Quelques réflexions
p. 147-149
Texte intégral
1En intervenant, je désirerais faire part de quelques réflexions relatives aux fondations de villes par Diomède, thème au sujet duquel, dans son exposé, Madame de La Genière souhaitait que naisse une discussion. Ces réflexions sont issues d’une recherche intitulée Les relations entre Grecs et indigènes d’Apulie à l’Âge du Bronze qui devrait paraître dans les premiers mois de l’année prochaine, dans le cinquième volume des Studi di Antichità, publiés par le Dipartimento di Scienze dell’Antichità dell’Università degli Studi di Lecce. Mon intervention se limitera donc à la seule figure de Diomède et au seul territoire apulien.
2Dans cette étude, j’ai envisagé la question diomédéenne en Daunie en tentant de dissocier, dans les textes, ce qui relève du mythe de ce qui relève du rite. Si cette approche m’a fait négliger quelque peu la dimension de héros culturel, lié par exemple à l’agriculture, que revêt Diomède en Daunie, comme l’a si bien mis en évidence Monsieur Lepore il y a quelques minutes, elle ne m’a pas moins permis de parvenir à des résultats intéressants quant au développement et à l’utilisation de la figure du héros.
3Selon la légende, les oiseaux qui vivaient dans l’une des îles de Diomède n’étaient autres que les compagnons du héros, métamorphosés en oiseaux. L’élément le plus significatif de ce mythe réside dans le comportement quotidien de ces oiseaux. Ceux-ci habitent dans l’île où se trouvent le tombeau et le temple du héros autour duquel ils volent. Emplissant leur bec d’eau, trempant leurs ailes dans l’onde marine, ils s’en reviennent aussitôt asperger le temple de Diomède. Cette fable ne peut être née que d’une longue observation du comportement des oiseaux qui peuplaient l’île. Je suis d’avis que ce sont les oiseaux qui se trouvent à la base de la localisation du tombeau de Diomède dans l’île à laquelle on donna son nom et que ce furent les oiseaux qui furent les seuls serviteurs du culte de Diomède en ce lieu, dans un temple sans doute imaginaire. La légende de Diomède servit donc, en ce cas, de mythe étiologique.
4Nous retrouvons vraisemblablement cette démarche qui consiste à expliquer par la fable ce qui apparaît irrationnel dans le motif des bornes et des statues sculptées dans les pierres provenant des remparts de Troie et amenées en Daunie par Diomède. Les bornes et les statues, qui figurent dans deux versions différentes de la légende, ont deux points communs : leur matière - les pierres des remparts de Troie - et le fait qu’elles reviennent à leur place d’elles-mêmes. Il s’agit donc, semble-t-il, du même objet concret interprété de deux manières différentes tout en étant apparentées. Comme l’ont montré plusieurs chercheurs (O. Terrosi Zanco, J. Gagé, U. Fantasia, B. d’Agostino, R. R. Holloway, G. Nenci), il n’est pas impossible que nous soyons en présence d’une attestation des stèles dauniennes à une époque où ces monuments funéraires n’étaient plus d’usage et où leur signification avait été oubliée. Une observation archéologique avant la lettre aurait amené la naissance de cet élément de la légende de Diomède.
5Venons-en, après le mythe, au rite, tout en ne manquant pas d’attirer l’attention sur le fait que nous laissons de côté le problème, différent, du culte de Diomède chez les Vénètes. En fait, en Daunie, si Ton exclut le temple des îles de Diomède dont je viens de parler, le culte de Diomède n’est attesté qu’à Arpi, à une époque assez tardive. Polémon d’Ilion rapporte en effet qu’à Argyrippa se trouvait un temple vénérable qui lui était consacré. Le nom de la ville, orthographié au datif masculin pluriel, me semble trahir la traduction en grec du nom latin Arpi. Le nom iapyge Argyrippa est en effet donné partout ailleurs au féminin singulier. Nous savons par ailleurs qu’au temps de la deuxième guerre punique, l’aristocratie locale d’Arpi se réclamait de la lignée de Diomède. Je ne pense pas qu’il faille chercher beaucoup plus loin l’origine de ce culte sans doute né de toutes pièces à l’époque romaine et lié à des intérêts avant tout politiques. En dehors de cela, nulle part ailleurs en Daunie Diomède ne nous est présenté comme étant une divinité faisant l’objet d’un culte.
6C’est en tant que dédicant que nous le re- trouvons associé au culte d’Athéna. Tous les témoignages semblent concerner le même temple, à savoir le temple d’Athéna Ilias à Luceria. On les fait généralement remonter à Timée, ce qui est tout à fait vraisemblable. A l’époque où Timée composa son oeuvre, la Daunie venait d’entrer dans le monde romain. Il ne serait guère surprenant que, dans ce contexte, la légende de Diomède en Daunie et la légende troyenne de Rome aient permis, par le biais d’une adaptation introduisant un transport du Palladion en Daunie par Diomède, d’attribuer à un culte une origine fort ancienne, sans doute tout à fait artificielle. Ce culte me semble être une création tardive, ou, éventuellement, une adaptation tardive d’un culte local plus ancien.
7Les sanctuaires ne furent pas les seules institutions à vouloir s’attribuer des origines nobles et anciennes par l’intermédiaire de la figure de Diomède. Nombre de villes se réclamèrent aussi de lui. La première fut, semble-t-il, Arpi qui - est-ce un hasard ? - fut aussi la première ville d’Apulie à soutenir Rome. Le nom iapyge de la ville était Argyrippa ; on en tira le nom grec d’Argos Hippion et Ton proclama que ce nom lui avait été attribué par Diomède en souvenir de sa patrie. Les autres villes de Daunie dont la fondation fut attribuée au héros sont Canusium, Sala-pia, Sipontum, Venusia et la ville inconnue de Diomèdéia. En outre, la plaine du Tavoliere di Puglia reçut le nom de plaine de Diomède. Il ne me semble pas exclu qu’en s’affirmant fondations de Diomède, ces villes de Daunie aient aussi cherché à affirmer leur alliance avec Rome. N’était-ce pas, en effet, Diomède qui avait rendu le Palladion à Enée selon une des versions de la légende troyenne de Rome ? Et le Palladium ne devint-il pas à la fois le symbole et le gage de l’imperium romain ?
8En interprétant de la sorte les sources relatives aux fondations de Diomède en Daunie, il est possible de mettre en évidence un nouveau développement de la légende diomédéenne en Daunie à l’époque républicaine romaine. C’est cette naissance, à l’époque romaine, d’une strate nouvelle dans le développement chronologique de la légende que je souhaitais vous présenter aujourd’hui.
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Épéios et Philoctète en Italie
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