Économie et société à Herculanum
p. 349-370
Texte intégral
1Au terme de cet essai de restitution des transformations survenues dans les propriétés d’Herculanum, je proposerai une synthèse de ces mutations, qui amènera à définir la place du commerce de proximité dans le tissu urbain, et, de là, à esquisser quelques réflexions sur son rôle dans l’économie de cette petite ville. Cependant, plusieurs points doivent être rappelés. Le premier d’entre eux est le cadre chronologique : les données recueillies sont, par la méthode même qui a permis de les mettre en forme, d’autant plus fragmentaires que l’on s’éloigne de l’éruption. À l’exception de certaines portions de l’insula IV et de quelques autres exemples éparpillés à travers la ville, la restitution de la situation antérieure au règne d’Auguste s’est avérée souvent impossible. De ce fait, je limiterai cette analyse conclusive à une durée à peine supérieure à un siècle, des environs de 30 av. J.-C. à l’éruption du Vésuve en 79. L’intérêt de cette période est d’autant plus élevé qu’il s’agit de la phase institutionnellement romaine de la ville, si l’on suit l’hypothèse faisant de Cl. Appius Pulcher le personnage ayant donné à Herculanum son statut de municipe1. L’obtention du droit de cité romain n’a probablement pas induit des changements immédiats dans la vie économique et sociale de la ville. En revanche, cette obtention tardive, probable conséquence des choix d’alliances lors de la guerre sociale, pourrait être le signe de rapports finalement apaisés entre la ville et la puissance romaine2. Les nombreux travaux, que ce soit en termes de construction publique – thermes, théâtre, basilica Noniana, Insula Orientalis IIa – ou privée, qui sont commencés ou achevés durant le règne d’Auguste constituent un signe évident de ce renouveau urbain.
2Pour conserver cette cohérence chronologique, je ne prendrai pas en considération ici deux maisons qui ont pourtant présenté des boutiques en façade : la Casa a graticcio (III, 13-15) et la Casa del priapo (IV, 17-18). En effet, leur création tardive ne pourrait que donner un trop fort grossissement à la période allant du séisme de 62 à l’éruption et accroître mécaniquement l’image d’un important développement immobilier et commercial à ce moment3. L’échantillon ainsi réduit a l’avantage de présenter une emprise au sol des bâtiments sensiblement constante et donc d’autoriser une véritable comparaison entre les différentes phases identifiées4. D’une façon générale, j’ai également écarté les unités d’habitation pour lesquelles les données sont trop fragmentaires, en tentant toutefois de maintenir une certaine cohérence. Ainsi, dans l’Insula Orientalis IIa, je n’ai pas pris en considération les appartements dont les limites et les transformations ne pouvaient pas être établies tout au long de l’existence de ce bâtiment5. Quant à l’absence, parmi les maisons qui servent de support à mes réflexions, non seulement de certaines domus « traditionnelles », mais également des vastes demeures situées sur le front de mer, elle ne paraît pas poser de problème. En effet, dépourvues de locaux commerciaux en façade, l’intégration de ces maisons ne changerait pas le tableau général de la ville, qui reste centré sur la place des lieux de métier dans l’économie urbaine. Leur prise en compte conduirait tout au plus à une réduction de la part des boutiques dans l’occupation du sol, alors que leur évolution générale ne semble pas contredire les grandes tendances mises en évidence, bien que mon étude de ces maisons ait été moins détaillée que pour celles disposant d’un local commercial.
3Cette proposition de synthèse s’appuie essentiellement sur l’étude des surfaces employées. Devant l’impossibilité d’utiliser des données chiffrées précises sur l’évolution du marché foncier, que ce soit à Herculanum ou ailleurs, la valeur intrinsèque des surfaces utilisées pour différents usages ne peut être prise en compte. En revanche, la décision prise par le propriétaire – ou l’occupant – d’une maison de transformer une fraction de son espace d’habitation en jardin plutôt qu’en atelier et réciproquement répond à des besoins et constitue un choix économique, révélateur de son rapport avec l’entreprise commerciale. De plus, la bonne conservation des élévations à Herculanum permet de restituer les étages et donc d’avoir une vue véritablement globale sur les conditions d’habitation. Sans proposer pour l’instant d’interprétation, il faut immédiatement souligner l’importance des étages dans l’occupation du sol : entre la période augustéenne et l’éruption du Vésuve, dans cet échantillon, l’emprise au sol des bâtiments employés pour l’habitation ou le commerce s’est accrue de 4153 m2 à 5811 m2 (+40 %). La prise en considération des étages transforme cet accroissement de la surface totale utile de 6010 m2 à 9263 m2 (+54 %). Ne pas prendre en compte les étages induirait à passer outre l’une des évolutions majeures d’Herculanum lors de la période impériale.
4Pour éviter de tomber dans l’écueil d’une définition trop précise des fonctions de chaque espace – précision d’autant plus inutile qu’elle s’avèrerait illusoire pour les premières phases étudiées6 – j’ai analysé les surfaces selon quatre catégories : 1. commerce, 2. habitat, 3. étage et mezzanine, 4. jardin, péristyle et puits de lumière. Une telle division n’a pas d’autre but que de distinguer clairement les activités commerciales et artisanales des autres fonctions de la sphère domestique, quelles qu’elles soient. En ce qui concerne les boutiques, j’ai considéré comme espace d’habitation toute pièce annexe dans laquelle aucun signe d’aménagement – directement lié à l’exercice du métier – n’a été mis en évidence. Cette distinction est d’autant plus valable pour la dernière phase où la découverte d’objets associés au travail effectué facilite cette reconnaissance fonctionnelle. Ainsi, les pièces 6 à 9 de la Grande taberna con abitazione (IV, 12-13.15-16) ont été considérées comme directement associées au commerce alimentaire IV, 15-16 entre ca. 70/75 et 79. En revanche, dans la phase précédente, (62 – ca. 70/75) le maintien et la réparation de la fresque de IIIe style ainsi que l’absence de mezzanine m’ont laissé supposer que la pièce 8/9 relevait alors de l’habitat. Dans cette catégorie sont rassemblés sans distinction de fonction précise tous les espaces qui ne sont pas impliqués dans la production ou la commercialisation, qu’ils soient voués au couchage, à la réception, à la cuisine ou à toute autre activité à but immédiat non commercial7. Ont toutefois été exclues de cette catégorie les superficies non bâties, qu’elles aient eu des fonctions d’agrément – jardins et péristyles – ou plus strictement utilitaires comme les puits de lumière et d’aération. Enfin, les étages et mezzanines ont été comptabilisés dans une même catégorie. Ils constituent une extension des espaces d’habitat, mais avec la spécificité de pouvoir accroître la surface habitable avec une emprise au sol constante.
5Pour pouvoir suivre l’évolution du patrimoine foncier au cours de cette période, il faut également apporter quelques précisions sur un point qui voit s’entrecroiser les pratiques juridiques transmises par les textes et les vestiges matériels. La difficulté de déterminer les limites d’une propriété par ses éléments physiques a déjà été soulignée, particulièrement au cours des quinze dernières années8. Certains éléments épars – aspect du trottoir, doublement des murs, ouverture ou fermeture de fenêtres vers un espace mitoyen – permettent parfois de proposer des hypothèses quant aux fractions d’un îlot qui pourraient appartenir à un unique propriétaire9. Une telle question est particulièrement importante pour cerner la part prise dans le patrimoine des propriétaires par la gestion « directe » des affaires par opposition à l’investissement locatif10. Or, outre l’absence très fréquente de moyens pour identifier des unités de propriété, s’ajoute le champ d’application de la location, qui est particulièrement large. L’inscription peinte en façade de l’Insula Arriana Polliana à Pompéi indique que l’ensemble de l’îlot VI 6 était à louer en 79, de la plus petite des tabernae à la domus traditionnellement appelée Casa di Pansa (VI 6, 1.8.12-13)11 ; son propriétaire, Cn. Alleius Nigidius Maius, n’y habitait donc probablement pas12. L’incertitude liée à ce seul exemple suffirait à empêcher toute interprétation d’un bâtiment en termes de location. Conscient des limites de ce raisonnement, j’ai considéré que les parcelles identifiées comme relevant d’une unique propriété n’étaient pas louées dans leur intégralité. Trois exceptions à ce principe d’interprétation doivent toutefois être signalées : les appartements V, 17-18 et les édifices V, 19-25 et V, 28-29. Ces trois édifices constituent des blocs de propriété autonomes de leur voisinage immédiat, dans lesquels il semble peu probable que le propriétaire ait pris son logement13. Pour les éléments constituant ces trois propriétés, mais également pour d’autres parcelles, les critères permettant de considérer qu’ils ont été loués sont ceux établis par F. Pirson : autonomie et insertion dans une unité de propriété14. En revanche, le critère d’habitabilité (Bewohnbarkeit) me semble moins pertinent ici15. En effet, en dépit de certaines mentions dans les textes, s’il est effectivement possible d’habiter dans une taberna, cette possibilité n’est pas consubstantielle du lieu16 : l’atelier VI, 30, qui était certainement loué – comme le suggère sa situation sur une parcelle publique liée aux thermes –, ne dispose d’aucun espace propre à l’habitation. De la même façon, la boutique V, 32 ne semble pas avoir eu accès à l’étage – accessible depuis l’escalier V, 33a – et apparaît dépourvue de tout espace habitable. Ces espaces seraient donc exclusivement destinés à une activité commerciale ou artisanale et loués dans ce but. Quant à la présence de niches associées au culte domestique dans certaines boutiques, elle n’indique pas nécessairement la présence d’une unité d’habitation : les Lares peuvent être évoqués pour la protection d’un territoire précis – en ce cas le lieu de métier – tandis que les Pénates ont pour vocation de protéger des activités et peuvent ainsi s’insérer dans un cadre professionnel strict17. Pour résumer, j’ai appelé « parcelle » tout édifice formant un ensemble dans lequel des unités autonomes – boutiques, appartements indépendants – ont pu être louées. Faute de pouvoir déterminer si un unique propriétaire détenait plusieurs de ces parcelles, chacune d’entre elles a été traitée individuellement. Dans deux cas – la Casa sannitica et la Casa del bicentenario –, la propriété a débordé des limites de ces maisons, ce qui permet de proposer une restitution de deux blocs de propriété. Toutefois, les différentes maisons ayant pu constituer ces blocs ont également été traitées individuellement tout au long de cette étude.
6Un dernier rappel des grandes lignes interprétatives proposées jusqu’alors doit être fait. Je ne reviendrai pas sur le détail des idées développées de façon éparse par A. Maiuri. Ce dernier postulait que durant la seconde moitié du Ier siècle de notre ère, le « patriciat » samnite avait été progressivement évincé par des affranchis enrichis par le commerce d’outre-mer, qui avaient profondément transformé Herculanum. Signe de ce déclin, l’insertion de boutiques en façade et la création d’appartements indépendants auraient rapidement défiguré les maisons, tandis que, si l’on suit le modèle interprétatif élaboré pour Pompéi mais peu mentionné à Herculanum, le séisme de 62 aurait porté un coup de grâce aux anciennes élites18. Aucune interprétation alternative à ce modèle n’a été proposée pour Herculanum. Seul E. Lepore a suggéré quelques hypothèses, écrites avant la publication des nuovi scavi et donc fondées essentiellement sur les sources littéraires et les quelques maisons partiellement publiées par A. Maiuri. Comme il l’avait déjà fait à propos de Pompéi, il signale, avec moins de force toutefois, son hésitation quant à l’invasion des affranchis enrichis et préfère y voir au contraire une adaptation des élites face à la croissance de la population19. Quant aux critiques plus récentes d’A. Wallace-Hadrill, elles restent substantiellement fondées sur Pompéi20.
7Quelques remarques générales permettent d’esquisser une évolution globale de la place des boutiques dans la ville. La situation lors du règne d’Auguste montre un développement déjà relativement important des étages, qui constituent 31 % de la surface bâtie (fig. 193). Des boutiques sont déjà installées en façade des maisons, à raison de 6 à 8 % de cette surface, selon que l’on suive la restitution minimale (18 boutiques) ou maximale (24 locaux). Si l’on ne prend en considération que les édifices privés, la surface exploitable ne cesse d’augmenter, sans heurts, passant de 6010 m2 durant la période augustéenne à 7933 m2 au moment de l’éruption (+32 %) (fig. 194)21. Aucun des deux séismes ne semble avoir perturbé l’allure de cette évolution. Cet accroissement est majoritairement dû à la construction d’étages et de mezzanines, l’espace qu’ils occupent se développant de 65 % en un peu plus d’un siècle. Si le pourcentage d’occupation du sol par les boutiques augmente tout au long de la période (fig. 195 et 196), indiquant une légère croissance commerciale, cette augmentation n’est guère heurtée22. En ne prenant en compte que les édifices privés, on constate une très probable augmentation régulière de la population23. Aucun des deux séismes ne paraît avoir eu d’effet – comme moteur ou comme frein – sur cette structure macroscopique. À tout le moins, une invasion subite des affranchis dans la seconde moitié du I er s. de notre ère est invisible dans les maisons tenues par des particuliers. En revanche, si l’on ajoute à ce tableau les boutiques et surtout les appartements de l’Insula Orientalis IIa qui sont définitivement achevés lors de la seconde phase post-augustéenne, cette évolution sur un siècle devient un peu moins atone24. En effet, que ce soit le développement global des surfaces habitables, la part prise dans celui-ci par les commerces, ou le nombre en valeur absolue de ces derniers (fig. 197 et 198), un net infléchissement à la hausse est perceptible durant la dernière phase, entre le second séisme et l’éruption de 7925. La seule idée d’un développement économique important à la suite d’un deuxième tremblement de terre laisse sceptique, sauf à considérer cet ultime accroissement des boutiques et des appartements dans son contexte. Le premier point qu’il faut conserver à l’esprit est la nature même des commerces créés : les activités qui se développent alors restent de l’ordre du commerce de proximité ou de l’artisanat d’intérêt infrarégional. Aucun de ces locaux commerciaux ne semble susceptible de fournir des produits au-delà des besoins de la population locale. Un effet de loupe est certain : par son seul volume, l’Insula Orientalis IIa représente une surface très importante, que ce soit en termes de locaux commerciaux ou d’appartements. De plus, les résultats des travaux financés par Vespasien sont doubles : d’une part, ils ont abouti à une division et à une redistribution des espaces concentrés ; d’autre part, les boutiques ont été multipliées, gagnant sur les zones publiques. Sans que cette augmentation finale du nombre de commerce ne constitue un essor économique, les travaux impériaux ont eu un indéniable effet d’entraînement. Il est d’autant plus notable que leur financement a été, par définition, détaché des ressources locales et de la capacité économique des élites de la ville. Loin de mettre en évidence une quelconque invasion commerciale qui aurait bouté hors de leurs domus les aristocraties samnites, cette esquisse de l’évolution des implantations commerciales montre que la part la plus forte des créations de boutiques revient au promoteur de l’Insula Orientalis IIa, probablement le municipe. Toutefois, ce mouvement n’est pas isolé et les propriétaires de domus y participent également : une fois effectuées les réparations consécutives au séisme de 62, les boutiques sont créées en plus grand nombre dans les parcelles privées que dans les espaces publics. Quel que soit le point de vue que l’on adopte, la participation des élites au développement commercial de la ville est patente, par le biais de constructions réalisées soit sur les parcelles qui lui appartiennent, soit dans les espaces publics26.
8La compréhension des formes d’investissements urbains passe par une analyse plus détaillée. J’ai déjà souligné la part importante de la création des étages dans le processus d’accroissement de l’espace habitable, qu’ils soient ou non liés à des boutiques. Il convient cependant de discerner si ces étages constituent des gains de surface au sein d’une maison ou s’ils constituent la création de nouvelles unités d’habitation. L’étude comparée de l’évolution du nombre de parcelles et de celui des unités indépendantes d’habitation permet de mettre en évidence une fragmentation progressive des parcelles telles que définies plus haut (fig. 199, parcelles privées). En effet, tandis que leur nombre reste relativement stable durant toute la période étudiée – un léger accroissement est dû à la séparation entre la Casa del gran portale et la Casa con giardino d’une part et au démembrement tardif de la Casa del bicentenario d’autre part – le nombre d’unités habitables ne cesse de croître, passant de 23 durant la période augustéenne à 61 lors de l’éruption. Une telle évolution montre une forte fragmentation de l’habitat et un développement important des appartements. Cette division progressive ne cesse de s’accélérer tout au long de la période impériale. Elle apparaît d’autant plus importante à partir de la deuxième phase post-augustéenne avec l’achèvement de l’Insula Orientalis IIa (fig. 199, ensemble des parcelles). Le premier séisme ne semble pas altérer le rythme de ce développement. En revanche, l’accélération de ce processus est impressionnante après le second. Si A. Maiuri avait signalé ce développement rapide des appartements, il le considérait comme un phénomène tardif, n’apparaissant pas avant la seconde moitié du I er siècle de notre ère27. Cependant, cette évolution est déjà largement en cours dès la période augustéenne, comme l’indique le seul exemple de la Casa del tramezzo di legno (III, 4-12) qui présente alors trois unités indépendantes en plus du cœur de la domus28. Quant à proposer une interprétation sur cette évolution, l’idée d’un accroissement général de la population paraît fournir une explication plausible. Il serait toutefois nécessaire, en analysant la chronologie de mise en place des vastes demeures sur le front de mer, de voir si la construction de ces dernières n’aurait pas également contribué à ce phénomène en obligeant à une concentration de la population dans les quartiers centraux.
9La concomitance entre le processus de fragmentation des formes d’habitat et la multiplication des espaces commerciaux incite à s’interroger sur la nature économique de ces deux phénomènes pour tenter de caractériser les transformations des investissements urbains. Pour ce faire, j’ai comparé l’évolution des surfaces en location avec celle des surfaces de rapport en général. Les surfaces de location comprennent les boutiques et les appartements loués. Les surfaces de rapport regroupent les précédentes, ainsi que les boutiques tenues en gestion directe par l’occupant d’une domus29. Ces boutiques, qui communiquent avec la maison en façade de laquelle elles sont implantées, ne sont pas indépendantes et ne peuvent donc être louées. Le rapport entre ces deux surfaces constitue une image de la gestion directe des espaces commerciaux (fig. 200 et 201). Les premières phases, entre la période augustéenne et le séisme de 62, sont d’interprétation délicate. En effet, les variations du nombre de boutiques liées à des domus, dues aux incertitudes concernant leur période de création, renvoient deux images radicalement opposées. Si l’on considère le nombre maximal de boutiques, on observe un lent développement de la mise en location, qui s’accélère après le séisme de 62 : les occupants des maisons se dégageraient de plus en plus de la gestion directe des commerces. En revanche, si l’on considère le nombre minimal de boutiques, une lente érosion de la location serait perceptible, brutalement accélérée par le séisme de 62, à partir duquel la location se développe de nouveau. Bien que j’aurais tendance à considérer la première interprétation comme plus plausible, notamment par rapport aux autres évolutions évoquées jusqu’à présent, il est inutile, sans apport de nouvelles données, de chercher à trancher entre ces deux visions opposées. Conservons simplement l’idée que d’un séisme à l’autre, la gestion directe des boutiques tend à avoir une fréquence de plus en plus réduite. Je reviendrai plus loin sur cette question, en étudiant en profondeur les comportements perceptibles dans certaines maisons après les deux catastrophes.
10Les grandes lignes d’évolution dégagées pour la vie économique d’Herculanum durant la période impériale sont les suivantes. Dès la période augustéenne, les maisons montrent l’amorce d’une transformation. Elles tendent à se structurer pour accroître la diversification des catégories d’habitants, par la création d’appartements indépendants et de boutiques également pourvues de logements. Cette utilisation des façades et des étages des domus comme investissement urbain par la location ne cesse de croître tout au long du Ier siècle. Ce mouvement est accompagné et soutenu par les constructions publiques qui développent les mêmes formes d’unités d’habitation en façade d’édifices probablement gérés par le municipe. Ni le séisme de 62, ni sa réplique du début des années 70 ne semblent avoir freiné cette évolution. Au contraire, ils paraissent même avoir eu un rôle d’accélérateur dans ces transformations. Du point de vue de la vie commerciale, en lien avec une probable augmentation de population, le nombre de boutiques et d’ateliers croît régulièrement durant ce long siècle impérial. Là encore, les effets économiques des séismes paraissent nuls, tout du moins ne semblent-ils pas freiner cette croissance régulière. Ils auraient même eu pour effet d’accélérer la mutation du rapport entre les boutiquiers et le local qui est leur premier instrument de travail : entre 62 et 79, la gestion directe des boutiques s’érode de plus en plus, laissant la place à la location. Je ne saurai trop souligner que l’absence de « récession » visible après les deux séismes est due pour partie à la scansion chronologique de cette période troublée : la précision des données archéologiques ne permet que difficilement de saisir des transformations brutales non pérennisées et donc de percevoir les conséquences précises de ces catastrophes30. L’autre explication tient certainement à la nature même du tissu économique d’Herculanum, essentiellement constitué de boutiques et d’ateliers destinés à la consommation locale et donc d’une nécessité absolue pour la population de la ville.
11Ce tableau très synthétique de l’évolution des conditions économiques d’Herculanum, perçues à travers le prisme certainement déformant des seuls espaces commerciaux, cache mal la variété des situations évoquées dans les chapitres précédents. Plusieurs points permettent d’approfondir certains aspects socio-économiques. Pour commencer, l’analyse détaillée des plus grandes domus – la Casa del tramezzo di legno, la Casa del bicentenario, le groupe formé par la Casa sannitica, la Casa con giardino et la Casa del gran portale, la Casa del salone nero et la Casa del colonnato tuscanico – sur toute la période, mais en insistant plus particulièrement sur les conséquences des séismes, offre la possibilité de suivre le comportement économique de membres probables de l’élite herculanéenne31. Deux exemples de grandes propriétés montrent un démembrement au cours de leur évolution. Le premier correspondrait au tiers méridional de l’insula V. La limite septentrionale de cette propriété aurait été constituée par le mur méridional de la Casa del mobilio carbonizzato. En effet, lors des fouilles du toit de la Casa del telaio, une plaque de marbre portant une inscription sur chaque face a été mise au jour32. Elle indique un paries perpetuus privatus, soit un mur non mitoyen33. En revanche, au sud de cette maison, divers signes traduisent, au moment de l’éruption, des propriétés différentes. Ainsi, le traitement du trottoir entre la Casa del telaio et la Casa sannitica est très nettement différencié selon les limites de ces deux maisons : simple béton de tuileau devant la première, béton rehaussé d’éclats de marbre devant la seconde. Le trottoir au sud de l’îlot est encore plus marqué. Il est réduit à sa plus simple expression – large d’une vingtaine de centimètres, sans aménagement de surface – tout au long de la Casa sannitica ; en parfaite correspondance avec les limites de la Casa del gran portale un trottoir large d’un peu plus d’un mètre ; sa disparition est complète sur tout le reste de la portion sud de l’îlot, le long de la Casa con giardino34. Les liens unissant la Casa del gran portale et la Casa con giardino durant toute la période impériale ont déjà été évoqués35. En dépit des incertitudes liées aux phases tardo-républicaines de la Casa sannitica et de son extension vers l’est et vers le nord, ces différents éléments permettent de suggérer l’hypothèse que tout le tiers méridional de l’insula V a constitué un unique bloc de propriété entre la fin de la République et le séisme de 62, puis a été progressivement morcelé. Cette hypothèse permettrait de restituer le scénario suivant. Au début de la période augustéenne, la propriété est divisée en trois ensembles indépendants mais appartenant à un unique propriétaire, occupant possible de la Casa sannitica : au sud-ouest, la Casa sannitica limitée dans son extension en simple maison à atrium ; à l’est, un ensemble formé par une vaste demeure dont la majeure partie est occupée par un jardin bordé d’un péristyle ; au nord-ouest, la Casa del telaio, qui présente une ou deux boutiques en façade. Au cours de la phase suivante, pour développer ses revenus locatifs, le propriétaire procède à un léger remaniement dans le plan d’occupation du sol : il agrège une partie du corps de la Casa del telaio à la Casa sannitica pour louer un appartement situé à l’étage de cette dernière36. Après le séisme de 62, les trois maisons sont réparées à l’identique. Cette restauration semble confirmée par la présence de colonnes en briques prises dans la maçonnerie des fauces de la Casa del gran portale, alors même que les bases – laissées en place – et les chapiteaux des colonnes originelles étaient en tuf. Ce n’est que dans un second temps qu’une première mutation de propriété s’opère : la Casa sannitica est vendue ou du moins son propriétaire n’est plus le même que pour les autres maisons. Les chapiteaux du péristyle sont remployés pour constituer l’ébauche de trottoir devant la Casa sannitica. Une réfection du trottoir du cardo IV pourrait survenir, signe de la nouvelle indépendance de la Casa sannitica. Pour les trois autres maisons – Casa del telaio, Casa del gran portale et Casa con giardino –, seules les relations entre les deux premières peuvent encore être suivies. En effet, lors de la phase suivante, après le second séisme, une fois les réparations effectuées, le propriétaire de la Casa del gran portale récupère une pièce sur la Casa del telaio. Une telle substitution d’espace pourrait être interprétée comme un signe que ces deux maisons ont alors eu le même propriétaire. Il est en revanche plus délicat de se prononcer sur les relations de la Casa con giardino avec les deux autres maisons. De nombreux éléments dans cette reconstitution sont très hypothétiques. Toutefois, des arguments épars la rendent plausible. En ce cas, le séisme n’aurait pas eu de conséquences immédiates – au-delà des destructions matérielles – sur la structure de la propriété dans cette partie de l’îlot. Le démembrement, peut-être effectué en deux temps, pourrait ainsi être dégagé du lien de cause à effet par rapport à la catastrophe. Au-delà de cette question qui ne saurait trouver de réponse, cette restitution montre surtout que l’augmentation du nombre de parcelles dans ce tiers de l’insula V serait liée à un changement de propriété.
12Une situation proche peut être restituée pour la Casa del bicentenario et certaines maisons environnantes. Les trottoirs y jouent un rôle moins important, mais toutefois non nul. L’élément le plus pertinent est ici constitué par la mise en place de murs doublés à divers moment de l’évolution de cette maison. De tels murs se retrouvent de façon certaine au milieu et au nord de la Casa del bel cortile, telle qu’on la perçoit actuellement. De plus, dans la Casa del bicentenario, on note la présence de ces aménagements atypiques au nord de la pièce 3, à l’est de la pièce 6, au sud de la pièce 20 et à l’ouest de la pièce 21 – ces deux dernières localisations correspondant, au moment de l’éruption, à l’intérieur de l’appartement V, 17 (fig. 30). Les explications strictement architecturales ne permettent pas de trouver une réponse univoque à de tels doublements pour l’ensemble de ces cas : la nécessité de renforcer une paroi lors de l’ajout d’un étage expliquerait le doublement médian de la Casa del bel cortile, mais pas ceux de l’appartement V, 17. Dans ce dernier cas, une explication juridique permet une restitution plus compréhensible. Les murs mitoyens constituent la forme la plus simple pour séparer deux bâtiments possédés par deux propriétaires distincts37. La plaque opisthographe trouvée sur le toit de la Casa del telaio atteste de l’existence d’un mur mitoyen : les propriétaires des édifices sont deux, mais un seul possède le mur – dans ce cas, successivement une éventuelle Julia puis l’affranchi M. Nonius Damas. Lors de l’extension verticale de l’une des deux maisons, l’insertion de poutres dans un tel mur est possible grâce à une servitude d’appui ou de support38. Une alternative peut être de construire un mur en copropriété, paries communis39. La troisième solution consiste à éviter d’avoir à insérer des solives dans le mur du voisin et donc, soit à doubler celui-ci, soit à positionner les supports de plancher de façon à ne pas avoir à les faire porter par la paroi du voisin40. Un mur doublé serait alors parfois le signe tangible d’une absence de mitoyenneté ou de copropriété, et permettrait donc d’individualiser deux biens-fonds distincts. Une telle situation est partiellement perceptible dans les appartements V, 17-18 (fig. 30). En effet, dans la première pièce, le mur occidental est doublé, le long de la boutique V, 16 de la Casa del bicentenario. Cette paroi supporte les poutres de la mezzanine accessible depuis l’entrée V, 18. Les solives du premier étage sont orientées nord-sud et sont donc portées par le mur de refend et par la façade41. En revanche, les solives de l’étage surplombant la seconde pièce (20) sont dans le sens est-ouest, donc portées par le mur de la Casa del bicentenario, alors même que le mur sud a été doublé42. Une telle situation pourrait constituer un argument contre toute interprétation supposant une vente des appartements V, 17-18 par le propriétaire de la Casa del bicentenario. Pourtant, elle ne témoigne en fait que de l’histoire de ce bâtiment, telle que l’on peut la restituer. Ainsi, lors de la séparation de ces deux biens-fonds, il aurait été jugé inutile de détruire les maçonneries antérieures pour sanctionner la nouvelle situation juridique : les poutres portant l’étage au-dessus de la pièce 20 sont laissées en place. En revanche, les nouveaux aménagements, comme la mezzanine de la pièce 21 et la paroi méridionale portant la toiture et percée d’une fenêtre ont amené au doublement de certains murs43. En dépit de la vente, une servitude d’appui aurait été créée entre la Casa del bicentenario, fonds servant, et les appartements V, 17-18. Une seconde servitude entre ces deux fonds a été mise en évidence par F. Pirson : la servitus altius non tollendi, qui empêche le fonds servant (la Casa del bicentenario) de se développer en hauteur de façon à ne pas réduire l’entrée de la lumière dans le fonds dominant (V, 17-18)44. Une telle servitude expliquerait ainsi non seulement la forme du toit à cet endroit de la maison, mais également l’insertion entre la pièce 5 et le compluvium de la domus d’une canalisation permettant de recueillir les eaux provenant de cette toiture45. Ces différents éléments autorisent à considérer que la séparation entre la Casa del bicentenario et l’appartement V, 17-18 a été assortie d’une vente de ce dernier.
13Il est possible que, depuis la création de la Casa del bicentenario durant la phase augustéenne, les deux tiers nord-occidentaux de l’insula V constituent un unique bien-fonds, partagé en plusieurs maisons46. L’accaparement de l’aile orientale de la Casa dell’Apollo citaredo lors de cette construction pourrait constituer un argument en ce sens. Le démembrement de la Casa del bicentenario ne serait vraiment visible qu’après le second séisme avec la vente de l’espace V, 17-18, où une partie des murs est doublée, tandis que le trottoir de V, 17 est décoré de façon telle qu’il se distingue nettement de ses voisins47.
14Dans les trois autres grandes domus, l’évolution a été sensiblement différente, en dépit d’un résultat proche : des maisons fractionnées, comportant plusieurs unités indépendantes au moment de l’éruption. La croissance de ces trois maisons n’a pas suivi le même rythme. Dès la période augustéenne, la Casa del colonnato tuscanico (VI, 16-18.26) a atteint son extension maximale au sol. Il en est de même pour la Casa del tramezzo di legno (III, 4.5.8-9.11) : à partir du règne d’Auguste, grâce à l’extension sur la dernière parcelle lui ayant probablement échappé jusqu’alors, cette maison cesse de s’étendre horizontalement. En revanche, d’abord réduite à la forme d’une maison à atrium, la Casa del salone nero ne s’étend en se dotant d’un péristyle qu’au cours de la seconde phase post-augustéenne. En dépit de ce rythme d’accroissement différent, ces trois domus se présentent sous un aspect similaire au moment du séisme de 62 – une maison à atrium et péristyle – et sont de taille équivalente48. Les réactions face au séisme sont différentes : aucune transformation n’est effectuée dans la Casa del tramezzo di legno, à l’exception de la destruction du balcon s’avançant sur le decumanus inférieur, au-dessus de la boutique III, 10 ; dans la Casa del colonnato tuscanico, les espaces en location sur le cardo III sont remaniés, mais ce sont surtout deux boutiques qui sont créées, pour de la gestion directe en VI, 16 et en VI, 18. Dans la Casa del salone nero, l’origine des revenus devient mixte : l’une des boutiques (VI, 14/15) est divisée en deux locaux distincts, dont l’un (VI, 15) est doté d’un appartement qui se développe au-dessus de la boutique. À la suite du second séisme, seule la Casa del tramezzo di legno maintient sans changement la double nature directe et indirecte de ses revenus. Dans la Casa del colonnato tuscanico, l’appartement de l’aile occidentale, un temps rattaché à la boutique VI, 25, est subdivisé et donné en location, accentuant d’autant la fragmentation de la maison. Quant à la Casa del salone nero, les deux dernières boutiques en gestion directe sont retranchées de la maison, rattachées à des appartements et données en location.
15Abordons la gestion directe : par ce terme, je n’entends pas que l’occupant de la maison se soit trouvé impliqué en personne dans la tenue quotidienne du commerce situé en façade de sa domus, situation d’autant plus improbable quand plusieurs espaces commerciaux existent dans une même maison. Ce terme tend à caractériser une forme d’investissement urbain différente de la mise en location, et qui pourrait correspondre – sans prendre en compte la probable, mais certainement surestimée49, différence de perception entre la possession de terres agricoles et celle d’immeubles en ville – à la « stratégie de repli » ou « de sécurité » mise en évidence par P. Veyne50. De cette façon, la gestion directe, où l’occupant tient la boutique ou la fait tenir par un membre de sa familia, correspondrait à une stratégie de profit, à la fois plus risquée car dépendant de la bonne tenue de la boutique en propre, mais également susceptible de dégager un rendement plus élevé. Dans certains cas, en particulier pour les commerces alimentaires, la gestion directe peut même être perçue comme le moyen d’écouler la production d’un éventuel domaine agricole51. En revanche, la nature des relations entre l’occupant et le tenancier de la boutique est un point sur lequel la documentation archéologique n’offre aucune possibilité d’interprétation. Sauf à proposer des conjectures sans fondement solide, il ne saurait être question de parler d’institor ou de procurator en ce qui concerne la gestion quotidienne de ces locaux : l’absence de toute attestation épigraphique empêche le recours à des termes aussi précis52, même si quelques hypothèses peuvent être avancées dans certains cas. À partir de cette interprétation sur les stratégies des possédants, revenons sur les réactions perceptibles dans les trois domus qui n’ont pas été suffisamment touchées pour entraîner leur démembrement. En dépit de dégâts importants au cœur de la maison, l’occupant de la Casa del tramezzo di legno a maintenu un comportement alliant la sécurité de la location avec le profit plus risqué, mais à toute petite échelle, du commerce de proximité en gestion directe. Possible signe d’un changement de propriétaire, celui de la Casa del colonnato tuscanico profite du séisme de 62 pour se lancer dans de telles opérations supposées plus rentables. En revanche, tout en cherchant à augmenter la rentabilité de sa propriété urbaine, en accroissant le nombre d’unités indépendantes, le propriétaire de la Casa del salone nero a opté pour le repli, se dégageant complètement de toute gestion directe. La mise en place de cette option en deux temps, scandés par des secousses sismiques, pourrait finalement s’avérer être la marque la plus directe des deux catastrophes, si l’on excepte la nécessité du démembrement par la vente.
16Ces groupes de domus participent au même mouvement de fond qui tend à la multiplication des unités indépendantes par la fragmentation des grandes maisons. Toutefois, leur évolution est très contrastée, particulièrement dans les réponses trouvées à la suite des séismes. Les deux grandes propriétés constituées autour de la Casa del bicentenario et de la Casa sannitica – probables vestiges d’une concentration des parcelles remontant à la période samnite – ne résistent pas à la catastrophe : elles sont probablement matériellement démembrées par la vente de leurs éléments constitutifs au gré des séismes. D’un autre côté, la Casa del colonnato tuscanico et la Casa del tramezzo di legno ont une évolution similaire, au-delà de leurs légères variations quant aux dates de création et d’agrandissement53 : elles montrent une fragmentation progressive, mais sans démembrement. Elles développent et conservent ainsi, des espaces de rapport en location – appartements et boutiques indépendantes dans leur façade. Seule la part de la gestion directe varie sensiblement entre les deux : dans la Casa del tramezzo di legno, les revenus mixtes sont permanents tout au long de la période impériale par le maintien des boutiques III, 4, III, 6 et III, 8-9 en communication directe avec la domus. En revanche, la gestion directe est une alternative supplémentaire qui ne se développe qu’après le séisme de 62 dans la Casa del colonnato tuscanico. Entre ces deux formes d’évolution se trouve la Casa del salone nero, qui abandonne progressivement la gestion directe d’un séisme à l’autre, son propriétaire ou son occupant préférant la stratégie de la sécurité offerte par le développement des espaces locatifs.
17Cette réduction de la gestion directe, voire son abandon pur et simple dans une partie des grandes domus, n’est pas uniforme à l’échelle de la ville. Si, tendanciellement, cette pratique diminue, certaines domus en conservent le principe. Deux cas sont particulièrement intéressants à observer de ce point de vue. Le premier est constitué par la Casa dell’Apollo citaredo, en dépit du léger problème qu’elle pose, en raison de l’incertitude sur la période d’ouverture de la boutique V, 12. Elle constitue un cas rare à Herculanum de domus à atrium qui, en dépit des vicissitudes des séismes, a toujours conservé au moins une boutique en gestion directe dans sa façade, et ce depuis la période augustéenne. Elle n’a jamais été fragmentée ou démembrée, si ce n’est l’amputation de son aile orientale lors de la construction de la Casa del bicentenario. La surface consacrée dans cette maison aux activités commerciales est sensiblement constante, seulement modifiée après la seconde phase post-augustéenne par une plus grande certitude quant à l’existence de la boutique V, 12. La part de cette surface de rapport oscille entre 13 et 22 %, en raison des augmentations de l’espace habitable, qui passe de 175 à 264 m2, par la création d’un étage à la suite du séisme de 62. Un second exemple est constitué par la Casa di Nettuno e Anfitrite. Dépourvue de boutiques jusqu’à la catastrophe, elle ouvre un espace commercial (V, 6) dans sa façade à la suite de la première secousse. Ce dernier reste ensuite ouvert et en gestion directe jusqu’à l’éruption de 7954. De ce fait, la part de sa surface consacrée au rapport reste stable à 7 % (21 m2 en incluant la mezzanine située dans la boutique). Ces deux exemples présentent des similitudes par le maintien de leur implication dans le commerce en gestion directe et surtout par l’absence de fragmentation des deux maisons.
18La situation de la Grande taberna con abitazione (IV, 12-13.15-16) est sensiblement différente, puisque cette maison montre un rapport au commerce beaucoup plus heurté. Il est difficile de déterminer avec certitude si la boutique située dans la pièce 13 de cette maison a été ouverte dès la période augustéenne ou s’il faut prudemment attendre le séisme de 62 pour voir ce local en place. Faute d’assurances, concentrons-nous sur la période allant du premier tremblement de terre à l’éruption de 79. Une fois effectuées les réparations liées à la secousse, des transformations importantes sont réalisées dans cette maison : une porte s’ouvrant sur le decumanus inférieur est fermée, remplacée par une boutique qui s’installe dans la pièce 6/7, tandis que de façon évidente à ce moment, une seconde boutique existe dans la pièce 13, s’ouvrant sur les deux rues à l’angle desquelles elle se trouve. Ces deux commerces sont en gestion directe. Après le second séisme, la première boutique est fermée, remplacée par la « taberna vasaria » (IV, 14), unité indépendante dotée d’un appartement à l’étage qui s’étend partiellement sur la rue. De son côté, la boutique IV, 15-16 est agrandie et pourvue de quatre pièces annexes (6 à 9) après la partition de deux espaces plus grands. En valeur absolue, le nombre de boutiques dans cette parcelle reste stable, mais un choix alternatif a été effectué, semblable à celui observé dans la Casa del salone nero entre 62 et 70/75 : des deux locaux en gestion directe, l’occupant ou le propriétaire de cette maison en conserve un seul, le second étant probablement donné en location55. Entre l’extension de l’étage et la multiplication des pièces annexes de la boutique IV, 15-16, 40 % (167 m2) de cette maison est consacrée au rapport, contre seulement 21 % (62 m2) lors de la phase précédente avec les deux boutiques en gestion directe. La Casa della fullonica ne peut pas être insérée dans un discours dont les bornes chronologiques s’étendraient en-deçà du premier séisme : la période de mise en place des vasques de foulerie ne peut pas être définie avec précision. Tout au plus la transformation de la pièce 1, survenue après le second séisme, laisse-t-elle supposer que cet artisanat est d’installation tardive. De ce fait, il est probable que la boutique IV, 7 ait eu une autre fonction avant cette seconde catastrophe. Avec ces deux hypothèses, l’évolution de cette maison se rapprocherait de celle dressée pour la Grande taberna con abitazione : alors qu’un appartement (IV, 5) est en location au moins depuis la période augustéenne, si ce n’est depuis la phase précédente, une boutique en gestion directe existerait en 62. Après le second séisme, la surface employée pour dégager des revenus augmente de 43 à 82 m2, de telle façon qu’au moment de l’éruption, 37 % de la surface de cette maison sont consacrés au rapport.
19Quelle interprétation proposer pour ces domus plus petites ? Le rapprochement de leurs situations et de leurs évolutions est délicat entre d’un côté celles – la Casa dell’Apollo citaredo et la Casa di Nettuno e Anfitrite – qui ne disposent que de boutique(s) en gestion directe, et de l’autre côté, la Grande taberna con abitazione et la Casa della fullonica, qui, par le mélange des formes d’investissement que l’on y rencontre, peuvent être comparées aux plus grandes domus, alors même que la part de ces édifices consacrée aux surfaces commerciales leur donne un aspect particulier. Si l’on ajoute à ce tableau la Casa del gran portale (dotée d’une boutique, d’abord en gestion directe puis en location) et la Casa con giardino (où la location s’étend à une boutique à laquelle s’ajoute dans un second temps un appartement), la variété des situations devient inextricable. Le principal point commun entre ces différentes maisons est une taille somme toute modeste – de 113 à 412 m2 – en comparaison des domus dotées d’un péristyle dont la surface totale s’échelonne entre 882 et 1108 m2. Un second point pourrait être constitué par la proportion de cette surface relativement réduite utilisée pour dégager des revenus, mais cette part varie de 10 à 40 % de la surface totale56. Faute de pouvoir connaître le statut juridique de ces maisons, et encore plus d’avoir une idée du patrimoine de leur occupant, toute interprétation reste très conjecturelle. Néanmoins, les occupants de ces domus pouvaient correspondre à une partie de la plèbe moyenne telle que définie par P. Veyne57. Dans cet échantillon de situations si différentes, peut-on considérer l’occupant – le propriétaire ? – de la Grande taberna con abitazione comme le plus emblématique de cette plèbe dont la caractéristique principale est « de posséder un patrimoine, […] gage de revenus assurés »58 ? Certainement, à titre d’hypothèse. La possession ou la location d’une maison en ville, avec laquelle on cherche à dégager des revenus selon un spectre de stratégies variées – de la location prudente à la gestion directe plus spéculative – avec des degrés d’implication plus ou moins importants, pourrait ainsi être le signe de ce mélange si délicat à établir entre patrimoine foncier et investissements urbains. Peut-être l’exemple d’Herculanum est-il toutefois trop restreint pour permettre une véritable compréhension de cette couche de la société, dont seule l’étude sur une plus vaste échelle – ne serait-ce qu’à Pompéi – permettrait certainement de distinguer les caractéristiques générales au-delà des destins individuels de maisons éparpillées.
20Achevons cette réflexion sur les boutiques et leurs tenanciers en examinant la majorité d’entre eux : le principal effet de la fragmentation de la propriété est la multiplication des unités indépendantes et parmi celles-ci des boutiques certainement dotées d’un appartement ou d’une pièce à vivre. Il est inutile de revenir sur la difficulté de définir les critères d’habitabilité des boutiques sauf pour souligner l’importance du travail restant à effectuer de ce point de vue, si tant est que l’état de conservation de ces espaces permette de fournir des données autres qu’éparses et très lacunaires. Sur les différentes boutiques étudiées dans cette seconde partie, 26 – sur un total de 50 – sont, au moment de l’éruption, très certainement dotées d’un appartement qui permet au boutiquier et à sa famille de vivre. La croissance de ces formes de commerce a été particulièrement importante entre la période augustéenne, où l’on en recense seulement 5, et l’éruption du Vésuve. C’est une fois de plus avec la création de l’Insula Orientalis IIa que la multiplication de ces unités commerciales avec habitation devient très sensible (fig. 202). En revanche, l’un des invariants qui les caractérisent le mieux est la dimension réduite des espaces dédiés à l’habitation, qui ne dépassent presque jamais les 100 m2, et qui constituent entre 35 et 75 % de la surface prise en location59. Aucune tendance n’est perceptible dans les variations de ce rapport, si ce n’est l’extrême variété des situations. Pour partie, ce sont les tenanciers/habitants de ces boutiques qu’A. Maiuri a cru voir envahir la ville. Pourtant, ils ne constituent guère plus que la frange la plus modeste de la plèbe moyenne : certes, ils disposent d’un métier et probablement du savoir-faire un tant soit peu élaboré qui correspond à ce métier ; toutefois, ils restent à la merci des propriétaires fonciers à qui ils louent leur boutique et l’espace d’habitation qui lui est lié. Leur situation n’est certainement pas indépendante. Ils ne constituent pas non plus une « classe » consciente d’elle-même qui aurait pu amener une quelconque éviction des « aristocraties traditionnelles ».
21À ce stade, la comparaison avec Pompéi s’imposerait presque d’elle-même. Toutefois, elle est rendue délicate pour une raison majeure. La mise en évidence du second séisme est intervenue trop récemment dans l’historiographie pompéienne pour que ses conséquences aient déjà été pleinement mesurées. De la sorte, en dépit des études ponctuelles qui proposent des attestations ou des réflexions sur cette seconde catastrophe, aucune synthèse n’a été proposée ; les données sur la période entre 62 et 79 restent pour l’essentiel celles publiées par A. Maiuri dans l’ultima fase edilizia di Pompei. L’analyse des conséquences du séisme de 62 sur la vie économique de Pompéi, effectuée par J. Andreau, était déjà tributaire des données publiées par A. Maiuri. Bien qu’elle soit sous-tendue par l’idée que toute la période entre 62 et 79 a été une phase transitoire de reconstruction60, certaines de ses remarques générales se rapprochent des constatations que j’ai effectuées pour Herculanum. En effet, J. Andreau a particulièrement insisté sur la spéculation survenant à la suite de telles catastrophes, distinguant quatre modes dont seuls deux peuvent éventuellement être appréhendés par les sources archéologiques : la location à prix élevés par les propriétaires d’immeubles, particulièrement une fois les restaurations effectuées ; le rachat à bas prix d’édifices vendus par leur propriétaire pour faire face à d’autres frais, liés au séisme61. Ces deux situations ont pu se produire à Herculanum. L’accélération de la fragmentation des maisons et de l’augmentation du nombre d’unités indépendantes pourrait être liée à de tels phénomènes spéculatifs, particulièrement si l’on place les données recueillies sur un axe temporel gradué en fonction du temps qui s’est effectivement écoulé au cours des différentes phases (fig. 203). L’accélération apparaît d’autant plus forte que les deux dernières phases se déroulent en un nombre d’années particulièrement réduit62. Au-delà de ce jeu de présentation statistique, disons qu’une accélération de la fragmentation s’est effectivement déroulée entre le séisme de 62 et l’éruption de 79, d’autant plus forte à la suite du second séisme. Quant à la revente de certains édifices, un tel phénomène peut s’être déroulé, pour la Casa sannitica et éventuellement pour la Casa del bicentenario. Rien ne permet de dire que de telles ventes se sont déroulées à vil prix. Enfin, je rappellerai qu’à Herculanum ces phénomènes ne naissent pas avec les deux catastrophes. Les études de F. Pirson sur Pompéi ont abouti à la même conclusion63. La comparaison entre les deux villes ne saurait être plus développée tant que l’ultima fase edilizia di Pompei ne sera pas repensée avec cette nouvelle donnée majeure qu’est l’existence d’au moins un second séisme.
22En dépit d’une augmentation sensible de la population, avec les conséquences qu’elle a eues sur la façon de vivre, en dépit du nombre croissant des petits boutiquiers qui s’installent dans des locaux loués, c’est le rôle des élites locales dans l’économie urbaine qui a été mis en évidence. Et pour cause : ces locaux – appartements et boutiques – constituent avant tout des investissements réputés sûrs pour leur propriétaires. Les caractéristiques d’une plèbe moyenne aux contours multiformes, dont la population ne fait que s’accroître durant la période étudiée, continuent de nous échapper. Cette lente évolution a certainement été accélérée par les deux catastrophes. Toutefois, pour traumatiques qu’ils aient pu être, les deux séismes n’ont renversé – ou même contribué à renverser – ni l’ordre social avec sa structure pyramidale, ni le fonctionnement économique d’une petite ville du golfe de Naples.
Notes de bas de page
1 Sur ce point, cf. supra, n. 72 p. 245.
2 Un phénomène proche se déroule à Pompéi entre la période syllanienne et le début de l’Empire. Les antagonismes ont toutefois été certainement beaucoup plus aigus dans cette ville, en raison même de la déduction coloniale, punition infligée en réponse à l’attitude de Pompéi lors de la guerre sociale. Le point de départ de ce problème est issu d’un discours de Cicéron dans lequel il montre des dissensions profondes entre les Pompéiens, indigènes, et les colons syllaniens (Cic., pro Sylla, 21, 60-62). Sur cette question, son interprétation et son empreinte dans la ville, voir Lo Cascio 1996, Zevi 1996 et Coarelli 2000.
3 La Casa a graticcio ne se révèle dans l’étude du bâti qu’à partir du séisme de 62. En ce qui concerne la Casa del priapo, la boutique IV, 17 pourrait avoir été créée durant la période augustéenne. Toutefois, les modifications apportées à l’ensemble de la parcelle qu’elle occupe après le second séisme font que les données disponibles à son propos ne peuvent pas être comparées avec celles des autres maisons.
4 L’extension de la Casa del salone nero pose un problème similaire aux deux maisons exclues : son extension est relativement tardive (2e phase post-augustéenne) et les connaissances sur sa moitié méridionale avant son rattachement à la maison à atrium est quasiment nulle. Il eut toutefois été négligent de ne pas prendre en considération une domus pour laquelle les données disponibles sont tout à la fois variées et d’une certaine fiabilité, par la combinaison de l’étude du bâti et des fouilles stratigraphiques.
5 J’ai ainsi écarté l’étage du bloc méridional, ainsi que l’ensemble de l’étage continu, accessible depuis les escaliers situés en Or. II, 17 et pour partie en Or. II, 7. Concernant cette dernière entrée, seul l’appartement situé dans le « demi-étage », dont la transformation peut être suivie de la construction originelle à l’éruption du Vésuve, a été pris en compte.
6 En ce qui concerne la définition des fonctions dans la maison romaine et les difficultés diverses qu’elle peut susciter, voir en particulier Binnebeke 1993, Allison 1993, Binnebeke – de Kind 1996 : 210-216, Allison 1997, Schoonhoven 1999.
7 Le problème de la localisation de la production textile dans la maison (supra, p. 185-186) prend ici toute son acuité, des portions d’atrium ayant par exemple pu être utilisées pour y installer des métiers à tisser. Déjà difficile à trancher en bénéficiant des vestiges correspondant aux derniers moments de la vie d’Herculanum, cette question est insoluble avec la seule archéologie du bâti.
8 Les principales études et réflexions concernant l’exploitation des sources juridiques concurremment aux vestiges archéologiques sont les suivantes : Saliou 1994 ; Wallace-Hadrill 1994 : 131-134 ; Pirson 1999 : 53-84 ; Saliou 1999.
9 Un exemple très convaincant en ce sens a été mené par R. Ling (1997 b : 238-242, 247-252) dans l’îlot I 10 de Pompéi. En croisant une étude archéologique très précise avec certains textes provenant du Digeste, il suggère ainsi que le propriétaire de la maison du Ménandre (I 10, 4.14-17) possédait également le reste de l’îlot, qui aurait ainsi formé une insula au sens juridique du terme.
10 Je reviendrai plus loin sur la définition de la gestion « directe » qui n’implique pas nécessairement que le propriétaire de la boutique soit personnellement derrière le comptoir ; cf. infra p. 364 et suivantes.
11 CIL IV, 138, cit. supra, p. 47. Sur cette inscription et le rapport entre le texte et les vestiges, cf. De Albentiis 1989 ; Pirson 1997 et Pirson 1999 : 15-21, 23-47. F. Pirson (1997 : 172 ; 1999 : 41-42) rejette l’idée que la Casa di Pansa ait pu être louée parmi les domus signalées sur l’affiche de location. Ses arguments contre une telle hypothèse sont essentiellement l’adéquation entre d’une part le statut de ce personnage dans Pompéi et d’autre part les objets découverts dans la maison et l’architecture de cette dernière. Faute d’éléments plus décisifs, il me semble difficile de rejeter complètement l’hypothèse que la Casa di Pansa ait pu être louée.
12 Les remarques d’E. De Albentiis (1989 : 82), qui considère que la mention d’un esclave auquel s’adresser pour louer la maison serait caractéristique de l’abandon vraisemblable (« verosimile ») du propriétaire à la suite du séisme de 62, doivent être amendées. Un personnage de l’importance de Cn. Alleius Nigidius Maius, entre autre duumvir quinquennal en 55 de notre ère et candidat à plusieurs reprises après 62 (Mouritsen 1988 : 32, 34, 36 et 126), n’allait que difficilement s’occuper en personne de la gestion de son patrimoine, confiant plutôt ce soin à son esclave Primus. À tout le moins, cette inscription ne permet pas nécessairement de soutenir la thèse d’A. Maiuri (1942 a : 214-218) sur le retrait des élites municipales hors de la ville après le séisme de 62.
13 Je reviendrai plus loin (infra, p. 361-363) sur le cas de V, 17-18. En ce qui concerne l’ensemble V, 19-25, il semble, en plan, formé de deux unités distinctes (V, 19-22 et V, 23-25). Toutefois, le développement de l’appartement accessible par l’entrée V, 22 au-dessus de ces deux unités indiquerait, en fonction du principe de droit superficies solo cedit une unicité de propriété (Saliou 1994 : 45-50 ; Pirson 1999 : 73-74). Quant à la boutique V, 28 et à l’appartement V, 29, le traitement différencié du trottoir, recouvert de galets uniquement devant ces deux entrées, autorise, par rapprochement avec une clause de la table d’Héraclée (RS I : 355-391, l. 53-55 ; cf. Saliou 1999 : 171, 198-200), à supposer qu’ils appartiennent à un unique propriétaire, différent de celui de V, 26-27 ou de celui de V, 30.
En ce qui concerne l’inadéquation entre ces trois unités et la présence du propriétaire en leur sein, elle n’est guère impossible ; elle ne me semble en revanche que peu plausible.
14 Pirson 1997 : 173-178 ; 1999 : 56-84.
15 Pirson 1997 : 173 ; 1999 : 53-55.
16 Sur les textes indiquant un lien entre les tabernae et l’habitation, cf. supra, p. 46-47.
17 Une étude des manifestations du culte domestique dans les boutiques en particulier serait à mener à Pompéi et Herculanum. Les travaux de W. van Andringa (2009 : 289-304) apportent des réponses à cette épineuse question.
18 Sur les origines et les variations de cette interprétation, cf. supra, p. 5-8.
19 Les critiques d’E. Lepore par rapport aux interprétations d’A. Maiuri sur Pompéi ont été exposées dans le volume publié à l’occasion du bicentenaire des fouilles (Lepore 1950 = 1989 : 123-146). Ses remarques pertinentes sur la condition d’Herculanum durant la période impériale ont été publiées alors que seul le guide des fouilles (Maiuri 1936 a) était paru ; cf. Lepore 1955, part. 430-432 (= Lepore 1989 : 243-263, part. 252-255).
20 A. Wallace-Hadrill (1994 : 124-129) critique de façon détaillée les présupposés d’A. Maiuri en se fondant sur le plan de la publication des fouilles. Toutefois, dans les pages précédant et suivant ces remarques spécifiques à Herculanum (ibid., p. 122-123, 129-142), il s’intéresse essentiellement à Pompéi.
21 Deux légères inflexions sont perceptibles durant les phase post-augustéennes. Elles sont dues à la création de la Casa di Nettuno e Anfitrite et à l’extension de la Casa del salone nero au-delà de son tablinum vers le sud, étendant de la sorte l’échantillon avec des parcelles non prises en compte pour les phases précédentes, faute de données.
22 Le léger recul en pourcentage des périodes post-augustéennes est lié au phénomène expliqué à la note précédente.
23 Il faudrait mettre en parallèle cette augmentation de population perçue par les transformations architecturales avec le renouvellement des habitants, mis en évidence par G. Camodeca (2008 : 93) sur fondements épigraphiques, particulièrement sensible après 62.
24 Les travaux de l’Insula Orientalis IIa se sont déroulés entre la phase augustéenne et la première phase post-augustéenne. J’ai donc considéré, pour simplifier, que les locaux commerciaux et les appartements situés en façade de cet édifice n’ont été pleinement fonctionnels qu’à partir du début de la seconde phase post-augustéenne.
25 D’une phase à l’autre, alors que la surface totale n’a augmenté que de 10 %, la surface habitable de 4 % et la surface des étages – mezzanines inclues – de 14 %, l’espace au sol consacré au commerce s’est développé de 30 %. 9 nouvelles boutiques ont été créées, soit une augmentation de leur nombre de près de 22 %. Les implantations commerciales ont alors crû plus vite que les autres formes d’occupation du sol.
26 Un même phénomène a été observé par F. Pirson (1999 : 146-147) à Pompéi : il y aurait ainsi un parallèle entre le développement des boutiques en façade des édifices publics et celui qui peut être observé dans les domus ; dans les deux cas, les élites pourraient y installer leurs propres conductores.
27 La formulation la plus explicite de cette vision de l’évolution urbaine a été rédigée à propos de la Casa del bicentenario (Maiuri 1950 a : 253, cit. supra, p. 289 en exergue). Pour d’autres références, cf. supra, p. 4-8.
28 Cf. supra, p. 292-296. A. Maiuri (1958 b : 207) ne présente pas la situation de façon très claire : soit cette fragmentation de la domus est liée au dernier propriétaire, issu du « ceto mercantile di arricchiti », soit elle survient seulement après la période augustéenne.
29 Sur la gestion directe, cf. infra, p. 364 et suivantes.
30 Dans son article consacré aux effets du séisme de 62 sur les conditions économiques de Pompéi, J. Andreau (1973 : 374-376) souligne l’importance de la période de transition qui se déroule entre l’immédiat après-séisme et la reprise « normale » des activités. Nous ne disposons d’aucun moyen pour évaluer la durée ou les conséquences immédiates de cette période de transition à Herculanum. La présence fréquente de deux phases de réparations, chacune éventuellement suivie par une phase de transformation incite à considérer que les dommages du séisme de 62 étaient réparés, peut-être dès le second séisme, de toute façon au moment de l’éruption. Cela reste une hypothèse qui, pour probable qu’elle soit, ne pourra que difficilement être démontrée ou réfutée.
31 Les propriétaires de ces différentes maisons restent inconnus. Des hypothèses variées ont pu être proposées, en fonction des découvertes, notamment de sceaux en bronze ou d’archives. Ainsi, L. Venidius Ennychus a été le propriétaire de la Casa del salone nero pour A. Wallace-Hadrill (1994 : 181) et pour G. Camodeca (2002 : 265), avec toutefois un raisonnement différent. Ses archives ont été découvertes à l’étage de cette maison, mais rien n’indique, parmi les tablettes qui sont datées, que ce personnage était vivant en 79. Faute de pouvoir déterminer le nom et la place dans la société des occupants – éventuels propriétaires – de ces maisons, j’ai considéré que ces derniers, en raison de la taille de leur domicile, pouvait avoir fait partie de l’élite de la ville. Signalons qu’en employant ce terme, je ne cherche pas à renvoyer en particulier à l’un des groupes constitués de la société romaine. Tout au plus mettrais-je en avant la position probablement importante occupée dans la société d’Herculanum par les habitants de ces domus.
32 GSE 1931 : « 3 Febbraio. All’estremità nord della tettoia ieri accennata, appoggiato sopra esso, è stato raccolto un pezzo di marmo a forma rettangolare lungo m. 0.33 e largo m. 0.145, con iscrizione sia sulla faccia anteriore e posteriore. La prima iscrizione sopra una delle due è la seguente : [texte de l’inscription, cf. note suivante] larga m. 0.31 ed alta m. 0.06. Dalla parte opposta : [idem] Lunga m. 0.30 ed alta m. 0.06 [idem] Lunga m. 0.30 ed alta m. 0.035 ». L’attribution originelle de cette plaque à la paroi de la Casa del mobilio carbonizzato tient au contexte de découverte : à plat, vers l’extrémité méridionale de la toiture de la Casa del telaio, comme transportée par le flux pyroclastique.
33 AE 1937, 176 = AE 1945, 95 : òIuliae pari[es] / privat(us) perpetuus // M(arci) Noni M(arci) l(iberti) Dama[e] / paries perpetuus priv(atus).
Le texte de l’inscription présenté ici a été corrigé après contrôle direct. Le I de la première face pourrait être la haste d’une autre lettre (M/N ?), ce qui permettrait de centrer l’ensemble du texte sur une pierre raccourcie dans un deuxième temps. La seconde face est complète, privatus a été abrégé en priv .
Sur les conditions de découverte de cette plaque sur le toit de la Casa del telaio, cf. supra n. 154 p. 26. Il est probable qu’elle ait été fixée sur la façade sud de la Casa del mobilio Carbonizzato (V, 5).
34 Sur ce trottoir, cf. Maiuri 1958 b : 36 ; sur les trottoirs comme possibles marqueurs de propriété, cf. supra, n. 13.
35 Cf. supra, p. 315-320.
36 L’alignement du mur sud de la pièce K de la Casa del telaio, parallèle avec les limites septentrionales de cette maison mais divergent par rapport au mur nord de la Casa sannitica constitue un argument rendant plausible cette restitution.
37 Sur la mitoyenneté facultative dans le droit de la construction romaine, cf. Saliou 1994 : 37-71.
38 La servitude d’appui (servitus tigni immittendi) permet à celui qui n’est pas propriétaire du mur d’y insérer des solives (Saliou 1994 : 39). La servitude de support (servitus oneris ferendi) est une extension de la précédente, le propriétaire du mur étant obligé de maintenir ce dernier en état pour qu’il puisse supporter les éléments insérés (Saliou 1994 : 42-45). Si l’existence de telles servitudes peut être inférée sur des fondements archéologiques, il serait vain de tenter de les distinguer. Je ne mentionnerai donc que la servitude d’appui.
39 Sur le mur en copropriété, cf. Saliou 1994 : 51-71.
40 Une telle possibilité est envisagée par J. Boersma (1985 : 235-236) pour les rapports entre d’une part les bâtiments 1 et 14 de l’îlot V, II d’Ostie, et d’autre part le bâtiment 2. Il signale toutefois seulement l’absence de servitude d’appui, sans évoquer l’idée d’une propriété séparée. Il en est de même pour un mur entre le jardin R de la Casa del Menandro et la Casa degli amanti (I 10, 10-11), d’épaisseur double (90 cm). Cette situation serait antérieure à la construction du jardin proprement dit, au Ier s. de notre ère (Ling 1997 a : 103, 249-250).
41 Cette disposition permet notamment de pouvoir étendre l’étage au-dessus du trottoir, en réduisant les risques de porte-à-faux.
42 L’absence de doublement du mur occidental de la pièce 20 est très nettement perceptible sur le seul plan récent et fiable de cette maison, réalisé en 2003 sous la responsabilité de l’architecte V. Papaccio. Sur les deux plans publiés par A. Maiuri (1958 b : fig. 174 p. 222 et pl. IIIa), aucun des murs n’apparaît doublé.
43 Cette restitution incite à considérer que l’étage de la Casa del bicentenario, avant la vente de V, 17-18, s’étendait au-dessus de toute l’aile orientale de l’atrium. Un coup de sabre vertical dans la maçonnerie supérieure de la pièce 5 semble autoriser.
44 Pirson 1999 : 71-73. Sur la servitus altius non tollendi et ses évolutions, cf. Saliou 1994 : 217-220.
45 Cette canalisation est perceptible grâce au léger tassement du pavement en mosaïque dans l’atrium 19, mais également par sa bouche, visible dans l’angle nord-ouest de la pièce 5.
46 Les limites de cette propriété correspondraient aux parcelles A et B (fig. 162). La forme de ces parcelles suggère une acquisition durant la période samnite, en deux temps (cf. supra, p. 320-322). Lextension’de cette propriété au tiers oriental – à la parcelle C – peut être envisagée, avec toutefois une restriction qui concerne la boutique et l’appartement V, 28-29, dont le traitement différencié du trottoir suggère fortement un bien-fonds distinct des espaces voisins. Une telle extension a déjà été proposée par A. Wallace-Hadrill (1994 : 132) qui est cependant resté prudent : « […] It is conceivable that the Casa del bicentenario formed part of an insula that extended over (say) the group of shops and flats to its east (H V. 17-29) and possibly also over the houses and shops to its west (H V. 8-12), with which there are traces of previous interconnecting doors. The problem with housing of the Pompeian type is that it is virtually impossible to demonstrate such legal boundaries. Perhaps the block I have suggested round the Casa del bicentenario was three separate insulae or blocks of ownership. Or perhaps it had once been a single insula but had by A.D. 79 been split into several. Archaeolgy cannot give an answer to questions about legal ownership ». Les analyses de F. Pirson (1999 : 70-74) aboutissent à une conclusion similaire aux miennes, bien qu’effectuées pour la seule phase finale.
47 Les rapports juridiques, au moment de l’éruption, entre la Casa del bicentenario et ses voisines à l’ouest – Casa dell’Apollo citaredo et Casa del bel cortile – ne se laissent pas entrevoir de façon aussi consistante que pour l’appartement V, 17-18. Dans ces deux cas, l’interprétation du doublement du mur paraît devoir être liée à des problèmes de statique plus qu’à des questions juridiques, incitant de ce fait à la prudence.
48 Lors de la seconde phase post-augustéenne, la Casa del tramezzo di legno s’étend sur 1076 m2, dont 51 % (544m2) sont loués, auxquels il convient d’ajouter les 95 m2 de boutiques en gestion directe. La Casa del colonnato tuscanico dispose d’une surface de 887 m2, dont 18 % (158 m2) sont loués, entre appartement et boutiques. La Casa del salone nero est sensiblement plus grande, avec 1108 m2 en tout. Une partie de cette différence s’explique certainement par le balcon débordant sur le cardo IV. Dans une vision maximaliste, seuls 3 % de cette surface (29 m2) sont alors dévolus au commerce en gestion directe.
49 À l’exception d’un article de P. Garnsey (1976), les réflexions sur la propriété urbaine des élites ne semblent pas avoir été particulièrement développées dans l’historiographie récente. Si, comme il a été rappelé lors d’une journée d’études de la Société française d’Epigraphie romaine que l’opposition classiquement revendiquée entre des chevaliers impliqués dans le commerce et des sénateurs propriétaires fonciers ne pouvait guère être tenue (voir les articles réunis dans les Cahiers du Centre G. Glotz, 16, 2005), la variété des investissements effectués par ces deux groupes reste encore à étudier. Quant aux élites municipales, la difficulté de rassembler des sources permettant une évaluation de leur patrimoine semble avoir rendu vaine toute tentative en ce sens. Sur ces différents aspects, voir les remarques de J. Andreau (2004 a).
50 Cf. Veyne 1991. Dans cet article, publié une première fois en 1979, P. Veyne étudie les différentes stratégies d’investissement déployées durant la période romaine. Il distingue ainsi l’exploitation agricole destinée à produire des moyens de subsistance et conduisant son propriétaire vers un comportement « autarcique » ; des entreprises de profit effectuées sur ses propres terres, plus risquées ; enfin des entreprises de profit effectuées sans avoir la propriété des moyens de production. J. Andreau (2004 a : 73-76) a contesté cette position, considérant que le principe d’affrontement entre deux stratégies globales ne saurait être soutenu. Il a ainsi dégagé au moins cinq catégories des sources de revenus. Mon recours à la grille d’interprétation proposée par P. Veyne tendrait justement à montrer le glissement progressif dans certains exemples vers une attitude plus souple ou plus sécurisante dans les investissements urbains.
51 À Herculanum, l’analyse des différentes collections d’archives laisse supposer un patrimoine agricole peu développé, ou du moins non orienté vers la production extensive, en raison notamment des conditions topographiques du site. Sur les attestations de propriétés agricoles à Herculanum, perçues à travers les tabulae ceratae, cf. Lepore 1989 : 255-262 et Camodeca 2000 : 69-70.
52 Sur les institores en général, et comme tenanciers de boutiques en particulier, cf. Aubert 1994 et Andreau 2004 b.
53 La Casa del tramezzo di legno est de création plus ancienne et d’extension plus progressive que la Casa del colonnato tuscanico, qui s’accroît fortement au moment de la période augustéenne.
54 Aucune explication ne saurait être fournie pour la construction de ce local après le séisme de 62. Il peut tout autant s’agir d’un changement de propriétaire ou d’occupant, comme d’une volonté de la part de ce dernier de profiter de sa situation en face de la sortie des thermes.
55 Telle que cette maison est conservée, aucun élément permettant de déterminer son statut juridique – en propriété plein ou louée – ne peut être mis en évidence. Tout au plus est-il possible de signaler une probable servitude de lumière avec la Casa del papiro dipinto, dont la pièce 6 est illuminée par une fenêtre percée au-dessus de la pièce 4 (fig. 156, d). En ce qui concerne la boutique située en IV, 14, la parfaite verticalité de son implantation ne permet pas de définir avec certitude qu’elle était louée. Elle aurait pu être vendue, mais aucun argument ne permet de trancher en faveur d’une telle évolution.
56 Signalons toutefois que dans les « grandes » domus, seule la Casa del tramezzo di legno emploie 58 % de sa surface pour dégager des revenus. Les autres oscillent entre 13 et 23 % de leur surface consacrée au rapport.
57 Veyne 2005.
58 Veyne 2005 : 127.
59 Quelques exceptions sont à signaler : lors de l’éruption, l’appartement V, 14 est passablement étendu (119 m2), tout comme la boulangerie Or. II, 1a (206 m2).
60 Andreau 1973 : 374-376. Sur la difficulté de cerner la durée et les conséquences de cette phase de transition, cf. supra, n. 30. Rappelons que le rythmes des secousses sismiques paraît avoir été différent entre les deux villes : durant la première moitié des années 70 à Herculanum, probablement au cours de l’année précédant l’éruption à Pompéi (cf. supra, p. 236-238). La – seconde – phase de transition n’était donc certainement pas achevée en 79 à Pompéi, qui restait une ville certainement très perturbée.
61 Les autres formes de spéculation sont : la pratique du prêt à intérêt, à taux élevés ; l’adjudication de la restauration des édifices publics (aucune source sur ce sujet à Herculanum : le seul édifice dont la restauration est connue est l’Insula Orientalis IIa, dont le financement a été pris en charge par Vespasien). Les autres réflexions sur la spéculation concernent l’identité des spéculateurs. Sur ces différents points, cf. Andreau 1973 : 380-383.
62 Signalons immédiatement qu’une telle courbe est d’autant plus trompeuse qu’elle est fausse d’un point de vue statistique. Les phases sont des intervalles alors que les bornes chronologiques utilisées pour placer les courbes sont des points – obtenus mathématiquement, à l’exception des dates du règne d’Auguste, du séisme de 62 et de l’éruption de 79. Cette courbe donne l’impression d’une évolution continue alors que les rythmes de reconstruction ne peuvent pas être appréhendés avec une telle précision. De plus, l’effet de loupe ainsi obtenu favorise les deux dernières phases, déjà largement mises en avant par le mode d’obtention des données, qui laisse la part belle aux dernières transformations. Un axe des abscisses proportionnel à la durée effective des phases ne pourrait être utilisé qu’avec des données parfaitement calées chronologiquement, éventuellement obtenues grâce à des fouilles stratigraphiques.
63 Pirson 1999 : 174-175.
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