Les tombes
p. 237-241
Texte intégral
1Le rituel funéraire pratiqué à Amendolara est l’inhumation ; on ne connaît aucun cas de crémation. Bien que les squelettes aient presque tous disparu, la dimension des fosses, et les rares cas où subsistent des traces d’os de jambes, indiquent que les morts étaient étendus ; les seules exceptions éventuelles seraient les cas de P.O. 117 de Paladino Ouest, où des traces d’une jambe pliée ont été mises au jour, et celui de la tombe 23 de Mangosa, où le squelette apparaissait “semi-rannicchiato”1 ; ces cas hypothétiques semblent un fragile argument pour proposer de voir là la présence d’un individu préservant des traditions de l’Âge du fer de Francavilla Marittima2, ou qui serait venu de la région de Siris3 ou de Métaponte4.
2L’aspect des tombes, telles que nous les avons trouvées, n’est pas rigoureusement celui qu’elles présentaient à l’origine ; en effet, la plupart d’entre elles se trouvent très en surface dans un terrain qui, à Paladino, a été longtemps retourné par la charrue, et à Mangosa, pénétré par les racines des arbres.
3On peut établir cependant que la typologie des tombes d’adultes a peu varié pendant les deux siècles d’existence de l’établissement de S. Nicola. La forme la plus commune peut être désignée comme celle de la pseudo-ciste5. On observe, et cela parmi les plus anciennes sépultures, comme la tombe 6 de Mango sa6, ou les tombes de P.O. 115, 209, 220, des murets latéraux verticaux qui entourent la fosse ; ce ne sont pas des murets monolithes, mais ils sont construits au moyen de plusieurs dalles de mesures différentes, parfois étayées par des pierres (fig. 2) avec, en nombre de cas, une dalle dressée à l’extrémité où reposait la tête. Le plus souvent, sous l’effet de la décomposition du corps probablement, le tour de dalles verticales s’est affaissé et les dalles des longs côtés, en glissant vers le milieu, ont recouvert la fosse, ou bien, se heurtant les unes aux autres, ont créé une surface creusée en V sur toute la longueur. Lorsque la dalle de tête est conservée, sa hauteur pourrait être lue comme une indication volontaire d’identification (P.O. 2, 95, 100,...) ; toutefois, avant d’affirmer que ces dalles ont servi de sèma, il faudrait disposer d’un plus grand nombre de cas indiscutables. La fragilité d’une ciste construite avec des dalles irrégulières a entraîné rapidement d’autres types de construction. Le plus commun est celui qui entoure la fosse de murets de pierres pour les côtés, celui de la tête étant souvent marqué par une dalle, presque toujours inclinée, même si elle avait été verticale à l’origine. Cependant, l’usage des tombes en pseudo-cistes, plus ou moins conservées, se retrouve jusque dans les dernières années du site.
4On a constaté que les tombes qui présentent le plus fidèlement l’aspect de la pseudo-ciste comptent parmi les plus anciennes de la nécropole, celles qui ont souvent livré des bijoux de bronze hérités du faciès de l’Âge du fer ; il est donc légitime de penser que les tombes de l’Âge du fer de la nécropole d’Agliastroso, malheureusement détruites, pourraient avoir été des cistes, ou des pseudo-cistes qui auraient trouvé un écho dans celles des zones de Paladino et de Mangosa.
5Le fond de la fosse est fréquemment couvert par une ou plusieurs dalles plates ; il est fréquent de trouver une dalle là où doit reposer la tête (P.O. 142, 147, 161, 165,...), une autre au niveau de la poitrine (P.O. 54, 134,...). Cependant aucune fosse n’a été entièrement tapissée de dalles, même si parfois c’est presque le cas (P.O. 115).
6Parfois la profondeur de la fosse n’est pas toujours la même sur toute sa longueur : dans tous les cas observés, c’est la partie de la fosse occupée par le buste qui a été creusé le plus profondément. La différence entre le secteur du buste et la partie occupée par les jambes peut varier de 0,10 à 0,20 m ; dans le cas de P.O. 220, elle atteint 0,30 m et s’accompagne d’une différence de largeur de la fosse de 0,10 m environ ; ces mesures traduisent une forte corpulence de la femme enterrée là, qui pourrait être, selon l’élégante observation de P. Orsi, a propos d’une tombe de Torre Galli, “una brava e non povera massaia”.
7Plusieurs tombes ont une longueur exceptionnelle, comme les tombes d’homme P.O. 62, 64, 79, 96, 107, 113, 229, dont certaines sont également caractérisées par la présence d’une lance ou d’un javelot. Quelle était donc la raison pour laquelle on avait creusé une fosse dépassant avec évidence les mesures nécéssaires pour le mort et son mobilier ? Doit-on imaginer un dépôt de matières périssables ? Apparemment, ces dimensions exceptionnelles ne seraient pas réservées à des tombes d’homme, car on les connaît aussi dans P.O. 220 qui, on l’a vu, est celle d’une femme.
8À Amendolara, les enfants, même très petits, sont enterrés dans la nécropole et, si l’on a constaté qu’ils sont relativement nombreux dans un secteur, cela ne les met pas à part du cimetière des adultes.
9Pour les nouveaux-nés ou les nourrissons, les premières générations pratiquent encore l’usage de l’enchytrismos, c’est-à-dire de l’enterrement dans un grand vase d’usage quotidien (chytra, désignée ici comme : olla) dont l’embouchure est bloquée par une dalle ou un fragment de grand vase. Cet usage, pratiqué dans le monde hellénique depuis le Géométrique moyen7, est amplement attesté dans la nécropole de l’Âge du fer de Macchiabate (Francavilla Marittima), comme dans celle de Madonnelle à Policoro dans la première moitié et au milieu du VIIe siècle av. J.-C.8. À Amendolara, l’usage disparaît apparemment au cours du VIIe siècle ; ainsi, le secteur est de la nécropole de Paladino, qui ne paraît pas avoir été occupé avant le VIe siècle, n’en a livré qu’un témoignage très hypothétique9.
10Au-delà du premier âge, les enfants sont déposés dans des fosses qui ne diffèrent pas sensiblement de celles des adultes ; les murets latéraux sont le plus souvent construits en pierres de petite taille ou en galets (fig. 3) ; au fond de la fosse on peut avoir des dalles, ou des lits de galets (P.O. 116) ; parfois ces derniers entourent la fosse (P.O. 180) ; lorsque la tombe est relativement intacte, une ou plusieurs dalles forment sa couverture.
11La mortalité infantile était très forte ; on constate en effet, malgré la difficulté à identifier les tombes des adolescents, que les tombes d’adultes représentent à peine plus de la moitié des sépultures connues ; et cette proportion est assurément inexacte car elle ne tient pas compte de la fragilité des tombes d’enfants, la plupart en surface et de construction légère ; un bon nombre a certainement disparu.
12Parfois, le mobilier funéraire donné à l’enfant mort exprime, par les choix qui ont été faits, un souci particulier des parents ; les tombes P.O. 278 et 322 en sont des exemples.
13Les tombes sont majoritairement orientées Ouest/Est, la tête des défunts étant du côté ouest (fig. 4) ; de la même manière, les vases à enchytrismos, lorsque leur embouchure est conservée, sont ouverts vers l’ouest. S’agit-il d’une orientation rituelle comparable à celle qui a pu exister à Athènes ou à Salamine au temps de Solon ? En réalité il ne semble pas qu’une discipline rigoureuse soit à l’origine de cette apparente uniformité. On observe en effet à Paladino Ouest que la majorité des tombes proches du canal Taviano lui sont parallèles, et donc dirigées presque rigoureusement O/E, tandis que, plus au sud, les tombes qui semblent avoir bordé un chemin descendant de S. Nicola vers la mer, ont une orientation plus proche de l’ONO/ESE. En même temps, de nombreuses exceptions à l’orientation dominante, dont certaines sont le fait de la première génération, montrent clairement qu’aucune contrainte ne présidait à ce choix. De la même manière, à Mangosa, juste au nord du canal Taviano, les tombes se sont adaptées à la forte pente et ont pris en conséquence une orientation NO/SE ; là aussi, on compte des exceptions, comme la tombe Mangosa 22, disposée à angle droit par rapport aux tombes voisines. Peut-être ces exceptions pourraient-elles répondre à un désir de proximité d’une tombe plus ancienne (parmi les tombes orien tées N/S, la tête du défunt pouvait être, aussi bien du côté nord, comme en P.O. 4, 148, 130, que du côté sud, comme en P.O. 94, 108, 227). Dans le secteur est de Paladino, dont les tombes sont toutes postérieures au début du VIe siècle, une plus grande proportion d’entre elles échappe à la dominante E/O ; il apparaît ici que l’orientation de la tombe est parfois dictée par les dénivellations du terrain. Quant aux petites tombes d’enfants, ou d’adolescents, elles sont parfois introduites dans des espaces limités dans un secteur déjà largement occupé, et, en conséquence, leur orientation ne répond apparemment à aucune règle ; le voisinage de tombes de famille a probablement dicté ce choix.
14Au cours de la fouille on a parfois recueilli, parmi les pierres ou les dalles de couverture, des fragments de vases dont la présence n’est pas toujours facilement explicable.
15Bien entendu, il n’est pas étonnant que, dans une zone utilisée comme nécropole pendant deux siècles, où l’on a pu constater des superpositions de tombes, certains mobiliers funéraires aient été détruits et se soient trouvés mêlés au terrain utilisé pour de nouveaux enterrements. C’est ainsi que l’on peut expliquer la présence d’un fragment de skyphos protocorinthien moyen parmi les pierres de couverture de P.O. 157, qui est datable vers le milieu du VIIe siècle ; ou des fragments de cruches du VIIe siècle dans P. O 161, datable dans le dernier quart du VIe siècle.
16Parfois cependant, l’idée qu’un rituel funéraire aurait pu être accompli au moment de l’enterrement n’a pu être évitée. Les premières interrogations ont accompagné la fouille de P.O. 4 où, dès le nettoyage des pierres de surface, plusieurs fragments d’une coupe ont été recueillis, tandis que le reste du même vase se trouvait à une trentaine de cm plus bas, sous une masse de pierres. On a formulé la même hypothèse en fouillant P.O. 105, lorsque l’on a découvert les fragments d’un même vase parmi les galets bordant la fosse à l’ouest, et au fond de la fosse à l’est10 ; il apparaissait que le vase, une cruche, aurait été volontairement cassé lors de l’enterrement. La même question est posée pour P.O. 115 où l’on a recueilli, parmi les pierres de couverture, et à 1,30 m de distance les uns des autres, les fragments d’une coupe tout à fait contemporaine des objets trouvés plus bas dans la fosse ; là encore est née l’idée d’un possible rituel de libation qui aurait accompagné la clôture de la tombe. Si les tombes P.O. 4, 105, 115, où ces anomalies ont été observées, comptent parmi les plus anciennes de Paladino Ouest, la même perplexité se retrouve au dernier quart du VIe siècle, à propos de P.O. 170, qui a livré des fragments d’un petit vase verseur et d’une coupe ionienne sous une dalle de couverture, fragments qu’il semble impossible d’attribuer à une autre tombe, fut-elle celle d’un petit enfant.
17Certaines anomalies ont d’autres explications probables. Ainsi le cas des P.O. 291 et 291bis, la seconde s’étant superposée à la première avec un léger déplacement vers le nord et aussi un important décalage chronologique. Il était très surprenant de trouver là une faucille de fer posée sur un groupe de vases ; en effet, presque toutes les autres faucilles découvertes dans la nécropole se trouvaient au niveau de la tête du défunt, l’une d’entre elles étant même déposée autour de sa tête, comme le montrent les traces du crâne dans P.O. 115 ; il est clair que, lorsque l’on a creusé P.O. 291bis pour enterrer le second défunt, la faucille a été mise au jour et, par piété à l’égard du mort dont on avait ainsi dérangé le repos, on a posé l’objet sur les céramiques qui étaient les siennes et qui n’avaient pas été déplacées par la nouvelle déposition. Un autre exemple d’un emplacement inhabituel pour les petits objets ornementaux est donné par P.O. 315, qui a été endommagée lors des constructions de P.O. 283 au nord et P.O. 284 au sud ; on remarque que les fibules de bronze et de fer qui se trouvent normalement au niveau de la poitrine des défunts, ont été placées ici aux pieds, à côté des céramiques ; on ne peut exclure que, lors du creusement de la fosse 283, les fossoyeurs de la nouvelle tombe, ayant mis au jour involontairement les petits objets métalliques du défunt 315, aient ensuite exprimé leur respect pour le mort ainsi dérangé, peut-être un ancêtre, en déposant ses bijoux à côté de ses céramiques demeurées en place11.
18Parfois, certains objets appartenant à une tombe totalement disparue sont déposés dans la nouvelle tombe, et cela à proximité des céramiques, comme c’est le cas pour P.O. 161 et 176.
Notes de bas de page
1 Not. Sc., 1980, p. 348.
2 Zancani Montuoro 1974-1976, p. 67-68, tombe T. 87. Zancani Montuoro1980-1982, p. 29-30, fig. 11, tombe T. 8.
3 Berlingò 1986, p. 117-127, signale sept cas d’inhumés “rannicchiati”.
4 J. C. Carter, The chora of Metaponto, The Necropoleis I, Austin, 1998, p. 57-60.
5 Pour la définition de la tombe à ciste, voir A. M. Snodgrass, The dark Ages of Greece, Edinburgh, 1971, p. 142 et fig. 58, p. 148.
6 Not. Sc., 1980, p. 317-318, fig. 12 et 13.
7 Thèse inédite de M. Pomadere, Les enfants dans le monde égéen du néolithique au début de l’âge du Fer, p. 542.
8 J. de La Genière, Nécropoles et Sociétés antiques, Lille, 1991-Naples CJB, 1994, p. 155. Berlingò 1986, à n. 3.
9 Dans le secteur de Paladino Ouest, un cas tardif d’enkytrismos ne serait pas à exclure si l’on devait reconnaître comme une olla funéraire l’énorme vase fragmentaire de P.O. 326, près duquel on a trouvé une coupelle vernie, datable au IVe siècle av. J.-C.
10 Not. Sc., 1971, p. 450-453. MEFRA 85, 1973, p. 8.
11 Cet usage du “dépôt respectueux” est connu dans la nécropole de Macchiabate à Francavilla Marittima ; on le rencontre en effet dans la tombe double 23 de la Temparella qui est celle d’un défunt “rannicchiato” du VIIIe siècle ; peu avant le milieu du VIe siècle, la tombe a été rouverte pour introduire un (ou une) défunt(e) étendu(e) avec son mobilier à ses pieds ; en même temps on a déposé, contre les restes du premier défunt, un skyphos et un aryballe corinthiens en hommage respectueux (Zancani Montuoro 1980-1982, p. 66-71, fig. 27).
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