I. Les échanges en Adriatique méridionale
L’état de la question
p. 11-35
Texte intégral
1Notre travail ne peut que débuter par le bilan des précédentes recherches sur l’Adriatique méridionale, primordial à la définition des axes, des limites et des buts de l’enquête à développer. Dans les pages qui suivent, nous avons essayé de souligner les étapes essentielles de ces recherches adriatiques et les thèmes au centre du débat récent. Cette synthèse ne se veut guère complète ou systématique : elle vise plutôt à dégager les problématiques et les acquis des études sur l’Adriatique archaïque, ainsi que la surprenante durée de certaines convictions qu’on retrouve sans solution de continuité, chez les historiens anciens et contemporains.
QUELQUES ÉTAPES DES ÉTUDES ADRIATIQUES
2L’enquête sur les échanges dans l’Adriatique centrale et méridionale a débuté en 1936 par l’article de R. L. Beaumont1 sur la fréquentation grecque dans la mer Adriatique avant le ive siècle av. J.-C. L’auteur constata d’abord le décalage entre les documents littéraires grecs sur l’Adriatique et les témoignages archéologiques de la fréquentation grecque. Les poètes (Mimnerme) et les géographes grecs (Scylax, Hécatée) connaissaient cette mer dès les viie-vie siècles av. J.-C.2. En revanche, les traces archéologiques des contacts grecs en Adriatique sont extrêmement fragmentaires et occasionnelles : si les plus anciennes datent de la période mycénienne3, on ne peut penser à une large fréquentation grecque en Adriatique avant le milieu du vie siècle av. J.-C. Beaumont chercha ensuite à expliquer les raisons de la pénétration relativement tardive des Grecs en Adriatique, tout en mettant en cause les interprétations traditionnelles de ce phénomène. Ainsi, à l’opposé de nombreux autres historiens, il refusa de surestimer l’importance des facteurs climatiques, tels la pluviosité très abondante ou les vents défavorables à la navigation. Comme il le remarquait, ces mêmes facteurs n’avaient guère empêché la colonisation corinthienne archaïque à Corcyre et sur la côte illyrienne ainsi que la pénétration syracusaine en Adriatique au ive siècle4. Beaumont refusa aussi de considérer la redoutable piraterie adriatique comme un obstacle sérieux à l’expansion grecque. Au contraire, l’existence de la piraterie illyrienne dans la première moitié du ive siècle, signalée par Diodore5, constitue précisément l’indice d’une activité commerciale importante, sans laquelle la piraterie elle-même n’aurait eu aucun sens6. Beaumont rejeta aussi l’idée que la prédominance étrusque en Adriatique ait pu limiter la pénétration grecque dans cette mer. En réalité, les Étrusques ne manifestèrent un véritable intérêt pour l’Adriatique qu’à partir des années 550 av. J.-C., donc en même temps que les Grecs7.
3D’autre part, Beaumont essaya d’expliquer et de justifier l’historiographie antique sur l’Adriatique : par exemple, le très célèbre et encore aujourd’hui très controversé passage d’Hérodote sur la navigation phocéenne en Adriatique8. Beaumont crut pouvoir confirmer ce témoignage par des prétendues importations de la Grèce de l’Est en Apulie, en Illyrie et dans la vallée du Pô9. Autre confirmation, les données linguistiques, à savoir l’occurrence sur la côte orientale de plusieurs toponymes terminant par une désinence en-ussa (Celadussae, Melitussa, Elaphussa)10. Beaumont a aussi accepté, avec quelques réserves, le passage de Strabon sur la fondation rhodienne de Salpi. Pour expliquer l’absence de toute trace archéologique de la présence grecque sur le site daunien il évoqua le caractère autonome de la civilisation indigène. Ainsi, la colonie rhodienne de Salpi aurait vécu de ses propres ressources, le blé et le sel, à l’écart des trafics grecs, qui se développèrent avec meilleure fortune plus au sud, en Peucétie11. Un autre élément important qui apparaît pour la première fois dans l’étude de Beaumont est la liste des objets du commerce en Adriatique12 : l’argent de l’Illyrie, l’iris des vallées de la Drina et de la Neretva, indispensables à la fabrication des essences parfumées corinthiennes, les chevaux de Vénétie et l’ambre baltique, probablement le blé d’Apulie.
4Pour finir, Beaumont s’interrogea sur l’absence d’importations grecques sur la côte italique entre le Monte Gargano et le promontoire du Conero, ainsi que sur la côte orientale au nord de Salone. Sa réponse a été complexe : à côte des arguments traditionnels, telle l’absence de ports et de richesses minérales, un certain poids est attribué au rôle des peuples autochtones, capables d’élaborer une culture originelle et autonome. Ainsi, pour des raisons que Beaumont avoua ne pas comprendre, la céramique daunienne connut tant de succès qu’elle put devenir l’objet du commerce vers d’autres territoires adriatiques et même empêcher pendant longtemps, l’importation des produits grecs en Adriatique. Le cadre général ainsi ébauché, Beaumont conclua que, si plusieurs indices prouvaient la présence des Grecs en Adriatique à l’époque archaïque, par ailleurs cette présence n’avait jamais été déterminante dans les équilibres économiques et culturels des territoires adriatiques : « The Adriatic coastlands were never fully hellenised »13.
5L’étude de Beaumont résume les données essentielles du problème adriatique et jette, en même temps, les bases d’un courant d’interprétation. On y retrouve, en effet, la première formulation d’hypothèses souvent répétées par la suite et de thèmes débattus encore de nos jours. Que l’on pense au rapport difficile, souvent contradictoire, entre les sources littéraires et la documentation matérielle. Un exemple significatif est le récit de Strabon sur la fondation rhodienne d’Elpie : tout en acceptant cette tradition, Beaumont est néanmoins conscient des difficultés qu’elle pose. Or, cette prudence a été parfois oubliée dans des études récentes, en dépit des résultats des recherches archéologiques qui ne cessent de démentir l’affirmation de Strabon. Une autre « aporie » adriatique remarquée par Beaumont est la légende de Diomède, qui a l’un de ses principaux foyers précisément dans cette Daunie « sauvage » qui résiste à toute forme d’hellénisation14. D’autres hypothèses avancées par Beaumont ont été débattues dans les études plus récentes ; c’est le cas, par exemple, de la théorie de l’origine phocéenne des toponymes en-oussa, qui a été reprise par Braccesi et d’autres, et contestée, comme on le verra plus loin, par E. Lepore.
6Un mérite sûr de l’article de Beaumont a été la volonté de dénoncer les limites et les contradictions des explications déterministes —facteurs climatologiques et géographiques— de l’histoire adriatique. Cette position, comme les allusions au rôle autonome des civilisations indigènes, ouvrait une perspective originale, qui n’a malheureusement pas eu d’échos dans les recherches postérieures. Par exemple, dans un article paru en 1966, A. Ricci revenait sur l’idée que la route maritime grecque devait longer la côte orientale adriatique, idéale pour le cabotage, tandis que la côte italique aurait été soigneusement évitée à cause de l’absence de ports et de ses forts vents15. En revanche, le cadre du commerce adriatique esquissé par Beaumont, caractérisé par ce mélange particulier entre des biens primaires — le blé, les métaux — et de luxe — les essences parfumées, les chevaux, l’ambre, les métaux précieux — reste grosso modo valable encore de nos jours16.
7L’article publié en 1950 par G. Vallet sur « Athènes et l’Adriatique »17 marque un autre moment important pour la connaissance du commerce adriatique. Cette synthèse lucide propose une lecture et une interprétation d’ensemble des documents archéologiques : elle dessine clairement le cadre chronologique et géographique des importations ainsi que les dynamiques entre les différentes régions et emporia : Adria, Spina, la Peucétie, la côte illyrienne. Or, cet article n’a pu éviter un risque propre à toute reconstitution fondée sur les documents archéologiques : voir les données de base changer radicalement au bout de quelques dizaines d’années. Certaines réflexions de Vallet restent entièrement valables de nos jours : l’importance prioritaire du blé dans le commerce adriatique, le poids dominant des importations attiques, les différents temps de développement d’Adria et Spina. D’autres questions sont encore aujourd’hui débattues, à savoir le rôle possible de Spina en tant qu’emporion de Felsina18. Mais d’autres affirmations doivent être désormais nuancées ou complétées par des nouvelles données : par exemple, il est désormais établi que le commerce du blé s’accompagnait probablement de l’exportation des métaux étrusques19 et d’autres biens essentiels et de prestige20. Les découvertes de la région du Pô et du Picenum ont bien montré que les importations attiques ont été précédées par un courant d’importations gréco-orientales21. Si l’importance de l’influence athénienne en Adriatique est indéniable22, on peut se demander jusqu’à quel point les Athéniens ont été réellement présents dans cette région de la Méditerranée23 et s’ils n’ont plutôt bénéficié d’intermédiaires, comme cela a certainement été le cas pour d’autres mouvements d’échange24. D’autant plus que la présence grecque en Adriatique apparaît de plus en plus composite. Les inscriptions grecques de Spina sont très hétéroclites et seule une partie peut être sûrement attribuée à des Athéniens25 ; en outre, les Éginètes ont probablement été les premiers à installer un comptoir, voire une colonie à Adria26. Mais il faut surtout renoncer à attribuer un rôle moindre aux Étrusques et aux Messapiens dans les dynamiques adriatiques27. À divers titres, ils s’avèrent parmi les protagonistes de l’histoire de ce fragment de Méditerranée, comme on le verra plus loin. Enfin, l’évaluation quantitative donnée par Vallet, fondée uniquement sur la céramique à figures rouges, dessine une courbe décroissante à partir du milieu du ve siècle. Mais si l’on considère en parallèle l’importation des vases à vernis noir, comme L. Massei l’a proposé, on constate que l’apogée des importations à Spina s’étend du dernier quart du ve jusqu’à la fin du troisième quart du ive siècle av. J.-C.28. Les exportations athéniennes ne se tarissent pas donc pendant la guerre du Péloponnèse, comme le pensait Vallet29. Au contraire, le plus grand pourcentage des importations attiques retrouvées dans les emporia de la plaine du Pô remonte justement à la période comprise entre 425 et 400 av. J.-C.30.
8Dans les années 1970, une synthèse historique fondamentale a été publiée par L. Braccesi31. Comme le titre de l’ouvrage l’indique — Grecità adriatica — l’Adriatique de Braccesi était surtout le théâtre des enjeux politiques et économiques des Grecs, mais force était d’aborder aussi le problème des rapports avec les indigènes. À l’époque de la parution de cet ouvrage, la recherche archéologique avait beaucoup avancé. Les découvertes dans la région du Pô (Fratta Polesine) et dans le nord de l’Apulie (Coppa Nevigata), permettaient désormais de faire remonter à l’époque mycénienne le trafic de l’ambre, reliant le nord de l’Europe aux routes méditerranéennes32. L’importance du delta du Pô dans le cadre de ce commerce apparaissait indéniable : Braccesi a proposé de situer dans cette région les mythiques îles Électrides, que de nombreuses sources anciennes estimaient être la terre d’origine de l’ambre33. Braccesi a ultérieurement insisté sur l’importance de ces fréquentations adriatiques, entre le ixe et le viiie siècles : il date à cette époque la fondation rhodienne de Salpi mentionnée par Strabon34, qui serait confirmée par la présence de céramique rhodienne sur ce site35. Mais, à vrai dire, cet argument est plutôt faible, car les fragments rhodiens n’ont été découverts, jusqu’à présent, que dans le sud de l’Apulie36. Braccesi attribue à la fréquentation rhodienne un rôle important dans la diffusion adriatique de la légende de Diomède, considérée à la fois comme preuve et conséquence de la présence rhodienne dans cette mer37. Braccesi esquisse aussi des différents itinéraires de cette fréquentation précoloniale : les Rhodiens auraient préféré la côte adriatique occidentale, tandis que l’autre versant adriatique aurait été intégré dans une route maritime phocéenne, attestée par la distribution des toponymes en-oussa. Cette route de cabotage, établie par le Phocéens et ensuite empruntée par les Corinthiens et les Athéniens38 longeait la côte orientale pour traverser la mer à la hauteur de l’axe Iader-Ancône. La préférence pour la route orientale s’expliquerait par le fait que la côte occidentale était, d’après Strabon39 et Tite-Live40, dépourvue de ports ainsi que d’anses naturelles, qui étaient, en revanche, nombreux sur la côte opposée. Ce facteur de dissuasion aurait été renforcé par les conditions atmosphériques souvent défavorables41. La traversée de la mer devait se faire à la hauteur du canal d’Otrante et plus au nord, près du promontoire du Conero, où l’archéologie laisse supposer l’existence de probables escales côtiers : Numana, Ancône, S. Marina di Focara et Rimini. Toutefois, Braccesi ne croît pas à l’existence d’une véritable roule occidentale, qu’il considère comme l’invention d’un courant historique qui a longtemps surestimé le rôle de la côte italique, minimisant en revanche l’importance et l’autonomie des courants de trafic sur le versant oriental de l’Adriatique42. Au contraire, il souligne que les témoignages de la fréquentation grecque sont plus nombreux sur la côte orientale43, en dépit de l’importance de certains comptoirs occidentaux, tel Numana44.
9Plus récemment, l’historien est revenu sur quelques aspects plus pointus de la question adriatique. Un article paru en 1988 a repris le problème des fréquentations mycéniennes en Adriatique, en réponse aux critiques formulées par E. Lepore quelques années auparavant45. Braccesi a précisé quelques éléments de sa théorie : l’Adriatique a toujours constitué pour les Grecs une simple route de passage, une sorte d’entonnoir qui permettait la communication avec les réseaux commerciaux du delta du Pô et de l’Europe du Nord, sans jamais faire l’objet d’une véritable occupation sinon à une époque plutôt tardive. Par conséquent, les concepts mêmes de colonisation et de précolonisation ne sont pas adaptés à saisir la réalité de ces dynamiques historiques46. Or, plusieurs légendes relatives à l’Adriatique se rattachent aux personnages mythiques des nostoi et la plupart d’entre elles seraient, selon Braccesi, contemporaines à la précolonisation grecque en Méditerranée. La naissance de cette tradition mythologique correspondrait donc à celle de la fréquentation mycénienne (Myc. II Β, III Β et III C) du Monte Gargano, des environs du Conero et du delta du Pô. Par exemple, la diffusion adriatique du culte de Diomède se retrouve constamment en rapport à des contextes géographiques particuliers : les promontoires (le Gargano en Daunie, le Conero dans le Picenum et St. Nicolas sur la côte slave) ainsi que les embouchures des fleuves (le delta du Pô, le Timavo). Selon Braccesi, cette distribution du culte n’est pas due au hasard : ces lieux, notamment les trois promontoires, seraient en fait des points de repère essentiels à la navigation, situés le long d’un itinéraire maritime et commercial. En outre, les embouchures des deux fleuves adriatiques devaient constituer les points de croisement de routes commerciales importantes, telle la voie de l’ambre47.
10L’analyse de Braccesi touche à plusieurs questions cruciales. Son examen du mythe complexe de Diomède met en évidence une série de strates successives, dont le noyau le plus ancien refléterait les voyages des premiers prospectors mycéniens, enrichi ensuite par des apports corinthiens. Il aurait été repris au ive siècle, au moment des aventures adriatiques des condottieri grecs —Cléonime de Sparte, Alexandre le Molosse— ou, encore, comme Braccesi le propose avec une conviction croissante dans les écrits les plus récents48, des tyrans de Syracuse. Autre question à retenir, la théorie de l’origine phocéenne des toponymes en-oussa, héritée par Beaumont. Cette hypothèse a suscité le profond scepticisme d’E. Lepore, qui soulignait la rareté de ces toponymes en Adriatique (ils ne sont qu’au nombre de trois) ainsi que leurs complexités morphologiques et phonétiques, qui pourraient suggérer une origine rhodienne aussi bien que phocéenne. En effet, ces toponymes ne peuvent que démontrer la présence en Adriatique d’un courant d’éléments très hétérogènes, de provenance égéenne ou d’Asie Mineure ; alors que, du point de vue archéologique, la présence phocéenne dans cette mer reste entièrement à démontrer49. Déjà G. Vallet et F. Villard avaient d’ailleurs exprimé ces mêmes perplexités50. Même le témoignage de Strabon sur la fondation rhodienne d’Elpie était considéré comme très problématique par Lepore, qui rejetait également la proposition de situer cet épisode à l’époque de la fréquentation mycénienne en Adriatique51. Cela signifierait, en fait, relier un fait chronologiquement défini —l’importation des céramiques mycéniennes— aux récits mythiques, qui sont au contraire le produit d’une très longue stratification chronologique52.
11Les contradictions du passage de Strabon ont été plus tard analysées par Th. Van Compernolle. Dans un article paru en 1985, il soulignait que, même après les remarquables progrès de la recherche archéologique, aucune trace de la présence rhodienne n’a pu être décelée à Salpi. En revanche, les fouilles confirment de plus en plus le caractère autochtone du site53. Il est d’ailleurs significatif que le passage de Strabon se trouve dans le livre sur Rhodes et non pas dans le chapitre sur la Daunie ; plusieurs éléments suggèrent que sa source était rhodienne et même d’époque tardive, probablement hellénistique54. Mais en dépit de ces objections bien argumentées, la fondation rhodienne de Salpi est une légende si bien enracinée dans les études adriatiques, qu’elle réapparaît dans des études très récentes sur les Grecs et l’Adriatique55.
LES ROUTES DES ÉCHANGES EN ADRIATIQUE
12L’absence de ports sur la côte occidentale de l’Adriatique est, en réalité, une idée très ancienne, qui remonte déjà à Strabon et à Tite-Live : alimenos pour l’un, importuosum pour l’autre, ce littoral adriatique semble être, sans appel, défavorable à la navigation56. On pourrait cependant objecter que ce caractère inhospitalier des côtes italiques cesse d’être un obstacle insurmontable pour les archéologues et pour les historiens lorsqu’il s’agit de la navigation mycénienne, dont la présence est admise à Coppa Nevigata et autour du delta du Pô. Sans compter que la morphologie antique de ce littoral adriatique semble contredire l’image négative esquissée par les historiens anciens, comme on le verra par la suite57. Or, si on se penche sur l’interprétation de ces passages des historiens anciens, il faut considérer que le mot alimenos prend dans le vocabulaire de Strabon une signification particulière et assez controversée. À ce propos, N. Alfieri rappelle que, pour le géographe grec, même deux villes maritimes d’importance incontestable, telles Antium et Ostie, seraient alimenai. Les seuls lieux que Strabon paraît considérer eulimenoi étaient en effet les ports situés près des anses naturelles ou des grandes embouchures des fleuves, pouvant aisément accueillir les grands bateaux militaires58. Certes, l’absence des ports en Adriatique est affirmée par Strabon de façon beaucoup plus radicale que pour les autres côtes italiques. Mais, à bien voir, cette image négative s’estompe dans les descriptions particulières consacrées à chaque région adriatique, où les mentions des escales maritimes, des embouchures de fleuves navigables, d’epineia et même de quelques rares emporia sont assez courantes. Cet écart sensible entre le cadre d’ensemble et les images détaillées, s’explique, selon Alfieri, par la variété des sources utilisées par Strabon. D’une part, on retrouve une image globale et déjà consolidée dans la tradition grecque, fondée sur une sorte d’opposition schématique (limenos-alimenos) entre les deux côtes adriatiques. D’autre part, les descriptions détaillées que le géographe tire de sources différentes, mêlées à son observation directe du paysage adriatique, montrent une réalité beaucoup plus complexe59. Quant au passage de Tite-Live60, il doit être expliqué dans son contexte particulier, à savoir le récit de l’expédition italique de Cléonyme, comme Braccesi l’a bien souligné61.
13Le problème des témoignages de routes grecques en Adriatique mérite encore un bref approfondissement. L. Braccesi a ébauché le réseau des traces de la fréquentation grecque sur la côte orientale, qui prouveraient l’existence d’un itinéraire maritime adriatique, suivi d’abord par les Phocéens et ensuite par les Corinthiens et les Athéniens62. Mais si on examine de plus près la documentation apportée à soutien de cette hypothèse, elle apparaît beaucoup plus hétérogène qu’à première vue. Il faut d’abord remarquer qu’à l’exception des sites liburniens de Iader et Nin, les découvertes archéologiques sont concentrées dans la partie méridionale de l’Adriatique, en particulier sur la côte de l’actuelle Albanie, autour du fleuve Scoutari63. C’est-à-dire, dans une région où les deux colonies corinthiennes fondées à la fin du viie siècle, Épidamnos et Apollonie, peuvent avoir constitué une voie importante, sinon exclusive, pour la diffusion de l’influence grecque64. Le rôle des deux colonies corinthiennes65 vis-à-vis de l’arrière-pays illyrien a été d’ailleurs bien approfondi par A. Mano66. Pour d’autres sites, la fréquentation archaïque est une conjecture fondée sur la tradition littéraire : c’est le cas du récit de Strabon sur la présence de marins de Chios à l’embouchure du Naron67. Toutefois, comme dans le cas de Salpi, ces témoignages attendent d’être confirmés par la documentation archéologique68. Enfin, dans plusieurs autres sites, l’idée d’une présence grecque archaïque s’appuie sur une documentation qui est beaucoup plus tardive et qui, à la même époque, est également attestée sur l’autre versant adriatique. C’est le cas, par exemple, de Lissos, où se trouve une colonie syracusaine, ou de Bouthoe, dont la documentation archéologique date de l’époque hellénistique et seuls les récits littéraires pourraient faire penser à une origine plus ancienne. La présence d’une colonie grecque dans l’île de Hvar est signalée à une période plus tardive69, même si les données archéologiques récemment découvertes suggèrent une fréquentation du site déjà à l’époque archaïque70.
14Il ne s’agit évidemment pas de nier l’importance de l’itinéraire oriental. Par exemple, P. Lisicar a souligné dans un article de 1975, la présence de trois courants d’importations céramiques sur la côte orientale : corinthien, attique et d’Italie méridionale, apulien en particulier71. La céramique corinthienne a été retrouvée à Vis, à Korçula, à Corcira Nigra, à Salone, à Pula, à Zadar, mais en quantités, à vrai dire, plutôt limitées72 ; en outre, la provenance de quelques vases conservés dans les anciennes collections de musée est incertaine73. D’ailleurs, certains exemplaires sont proches des produits corinthiens attestés dans d’autres zones de l’Adriatique, en Peucétie et dans les colonies corinthiennes de la côte albanaise74 ; ceci laisserait supposer l’existence d’un réseau unitaire d’échanges. Quant aux vases attiques, leur quantité apparaît relativement modeste sur la côte orientale. À Sarajevo se trouvent un lécythe et un skyphos à figures noires qui pourraient provenir de l’île de Hvar, à Split un lécythe à vernis noir qui pourrait avoir été retrouvé à Vis ; une œnochoé attique à figures noires provient de la nécropole préromaine de Nesazio, en Istrie, et à Pula et à Zadar sont signalées deux coupes à yeux75. Quant à la céramique à figures rouges, un cratère à colonnettes provenant de Nin se trouve à Split, « quelques vases », dont une pélikè et un lécythe de Vis se trouvent au musée archéologique de Venise76. Ainsi, B. Kirigin, dans un bilan récent sur la fréquentation grecque de la côte adriatique orientale arrive à constater que « there is not much evidence for the presence of the Greeks in Dalmatia in the Archaic and Classical periods »77. Evidemment, les recherches archéologiques futures pourront modifier et enrichir ce cadre. Par exemple, assez prometteuses s’avèrent les enquêtes actuellement en cours dans les îles de l’Adriatique centro-méridionale : Hvar —où se trouve la colonie de Pharos—, Vis et Palagruza. Déjà en 1973, Lisicar avait signalé un nombre important de vases grecs provenant de la nécropole de Vis, sans toutefois préciser la chronologie, ni la typologie et la quantité de ces importations78. Les recherches actuellement menées par les archéologues croates, britanniques et canadiens79 permettent aujourd’hui d’apprécier de mieux en mieux les phases de peuplement du Bronze et du premier Âge du Fer, ainsi que l’occupation romaine à partir du iiie siècle av. J.-C. Mais les indices d’une présence grecque à l’époque archaïque et classique sont encore plutôt rares, exception faite pour un nombre non précisé de fragments de céramique à figures noires et rouges à Palagruza. En conclusion, il est très difficile, à l’heure actuelle, de pouvoir évaluer l’incidence de ces sites dans le cadre du commerce adriatique, même si leurs fonctions d’escales maritimes, reliant le Nord au Sud mais aussi les deux versants de l’Adriatique, paraît fort probable80.
15La question des routes maritimes dans l’Adriatique ancienne est loin d’être close. Déjà en 1971, N. Alfieri, dans une intervention au colloque de Chieti sur l’archéologie adriatique81, tout en admettant l’importance de la route orientale pour la fréquentation grecque, avait recommandé une prudence extrême dans l’interprétation de ces données, qui étaient — et restent— provisoires. À son avis, l’utilisation contemporaine des deux itinéraires maritimes ne pouvait être exclue. En particulier, la route de cabotage de la côte italique pourrait expliquer la continuité du culte de Diomède sur la rive occidentale adriatique, ou même la floraison des emporia picéniens. Cette position d’Alfieri a été rejetée par Braccesi dans la nouvelle édition de son ouvrage82, mais elle trouve aujourd’hui un certain consensus parmi les spécialistes de questions adriatiques. Le rapport probable entre la distribution du culte de Diomède et une ancienne route de trafic a été souligné aussi par M. Torelli83 et par G. Colonna84. En outre, l’inventaire des découvertes récentes sur la côte adriatique au sud du Conero semble encore une fois remettre en discussion les termes du problème. Comme M. Luni l’a plusieurs fois souligné85, la céramique attique se trouve dans plusieurs sites de l’Adriatique occidentale : à S. Marina di Focara, situé à un jour environ de navigation d’Ancône, à Cattolica, Riccione, Ariminum86. Il s’agit donc d’un itinéraire continu entre Ancône et le delta du Pô. En outre cette route devait se prolonger même au sud du Conero, où les estuaires des fleuves —du fleuve Potenza jusqu’à Termoli— ont pu offrir des abris pour les routes de cabotage : c’est là justement que plusieurs sites sont attestés à l’époque hellénistique et romaine. Si la continuité topographique ne peut prouver, à elle seule, l’existence d’une route maritime archaïque, les découvertes de céramique attique sont évidemment beaucoup plus importantes. Or, la côte du Picenum méridional (S. Severino, Tolentino, Belmonte Piceno, Montefor-tino, Villamagna) a livré plusieurs importations attiques ; en proportions plus réduites, la céramique attique à figures noires et rouges de la fin du vie-début du ve siècle, a été retrouvée également dans les sites côtiers des Abruzzes. Des importations du ve siècle sont en effet attestées à Alfedena, Pescara (l’ancienne Aternum), Montebello di Bertona, Spoltore, Villamagna ; elles s’ajoutent aux découvertes des céramiques indigènes provenant des Pouilles87. Pour Luni, la conclusion s’impose : une route occidentale, se dirigeant du canal d’Otrante au nord de l’Adriatique a dû coexister avec la route orientale, qui reliait les deux versants adriatiques à la hauteur du Conero. Ces sites côtiers auraient même eu un rôle de « redistributeurs » des produits attiques vers l’intérieur, grâce à l’exploitation des vallées internes des fleuves88. En outre, le chercheur souligne le rapport entre le développement urbain des sites côtiers adriatiques aux vie et ve siècles et l’intégration de ces communautés dans des réseaux d’échange, concernant aussi bien la céramique grecque que les productions indigènes, notamment la vaisselle daunienne. En conclusion, plusieurs éléments suggèrent l’existence d’une ancienne route occidentale de cabotage, qui correspond d’ailleurs à l’itinéraire décrit dans le Périple de Skylax89.
16Le point de vue de Luni ne rencontre pas un consentement unanime : en effet, d’autres chercheurs interprètent les mêmes données de façon différente. Ainsi, G. Tagliamonte qui a dressé l’inventaire des importations grecques dans les Abruzzes, exclut la provenance adriatique et préfère penser que ces vases grecs sont arrivés de l’Étrurie centrale (Vulci et Chiusi), à travers les pas des Apennins et la vallée du fleuve Chienti, tout comme les objets en bronze découverts dans les mêmes nécropoles90. Sur la même ligne, M. Paoletti et O. Zanco ont considéré les deux vases attiques de 480-460 av. J.-C. retrouvés à Montebello di Bertona comme un cas « di redistribuzione etrusca in area abruzzese, per il tramite forse di Vulci, di prodotti attici della fine del VI-prima metà del V sec. a. C. »91. En revanche, P. G. Guzzo exprimait déjà en 1976 sa conviction que la voie occidentale avait diffusé dans le Picenum et en Istrie les produits de la Grèce de l’Est ainsi que la céramique indigène apulienne92. Plus récemment, G. Azzena a suggéré l’existence d’un point d’abordage préromain à Hatria93. En définitive, il serait difficile de nier l’existence d’un itinéraire occidental bien que nous connaissions uniquement de simples étapes et des escales secondaires dont il ne faut surestimer l’importance94. Mais, comme le remarque M. Gras, « même si on ne s’arrête pas pour commercer, on ne s’arrête jamais sans commercer dans la Méditerranée archaïque et classique »95.
UNE CERTAINE IMAGE DES PEUPLES ADRIATIQUES
17Évidemment, ceux qui ont nié toute forme directe d’échanges avec les Grecs en Adriatique centro-méridionale ont cherché des explications à ce phénomène. Un courant historique solide a donné, comme on l’a vu, une réponse déterministe à la question, utilisant des argumentations qui sont en même temps rejetées pour d’autres zones de la Méditerranée ou pour d’autres périodes historiques. Elles peuvent être ainsi résumées : l’impossibilité de développer une forme quelconque de commerce sur la côte adriatique entre le Gargano et le Conero est due à des raisons extérieures, tels la morphologie hostile de la côte ou le climat défavorable. Cette explication, qui découle directement des passages de Strabon et Tite-Live, se heurte toutefois à une série d’objections possibles, notamment au constat que la morphologie du littoral antique ne paraît nullement correspondre à l’image transmise par les historiens anciens.
18Une deuxième explication à l’absence de commerce en Adriatique centro-méridionale est plutôt de type culturel et peut être ainsi résumée : les indigènes ne sont pas arrivés à établir des relations avec les Grecs à cause du caractère fermé de leur civilisation. Cette conviction a donc mis l’accent sur le conservatisme et l’imperméabilité de ces civilisations, oubliant les signes des modifications économiques, sociales et culturelles que la recherche archéologique découvrait en même temps. L’image d’une société daunienne statique et presque égalitaire, fondée sur une économie exclusivement agricole et sur l’élevage, est déjà ébauchée par E. M. De Juliis en 197596. Dans ses études les plus récentes, cette idée d’égalitarisme social devient plus nuancée97, sous l’influence des recherches accomplies dans la Daunie intérieure (Banzi, Lavello, Melfi)98, qui ont fini par modifier aussi la vision traditionnelle des sites côtiers. Ainsi, en 1988, De Juliis admet une différence entre l’arrière-pays, agricole et pastoral, et les zones côtières, plus ouvertes à l’artisanat et au commerce99.
19Or, cette image d’immobilisme de la société daunienne entraîne des conséquences plutôt importantes lorsqu’il s’agit d’expliquer certains faits, par exemple l’exportation adriatique de la céramique daunienne ; d’autant plus que ce phénomène représente une exception isolée dans le cadre des productions indigènes, comme le souligne D. Yntema100. De Juliis a attribué aux Liburniens le rôle de protagonistes actifs de ce commerce, alors que les Dauniens, consacrés exclusivement à l’agriculture et à l’élévage, sont relégués décidemment à l’arrière-plan de ces trafics adriatiques101. Plusieurs éléments seraient susceptibles de soutenir son hypothèse. D’abord, la distribution assez particulière de la céramique daunienne, qui touche le Picenum mais non pas les côtes du Molise et des Abruzzes : ceci semblerait exclure l’existence d’une route continue de cabotage reliant la Daunie au Picenum. Mais, comme on l’a vu plus haut, les découvertes récentes montrent que cette coupure entre la Daunie et le Picenum est moins nette de ce qu’on le croyait auparavant102. De Juliis évoque aussi les affinités culturelles entre les Picéniens et les Liburniens, qui font penser à une relation commerciale privilégiée entre ces deux peuples. En outre, les sources anciennes évoquent souvent la puissance maritime et aussi la redoutable piraterie exercée par les Liburniens et les Illyriens103, alors qu’elles ne mentionnent guère l’activité maritime des Dauniens. Mais à bien voir, des objections à ces deux arguments sont possibles. D’une part, s’il faut chercher des intermédiaires dans les échanges adriatiques, on peut penser aux Picéniens aussi bien qu’aux Liburniens104. D’autre part, on ne peut surestimer l’importance de la thalassocratie liburnienne, car la plupart des sources sur la piraterie illyrienne sont tardives et remontent à l’époque romaine. H. G. Dell a bien montré que les sources littéraires ne permettent guère de soupçonner l’existence de ce phénomène avant l’époque hellénistique105 et qu’il serait même possible d’attribuer à la piraterie iapyge des passages souvent interprétés comme des allusions à la piraterie illyrienne106.
20L’importance majeure accordée aux Liburniens dans le commerce adriatique archaïque entraîne toute une série de corollaires, souvent formulés sur la base d’un raisonnement purement déductif. Par exemple, les découvertes de céramique daunienne dans la vallée du Pô ne prouveraient pas la pénétration des produits dauniens, mais montreraient plutôt l’expansion liburnienne dans ces régions adriatiques et dans leur arrière-pays107. Les bateaux à voile incisés sur les stèles dauniennes sont interprétés comme « un thème iconographique générique », ou bien comme les représentations des navires liburniens108. Au bout de compte, on pourrait se demander si cette amplification du rôle des Liburniens dans l’Adriatique archaïque n’est pas le pendant exact de la tendance, jusqu’alors dominante, à surestimer l’importance de la côte adriatique italique. Ainsi, les relations entre les peuples des deux côtes de l’Adriatique au premier Âge du Fer ont souvent été interprétées en termes de migrations, voire de colonisation illyrienne dans le Picenum et dans le nord de l’Apulie109. Plus particulièrement, l’affinité des habitations, des mobiliers et de certains rituels attestés à Salapia, en Daunie et à Nin, sur la côte slave, est pour certains la preuve d’une fondation illyrienne, probablement liburnienne110, du site daunien.
21Cette vision du commerce de la céramique daunienne a soulevé toutefois des objections. G. Colonna a brièvement considéré la question dans un article consacré aux rapports entre la civilisation de la Daunie archaïque et les autres cultures de l’Italie antique111. Colonna estime que les exportations de la céramique indigène au cours des viie et vie siècles sont les signes d’une véritable domination maritime des Dauniens112. Ces trafics auraient permis aux Dauniens de nouer des solides relations avec les Picéniens ; ce fait pourrait expliquer le passage très controversé de Denys d’Halicarnasse sur l’intervention des deux ethnies adriatiques aux côtés des Étrusques contre les Grecs de Cumes, en 524 av. J.-C.113, texte sur lequel nous reviendrons plus tard. Sur les mêmes positions, P. G. Guzzo conclut prudemment que « la distribuzione della ceramica daunia appare più verisimilmente dovuta ai suoi produttori che ad altri », tout comme les représentations de bateaux sur les stèles dauniennes114. De Juliis même, dans des écrits plus récents, paraît admettre de façon implicite la possibilité que les Dauniens aient pu exporter leurs produits en Adriatique sans besoin d’intermédiaires115.
22Certes, la question est difficile à trancher ; d’autant plus que l’absence de publications systématiques des contextes ne permet guère d’évaluer les caractères et la mesure de ces échanges, comme le souligne G. Bergonzi116. Par exemple, il nous est impossible de quantifier les importations dans les différents sites du Picenum et de la côte slave, de préciser la quantité de céramique provenant des habitats ou des nécropoles, de comprendre la fonction exacte de la vaisselle exportée117. Mais ces limites objectives de la recherche sont une raison de plus pour refuser toute idée reçue, qui, au lieu d’ouvrir des clefs de lecture, risquerait plutôt d’empêcher la compréhension des faits. Comme E. Greco l’a remarqué, l’idée de l’immobilisme et de conservatisme culturel appliquée aux sociétés indigènes découle en réalité de leur indifférence obstinée à la culture grecque. Au bout du compte, c’est encore d’après le modèle grec que l’on juge la société indigène. Ceci empêche de comprendre « la démarche volontariste d’une société fortement structurée, qui semble mal s’accommoder de ce parfum de primitivisme qu’impliquerait le concept de staticité »118.
LA REPRISE DU DÉBAT
23À l’heure actuelle, plusieurs raisons peuvent justifier un nouvel intérêt sur les échanges en Adriatique méridionale. D’abord, les résultats accrus des recherches archéologiques. Au début des années 70, une série d’importants colloques (Dubrovnik, Zagreb, Lecce, Chieti) ont dressé le bilan des recherches et des découvertes sur les deux côtes adriatiques119. Dans les années suivantes, le travail des archéologues a été consacré à des régions plus circonscrites de la mer Adriatique120, ainsi qu’à quelques contributions partielles sur le thème des échanges121. Si plusieurs sites même très importants sont encore peu ou point connus, d’autres pièces de la grande mosaïque adriatique deviennent heureusement intelligibles. Les découvertes fondamentales dans le Salento, réalisées par l’Université de Lecce, ont révélé l’existence d’un courant commercial grec important —eubéen, laconien, corinthien— dans plusieurs sites de cette région (Otranto, Brindisi, Vaste, Cavallino). Comme F. D’Andria l’a démontré dans ses nombreuses études consacrées à ces thèmes122, on est ici en présence d’un circuit d’échanges et d’acculturation, qui est indépendant de la fondation de la colonie laconienne de Tarente et lui est même antérieur. De ce fait, la circulation des biens en Adriatique devient un phénomène très riche et multiforme, qui n’implique pas uniquement les échanges entre les indigènes des deux bords de la mer mais aussi les rapports directs entre ces peuples autochtones et les Grecs123. Il faut ajouter à cela les progrès significatifs de la recherche sur le terrain. Plusieurs fouilles ont été menées à partir de la fin des années 1970 par la Surintendance du Molise sur les sites côtiers de Termoli, Larino, Guglionesi et Campomarino. Ces recherches ont commencé à combler le vide documentaire dans ce secteur de la côte adriatique. En particulier, les résultats de la fouille de l’habitat protohistorique de Campomarino, pourront, lorsqu’ils seront intégralement publiés, éclaircir plusieurs aspects importants de ces communautés indigènes au premier Âge du Fer124. Quant à la Daunie, de nombreuses fouilles, programmées ou même de sauvetage, menées notamment par les chercheurs des Surintendances méridionales, ont énormement enrichi, surtout à partir des années 70, nos connaissances sur de nombreux sites. On a pu ainsi saisir de mieux en mieux le profil de cette société daunienne, élitaire et hiérarchisée, ainsi que les liens entre le rang social, les formes rituelles et les expressions figuratives125. L’œuvre précieuse et inlassable de nombreux chercheurs ne peut, hélas, faire oublier l’un des véritables fléaux de cette région : l’activité toujours florissante des fouilleurs clandestins, qui continue à provoquer la perte d’objets et surtout de connaissances irremplaçables126.
24Une autre raison, d’ordre théorique, permet aujourd’hui de rouvrir le dossier adriatique : le débat sur le commerce et l’emporía dans l’Antiquité a changé, depuis quelques ans, nos paramètres d’évaluation des faits économiques dans les sociétés indigènes. Cette nouvelle perspective porte, de façon consciente ou non, l’écho des théories sur les économies antiques qui ont animé les dernières décennies. Ainsi, les réflexions de K. Polanyi sur « our obsolete market mentality »127 sont probablement responsables de la presque totale disparition d’expressions et d’attitudes « modernistes »128 appliquées à la réalité ancienne. Il est vrai, par ailleurs, que notre vocabulaire moderne est souvent inadéquat à désigner l’éventail des échanges anciens. À défaut de termes, on utilisera ici, de temps à autre le mot « commerce »129 : en sachant toutefois que c’est plutôt à des « trafics », selon la définition attribuée par M. Gras aux échanges archaïques tyrrhéniens130, que l’on pense. Un autre changement théorique de grande portée est la modification de la notion de valeur introduite dans les études anthropologiques sur le monde ancien, dont L. Gernet a été l’un des principaux théoriciens131.
25Cette notion n’est plus — ou pas seulement — liée à la quantité mais à une idée beaucoup plus complexe, qui prend en compte des significations à la fois rituelles, symboliques, sacrées, ostentatoires : le terme « bien de prestige » se prête bien à exprimer cette complexité sémantique132. Et même si on veut se tenir à la valeur matérielle, intrinsèque d’un objet, il ne faut pas oublier que cette évaluation a été pendant longtemps fondée sur l’équivalence avec d’autres biens périssables ; que l’on pense à l’échelle de valeurs établie par les textes homériques133 et, plus généralement, aux caractères du « commerce » grec archaïque, de la prexis, ébauchés par A. Mele134. Dans une synthèse récente, N. Parise a bien montré le passage crucial de l’échange des objets précieux, « verie propri valori circolanti », à une nouvelle forme d’échange inspirée par une notion de valeur abstraite et quantifiée, où « le cose precedentemente impiegate come valori circolanti evolvono a segni premonetari »135. Il s’agit donc de comprendre quels sont les éléments et les symboles qui convergent dans la notion de valeur dans les sociétés antiques, et notamment dans un contexte indigène. Sans vouloir, bien entendu, revenir à une sorte de « dénégation » du mobile économique : comme M. Torelli l’a remarqué, « pur non essendo descrivibile secondo le forme proprie della scienza economica classicae neoclassica, non per questo l’economia deve perdere il peso che ha possedutoe possiede nella formazione dei fenomeni storici dell’evo antico »136. Il est évident qu’une enquête sur les relations économiques dans une société anhellénique repose presque entièrement sur l’interprétation des données matérielles. Malgré quelques réserves théoriques137, les résultats de la recherche archéologique sont considérés à juste titre comme une source irremplaçable pour reconstituer l’histoire économique de l’Antiquité138. P. Vidal-Naquet arrive à renverser les termes de la question : il est persuadé que, malgré les difficultés objectives que la reconstitution de l’histoire économique et sociale du monde antique comporte, « l’absence du modèle pregnant que constitue le récit antique est plus un avantage qu’un inconvénient »139.
26Toutes ces nouvelles approches théoriques ont eu un impact majeur justement dans l’étude des sociétés indigènes, où les phénomènes économiques sont souvent perceptibles dans le domaine social ou rituel et la circulation monétaire est assez tardive. Inutile dire combien ces recherches et ces acquis théoriques ont changé notre approche de plusieurs questions et notamment d’un thème, qui est ici essentiel : à savoir les rapports entre Grecs et indigènes140.
27Ce n’est pas un hasard si la Grande Grèce a été, surtout à partir des années 60, l’un des terrains les plus fertiles de ce dialogue fructueux entre historiens et archéologues141, au sein duquel la ligure d’Ettore Lepore a eu un poids incontestable et un rôle extrêmement fécond142. L’élaboration des modèles interprétatifs a été particulièrement novatrice sur le versant tyrrhénien de la Péninsule. Les recherches sur Pontecagnano, Pithécusses, Paestum, Cumes, Sybaris ont donné des éléments essentiels à notre connaissance du monde colonial et indigène ; les enquêtes sur la Basilicate sont venues enrichir ce cadre143. La réalité indigène est bien entendu très complexe et on ne saurait l’interpréter globalement selon les mêmes schémas. Ainsi, les grandes quantités de tessons grecs retrouvés dans le Salento, notamment à Otrante, témoignent d’un véritable courant de commerce archaïque144. En revanche, dans nos régions adriatiques, les échanges ont gardé un caractère plutôt irrégulier et discontinu, constamment fondé sur le troc, voire sur la piraterie, comme le témoigne le passage de Strabon (V, 4, 2) sur les redoutables habitudes des Frentans. Ce « commerce » demande, donc, d’autres clés de lecture et de compréhension.
28Ainsi on peut maintenant reconsidérer certains faits et phénomènes sur la base de ces nouvelles données et perspectives de la recherche. Une fois dissipé le scepticisme sur l’existence d’un réseau d’échanges sur cette côte adriatique, il faudra poser des questions précises, même si les réponses auront forcément des contours beaucoup plus nuancés. Il faudra se demander, en particulier, quelle était la nature de ces échanges et comment ils ont évolué à travers les différentes époques historiques; quels effets ils ont eu sur la modification des communautés indigènes ; quelles structures sociales ont permis la production et la circulation des biens. Une grande importance doit être accordée, dans cette perspective, à l’étude du territoire, où la société indigène a fondé une grande partie de sa richesse. Comme E. Lepore le soulignait il y a quelques années, ce serait une erreur que de privilégier uniquement « l’incontro commerciale » della colonizzazione greca con quest’area adriatica ». Il incitait plutôt à approfondir « i metodi (...) di asservimento sulla terra, gli espedienti acquisitivi per raggiungere determinate materie prime », à chercher « i momenti di passivitàe di soggezione (...) i momenti di rielaborazione di elementie modelli recepiti, di reazione plastica ad essi »145. Nous essaierons de suivre cette orientation.
Notes de bas de page
1 BEAUMONT 1936, 159-204.
2 BEAUMONT 1936, 159-160. L’auteur remarque, à juste titre, le caractère hétérogène et disparate de la littérature grecque sur l’Adriatique : « Every fact that is preserved, is preserved incidentally... No Greek author did for the history of Spina, Adria, Lissus, and the city on the Black Corcyra what Antiochus of Syracuse did for the cities of Magna Grecia and Sicily ».
3 BEAUMONT 1936, 164-165, évoque les découvertes de Coppa Nevigata et de la côte de Dalmatie ; nos connaissances sur la distribution des objets mycéniens sont évidemment aujourd’hui beaucoup plus vastes.
4 BEAUMONT 1936, 160-161.
5 Diodore de Sicile xvi, 5.
6 BEAUMONT 1936, 161.
7 BEAUMONT 1936, 161-162.
8 Hérodote, I, 163.
9 Cette argumentation est toutefois largement à revoir; dans le territoire adriatique méridional, les seules découvertes de céramique rhodienne sont signalées à Tarente et dans le territoire de la colonie spartiate, ainsi qu’à Brindisi, mais elles sont apparemment absentes plus au nord, et spécialement en Daunie ; voir LO PORTO 1976, 131 sqq.
10 BEAUMONT 1936, 171-172.
11 BEAUMONT 1936, 172-173.
12 BEAUMONT 1936, 183-193.
13 BEAUMONT 1936, 194.
14 BEAUMONT 1936, 195 : Beaumont pense que le mythe adriatique de Diomède n’est que le résultat d’une série de « strates » légendaires et de croyances grecques superposées à des cultes héroïques locaux, probablement liés aux chevaux. Sur l’importance des chevaux en Daunie, voir infra, 326 sqq.
15 RICCI 1966, 173 sqq., en particulier 208 sqq.
16 Voir D’ANDRIA 1988, 655, mais voir aussi les considérations de LEPORE 1973, 140, qui refuse l’opposition, souvent appliquée au commerce adriatique, entre un réseau d’échange de biens précieux d’une part, comme l’argent, et de biens de nécessité primaire de l’autre, comme le blé ; en réalité le blé, ainsi que le bois et les métaux, fait partie d’une triade de biens essentiels dont l’approvisionnement a plutôt une signification politique, de « strutturazione della potenza ». La notion moderne de « marché » ou de « rivalité commerciale » ne peut donc saisir correctement ce genre de relations économiques.
17 Abrégé ici VALLET 1950.
18 Soutenu par VALLET 1950, 38. L’hypothèse a récemment été reprise avec des nouvelles argumentations par M. TORELLI, dans Spina 1993, 60 sqq., sans trouver le plein accord de G. COLONNA et de G. SASSATELLI (ibid., 138 sqq. et 193 sqq.).
19 C’est l’hypothèse de ZUFFA 1975.
20 Bien décrit par SASSATELLI 1987 et par le même auteur dans Spina 1993.
21 Pour le delta du Pô : Spina 1993 ; pour le Picenum : LANDOLFI 1987.
22 Sur le rôle d’Athènes en Adriatique voir la synthèse de LEPORE 1988, notamment 489 sqq.
23 VALLET 1950, 43 excluait de façon péremptoire la présence d’intermédiaires des exportations attiques en Adriatique : la céramique attique était interprétée comme le signe visible des « buts économiques d’Athènes » dans l’Adriatique. Toutefois, la question des intermédiaires des Athéniens en Adriatique est légitime : selon la nouvelle interprétation du pséphisma athénien de 325-324 av. J.-C. proposée par A. BRESSON, dans L’emporion, 171 sqq., l’emporion d’Athènes nommé dans le décret localisé jusqu’à présent en Adriatique, serait en réalité le Pirée même. On verrait ainsi tomber un autre argument souvent mentionné comme preuve de la présence directe d’Athènes en Adriatique.
24 KIECHLE 1979, notamment 178 sqq. suppose un rôle important de la flotte et des ports de Corcyre dans le commerce adriatique, particulièrement dans le dernier tiers du ve siècle (184-185). Ce sont probablement les Samiens à avoir exporté les produits laconiens, bronzes et statuettes (ROLLEY 1982, 76-77 ; 92). Quant à la question des intermédiaires, E. WILL, dans Actes XII CSMG, 34, soulignait la difficulté constante de reconnaître les acteurs directs du commerce et se demandait qui étaient les transporteurs de la céramique attique au vie siècle.
25 G. COLONNA, La società spinetica e gli altri ethne, dans Spina 1993, 135-136.
26 C’est l’interprétation donnée par COLONNA 1974 du passage de Strabon VIII, 16 ; pour une différente lecture du même passage voir F. CORDANO, Egineti ed Etruschi dall’Adriatico al Tirreno, dans Annali della Facoltà di Lettere e Filosofia di Macerata XXII-XXIII, 1989-1990, 2, 651-658. Sur le rôle d’intermédiaires que les marchands éginètes ont eu au moins jusqu’à la défaite de leur cité par Athènes en 457 av. J.-C. : DESCAT 1995, 349.
27 La distribution des découvertes connues jusqu’à 1950 amena G. Vallet à conclure que la plupart des importations attiques se trouvait dans le nord de l’Apulie, entre Ruvo et Ceglie, et que la Messapie était nettement séparée des autres régions adriatiques (VALLET 1950, 35-36) : ce cadre apparaît aujourd’hui complètement renversé. L’idée que le commerce étrusque a pu en partie être géré par les cités de Grande Grèce (ibid., 42) rentre évidemment dans un schéma d’interprétation aujourd’hui abandonné.
28 L. MASSEI, Gli askoi a figure rosse nei corredi funerari di Spina, Milan 1978, 355-356.
29 VALLET 1950, 51.
30 Voir à ce sujet les reflexions de P. KRACHT, Überlegungen zum Problem des attischen Handels während des Peloponnesischen Krieges, dans Münstersche Beitràge z. antiken Handelsgeschichte IX, 1990, notamment 96-98.
31 La première édition de Grecità adriatica a paru en 1971 ; on tiendra compte ici de la deuxième édition révisée, abrégée dorénavant BRACCESI 19772.
32 BRACCESI 19772, 51 ; BRACCESI 1988, 136 ; 142.
33 Voir la discussion très savante sur toutes les sources anciennes relatives à ce mythe: BRACCESI 19772, 32-54; BRACCESI 1988, 143.
34 Cette théorie avait été formulée, quelques années auparavant, par G. GIANNELLI, Culti e miti della Magna Grecia, Florence 19633, 31 : « abbiamo così identificato il primo elemento etnico greco in Daunia : sono i navigatori e i mercanti delle isole di Rodi e di Cos, che vi hanno importato il culto argivo di Diomede e quello di Podalirio » (italique dans le texte).
35 BRACCESI 19772, 56-57.
36 Comme on le déduit des articles de GUZZO 1976, 107 sqq., et LO PORTO 1976, 131 sqq., les importations archaïques rhodiennes de céramiques et de terres cuites sont attestées à Tarente et dans son territoire, mais totalement absentes dans la partie septentrionale de la région apulienne. L’origine ou l’influence rhodienne d’une figurine en terre cuite, provenant peut-être de Canosa, conservée au Louvre, signalée par GUZZO 1976, 118, est très problématique.
37 BRACCESI 19772, 16 ; 56 sqq. l’A. accepte, même avec beaucoup de prudence, l’idée d’une composante rhodienne très marquée à l’origine du culte adriatique de Diomède. En fait, les lieux de diffusion de ce culte (la région daunienne, Ancóne, Spina, Adria, le territoire vénète) permettraient, à son avis, de reconstituer la route commerciale rhodienne, qui touchait notamment la côte occidentale de la péninsule.
38 BRACCESI 19772, 66-68.
39 D’après la célèbre définition de Strabon (VII, 5, 10) le littoral adriatique de l’Italie serait alimenos.
40 Tite-Live X, 2, 4 : circumvectus inde Brundisii promunturium medioque sinu Hadriatico ventis latus, cum laeva importuosa Italiae litora, dextra Illyrii Liburnique et Histri, gentes ferae et magna ex parte latrociniis maritimis infimes, terrerent, penitus ad litora Venetorum pervenit.
41 BRACCESI 19772, 7& sqq. ; BRACCESI 1990, 27.
42 BRACCESI 19772, 84.
43 Les sites mentionnés par BRACCESI 19772, 74-76, sont, en remontant du sud vers le nord, Orikos, Apollonie, Épidamne, Vardenis, Lissos, Buthoe, Epidaure, Mljet, Korcula, un site à l’embouchure du fleuve Neretva et les sites sur les îles de Hvar et de Vis, Brac, Iader, Nin.
44 Soutenue par ALFIERI 1971, 90, qui refuse de nier complètement l’existence d’une route maritime occidentale, sans laquelle il serait difficile d’expliquer l’importance d’un emporion comme Numana.
45 LEPORE 1973, 128 sqq., qui exprime de profondes réserves en particulier sur le chapitre consacré par Braccesi à la navigation légendaire, époque à laquelle il attribue aussi l’épisode de la fondation d’Elpie ; selon Lepore, le risque est, dans ce cas, de créer des théories fondées sur des petitiones principii, qui peuvent parfois devenir de redoutables cercles vicieux (comme on l’a vu, par exemple, dans le cas du rapport entre la légende de Diomède et la prétendue présence rhodienne en Adriatique).
46 BRACCESI 1988, 134.
47 BRACCESI 1988, 136 sqq.
48 L. BRACCESI, Fossa Philistina : una ritrattazione, dans Padusa XXVI-XXVIII, n. s. 1990-1991, 285-286.
49 Pour la présence phocéenne en Occident voir notamment MOREL 1966; MOREL 1975. Voir aussi LEPORE 1973, 133-134, en particulier la note 14, 134. BOARDMAN 19882, 228, remarque qu’aucune donnée archéologique n’est venue jusqu’ici confirmer le récit d’Hérodote.
50 G. VALLET, F. VILLARD, Les Phocéens en Méditerranée occidentale à l’époque archaïque et la fondation de Hyelé, dans PP 21, 1966, 176.
51 BRACCESI 19772, 55 sqq. reprend en fait une hypothèse de PUGLIESE CARRATELLI 1952, 248, sur une relation possible entre la navigation rhodienne d’époque précoloniale et le passage de Strabon XIV, 654, relatif à la fondation rhodienne de Partenope, dont témoignaient les toponymes en-oussa. Mais déjà Pugliese Carratelli (ibid., 248, note 2) soulignait l’ambiguïté de ces terminaisons, qui pourraient être interprétées aussi bien comme rhodiennes que comme phocéennes.
52 LEPORE 1973, 132-133 ; 135.
53 Voir ci-dessous la synthèse sur les fouilles sur le site protohistorique daunien, infra, chapitre III, 123 sqq.
54 VAN COMPERNOLLE 1985, 35 sqq. Cet épisode aurait pu appartenir à une sorte de corpus légendaire et mythographique élaboré à Rhodes à l’époque hellénistique. Le choix du site daunien s’expliquerait par la présence dans cette région d’un culte de Calchas et de Podalire, qui aurait aussi justifié la participation des Coens à la fondation de Salpi (ibid., 43, note 54). L’origine probablement rhodienne de la source de Strabon a été déjà soulignée par BRACCESI 19772, 55.
55 G. GORINI, I Greci in Adriatico Settentrionale tra storia e archeologia, dans Griegos en Occidente, F. Chaves Tristan éd., Séville 1992, 67-89 ; sur cette question précise voir 70-72 ; voir également L. BRACCESI, A. COPPOLA, I Greci e l’Adriatico, dans La Magna Grecia e il mare. Studi di storia marittima, sous la dir. de F. Prontera, Tarente 1996, 109-119 ; sur Elpie, voir notamment 110.
56 Voir le passage de Strabon VII, 5, 10 qui, après avoir décrit la côte illyrienne, riche en ports et en mouillages naturels, désigne la côte italique comme étant complètement alimenos, dépourvue de ports. La même image revient dans le texte de Tite-Live sur l’expédition de Cléonyme (X, 2, 4) : voir supra, 17, note 14.
57 Que nous étudierons dans le prochain chapitre.
58 Comme le souligne DELANO SMITH 1979, 327, pour Strabon (III, 4, 8) même les côtes du sud-est de l’Espagne seraient alimena, alors qu’elles possèdent de nombreux points d’abordage.
59 ALFIERI 1981, 26 sqq. Sur des positions analogues TRAMONTI 1993, 109, pour qui la description de Strabon représente la tentative désespérée d’accorder plusieurs éléments contradictoires, tels « l’immagine tutta concettuale e fortemente schematizzata » des sources, notamment de Polybe, et « la considerazione analitica frutto della precisione dei peripli e (...) della cultura marinara ».
60 Tite-Live (X, 2, 4) affirme que le roi de Sparte Cléonyme s’était dirigé vers le nord de l’Adriatique, sans aucune étape intermédiaire, à cause de l’absence de ports sur la côte occidentale et à cause de la piraterie qui infestait la côte orientale.
61 BRACCESI 1990, 25 sqq., qui reprend une hypothèse de DELL 1967, 352 : le but de Tite-Live, natif de Padoue serait de mettre en valeur le rôle des Hénètes, et donc de les présenter comme le premier obstacle rencontré par le roi de Sparte sur son chemin adriatique.
62 BRACCESI 19772, 68 sqq.
63 C’est le cas des découvertes d’Orikos, où Ton a retrouvé des vases attiques, et de Vardenis, où Ton a découvert des tessons de céramique corinthienne ; BRACCESI 19772, 74. De la céramique corinthienne est également signalée à Corcyre Melaina, la petite île qui est en face de l’embouchure du Naron ; voir BRACCESI 19772, 75, note 15. Un skyphos attique à figures noires se trouve au musée de Nin (Croatie).
64 Comme le soutenait la théorie traditionelle sur la présence d’importations grecques sur la côte adriatique orientale; voir à ce propos ALFIERI 1971, 89-90.
65 Épidamne, la plus ancienne colonie sur la côte illyrienne, aurait été une fondation mixte, corcyrienne et corinthienne, Apollonie aurait été fondée par les Corinthiens. Leur chronologie se situe entre le dernier quart du viie siècle et le premier quart du siècle suivant ; voir sur ces thèmes BRACCESI 19772, 91 sqq.
66 A. MANO, Les rapports commerciaux d’Apollonie avec l’arrière-pays illyrien, dans Studia Albanica 1, 1973, 185-194, notamment 185-187.
67 BRACCESI 19772, 75, note 16 ; ce passage de Strabon (VII, 5, 9) aurait probablement comme source Théopompe.
68 Voir à ce propos les remarques émises par F. BOSI, I Greci dal Ponto all’Adriatico, dans StudStor 14, 1973, 927, sur la démarche suivie par Braccesi, qui aurait trop privilégié l’histoire politique de la Grèce en Adriatique, au détriment de l’analyse des données archéologiques ou des formes de contact culturel. Il est vrai que les documents actuels sur ces questions sont beaucoup plus riches aujourd’hui qu’à l’époque de la rédaction du livre de Braccesi.
69 Sur ces sites voir RICCI 1966, 192 sqq. ; BRACCESI 19772, 74-75.
70 Voir infra, note 79.
71 LISICAR 1973, 3 sqq.
72 A Vis, sont conservés 5 alabastres et aryballes, dont les lieux de découverte ne sont pas certains ; à Zadar se trouve un autre aryballos corinthien du vie siècle qui proviendrait, lui aussi, de Vis ; à Pula, en Istrie, sont signalés un aryballe, deux coupes, un skyphos, à Zadar un fragment d’une coupe, à Salone une pyxis, à Corcyra Nigra une oenochoé ; voir LTSICAR 1973, 3-7, pl. 1-10.
73 C’est le cas des vases du musée de Pula, qui pourraient provenir du site étrusque de Saturnia, en Toscane : LISICAR 1973, 6.
74 Comme les coupes de Pula, qui peuvent être comparées à quelques exemplaires du musée de Bari, et de l’œnochoé de Corcyra Nigra, qui est proche d’un vase retrouvé à Apollonie; voir LISICAR 1973, 3 ; 6.
75 LISICAR 1973,8-10, pl. 11-14. Pour la coupe de Zadar, l’auteur souligne (p. 10) des affinités assez évidentes avec du matériel retrouvé en Étrurie, à Bologne, et même en Campanie étrusque, à Capoue.
76 LISICAR 1973, 13-14, pl. 18, 19, 20 ; une origine apulienne ou padane (Peintre de Ferrara) doit être en revanche attribuée aux vases reproduits aux planches 21 et 22.
77 B. KIRIGIN, The Greeks in Central Dalmatia : Some New Evidence, dans Greek Colonists, 290 sqq. : à quelques exceptions près (Hvar, Korcula et Vis), la plupart des traces archéologiques de contacts avec les Grecs ne peuvent être datées avant le ive siècle et, en tout cas, pas avant le vie siècle av. J-C.
78 LISICAR 1973, 18, affirme que la nécropole de Vis a livré plus de 880 vases, sans préciser s’il s’agit de vases grecs et de quelle période ; plusieurs alabastra corinthiens ou italo-corinthiens seraient conservés dans une ancienne collection. Toutefois, le texte laisse plutôt entendre que ces « vases grecs » sont du ive siècle et même plus tardifs, et qu’ils proviennent en partie de l’Italie du Sud : c’est le cas, par exemple, de la céramique apulienne et de Gnathia.
79 S. FORENBAHER, V. GAFFNEY et al, Hvar, Vis, Palagruza 1992-1993. A Preliminary Report of the Adriatic Island Project (Contact, Commerce, and Colonisation 6000 BC-600 AD), dans VAHD 86,1994,13-47. Voir aussi Β. KIRIGIN, S. CACE, Archaeological Evidence from the Cult of Diomedes in the Adriatic, dans Hesperia. Studi sulla grecità di Occidente 9, 1998, 63-110, avec l’attestation importante d’un culte de Dio-mède à Palagruza dans la première moitié du Ve s. av. J.-C. Mais, comme le remarque COLONNA 1998, il est probable qu’à cette époque l’île de Palagruza était considérée comme une partie de l’archipel des Tremiti actuelles, les anciennes îles de Diomède.
80 Déjà MANSUELLI 1966, 175, exhortait à mieux approfondir le rôle des escales insulaires, notamment Issa, en tant que probables relais entre les deux routes maritimes adriatiques.
81 ALFIERI 1971, 83 sqq., en particulier 89-90.
82 L. Braccesi soutient que l’emporion de Numana ne peut pas constituer la preuve de l’existence d’une route occidentale, puisque le site picénien serait plutôt le point de jonction entre les deux itinéraires, occidental et oriental : voir ΒRACCESI 19772, 84. Quant au culte de Diomède, sa diffusion serait plutôt due à la fréquentation mycénienne, qui est bien attestée sur la côte italique de l’Adriatique. Sur les présences mycéniennes en Adriatique voir aussi GUGLIELMI 1971, notamment 421 sqq.
83 M. TORELLI, dans Spina 1993, 58.
84 COLONNA 1993, 11-12.
85 LUNI 1981, 45 sqq. ; LUNI 1995, 183 sqq. ; M. LUNI, Rapporti tra le coste dell’Adriatico in età classica ed i traffici con Grecia e Magna Grecia, dans L. BRACCESI, S. CORACIOTTI (éd.), La Dalmazia e l’altra sponda. Problemi di eschatologhia adriatica, Florence 1999, 13-40.
86 LUNI 1981, 45-67. Sur le site de S. M arina di Focara voir aussi M. ZUFFA, Tracce di uno scalo marittimo greco a S. Marina di Focara (Pesaro), dans Actes Ferrare, 1957, 133 sqq.
87 M. LUNI, P. MARCHEGIANI, Pescara, dans BTCGI 13, Pise-Rome 1994, 477-488, notamment 480-482 ; LUNI 1995, 214 ; PERCOSSI SERENELLI 1987, 86. Poulies attestations de céramique attique de la fin du VIe et du ve siècle à Ripatransone (Picenum) voir en outre PERCOSSI SERENELLI 1987, 86. Pour les attestations de céramique daunienne dans les Abruzzes voir infra, chapitre VII, 302-304.
88 M. LUNI, Ceramica attica nelle Marche settentrionali e direttrici commerciali, dans Civiltà picena, 331-363 ; sur la redistribution vers l’arrière-pays voir notamment 348-357.
89 LUNI 1995, notamment 213 sq. ; sur le Périple, voir PERETTI 1979, 507-508.
90 TAGLIAMONTE 1987, 43.
91 PAOLETTI & ZANCO 1992, 273-274.
92 Cette théorie se fonde sur les affinités étroites entre le matériel adriatique d’importation et les exemplaires de la côte ionienne, de Tarente en particulier ; en outre, aucune importation de la Grèce de l’Est ne serait connue sur la côte balkanique de Corfou jusqu’à Zara ; voir à ce propos GUZZO 1976, 121.
93 Cette hypothèse s’appuie sur la présence de céramique de provenance apulienne dans le centre de la ville antique : voir à ce sujet G. AZZENA, Città antiche in Italia. Atri, Forma e urbanistica, Rome 1987, 8-10, fig. 4.
94 LUNI 1995, 210, est d’un autre avis : « Esiste il fondato sospetto che ogni centro protostorico di foce svolgesse un certo ruolo negli scambi di merci con i naviganti greci e non solo la funzione di scalo rifugio occasionale ; si tratterebbe di una sorta di serie ravvicinata di empori ».
95 GRAS 1996, 136 (l’italique est dans le texte).
96 DE JULIIS 1973 A, 288-289 ; 294 : « anche la assoluta mancanza di oggetti importati (...) concorre a mostrare una società straordinariamente chiusa in se stessa, monotona e sobria ». Le même jugement est repris dans un article sur les découvertes d’Ordona (DE JULIIS 1973 B, 398) où la société daunienne est vue comme « tradizionalista, conservatrice, fondata su un’economia agricolonialespastorale, chiusa a qualsiasi scambio commerciale » surtout à cause de l’absence d’importations coloniales ou grecques.
97 DE JULIIS 1988 B, 605 sqq. ; DE JULIIS 1992, 49 sqq.
98 Voir infra, note 125 et 143.
99 DE JULIIS 1988 A, 667.
100 YNTEMA 1990, 243-244 souligne le caractère tout à fait exceptionnel de l’exportation d’une céramique indigène, pour l’ampleur de ce phénomène ainsi que pour la haute qualité des produits exportés, qui ont parfois eu le caractère de véritables biens de prestige (par exemple les tombes de Lavello publiées dans BOTTINI 1982). Sur ces thèmes voir infra, chapitre VII, 306 sqq.
101 DE JULIIS 1978, 18. Les autres objets d’échange entre Liburniens et Dauniens devaient être essentiellement le blé —selon De Juliis la principale exportation daunienne, bien plus importante que la céramique— les métaux et l’ambre de la Baltique (DE JULIIS 1978, 22). D’AGOSTINO 1991, 38 rejoint les positions de De Juliis.
102 Voir infra, 302 sqq. sur les trouvailles de céramique daunienne dans le Molise, à Campomarino, et dans des sites des Abruzzes. Voir aussi la liste des découvertes de céramiques dauniennes dans le Picenum et dans les Abruzzes dressée par LUNI 1995, 216-217.
103 Plus que le récit de Diodore sur la piraterie illyrienne, qui décrit une situation plus tardive, contemporaine de l’expédition syracusaine en Adriatique (Diodore XVI, 5, 3), la notice de Strabon (VI, 2, 4), est très significative: les Corinthiens auraient trouvé les Liburniens installés à Corcyre à l’époque de la fondation de leur colonie. L’importance stratégique de cette installation sur l’île située aux bouches de la mer Adriatique est une évidence incontournable. Pour un recueil récent des sources sur les Liburniens en Adriatique : S. ČAČE, Corcira e la tradizione greca dell’espansione dei Liburni lungo la costa dell’Adriatico orientale, dans Greek Influence..., sous presse.
104 Le rôle essentiel d’intermédiaires que les Picéniens ont eu dans l’Adriatique antique ressort de toute évidence dans les études récentes : voir par exemple S. GABROVEC, La regione a Sud-Est delle Alpi e la civiltà picena, dans Civiltà picena, 241-254, notamment 250 sqq., sur les affinités d’importations (céramique daunienne, armes) et des rituels funéraires entre le Picenum et la Slovénie.
105 Plus particulièrement, la piraterie illyrienne est mentionnée la première fois par Polvbe, qui évoque la lutte menée par Rome en 231-230 av. J.-C. : voir le commentaire dans DELL 1967, 345 sqq.
106 Diodore XVI, 5, 3, témoigne de la fondation de deux colonies en Apulie, décidée par Denys le Jeune en 359/358, pour protéger le détroit ionien des pirates adriatiques. Or, selon DELL 1967, 354, il n’y a aucune preuve que ces pirates étaient des Illyriens et non pas des Iapyges ; cette dernière éventualité pourrait être confirmée, selon Dell, par l’alliance entre Agathoclès et les Iapyges de 295 av. J.-C. (Diodore XXI, 4).
107 DE JULIIS 1978, 20.
108 STACCIOLI 1983,215. Mais voir à ce sujet le chapitre IX.
109 BATOVIC 1973B, 73. Les effets de cette migration, que Batovic juge massive, seraient visibles par exemple dans les usages funéraires ou dans le décor géométrique de la céramique peinte. La coutume d’ensevelir les morts en position recroquevillée serait entre autres originaire de la culture liburnienne (BATOVIC 1973 B, 74-75), tandis que les sépultures à enchytrismos révéleraient une influence inverse, des civilisations apulienne et oenôtre (BATOVIC 1973 A, 415-416). Sur la même ligne, voir A. STIPCEVIC, Gli Illiri, Milan 1966, notamment 20-22 : avant le viiie siècle, « la presenza degli Illiri nella costa italica era motivata frequentemente dalle esigenze militari, poiché in quel periodo, e anche dopo, popolazioni illiriche dominavano tutto l’Adriatico e tenevano in loro possesso molti punti strategici della penisola appenninica ».
110 BATOVIC 1973 A, 421.
111 Notamment avec le Latium et l’Étrurie villanovienne ; voir sur ces thèmes COLONNA 1980 ; sur l’expansion commerciale daunienne voir 274, note 66.
112 COLONNA 1993, 8 : « Gli Etruschi padani sembrano avere ricalcato (...) la rotta marittima che per secoli i Dauni avevano percorso in senso inverso ».
113 Sur cet épisode voir le chapitre conclusif, 370 sqq.
114 GUZZO 1994, 260.
115 Voir à ce propos E. M. DE JULIIS, La Puglia tra due mari : Ionio e Adriatico, dans Andar per mare, 37 : on admet que la céramique daunienne a pu être transportée par les Liburniens ou par les Dauniens mêmes, suivant le parcours occidental jusqu’à Ancône, ensuite la route orientale jusqu’à l’Istrie.
116 G. BERGONZI, dans Actes Manfredonia 1980, 279 sqq.
117 Il est toutefois certain que, comme le démontrent les associations des vases du « South-Daunian Subgeometric I » dans quelques mobiliers funéraires de Lavello et de Sala Consilina, la céramique daunienne a pris, dans quelques cas, la valeur d’un véritable bien de prestige ; voir à ce propos YNTEMA 1990, 244 et infra, 308-310.
118 GRECO 1996, 77.
119 Abrégées dorénavant : Actes Beograd 1971 (avec le volume annexe Yougoslavie. Recherches) ; Actes Chieti 1971 ; Actes Dubrovnik 1972 ; Actes Lecce 1973. Sur les recherches adriatiques récentes, voir l’utile synthèse de F. D’ANDRIA, Greek Influence en Adriatic. Fifty Years after Beaumont, dans Greek Colonists, 281 sqq.
120 Voir par exemple les colloques consacrés au Samnium et à la Daunie : Sannio 1980 ; Actes Foggia 1973 ; Actes Manfredonia 1980.
121 Je citerais à ce propos l’article très lucide de M. Mazzei sur les importations et les influences culturelles dans la Daunie préromaine, abrégé ici MAZZEI 1985.
122 Voir un résumé de ces recherches et de la précédente bibliographie dans D’ANDRIA 1988, 653 sqq.
123 Voir notamment à ce propos D’ANDRIA 1986, 64.
124 Un bilan fondamental de la recherche archéologique en Molise a été récemment publié à l’occasion d’une exposition très riche sur cette région ; cet ouvrage est ici abrégé Samnium.
125 Voie ouverte par BOTTINI 1982.
126 Pour le bilan récent sur ce lamentable phénomène: P. G. GUZZO, Armi antiche al di qua e al di là delle Alpi. A proposito di due recenti cataloghi, dans ΒΑ 62-63, 1990, 138-145 ; D. GRAEPLER, M. MAZZEI et al., Fundort : unbekannt. Raubgrabungen zerstoren das archäologische Erbe, Munich 1993 ; M. MAZZEI, La tutela di Arpi : un caso internazionale, dans MAZZEI 1995, 11-15.
127 K. POLANYI, Our Obsolete Market Mentality, dans Commentary 13, 1947, 109-117, publié ensuite dans le recueil d’essais K. POLANYI, Primitive, Archaic and Modem Economies, G. Dalton éd., trad. it. Economie primitive, arcaiche e moderne, Turin 1980.
128 Pour le débat théorique sur le commerce antique et la longue querelle « modernistes versus primitivistes », la synthèse de E. WILL, Trois quarts de siècle de recherches sur l’économie grecque antique, dans Annales E. S. C. 9, 1954, 7-22, est toujours fondamentale, ainsi que la plus récente contribution de J. ANDREAU, R. ÉTIENNE, Vingt ans de recherches sur l’archaïsme et la modernité des sociétés antiques, dans REA LXXXVI, 1984, 1-4, 55-83. Sur la considération» moderniste » du commerce adriatique, empruntée au modèle du commerce grec classique, voir les remarques très pertinentes de BERGONZI 1982, 85, note 7.
129 Déjà en 1969, E. Lepore exhortait les archéologues à chercher des nouveaux termes pour définir les phénomènes économiques antiques (LEPORE 1969, 187).
130 GRAS 1985.
131 Sur la notion de valeur dans le monde grec archaïque : L. GERNET, Anthropologie de la Grèce antique, Paris 19481, 93 sqq.
132 Sur la notion d’agalmata et de keimelia voir M. FINLEY, The World of Odisseus, London 1956, 64 sqq. ; 133 sqq. Sur les manifestations matérielles du prestige et du pouvoir dans la Méditerranée antique, entre la fin de l’époque mycénienne et l’affirmation de la dynastie macédonienne, voir la synthèse de M. CRISTOFANI, M. MARTELLI, Lo stile del potere e i beni di prestigio, dans Storia d’Europa II. Preistoria e antichità, 2, Turin, 1994, 1147-1166 ; pour une analyse de quelques cas particuliers, voir M. MARTELLI, Circolazioni dei beni suntuari e stile del potere nell’Orien-talizzante, dans Viaggi e commerci nell’antichità, Atti della VII Giornata Archeologica, Genova 1994, Gênes 1995, 9-26. Plus en général, sur ces mêmes aspects du monde grec archaïque voir aussi D. MUSTI, L’economia in Grecia, Bari 1981, 35.
133 MELE 1979, 65-66, dresse la liste des équivalences qu’on peut déduire des poèmes homériques : ainsi, des armes en or ont la valeur de 100 bœufs, un trépied en vaut 12, une armure en bronze en vaut 9 ; au vie siècle, 100 bœufs sont l’équivalent du patrimoine d’un pentacosiomédimne, donc ils ont la valeur de 500 médimnes de céréales ; même la valeur des esclaves est parfois évaluée en nombre de bœufs (p. 61).
134 Voir MELE 1979, passim, et notamment 69 sqq. ; sur le rapport et les différences entre la prexis et l’emporía voir notamment 92 sqq.
135 Voir la synthèse très lucide de ces phénomènes complexes proposée par N. PARISE, Preistoria monetaria greca, dans ArchClass XLIII, 1991, 153-156.
136 M. TORELLI, Le forme dell’integrazione, dans Storia d’Europa. II. Preistoria e antichità, 2, Turin 1994, 846. Torelli remarque, à juste titre, comme souvent « una lettura acritica » de Polanyi risque une véritable dénégation des mécanismes de l’échange. Cette attitude ne fait que reprendre la dénégation volontaire ou involontaire que les Anciens ont réservée aux phénomènes économiques : « il momento economico, nella storiografia e nella pratica letteraria e politica antica, si presenta costantemente avvolto nei veli dell’ideologia e della politica ».
137 E. WILL, dans Actes XII CSMG, 34 : son scepticisme concernait, à vrai dire, la possibilité même de reconstituer une histoire économique archaïque, pour laquelle ni les sources littéraires ni les documents archéologiques ne sont assez éloquents.
138 Ainsi, personne ne doute aujourd’hui de l’importance de la céramique dans les recherches sur l’économie ancienne. Les possibilités et les limites de ces études ont été magistralement définies par G. Vallet et F. Villard ; voir notamment : Céramique et histoire grecque, dans RH 458, 1961, 295-318 ; Iid., Céramique grecque et histoire économique, dans Études archéologiques, Paris 1963, 205-217. Sur l’utilisation de la céramique dans la reconstitution des courants commerciaux antiques : GRAS 1996, 123-129.
139 P. VIDAL-NAQUET, Le texte, l’archéologue et l’histoire, dans L’archéologie aujourd’hui, sous la dir. d’A. Schnapp, Paris 1980, 175.
140 Il n’est évidemment pas question ici de résumer les termes du débat, ni l’immense bibliographie sur le sujet. Je me bornerai à renvoyer à quelques importantes études de synthèse et aux respectives références bibliographiques. Ce thème a ouvert la série des Colloques de Tarente (Greci e Italici in Magna Grecia, Actes I CSMG, Taranto 1961, Naples 1962). Il a été souvent au centre des intérêts d’E. LEPORE (voir par exemple : Per una fenomenologia storica del rapporto città-territorio in Magna Grecia, dans La città e il suo territorio in Magna Grecia, Actes VII CSMG, Tarente 1967, 29-62) et de G. VALLET (La colonisation grecque en Occident, XIIIe Congrès de Sciences Historiques, Moscou 1970, 1973, 53-72).
141 La discussion sur les différentes approches des problèmes de l’échange et sur la confrontation entre historiens et archéologues a été particulièrement vive par rapport à l’Occident grec : voir la mise au point du débat faite par M. GRAS, L’economia, dans Un secolo di ricerche in Magna Grecia, Actes XXIX CSMG, Tarante 1989, 395-419. Pour une synthèse de tous les problèmes ici évoqués —céramique et archéologie, anthropologie et histoire, mobilité des objets et des hommes, notion de valeur— voir : M. GRAS, La Méditerranée occidentale, milieu d’échanges, dans Les Grecs et l’Occident, 109-121.
142 Débat qui s’est déroulé autour des Colloques annuels de Tarente sur la Grande Grèce (ici abrégé Actes CSMG). La revue Dialoghi di Archeologia vers la fin des années 1960 a été un autre pôle essentiel pour les réflexions sur ces thèmes.
143 Je pense à la féconde activité de nombreux chercheurs (D. Adamesteanu, A. Bottini, Β. d’Agostino, J. de La Genière, E. Greco, A. Pontrandolfo, A. Rouveret, A. Schnapp) ainsi qu’au rôle déterminant d’une institution de recherche tel le Centre Jean Bérard de Naples.
144 Que l’on pense, par exemple, aux 600 fragments environ de céramique géométrique de la première moitié du viiie siècle, retrouvés à Otrante dans une superficie de quelques mètres : voir D’ANDRIA 1988, 654. Les actes du Colloque de Cortone de 1981 (ici abrégé Modes de contacts) sont une autre étape fondamentale de ce débat ; une synthèse importante a été récemment élaborée par J.-R Morel, Greek Colonisation in Italy and in the West, dans Crossroads, 123-161 ; voir aussi l’ouvrage collectif Greek Colonists. Une place de choix dans ce débat doit être attribuée à l’étude de S. Gruzinski et A. Rouveret qui avait ouvert, il y a vingt ans, une nouvelle demarche comparatiste sur le phénomène de la colonisation dans l’Ancien et Nouveau Monde (GRUZINSKI & ROUVERET 1976, 160-219).
145 LEPORE 1973, 144.
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