L’atelier de potier de Portissol (Sanary-sur-mer, Var)
p. 77-93
Résumé
La fouille d’une villa du Ier siècle de notre ère a révélé la réutilisation des structures de l’habitat en officine de potier entre 270 et 340. La production de l’atelier a pu être étudiée, ainsi que son aire de diffusion. Vers 340, l’atelier est abandonné au profit d’un habitat.
Texte intégral
1. Introduction
1Le quartier de Portissol se trouve sur le territoire de Sanary-sur-mer, à quelques kilomètres à l’ouest de Toulon. Il tire son nom d’une petite calanque sur les bords de laquelle une occupation romaine est connue depuis une centaine d’années (fig. 1). Les rives de l’anse de Portissol sont extrêmement érodées. Le courant marin opère un mouvement de sape circulaire du nord vers l’est puis vers le sud, provoquant des effondrements, malgré les aménagements modernes. C’est cette érosion maritime qui a entraîné l’apparition de murs et de sols de béton au sommet des falaises qui environnent la baie, au nord, à l’est et au sud.
1.1 Historique des recherches
2Les recherches anciennes
3La première découverte de poteries et tegulae connue date de 1873 (Bonstetten 1873, p. 29). À la suite d’éboulements, en 1882, des tombes sous tegulae sont découvertes au sud de la baie1. La description des poteries correspond assez bien, tant pour les formes, la porosité, que par l’aspect général à la production mise en évidence dans les fouilles de 1996 et de 1998 sur la falaise nord, et, en 1998 également, sur la nécropole du début du IVe siècle de la place Michel Pacha dans le centre de Sanary-sur-mer. À l’extrême fin du XIXe siècle des restes de four à pilettes circulaires ainsi que des sols de béton en bord de plage supportant trois moulins en basalte sont évoqués. L’auteur attribue d’ailleurs ces vestiges à des fours domestiques dans lesquels « la petite colonie de Sanary faisait son pain » (Vidal 1897, p. 27). Il est possible que ces structures aient été situées à proximité de la nécropole, dans la falaise sud-est car l’auteur précise qu’à l’heure où il écrit ses lignes, ils sont déjà tombés à l’eau à cause de l’effritement de l’argile, or la falaise argileuse ne se retrouve qu’à cet endroit. Enfin, en 1909, la présence d’un four à céramiques et la découverte « d’une grande quantité de fragments de vases de toute sorte et surtout d’amphores à deux anses » sont clairement décrits (Bottin et Bonnaud 1909, p. 166).

Fig. 1 – Localisation du site de Portissol (Var, commune de Sanary-sur-mer) : diffusion des céramiques issues de l’atelier de Portissol. (Extrait de la carte Michelin no 84 au 1 : 200 000 Marseille-Menton, 1968).
4En 1966, suite à des travaux d’élargissement de trottoir un sondage est effectué sur la falaise nord, au droit des propriétés « Le Perchoir » et « Mas Bressol »2. C’est à cette occasion que fut trouvé un moule de médaillon de lampe à huile représentant Diane sur un cerf galopant faisant la preuve de l’existence d’une officine de potier gallo-romain à Portissol (fig. 2) (Gérard 1967, p. 21). Aux dires d’habitants du quartier, un four de potier aurait été détruit lors de la construction d’une villa dans les années 1960, à l’ouest du mas Bressol. A l’est de la zone fouillée en 1983-1985, avant la seconde guerre mondiale, deux fours à poteries avaient été repérés dans une zone aujourd’hui urbanisée.
5Les recherches récentes
6De 1983 à 1985, dans le secteur sud-est de la baie, près de la plage, une fouille de sauvetage dirigée par Henri Ribot mit en évidence d’importantes structures appartenant à deux états d’occupation : le premier concernant les Ier et IIe siècles, avec un mur de soutènement de terrasse portant un caniveau et un bâtiment à vocation agricole. Le second état date du IIIe siècle avec arasement de l’édifice initial et agrandissement en direction de la mer. C’est lors de ce second état qu’a fonctionné un four de potier dont une partie du dépotoir a été fouillée (Ribot 1985 ; Gallia Informations 1986, p. 479-480). L’ensemble a été abandonné au IVe siècle. En 1996 et en 1998, deux projets immobiliers localisés au nord de la baie, à proximité du sondage effectué en 1966 ont donné lieu à la fouille de l’angle nord-est de la pars rustica d’une villa établie dans la première moitié du premier siècle après J.-C., (phase 1), qui fut transformée en officine de potier à partir de 270 (phase 2), puis utilisée en tant qu’habitat à partir des alentours de 330, (phase 3).

Fig. 2 – Moule de médaillon de lampe à huile (photo Henri Ribot).

Fig. 3 – Plan de la phase 2 de Portissol (dessin Henri Ribot)
2. La villa romaine
2.1 Phase 1. Les débuts de l’occupation du site
7Au milieu du premier siècle de notre ère, une villa maritima se développe sur la pente méridionale de la falaise nord, qui est restée jusque là, vierge de toute occupation. L’endroit a été soigneusement choisi, à l’abri du mistral, vent dominant soufflant du nord-ouest, et face au sud où la vue s’ouvre sur un beau paysage maritime. Le substrat argilo-marneux présente une croupe orientée est-ouest et reçoit le mur repéré sur 34 mètres qui limite la pars rustica au nord. Au sud de ce mur deux espaces se développent : à l’ouest quatre pièces à sol de béton de tuileau aux parois couvertes d’enduits peints, à l’est une grande pièce à sol bétonné dans laquelle sont implantés quatre blocs parallélépipédiques, vestiges probables d’une machinerie agricole et présentant, pour trois d’entre eux, une mortaise rectangulaire. Au nord-ouest, une zone de stockage de 55 m2, composée d’au moins 18 dolia, ferme l’angle de la pars rustica de la villa. Au cours des premier et deuxième siècles, l’extension de la villa se poursuit vers le nord. La zone de stockage double de superficie. Avec la phase 1.5, la villa connaît sa plus grande extension : une cour est aménagée, limitée à l’ouest par un mur barrant le thalweg et au nord par un mur de soutènement de terrasse. L’accès à la cour se fait par un escalier de trois marches irrégulières, ouvert dans le mur ouest et que prolonge un étroit corridor (fig. 3). À partir de 270, deux nouvelles salles sont construites, au nord, dans l’emprise de la cour. L’une inclue un four domestique ovalaire construit avec de très gros fragments de dolia (8b) ; l’autre (8a), au sol bétonné et aux enduits roses donne sur la cour 8c.
2.2 Phase 2. la mise en place de l’officine de potier
8Les éléments de la chaîne de production.
9Après 280, on assiste à la transformation radicale de la destination des espaces de la villa (fig. 3). Destructions et aménagements se succèdent afin de favoriser la chaîne de production de céramiques. La partie occidentale de la pars rustica est abandonnée, la plupart des murs et la machinerie agricole sont démontés. Au centre de la cour 8c se trouve une argilière, zone d’extraction d’argile de 2,60 m de diamètre creusée dans un dépotoir des deux premiers siècles et excavée jusqu’à 3,15 m sous le niveau du sol du premier siècle. La salle 8a subit des transformations : une banquette est construite le long de son mur nord, le sol bétonné est exhaussé et un boudin d’étanchéité en quart de rond est installé à la liaison du sol et des murs. Il est possible que cette salle ait servi pour le tournage et le stockage de céramiques. L’ancienne salle 12 dotée d’un sol en béton de tuileau est transformée en bassin de décantation, muni de boudins d’étanchéité. Une ouverture trapézoïdale de 0,96 m x 1,18 m de base est pratiquée dans le mur nord, afin de permettre l’écoulement des eaux vers l’argilière qui sert donc également de puisard. En avant de l’ouverture dans le mur, la fouille a mis en évidence un sol incliné, lessivé par un important passage d’eau et constitué par des dépôts argileux qui se déversaient dans le puisard. La relation entre les deux espaces a dû se faire par l’intermédiaire d’un système de vanne, dont les éléments ne nous sont pas parvenus.
10La construction du four à céramique 2137 dans l’angle nord-ouest de la cour 8c a entraîné la destruction du four domestique ovalaire 2067, dont la moitié de la sole est arrachée et la voûte détruite (fig. 4). Le four 2137 édifié contre le mur ouest de la cour, dont les fondations ont été mises au jour, et en partie à l’intérieur du massif construit qui maintenait le four domestique, est de plan elliptique ; mesurant hors-tout 1,90 m x 0,80 m pour une hauteur conservée de 1m, c’est l’unique four pour lequel nous pouvons affirmer qu’il a servi à cuire de la céramique (fig. 5). A l’exception du sommet de la voûte, il était entièrement conservé. La sole mesure au plus large 0,83 m x 0,48 m ; elle est formée de six éléments parallélépipédiques de section carrée de 0,12 m espacés de 3 à 4 cm. La hauteur subsistante du laboratoire est de 0,58 m, ses parois latérales sont constituées de briques crues posées de chant, entières (0,52 m x 0,32 m x 0,08 m) ou fragmentées en éléments plus petits, mais toujours rectangulaires ou carrés, soigneusement appareillés. La chambre de chauffe mesure 0,32 m de hauteur à l’ouverture, pour 0,10 au fond. L’aire de chauffage présente une longueur de 1,26 m pour une largeur maximale de 0,76 m. Elle est limitée sur son pourtour par un bandeau d’argile rubéfiée de 0,10 m d’épaisseur.

Fig. 4 – Four 2137 et au fond, four ovalaire 2067 (photo Didier Martina-Fieschi).

Fig. 5 – Four 2137 (dessin Henri Ribot).

Fig. 6 – Four 2111 (photo Didier Martina-Fieschi)

Fig. 7 – Second état du four 2111 (dessin Henri Ribot)

Fig. 8 – Four 2088 (photo Didier Martina-Fieschi)

Fig. 9 – Four 2088 (dessin Henri Ribot)
11La profondeur de l’aire de chauffage atteint 0,70 m à l’entrée de l’alandier. De la cour, on accède par un seuil à une salle de travail où se trouvent deux autres fours. Cette salle est aménagée par l’arasement de l’angle d’un agrandissement de la phase 1.2 de lavilla. Les sols primitivement composés d’une chape de béton maigre sont sur creusés sur une trentaine de centimètres, voire arrachés, pour permettre la mise en place d’un couloir en pente desservant les fours 2111 et 2088 (fig. 3).
12Le four 2111 semble avoir fonctionné le premier. Dans un premier temps, sa chambre de chauffe de dimension réduite (1,24 m x 1,08 m) s’ouvre vers l’est (fig. 6). Un premier alandier débouche sur une zone d’épandage de cendres. A la suite d’un remaniement, l’entrée est murée et les dimensions du four sont portées à 3,30 m x 2,60 m. Un nouvel alandier est pratiqué dans l’ancien mur nord de la villa du premier état (fig. 7). Il semble que ce second état soit contemporain de la mise en place du four 2088 qui lui est perpendiculaire. Cette disposition a dû permettre un travail plus efficace et rendre possible la surveillance des deux praefurnium en même temps. Du premier état du four, nous ne pouvons rien dire ; par contre, du second, nous possédons des éléments de carneau portant du mortier. Le four ne possédait pas de suspensura ; la sole fortement rubéfiée ne portait aucune empreinte de pilette. Enfin, le four 2088 mesure 2,40 m sur 2 m (fig. 8) ; il est implanté dans une ancienne zone de stockage et s’insère parfaitement entre deux murs orientés est-ouest. L’alandier mesure 0,50 m de large et ouvre vers l’ouest (fig. 9). Il possédait une suspensura soutenue par 18 pilettes carrées en grès, monolithiques pour certaines, et fortement érodées par l’action de la chaleur. Les élévations de ces deux fours ont été détruites lors de la réoccupation du site et le retour à une utilisation des lieux en tant qu’habitat. Le cendrier occupe l’emplacement de l’ancienne machinerie agricole, sur une épaisseur maximale de 0,50 m. Sa mise en place a eu pour conséquences l’arrachement des quatre blocs parallélépipédiques de l’ancienne partie agricole et le surcreusement du sol en béton qui les portait. Le nettoyage des alandiers des fours et l’accès à la zone d’épandage des cendres est facilité par un accès extérieur. La circulation extérieure se fait le long des murs par deux axes de passage protégés par un auvent soutenu par des poteaux. Un autre cendrier a été repéré à l’ouest de l’officine : dix centimètres de cendre recouvrent l’ancienne zone de chai.

Fig. 10 – Bassin de décantation (photo Didier Martina-Fieschi).
13Une autre zone de décantation aujourd’hui immergée a été identifiée à quelques distances de la zone fouillée. Il s’agit d’une construction située à quelques mètres de la plage, au sud-est de la baie, et considérée au moment de sa découverte, en novembre 1983, comme un vivier à poisson (fig. 10). Orienté nord-ouest/sud-est, le bassin est constitué de quatre murs d’un mètre d’épaisseur non liés au ciment, encadrant un espace étroit de moins de 2 mètres de large sur 13 de long. Les murs sud et nord sont perpendiculaires au mur ouest ouvrant sur le large ; celui situé à l’est connaît un important rétrécissement en son milieu (fig. 11). La partie sud-est du bassin est constituée par une plate-forme de béton de tuileau limitée par deux poutres de chêne posées sur le béton. La poutre sud en bois de chêne vert saisie dans les murs ouest et est, comporte en son milieu une mortaise de 0,12 m x 0,12 m sur 0,17 m de profondeur. Elle supportait probablement un poteau dont l’utilité demeure incertaine. La poutre médiane3 en bois de chêne caducifolié marque la fin du niveau de béton. Le mur ouest présente une trace d’ancrage dans le prolongement de cette poutre. La troisième poutre, en bois de chêne vert, située vers l’extrémité nord se trouve au même niveau que les autres et était également ancrée dans le mur ouest. Le niveau de béton se situe à 0,70 m sous le niveau actuel de la mer. Les trois sondages ouverts n’ont pas permis de localiser un autre niveau de béton ; pourtant, à 2,60 m sous le niveau de la mer, donc à 1,90 m sous le sable, les murs se prolongent toujours. Le matériel archéologique récupéré dans la couche de glaise est datable des IIIe et IVe siècles de notre ère.

Fig. 11 – Bassin de décantation (dessin Henri Ribot)
2.3 La baie de Portissolà l’époqueromaine
14Il y a tout lieu de penser que la topographie du site à l’époque romaine était très différente de celle que nous connaissons aujourd’hui. La hauteur du niveau marin à l’époque romaine était, en effet, de l’ordre de 0,40 m au dessous du niveau actuel, ce qui suppose une ligne de rivage éloignée de quelques mètres (Pirazzoli, Thommeret 1973, p. 2125-2128 ; Laborel et al. 1994, p. 203-223). L’étude des blocs d’assise supérieure des murs du bassin de décantation immergé, sous le niveau de glaise, a par ailleurs révélé l’absence totale d’érosion biologique, ce qui infirme l’hypothèse d’un vivier. Enfin4, les glaises recueillies ont été déposées par temps calme ce qui semble exclure la proximité immédiate de la mer à l’époque. Elles étaient composées à 95 % de limon et d’argile, le reste étant constitué de sables : quartz anguleux et calcites, qui ont pu servir de dégraissant aux poteries. La présence d’une bande de terre ou d’aménagements anthropiques vers l’ouest, c’est-à-dire vers le large, aurait protégé la structure des assauts marins. Le trait de rivage devait donc se trouver assez loin5. La falaise nord sur laquelle s’étendait la villa du premier siècle, s’avançait loin vers le sud et a été depuis énormément érodée et le quartier artisanal mis en évidence à quelques mètres au sud en 1983 et 1985 était peut-être contigu au bassin actuellement immergé. Si les sédiments encaissants ont été imperméables et le trait de rivage suffisamment éloigné pour éviter les remontées d’eau, l’utilisation hors d’eau de la structure a été possible. On peut donc raisonnablement penser que cette structure a servi de bac de décantation à argile dans un milieu humide pour un four de potier voisin. La fouille de 1983-1985 a montré l’existence d’une canalisation maçonnée, ce qui pourrait aller dans le sens d’une adduction d’eau. Dans cette perspective la plate-forme bétonnée a pu être utilisée pour récupérer l’argile contenue dans les parties centrales et nord du bassin, la poutre mortaisée a pu alors porter un système de balancier permettant de remonter, dans un panier, l’argile décantée. Dans cette hypothèse, la bonne conservation des poutres implique nécessairement une remontée rapide du niveau de la mer peu de temps après l’abandon du secteur.
2.4 Phase 3. Le retour de l’habitat et la fin de l’occupation
15À partir de 340 l’officine ne fonctionne plus : les fours sont murés et le secteur révèle de nouveau des traces d’habitat : des foyers domestiques sont installés grâce à la réutilisation de briques des fours, des seuils sont condamnés, d’autres sont créés, des murs sont rehaussés et rebâtis. Les blocs mortaisés utilisés lors de la première phase d’occupation, servent d’assises à certains murs. L’utilisation de l’espace est modifiée. Après la phase artisanale, on revient à une phase d’habitat fondamentalement différent de la villa du premier siècle : quatre unités d’habitation distinctes et séparées sont installées avec, pour chacune, une entrée indépendante et un foyer à destination culinaire. Le secteur est abandonné vers 360 et connaît semble-t-il, une occupation éphémère vers le milieu du Ve siècle.

Fig. 12 – Ensemble de vases (photo Vincent Jacob)
2.5 La production
16La quantité de fragments recueillis et le Nombre minimum d’Individus de céramique fabriqués sur Portissol autorise une étude fiable sur la production. 1262 individus céramiques dont 208 amphores Gauloises 4 et 4a ont été récoltés dans les niveaux de la phase 2, mais aussi dans des remblais et sur des sols de l’état suivant. Les coupes de type Pasqualini 1 (01.01.000), les bassins de type 10 (01.04.000) et les amphores gauloises 4 sont les formes les mieux représentées. Pour le détail du matériel recueilli durant les différentes campagnes de fouille, nous renvoyons au tableau en annexe.
17La pâte des vases de Portissol est reconnaissable à l’œil nu (fig. 12). Issue des veines d’argile repérées notamment au fond du puisard de la cour et dans le bassin de décantation immergé au sud-est de la baie, elle fut mélangée à de fins nodules de calcite blanche de dimensions inégales (de 0,1 à 1 mm de diamètre). Elle donne, après cuisson oxydante, des vases de couleur orange clair à rosé. Les vases sont rarement recouverts d’un engobe brun à rougeâtre. La texture est fine, mate et homogène avec parfois un aspect légèrement vacuolaire, laissant sous le doigt une fine pulvérulence. La finition est peu soignée, des traces grossières de tournassage sont visibles. Les nodules de calcite laissent parfois sous l’action du tour des sillons horizontaux à la surface des vases, sans que le défaut soit corrigé. La fabrication semble bâclée, le manque de soin à la finition est peut-être représentative d’une industrie tardive, mais surtout d’une importante production utilitaire. Cette diffusion rustique semble destinée à une consommation de moindre coût, mais pas forcément rurale.
2.5.1 Les amphores
18Les amphores caractérisent une production tardive, en deux variantes, de Gauloise 4 et 4a (fig. 13, n. 2 et 3). L’amphore Gauloise 4 de Portissol possède un col court et deux anses touchant la lèvre et diffère par ses dimensions du standard narbonnais. Si elle ne se distingue pas par ses dimensions, la Gauloise 4a, possède une lèvre plus éversée, proche des amphores Dressel 30 de Maurétanie Césarienne. Les mesures du diamètre des cols forment un groupe très homogène, de 11 à 13 cm pour le type Gauloise 4 et de 9,5 à 12 cm pour le type Gauloise 4a. Quelques opercules ont également été trouvés (fig. 13, n. 1). Les fonds sont caractérisés par un diamètre très étroit (fig. 13, n. 4). Quelques fonds plats sont également présents. Leur profil est proche de celui des Dressel 30 mais il est plein (Laubenheimer 1989, p. 113). Nous n’avons pas trouvé le ou les fours fabriquant ces contenants, les fours à matériaux 2111 et 2088 pouvant toutefois avoir été utilisés à cet usage. Des amphores clairement identifiées comme issues des ateliers de Portissol ont été également trouvées sur des sites voisins (fig. 1) : à La millière, La Gorguette, l’Huide, aux Picotières et à la Tourelle 2, pour la commune de Sanary-sur-Mer, au Brusc, qui n’est autre que le comptoir commercial de Taurœntum, à la Meynade et aux Roches Blanches sur Six-Fours, et dans l’îlot Magnaque à Toulon (Duprat 1935 ; Brien 1982). Des prospections sous-marines en mentionnent au nord de l’île des Embiez.

Fig. 13 – Amphore G4 (Dessin Didier Martina-Fieschi)
19La production d’amphores Gauloises 4 à Portissol jusqu’au premier quart du IVe siècle montre l’importance de la viticulture sur le secteur, en même temps que la persistance de l’exportation maritime du vin de la région de Bandol, au moins jusque sous le règne de Constantin (Brun, Borréani 1999 p. 181). Portissol, atelier littoral de fabrication d’amphore, est certainement un maillon important dans la commercialisation de ce produit. Fabriquée sur place, l’amphore vinaire est acheminée à la propriété de l’arrière-pays pour le conditionnement, puis exportée outre-mer, probablement à partir du même site. À moins que le vin ne soit transporté dans des outres jusqu’à Portissol, pour y être directement mis en amphore et embarqué pour être acheminé par voie maritime.
20L’amphore n. 3 de la figure 14 (fig. 14) a été trouvée quasi-intacte, dans le dépôt argileux incliné qui conduisait l’eau de la zone de décantation de la salle 12 au puisard du centre de la cour. La pâte de cet exemplaire unique indique clairement une fabrication locale (fig. 12), et son utilisation, la première moitié du IVe siècle ; pourtant son profil rappelle l’amphore de Marseille de type Bertucchi 6, variante B, datable du début du Ier siècle.
21A partir de 330, la production d’amphores n’est plus attestée. Faut-il voir dans la nouvelle organisation de l’espace à Portissol une régression de la production ou plutôt la généralisation du tonneau de bois, plus pratique et plus solide, qui rend inutile l’usage de l’amphore, mais qui passe inaperçu aux yeux de l’archéologue ?
2.5.2 La vaisselle
22La céramique fine produite à Portissol reprend généralement les caractères typologiques reconnus par Michel Pasqualini (Pasqualini 1993 et infra). Le fonctionnement des fours de Portissol à la fin du IIIe siècle et au début du suivant va dans le sens de la pérennité d’un catalogue céramique déjà bien reconnu pour les deux premiers siècles de notre ère.
23Les vases ouverts sont très bien représentés (NMI : 676) particulièrement les coupes de type 1c (01.01.030) et 1d (01.01.040) (fig. 15), de type 4 (01.01.080) (fig. 16) et 5 (01.01.090) (fig. 17, n. 2 et 3). Le NMI des vases fabriqués à Portissol autorise à penser que l’atelier s’est en quelque sorte spécialisé dans un catalogue de formes bien définies : coupes à bord droit et rentrant, en amande et éversé. Les modèles réputés anciens comme la coupe de type 2 (01.01.060) par exemple, n’existent pas dans le répertoire. Trois vases que l’on peut qualifier de coupelles (fig. 18, n. 1 à 3) ainsi que huit exemplaires de coupes apodes sont également recensés (fig. 18, n. 6 à 8). Quelques marmites de type Végas 5 ont été fabriquées.

Fig. 14 – Amphore Bertucchi 6B (dessin Didier Martina-Fieschi)
24Il semble que les bassins de type 10 (01.04.010) aient été une production spécifique à Portissol : pas moins de 185 individus ont été répertoriés, mais à la différence de la typologie de Michel Pasqualini, ils sont ronds et non ovales (fig. 19). Certains bords présentent un décor ondé incisé. Trois vases de réserve possèdent un cordon digité sous leur bord bourrelé pour en faciliter la préhension. Il n’est pas impossible que de tels vases aient reçu un couvercle.
25Du fait de leur état fragmentaire, les vases fermés (NMI : 365) sont plus difficiles à caractériser à un type particulier. Un lot de 31 cruches à bord arrondi et un autre de 250 à bord mince n’ont pu être attribué de ce fait. Nous avons néanmoins observé que la cruche de type A1 (02.01.010) était la mieux représentée.
26En décembre 1998, une fouille d’urgence a été effectuée dans le centre-ville de Sanary-sur-Mer, sur la place Michel-Pacha, à proximité immédiate de l’église paroissiale, sur l’emplacement d’une nécropole d’époque romaine (Martina-Fieschi 1999b, p. 137-138). Au pied d’un gisant adulte (tombe 1001) ont été trouvées deux cruches de type C (02.05.010) (fig. 12, n. 2 et 5 et fig. 20, n. 1 et 2) utilisées comme contenants à offrandes funéraires. Il semble que ce type ait été particulièrement déposé dans des inhumations, comme dans le cas de la nécropole de la rue Marçon à Bandol, par exemple (fig. 12, n. 4). Une photo en montre une autre identique en tous points, découverte dans une tombe au sud de la baie de Portissol (Brachet et al. 1999, p. 87). Des gobelets, dont un exemplaire à une anse, et deux modèles d’entonnoir complètent cette production.
27Cette vaisselle se retrouve rue Marçon, à Bandol, au Logis-Desprats, Sainte-Trinide, La Gorguette, L’Huide, place Michel-Pacha, à l’angle nord-ouest du port, à Sanary-sur-Mer, à La Meynade à Six-Fours, à La Pinède, au Castellet et à l’îlot Magnaque, à Toulon (fig. 1) (Martina-Fieschi, Ribot 1995a, p. 117-119 et b, p. 60-63).
28Parallèlement à ces productions d’amphores et de services de table, d’ailleurs peut-être complémentaires, ont été produits des pesons servant à lester, notamment les filets des pêcheurs. Ils se présentent sous forme de galettes et sont munis de deux trous décentrés. Un exemplaire découvert anciennement comportait une tige de fer dans l’un de ses trous. Les fours de Portissol ont également produit des tegulae, une d’elles avait un évent d’aération, des tubuli et des briques. Durant la phase 3 de l’occupation du site, certaines ouvertures dans les murs, notamment l’évacuation des eaux du bac de décantation de la salle 12 vers le puisard, sont bouchées à l’aide de ces briques. La plupart d’entre elles mesure entre 6 et 10 cm d’épaisseur, et entre 26 et 32 cm de long pour une largeur comprise entre 18 et 26 cm.
29Enfin, mentionnons la fabrication d’au moins deux modèles de lampes à huile. Nous savions depuis 1966 qu’une telle fabrication existait à Portissol. Nous avons eu la chance de découvrir dans un niveau de la phase 3, un médaillon complet originaire de la production locale (fig. 21). Il s’agit d’une lampe de type Deneauve VIIIB, fabriquée dans la première moitié du IVe siècle.
3. Conclusion
30Une recherche effectuée dans le dépôt de l’établissement de Toulon du Centre Archéologique du Var, et notamment de la collection Bottin, a permis de retrouver un certain nombre de fragments de vases originaires de Portissol sur des sites archéologiques de la région. Ce repérage entraîne une modification dans la chronologie des sites concernés. En effet, jusqu’en 1996, la date de mise en place de l’officine de Portissol restait inconnue, il était donc impossible de dater cette céramique. Cette production était rattachée au groupe des céramiques communes provençales fabriquées aux Ier et IIe siècles (Brun 1977, p. 102). Le peu de matériel céramique importé durant les IIIe et IVe siècles ramassés sur les sites de Sanary et bien datable a laissé croire à une désertification du terroir durant cette époque. Certains ont mis en cause les invasions barbares, d’autres, un effondrement du marché local face à une concurrence méditerranéenne et une redistribution de l’habitat. Les fouilles de Portissol et les prospections récentes réalisées sur les communes de Sanary-sur-mer et d’Ollioules (Brachet et al. 1999 ; Martina-Fieschi 2000) amènent aujourd’hui à corriger ces hypothèses. La majorité des exploitations installées sur le territoire a en fait, continué de fonctionner durant le IIIe siècle et au moins dans la première moitié du suivant.
31À même époque, la proximité du comptoir commercial de Taurœntum, installé au Brusc (Six-Fours) (fig. 1), invite à penser que l’aire de répartition de la vaisselle, et a fortiori des amphores de Portissol, dépasse de loin la région de leur identification. Le vin de la région a probablement été apprécié bien au delà. De même, la cessation de l’activité de l’officine, attestée vers 330, ne met pas un point final à la viticulture dans la région. Elle est très certainement liée aux difficultés de commercialisation d’un produit sans grande qualité technique et à la concurrence des fabrications de tonneaux. La nouvelle destination de l’espace, à savoir un ensemble de cellules d’habitat, peut-être lié au colonat ou fréquenté par des familles de pêcheurs, s’inscrit dans une orientation économique très différente de l’industrie céramique. Elle ne nous renseigne pas sur son environnement immédiat, mais la découverte en 2000, au quartier de La Gorguette (Ribot 2001, p. 166-167) d’un pressoir à vin et d’un dolium de grande capacité, ayant fonctionné durant le Ve siècle, prouve que la viticulture reste toujours active dans la région, même si les modes d’exploitation ont changé, et, qu’elle participe au renouveau de l’occupation de l’espace à cette époque.

Fig. 15 – Coupes 1D (dessin Didier Martina-Fieschi)

Fig. 16 – Coupes 4 (dessin Didier Martina-Fieschi)

Fig. 17 – Coupes 5 (dessin Didier Martina-Fieschi)

Fig. 18 – Coupelles, coupes et coupes apodes (dessin Didier Martina-Fieschi)

Fig. 19 – Bassins 10 (dessin Didier Martina-Fieschi)

Fig. 20 – Cruches C (dessin Didier Martina-Fieschi)

Fig. 21 – Lampe à huile (dessin Didier Martina-Fieschi)
Annexe
Annexe 1


NMI des céramiques fabriqués à Portissol.
Nombre minimum d’Individus céramiques fabriqués à Portissol par sondage et par phase d’occupation.
Notes de bas de page
1 Articles du journal « Petit-Var » des 11, 16 et 22 Janvier 1882 et note datée du 15 octobre 1882 de Rémy Vidal au même journal qui n’a, par contre, pas été publiée
« Les poteries gallo-romaines de Port-Issol. Les vases que l’on trouve dans les sépultures antiques de Port-Issol sont rarement entiers, ils sont pétris d’une terre rougeâtre, demi-cuite et perméable, ils ont généralement la forme d’une bouteille à panse renflée et goulots très étroits ; ils sont munis d’une seule anse et n’ont d’autre ornement que le plus ou moins d’élégance de leurs formes. Ceux que l’on découvre à 50 ou 60 cm de profondeur dans le sol, ne sont jamais fermés et ne contiennent qu’un peu de terre. L’argile de ces vases, quoique très grossière, est cependant plus fine que celle des poteries communes dont les débris sont si abondants tout le long de la côte et particulièrement à Port-Issol ; elle s’en distingue surtout par sa couleur d’un rouge mat et blanchâtre et aussi par sa contexture plus poreuse ».
La nécropole a été détruite par la construction d’un restaurant dans les années 1950.
2 Le sondage fut réalisé par Frédéric Dumas, l’un des pionniers de la plongée sous-marine française, et Marc Gérard, chercheur au Centre Archéologique du Var. Ces deux propriétés ont été entièrement fouillées en 1996 et 1998. Deux bâtiments occupent désormais l’espace : le « Palm Beach » sur le terrain du « Perchoir » et le « Splendido » a remplacé le « Mas Bressol ».
3 Une étude dendrochronologique en a été réalisée par Frédéric Guibal (IMEP-CNRS), mais n’a pas permis de relier les séries de cernes aux séries déjà connues.
4 Observations effectuées par Jacques Laborel, Centre Océanologique de Marseille, U.M.R. C.N.R.S. n. 6540 DIMAR « Diversité biologique et fonctionnement des écosystèmes côtiers » et Christophe Morhange, Université de Provence.
5 Jacques Laborel envisage que le littoral de la calanque de Portissol à l’époque romaine aurait été plus haut qu’aujourd’hui et que depuis 2000 ans, il se serait enfoncé de plus d’un mètre pour atteindre le niveau actuel.
Auteurs
Archéologue, Centre Archéologique du Var, Toulon
Archéologue, Enseignant, Centre Archéologique du Var
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