Installations hydrauliques dans l’établissement antique du Mas de Boudan (Nîmes, Gard)
p. 77-86
Texte intégral
1La progression des recherches sur la structuration agraire de la plaine du Vistre et sur les formes et activités de l’habitat qui y est implanté, en partie pour servir les besoins de la ville antique de Nîmes (Bel et al. 2005), permet d’aborder de nouvelles questions propres à cet espace (fig. 1). A la lumière de découvertes et récentes synthèses (Conche et al. 2005 ; Bouet 2005), l’enquête portant sur l’équipement hydraulique peut ainsi être reprise et renouvelée1.
2Hormis dans la villa de Careiron et Pesquier où se trouvent associés un puits particulièrement important vraisemblablement muni d’un système élévatoire et un coursier maçonné (Conche et al. 2003, p. 44-45), on note en premier lieu qu’aucun moulin à eau n’a été reconnu à ce jour, dans le cadre et la période considérés. Les raisons d’un tel constat peuvent être multiples. Outre leur vraisemblable rareté2, on se demande si le tracé du Vistre est alors suffisamment régulé pour permettre l’installation de moulins et/ou la mise en place de dérivations afin d’obtenir la force motrice nécessaire à leur activité.
3De nombreux moulins sont pourtant attestés sur le cours supérieur du Vistre et sur ses deux principaux affluents (canal et Vistre de la Fontaine, le Canabou) aux périodes médiévales, modernes et contemporaines. La plus ancienne mention d’un moulin sur le Vistre, près de la villa carolingienne du Quart et non loin de Rodilhan, remonte à 921 (Germer-Durand 1868, p. 145), mais cette structure n’a pas été retrouvée.
4Concernant les systèmes élévatoires et de fourniture en eau, notamment ceux liés aux ensembles thermaux, la documentation reste également indigente. Les différents balnéaires mis en évidence à Saint-André de Codols ne peuvent ainsi être facilement reliés à un quelconque dispositif significatif hormis, peut-être, à une petite section de conduite enterrée partiellement conservée à proximité d’une salle chauffée (Pomarèdes et al. 1996).
5La plupart des établissements ayant fait l’objet d’une fouille comptent au moins un puits circulaire, pour lequel la question du puisage n’est que partiellement résolue en supposant le simple recours à un récipient encordé, remonté à bras ou bien par le biais d’un cabestan ou d’une poulie sur potence que l’on fixe à la margelle. Sur le site du Moulin Villard II (Caissargues), A. Pezin a pu observer, près d’un bâtiment augustéen, deux puits avérés et un troisième plus hypothétique. L’un d’eux a été associé à des aménagements latéraux suggérant une installation de levage ou de puisage (base de support construit ainsi que deux creusements oblongs). En périphérie, un fossé aménagé à contre-pente par rapport au terrain naturel a permis d’envisager la présence d’un petit canal d’irrigation (Pezin 1987 ; Provost et al. 1999, p. 280). Sur le site de la ZAC Esplanade Sud (Nîmes), une petite annexe agricole bâtie, mise au jour par M. -L. Hervé et datée de la période flavienne, est dotée d’un puits circulaire, flanquée d’une structure excavée évoquant une possible marre ou pièce d’eau. Tout près se trouve un lacis de traces agraires marquant l’emprise de cultures qui ont pu être entretenues grâce au puits (Bel et al. 2005, fig. 9). Trois autres puits circulaires, découverts sans relation directe avec un habitat, pourraient être pareillement dédiés à l’irrigation ; ils se trouvent sur les sites de la rue de la Servie, de la Roussillone Sud et du Mas Carbonnel à Nîmes (Fiches, Veyrac 1999, p. 430, 492 et 494). Le système du balancier se prête bien à une distribution de l’eau par des rigoles dont on arrange le sens d’écoulement. C’est ce type d’équipement qui est proposé pour le puits du Mas Carbonnel (diam. ext. 1,65 m ; prof. 2,20 m), connecté à une fosse oblongue (L. 1,20 m ; 1. 0,55 m ; prof. 0,37 m) emplie de pierres paraissant agencées et environné de multiples petites fosses de formes très diverses attribuées à des cultures irriguées (Vidal, Petitot 1992, p. 312). De même, le puits du site de la Roussillone, abandonné au début du Ier s. ap. J. -C., est entouré d’une large excavation ; une plate forme, bâtie sur son bord sud, supporte un système élévatoire de l’eau destiné à alimenter un important réseau de rigoles (Poupet 1994, p. 77, fig. 14)3. S’il sont en apparence moins rares — sans doute parce qu’ils sont inhérents au travail du sol —, les vestiges relatifs à l’irrigation n’autorisent pas pour autant de quelconque certitude quant à l’équipement mis en service, dont aucun élément mobilier n’a été exhumé à ce jour.
6Ce bref tour d’horizon des structures utilisant la force hydraulique ou élevant l’eau, aux abords d’une ville dont le potentiel en terme d’hydraulique n’est pas négligeable (Veyrac 2007), révèle des lacunes dans la conservation des vestiges et Sans doute aussi dans la documentation. C’est pourquoi il nous a paru souhaitable, à l’occasion de ce colloque, de livrer les résultats d’une première campagne de fouilles préventives de l’établissement rural antique du Mas de Boudan4. Celui-ci était en effet doté d’un dispositif dont l’organisation complète nous échappe, mais qui semble peu commune, dans le contexte énoncé, et répondait à une fonction particulière en lien à la maîtrise de l’eau.
Un établissement rural occupé du Ier s. av. J. -C. à la fin de l’Antiquité
7Desservi depuis la ville, au nord, par une voie attestée en fouille dès le Ier s. av. J. -C., cet établissement, d’où proviennent certainement une inscription en grec et un autel funéraire trouvés au début du XXe s., a été reconnu en 1991 lors d’une prospection menée par P. Poupet et L. Vidal (Fiches, Veyrac 1999, p. 494). Sur plus de 0,5 ha ont été recueillis des mobiliers céramiques tardo-républicains et d’époque impériale, ainsi que des restes de dolia et d’architectures diverses : tesselles de mosaïques, fragments de colonnes et de placage de marbre, tubulures et briques d’hypocauste, tuiles et moellons. De décembre 2005 à janvier 2006, c’est la partie occidentale de l’établissement qui a pu être explorée sous notre direction (fig. 2).
8Édifiée sur des sols bruns hydromorphes affligés d’un pendage vers le sud-est5, cette exploitation se place dans un secteur occupé durant le second Age du fer, comme en témoignent des bris d’amphores de Marseille, trouvés quelque 200 m plus à l’ouest en prospection et sur le site même. Ce n’est qu’au Ier s. av. J. -C. que les traces d’installation d’un habitat deviennent plus tangibles, notamment par le biais d’un puits à cuvelage quadrangulaire en pierre sèche limitant un conduit de 1,10 m par 0,90 m, pour une profondeur minimale de 2,70 m (fig. 3). Le cuvelage quadrangulaire de ce puits est remarquable dans la mesure où il témoigne, semble-t-il, d’une certaine méconnaissance du substrat, sinon de quelque mal façon, entraînant de fortes déformations des parois soumises à des poussées latérales. Un puits foncé et cuvelé de manière circulaire n’aurait sans doute pas réagi ainsi. En fait, les puits quadrangulaires sont plutôt rares en région nîmoise et quasi inexistants avant le Haut-Empire (Bessac et al. 1984, p. 216). Un autre exemplaire à plan quadrangulaire a cependant été signalé non loin, sur la ferme du site du Gouffre des Bouchers/Vignoles VII (Pomarèdes, Rascalou 2002). Datée d’époque tardo-républicaine, cette structure en pierre sèche était peut-être couverte de dalles, voire en encorbellement (dimensions dans œuvre : 3 x 1,5 m environ).
9Au Mas de Boudan, il n’y a pas de traces au sol matérialisant des travaux d’irrigation en lien direct avec le puits. Si l’on en juge par la proximité d’un bâtiment qui semble relever de la même phase, une fonction domestique prévalait sur des besoins agraires non négligeables pour autant, que ce soit pour le bétail et/ou pour l’irrigation par portage. La désaffection de ce puits a lieu au changement d’ère ou peu après.
10Une phase d’extension de l’établissement, qui n’intervient pas avant l’époque tibérienne, se distingue notamment par des maçonneries au mortier de chaux orangé. L’ensemble des constructions se développe à proximité de la voie nord-sud et selon la même orientation. Ces bâtiments étaient vraisemblablement enclos au nord par deux murets ménageant entre eux un accès secondaire en chicane et doublés d’un fossé destiné à dévoyer les ruissellements — celui-ci étant ultérieurement recoupé par un autre fossé comblé au IVe s. ap. J. -C. Un large passage peut constituer un accès carrossable depuis la voie antique fossilisée par l’actuel chemin du mas de Boudan à l’est.
11Un probable secteur d’habitation, dont certains murs étaient revêtus d’enduits peints, côtoie un ou plusieurs secteurs dévolus aux activités de production. L’un des espaces abritait une batterie de dolia. Plus au sud, une cuve de recueil maçonnée, avec cupule de décantation, a été trouvée en position isolée mais doit être restituée à l’intérieur d’un bâtiment, à proximité immédiate et en contrebas d’un fouloir et/ou d’un pressoir.
12Enfin, des aménagements fonciers, reliés à des activités agricoles et/ou horticoles, ainsi qu’une canalisation maçonnée suggérant un autre corps de bâtiment, ont été reconnus dans la partie sud de la fouille.
13Un dispositif hydraulique semble avoir été aménagé dans un espace non bâti réservé entre les bâtiments nord, les mieux conservés, et celui éradiqué par les labours modernes mais dont témoigne la cuve (fig. 4). L’ensemble hydraulique suit en effet une orientation générale conforme aux bâtiments qui auraient contraint son tracé et entre lesquels il pourrait s’inscrire. Cette hypothèse implique que la cuve et le chai appartenaient à des corps de bâtiments distincts6.
14Pour l’heure, les rares éléments permettant d’établir la datation de ce dispositif tendent à situer sa mise en service dans le courant du Ier s. ap. J. -C. Son démantèlement a lieu au IIe ou IIIe s., d’après le mobilier issu du comblement du bassin ovale. Au Ve s., les constructions apparaissant sur l’emprise de la fouille sont définitivement abandonnées.
Le dispositif hydraulique
15Élément notable du dispositif, une structure maçonnée a été construite en petit appareil suivant un plan ovale dont les longs côtés sont parallèles entre eux. D’une longueur totale de 3,70 m pour 1,72 m de large, elle est implantée sur un axe nord-ouest/sud-est qui correspond peu ou prou au pendage naturel. Large de 0,20 à 0,37 m et jusqu’à 0,53 m sur le côté sud-est, la maçonnerie du cuvelage (us 1085) est faite de moellons de calcaire dur façonnés en parallélépipèdes dont la base est placée en parement, assisés et liés au mortier de chaux orangé. Les joints sont beurrés pour certaines assises. Ce cuvelage détermine dans œuvre un espace de 3 m de long par 1,20 m de large au centre, se réduisant à 0,90 m aux extrémités. Il est conservé sur plus de 0,80 m de profondeur, côté sud-est, soit huit assises de 8 à 15 cm de haut (fig. 5). Le dessin en arc de cercle des extrémités a très probablement été dicté par le souci d’amortir les éventuelles poussées d’un terrain instable.
16Cet aménagement ne paraît pas répondre au souhait d’atteindre la nappe phréatique, même si sa cote d’affleurement dans l’Antiquité n’est pas connue7. Aucune trace d’enduit d’étanchéité ne subsiste sur les parois. Le fond ne présente pas non plus d’indice de revêtement maçonné ou dallé. Il est possible que ce bassin n’était pas destiné à garder l’eau de façon durable — du moins, cette absence de revêtement étanche des parois et du fond, si elle est réelle, montre que l’on n’a pas cherché à éviter les fuites ni les possibles infiltrations de la nappe phréatique, lors d’éventuelles remontées. En l’occurrence, l’excavation a pu jouer, accessoirement, un rôle drainant de sorte qu’un revêtement étanche du cuvelage se faisait inutile. On peut enfin noter l’absence de concrétions.
17Les observations stratigraphiques menées à l’échelle de la fouille tendent à situer le niveau de sol de fonctionnement du bassin à plus de 0,30 m au-dessus de l’arase de son cuvelage. Il convient de préciser de surcroît qu’aucun objet particulier n’a été trouvé dans le comblement. A base de limon argileux hétérogène, ce dernier inclut pierres et bris de tuiles pour l’essentiel, ainsi que de rares restes de béton de tuileau, de mortier orangé informes et de mortier blanc, avec empreintes d’imbrices, provenant à l’évidence d’une couverture. Au niveau d’apparition de la structure, une plaque de revêtement pariétal au mortier de chaux brun orangé avec petits nodules blancs de chaux (env. 0,40 x 0,20 m) se tenait au centre et au sommet du comblement8 (fig. 6).
18Mieux préservée dans sa partie sud-est, la maçonnerie présente deux négatifs de 0,25 m de côté environ situés à même hauteur et en vis-à-vis. En restituant sur la partie opposée — davantage épierrée —, deux autres cavités de ce type, on peut formuler l’hypothèse de négatifs de dés ou de montants servant au calage de l’axe d’une roue disposée à la verticale, conformément à la configuration ovale du bassin.
19L’aspect utilitaire du bassin et sa vocation à accueillir une roue trouvent leur plus proche comparaison dans la villa de Carreiron et Pesquier équipée, au IIe s. ap. J. -C., d’un grand puits. Installé en position décentrée à l’intérieur d’une pièce, ce dernier a un conduit de plan ovale régulier mesurant 3,08 x 1,56 m pour une profondeur minimale de 5,40 m (fig. 7). L’emploi d’une machinerie élévatoire, non conservée, a pu être mise en évidence par l’analyse des vestiges, suffisamment explicites (Conche 2005). Dans ce cas, l’alimentation en eau se fait depuis la nappe et une roue à augets en chapelet montés sur chaîne est nécessaire pour atteindre une cote basse et tirer l’eau. A Nîmes intra-muros, un autre puits à cuvelage ovale (2 x 1,30 m) a été découvert en 1984 par J. Pey. Il est également maçonné en petit appareil (Monteil 1999, p. 99-100). Si la position en apparence isolée de ce puits du Ier s. ap. J. -C. ne renseigne guère sur sa fonction, il semble bien destiné à recevoir une roue verticale permettant d’élever l’eau9.
20Observée sur une longueur de près de 13 m, une canalisation communiquait au nord-ouest, selon un axe divergent, avec le bassin. Son tracé se poursuit hors de l’emprise de la fouille vers le nord-ouest. Elle était plus faiblement enfouie dans cette direction, son négatif étant peu profondément attesté. C’est en s’approchant du bassin qu’elle apparaît mieux conservée ; elle a toutefois disparu à son contact — de la même façon que le côté nord-ouest du bassin a été plus profondément spolié. La couverture a entièrement été récupérée, ainsi que la partie supérieure des parois dont la hauteur reste indéterminée. Ces dernières, dont subsiste surtout celle du côté sud, sont faites de fragments de tegulae et de cailloux liés au mortier de chaux orangé. Leur médiocre état de conservation ne permet pas de savoir de quelle façon était assurée l’étanchéité.
21Larges de 0,10 à 0,16 m, elles déterminent un canal de 0,25 à 0,30 m de largeur interne. Le fond est indiqué par une surface de mortier résiduel peu dense pouvant correspondre au niveau de pose d’un radier, d’une série de dalles ou de tegulae... La cote inférieure des deux parois se situe à 31,13 m NGF, vers le nord-ouest, et à 31,05 m NGF vers le sud-est, ce qui permet de restituer le sens d’écoulement de cette canalisation. Ces données incitent à la considérer comme une amenée d’eau, et non pas un canal de fuite. Il semble donc que l’on a choisi d’emplir le bassin grâce à un captage situé en amont10 et dédaigné le percement d’un puits, peut-être pour des raisons de quantité et de qualité. Enfin, le fil d’eau de la canalisation se trouvait à une cote nettement supérieure à 0,80 m par rapport au fond du bassin.
22Ce dispositif hydraulique se compose en outre d’un alignement de massifs maçonnés, ou piles, mesurant chacune 1,50 m pour 1,25 m de large et fondées suivant un espacement de centre à centre de l’ordre de 3,20 m. Utilisant le même mortier de chaux orangé que la structure ovale, leurs maçonneries sont identiques en terme de mise œuvre. Une première assise, formée d’un hérisson de petites dalles placées de chant ou en épi, reçoit une chape de mortier qui supporte la seconde assise ; les suivantes ont disparu. Six piles apparaissent dans l’emprise, sur plus de 18 m de long ; leur plan allongé est à la perpendiculaire de l’alignement. L’absence de murs parallèles profondément fondés accompagnant ces piles, dont la taille et l’espacement sont relativement importants, incite à réfuter l’hypothèse de supports de charpente, alignés au centre ou en façade d’un grand bâtiment.
23Se signalent enfin, de part et d’autre du bassin, un empierrement (us 1043), en limite de fouille, et une large fosse peu profonde (FS1072) qui posent la question d’autres aménagements connexes ne nécessitant pas de fondation importante.
Quelle fonction ?
24La mise en œuvre et la disposition relative de ces aménagements s’accordent bien à l’idée d’un programme unitaire. Quels en étaient l’utilité et le mode de fonctionnement ? La structure ovale avait, selon toute vraisemblance, double fonction de bassin de recueil de l’eau et de logement d’une roue tournant sur un axe horizontal. Celle-ci constitue malheureusement la pièce manquante faisant le lien avec la série de piles maçonnées certainement destinées à surélever un canal probablement en bois.
25L’idée d’un moulin à roue hydraulique verticale ferait de cette conduite une amenée d’eau. S’il est impossible d’en définir le sens d’écoulement, force est d’admettre qu’elle a été jetée suivant une orientation à contre-pente par rapport au pendage naturel et au bassin — ou coursier dans cette hypothèse —, et sur un axe distinct de ce dernier. La canalisation située au nord-ouest ne constitue pas un canal de fuite puisque le pendage naturel vers le sud-est commande son sens d’écoulement. Il convient par ailleurs de signaler la découverte, 15 m plus au nord dans un niveau empierré des III/IVe s. ap. J. -C., d’un fragment de basalte de Campanie11, typique des meules en coquetier, en principe à traction animale (mola asinaria) ou humaine. S’il est plausible qu’un type de moulin en supplée un autre, il n’y a pas de traces pouvant indiquer l’emplacement du puits d’engrenage et des meules alentours de la structure ellipsoïdale. C’est alors la fonction de redistribution de l’eau qui paraît devoir être privilégiée pour ce dispositif.
26Alimenté par la canalisation nord-ouest, le bassin sert de réserve où puise la roue verticale pour élever et envoyer l’eau dans la conduite surélevée. Dans cette éventualité, le diamètre de la roue de puisage est estimée, au maximum, à 2,50/3 m pour une largeur inférieure à 0,90 m — dimensions contraintes par le cuvelage mais largement suffisantes. Le palier supportant l’arbre de la roue, à transmission directe, peut se situer, au minimum, à une hauteur d’environ 1,25/1,50 m au-dessus du fond (30,50 m NGF), à quoi il faut ajouter un espace de battement. Si la roue de puisage est distincte de la roue motrice, cette dernière est placée sur le même axe horizontal, mais sans doute à l’extérieur de la cuve, du côté opposé aux piles, vers où l’eau est envoyée.
27Parmi les trois types de roues de puisage qu’il est possible d’évoquer, la roue à godets permet d’atteindre une hauteur plus importante que le tambour à caissons ou compartiments (tympanum), correspondant aux trois quarts de son diamètre (Fleury 1993, p. 153). La pile initiale de la conduite, très proche du bassin, et l’axe horizontal de la roue qu’impose le plan ovale tendent à exclure, pour de simples raisons d’encombrement, un mode d’entraînement par manège. A moins de restituer une rotation de l’arbre par entraînement latéral à bras, de type manivelle, ce dispositif de puisage pouvait être entraîné par une roue manœuvrée par des échelons fixés sur sa circonférence, mode de propulsion inspiré des machineries de levage et fonctionnant sur le principe de la calcatura. Enfin, selon la hauteur de la conduite aérienne, l’utilisation d’une chaîne, à laquelle des godets sont fixés et qui descend à la profondeur souhaitée, peut également se concevoir s’il faut élever l’eau davantage et donc l’axe de la roue. Dans ce cas, la longueur de la chaîne et le type de force motrice disponible sont déterminants. Dans tous les cas, il convient de garder à l’esprit l’aspect relativement modeste de l’infrastructure ovale, qui ne devait pas supporter un équipement trop lourd.
Conclusion provisoire
28Cette étude présente, avec les diverses hypothèses qu’il suscite, un aménagement qui nous paraît illustrer de façon originale l’utilisation et la maîtrise de l’eau dans la campagne nîmoise. Certes, la vision incomplète que l’on a de ces témoignages rend leur exploitation pour le moins délicate. À défaut de pièces significatives nous donnant de plus amples précisions sur le mécanisme mis en œuvre, il faut cependant retenir l’idée d’un ouvrage muni d’une roue verticale. L’interprétation comme moulin à roue hydraulique est contredite par les données de fouilles. Celles-ci s’expriment davantage en faveur d’un système composé d’une roue montée sur bassin élevant l’eau depuis une canalisation au sol pour la déverser dans une conduite établie en hauteur. Sur la destination, il faut pour l’heure se contenter d’évoquer une volonté d’alimenter une structure hors sol, telle qu’une réserve importante et exempte de toute impureté, ou bien une installation nécessitant une chute d’eau au prix d’un éloignement entre point d’élévation et point de chute. Ces hypothèses, qu’on se doit d’émettre, sont évidemment à considérer avec toutes les précautions d’usage.
29À l’issue d’une future fouille préventive touchant la partie orientale de l’établissement, ce schéma de fonctionnement demandera bien sûr à être validé. En effet, cette seconde campagne de fouille doit notamment permettre, nous l’espérons, la mise au jour du prolongement sud-est de l’alignement de piles maçonnées et d’éventuels aménagements connexes susceptibles de lever toute ambiguïté et d’apporter une conclusion définitive quant à la finalité de cet ouvrage. Quelle que soit sa fonction, il incite à poursuivre l’enquête sur l’équipement hydraulique des établissements ruraux de Nîmes antique.
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Notes de bas de page
1 Cette brève étude contribue au Projet collectif de recherches consacré à Nîmes et ses campagnes, de la Préhistoire récente à l’époque moderne (coord. J. -Y. Breuil, Inrap). Nous remercions chaleureusement Hervé Pomarèdes pour son amicale relecture.
2 Trois moulins sur rivière seulement sont signalés pour l’Empire romain (Brun, Borréani 1998, p. 308-310), à quoi s’ajoute la découverte, à Ceyras (Hérault), d’un ancien bief, de plusieurs meules et d’éléments de canalisations montrant l’existence d’un moulin à eau qui paraît d’origine antique (Schneider, Garcia 1998, p. 160).
3 Il convient de rappeler le possible bassin à noria participant d’un système d’irrigation du Ier s. av. J. -C. découvert sur le site de la ZAC des Halles à Nîmes (Poupet 1993, p. 62 ; Bouet 2005). Hors du cadre considéré, un récent diagnostic au lieu-dit la Capoullière à Mauguio (Hérault), a permis d’observer un forage antique (diam. : 2,70/2,50 m) associé à un trou de poteau (diam. : 0,30 m) et deux rigoles (Escallon, Houix 2003).
4 Dans l’attente d’une seconde campagne de fouille préventive touchant la partie orientale de cet établissement et d’une première synthèse qui doit être publiée au sein d’un catalogue des sites ruraux en périphérie de la ville antique de Nîmes, sous la direction d’Hervé Pomarèdes.
5 Altitude moyenne actuelle à 31,60 m NGF ; plaine alluviale et aquifère de la Vistrenque.
6 Dans ce sens, le mortier employé pour le dispositif hydraulique est identique à celui des murs enserrant les doliums ; le mortier de chaux mis en œuvre pour les parois de la cuve se distingue nettement par sa teinte gris blanc.
7 En janvier 2006, la nappe phréatique affleurait à 29,90 m NGF dans le puits quadrangulaire, soit environ 0,60 m sous la cote de fond du bassin et 1,50 m sous le niveau de décapage ou approximativement 1,75 m sous le sol actuel.
8 On note pour l’ensemble de ce comblement, formé de sept couches, 8 fragments d’enduit peint, 4 clous et 5 tiges en fer pour un total de 156 fragments de céramiques des II/IIIe s. ap. J. -C.
9 J. Pey, com. orale. Voir aussi l’exemple d’une noria des X-ΧIe s. (Bels, Nin 1997 ; Amouric 2001, fig. 7) présentant un plan ovale de 3,50 x 1,30 m.
10 Hors de la fouille et qui reste indéterminé. Le cours d’eau pérenne le plus proche actuellement connu est le Vistre de la Fontaine, un affluent du Vistre qui coule à 300 m à l’est du site. D’autres modes d’approvisionnement en eau sont évidemment possibles.
11 Fragment informe de basalte à cristaux de leucite blanc (0,20 m ; us 1111).
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