Production et consommation des céramiques communes de la colonie romaine de Narbonne (IIe av./Ve de n. è.)
p. 471-492
Résumé
Un bilan de la consommation et des productions de céramiques communes de Narbonne sur une chronologie large (IIe av. n. è./Ve de n. è.) permet de cerner le faciès de la colonie romaine. Les étapes de ces transformations montrent l’émergence de séries spécifiques et la part des céramiques communes importées. L’apport récent et encore inédit de la pétrographie permet de cerner l’emplacement des grands centres de productions.
Texte intégral
1. Aperçu des ateliers régionaux
1La colonie romaine de Narbonne nécessitait un approvisionnement en céramiques communes considérable que les rares ateliers connus pour la ville ou sa proche périphérie ne pouvaient suffire. Narbonne semble être approvisionnée en céramiques communes dans la vallée de l’Aude, les Corbières et le Minervois (fig. 1). Les fouilles actuelles de M. Passelac à Bram, et les études menées par F. Laubenheimer à Sallèles d’Aude ont permis de connaître une partie de ces productions audoises. Certaines productions n’ont pu être attestées en fouille. Cependant, des indices comme les séparateurs, les cales ou les déchets de cuisson permettent de proposer une probable zone de production. Il faut aussi distinguer les fours ayant eu une vocation de production exclusive de matériaux de construction, des fours qui ont produit des vases à usage domestique ou des centres de production de vases de conditionnement. Souvent la production est double (vases de conditionnement pour l’exportation et/ou vaisselle pour l’approvisionnement de villa) ou correspond à différentes périodes de la production, comme c’est le cas à Sallèles d’Aude (Laubenheimer 1990a et c).
2Les articles de M. Passelac (Passelac 1992 et 1996a et b) constituent une première synthèse sur les productions audoises. Il était cependant nécessaire de proposer une vision d’ensemble des ateliers découverts et de leur production pour définir ceux qui ont pu desservir le Narbonnais. De même, la région biterroise, à la fois par l’ancienneté de ses traditions céramiques, par l’importance des ateliers et ses relations avec le Narbonnais, ne pouvait être passée sous silence. Peu de fours sont connus dans la région audoise malgré le développement des prospections. L’Aude littorale ne possède pas la même densité en ateliers que le Biterrois nord-oriental où une quinzaine de lieux de productions ont été identifiés.
3Plusieurs ateliers comme Bouriège, la Lagaste, Bram ou le Tinal d’Abrens à Laure-Minervois ont pu exporter leur production vers le littoral. À Bouriège (fig. 1, n. 1), « un labour de défoncement a permis de situer plusieurs fours de potiers probables, repérables à la trace de cendres très foncée qui les entoure » (Gibert et al. 1970, p. 133). Une fosse remplie de déchets de fabrication a aussi été repérée et la céramique qui en est issue est très proche, par sa forme et sa technique, de celle fabriquée par les fours de La Lagaste. « On y trouve en effet des vases semblables : urnes tournées, formes basses, assiettes à couvercle, mais pas encore d’imitations arétines ou augustéennes caractérisées ». Ce four daterait des années 40/20 av. n. è. et on peut observer les formes qui se retrouvent assez fréquemment en Narbonnais (fig. 13), preuve de la diffusion de ces céramiques produites dans l’arrière-pays ou d’une production locale identique. Des fouilles de sauvetage montrent une architecture orginale de certains de ces fours dont la sole est constituée par des amphores italiques reposant sur un pilier central (Séjalon 1998 et fig. 2).
4À La Lagaste (fig. 1, n. 2), plusieurs ateliers de céramiques grises locales du Ier s. av. n. è. ont été fouillés (Rancoule 1970 et 1980). La cuisson est essentiellement réalisée en atmosphère réductrice (Rancoule 1970, p. 44).
5Ces ateliers, dont la production débute dès la première moitié du Ier s. av. n. è., ne correspondent qu’à une première étape dans la romanisation. Certes, les imitations de formes italiques sont nombreuses, mais il ne s’agit pas d’une production de type italique, d’autant plus qu’au cours de l’époque augustéenne, les types locaux prédominent. De nouvelles observations seraient à réaliser afin de mieux appréhender l’aspect de ces vases, en particulier discerner les productions du début du Ier s. av. n. è. des productions augustéennes.
6Le groupe d’ateliers de Bram (fig. 1, n. 3) qui fabrique essentiellement des céramiques communes et des présigillées, est en cours de publication par M. Passelac.
7Le four du Tinal d’Abrens à Laure-Minervois (fig. 1, n. 8), fouillé entièrement, est daté de la fin du Ier s. début du IIe s. de n. è. (Passelac 1996a et b, p. 372, fig. 7 et Gallia XVII, 1959, p. 457). La production correspond essentiellement à des céramiques communes : urnes à bord triangulaire et pâte souvent bicolore. Il n’est pas exclu que cet atelier soit d’origine augustéenne. Il faut noter l’absence d’imitation de céramiques africaines qui atteste soit une datation antérieure à la fin du Ier s. av. n. è., soit d’un atelier à différencier des ateliers de brune orangée biterroise.
8Plusieurs ateliers de petites dimensions correspondent certainement à une production pour une consommation locale, mais certains vases ont pu faire l’objet d’une diffusion jusqu’au Narbonnais. L’atelier de Villarzens (commune de Bram), signalé par M. Passelac, produisait des céramiques communes à pâte claire. Les ateliers de présigillées comme l’Oustalet (Fleury d’Aude) (fig. 1, n. 17) mais aussi Jouncas (Luc-sur-Orbieu) (fig. 1, n. 9), Cammazou (Villeneuve-la Comptal) (fig. 1, n. 4) ne produisaient pas seulement des présigillées, mais aussi des céramiques communes et parfois des matériaux de construction (Passelac 1992 et 1996, p. 212-213). Les productions augustéennes concernent tout particulièrement les pâtes claires et sableuses. Sur la commune de Cailhavel (fig. 1, n. 5) : « On distingue les traces très apparentes de plusieurs fours de potiers enfouis (cendre, briques, tegulae ou poteries agglomérées) » (Gibert et al. 1970, p. 134). Un moule pour les sigillées a également été découvert (Gibert et al. 1970, p. 135 et fig. 2, p. 137) : « moule en céramique bien cuite très fine de couleur brique orangé. Il s’agit d’un fragment de gobelet tronconique probablement muni d’un pied annulaire, décoré d’arboréides volutés surmontés d’oiseaux opposés, limité en haut et en bas d’une série de points ». À Carcassonne, le petit atelier rural de Conardis (fig. 1, n. 6) aurait produit des céramiques à pâte fine claire (Passelac 1996a et b, p. 369). À Laurabuc, la villa de Sarrazy (fig. 1, n. 7) possédait un petit four rural produisant des urnes ovoïdes à rebord horizontal interne (Passelac 1996a et b, p. 370).
9À La Pomarède (fig. 1, n. 11), deux fours ont été repérés dont un en 1956 « à voûte circulaire effondrée, en béton grisâtre qui communiquait par des conduits de chaleur avec des bacs construits de la même façon » (Gallia XVII, 1959, p. 459). À Villerouge-la-Crémade (fig. 1, n. 14), un atelier « précoce » aurait produit des céramiques communes et des tegulae (information R. Sabrié). De même, à Palaja (fig. 1, n. 10), serait attestée une production de céramiques communes (Passelac 1996a et b, p. 363). Sur le versant sud de la Montagne Noire, à Villespy, au lieu-dit Le Téoulet (fig. 1, n. 15), des céramiques culinaires du Haut-Empire seraient produites (Passelac 1996a et b, p. 370).
10Dans les cahiers Rouzaud avaient été signalés les ateliers de Sallèles, Saint-Marcel, mais aussi d’autres lieux comme Sigean/La Grange Neuve (fig. 1, n. 16), Olonzac, Sira, Tourouzelle, Roubiac ou Pouzols.
11À Montréal, (fig. 1, n. 18), deux fours de potiers sont signalés au tènement l’Estrade, mais il s’agit sans doute de fours de tuiliers (Bulletin de la Société d’Étude Scientifique de l’Aude 1961, p. 17).
12À Vignevieille, (fig. 1, n. 19), « Au lieu-dit les Rosiers, traces d’un grand four de potier romain dont les voûtes, actuellement comblées, étaient intactes. On y trouve des tegulae marquées de deux lettres. Il n’en a été conservé aucun exemplaire » (Gibert et al. 1970, p. 144).
13Plusieurs fours sont attestés sans découverte ou description du matériel. C’est le cas de Bizanet (Solier 1970, p. 115), au lieu-dit « Al Goulidou », à 250 mètres environ de la localité, où ont été trouvés des restes réduits d’un four antique dont le pourtour était jonché de tuiles. Aucun mobilier n’a été décrit. De même, au nord du village de Cavanac, lieu-dit le Touron, se trouvent des substructions romaines et deux fours découverts en 1891 de 2 m de diamètre (Bulletin de la Société d’Étude Scientifique de l’Aude, P.V. 19 janvier 1947, 1948, p. 46-47). Des fours auraient également été trouvés à Félines-Minervois (Revue d’Études Anciennes 1889, p. 158)
14La région biterroise a une tradition céramique ancienne comme en témoigne l’atelier de Magalas (Mauné, Sanchez 1999). À l’époque romaine, de nombreux fours de potiers sont attestés et produisent des sableuses oxydantes appelées Brune Orangée Biterroise (B.O.B.). Le répertoire de cette série intègre des formes locales mais également des imitations de céramiques africaines de cuisine qui ont été peu diffusées malgré leur proximité avec la zone narbonnaise. La thèse de S. Mauné (Mauné 1996) sur le secteur nord-oriental de la région de Béziers fait le point sur ces productions. L’étude récente de J. Guerre (Guerre 1997 ; Guerre 2006) sur l’atelier de Capitou à Servian (fig. 1, n. 23) et sur les ateliers de Brune Orangée Biterroise (B.O.B.) a approfondi ces recherches. Dans la région de Béziers, les ateliers de Brune Orangée Biterroise (B.O.B.) répertoriés se trouvent sur les communes de Boujan-sur-Libron (fig. 1, n. 24-26), Servian, Corneilhan, Laurens, Béziers, Tourbes (Mauné 1996) et Mas de Bourgade/Capitou (Guerre 1997).
2. Les ateliers proches de Narbonne
15Plusieurs ateliers sont connus dans la périphérie proche de Narbonne, soit à moins d’une vingtaine de kilomètres de l’agglomération.
16L’atelier de Sallèles d’Aude constitue un point de référence essentiel par le dégagement des structures et la publication du matériel découvert (fig. 1, n. 12). Outre des matériaux de construction, la production concerne essentiellement les céramiques communes à pâte claire et les amphores gauloises 4 (Laubenheimer 1990a et 2001). Ces céramiques à pâte claire sont représentées par trente-sept formes, essentiellement des cruches (fig. 12) mais aussi des coupes et des couvercles. L’époque augustéenne reste mal représentée.
17Plusieurs autres fours de potiers sont repérés dans la région de Sallèles (fig. 1, n. 13) : Sainte-Foi (commune de Saint-Marcel), Teulière, Jasses, Joncasse, mais on ne connaît rien de leur production. À Saint-Marcel, au tènement Sainte-Foi (coteaux de Maurin) ont été signalés des fours antiques importants, d’abondants déchets de fabrication, des tegulae déformées, des imbrices collées entre elles pendant la cuisson, des morceaux d’argile vitrifiés et de nombreux tessons de vases (Laubenheimer 1985, p. 101). Il s’agit d’un centre de fabrication faisant pendant, sur la rive droite de la Cesse, aux fabriques de la rive gauche, Sallèles d’Aude. Les rebuts de cuisson concernent particulièrement les tuiles et quelques fragments de communes. Les poteries fines permettent de dater cet atelier du Haut-Empire et son abandon au cours du IIe s. de n. è. (sigillées sud-gauloises tardives, céramiques africaines de cuisine de type Hayes 23B).
18Sur la villa de Pech Redon (Guiraud 1987), dans la Clape (fig. 1, n. 21), un four (fig. 3) a été découvert ainsi que les vestiges d’une production originale : des cruches à deux anses à pâte claire et des gourdes. Ces gourdes ont pour particularité d’être connues exclusivement sur ce site (fig. 4). Le four produisant cette série est non seulement de dimensions modestes, mais reste isolé dans l’habitat. Les productions à pâte calcaire proviennent d’un domaine dont la production paraît être spécifique.
19À Sigean, un atelier d’amphores gauloises et de céramiques communes à pâte calcaire est connu au lieu-dit La Grange-Neuve (fig. 1, n. 16) et se trouve à proximité immédiate de la voie domitienne aujourd’hui représentée par la RN9 et de l’étang de Bages/Sigean. Signalé pour la première fois par F. Laubenheimer (Laubenheimer 1985, p. 117-120), ce four de potier est bien délimité en surface et spécialisé dans la production de cruches et d’amphores. L’emprise du site, caractérisée par une abondance de débris céramiques mêlés à une terre cendreuse se distingue de manière très nette sur le terrain. Parmi ces débris céramiques, se trouvent quelques fragments de ratés de cuisson, ainsi que de parois de fours. En dépit de l’abondance des fragments présents sur la parcelle, des concentrations s’avèrent particulièrement perceptibles : les fragments de tegulae, d’amphores gauloises sont indénombrables. La céramique commune claire (production) est représentée par trois tâches bien délimitées, alors que la céramique sableuse oxydante, plus éparpillée est moins abondante. Le mobilier récolté consiste essentiellement en fragments d’amphores gauloises et quelques surcuits de tegulae. Des indices chronologiques nous sont fournis par la présence de sigillée sud-gauloise, de sigillée claire A et de céramiques africaines de cuisine attestant une fréquentation du site entre le Ier et le IIIe s. de n. è. Nous avons donc ici vraisemblablement un atelier de potiers utilisé entre le Ier s. et le IIIe s. de n. è., spécialisé dans une production standardisée de matériel de stockage (amphores, amphorettes, mais aussi probablement céramiques communes, voire tegulae). Cet atelier devait fournir un ou plusieurs domaines d’exploitation viticoles environnants1. Il reste à localiser l’emplacement de l’habitat lié à ces fours.
20Cet atelier proche du littoral n’est pas sans rappeler le site du Bourbou, à Loupian, où une production d’amphores gauloises 4 et de céramiques communes a été récemment mise en évidence (Pellecuer 2000). Aucun élément ne nous permet de faire remonter la date de cet atelier de la Grange-neuve avant le Ier s. de n. è., mais, en l’absence de fouilles, il n’est pas exclu qu’il puisse exister, comme à Sallèles d’Aude, une production de céramiques communes dès le règne d’Auguste.
3. Les ateliers urbains
21Des témoins indirects de production ont été trouvés dans différentes fouilles narbonnaises. Plusieurs séparateurs dans le quartier de Razimbaud (fig. 5 et fig. 6, n. 1), dans l’US 7111 de la Médiathèque (4,6 cm de haut pour un diamètre de 11,2 cm et une épaisseur de paroi de 1,2 cm : fig. 6, n. 2) et à Port-la-Nautique (fig. 6, n. 3) ou de probables cales au Tassigny (fig. 6, n. 4 et 5) et rue Beaumarchais (Sanchez, Sirventon 2000, p. 79). Les deux crapaudines (fig. 6, n. 6 et 7) découvertes dans le puits du Tassigny pourraient appartenir à des tours (Falguéra 1997). Le creusement de tranchées anti-chars du Boulevard 1848 à Narbonne ont révélé la présence de bassins et d’un four interprétés comme des témoins d’une production céramique (fig. 7). Les relevés originaux des bassins avaient heureusement été gardés par M. Guy et déposés aux Monuments Historiques. Les bassins sont décrits comme « creusés dans le terrain naturel calciné, parois recouvertes d’argile bleue, comblés par des terres calcinées et des fragments de tegulae, amphores, briques… (fragments de Graufesenque). Des fragments de tegulae sont faits de la même argile qui recouvre l’ensemble des cuves. Tegulae empilées horizontalement sur 25 cm, peut-être un mur ou four ? » (Guy inédit). Le relevé permet d’évaluer un côté de ces cuves à 6,5 m. En 1945, M. Joucla a pu observer un four construit en tegulae et en moellons ainsi que deux petits fours jumelés. Aucun mobilier ne permet d’affirmer que ces fours ont pu produire des céramiques communes. La zone de l’actuel Boulevard 1848 est donc certainement un quartier où l’artisanat céramique s’est développé durant l’Antiquité.
22Ainsi, seul le site de la Mayrale (fig. 1, n. 20) (nord-ouest de la ville) fouillé par Y. Solier livre des données archéologiques exploitables sur les productions de céramiques communes à Narbonne :
23« Des travaux de nivellement effectués en 1981 au lieu-dit Badens ont conduit M. Y. Solier à entreprendre une fouille de sauvetage dans cette partie de la ville antique, située au delà de la nécropole occidentale. (…) un atelier de potier dont la période de production s’étend tout au long du Ier s. Le fouilleur a pu relever l’emplacement de quatre fours, trois dépotoirs, deux fosses à sable, un bassin et les restes d’un bâtiment » (Gallia, 41, 2, 1983, p. 506).
24Malgré une destruction massive des vestiges due aux engins mécaniques, plusieurs structures ont pu être observées (fig. 8) : quatre fours, trois dépotoirs, deux fosses à sable, un bassin et des restes d’un bâtiment (Gallia 41, 2, 1983, p. 506). Dans l’urgence des travaux, seul le four 1 a fait l’objet d’une fouille : conservé sur une hauteur de 0,40 m, il est de forme circulaire (1,32 m de diamètre) avec un conduit de chauffe d’1,90 m orienté nord/nord-est. La construction se composait de briques et tegulae fragmentaires revêtues par un enduit d’argile rubéfiée. Le sol, rubéfié sur 2 cm d’épaisseur, était encore parsemé de bois brûlé. Le four s’organisait autour d’un pilier central et aucun reste de sole ne nous est parvenu. Le conduit de chauffe qui tend à se rétrécir, aboutissait à une fosse d’accès de 1,50 m de diamètre contenant des cendres et du bois carbonisé. Son côté sud-est était bordé par une rangée de tegulae.
25Ce four 1 reste proche, par sa forme, des types indigènes de la Lagaste. Par contre, le four 3 pouvait être recouvert par des voûtains maçonnés, au vu des blocs de grès et de calcaire découverts à son emplacement. Il reste peu de vestiges de ce dernier four excepté l’empreinte de la couche rubéfiée (18 m2) et un soubassement rectangulaire (1,50 x 1,75 m) en tegulae liées au mortier portant l’empreinte de moellons arrachés. Les autres fours ont été repérés par les galets, la pierraille et la terre rubéfiée qui subsistaient. Au sud de la parcelle, les restes d’un bâtiment où un fond de dolium était encore observable, témoignent probablement de l’habitat de potiers. Deux importants amoncellements de sable ont également été repérés, l’un à proximité du four 1, l’autre à côté d’un dépotoir à céramique contenant essentiellement des cruches et olpés. Le second dépotoir a livré des débris de cruches et se trouve au sud-est du four 3. Le dernier dépotoir, près du bâtiment sud, a fourni des éléments de constructions : imbrices et tuyaux. Un bassin pouvait être utilisé pour la décantation des argiles : large d’1,12 m, il est conservé sur 0,30 m de hauteur et 1,60 m de long. Sa longueur totale n’a pu être évaluée. Une cloison de 7 cm de large sépare le bassin d’une canalisation.
26L’inventaire du rapport décrit comme matériel : four 1 : 14 cruches petit format, 2 cruches grand format et anses trifides, 2 marmites à lèvre aplatie, 2 amphorisques (type Vegas 61/1), 20 bols à lèvre arrondie, 4 fragments d’assiette, 4 petits couvercles. Dans la fosse d’accès ont également été trouvés un support de cuisson et une cruche à bec trilobé, déformé.
27Dans le dépotoir 1, ont été recensés : 5 petites cruches, avec une variante supplémentaire à deux anses aplaties, 25 cruches grand format, 5 marmites à bord plat, un vase à bord mouluré. Le dépotoir2 n’a livré qu’un exemplaire de petite cruche et 23 grandes.
28Le matériel a été essentiellement prélevé dans le four 1 et dans les dépotoirs. Il comprend de la céramique commune et des matériaux de construction.
29Il existe dans cet atelier une production de céramique à « parois fines » avec une pâte rouge et sableuse à bord déversé soulignée par un ou deux tores à la jonction de la panse (fig. 9) essentiellement prélevées dans la fosse attenante au four n. 1 (205 fragments, 19 fonds, 9 anses et 62 bords). La série de céramique à parois fines est homogène et correspond à des petits gobelets dont la forme est connue dans les ateliers de B.O.B. (B.O.B. G2). Elle est également à rapprocher de la forme Ricchi 1/122 (Atlante II, pl. LXXXV, 2) et des productions italiques importées à Marseille (Bonifay, Carre, Rigoir 1998, p. 84, fig. 63, n. 81-84) ou orientales (Bonifay, Carre, Rigoir 1998, p. 65, fig. 45, n. 79-80) (cf. également l’étude d’E. Pellegrino publié dans cet ouvrage). Les céramiques à pâte calcaire présentent une variété surprenante. Ce sont les bords triangulaires ou les bords arrondis qui dominent (fig. 10 et 11, n. 1 à 12). Il semble également que des amphores gauloises aient été produites (fig. 11, n. 15 à 17). La plupart des cruches (83 bords) et des amphores proviennent du dépotoir n. 1 et leur diamètre oscille entre 10 et 14 cm. Les critères de datation pour cette production sont minces : les formes de pâte calcaire et de parois fines pourraient être indifféremment du Ier ou du IIe s. de n. è. Si les formes de cruches à pâte claire (CL-REC2a et 3n) sont les plus répandues à Narbonne, il n’en est pas de même pour les gobelets, rarement attestés. Certains sont répertoriés dans des niveaux datés des années 100/175 ap. n. è. au Clos de la Lombarde (Sanchez 2004, p. 167, fig. 195, n. 7).
30Cette découverte nous apporte des éléments de réflexions sur de multiples points. Tout d’abord, sur l’existence d’une zone artisanale proche de la ville. Ensuite, malgré un mauvais état de conservation, les vestiges permettent de dresser un plan de l’atelier de potiers. Les techniques de construction des fours montrent la persistance des formes indigènes.
31À Narbonne même seulement deux zones d’artisanat céramique sont donc connues (fig. 5) : au nord-est (Razimbaud) et à l’ouest de la ville (La Mayrale).
4. Remarques typologiques
32Pour la région de Narbonne, le Dictionnaire des Céramiques Antiques (VIIe s. av. n. è.-VIIe s. de n. è.) en Méditerranée nord-occidentale (Dicocer 1993) ne couvre pas toujours les spécificités locales de certaines séries du Languedoc occidental, notamment pour les céramiques sableuses à cuisson oxydante (fig. 13). Pour ces dernières et les céramiques à pâte claire, lorsqu’il s’agit de formes non répertoriées, nous avons rajouté le qualificatif de « Narbonnais » (N) pour les différencier des catégories du dictionnaire.
- Céramiques à pâte claire
33Les céramiques communes à pâte claire qui représentent 5,2 % des fragments de vaisselle à la fin du IIe s. av. n. è., sont à partir d’Auguste à peu près en égalité avec les céramiques communes culinaires à cuisson oxydante. Pour Narbonne, nous avons utilisé la classification des claires récentes du Lattara 6 (Dicocer 1993, p. 222-243). Elles sont essentiellement représentées par les cruches à bord simple à fond ombiliqué et anse surélevée (CL-REC1a) aux IIe/Ier s. av. n. è. (fig. 15). Dans la seconde moitié du Ier s. av. n. è. et la première moitié du Ier ap. n. è., ce sont les cruches CL-REC2a (bord triangulaire) qui dominent, puis, au cours des IIe/IIIe s. la forme CL-REC3n (bord arrondi). Durant l’Antiquité tardive, elles sont moins abondantes et la forme privilégiée est devenue la cruche à bord mouluré (CL-REC4).
34Nous présenterons (fig. 12) les éléments de classification du dictionnaire Lattara 6 (Dicocer 1993) et les équivalences avec les formes les plus fréquentes à Narbonne de l’atelier de Sallèles d’Aude (Laubenheimer 1990a).
- CL-REC 2g : Sallèles A7, Laubenheimer 1990a, p. 120-121. État III (30/50)
- CL-REC 2j : Sallèles A3, Laubenheimer 1990a, p. 119. État III, (20/60)
- CL-REC 3n : Sallèles A1, Laubenheimer 1990a, p. 118. État III (20/60)
- CL-REC 4c : Sallèles A11, Laubenheimer 1990a, p. 123. État III (20/60)
- CL-REC 4d : Sallèles A11, idem
- CL-REC 6c : Sallèles A4, Laubenheimer 1990a, p. 119. État II et III (première moitié du Ier s.).
- CL-REC 7g : Sallèles A13, Laubenheimer 1990a, p. 123 et 125. II/IIIe s.
- CL-REC 7f : Sallèles A12, Laubenheimer 1990a, 123 IIIe, et A14 voir Laubenheimer 1990, 125. IIe
- CL-REC 9e1 : Sallèles A15, Laubenheimer 1990a, 125. État III (20/60)
- CL-REC 9i : Sallèles A17, Laubenheimer 1990a, 126. État III (20/60)
35Plusieurs formes de pâte claire sont des importations. Par exemple, un vase entier contenant des arêtes de poisson a été découvert enfoui dans la vase du débarcadère de Port-la-Nautique (fig. 14, n. 5). Par sa forme (pot à deux anses), le récipient aurait été interprété en fouilles terrestres comme vase de stockage. Cette forme à bord très évasé est assez rare et correspond plus particulièrement à la conservation de la saumure en petite quantité puisqu’à Pompéi, dans la maison de C. Giulio Polibio, ce même type de vase contenait encore des résidus de garum (Castiglione Morelli 1996, p. 110 fig. 7, n. 7 et p. 111). Cet exemplaire est d’ailleurs attesté dans des contextes portuaires (Marty 2002, fig. 10, p. 213). On remarque aussi la présence de « gibrellas » (fig. 14, n. 6) qui sont interprétés comme des pots de chambre (Bouet à par.).
- Céramiques sableuses oxydantes
36Les céramiques sableuses oxydantes constituent la série la mieux représentée à partir d’Auguste jusqu’au IIIe s. de n. è. Apparues autour des années 50 av. n. è., elles ne diminuent qu’à partir de l’Antiquité tardive. Elles se caractérisent par une pâte granuleuse avec des dégraissants de quartz et de mica (Sanchez 2004, p. 178). Le répertoire des formes est, pour une grande partie, inspiré des types italiques (fig. 13).
- SABL-O(N) A1 : pot à bord triangulaire et ressaut interne pour déposer une couvercle.
- SABL-O(N) A1a : la forme la plus courante est l’urne, sans col marqué, à lèvre à section triangulaire et fond plat : cette variante correspond au méplat horizontal.
- SABL-O(N) A1b : cette variante a un méplat légèrement incliné vers l’intérieur.
- SABL-O(N) A2 : pot à bord déversé simple continu.
- SABL-O(N) A 3 : pot à bord déversé simple avec un léger méplat.
- SABL-O(N) B1a : le répertoire des formes est, pour une grande partie, inspiré des types italiques, en particulier les caccabus à bord à marli.
- SABL-O(N) B1b : variante plus profonde.
- SABL-O(N) C : tous types de plats.
37Le répertoire de ces sableuses oxydantes présente des similarités avec le site de Benevento en Campanie (Cipriano, Di Fabrizio 1996) par la présence de pots à bord triangulaire et à ressaut interne, de marmites à marli et de plats qui caractérisent le faciès narbonnais.
- Céramiques sableuses réductrices
38Cette catégorie à cuisson réductrice est proche des céramiques culinaires oxydantes vues précédemment. En effet, la pâte présente le même aspect et les mêmes dégraissants. Malgré quelques formes communes, le répertoire est cependant différent. On observe que, vers 40 av. n. è., peu de fragments peuvent correspondre à cette catégorie. À l’époque augustéenne, quelques exemples sont attestés. Durant le Ier s. de n. è., elle est un peu plus présente. Il s’agit finalement d’une catégorie qui n’est nulle part aussi mal représentée qu’à Narbonne où les céramiques culinaires sont majoritairement à cuisson oxydante. De rares formes sont équivalentes aux productions sableuses en Languedoc oriental (typologie de Dicocer 1993, inexistante pour le Languedoc occidental). Pour le Narbonnais, il s’agit des formes de cruches-bouilloires à bec tréflé de type F1 ainsi que des urnes carénées à panse surbaissée.
- SABL-R(N) A1 : La forme A1 des communes oxydantes est quasiment inexistante en version réductrice.
- SABL-R(N) A2 : Bord déversé simple biseauté.
- SABL-R(N) A3 : Bord déversé épaissi, horizontal.
- SABL-R(N) A4 : Bord simple déversé, carène marquée.
39Cette forme, produite soit en céramique commune réductrice (pâte assez dure), soit en céramique non tournée micacée apparaît à l’époque augustéenne et est présente durant tout le Ier s. de n. è.
40-SABL-R(N) A10 : urne à bord en amande (imitations COM-IT1B ?)
41Nous sommes donc bien en présence d’une catégorie à différencier des ateliers des communes oxydantes car les formes communes aux deux répertoires sont rares.
42Il est possible que ces cruches-bouilloires trilobées correspondent à des imitations de vases produits dans la vallée du Rhône. Un exemplaire a d’ailleurs été trouvé sur l’atelier de la Mayrale dans une fosse attenant au four 1. Leur rareté à Narbonne, alors qu’elles sont considérées comme des imitations de vaisselle métallique italique, pourrait être interprétée comme une spécificité de la colonie qui utilise sans doute en grande quantité des vases en métal.
- Céramiques non tournées de la région de Narbonne
43La céramique non tournée de la région de Narbonne connaît une évolution simple (fig. 13). Pour les IIe /Ier s. av. n. è., la céramique non tournée reste dans la lignée des céramiques protohistoriques. Il s’agit essentiellement de pots peignés portant parfois à la jonction col/panse un décor d’ondes ou d’incisions et de coupes à fond plat et bord interne. Ce type de mobilier est tout à fait comparable à celui de la Lagaste pour la même période avec le profil en S, le peignage, les décors ondés et les incisions qui caractérisent cette production (comparer Rancoule 1984, fig. 14 et la planche 2). Il s’agit d’une pâte grise, avec un dégraissant moyen assez régulier. La plupart des vases sont bien finis et on observe des variantes dans les dimensions. Les vases portent des traces de passage dans le feu, laissant peu d’exemplaires pour le stockage. Au cours du Ier s. av. n. è., il semble que l’aspect des pâtes change puisqu’on trouve plutôt des vases à pâte marron, moins bien finis. Il ne s’agit plus de céramiques résiduelles ou d’une résistance de quelques ateliers dans la continuité des céramiques protohistoriques. C’est un phénomène peu important qui ne représente que 0,30 % de la vaisselle. Les formes peuvent être traditionnelles (pots simples) ou dérivées de modèles tournés contemporains (pot bas caréné= SABL-R(N) A4). Quelques originalités en céramique non tournée peuvent aussi exister et montrent que des importations sont présentes dans cette catégorie commes le pot 14 en céramique modelée du Var (fig. 14, n. 2 et Pasqualini 1996, p. 295) ou encore plusieurs vases originaux d’origine indéterminée découverts à Port-la-Nautique (Sanchez en cours). Une « tasse » découverte à Razimbaud correspond également aux gobelets étudiés dans cet ouvrage par F. Marty (Sanchez, Sirventon 2000, p. 94, fig. 84). Il existe parmi la céramique non tournée une série à gros grains de mica, qui reste une production très ponctuelle car elle concerne essentiellement la seconde moitié du Ier s. et surtout l’époque augustéenne. Présente en particulier à Peyriac-de-Mer, elle se caractérise par un abondant mica de gros module (environ 1 mm). Quelques fragments se retrouvent à Narbonne. Les formes les plus courantes sont le pot caréné de petite dimension qui existe aussi en « celtique » et le pot à bord déversé simple. Aucun décor n’a été constaté.
- CNT-LOC U7b (bord arrondi). Profil en S, bord simple, col lissé, panse peignée. Rancoule 1970, fig. 14, n. 3 (-100/-50)
- CNT-LOC U7d Rancoule 1970, fig. 14, n. 2 (-100/-50)
- CNT-LOC U9 (pot bas caréné= SABL-R(N) A4)
44Cette série qui définit toutes les « urnes basses à panse carénée et col bas » a été élaborée pour des exemplaires des VIIe/Ve s. av. n. è. (Dicocer 1993, p. 289). Cette description est applicable pour une production récente qui apparaît à l’époque augustéenne et se poursuit durant sur tout le Ier s. de n. è. Il s’agit de pots carénés à col lisse.
- CNT-LOC C (coupe basse à bord épaissi)
- CNT-LOC E (couvercles)
5. Faciès de consommation des céramiques communes à Narbonne
45Globalement, parmi les formes de céramiques communes, les pots représentent en moyenne 20 % de la vaisselle, et ces proportions sont stables à toutes les périodes. Dans la région de Narbonne, les couvercles sont rarissimes au cours du IIe s. av. n. è., sauf en céramique italique et de toute évidence accompagnent les plats et rarement les ollae. Les plats sont d’ailleurs toujours attestés surtout vers 75/40 av. n. è. Les marmites et les plats suivent une progression constante pour se stabiliser après les années 40 de notre ère. L’importance de ces formes (8 à 10 % de marmites et autour de 14 % de plats) différencie le faciès narbonnais. Le faible nombre de jattes s’explique sans doute par l’intégration très tôt des mortiers importés d’Italie dès la fin du IIe s. av. n. è. Les cruches augmentent clairement vers 30 av. n. è. et deviennent majoritaires sur l’ensemble de la vaisselle.
- Fin du IIe s. av. n. è.
46À la fin du IIe s. av. n. è., la céramique commune est majoritairement non tournée. Deux formes constituent l’essentiel du répertoire (fig. 13) : les urnes à col lissé et panse peignée (CNT-LOC U7) et les coupes à bord épaissi à l’intérieur (CNT-LOC C). Ces types sont bien connus dans les ateliers de La Lagaste et il est possible qu’ils aient fait l’objet d’une diffusion jusqu’à Narbonne comme les céramiques grises lissées couramment appelées « celtiques ».
47Bien que rarement attestée en Languedoc, les céramiques non tournées de Marseille sont présentes dans tous les ensembles de la fin du IIe s. av. n. è. Il s’agit de caccabé bien reconnaissable à leur bord en gouttière et à la pâte fortement chargée en grains blancs régulièrement répartis (CNT-MAS : fig. 14, n. 1).
48Les importations italiques complètent le répertoire culinaire de cette période avec des fomes inconnues dans le répertoire local comme les mortiers (COM-IT 8 : fig. 14, n. 7) et les plats (COM-IT 6). Plusieurs urnes à bord en amande sont également importées (COM-IT 1B : fig. 14, n. 3).
49Les céramiques à pâte claire sont présentes, mais en assez faible proportion. Il s’agit de cruches à fonds ombiliqués et à anse surélevée. Ces formes sont bien connues dans la région durant l’époque protohistorique et existent également dans le répertoire ibérique. Le fait que nous soyons en Languedoc occidental fait entrer en ligne de compte des circuits commerciaux différents où l’influence massaliète, si importante pour le Languedoc oriental, est très atténuée. La lignée entre les pâtes claires récentes et les claires massaliètes n’est pas applicable pour notre région. Au cours des IIe/Ier s. av. n. è., il est fort probable que les formes restent dans la tradition des vases « ibéro-languedociens » eux même influencés par la colonie d’Emporion.
- Début du Ier s. av. n. è.
50Cette période est malheureusement la plus difficile à cerner. Si nous prenons l’exemple du site de l’Illette à Peyriac-de-Mer, daté vers 75 av. n. è., cette phase correspond au moment de la plus grande diffusion des céramiques culinaires italiques avec un grand nombre d’urnes à bord en amande (fig. 14, n. 3), des plats et quelques mortiers. Les céramiques non tournées semblent devenir anecdotiques dès cette période. Au début du Ier s. av. n. è., les céramiques à pâte claire restent peu nombreuses.
- Seconde moitié du Ier s. av. n. è.
51Durant cette phase s’opèrent les plus grands changements. Le développement des ateliers locaux fait apparaître des formes nouvelles qui caractérisent le faciès narbonnais. On aurait pu croire, vu le succès durant l’époque précédente des ollae à bord en amande, que cette série serait reprise par les ateliers régionaux. Il n’en ait rien. Bien au contraire apparaît une forme nouvelle caractérisée par une bord triangulaire et un ressaut intérieur. Cette forme semble cependant dérivée de modèles italo-grecs antérieurs et l’attestation la plus ancienne est donnée par l’épave Riou 3 datée des années 110/80 av. n. è. et qui serait d’origine africaine (Long, Ximenès 1988‚ p. 179, fig. 18). Elle est également connue à Ostie (Ostia II, 1970, p. 95, tav. XXVII, fig. 401-2 et tav. XXIII, fig. 416 et Ostia III, 1977, p. 422, 432-433, tav. XLIII, fig. 340) et Gabii. Nous pouvons également supposer que l’installation des vétérans de la Xe légion en 46/45 av. n. è. est peut être à l’origine de l’intégration de cette forme exogène qui est également attestée dans les secteurs miniers de la vallée de l’Aude (Gorgues 1998). Pour connaître l’origine géographique de la production de ces sableuses oxydantes, des observations pétrogrographiques ont été réalisées par F. Convertini2. Sur cinq echantillons sélectionnés dans des niveaux augustéens, les mêmes inclusions sont observées : quartz, feldspath, carbonate, un peu de mica blanc et l’argile proviendrait des terrains tertaires continentaux du Minervois.
52À coté de cette olla, que nous avons classée en Sableuses Oxydante Narbonnaise de type SABL-O(N) A1, en référence à son équivalent plus tardif biterrois (Brune Orangée Biterroise A1), l’autre forme la plus fréquente est la marmite à bord à marli SABL-O(N) B1. Cette forme d’origine italique est largement répendue en Gaule. À côté de ces deux principales formes, quelques plats sont également produits, mais les importations italiques restent privilégiées. Aucune production de céramiques communes imitant les formes italiques n’existe au contraire des régions plus occidentales ou septentrionales.
- Ier s. de n. è.
53Les formes apparues au cours du Ier s. av. n. è. sont largement produites, mais la région de Carcassonne/Bram constitue l’extension maximale du faciès narbonnais vers l’ouest. Les urnes SABL-O(N) A1 sont majoritaires et, au cours de ce siècle, débute une évolution intrinsèque de cette forme avec une inclinaison du replat supérieur, qui était parfaitement horizontal à l’époque augustéenne. Les urnes cinéraires de cette période sont essentiellement ces formes A1 qui se retrouvent également dans les tombes d’Ampurias. Les céramiques à pâte claire constituent la part majoritaire de la céramique commune avec des ateliers comme Sallèles d’Aude qui produisent non seulement de la vaisselle de table, mais également des récipients de stockage et des mortiers. La grande quantité de vases fermés laisse supposer qu’ils constituent une part des céramiques de transport et de stockage. Quelques céramiques sableuses à cuisson réductrice sont également présentes, mais en faible quantité. Dans le seconde moitié du Ier s. de n. è., les premières importations de céramiques africaines apparaissent notamment les forme Ostia II, fig. 303 et 306.
- IIe/IIIe s. de n. è.
54Apparues dès la fin du Ier s. de n. è., les céramiques africaines de cuisine sont présentes en grande quantité à Narbonne durant tout les IIe/IIIe s. de n. è. La céramique commune est maintenant représentée, pour la cuisine, à côté des formes A1 traditionnelles, par des marmites Hayes 197 et leur couvercle Hayes 196. Les céramiques à pâte claire et les sableuses oxydantes représentent respectivement 37,7 et 38,8 % du total, tandis que les céramiques africaines de cuisine constituent 15,1 % en nombre d’individus. Le changement commercial, que l’on met clairement en évidence avec les amphores gauloises et africaines, est donc également très bien illustrée avec la vaisselle. Des modifications dans la cuisson sont visibles pour les sableuses oxydantes. La pâte devient plus dense, plus cuite et sa partie centrale est parfois noire. Le seul atelier audois produisant des formes de sableuses oxydantes similaires à celles de Narbonne pour le IIe s. de n. è. est celui du Tinal d’Abrens à Laure-Minervois (Passelac 1996a et b). Cet atelier produit des formes classiques du répertoire narbonnais et, malgré sa datation, n’a pas livré d’imitations de céramique africaine de cuisine. Ainsi, pour le Languedoc occidental, les imitations de vaisselle africaine sont inexistantes alors qu’elles sont extrêmememt fréquentes dans la région biterroise. La situation portuaire de Narbonne peut expliquer cette différence : la facilité d’approvisionnement en produits méditerranéens ne motive pas le développement d’imitations.
- IVe /Ve s. de n. è.
55Durant l’Antiquité tardive, le faciès narbonnais qui était jusqu’à présent bien caractérisé par une majorité de céramique à cuisson oxydante se modifie au profit de céramiques à cuisson réductrice et non tournées. Ces dernières représentent au Clos de la Lombarde 25 % des vases et sont essentiellement des plats à bord convergents. Les communes réductrices qui prennent le relais des oxydantes dans la batterie de cuisine sont des ollae à bord simple et des assiettes. Quelques céramiques à pisolithes du Languedoc oriental sont attestées, mais en faible quantité. Parmi les importations, les mortiers sont probablement originaires d’Afrique du Nord (Cathma 1991 et fig. 14, n. 9).
6. Conclusion
56Les fouilles à Narbonne et dans sa région ont permis de faire une analyse synthétique des céramiques communes dans une chronologie large (IIe s. av. n. è. /Ve s. de n. è.) et de dégager les grandes tendances évolutives. Les céramiques communes de Narbonne sont des marqueurs des changements profonds qui affectent cette zone privilégiée pour les contacts entre les mondes ibériques, italiques, continentaux et aquitains. Pour les phases les plus anciennes, antérieures à la première colonie, des céramiques communes importées montrent l’utilisation, à côté du répertoire local traditionnel (pots, coupes, jattes), de récipients culinaires spécifiques (caccabé, plats, mortiers…).
57Autour des années 100 av. n. è., l’importance du mobilier italique pour des formes culinaires aussi courantes que les ollae est un bon marqueur de la présence de populations exogènes. Après le milieu du Ier s. av. n. è., le développement des ateliers locaux marque une étape dans la romanisation avec une structuration des productions et l’apparition de formes nouvelles qui vont caractériser le « faciès » narbonnais pour plusieurs siècles. À la fin du Ier s. de n. è., l’apparition des céramiques africaines va modifie profondémment le répertoire culinaire avec une consommation massive de marmites importées. Durant l’Antiquité tardive, le mobilier narbonnais garde ses spécificités, important peu de mobilier produit en Languedoc oriental.
58L’étude des productions et de la consommation d’une agglomération comme Narbonne témoigne des relations entre la colonie et son territoire. La rareté des influences avec le Languedoc oriental montre que les limites « culturelles » préromaines sont toujours actives, tandis que, vers l’ouest, le seuil de Naurouze constitue aussi une limite. La colonie exploite les ressources d’un arrière-pays que l’on peut circonscrire aux Corbières, au Minervois et à la Montagne Noire.
Notes de bas de page
Auteur
Chercheur, CNRS/Ausonius, UMR5607, Bordeaux 3.
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