septentrionale. Selon Lasserre, cette erreur trouverait son origine chez la source de Strabon, Artémidore87. Pour A. Grilli, les contradictions du texte relèvent de la volonté de Strabon d’accorder ici ses sources grecques (Timée, Polybe, peut-être Posidonius) avec la réalité administrative romaine88, problème qui se présente d’ailleurs constamment dans la description de la Péninsule89.
47Quelles que soient les difficultés de Strabon, qu’il avoue d’ailleurs de manière assez franche90, on peut retenir de ce passage l’attestation de l’existence d’un golfe, suivi d’un marais, sur le côté nord du Gargano. Si nous passons à l’examen du texte de Pline, nous y retrouvons une liste de noms de lieux, qui se déroule du sud vers le nord, comprenant, immédiatement après Sipontum, Uria, amnis Cerbalus, Dauniorum finis, portus Aggasus, promontorium montis Garganis (...) portus Garnae, lacus Pantanus, flumen portuosum Fertor91. Dans ce passage aussi, les contradictions et les problèmes ne font pas défaut. Il est difficile d’admettre que le torrent Cervaro (l’amnis Cerbalus) ait pu constituer la limite méridionale de la Daunie ; même à l’époque romaine, cette région s’étendait sans doute jusqu’à l’Aufidus. Il est également difficile d’identifier certains des lieux mentionnés par l’érudit latin : Uria, mais aussi portus Aggasus. D’ailleurs, Pline rencontre ici les mêmes problèmes que Strabon, comme le témoigne son hésitation sur la frontière ancienne entre l’Apulie et le Samnium, déplacée désormais à son époque par la division administrative d’Auguste92. Toutefois, on remarque un élément de coïncidence assez précise avec le récit de Strabon ; sur la côte nord du Gargano se succèdent directement le portus Garnae, dont la mention semble attester la présence d’une anse naturelle, et le lacus Pantanus, qui pourrait bien correspondre au marais de Strabon.
48Il nous reste à examiner un autre témoignage important, celui de Pomponius Mela, qui mentionne dans sa Chorographie un sinus (...) continuo Apulo litore incinctus nomine Urias, modicus spatio pleraque asper accessu, extra Sipontum93. Selon Mela, qui décrit la côte, comme Pline, remontant du sud vers le nord, le golfe d’Uria suit l’anse de Sipontum et paraît donc être situé sur le versant méridional du Gargano.
49Il faudrait ici ouvrir une brève parenthèse sur la question, depuis longtemps débattue, de l’identification de la ville d’Uria94. Son nom est mentionné, comme on l’a vu, par les trois auteurs anciens, toujours en relation avec un golfe. On peut déjà remarquer des discordances assez évidentes parmi ces textes ; pour Strabon, la ville semble être située sur le versant nord du Gargano, tandis que, d’après Pline et Pomponius Mela, elle devrait plutôt être placée sur le côté méridional du promontoire. L’emplacement de ce polismation, comme il est défini par Strabon, a provoqué de nombreuses discussions entre historiens et archéologues contemporains. La plupart s’accorde à l’identifier avec l’un des sites de la côte nord du Gargano95.
50Plus récemment, E. Lippolis est revenu sur la question, proposant d’identifier Uria avec le site de Vieste, situé à l’extrémité du versant méridional du Gargano96. Cette identification, fondée sur les découvertes récentes d’une importante phase romaine de ce site côtier97, pourrait être validée par un élément de la cartographie ancienne. Malgré, ou peut-être à cause de leur schématisation, les portulans dessinent constamment le promontoire du Gargano comme une sorte de triangle dont le sommet est la ville de Manfredonia, située à l’extrémité nord-orientale du vaste golfe de Siponte. Les autres ports et villes sont alignés sur le côté nord du promontoire : Beste ou Bastie, c’est-à-dire l’actuel Vieste, et Monte Sancto Angelo, Monte S. Angelo, qui se trouve à l’intérieur, mais constitue probablement un point d’orientation pour la navigation à cause de son altitude.
51On pourrait se demander si cette perspective n’est pas la même de Strabon, quand il affirme que les îles Diomédées sont situées en face du promontoire —tandis qu’elles sont en réalité sur le prolongement de son côté septentrional— et que l’on trouve la ville de Uria aussitôt après avoir doublé le cap. D’autant plus que cette tendance à schématiser les éléments constitutifs du paysage sous la forme d’un triangle est assez répandue dans les descriptions gegraphiques anciennes98.
52En tout cas, l’identification du nom du site nous paraît au bout du compte moins essentielle que la compréhension de la réalité historique qui découle plutôt de l’interprétation des données archéologiques. Faute de quoi, on risque de donner des noms à des réalités qui restent, malheureusement, dépourvues de signification : nomina nuda tenemus... En l’état actuel de la recherche, si l’importance de la Vieste romaine —Uria si l’on préfère— apparaît indéniable, les témoignages de l’Âge du Fer semblent indiquer une fréquentation plus importante sur les sites, anonymes et mal connus, de la côte septentrionale du Gargano99.
53En résumé, on doit retenir la présence probable d’un golfe sur la côte nord du Gargano, sur lequel au moins Strabon et Pline reviennent avec une certaine précision. Ce golfe est suivi par un marais (Strabon) ou par un lacus appelé Pantanus (Pline). Ces mêmes éléments semblent revenir aussi dans les cartes nautiques du Moyen Âge, même s’ils se présentent sous une forme très schématisée. Dans la carte pisane (fig. 1), aussitôt après la Punta de via, donc après l’embouchure du Fortore, la côte dessine un arc légèrement en retrait, suivi par une anse assez vaste, au profil arrondi, nommée Golfo de Varan. Dans les portulans de A. Dulcert (1339) et de G. Solari (1385), on retrouve exactement la même anse ronde, mais un toponyme différent : Pantani ou Pantano. Ceci pourrait signifier que le Golfe de Varano et le lieu-dit Pantano étaient si proches qu’ils pouvaient être facilement confondus, ou bien considérés par les navigateurs comme un seul point de repère.
54Un autre élément intéressant se trouve dans la carte nautique de Mecia de Viladestes de 1413, conservée à la Bibliothèque Nationale de Paris : elle montre un golfe rond, nommé Pantani, au milieu duquel apparaît un petit trait rectiligne qui pourrait évoquer l’embouchure d’un cours d’eau. Cette documentation médiévale est d’importance fondamentale, parce qu’elle témoigne, de façon claire, de la présence d’un golfe là où, quelques siècles après, on retrouve un petit lac qui garde le même nom, Varano. D’autre part, ces documents attestent de la persistance, à ce même endroit, d’un toponyme déjà familier à Pline, Pantano. La tentation de situer ici le bathus kolpos, suivi de la limne de Strabon, ainsi que le portus Garnae et le lacus Pantanus de Pline, est justifiée, à ce point-ci, par plusieurs raisons.
55L’existence d’un ou de deux golfes anciens dans cette région est parfaitement compréhensible du point de vue géographique ou géologique, car la formation sédimentaire de ces lacs est certainement due à l’accumulation des dépôts alluviaux provenant de l’embouchure du Fortore100. Il s’agit en fait d’un cas typique de littoral construit, si fréquent en Méditerranée (par exemple dans le Midi de la France, entre Narbonne et Aigues Mortes) et dans l’Adriatique même101.
56Du point de vue historique, il est néanmoins important de déterminer l’époque de transformation de cette région côtière. La limite chronologique la plus ancienne pour l’existence de ce golfe est l’âge d’Auguste (témoignage de Strabon) ou même le iie siècle avant J.-C. (Artémidore d’Ephèse, probable source de Strabon). La disparition définitive du golfe peut être datée avec plus de précision. L’anse dite « Golfo di Varano » apparaît encore dans les portulans des xve et xvie siècles102, alors que les lacs apparaissent déjà formés dans l’Atlas de Magini de 1620 (fig. 2, lac de Lesina ; fig. 9, lac de Varano)103. En plus, on a des raisons de croire qu’à ce moment la formation du lac de Varano venait de s’accomplir, car le golfe homonyme est encore indiqué dans des cartes nautiques assez détaillées datant vers la fin du xvie siècle104. Comme on le verra par la suite, c’est à peu près de la même période, vers la fin du xvie siècle, qu’on date aussi le barrage de la lagune située au sud du Gargano105. Pour conclure, si on admet qu’un vaste golfe s’ouvrait à l’emplacement du lac actuel de Varano, au moins dès l’époque romaine jusqu’à la fin du xvie et le début du xviie siècle, on peut supposer que ce golfe existait même à une époque plus ancienne et donc pendant la période qui nous concerne plus directement106. Tout en admettant que ces changements environnementaux ont pu connaître des phases alternatives dans les différentes époques107, comme semble le suggérer la distribution des sites archéologiques côtiers.
57Ces observations doivent évidemment être confrontées à la distribution des habitats anciens dans cette région côtière. Meluta Marin a dressé un bilan des découvertes archéologiques —du Paléolithique inférieur jusqu’à l’époque romaine— autour du lac de Varano108. Sa carte de distribution (hg. 8) montre que la plupart des établissements se situaient sur le bord oriental et sud-oriental du lac109. Deux établissements se trouvent toutefois sur le cordon littoral. Un site préhistorique occupe l’extrémité occidentale de la langue de terre, dans la localité Zappinello110 (fig. 7, n. 9). Un autre site, qui remonterait à l’Âge du Fer, est situé près de Masseria Di Vita, donc beaucoup plus à l’est : cette localisation est, toutefois, moins sûre111 (hg. 8). V. Russi situe des tombes de l’Âge du Fer plus près du bord du lac, à Foce Varano112 mais aussi au milieu du cordon littoral113. Trois sites de l’Âge du Bronze ont été découverts à Torre Mileto114 (entre les deux lacs), à Masseria Pasquarelli et Masseria Iacovelli115 (sur la rive orientale du lac de Varano) (fig. 7). Nos données sur le lac de Lesina sont moins détaillées. Plusieurs établissements —dont la chronologie est très vague et s’étale du Paléolithique au Néolithique— sont disposés en arc autour du bord oriental du lac116 (fig. 9). Ils sont fondés sur la terrasse qui devait constituer la ligne primitive de rivage (fig. 6 A), comme nous l’avons remarqué plus haut. V. Russi signale une nécropole de l’époque préromaine et romaine dans la localité Porcareccia, qui se trouve à peu près sur l’extrémité orientale du cordon littoral, et des tombes préromaines à Lesina117 (fig. 7, n. 1).
58La plupart des découvertes archéologiques se situent donc sur les bords intérieurs des deux lacs. Les traces de sites anciens sur les cordons littoraux sont beaucoup moins fréquentes et, dans la plupart des cas, se concentrent à leurs extrémités, qu’on pourrait considérer comme les pointes terminales des anciennes anses. On peut également supposer la présence de petits îlots en face de l’ancien golfe, qui auraient pu permettre l’installation d’habitats ou de nécropoles. Ces îlots ont pu être même submergés périodiquement palla mer, selon la variation des courants maritimes. Mais l’existence éventuelle de ces petites îles n’a pu changer radicalement l’aspect de ces lieux. Comme la cartographie le prouve, au moins entre le Bas Moyen Âge et le début du xviie siècle, cet espace a toujours été perçu comme un golfe ouvert sur la mer.
59Pour compléter l’analyse de cette partie de la côte, il nous reste à mentionner brièvement l’existence de marécages (Torre di Calalunga, Torre di Gusmai, Pantano di Sfinale), actuellement comblés118, sur la pointe orientale du promontoire du Gargano. La côte avait sans doute ici un profil plus découpé qu’elle ne présente d’aujourd’hui119. D’ailleurs, plusieurs escales sont connues sur la côte du Gargano par les sources du Moyen Âge120.
3. Du golfe de Sipontum à l’embouchure de l’Ofanto
60Des modifications importantes se sont produites aussi dans cette zone côtière, qui est aujourd’hui constituée d’une large bande de sable et de terrains marécageux assainis durant le siècle dernier121. Deux lacs, le Pantano Salso au nord et le lac de Salpi au sud, sont les restes d’anciennes lagunes et marais. Notre analyse portera ici sur deux questions essentielles : 1) l’aspect ancien de ces lacs ou lagunes côtières ; 2) les variations de l’embouchure de l’Ofanto.
La lagune de Sipontum et de Salapia
61La description de Strabon présente plusieurs éléments intéressants pour l’étude de cette région. Selon le géographe, entre Sipontum et Salapia il y avait un fleuve navigable (potamòs plotòs) et une stomalimne, l’un et l’autre utilisés pour le transport des marchandises qui partaient de Sipontum, notamment pour le blé122. La signification du mot stomalimne n’est pas tout à fait claire : si le sens général indique un bassin d’eau, lac ou lagune, communiquant avec la mer123, des divergences demeurent dans l’explication précise de ce passage de Strabon. Pour certains, la stomalimne megale correspondrait à un grand lac salé ou à une lagune (Ciaceri, Ferri, Marin, Schmiedt)124, pour d’autres à un estuaire (Riontino, Delano Smith)125 ou bien à une « grande lagune d’embouchure » (Lasserre)126. Cette dernière interprétation est probablement la plus apte à rendre la complexité de cet élément du paysage. En fait, le terme stomalimne apparaît souvent chez Strabon pour désigner justement des embouchures de fleuves qui forment des étangs ou des marécages en bord de mer : par exemple, le Scamandros et le Rhône127. Pour ce dernier, Strabon précise même que son embouchure déborde dans une limnothalatta, qu’on appelle stomalimne ; la limnothalatta est, probablement, un lac ou un étang situé en bord de mer128. Comme on le verra par la suite, ce débat n’est pas seulement linguistique, car ces différentes traductions ont donné lieu à de reconstitutions différentes du paysage ancien. Nous pouvons aussi ajouter que ce genre de descriptions supposent que le paysage est vu par la mer, à confirmation de la probable dépendance des périples que nous avons soulignée plus haut129.
62Un autre élément de la description de Strabon mérite d’être retenu, à savoir la mention d’un canal dirigé vers la mer, commencé par Diomède et resté inachevé. Cette remarque est très intéressante car elle suggère, sous forme de récit mythique, une possible intervention artificielle dans la plaine, peut-être déjà abandonnée et partiellement colmatée à l’époque de Strabon, qui a pu la considérer comme un ouvrage inachevé. Le lexique de la Géographie est dans ce cas très précis. Le mot dioryx est également employé par Hérodote pour décrire la construction des canaux130. Ce terme revient couramment dans les papyrus égyptiens pour indiquer des conduites d’eau artificielles, souvent navigables (plotoi)131. Des œuvres hydrauliques sont d’ailleurs attestées pour la période archaïque dans les plaines adriatiques : les restes de canalisations étrusques ont été reconnus dans le territoire du Pô132 et les traces de canaux savamment bâtis ont été récemment mis au jour dans les habitats dauniens du vie siècle av. J-C.133.
63La comparaison avec le lexique des papyrus pourrait éclaircir aussi d’autres éléments du passage de Strabon. Le géographe d’Amasée affirme que la douceur (eudiné) de cette terre dérive de sa forme creuse (dià ten koi- loteta). Expression assez obscure, malgré l’explication proposée par Lasserre : « Du fait que les plaines sont en cuvette, les terres se trouvent à l’abri des vents »134. Or, l’association des mots koilas et dioryx est couramment employée dans les papyrus égyptiens pour désigner une réalité hydrographique assez particulière : dans ce contexte, « koilas est un endroit creux qui a été aménagé en canal, mais susceptible de devenir sec ou de retrouver un rôle de voie d’eau (...) »135. Ce mot indique donc des terrains qui ont « peut-être gardé quelque humidité qui rend la terre alluviale » ; il témoigne de « l’état antérieur du réseau hydrographique »136, bien que disparu depuis plusieurs siècles.
64La même valeur sémantique, liée aux lits des fleuves, se retrouve, d’ailleurs, pour le mot koiloma dans d’autres textes grecs137. Cette acception nous paraît mieux convenir au passage de Strabon : ce serait exactement l’ancienne présence de cours d’eau, qui déterminerait la prospérité et le climat doux de la région. Cette lecture attribue donc une position centrale à l’élément hydrique, naturel et artificiel, dans le paysage et dans l’économie de la Daunie.
65Nous disposons d’une autre source précieuse sur le paysage maritime de la Daunie méridionale : c’est Vitruve (I, IV, 12), qui témoigne de la nouvelle fondation de la ville de Salapia dans un lieu plus salubre (idoneum locum), décidée par le consul M. Hostilius à la demande des habitants de la ville. Ce fait laisse supposer que des changements environnementaux importants ont dû se produire vers la fin de l’époque républicaine. Comme le souligne G. Schmiedt, il est possible que le climat, devenu plus aride vers la fin de la République, ait été l’une des causes du comblement progressif de la lagune. Par conséquent, le lieu devait être désormais malsain et infesté par le paludisme (incolae quotannis aegrotando laborantes)138.
66L’analyse des photographies aériennes mérite une mention à part, car elle a fait sensiblement progresser la recherche sur cette région daunienne. Dans un article paru en 1973, G. Schmiedt a identifié l’existence d’une ancienne ligne côtière continue, en forme de croissant, qui correspondrait grosso modo à l’actuelle courbe de niveau des 5 mètres (fig. 10). Cet arc était séparé de la pleine mer par un cordon de dunes qui se déployait presqu’en éventail, jusqu’à l’embouchure de l’Ofanto139. Ce cordon aurait été assez large pour permettre le passage des routes romaines indiquées par la Tabula Peutingeriana (fig. 11) et par l’Itinerarium Antonini140. Plusieurs cours d’eau, correspondant de nos jours aux torrents Gelone, Candelaro, Cervaro, Cara-pelle, Fosso Marana di Castello, se jetaient dans cette grande lagune côtière communiquant avec la mer. Ces fleuves, qui apparaissent dans la photo aérienne bien plus larges qu’aujourd’hui, ont pu constituer dans l’Antiquité d’importantes voies de communication141. Cette hypothèse est d’ailleurs confirmée aujourd’hui par les analyses paléobotaniques effectuées dans la plaine d’Arpi, autour de l’ancien lit de ces torrents, dans des couches des ve et ive siècles av. J.-C.142. L’aspect général de cette lagune, existant probablement dès le Néolithique, a dû se modifier vers la fin de l’époque républicaine, comme le montre bien le récit de Vitruve, que nous avons plus haut évoqué. Autour de cette grande lagune se trouvaient les sites préhistoriques et protohistoriques de Coppa Nevigata, Masseria Cupola, et Salapia préromaine. G. Schmiedt a pu aussi identifier l’embouchure d’un ancien fleuve en forme de méandre, au milieu du cordon littoral des dunes, aussitôt au sud de Torre Rivoli et de l’embouchure du Carapelle143. Il estime pouvoir situer à cet endroit la stomalimne megale de Strabon, qu’il traduit « bouches d’une grande lagune ». Il faut toutefois considérer, comme G. Schmiedt lui-même le remarque, que les traces du bord de la lagune entre le lac Salso et Sette Poste144 ne sont pas visibles sur la photographie aérienne. Elles réapparaissent clairement dans le trait suivant, jusqu’au lieu-dit Torretta dei Monaci, où se trouvent les restes de la Salapia préromaine. Schmiedt explique ce fait par l’effet des assainissements récents —visibles grâce à la comparaison des photos de 1945 et celles de 1955— qui ont pu altérer profondément la physionomie du terrain145. C’est une explication vraisemblable: nous avons d’ailleurs vu que le même phénomène s’est produit à l’embouchure du fleuve Fortore. Mais on pourrait également se demander si l’interruption du marais dans cette zone ne peut suggérer une hypothèse alternative de reconstitution.
67C. Delano Smith a mené pendant plusieurs années des recherches fondées non seulement sur les données des photographies aériennes et de la documentation cartographique, mais aussi sur l’analyse des dépôts sédimentaires. Les résultats obtenus sont en partie divergents de ceux qu’on vient de décrire. La savante anglaise suppose en effet la présence de deux lacs, ou mieux, de deux lagunes côtières séparées entre elles par une langue de terre. Le plus septentrional de ces bassins d’eau, s’étendant au sud de la ville romaine de Sipontum est devenu plus tard le lac Salso146, dont l’extension actuelle est bien plus réduite par rapport au passé147. Cette lagune était constituée par une anse ouverte vers la mer, dont l’accès était en partie obstrué par une île ou par une barre de sable. Dans cette lagune se trouvait l’embouchure du fleuve Candelaro, que Delano Smith identifie avec le fleuve navigable mentionné par Strabon. Quant à la stomalimne megale, elle serait précisément cette lagune, qui coïncide avec l’estuaire du fleuve ; la traduction du terme serait ainsi « bouche d’un fleuve, estuaire »148. La forme d’un estuaire barré par une langue de sable, est d’ailleurs perceptible dans les reproductions cartographiques du lac Salso qui remontent aux xviiie-xixe siècles149 (fig. 12). Cette lagune abritait, à l’époque romaine, le port de Sipontum150 ; à l’époque protohistorique, deux sites majeurs se trouvaient sur ses bords, Coppa Nevigata et Masseria Cupola. La deuxième lagune, plus méridionale, se trouvait juste au-dessus de l’embouchure de l’Ofanto, à hauteur du lac Salpi151, qui est aujourd’hui presque totalement transformé en salins. Elle se prolongeait à l’intérieur, en forme de petit lac, jusqu’à Marana di Lupara152. Les traces de l’habitat de la Salapie daunienne ont été découvertes sur le bord intérieur de cette lagune, à Torretta dei Monaci153 ; la ville fondée à l’époque romaine est à localiser sur le Monte di Salpi et son port auprès de l’actuelle Torre Pietra154, sur la langue de sable qui côtoie la mer155 (fig. 10, n. 4). Les deux lagunes étaient séparées par une étroite langue de terre, dans laquelle se trouvait l’embouchure du fleuve Carapelle (fig. 12) et qui correspond à l’emplacement de l’actuelle Torre Rivoli156.
68En résumé, les hypothèses de G. Schmiedt et de C. Delano Smith concordent sur plusieurs points : les deux chercheurs soulignent la présence d’un milieu lagunaire ouvert vers la pleine mer, ainsi que l’existence de plusieurs cours d’eau bien plus abondants qu’aujourd’hui, qui ont dû constituer d’importantes voies de communication. Les divergences concernent uniquement la reconstitution de l’ancienne embouchure du Carapelle et du cordon côtier des dunes, à la hauteur de Torre Rivoli. Ici, G. Schmiedt reconnaît les anciennes bouches de la lagune, qu’il identifie avec la stomalimne megale de Strabon157. C. Delano Smith situe à ce même endroit une langue de terre qui aurait séparé les deux lagunes empêchant la navigation côtière continue entre les deux bassins lagunaires. La stomalimne serait alors l’estuaire du Candelaro, à identifier avec le potamos plotos, tandis que les autres fleuves, d’importance mineure, n’auraient laissé aucune trace dans les sources littéraires158. À bien regarder, les divergences entre ces deux modèles de reconstitution ne concernent pas tellement le cadre géographique de ce territoire, qui reste fondamentalement le même. Elles entraînent plutôt des conséquences sur le plan du contrôle et de l’organisation du territoire, selon qu’on doive imaginer la cohabitation de plusieurs communautés sur un espace territorial unique, ou bien l’existence de deux milieux territoriaux similaires mais indépendants l’un de l’autre159.
69Les recherches sur cette côte adriatique ont été enrichies et complétées par l’étude du paléoenvironnement et du paysage de Coppa Nevigata160, l’un des sites protohistoriques les plus importants de cet espace, situé à proximité de l’embouchure du fleuve Candelaro. L’analyse de l’image du satellite a permis de visualiser, par les contrastes de couleur, le bord intérieur de la lagune ainsi que la limite du cordon des dunes préhistoriques161 (fig. 13). Le profil de l’estuaire du Candelaro a été mieux précisé à l’aide de carottages : il devait rejoindre au nord le site de Fontanarosa, au sud Santa Tecchia, au nord-est Coppa Nevigata et Masseria Valente. Le fait que cette lagune était sûrement ouverte vers la mer a été aussi confirmé par la présence d’une remarquable quantité de mollusques d’eau salée162. Toutefois, on ne dispose d’aucun élément nouveau permettant de redéfinir les limites de l’ancienne lagune et son rapport avec l’embouchure du Candelaro. Faute d’une lecture approfondie de l’image satellitaire, encore dans une phase préliminaire du traitement163, les chercheurs préfèrent suivre la lecture de la photo aérienne faite par G. Schmiedt164.
70S’il est très difficile, en l’état actuel, de prendre une position en faveur de l’une ou l’autre des hypothèses sur la modification de cette bande côtière165, l’observation d’autres images du satellite permet d’ajouter quelques considérations. La figure 14 reproduit une composition colorée obtenue à partir de la reprise Landsat du juillet 1992. Les zones plus humides et riches de végétation apparaissent en bleu violacé, par effet du canal 4. Les concentrations de calcaires et de sables sont en vert et en jaune, les agglomération urbaines en gris-vert, par effet du canal 5. Les cultures et les parcelles labourées —qui ont un fort pouvoir d’inertie thermique— apparaissent en rouge à cause de la forte température des sols (canal 6)166. On voit donc au nord, en noir, le large lit du fleuve Candelaro, qui débouche dans la lagune avec un large estuaire, en forme de triangle. Cette zone dépasse largement le lac Salso et les traces de la lagune encore visibles sur le terrain. Cet ensemble —fleuve-estuaire— définit un milieu géographique bien déterminé, qui semble se détacher nettement de l’autre partie de l’arc côtier. Quant à l’embouchure de l’Ofanto, elle aussi est entourée sur son versant gauche par une large zone humide. Ce fait semble donc suggérer l’existence originelle d’un milieu humide beaucoup plus vaste, qui a pu être comblé par les dépôts sédimentaires du fleuve.
71On pourrait se demander si cette réalité géographique ne correspondrait pas à l’interprétation du passage de Strabon que nous avons plus haut proposée167. Cette situation doit toutefois remonter à une époque bien antérieure à celle dont nous traitons, puisque la limite intérieure de cette zone humide dépasse même l’emplacement des sites de l’Âge du Bronze (ex. Trinitapoli). Cette dynamique d’évolution du littoral, due à l’action conjointe des deux fleuves, le Candelaro au nord et l’Ofanto au sud, a pu comporter la formation d’un cordon lagunaire contigu, à une époque qui reste toutefois difficile à préciser. Il serait essentiel à ce propos d’effectuer des sondages archéologiques ou des carottages dans la zone située sur la rive gauche de la basse vallée de l’Ofanto, pour vérifier ces interprétations qui restent, à l’heure actuelle, des hypothèses de travail.
72Il faut se demander à quelle époque s’est produit le barrage définitif de ces grands marais côtiers. La lagune septentrionale paraît encore ouverte sulla mer dans les cartes de Gastaldi (1564), de Danti (1580)168 et d’Ortelius (1595)169 (fig. 15). Sa fermeture pourrait toutefois remonter précisément à ces années, puisqu’elle est déjà remplacée par un lac dans une carte anonyme de 1582 et dans le plan de Magini de 1620170 (fig. 16). À moins de supposer des imprécisions des cartographes, ces contradictions semblent montrer que l’occlusion de la lagune s’est produite dans un laps de temps assez court.
73À peu près à la même époque se situe, comme nous l’avons montré, le barrage définitif du Golfe de Varano (fig. 16). Quant à la lagune de Salpi, ce phénomène a reçu des explications différentes, qui ne sont pas forcément incompatibles entre elles. Delano Smith suppose que la baisse exceptionnelle de la température, qui se vérifia en Europe vers la fin du xvie siècle, a pu entraîner des modifications géomorphologiques profondes, telle l’inversion de l’orientation des courants maritimes dans cette région adriatique, cause probable de la fermeture de la lagune171. Selon une autre hypothèse, ce barrage serait plutôt la conséquence de l’œuvre de déboisement intensif dû à la création de la Dogana delle Pecore au milieu du xve siècle172.
L’embouchure de l’Ofanto
74Il nous reste à examiner brièvement le territoire qui entoure l’embouchure de l’Ofanto. Les variations principales dans cette région ont concerné le cours et le débit du fleuve. Dans les cartes du xviie siècle, par exemple celle de Magini (1620), l’embouchure du fleuve semble être légèrement en arrière par rapport à son emplacement actuel, puisque la Torre dell’Ofanto y est représentée sur la ligne côtière (fig. 16), tandis qu’elle se trouve aujourd’hui un kilomètre environ à l’intérieur des terres173. Toutefois l’avancement de la ligne de côte a probablement été limité, si l’on pense que le centre préromain de Barletta, situé aussitôt au sud de l’embouchure du fleuve, occupait la même position que la ville côtière actuelle, au moins à partir du milieu du ive siècle av. J.-C.174. Il faut aussi rappeler que ces variations n’ont pas toujours suivi la même direction au cours du temps ; si l’embouchure du fleuve a légèrement avancé entre le xviie et le xixe siècle, elle recule aujourd’hui sensiblement à cause des prélèvements fréquents de sable175 (fig. 17).
75En revanche, des modifications importantes se sont certainement produites par rapport au débit du cours d’eau, aujourd’hui très limité. L’Ofanto actuel, presque complètement asséché pendant les longs étés des Pouilles, ne correspond guère à l’image de l’Aufidus impétueux et même redoutable souvent évoquée dans les vers d’Horace176. Polybe, dans son récit de la campagne d’Hannibal, fait une brève digression sur l’Anfidus177, le seul fleuve, souligne-t-il, qui traverse les Apennins d’un versant à l’autre : l’importance de cette voie de communication fluviale ressort ainsi de façon assez évidente. Silius Italicus évoque souvent le fleuve dans sa description de la bataille de Cannes. La fureur des tourbillons devient ainsi une métaphore très efficace de la violence qui anéantit et emporte l’armée romaine dans la plaine voisine178. Strabon (VI, 3, 9) affirme qu’il existait un emporion de Canosa situé à 90 stades (16,65 km environ) de l’embouchure du fleuve Aufidus : ceci laisse clairement comprendre qua son époque l’Aufidus était navigable, au moins dans la dernière partie de son cours. Toutefois, ce port fluvial n’était probablement pas le seul : les documents archéologiques montrent l’existence d’une escale maritime à Bardulos, active au moins à partir du milieu du ive siècle av. J.-C.179.
Le paléoenvironnement de la côte adriatique du Biferno à l’Ofanto
76Ce domaine de recherche a été abordé de façon assez inégale dans les différentes régions adriatiques. Dans la vallée du Biferno, plusieurs campagnes de prospection ont été effectuées par l’équipe de l’Université de Sheffield dirigée par G. Barker. Les sites de cette vallée révèlent l’existence d’un système d’exploitation du territoire fondé depuis le Néolithique jusqu’aux vie-ve siècles av. J.-C., sur la culture des céréales et des légumes, sur l’élevage de bovins et d’ovins, ainsi que sur l’exploitation des forêts situées autour de la vallée du fleuve180. D’autres données proviennent des analyses paléobotaniques réalisées sur un échantillon des nombreux restes végétaux retrouvés dans les fouilles de Campomarino, à l’intérieur et surtout à l’extérieur des cabanes des viie-ve siècles181. Ces restes botaniques révèlent la présence prépondérante de légumes (Vicia Faba), suivis des céréales (Hor- deum vulgare, Triticum dicoccum, Avena sativa) ; à remarquer les traces précoces de la présence de vignes, même s’il s’agit probablement d’espèces sauvages182.
77Le Monte Gargano était probablement, au cours de l’Âge du Fer, bien plus riche en forêts comme l’était, d’ailleurs, la plus grande partie de la Péninsule183. La Foresta Umbra, constituée pour la plupart de chênes, est aujourd’hui le dernier débris de cette riche végétation originelle, que les vers d’Horace peignent de façon suggestive184. Les analyses effectuées sur les pollens provenant du territoire de Ischitella, à l’est du lac de Varano, ont révélé la présence de plusieurs espèces de chênes et de pins, ainsi que de noisetiers et d’ifs185. Les ressources des forêts ont dû constituer un atout non négligeable pour l’économie de la région. À côté du bois, il faut en effet considérer l’exploitation possible d’autres produits, comme les glands, qui constituaient l’un des éléments essentiels de l’alimentation des porcins et pouvaient même être utilisés dans la fabrication du pain186. La résine, dont Pline souligne l’importance187, devait être une autre ressource importante de ce milieu naturel. Une étude accomplie par une équipe anglaise a essayé de reconstituer l’environnement et ses ressources anciennes à partir de l’exploitation actuelle de ce territoire. Ces recherches ont privilégié les terrains où se trouvaient des sites néolithiques : Colle Tauro (sur le bord du lac de Lesina), Grotta dell’Angelo (sur le Monte d’Elio, entre les lacs de Lesina et de Varano), Grotta Pippola (immédiatement à l’est du lac de Varano), Coppa Cardone (plus à l’est, entre le torrent Romandato et le torrent Chianara) et Grotta Manaccora (à la pointe orientale du promontoire). Ces terrains sont actuellement exploités, pour la plupart, comme pâturages sauvages, pour des brebis et des chèvres, mais il y a aussi des zones destinées à la culture des céréales et des oliviers, notamment autour des cours d’eaux et des bords des lacs188. Cette organisation est donc fondée sur des formes complémentaires d’exploitation des ressources entre la montagne et la plaine ; dans les sites d’altitude, l’élevage est prépondérant, tandis que dans la plaine l’agriculture a un rôle plus important. Ce constat pourrait suggérer l’existence d’itinéraires de transhumance entre les pâturages de la plaine du Tavoliere et le promontoire du Gargano déjà à une époque très ancienne189. Ce rapprochement n’est pas trop hasardé car, comme le rappelle M. Pasquinucci, la pratique de la transhumance, presque imposée par les conditions environnementales de la Péninsule, est aussi ancienne que la pratique même de l’élevage190. Souvent, les parcours de la transhumance de l’époque préhistorique et protohistorique ont été établis à l’époque romaine et repris à l’époque angevine. C’est probablement le cas des routes qui reliaient l’Apulie au Samnium, bien attestées d’ailleurs à l’époque romaine191.
78L’environnement des lagunes de Sipontum et de Salapia a subi des modifications très importantes au fil des siècles, comme le montre l’enquête menée sur les restes végétaux et fauniques découverts sur le site de Coppa Nevigata, dans les strates du Bronze Récent. Les fragments organiques végétaux appartiennent pour la plupart à des céréales. Le blé y est représenté en proportions très considérables (4 : 1), l’orge est aussi fréquent ; les légumes secs (Vicia Faba) apparaissent en quantités plus réduites ; on remarque en outre la présence de restes de chênes et de conifères carbonisés192. Il s’agit donc d’un type d’agriculture fondé essentiellement sur la culture du blé, qui constituait incontestablement la richesse de ce territoire et de toute la grande plaine du Tavoliere dès l’âge néolithique193. Quant à la faune du site de Coppa Nevigata, elle était composée en grande partie d’espèces sauvages, parmi lesquelles on comptait aussi plusieurs sortes d’animaux typiques du milieu palustre, comme des tortues et des oies. Quant aux espèces domestiques, les nombreux restes d’ovinés, de chèvres et de brebis, montrent l’importance de l’élevage dans le cadre de cette économie194. L’introduction du cheval et de l’âne date ici de la fin de l’Âge du Bronze. Selon certains, ces espèces animales proviendraient du sud de la France ou du nord des Alpes195, selon d’autres du monde égéen196. Tout à fait intéressante est la présence remarquable de restes de cerfs, animaux qui nécessitent évidemment un climat frais et humide et d’abondantes forêts197. Le bilan de ces recherches coïncide avec le cadre donné par les documents anciens. Strabon (VI, 3, 9) connaît bien la fertilité de cette région (pamphoros kai poluphoros) et l’excellence de ses troupeaux et de ses chevaux.
79Le répertoire figuratif incisé sur les stèles dauniennes, provenant notamment de Cupola et Salapia, confirme ce tableau. Les représentations des stèles montrent une grande variété d’animaux, où on peut reconnaître des espèces tout à fait typiques des milieux palustres et des forêts : des canards, des oies, des cygnes, des grues, des outardes, des lièvres, des cerfs, des sangliers et des poissons198.
80En conclusion, l’habitat ancien comprenait des vastes forêts, des prairies et la végétation florissante typique des lagunes côtières199. Une riche faune peuplait encore la lagune au cours du Bas Moyen Âge200. Il est superflu de remarquer combien ce tableau contraste avec le paysage actuel, sec et aride du Tavoliere, où les vestiges de la végétation ancienne, riche en chênes, en ormes et en frênes, ont presque complètement disparu201.
81Ce milieu était, bien entendu, ouvert à l’exploitation des ressources de la mer. Les chercheurs de Coppa Nevigata soulignent l’étonnant pourcentage de restes de mollusques (cardium), dans les couches qui datent du Néolithique jusqu’à l’Âge du Bronze. La présence presque exclusive de ces mollusques révèle une pratique de récolte assez sélective et systématique, effectuée pendant des périodes précises de l’année. Le cas de Coppa Nevigata reste néanmoins plutôt exceptionnel : ici, l’activité économique apparaît plus nettement orientée vers l’exploitation du milieu maritime, donc vers la pêche, la production du sel et l’activité d’échanges202, alors que dans les villages avoisinants (Masseria Valente, Santa Tecchia, Fontana Rosa) la récolte des mollusques s’accompagnait d’autres formes de production, tel l’élevage. Ce n’est sûrement pas un hasard si justement Coppa Nevigata a décelé les traces de fréquentation mycénienne et d’une activité métallurgique précoce, comme on le verra par la suite. On peut ajouter une réflexion supplémentaire sur l’environnement ancien de ce territoire. La présence des mollusques est le signe de la bonne qualité des eaux de la lagune ; comme le souligne Delano Smith, ce bassin n’était certainement pas à l’époque un marais malsain, comme il le deviendra par la suite. Au contraire, ses habitants devaient alors bénéficier de tous les avantages propres à un milieu lagunaire ouvert sur la mer, tout en pratiquant l’activité agricole sur les petits îlots de terrain situés près des embouchures des fleuves203. Des variations climatiques ont dû se produire, peut-être de manière assez brusque, vers la fin du Néolithique et de l’Enéolithique. Ces variations ont provoqué la disparition de la plupart des villages de plaine, en faveur des sites de hauteur. Vers la fin de l’Âge du Bronze-premier Âge du Fer, la reprise de la fréquentation des sites de la plaine du Tavoliere et du bord de la lagune (Masseria Cupola, Salpi) montre un nouveau changement du climat. Il a dû rester frais et humide jusqu’à la fin de l’époque républicaine : à ce moment-là, comme nous l’avons déjà souligné, le récit de Vitruve permet d’entrevoir un nouveau changement204. Même dans le Tavoliere, la grande plaine de l’arrière-pays, aujourd’hui très aride, la situation devait être différente : les analyses palynologiques dans le territoire d’Arpi ont révélé la présence probable d’une forêt et du maquis méditerranéen, ainsi que de plantes typiques des terres humides et bien irriguées205.
82Des bois et des forêts devaient agrémenter aussi la basse vallée de l’Ofanto, où le site de S. Maria di Ripalta a livré de nombreux restes de cerfs, ce qui laisse supposer une importante activité de chasse206. Pour d’autres sites, on doit imaginer des formes de productions mixtes, marquées par une prédominance des cultures des céréales et par l’élevage des ovinés. C’est le cas de quelques habitats situés au bord du lac Salso (Mezzana Comunale, Marandrea, Monte Aquilone, Grotta Scaloria) ; plus au nord, à Monte Saraceno, on remarque aussi la présence de cultures d’oliviers et d’amandiers207.
Le cadre d’ensemble
83Il est donc évident que l’espace habité par les Frentans et par les Dauniens était bien différent du paysage actuel. On pourrait ainsi résumer, de façon très schématique, quelques points essentiels.
84D’abord, les aspects de la morphologie ancienne. Au nord du Gargano la côte dessinait un arc en léger retrait, où se trouvaient Termoli et Campomarino, ce dernier site en position assez favorable, à côté de l’embouchure d’un fleuve, le Biferno, qui devait être navigable dans son dernier segment. Poursuivant vers le sud, aussitôt après la pointe constituée par l’ancienne embouchure du Fortore, s’ouvraient l’espace lagunaire et le large golfe qui ont plus tard engendré les lacs de Lesina et de Varano. Le Gargano ne manquait pas non plus de mouillages. Après avoir doublé la pointe du promontoire et avoir dépassé son versant méridional, on atteignait la grande lagune qui s’étendait jusqu’à l’embouchure de l’Ofanto, elle aussi navigable. Le témoignage de Strabon semble attester ici la présence d’œuvres de canalisation.
85Dans ces régions, les terres cultivées à céréales devaient alterner avec des pâturages et de vastes forêts riches en bois. La lagune salubre qui s’étendait entre Cupola et Salapia était un abri naturel des embarcations et devait offrir plusieurs ressources, telles l’exploitation du sel et la pêche. Les fleuves avaient à l’époque un débit suffisant pour irriguer les terrains et pour constituer des voies de communication. L’Apulie a certes souvent souffert de la pénurie d’eau, comme le savait bien Horace208. Toutefois, à la fin de l’Âge du Bronze et au cours de l’Âge du Fer, son territoire septentrional était tellement riche en forêts et en végétation qu’il a pu constituer l’habitat idéal pour des lièvres, sangliers et cerfs. Dans la plaine du Tavoliere, une remarquable production agricole de céréales s’est développée dès le Néolithique, faisant de cette région l’un des greniers les plus importants de la Péninsule, voire d’Europe209.
86Ce paysage côtier apparaît, finalement, parfaitement cohérent avec la morphologie générale des côtes adriatiques, caractérisées très souvent par des milieux lagunaires, au nord comme sur le versant oriental210. Ainsi, la présence d’un promontoire rocheux avancé dans la mer, entouré au nord et au sud par des espaces lagunaires, rappelle de près une autre zone adriatique, le Picenum. Les recherches de N. Alfieri sur le littoral entre les fleuves Pô et Tronto (Truentnm) à l’époque romaine, donnent des résultats similaires à ceux que nous venons de résumer. En particulier, l’étude d’Alfieri souligne les modifications de l’aspect du littoral autour de la montagne du Conero. Cette côte, aujourd’hui plate et sableuse, devait être pourvue dans l’Antiquité de lieux d’ancrage naturels constitués par les embouchures des fleuves, entourées de petits milieux lagunaires (par exemple l’embouchure du Misa). Ce littoral était divisé par l’éperon rocheux du promontoire du Conero211.
87Or, ce paysage adriatique possède plusieurs des qualités requises pour l’aménagement des ports ou des mouillages anciens. Comme le souligne R. Chevallier212, les lagunes étaient des milieux extrêmement favorables à la navigation, puisqu’on pouvait y naviguer à l’abri des cordons littoraux. En même temps, on pouvait y acheter des provisions de sel, qui était un objet essentiel de l’échange. De la même façon, les estuaires des fleuves étaient des points d’ancrage très recherchés, car ils permettaient de communiquer avec l’arrière-pays, surtout dans une mer, telle l’Adriatique, qui n’est pas sujette à des phénomènes importants de marée. Un autre atout fondamental était la possibilité d’accéder, dans l’immédiat arrière-pays, à des biens de nécessité primordiale, au blé de la plaine et au bois des fôrets. Il est étonnant de constater combien ce modèle général, tracé par Chevallier, correspond au cadre particulier qu’on vient d’esquisser. C’est donc dans ce paysage qu’il faut situer l’histoire de nos peuples indigènes au cours de l’Âge du Fer.
Notes de bas de page
1 Voir à ce propos les considérations de S. VAN DER LEEUW, Conclusions : dégradation de l’environnement et recherches multidisciplinaires, dans L’homme et la dégradation de l’environnement, XVe Rencontres Internationales d’Archéologie et d’Histoire d’Antibes, Juan-les-Pins 1995, 487-514 : « un des aspects du débat environnemental actuel est de repousser les frontières du « culturel » en y intégrant l’ « environnement », en arguant que le paysage résulte (au moins en partie) de l’activité humaine » (498).
2 Comme le propose LEVEAU 1989, 363-364 ; voir aussi LEVEAU 1984, 85 sqq., pour l’histoire des études sur le territoire et sur l’espace antiques en France.
3 E. SERENI, Storia del paesaggio agrario, Bari 19915, 52.
4 LEVEAU 1989, 371.
5 Voir supra, chapitre I.
6 FONDI 1970, 73 ; sur l’hydrographie du Molise voir FONDI 1970, 137-141.
7 P. DE GRAZIA, Molise. Caratteristiche fisiche, dans Enciclopedia Italiana, vol. XXXIII, 580-581. Ces différentes couches géologiques ont comblé la grande fosse dite adriatique-ionienne, ou « bradanique » qui s’étend de la plaine du Pô jusqu’à la vallée du Bradano ; voir à ce sujet J. DEMANGEOT, Géographie des Ahruzzes et du Molise, Paris 1965.
8 Sa superficie totale est de 50 km, sa profondeur maximale est de 2 mètres et sa longueur de 2 kilomètres (MOSETTI 1984, 13).
9 BALDACC1 1962, 78 ; MOSETTI 1984, 13. Comme Baldacci le souligne, le nom originaire du Monte Devio dans les plans de l’IGM a été transformé en Monte D’Elio (IGM, 1:100 000, F. 156, S. Marco in Lamis).
10 MOSETTI 1984, 13.
11 Sur la formation du promontoire du Gargano voir BALDACCI 1962, 61-63 ; DELANO SMITH 1987, 4 ; sur le processus de formation par orogénèse des reliefs côtiers voir CAMPY & MACAIRE 1989, 314 sqq.
12 MOSETTI 1984, 13.
13 CAMPY & MACAIRE 1989, 319.
14 Cette intervention, qui entraîna la réduction de la surface du lac et l’augmentation des terrains destinés à la production du sel, remonte à 1811 ; voir à ce propos BALDACCI 1962, 304.
15 S. MANNELLA, dans Principi, 13.
16 S. MANNELLA, dans Principi, 18.
17 CIARANFI 1983, 203 sqq.
18 Sur ces thèmes voir CAMPY & MACAIRE 1989, en particulier 312-318 ; voir aussi N. ALFIERI, M. CAPUTO, Introduzione, dans Il livello antico del Mar Tirreno. Testimonianze di resti archeologici, sous la dir. de G. SCHMIEDT, Florence 1972, V.
19 Sur la formation des lagunes septentrionales, de la côte vénitienne jusqu’au delta du Pô : CLOS-ARCEDUC 1967, 35 sqq.
20 Un cadre général sur les méthodes de la recherche dans ce domaine particulier est tracé par CHEVALLIER 1967, 220-227.
21 Sur la littérature géographique ancienne voir la vaste analyse dans PERETTI 1979, passim (notamment sur les périples) ; PRONTERA 1988, 327 sqq. Voir aussi les articles de G. AUJAC, F. PRONTERA, A. GIARDINA, dans Optima hereditas, sous la dir. de G. Pugliese Carratelli, Milan 1992.
22 PRONTERA 1988, 328; PERETTI 1979, 11.
23 PERETTI 1979, 5-10.
24 Voir à ce propos PRONTERA 1988, 327.
25 F. PRONTERA, L’Italia meridionale di Strabone. Appunti tra geografia e storia, dans Strabone e l’Italia antica, Atti degli incontri perugini di Storia della Storiografia antica e sul mondo antico. II (Acquasparta 1987), Naples 1988, 96-97; 107-109 ; sur les sources de Strabon voir aussi LASSERRE 1967, 10-25.
26 Même si le but de Pomponius Mela était celui d’arriver à une sorte de géographie descriptive, en dépassant les limites des représentations cartographiques ; voir à ce propos l’introduction d’A. SILBERMANN, Pomponius Mela. Chorographie, Paris 1988, XV-XVIII.
27 Voir notamment Pline, n. h. III, 103-116.
28 Comme le soulignent GRILLI 1980, 83 sqq. ; COARELLI 1984, 163. Sur les contradictions de ce passage de Pline voir aussi P. WEISS, Hyrium, dans RE, c. 453-454.
29 Tite-Live X, 2, 4 ; pour la discussion de ce passage voir le chapitre I.
30 Vitruve I, 4, 12.
31 Horace, sat. I, I, 58 ; car. III, 30, 10 ; IV, 14, 25-28.
32 Comme le souligne bien QUAINI 1976, 10-12. Sur l’importance fondamentale des portulans médiévaux dans les recherches sur la navigation ancienne voir CHEVALLIER 1967, 220 ; SCHMIEDT 1977, 129, note 3.
33 LA RONCIÈRE & MOLLAT 1984, 198, n. l, pl. n. l. La datation de ce portulan devrait être antérieure à 1291, date de la prise de S. Jean d’Acre, car ce lieu est encore désigné par la croix de l’Ordre des Chevaliers de St. Jean de Jérusalem. Sur la carta pisana voir aussi SCHMIEDT 1978, 129, note 3 ; sur les caractéristiques générales de ces portulans du Moyen Âge voir aussi QUAINI 1976, 17.
34 QUAINI 1976, 15; NOVEMBRE 1984, 30-31.
35 QUAINI 1976, 19-20 ; NOVEMBRE 1984, 38 ; G. ANGELINI, Cartografia, dans Principi, 33.
36 Voir BRADFORD 1946 ; BRADFORD 1949 ; BRADFORD 1950 ; BRADFORD 1957.
37 Apulia ; pour l’histoire de ce projet de recherche voir en particulier l’avant-propos, xx-xxi.
38 Voir en particulier BARKER 1975 ; CIARANFI 1983, 203 sqq. ; Apulia.
39 G. D. B. JONES, Il Tavoliere Romano. L’agricoltura romana attraverso l’aerofotografia e lo scavo, dans ArchClass XXXII, 1980, 89 sqq.
40 ALVISI 1970.
41 SCHMIEDT 1973 ; DELANO SMITH & MORRISON 1974 ; DELANO SMITH 1978 ; DELANO SMITH 1979.
42 Pour une vue d’ensemble sur l’utilisation des images satellitaires en archéologie voir les actes du colloque Archéologie et espaces.
43 Voir à ce propos E. BARISANO, B. HELLY, dans Télédétection et cartographie thématique en archéologie, Paris 1988, 19-20.
44 Sur chaque longueur d’onde, tous les composants de la surface terrestre absorbent ou renvoient une quantité différente d’énergie selon leur composition moléculaire.
45 Voir B. MARCOLONGO, A. PALMIERI, dans Coppa Nevigata, 23-25.
46 Voir par exemple LEVEAU 1989, 363 sqq., avec le bilan des recherches accomplies à partir de 1986 sur la région de l’étang de Berre et des Alpilles. Voir la contribution de M. GUY, Chronologie relative et explications des formes d’anciens rivages d’après leurs images aériennes, dans Déplacements des lignes de rivage en Méditerranée d’après les données de l’archéologie, Aix-en-Provence 1985, Paris 1987, 45-58.
Pour d’autres applications de la télédétection à des milieux lagunaires voir aussi la synthèse récente de P. BILDGEN, J.-P. GILG, La télédétection spatiale peut-elle être utile à l’archéologie ?, dans Les Nouvelles de l’Archeologie 74, 1998, 10-14, notamment 11-12, avec la bibliographie essentielle sur le sujet.
47 Pour les démarches théoriques et pour les applications pratiques de ces procédés voir : P. BILDGEN, M. CLAVEL-LÉVÈQUE, J.-P. GILG, A. M. de KERSABIEC, Télédétection spatiale et données historiques : pour une analyse de l’évolution dynamique du littoral biterrois, dans De la terre au ciel. I. Paysages et cadastres antiques, Actes du Xe Stage International, Besançon 1993, Paris 1994, 137-164.
48 Ce traitement de l’image a comporté les corrections de la « réflectance » des canaux 5, et 6, réalisées au Laboratoire du CAMS par MM. P. Bildgen et M. J. Eddaferri.
49 La littérature sur ce domaine d’enquête en archéologie est très vaste. Je me limiterai à citer deux ouvrages de caractère général et à renvoyer à leur bibliographie : M. SHACKLEY, Environnemental Archeology, Londres 1981 ; F. DJINDJIAN, Méthodes pour l’archéologie, Paris 1991, notamment 301 sqq.
50 Voir par exemple l’intéressante synthèse d’ANTONACCI SANPAOLO 1995, qui remarque à juste titre (83) la rareté d’analyses paléoenvironnementales pour la période comprise entre le viie siècle et l’époque romaine.
51 JARMAN & WEBLEY 1975, 201-221 ; Apulia.
52 DELANO SMITH & MORRISON 1974, 276-277 ; DELANO SMITH 1978, 30 ; DELANO SMITH 1979, 356-357.
53 Coppa Nevigata, notamment 197-199, 205-210.
54 Voir E. ANTONACCI SANPAOLO, Il paesaggio vegetale di Arpi nel V e IV secolo a. C. Il contributo dell’archeopalinologia, dans MAZZEI 1995, 21-26.
55 FORNI 1978, 334 sqq.
56 L’erreur apparaissait peut-être déjà dans la source de Strabon, probablement Artémidore. Le fleuve Sangro passe en réalité au sud d’Ortona et donc ne peut pas avoir constitué la limite entre les Péligniens et les Frentans ; voir à ce propos LASSERRE 1967, 213.
57 Pline, n. h. III, 106.
58 DI NIRO 1981 A, 3.
59 Sur Buca voir la contribution de M. CARROCCIA, Contributo topografico all’identificazione di Buca nel territorio frentano, dans Athenaeum LXXX, 1992, 199-206, avec le résumé des sources anciennes et de la bibliographie et des hypothèses précédentes. Carrocci propose l’identification de Buca avec Campomarino pour des raisons liées à la topographie, à la toponymie et à l’ancien système des routes. Sur l’identification de Buca avec Campomarino voir également ALVISI 1970, 75, n. l 13.
60 Voir à ce propos Ch. HULSEN, Buca, dans RE, c. 933-934 : Pomponius Mela, II, 65, situe Buca entre les embouchures de l’Aterno et Histonium ; pour Pline, III, 106, Buca se trouverait entre Histonium et Ortona; Ptolémée (III,1,18) concorde avec Strabon. L’autre identification possible est Termoli : voir DI NIRO 1981 A, 3.
61 Voir le portulan réalisé à Majorque en 1339 par A. Dulcert, probable adaptation du nom du génois Angelino Dalorto (LA RONCIÈRE & MOLLAT 1984, 201, n. 7, tav. 7).
Voir aussi le plan catalan de G. Solari, exécuté autour du 1385 (LA RONCIÈRE & MOLLAT 1984, 202-203, n. 9, tav. 9). Les originaux de ces portulans sont conservés au Département des Cartes et Plans de la Bibliothèque Nationale à Paris.
62 Département des Cartes et Plans, n. cat. GE AF Pf 30 (148).
63 Pour la conformation géologique de ce territoire, voir la Carta Geologica d’Italia, IGM, 1:100 000, F. 155.
64 L’agger était constitué, d’après les résultats des recherches archéologiques menées sur le site, d’un mur et d’un fossé : voir le chapitre suivant, 90 sqq. Je suis reconnaissante à M. A. Stefan pour son apport et ses conseils dans cette phase de la recherche.
65 Sur les changements du fleuve Biferno, rappelons les rapports préliminaires des prospections réalisées par l’Université de Sheffield (BARKER et al. 1978, 38) : les analyses des dépôts sédimentaires montrent que le torrent Cigno, aujourd’hui un affluent du Biferno, devait avoir à l’époque ancienne un cours parallèle à ce dernier.
66 Pline, n. h. III, 103.
67 Ce sont la carta pisana, le plan de Dulcert et le plan de Solari, sur lequels voir supra, notes 33 et 61.
68 Portulan de Mecia de Viladestes, conservé à la Bibliothèque Nationale, édité dans LA RONCIÈRE & MOLLAT 1984, 205, n. 12, tav. 12.
69 Sur laquelle voir NOVEMBRE 1984, 32 ; 37, n. 26.
70 Comme l’on constate dans les cartes topographiques de l’IGM, 1:25 000, F. 155, I S-0 (Ripalta) et I S-E (Lesina). Sur l’importance des toponymes des branches du Fortore voir aussi BALDACCI 1962, 98-99.
71 IGM, 1:100 000, F. 155 (S. Severo).
72 Cette terrasse appartient, d’après la Carta Geologica d’Italia, IGM, 1:100 000, F. 155, échelle (San Severo), aux couches d’origine sédimentaire, fluviatile, composées par des sables et des graviers, qui remontent au Pleistocène.
73 Sites de Cannelle et Masseria Fischino, signalés par JATTA 1914, 77-78.
74 RUSSI 1970, 64 signale dans le lieu-dit Porcareccia l’existence de cette nécropole, datée génériquement à l’époque préromaine et romaine.
75 Voir par exemple IGM, 1:100 000, F. 155 (San Severo).
76 Il s’agit d’une couche de « alluvioni prevalentemente limoso-argillose del IV ordine dei terrazzi » qui remonte à la fin du Pleistocène : voir à ce propos la Carta geologica d’Italia, IGM,1:100 000, F. 155.
77 Comme le montre le feuille 155 de la Carta Geologica d’Italia, échelle 1:100 000, la branche de Fiume Morto se trouve à la limite entre la couche du lit du Fortore (décrite ci-dessus, à la note 72) et une couche plus récente, qui date de la fin de l’Holocène : cette dernière couche forme aussi le barrage du lac de Lesina.
78 Tous ces toponymes apparaissent dans la carte IGM 1:25 000, F. 155, I S-O (Ripalta).
79 Voir la note précédente.
80 RUSSI 1970, 64 ; V. RUSSI, dans Uria garganica, 76.
81 BALDACCI 1962, 109, partage la conviction que l’embouchure originaire du Fortore devait avancer dans la mer.
82 Strabon, VI, 3, 9.
83 LASSERRE 1967, 238 ; sur les critères adoptés pour l’identification des sources de Strabon, voir LASSERRE 1967, 10 sqq.
84 LASSERRE 1967, 238. Pour l’identification des îles Diomédées avec les Tremiti actuelles, voir COLONNA 1998 qui donne l’état de la question.
85 Strabon, VI, 3, 11.
86 L’ager Teanensis devait comprendre, à une époque un peu antérieure à celle de Strabon, la basse vallée du Fortore ainsi que la plaine de Carpino et la zone des lacs de Lesina et de Varano ; voir à ce propos VOLPE 1990, 14, n. 17.
87 LASSERRE 1967, 239.
88 GRILLI 1980, 84-86. E. LIPPOLIS, dans Uria garganica 184-185, paraît accepter la distinction de Strabon entre Apuliens et Dauniens : ces derniers « avrebbero occupato la zona dell’attuale provincia di Foggia, i primi l’area più settentrionale, al confine con le popolazioni dei Caraceni e dei Frentani ». Toutefois cette distinction ne me paraît pas ressortir des caractères culturels du peuplement ancien du territoire.
89 Très éloquente à ce propos est l’introduction au livre VI de la Géographie (VI, 1, 2-3) où Strabon déclare la nécessité de tenir compte non seulement du présent mais aussi de l’histoire passée et avoue en même temps sa difficulté à établir des limites géographiques et ethniques bien définies entre les différents peuples italiques, notamment de l’Italie méridionale.
90 Strabon VI, 3, 8.
91 Pline, n. h. III, 103.
92 Comme il a été bien démontré (COARELLI 1984, 163-164), Pline essaye ici de tenir compte à la fois de sa source, probablement un Périple, et de la répartition des municipes d’Auguste ; c’est pourquoi Larinum est nommé deux fois, d’abord (III, 103) parmi les habitats dauniens, ensuite (III, 105), dans la liste des municipes de la regio Il (Apulie), mais avec l’indication contradictoire : Larinates cognomine Frentani. Les problèmes d’attribution « ethnique » sont d’ailleurs très courants lorsqu’il s’agit de sites de confins : voir à ce sujet le débat érudit sur Larino, dans l’étude d’E. SALVATORE-LAURELLI, Origine etnica daunia di Larino, Larino 1992.
93 Pomponius Mela II, 4, 66.
94 Une excellente synthèse de la bibliographie et des différentes thèses concernant la question est dans MARIN 1988, 11 sqq.
95 Voir Uria dans RE ; un résumé du long débat moderne (animé parfois par un généreux, mais un peu factieux esprit de clocher) a été tracé par MARIN 1988, 1 1, note 4 ; Ead., Uria del Gargano : proposta di ubicazione, dans Uria garganica, 45 sqq. : l’Uria daunienne a été située près de Rodi Garganica, ou bien près du lac de Varano, près de Vico, ou dans la plaine de Carpino.
96 Actes du colloque Uria garganica, tenu à Vieste en 1987 et tout récemment paru. Un résumé des découvertes archéologiques concernant le port ancien de Vieste a été fait par VOLPE 1990, 98. Voir aussi V. RUSSI, A. RUSSI, Vieste : note di topografia antica, dans ASP XLVI, 1993, 39-58, notamment 46 : « i ritrovamenti archeologici indicano l’esistenza di un centro protostorico » qui correspond selon les auteurs à l’emplacement de la ville médiévale.
97 Voir à ce sujet E. LIPPOLIS, Testimonianze di età romana nel territorio garga-nico, dans Uria garganica, 183-201.
98 Voir à ce sujet les réflexions de TRAMONTI 1993, 102, qui remarque comme dans la description des grandes péninsules de la Méditerranée « l’immagine triangolare, ο meglio l’assimilazione alla forma geometrica corrispondente al triangolo, assumesse carattere quasi convenzionale ».
99 Les vestiges d’un facies archaïque à Vieste sont en effet très limités : une coupe « ionienne » B2 proviendrait d’un mobilier retrouvé sous la Cathédrale, successivement démembré et perdu : voir à ce sujet E. LIPPOLIS, dans Uria garganica, 193 ; voir aussi, dans le même volume, M. MAZZEI, G. VOLPE, La documentazione archeologica di Vieste : l’area urbana e il territorio (119-120). En revanche, la construction d’une enceinte fortifiée au ive siècle semble marquer l’essor du site qui se prolonge pendant toute l’époque romaine. Sur ces thèmes et, en général, sur le peuplement du Gargano archaïque voir infra, le chapitre III, 105.
100 BALDACCI 1962, 109 : la formation de la lagune de Lesina remonterait déjà à l’Holocène, tandis celle du lac de Varano daterait d’une époque historique récente.
101 Voir par analogie le procès de formation des étangs nord-adriatiques d’Urbino ou du delta du Pô : CLOS-ARCEDUC 1967, 36-38, pl. 3.
102 Voir, outre le portulan de Viladestes (1413), déjà mentionné à la note 68, celui de G. Benincasa de 1473 (reproduit dans NOVEMBRE 1984, 32, fig. 20) et celui de B. Agnese (1545), conservé à la Bibliothèque Nationale à Paris.
103 Même si la nouvelle situation déterminée par la formation du lac de Varano sera pour longtemps ignorée par les représentations cartographiques postérieures. À côté de l’Atlas de Coronelli de 1688 (reproduit dans NOVEMBRE 1984, 36-37), qui est assez précis quant au dessin des côtes et enregistre correctement la présence du lac, il y a plusieurs cartes de la Méditerranée, contemporaines ou plus tardives, qui continuent à indiquer la présence d’un golfe de Varano. Voir, par exemple, les Cartes de J. B. Prunes (1649), de F. Olive (1664), de Michelot et Brémond (1718), de Joseph Roux (1764), qui sont toutes conservées à la Bibliothèque Nationale de Paris, Département des Cartes et Plans. Ces plans ont dû reprendre des rédactions cartographiques antérieures sans en vérifier directement les données.
104 La carte de Mercator, qui date autour de 1590, atteste encore l’existence d’un golfe de Varano ; voir à ce propos NOVEMBRE 1984, 30-31. Voir aussi note 103.
105 Voir ci-dessous, 76.
106 MARIN 1988, 26, semble anticiper sensiblement le moment de la création du cordon littoral qui a fermé le golfe ancien. Elle soutient que, déjà au ier siècle av. J.-C., il restait tout simplement un accès étroit et difficile à l’extrémité est du lac. Cette conviction est fondée, toutefois, sur l’identification supposée du sinus Uriae avec le lac de Varano, et elle dépend donc du propos d’accorder la configuration de ce golfe ancien avec le témoignage de Mela (sinus (...) nomine Urias, modicus spatio pleraque asper accessu). Dans un autre passage (MARIN 1988, 20) la date probable de la fermeture définitive du golfe est fixée entre 400 et 600 ap. J.-C. ; cette opinion est partagée par ALVISI 1970, 79, note 121.
107 Comme le souligne DELANO SMITH 1978, 32 : « There are what might be called “one-way” changes (...) but probably by far the greater proportion of the plains and the coastlands of Mediterranean Europe have altered periodically ».
108 MARIN 1988, 11 sqq.
109 MARIN 1988, 19-20.
110 Pour cette découverte : A. PALMA DI CESNOLA, Nuova stazione campignana sulle rive del lago di Varano, Verona 1963. Voir aussi RUSSI 1970, 67.
111 MARIN 1988, 25, semble en réalité reprendre des hypothèses plutôt que des données certaines: « Sin dal 1872 l’Angelucci segnalava un sepolcreto sull’Isola di Varano, non meglio precisato (...) sembra si tratti delle tombe rinvenute nei pressi della Masseria De Vita ». Aucun renvoi bibliographique n’est donné pour ces tombes, qui sont probablement connues seulement grâce à une tradition orale. Quant à Angelucci, il mentionne des fibules retrouvées « nelle tombe presso il lago di Varano » (ANGELUCCI 1872, 45) ou bien des « fibule a spirale dall’antica Urio (lago di Varano) » (ANGELUCCI 1876, 29).
112 RUSSI 1970, 67 ; selon la reconstitution proposée par V. RUSSI, dans Uria garganica, 91-92, à la hauteur de Foce Varano, donc à l’extrémité orientale du cordon littoral, se situait l’embouchure de la lagune de Varano, ainsi qu’une ancienne escale.
113 V. RUSSI, dans Uria garganica, 91.
114 RUSSI 1967, 450, mentionne la découverte de tessons céramiques du faciès « subappenninico ».
115 NAVA 1982, 177-180 ; le site de Masseria Jacovelli date du Bronze Ancien jusqu’au Bronze Moyen ou Récent ; Masseria Pasquarelli de la fin de l’Enéolithique jusqu’au Bronze Moyen.
116 Ce sont les sites signalés par JATTA 1914, 77-78, pl. 47 : une localité non identifiable sur les cartes actuelles, Muro, qui serait située à l’extrémité sud-occidentale du cordon lagunaire ; en outre Masseria Fischino, localité Conelle (appelée sur les cartes « Cannelle »), Masseria Pontone, Salsolido, Lesina et Camerata.
117 RUSSI 1970, 64.
118 BALDACCI 1962, 79-80.
119 Comme le soulignent aussi MARIN 1988, 17 et V. RUSSI, dans Uria garganica, 96 (plaine de Calenella) et 100 (plaine de Sfinale).
120 SCHMIEDT 1977, 209-210, souligne l’existence des escales de Rodi, Peschici, Vieste (Beste), et sur le versant méridional, Mattinata et Cala di Punta Rossa.
121 Voir supra, 40. En général sur le problème des bonifications, toujours présent dans les plaines de la Méditerranée, voir BRAUDEL 19909, 59-64.
122 Strabon VI, 3, 9.
123 L. DINDORF, stomalimne, dans ThLG VII, c. 809 : lacus prope mare, cuius in mare ostium aperitur.
124 Ces différentes interprétations sont mentionnées par SCHMIEDT 1973, 159.
125 L’hypothèse de Riontino est citée par SCHMIEDT 1973, 159, note 1. Pour DELANO SMITH 1978, 27-30, la stomalimne serait l’estuaire du fleuve Candelaro.
126 LASSERRE 1967, 185 : d’après Strabon, cette lagune communiquerait avec une rivière navigable, identifiée sans hésitation avec le Cerbalus, aujourd’hui le Cervaro.
127 Strabon XIII, 1, 34 (Scamandros) ; IV, 1,8 (Rhône).
128 Voir C. B. HASE, limnothalassa, dans ThLG, vol. VI, c. 304.
129 Comme le remarque à juste titre TRAINA 1988, 56.
130 Hérodote I, 174 (canal creusé par les Cnidiens) ; VII, 23-24 (canal creusé par Xerxès).
131 Pour les significations et les attestations de ce mot dans les papyrus voir BONNEAU 1993, 13-18 : « Après potamos, le cours d’eau le plus important du réseau hydraulique d’Egypte est dioryx. Il peut se définir ainsi : conduit d’eau artificiel, destiné à amener l’eau depuis le Nil ou l’une de ses branches ».
132 Pline, n. h., III, 120 : « omnia ea fossa Flavia, quam primi a Sagi fecere Tusci egesto amnis impetu per transversum in Atrianorum palus » ; voir sur ces thèmes Ν. ALFIERI, Strabone e il delta del Po, dans Padusa XVII, 1981, 3 sqq. Sur les aspects économiques, techniques et religieux de l’hydraulique étrusque, voir l’intéressant ouvrage collectif M. BERGAMINI (dir.) Gli Etruschi maestri di idraulica, Pérouse 1991.
133 R. IKER, dans Herdonia, 51.
134 LASSERRE 1967, 186, qui a probablement retenu la signification du mot eudinos (ou eudieinos) donnée par le ThLG, ad loc. : « eudieinous topous » contrarios facit « tois prosenemois » locis vento expositis. Mais il y a aussi une signification plus élargie de cette famille sémantique, qui se rapporte au climat doux, et à la bonne qualité de l’air : voir à ce sujet la traduction des mots eudìa, et de l’adjectif dérivé eudios, dans H. LIDDELL, R. SCOTT, R. MACKENZIE, A Greek-English Lexicon, Oxford 1940, sub voce.
135 BONNEAU 1993, 19.
136 BONNEAU 1993, 20, remarque même que « l’étude topographique des points où il y a eu un koilas permettrait de retrouver la trace d’anciennes voies d’eau ».
137 Voir à ce propos le ThLG, s. v. koiloma : à côté de la signification générique de creux (cavum, cavitas), il y a une acception plus étroitement liée au paysage, et notamment aux fleuves : ainsi, les koilomata sont désignés comme loca cava in terra a torrentium vi excavata.
138 SCHMIEDT 1973, 164.
139 SCHMIEDT 1973, 160-161.
140 Comme le suppose SCHMIEDT 1973, 162 ; 166. Cette hypothèse était partagée par DELANO SMITH 1978, 27, pl. 2. 2, qui l’a rejétée par la suite (DELANO SMITH 1987, 15 ; 229, note 7 ; pl. 5), en supposant que la route romaine ait dû plutôt longer la rive intérieure du lac. Cette deuxième hypothèse découle de l’identification du site de Salinis, indiqué par la Tabula, avec le Monte di Salpi, qui se trouve plus à l’intérieur.
141 SCHMIEDT 1973, 162-163.
142 Voir les conclusions d’E. ANTONACCI SANPAOLO, dans MAZZEI 1995, 23 : la présence de restes de plantes hygrophiles (tel le salix) typiques des terrains sujets à inondations périodiques, fait penser que le débit du fleuve était beaucoup plus important dans l’Antiquité et qu’il était donc navigable.
143 SCHMIEDT 1973, 165.
144 IGM, 1:100 000, F. 164 (Foggia).
145 SCHMIEDT 1973, 161.
146 DELANO SMITH & MORRISON 1974, 278-279 ; DELANO SMITH 1978, 27 ; DELANO SMITH 1979, 358.
147 IGM, 1:100 000, F. 164 (Foggia).
148 DELANO SMITH 1978, 27.
149 Voir le plan de Β. MARZOLLA, Descrizione del Regno delle due Sicilie per Province, Naples 1854, reproduit par NOVEMBRE 1984, 44, n. 38 ; voir aussi une reproduction datant du xviiie ou du xixe siècle, publiée par F. RUSSO, La difesa costiera del regno di Napoli dal xvi al xix secolo, Rome 1989, 57.
150 Dans ce même lieu, à l’embouchure de la lagune, se trouvent aussi des structures de la fin de la république, que Delano Smith interprète comme une villa exploi- tantantant les ressources du marais salant (DELANO SMITH 1979, 358). Plus récemment, on a proposé d’y reconnaître les restes d’une fortification bâtie à l’embouchure de la lagune (E. LIPPOLIS, dans Daunia Antica, 260).
151 DELANO SMITH 1978, 27 ; 30. Pour le lac, voir IGM, 1:100 000, F. 165 (Trinitapoli).
152 DELANO SMITH 1987, 17.
153 IGM, 1:100 000, F. 164 (Foggia).
154 IGM, 1:100 000, F. 165 (Trinitapoli).
155 Sur les différentes phases chronologiques de l’habitat de Salapia, et la bibliographie concernant la question voir F. TINÈ BERTOCCHI, Elpia, dans BTCGI, 171. On reviendra sur ces problèmes topographiques dans le chapitre prochain.
156 Comme le montre bien la reconstitution de DELANO SMITH 1978, pl. 2. 2.
157 SCHMIEDT 1973, 164 ; SCHMIEDT 1977, 209.
158 DELANO SMITH 1978, 27-30.
159 Voir infra, chap. VIII, 320.
160 Coppa Nevigata.
161 Coppa Nevigata, 23.
162 Coppa Nevigata, 104.
163 Qui est encore « una interpretazione preliminare delle immagini acquisite »: B. MARCOLONGO, A. M. PALMIERI, dans Coppa Nevigata, 23.
164 Coppa Nevigata, 18.
165 En fait, dans des publications récentes, les deux théories sont enregistrées l’une à côté de l’autre : voir VOLPE 1990, 22-23 ; Principi, 18.
166 Pour le traitement des données des images du satellite et pour l’effet des différents canaux voir supra, 45-46. Dans l’image publiée ici à la fig. 14, les différentes couleurs sont rendues par les différentes tonalités des gris et par le noir.
167 Voir supra, 68-70, la discussion sur l’expression de Strabon, dia ten koiloteta.
168 DELANO SMITH 1974, 278-279.
169 Ce plan est mentionné dans Coppa Nevigata, 17.
170 Voir aussi sur ces questions, Coppa Nevigata, 17.
171 Voir à ce sujet DELANO SMITH 1979, 358 (l’époque du barrage de la lagune côtière est toutefois avancée sans explication au milieu du xvie siècle dans DELANO SMITH 1987, 15). L’inversion des courants maritimes est prouvée par l’analyse des sédiments : aux sables noirs et aux minéraux lourds transportés par le courant habituel de l’Ofanto, se superpose une couche de sables jaunes provenant du versant septentrional du Monte Gargano (DELANO SMITH 1978, 25-26). Sur la modification globale du paysage côtier européen (croissance des fleuves, inondations etc.) autour de 1600, v. BRAUDEL 19909, 248-249.
172 Coppa Nevigata, 17.
173 Pour la reproduction du détail de ce plan de Magini voir G. ANGELINI, dans Principi, 32. Un autre élément pour la reconstitution de ce paysage peut être le topo-nyme S. Maria a Mare (fig. 17), qui désigne un terrain sur la rive gauche de l’Ofanto, à 2 km environ de la côte. On y peut probablement reconnaître l’ancien emplacement d’une église connue à travers les documents du Bas Moyen Âge, Sancta Maria de Mari, faisant partie des possessions de l’evêque de Cannes et puis passée à l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem. Cette petite église possédait des terrains sur les rives de l’Ofanto, et surtout les jura piscationis ainsi que le droit d’exploiter les salins situés à l’embouchure du fleuve (F. S. NITTI, Codice diplomatico Barese. Le Pergamene di Barletta, Archivio Capitolare (897-1285), VIII, Bari 1914, 279-283, doc. n. 125 [année 1224], 357-359, doc. n. 278 [année 1257]). Il est probable qu’à l’époque cette église avait une position plus proche du rivage.
174 D’ERCOLE 1990.
175 S. MANNELLA, dans Principi, 18.
176 Horace, Sat. I, 1 ; Od. III, 30, 10 ; IV, 14, 25.
177 Polybe III, 8-9.
178 Silius Italicus VII, 482 ; VIII, 630, 670 ; IX, 228, 319.
179 D’ERCOLE 1990 ; pour l’exploitation parallèle du port fluvial et du port maritime de Bardulos voir en particulier 152-155.
180 BARKER 1985, 82 ; BARKER 1995, 285-297, notamment 291 sqq.
181 A. DI NIRO, dans Samnium, 35.
182 A. DI NIRO, dans Samnium, 37 ; sur l’existence de la culture de la vigne au premier Âge du Fer dans la basse vallée du Biferno : BARKER 1995, 289.
183 Comme le souligne PRATESI 1985, 54 sqq., à l’époque préhistorique les forêts devaient occuper 90 % du territoire italique ; déjà au début du xvie siècle l’équilibre écologique était fortement compromis et les bois ne constituaient plus que 50 % du territoire (86). Ce phénomène a eu un cours cyclique (69-84) : la réduction des forêts au profit de l’extension des cultures et des pâturages était déjà sensible pendant l’époque romaine jusqu’au Bas Empire ; dès cette époque, et encore plus pendant le Haut Moyen Âge, l’abandon des terrains cultivés produisit un avancement des forêts ; entre les xie et xiiie siècles, on assista encore une fois à un rétrécissement des bois dû à la reprise des cultures intensives ; la crise provoquée par les épidémies et les guerres, au cours du xive siècle, détermina une nouvelle augmentation des surfaces boisées, dont la réduction devint progressive et constante à partir du xve siècle.
184 Horace, Ep. I, 2, 202 : Garganum mugire patere nemus. Les forêts du Monte Gargano sont aussi évoquées par Silius Italicus VIII, 60, dans le contexte dramatique des présages qui précédent la bataille de Cannes.
185 BALDACCI 1962, 134.
186 PRATESI 1985, 65, qui rappelle aussi le récit de Strabon sur l’emploi des glands, séchés et moulus, par les indigènes de la Lusitanie.
187 Pline, n. h. XVI, 2 mentionne l’emploi de la résine pour le calfatage des bateaux et l’imperméabilisation des amphores.
188 JARMAN & WEBLEY 1975, 212 et 218-221, pl. 22 et 30-33.
189 JARMAN & WEBLEY 1975, 189 ; 192.
190 M. PASQUINUCCI, dans GABBA & PASQUINUCCI 1979, 79. Contra voir A. SARGENT, Exploitation Territory and Economy in the Tavoliere of Apulia, dans Studi sul neolitico del Tavoliere della Puglia, BAR série 160, 1983, 231-233, qui estime que difficilement l’élevage du bétail aurait pu atteindre avant la période romaine une importance suffisante pour justifier la création d’une voie de transhumance. Toutefois, les capacités limitées de la productivité agricole antique auraient pu rendre nécessaire la transhumance : en effet, un hectare de bons pâturages ne pouvait nourrir que trois à quatre ovins ou un à deux bovins par an (M. PASQUINUCCI, dans GABBA & PASQUINUCCI 1979, 89).
191 Pour la continuité entre l’Antiquité et l’époque médiévale et moderne, voir M. PASQUINUCCI, dans GABBA & PASQUINUCCI 1979, 90 ; pour les sources romaines : ibid., 92 sqq.
192 Coppa Nevigata, 197-199.
193 L’enquête de JARMAN & WEBLEY 1975, 189-191, conclut que la quantité des céréales produite par chaque village était suffisante à la subsistance de la communauté entière. Sur les villages néolithiques du Tavoliere voir aussi BRADFORD 1957 ; DELANO SMITH 1979, 66 ; S. TINÈ, L. SIMONE, Il Neolitico, dans Daunia antica, 75 sqq. Pour un tableau complet sur la question voir ANTONACCI SANPAOLO 1995, 74 sqq., avec la bibliographie précédente (97-102).
194 Coppa Nevigata, 205.
195 Coppa Nevigata, 206-207.
196 Le cheval apparaît à Coppa Nevigata déjà dans les couches du « Subappenninico Iniziale » et il disparaît dans les couches du « Subappenninico Recente », ceci signifie que dans cette phase plus récente le cheval n’est plus utilisé dans l’alimentation mais plutôt dans d’autres activités (combat, chasse, transport). Quant à l’âne, son apparition dans le « Subappenninico avanzato » de Coppa Nevigata est la plus ancienne de toute la Péninsule ; sa provenance constitue « la conferma archeozoolo-gica dei rapporti tra Coppa Nevigata e il mondo egeo (da cui sarebbe stato importato tale animale) » (ANTONACCI SANPAOLO 1995, 811-82).
197 Coppa Nevigata, 206.
198 FORNI 1978, 335 ; ANTONACCI SANPAOLO 1995, 84.
199 Coppa Nevigata, 209-210.
200 Les grues, les outardes, les oies et les cigognes sont mentionnées dans le traité De arte venandi cum avibus, rédigé par l’empereur Frédéric II en 1248, qui a pour sujet l’activité de chasse de l’empereur dans la plaine côtière des Pouilles.
201 En fait, le seul débris de cette forêt ancienne est le bois qui entoure le sanctuaire de l’Incoronata, près de Foggia, comme le souligne PRATESI 1985, 81.
202 Coppa Nevigata, 105 ; ANTONACCI SANPAOLO 1995, 74 ; 78 (sur la période néolithique) ; 81 (Âges du Bronze et du Fer). Des conclusions similaires se retrouvent dans l’étude de M. R. DEITH, The role of shellfish in the diet of Neolithic cereal farmers of the Tavoliere of Southern Italy, cité par DELANO SMITH 1987, 25 ; 230, note 20.
203 DELANO SMITH 1978, 30. Une situation similaire se retrouve, par exemple, en Sardaigne, dans la lagune de Cabras, près du site néolithique de Currura de Aruif : voir DELANO SMITH 1979, 354. Sur la végétation qui devait caractériser ce milieu lagunaire voir DELANO SMITH 1987, 13. Les caractéristiques favorables de la lagune ont déterminé le choix pour l’établissement humain déjà à partir de l’époque néolithique, comme le souligne CIARANFI 1983, 218.
204 Pour les considérations sur les variations du climat et de l’aménagement de l’espace dans le Tavoliere et sur les bords de la lagune voir SCHMIEDT 1973, 164-165. Sur la dégénération des milieux lagunaires voir les considérations de M. GRAS, La malaria et l’histoire de la Sardaigne antique, dans La Sardegna nel mondo mediterraneo, Sassari 1978, 297-303, qui considère à juste titre la malaria « comme un mouvement cyclique perpétuel avant pour fondement le rapport homme/nature » (299).
205 E. ANTONACCI SANPAOLO, dans MAZZEI 1995, 23.
206 G. PENNACCHIONI, Nota preliminare sui reperti ossei provenienti dallo scavo di S. Maria di Ripalla, dans Actes San Severo 1980, 195 et 200 ; ANTONACCI SANPAOLO 1995, 82-83 ; la chasse au cerf et au sanglier est aussi attestée par les restes fauniques de Monte Saraceno dans des couches des ixe-viie siècles.
207 JARMAN & WEBLEY 1975, 202-203.
208 Horace, Sat. I, 5, 88-90 : venit vilissima rerum hic aqua ; Od. III, 30, 11 : qua violens (...) et qua pauper aquae Daunus agrestium regnavit populorum ; Ep. III, 15-16: nec tantus unquam siderum insedit vapor siticulosae Apuliae.
209 Par exemple, pendant la période des Croisades : voir infra, chapitre VIII, 312 sqq.
210 Pour les lagunes du nord de l’Adriatique voir REDDÉ 1986, 222 ; à l’est, un site liburnien aussi important que Nin a sans doute bénéficié de sa position dominante sur l’une des lagunes de la côte septentrionale de la Dalmatie ; voir BATOVIC 1973 A, 394. Quant à la région du Pô, voir : Recherches sur la géomorphologie et sur l’habitat ancien, dans Antico Polesine, 21-100.
211 ALFIERI 1981, 9-11.
212 CHEVALLIER 1967, passim.
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