Au pays de Philoctète, la montagne des Murge ; recherches dans les nécropoles*
p. 75-116
Texte intégral
1La campagne menée en 1983 sur les Murge de Strangoli en collaboration avec C1. Sabbione a mis en lumière l’importance exceptionnelle de ce site antique1 que des prospections antérieures permettaient d’entrevoir2 ; on a pu alors constater que cette imposante montagne à 20 km env. au NO de Crotone portait depuis l’âge du fer un habitat dispersé sur de vastes espaces; que, dans le secteur le plus élevé, un sanctuaire y recevait des ex-voto de type hellénique depuis la fin du viie siècle; que des petits groupes de tombes étaient répartis en diverses zones aux viie et vie siècles; qu’une nécropole étendue et apparemment unique regroupait les tombes du ve siècle; on a établi également qu’au ive-iiie siècle un habitat concentré était installé à l’intérieur d’une double enceinte à laquelle il convient d’ajouter maintenant une troisième ligne de muraille, limitée au secteur NE des Murge, qui renforce ainsi le seul point fragile de cette fortification naturelle.
2Il serait prématuré de publier les recherches, trop limitées encore, qui ont été menées en 1983 dans l’habitat. On présentera ici tout d’abord un sondage ouvert dans le secteur SE des Murge en 1983 avant de rendre compte de la fouille de 1988; l’un comme l’autre ont été riches d’enseignements sur les nécropoles des Murge.
1983. SONDAGE SE3
3L’emplacement a été choisi en fonction d’une dénivellation nettement marquée sur le terrain dans le sens O/E et de la présence au même endroit de quelques fragments de céramiques archaïques. L’attente n’a pas été déçue : en effet on a découvert à la fois une ligne de fortifications et un secteur de nécropole sur lequel passait la muraille.
4Tandis que la muraille supérieure enferme le secteur le plus élevé du site (350 à 400 m d’altitude), la muraille mise au jour dans le sondage SE a un tracé N/S beaucoup plus étendu, à l’altitude de 300/310 m env., enfermant les terrasses naturelles qui, d’ouest en est, descendent vers le passage étranglé qui forme l’entrée des Murge.
5Le nettoyage de la muraille en ce point a fait apparaître un mur qui, prenant appui sur son parement ouest, se détache vers le SO en formant avec lui un angle de 75° env. ; l’épaisseur des murs est de 2,40 m env. ; la technique est celle des parements en appareil pseudo-isodome reliés par un emplecton de pierres.
6Le sondage a été ensuite tracé à la perpendiculaire de la face Est de la muraille (long. 6, larg. 4 m.) dans un terrain en pente d’ovest en est.
7Sous la couche supérieure, des pierres et des blocs tombés du mur occupent toute la surface du sondage. En démontant ce niveau de destruction on recueille, parmi les pierres, divers fragments de bronze (bassin à bord perlé4, spirales) ou de céramique (alabastre corinthien). Le terrain très sableux rencontré au-dessous est riche de fragments, notamment de coupes à filets et de vases corinthiens datables dans le dernier tiers du viies. On recueille aussi des fragments de grands vases, amphores ou hydries, décorées de bandes parallèles peintes sur le fond clair. De grandes taches grises apparaissent dans le terrain sableux, immédiatement au-dessous du plan de chute; près du mur d’enceinte, dont le parement Est est conservé sur une hauteur d’environ 0,80 m, le terrain est par endroits rougeâtre, riche en fragments mêlés à des os brûlés. Le nettoyage met en évidence quatre zones brûlées dont la plus grande mesure environ 1,65 X 0,60 m et a un contour ovale. Il s’agit d’une tombe à crémation dans laquelle le défunt a été incinéré sur place (crémation primaire).
Tombe 1
8Les bouleversements qu’a provoqués la construction de la muraille en ce secteur ne permettent pas de savoir si cette tombe avait à l’origine une couverture. A l’intérieur de la zone cendreuse on observe des os à demi consumés sur toute la surface; l’orientation est, grosso modo, E/O. Du côté ouest, une coupe à lèvre intacte repose contre des fragments de crâne brûlés; l’extrémité est est occupée par une autre coupe, fragmentaire et brûlée; au niveau des jambes, une pointe de lance et un sauroter de fer sont posés côte à côte, ce qui implique que la lance du défunt avait été cassée avant d’être déposée dans la tombe. De petites pierres trouvées dans le secteur ouest au fond de la tombe peuvent avoir été placées là pour activer le tirage lors de l’incinération.
Le mobilier
9Coupe basse à lèvre à filets. Trace de deux (?) filets vernis sur la lèvre. Vasque vernie (brun-orangé). Argile proche de Munsell, S. C. C. 55, 7. 5 YR 8/4. Haut. : 4,3 cm. Larg. : 17. Diam. vasque : 13cm.
10Coupe basse à lèvre à filets. Comme la précédente elle a des parois très fines. Traces de filets sur la lèvre. Le vase a été brûlé et l’argile est devenue grisâtre. Haut. : 4 cm. Larg. : 17, 3 cm. Diam. vasque : 13,2 cm.
11Ce type de coupe très basse, qui prolonge des formes subgéométriques connues dans les séries protocorinthiennes, est commun à Amendolara où il est régulièrement associé à des vases du Corinthien Ancien (Fin du VIIe s.).
12Point de lance en fer fragmentaire (l’extrémité de la lame a disparu). Long, cons. : 38,5 cm.
13Sauroter en fer; un petit fragment manque à l’extrémité. Long, cons. : 11,5 cm.
14Il s’agit évidemment d’une tombe d’homme.
Tombe 2
15Juste au nord de la tombe 1, à 0,50 m env. de distance, une tache ovale de cendres occupe une surface de 1 X 0,60 m en direction OSO/ ENE. Le terrain grisâtre contient des fragments d’os brûlés. On y recueille du côté Ouest une coupe non brûlée, du côté Est une pointe de javelot en fer.
16Deux fragments courbes de fil de bronze brûlés sont mêlés au terrain. Au fond, traces de bois carbonisé et deux petites pierres brûlées.
17Pour expliquer la présence d’un javelot dans une tombe de dimensions aussi limitées on peut suggérer plusieurs hypothèses :
- la tombe aurait été taillée lors du nivellement du terrain qui a précédé la construction de la muraille.
- l’incinération aurait été pratiquée ailleurs.
- il s’agirait d’une tombe d’enfant.
18On souscrira ici à la troisième explication; en effet on n’observe pas sur le terrain de coupure de la tombe 2, dont les limites décrivent un ovale presque régulier; les fragments de bois et les petites pierres brûlées indiquent, semble-t-il, une crémation sur place.
19Si, en conséquence la tombe 2 est celle d’un petit enfant, il a reçu, pour son mobilier d’outre-tombe, l’instrument de chasse ou de guerre que la vie, plus tard, lui aurait réservé.
Le mobilier
20Coupe basse à lèvre. Les filets sur la lèvre ne sont pas lisibles; traces de vernis sur la vasque. On remarque l’inégalité des anses, d’épaisseur différente. L’argile est proche de MUNSELL 7. 5 YR 8/4.
21Haut. : 4,5. Larg. : 15,5. Diam. vasque : 12 cm. Dernières décennies du VIIe s. av. J. -C..
22Javelot de fer. Long, conservée : 15,5. Larg. maximum : 8 cm.
Tombe 3
23À 4 m environ à l’Est de la muraille on note une zone ovale intensément brûlée, longue de 1,50 m, large de 0,60 m, en direction N/S. Le terrain contient beaucoup de fragments de bois carbonisé, mais on n’y observe ni os, ni mobilier funéraire. Sous une épaisseur de 5 à 10 cm de terre cendreuse on découvre trois grosses pierres. La forme de la zone de cendres, ses dimensions invitent à l’interpréter comme le fond d’une tombe détruite plutôt que comme un emplacement réservé à la crémation des morts.
Tombe 4
24Entre la tombe 2 et la limite nord du sondage une autre tache de terrain brûlé, de petites dimensions (0,80 X 0,50 m env.), contient un alabastre corinthien fragmentaire et plusieurs fragments d’un autre, brûlé comme le premier. Les dimensions réduites, l’absence de traces d’os indiquent que la tombe 4 est celle d’un petit enfant.
Mobilier
25Alabastre corinthien. Traces de languettes sur le plat de l’embouchure. Sur la panse, traces d’ailes : deux coqs affrontés? Corinthien Ancien.
26Haut. : 9,2 cm. Diam. emb. : 3,3 cm. Diam. panse : 5 cm.
1983. TOMBE “ALLA CAPPUCCINA”.
27A une cinquantaine de mètres au nord du sondage SE, de grands fragments de tuiles sur un terrain bouleversé et creusé de fosses révélaient la présence d’une série de tombes fouillées clandestinement. Pour vérifier cette observation nous avons nettoyé l’espace entre deux trous profonds, mettant ainsi en vue la partie supérieure d’une tombe couverte de tuiles disposées obliquement selon le type "alla cappuccina". Dans la terre remuée autour de la tombe on recueille des fragments provenant de tombes plus anciennes détruites (coupe ionienne du Ier quart du vie s., embouchure d’une amphore à vernis noir du dernier quart du vie s); un aryballe sphérique de forme corinthienne (ière moitié vie s.), mais de facture crotoniate6, est recueilli près de la tuile qui ferme au nord la tombe. Le terrain devient ensuite stérile et l’on constate que le plan de pose de la tombe se trouve à 0,40 m de profondeur par rapport aux derniers fragments archaïques recueillis; l’extrémité sud est creusée dans le rocher; un fragment d’un vase d’impasto noirâtre est mêlé au terrain du côté nord.
28La tombe est longue d’1,70 m, large de 1 m. Elle est couverte au moyen de trois tuiles dressées obliquement sur chaque côté et d’une autre à chaque extrémité; le squelette du défunt repose sur un lit de tuiles horizontales comportant deux tuiles superposées sous le crâne qui se trouve du côté sud; on observe que les os ne sont pas bien soudés; la longueur conservée du squelette est 1,60 m (les os des pieds ont disparu).
29Il n’y a pas de mobilier funéraire.
30On constate que les profils des tuiles utilisées pour construire cette tombe ne sont pas identiques, certains paraissant très archaïques, d’autres beaucoup plus récents.
31On date au Ve siècle av. J.-C. les fragments abandonnés par les fouilleurs clandestins sur l’emplacement des tombes "alla cappuccina" voisines de celle-ci, qui, en conséquence, doit appartenir à la même phase.
1988. ZONE LA COMUNELLA
32Au printemps 1988 la Surintendance archéologique de Reggio de Calabre, alarmée par des nouvelles de fouilles abusives sur les Murge, organisa rapidement une brève campagne de fouilles7. Constatant que les pilleurs avaient poursuivi vers l’ouest la dévastation de la zone où nous avions mis au jour en 1983 la tombe “alla cappuccina”, et que l’on trouvait sur le terrain après leur passage des fragments de lécythes attiques, de miroirs, de strigiles en bronze, d’amphoriskoi en pâte de verre, nous avons consacré l’essentiel de l’effort à ce secteur qui paraît occupé par une vaste nécropole du Ve siècle av. J. -C.
33L’obligation simultanée de respecter les arbres du reboisement et d’éviter les fosses des clandestins limitait les possibilités d’intervention; nous avons pu cependant dégager de sa couverture sableuse une surface carrée de 9 X 9 m et ainsi mettre au jour un secteur encore intact occupé par plusieurs sépultures.
Tombe 1
34Elle apparaît à faible profondeur (0,40 m d’humus brunâtre et 0,20/30 m de terrain sableux brun-orangé); elle fait partie d’un groupe de trois petites tombes orientées grosso modo N/S.
35La tombe 1 se présente comme une petite caisse construite avec des fragments de tuiles. La largeur des tuiles a déterminé la longueur de la tombe : 0,54 m; sa largeur est 0,39 m. Le fond est à 0,26 m de la tuile horizontale de couverture.
36La petite tombe était vide. Il s’agit, étant données ses dimensions, d’une tombe de nouveau-né.
Tombe 2
37Elle se trouve à l’est de la précédente, à 0,20/25 m de distance, et a également la forme d’une caisse de tuiles. Long. = largeur d’une tuile = 0,54 m. Largeur de la tombe : 0,32 m. Le fond, constitué, comme pour la tombe 1, d’un fragment de tuile, est à 0,22 m de profondeur.
38La tombe était vide; il s’agit, là aussi, d’une sépulture de nouveau-né.
Tombe 3
39Elle se trouve à l’ouest de la tombe 1, à 0,26/0,30 m de distance; c’est aussi une petite caisse de tuiles, long. 0,54, larg. : 0,32 m. Un fragment de tuile à 0,32 m de profondeur constitue le fond sur lequel se trouvent deux vases, une pyxis et un lécythe.
Le mobilier
40Pyxis sphérique à deux anses à section ronde dressées. Le couvercle manque. Le vase a été recouvert, sauf le tiers inférieur de la panse, d’un mauvais vernis noirâtre qui a presque entièrement disparu. L’argile est proche de MUNSELL 7. 5 YR 8/4 et 7/4. Haut. : 9,5 cm. Haut, sans anses : 8 cm. Diam. embouchure : 6 cm. Diam. panse : 10,6 cm.
41Lécythe attaque, fragmentaire : l’anse n’était pas dans la tombe (intacte) et avait en conséquence déjà disparu avant l’enterrement.
42Épaule réservée garnie de 5 palmettes (effacées). Panse vernie; le vernis est rongé par endroits, notamment pour la partie qui reposait sur le sol.
43Haut. : 17 cm. Diam. épaule : 6,8 cm. Diam. pied : 4,8 cm.
44Deuxième quart du ve siècle.
Tombe 4 (Cf. infra).
Secteur au SE de la tombe 2
45Le nettoyage fait apparaître la partie supérieure d’une amphore au milieu d’un cercle de pierres; à l’intérieur de l’amphore se trouvent des fragments d’une coupe à vernis noir, à lèvre concave. La poursuite de la fouille découvre deux tombes voisines, les T. 5 et 6.
Tombe 5
46On constate que l’amphore mise au jour se trouve à l’extérieur et contre l’angle NO de la Tombe 5 avec laquelle elle est clairement en relation. La couverture de la tombe 5 est constituée de deux séries de trois tuiles disposées dans le sens de la longueur; des couvre-joints assuraient l’étanchéité de ce toit à double pente; ils ne sont que partiellement conservés. Long. : 2,15 m. Larg. : 1,10 m. Orientation N/S.
47Après avoir démonté le toit on a trouvé, à la profondeur de 0,40/0,50 m par rapport aux murets latéraux, un plan formé par deux tuiles disposées avec soin (Long. : 1,85 m; larg. : 0,85 m.). À 0,80 m de l’extrémité sud, au centre (au niveau des mains?), fragments d’un aryballe. À 0,30 m de l’angle SO, contre le mur ouest, une situle, un skyphos et une petite olpè.
Le Mobilier
48Aryballe sphérique (non restaurable à fond plat; très petites dimensions. Vernis noir bien conservé. Argile proche de 7. 5 Y. R 7/4. Non attique.
49Situle à col resserré, panse sphérique sur une base étroite et conique; l’anse supérieure est à section ovale, le bec verseur en tuyau étroit. Traces de vernis noir sur l’anse, sous l’embouchure et sur le bec verseur. L’argile est proche de Munsell 7. 5 Y. R 7/6. Haut. : 18 cm. Haut, sans anse : 14,4 cm. Diam. embouchure : 8 cm. Diam. panse : 13,3 cm. Diam. pied : 6,8 cm.
50Skyphos verni; type attique. Base en anneau. Le vernis est écaillé à l’intérieur, sauf près du bord, mieux conservé à l’extérieur, notamment sur la zone des anses (qui n’a pas été emboîtée dans un autre skyphos lors de la cuisson). Le dessous de la base est réservé, uni.
51Argile proche de Munsell 7. 5 Y. R 7/6; production crotoniate ? Milieu du Ve s. av. J.-C. Haut. : 9 cm. Larg. : 17,3 cm. Diam. : 11 cm. Olpé miniature. Fond plat, anse surélevée. Sans décor.
52Argile beige-jaune claire, proche de Munsell 10 YR 8/4. Haut. : 9,3 cm. Haut, sans anse : 7,7 cm. Diam. max. ; 5,9 cm.
Extérieur de la tombe
53amphore d’argile beige, non restaurable. coupe vernie à lèvre concave. Non restaurable.
54Argile proche de Munsell 5 Y. R 7/4. non attique.
Tombe 6
55La tombe 6 est plus monumentale que la précédente et construite avec beaucoup de soin. La couverture n’est pas entièrement conservée; peut-être la construction de la tombe 5, qui s’appuie contre son mur Est, l’aura-t-elle endommagée. Orientation N/S.
56La couverture était à l’origine un toit à double pente fait de huit tuiles (long. : 2,30 m; larg. : 1,50 m env.); des couvre-joints protégeaient les liaisons des tuiles. Dans la partie supérieure la poutre faîtière (disparue) était couverte par une série de tuiles faîtières (καλυπτήρ ήγεμών). Le fond de la tombe est à 0,50/60 m de profondeur par rapport aux murets latéraux. Long, interne : 2 m; larg. : 1, 10 m.
57Il n’y a pas de mobilier funéraire. Au contact de l’angle SE de la tombe 6, à l’extérieur, une hydrie était placée, couverte par une coupe dont on a trouvé un fragment. Ces vases doivent être mis en rapport avec la tombe 6, comme l’amphore proche de la tombe 5 est reliée à cette dernière.
58Hydrie fragmentaire (la partie supérieure manque). La forme est large et resserrée vers le bas de la panse au-dessus d’un pied en échine arrondie. L’anse verticale a disparu; les anses latérales ont une section ronde. Le vase a été couvert de vernis noirâtre, sauf le bas de la panse; il en reste seulement quelques traces sur l’épaule, les anses.
59Argile proche de MUNSELL 7. 5 Y. R 8/6.
60Haut, conservée : 30 cm. Larg. : 39,5. Diam.
61panse : 32 cm. Diam. pied : 10,8 cm.
Tombe 4
62À 3,20/3,30 m de l’angle NE de la tombe 2, vers le nord, en décapant le terrain au niveau du plan de pose des trois petites tombes fouillées, on recueille plusieurs fragments d’un cratère attique à colonnettes à figures rouges. (Languettes vernies sur le plat de l’embouchure. Sur le bord concave, deux files de points entre filets. Au-dessus du décor en tableaux, file de languettes. Les tableaux sont encadrés verticalement par deux files de points entre filets. Le pied manque. On ne peut identifier que quelques fragments des tableaux : le torse d’un personnage féminin tourné vers la gauche devant un chapiteau (?); le bas du drapé d’une femme allant vers la gauche : à droite, pieds d’un personnage de face). Ce cratère paraît datable vers le troisième quart du Ve siècle. La poursuite de la fouille en ce secteur livre, sur 0,60 m de profondeur, et toujours au même point, de nombreux fragments appartenant au même vase. Les derniers fragments recueillis se trouvaient au contact de la couverture d’une grande tombe en forme de toit à double pente; elle est formée de quatre tuiles de chaque côté dont les jonctions sont protégées par des couvre-joints; la longueur du toit égale quatre largeurs de tuiles (2,16 m); les tuiles étaient à l’origine supportées par des travées de bois dont on trouve des traces à l’intérieur de la tombe; aux extrémités supérieures du toit, à la jonction des rampants, la cavité pour l’insertion d’une poutre horizontale en bois est encore visible. Orientation NO/SE.
63La tombe elle-même, sur plan rectangulaire, est faite de murets de pierres sèches, construits avec soin, la partie centrale des côtés courts étant légèrement plus élevée pour porter le toit. L’épaisseur des murets est 0,20/0,25 m environ. L’intérieur de la tombe a une longueur de 2,25 m et une largeur de 1,10 m environ. À 0,75/80 m de la partie supérieure des murets latéraux, quelques fragments de tuiles en position horizontale indiquent le fond de la tombe. On y recueille, à 0,70 m vers le NO à partir des angles sud et est, près des murets longs, un clou de fer; à chacun des angles, nord et ouest, un clou de fer; ces quatre clous à tête ronde (Diam. : 3,5 cm) pourraient indiquer la présence d’un cercueil en bois. Un très modeste mobilier a été trouvé contre le muret au nord-ouest.
Le mobilier
64Cruche-olpé à une anse en ruban (non restauratale).
65Le décor est limité à une bande de vernis noirâtre (effacé) à l’extérieur sous l’embouchure et deux bandes sous la prise inférieure de l’anse.
66L’argile est beige jaunâtre, proche de Munsell 10 Y. R 8/4.
67Haut. : 15,5 cm. Diam. panse : 14,3 cm. Larg. de l’anse : 2,3 cm.
68Askos à canal vertical central; il était entièrement verni à l’origine.
69Argile 7. 5 YR 8/6. Ce vase ne paraît pas attique. Milieu, troisième quart du ve s. av. J.-C.
70Haut. : 6,5 cm. Haut. vasque : 4,3 cm. Larg. : 8 cm. Diam. vasque : 7,5 cm.
71On a pu établir que le cratère attique, dont les fragments ont été recueillis au-dessus de la tombe, s’élevait précisément à la verticale du milieu de la couverture, soutenue par quelques pierres trouvées lors du nettoyage.
Tombe 5 et 6, cf. supra
Tombe 7
72Le nettoyage du terrain à l’est de la tombe 4 fait apparaître la couverture d’une tombe (tombe 7), qui occupe un espace de 2,20/30 sur 1,60 m environ. C’est, comme pour la tombe 4, un toit de tuiles à double pente, fait de deux séries de 4 tuiles, avec des couvre-joints. A l’extrémité nord, comme au sud, on voit une cavité, là où était la poutre horizontale qui soutenait le faîte du toit. L’orientation est N/S.
73Une fois le toit démonté, on constate que les murets nord et sud sont construits soigneusement avec des grosses pierres tandis que les longs murs est et ouest sont faits de dalles verticales peu épaisses. À 0,60/70 m de profondeur par rapport à la partie supérieure des murs latéraux on trouve quelques fragments de tuiles en position horizontale : c’est le fond de la tombe dont les dimensions internes sont 1,80 X 0,75/80 m. Il n’y a pas de mobilier funéraire.
Tombe 8
74Entre la tombe 7 et la tombe 4 se trouve une autre tombe (T. 8), qui a été détruite lors de l’installation de la tombe 4 : l’angle NO de la T. 4 taille l’angle NE de la T. 8. La T. 8 est mitoyenne de la T. 7, orientée comme celle-ci, mais décalée de quelques 40 cm vers le nord. Elle était couverte à l’origine par un toit analogue à celui des tombes 4 et 7; cependant tout le côté Est du toit a été brisé et s’est effondré; les murets de pierre sont conservés, sauf du côté Est. À 0,40 m de profondeur par rapport au mur sud, le fond de la tombe est constitué d’un plan de tuiles, complet sauf du côté nord. Longueur de la tombe : 2,40 m. Dans le secteur NE, sous l’angle NO de la tombe 4, on recueille deux fragments d’un skyphos à vernis noir (milieu duVe s.); c’est l’unique trace du mobilier détruit.
Tombe 9
75C’est une petite tombe sur le flanc ouest de la tombe 7. Deux grands fragments de tuiles couvrent un espace rectangulaire délimité par des murets bas et incomplets construits avec une seule assise de pierres.
76Le mur ouest de la T. 7 constitue la limite est de la tombe 9 orientée N/S. Longueur : 1,20 m; largeur : 0,74 m. Il s’agit évidemment d’une tombe d’enfant.
77Sur le fond de la tombe, marqué par des tuiles horizontales, on recueille deux vases.
Le Mobilier
78Petit lécythe attique; l’embouchure n’a pu être restaurée. Épaule réservée garnie de languettes et arêtes rayonnantes stylisées. La panse est occupée par un décor de palmettes dressées vernies sur le fond blanc (très effacé). Le bas est verni, sauf trois filets réservés.2e quart duVe s. av. J. -C.
Fig. 40. Tombe 10, en partie couverte par la tombe 4
79Haut. : 10,5 cm environ. Diam. maximum : 4,3 cm.
80Skyphos, type corinthien. Intérieur verni (effacé). Extérieur : zone des anses réservée sous un filet verni : vasque vernie sauf le bas, réservé au-dessus du pied. Dessous : la pente, convexe, du pied est vernie; un point au centre. Le vernis est effacé par zones. L’argile, proche de 7. 5 YR 7/4. ne paraît pas attique.
81Haut. : 7 cm. Larg. : 12,8 cm. Diam. : 8,3 cm. Diam. pied. : 4,5 cm.
82Ce mobilier paraît datable vers le milieu du ve siècle av. J. -C.
Tombe 10
83Le nettoyage de l’angle SE de la tombe 4 avait fait apparaître une tombe "alla cappuccina" en direction N/S. La tombe 10 est clairement antérieure à la tombe 4 dont l’angle SE s’appuie sur son flanc ouest.
84Elle est construite au moyen de deux tuiles de chaque côté, dressées obliquement, reliées par des couvre-joints, tandis que les extrémités sont protégées par une tuile verticale. Longueur : 1,70 m. Une fois les tuiles de couverture enlevées, le fond apparaît, formé de tuiles horizontales.
85Il n’y a pas de mobilier funéraire.
Tombe 11
86On découvre la tombe 11 au SE de la tombe 10, sur la limite est de la zone de fouille. Elle se présente couverte d’un toit analogue à celui des tombes 4, 6, 7, qui n’a pu être photographié ni dessiné car il fut détruit la nuit qui suivit le nettoyage superficiel. Orientation NO/SE. On remarque, au nord du muret nord, à 0,80 m, un skyphos verni sur une pierre isolée. Sur l’extrémité sud, un skyphos verni renversé. Long, de la couverture : 2,40 m; larg. : 1,60 m. Les dimensions, à l’intérieur des murets de pierres, sont 1,75 χ 0,90 m. Un lécythe attique occupe l’angle NO; un autre l’angle NE; une coupelle à une anse se trouve à 0,60 m de l’angle NO et à 0,20 m du muret ouest; un lécythe attique à 0,70 m du muret sud et à 0,40 m du muret Est; une coupe à 0,40 m de l’angle SE et à 0,20 m du muret Est; enfin un strigile en bronze à 0,30 m du muret nord au centre de la tombe.
Fig. 43. Tombe 11 : mobilier.
Le mobilier
87À l’extérieur de la tombe, à 0,80 m :
88Skyphos verni, type attique. Le vernis est effacé; l’argile, proche de MUNSELL 7. 5 YR 7/6. n’est pas attique; production crotoniate?
89Haut. : 8,5 cm. Larg. : 16,6. Diam. : 103 cm.
90Skyphos verni (trouvé sur la tombe); type attique; le vernis est mieux conservé. Argile comparable. Haut. : 8 cm. Larg. : 15 cm. Diam. : 10 cm.
91À l’intérieur de la tombe :
92Grand lécythe attique (non restaurable). Languettes à la jonction du col à l’épaule; sur l’épaule réservée, trois palmettes; panse vernie. Noter la concavité du dessous du pied. 1er quart du Ve s. av. J. -C.. Diam. embouchure : 6,8 cm.. Diam. pied : 7,8 cm.
93Lécythe attique. Épaule : 5 palmettes (effacées) sur fond réservé. Panse vernie sous une bande réservée (avec méandre?). 2e quart du Ve s. av. J. -C..
94Haut. : 19,5 cm. Diam. max. panse : 7 cm. Diam. pied : 4. 8 cm.
95Coupelle à une anse sans décor. Haut. : 4. Larg. : 11,4 cm. Diam. : 8,8 cm.
96Lécythe attique (non restaurable). Epaule réservée (décor effacé); panse vernie. La longueur mesurée sur le terrain était 15 cm. Diam. embouchure : 3 cm. Diam. pied : 3,6 cm. 2e quart du ve s. av. J. -C.
97Coupe basse attique du type "Castulo cup"8, presque intacte. Le vernis, d’excellente qualité, est bien conservé. Dessous du pied : la pente est vernie.
98Haut. : 4,8 cm. Larg. : 21,5 cm. Diam. : 15,7 cm. Diam. pied : 9,3 cm.
99Strigile en bronze (très mal conservé). Long. : 21 cm environ (mesurée sur le terrain).
Tombe 12
100La tombe 12 est en partie couverte par la limite ouest du secteur dégagé en surface; on élargit la fouille en ce point pour la libérer.
101Au cours du nettoyage on recueille, au-dessus de la tombe, un fragment de l’épaule d’un lécythe attique à palmettes (1er quart du Ve siècle), une colonnette d’un cratère attique et quelques fragments attiques à vernis noir du Ve siècle av. J. -C. ; au-dessus de l’angle NO de la tombe, deux fragments de lécythes à figures noires. Ce matériel paraît avoir glissé là, ce qui semble indiquer que des tombes légèrement plus anciennes pourraient se trouver un peu plus haut vers l’ouest. La couverture de la tombe 12 est en partie détruite; elle paraît avoir été à l’origine analogue à celle des tombes 4, 6, 7, 11; toutefois les tuiles se sont par la suite effondrées ves le centre et elles se trouvent en conséquence à 0,90 m de profondeur par rapport au niveau supérieur des murs latéraux. Sur les tuiles effondrées se trouve un fragment d’un lécythe à figures rouges (partie inférieure d’une figure drapée, 2e quart du Ve siècle av. J. -C.), un fragment d’un lécythe à figures noires de prolongation (classe de Beldam)9, un fragment d’une coupe vernie à lèvre concave. En nettoyant les tuiles qui couvrent le muret sud, on trouve un fragment de cratère à figures rouges (femme nue, penchée; attique; 480/470 env.). Ces fragments peuvent avoir appartenu à des vases disposés à l’extérieur de la tombe 12 ou d’une tombe voisine. La tombe 12 est exceptionnellement longue, mesurant, à l’extérieur, 3,10 m, et occupant une largeur de 1,50 m; à l’intérieur les dimensions sont : 2,50 m de longueur et 1,10 m de largeur. Orientation N/S. Les murets de pierre sont construits avec beaucoup de soin; l’emplacement de la poutre horizontale soutenant le toit est visibile au sommet et milieu des murets latéraux, où Ton observe une cavité analogue à celles des tombes 4 et 7. Près de l’angle SO, à 0. 40 m, un clou de fer à 0,40 m du sommet du muret. Des fragments du crâne se trouvent à 0,50 m du muret sud et, entre 0,50 et 0,80 m du muret nord, des os de jambes indiquent la position du défunt du sud au nord, tandis qu’un espace, actuellement vide, demeure disponible entre le muret sud et la tête10 ; on y recueille une très petite coupelle.
102Coupelle vernie. Diam. : 8 cm.
Tombe 13
103A l’est de la tombe 12, la T. 13 dépasse les limites de la fouille. On élargit ce secteur pour la libérer entièrement. C’est une petite tombe (Long, externe : 1. 50 m; larg. : 1,05 m) couverte de quatre tuiles disposées par paires dans le sens de la longueur. Orientation N/S. Les murets de pierres délimitent un espace de 1,30 X 0,80 m. Haut, des murets : 0,50 m environ. Au centre de la tombe, un lécythe.
Le Mobilier
104Lécythe attique miniature; fragmentaire. Sur l’épaule, languettes rayonnantes; sur la panse deux étages de palmettes disposées horizontalement; traces d’engobe blanc. 2e quart du Ve s. av. J. -C.. Haut, approximative : 8,5 cm. Diam. épaule : 4 cm.
Tombe 14
105En nettoyant le terrain à l’est de la tombe 10 (et au nord de la tombe 11), on remarque un aryballe qui repose sur le terrain; il se trouve à l’intérieur d’un rectangle idéal formé de quatre pierres isolées; on ne peut exclure qu’il s’agisse d’une tombe détruite dont les quatre angles et le mobilier auraient été conservés.
106Aryballe sphérique, à fond plat; embouchure en calice; anse en ruban de l’embouchure à l’épaule. Le vase était à l’origine couvert d’un vernis qui a laissé des traces partout sauf sur la partie inférieure de la panse; la facture est grossière, l’argile proche de MUNSELL 7. 5 Y. R 7/6. Production crotoniate? Haut. : 15,5 cm. Diam. panse : 11,2 cm.
1988. SONDAGE PRÈS DU MUR D’ENCEINTE À COTE 300/310
107Avant de quitter la montagne des Murge il a paru important de répondre à une question qui demeurait posée depuis 1983 : la nécropole révélée par le sondage SE de 1983, ouvert à l’est de la muraille, se prolongeait-elle plus à l’ouest?
108Pour s’en assurer il fallait tenter un sondage pour lequel la présence de la muraille imposait un recul vers l’ouest de quelques mètres; le sondage carré (2,50 m X 2,50 m) a été ouvert contre la face ouest du mur.
109A 0,60/80 m du plan de marche actuel apparaît un banc rocheux creusé de fentes profondes. En nettoyant une de ces cavités on met au jour un cercle de pierres de 0,45 m de diamètre; au centre un vase d’argile contenant une terre noirâtre et une petite cruche d’argile; près du vase, deux fibules à arc serpentant en bronze, une pointe de lance en fer, une lourde coupelle d’impasto. Cet ensemble était couvert par une large dalle.
110Il s’agit évidemment d’une tombe à crémation secondaire; les cendres ne sont pas visibles parce-que le terrain les a détruites; cependant deux petites pierres portant des traces de combustion se trouvaient, à côté de la petite cruche, dans le grand vase, qui peut en conséquence être considéré comme un ossuaire.
Le mobilier
111Ossuaire de forme ovale, en argile claire, beige; le vase a été fait au tour. Haut. : 25,8 cm. Diam. emb. : 14 cm. Diam. panse : 23 cm.
112Coupelle d’impasto à ombilic central marqué, de plan carré; une anse dressée obliquement. Parois épaisses.
113Haut. : 10,5 cm. Haut, sans anse : 8 cm. Largeur : 14 cm. Largeur vasque : 13,5 cm.
114Petit pot à lèvre évasée, une anse en ruban. Fait au tour. Le vase est couvert d’un mauvais vernis.
115Haut. : 9,5 cm. Diam. emb. : 8,5 cm.
116Deux fibules à arc serpentant à section ronde. Bronze. Long. : 6,5 cm.
117Pointe de lance en fer. Long, conservée : 42 cm (la douille a une cassure).
118Long. lame : 31 cm.
119Ce mobilier funéraire, qui associe un vase d’impasto façonné à la main avec des vases tournés, qui contient une paire de fibules de bronze d’un type commun à l’âge du fer, surtout dans les tombes d’hommes, peut être situé en un temps où la culture locale de l’âge du fer reçoit les premiers courants coloniaux; on la datera en conséquence du viie siècle av. J. -C.
120Si brèves qu’aient été les campagnes de fouilles des Murge, elles ont mis en relief l’importance du site pendant une durée considérable.
121Il n’est pas fréquent qu’un établissement de l’âge du fer, voisin d’une importante colonie grecque, ait survécu à la fondation de la nouvelle cité. On se rappellera l’effacement de nombreux habitats lors de l’arrivée des Achéens à Sybaris11. Sur les Murge la situation est différente : le reflet des premiers contacts entre Grecs et non Grecs (des Chônes?) apparaît dès le VIIe siècle, dans la tombe 1 (cote 300/310), où des vases faits au tour servent un rituel traditionnel (crémation secondaire) et voisinent avec un mobilier caractéristique de l’âge du fer. Il apparaît ainsi que l’installation des colons à Crotone n’a pas entraîné de changements profonds, au moins pour les habitats situés au nord du Neto12
122Les rapports de voisinage avec Crotone et les échanges que les habitants des Murge pratiquent avec les colons se multiplient au cours du VIIe siècle et sont illustrés sur les Murge par l’abondance du matériel corinthien depuis le deuxième quart du VIIe siècle 1313. La pratique de la crémation primaire, rencontrée dans le sondage SE de 1983, intervient alors, et c’est le rite qui domine à l’époque du Corinthien ancien14 ; cet usage, on le sait, n’a pas de précédents locaux tandis qu’il est largement attesté en Grèce comme en Grande Grèce15. Ainsi, au-delà des produits de l’artisanat grec, c’est-à-dire des formes de la vie matérielle, on constate que des modèles culturels grecs se reflètent sur les Murge, et cela jusque dans le domaine de l’expression religieuse qui prend un aspect hellénique : les ex-voto que reçoit au début du VIe siècle la déesse qui domine la montagne16 ne diffèrent en rien de ceux qui sont offerts dans les sanctuaires des divinités féminines de Crotone17. Ce que pouvait être alors l’habitat, nous n’en avons encore aucune indication précise, mais il paraît avoir été dispersé et réparti en plusieurs hameaux; quant aux tombes du vie siècle, elles pourraient, comme celles des dernières décennies du VIIe siècle, être groupées en petites nécropoles; l’une d’elles qui a intéressé les pilleurs, se trouve dans le secteur SO des Murge, au nord de la cote 370. La crémation fait place alors à l’inhumation qui est la seule pratique attestée au début du Ve siècle.
123Jusqu’à présent une zone unique, mais très étendue, a livré des tombes du Ve siècle. Il s’agit d’une importante nécropole, qui descend apparemment d’ouest en est et dont nous avons exploré un petit secteur en 1988. Bien que les tombes fouillées dans les nécropoles de Crotone n’aient pas encore été publiées, les informations qu’ont bien voulu me donner à leur sujet Cl. Sabbione et R. Spadea indiqueraient que le modèle crotoniate n’était pas ignoré des habitants des Murge : ces derniers, on l’a vu, inhumaient leurs morts dans des tombes à murets de pierres couvertes d’un toit de tuiles à double pente, ou bien dans des tombes "alla cappuccina"; comme chez les Grecs le mobilier funéraire est parfois absent, le plus souvent très modeste, et le lécythe est la forme dominante; les seuls vases de luxe, des cratères attiques à figures rouges, paraissent avoir été placés comme σήμα au-dessus des tombes, peut-être pour servir un culte post mortem; on ignore ici le goût de l’ostentation funéraire ou l’idéologie du symposion, si caractéristique des milieux barbares d’Italie. Tous ces traits sont révélateurs des liens étroits et durables qui ont existé entre Crotone et les Murge. Y avait-il sur le site des résidents grecs, comme on a pu le suggérer pour S. Nicola d’Amendolara? Seule une exploration systématique permettrait de répondre à cette interrogation.
124On ne décèle actuellement aucune indication d’un changement au cours du Ve siècle, d’une rupture qui aurait affecté ces relations de voisinage vers le milieu du Ve siècle 1818 ; la plus récente tombe connue dans cette nécropole paraît datable au début du IVe siècle : son mobilier, un lécythe aryballisque et un strigile en bronze, ne serait pas déplacé dans une tombe de jeune homme au Céramique d’Athènes19.
125Un changement radical intervient par la suite. Une muraille puissante protège alors un habitat groupé sur la partie la plus haute des Murge, entre les cotes 350 et 409, à proximité du sanctuaire. Une seconde muraille à cote plus basse (300/310 environ) enferme un vaste espace qui ne livre pas jusqu’à présent de traces d’occupation. Enfin, plus bas, une troisième ligne de fortification prolonge dans le secteur NE la brutale cassure de terrain qui, dans le secteur SE, assure une défense naturelle. L’entrée unique de cette puissante forteresse se trouve à la cote 250 env., au point de rencontre entre l’extrémité nord du ravin et l’extrémité sud de la ligne de défense artificielle.
126Ce système défensif est-il né d’un seul jet? Les fouilles futures devront répondre à cette interrogation; on peut observer dès maintenant que la vraisemblance plaide en faveur d’un projet unique dans lequel la muraille basse protégerait à la fois l’accès et les points d’eau, la muraille médiane les pâturages et les cultures, la muraille supérieure le sanctuaire et l’habitat.
127Comment dater ce formidable appareil de défense? Le terrain n’a jusqu’à présent livré que des indications très imprécises. Un sondage mené en 1983 au pied de la muraille supérieure a donné un terminus post quem au 2e tiers du VIe siècle20 ; le sondage SE de 1983 montre que la muraille de cote 300/310 passe sur de tombes de la fin du VIL siècle; ces évidences ne nous aident guère. En revanche les analogies que présente la technique à double parement en appareil pseudo-isodome enfermant un emplecton avec celle de nombreuses fortifications de Lucanie et du Bruttium au IVe siècle conduisent à une chronologie qui s’accorde bien avec la sécession des Brettiens en 356 av. J. -C. 21. On retiendra donc la période qui suit comme la plus vraisemblable.
128Au terme de la présentation des premiers résultats acquis par les prospections et par la fouille des Murge il paraît impératif de distinguer nettement cet établissement de celui de Strangoli; cette clarification est d’autant plus nécessaire que la confusion entre eux est entretenue par les divisions administratives modernes comme par la dénomination usuelle des "Murge di Strangoli". Or ces deux sites ont chacun leur histoire qui est bien différente de celle du voisin. L’un, la montagne des Murge, a un passé lointain que l’on peut retracer depuis la fin de l’âge du bronze, et l’on en suit les étapes, malgré quelques zones d’ombre, jusque dans le III siècle av. J. -C. ; on a vu son importance dès le VIIe siècle dans le dialogue avec les Crotoniates, sa profonde hellénisation au Ve siècle et sa transformation en forteresse au temps des Brettiens. L’autre, Strangoli, identifiable par des inscriptions à l’antique Petelia22, est un site moins connu jusqu’au milieu du IVe siècle, c’est-à-dire, vraisemblablement, jusqu’à l’établissement de la confédération des Brettiens. C’est alors, semble-t-il, qu’une muraille est construite dans la zone des Pianette et que le site ce développe tandis qu’une nécropole groupe des tombes dont le riche mobilier illustre des traditions funéraires propres aux populations sabelliques23.
129Les deux fortifications voisines coexistent pendant un siècle au moins (IVe-IIIe s.); l’une, celle des Murge, va s’éteindre au cours du IIIe siècle; pour les Pianette au contraire ce premier chapitre sera suivi d’une histoire longue et mouvementée et Petelia sera encore un centre florissant sous l’empire romain24.
130Quant à l’identification de l’habitat des Murge, dont il a déjà été question25, on résumera ici les questions qui se posent à son propos.
131D’un côté un texte du Pseudo-Aristote place à 120 stades de Crotone la cité de Macalla26, fondation légendaire de Philoctète, lors de son retour de Troie; si obscure que soit la prophétie de Cas-sandre chez Lycophron27, elle indique en tous cas que c’est au nord du Neto qu’il convient de chercher Macalla28.
132Au nord du Neto, sur les Murge, un établissement anonyme, important, a un passé remontant au moins à la fin de l’âge du bronze; il se trouve à une vingtaine de km de Crotone.
133Faut-il croire que cette agglomération, qui a entretenu avec Crotone d’étroites relations pendant plus de trois siècles, n’a laissé aucun souvenir dans la tradition historique? Que, par ailleurs, il pourrait exister, à la même distance de Crotone et dans la même région au nord du Neto, une autre petite ville, présentant les mêmes caractéristiques, qui serait Macalla?
134Une telle coïncidence paraît peu vraisemblable et l’hypothèse qui identifie les Murge à Macalla est d’autant plus convaincante que chaque moment de la recherche révèle l’exceptionnelle richesse archéologique et la longue durée de ce centre.
Notes de bas de page
1 J. de La Genière, CL. Sabbione, Indizi della Macalla di Filotette?, AMSMG, XXIV-XXV, 1983-84, p. 163-244. (abrégé infra : AMSMG 1983-84). CL. Sabbione, L’insedia- mentmento delle Murge di Strongoli, in Per un’identità culturale dei Brettii, Naples 1988, p. 197-200.
2 J. de La Genière, Atti Taranto 1971, Naples 1972, p. 271. CL. Sabbione, Atti Taranto 1976, Naples 1977, p. 920-22. ID., Le aree di colonizzazione di Crotone e Locri Epizefiri nell’VIII e VU sec. a. C., ASAA LIX, 1981, p. 275-289.
3 Sondage mené en collaboration avec C1. Sabbione; le texte présenté ici est fruit de nos observations communes. Pendant cette campagne, comme lors des travaux ultérieurs, l’aide de L. Mazza, E. Palopoli et E. Malena ne nous a jamais manqué; je suis heureuse de leur exprimer ma reconnaissance.
4 1983-84, p. 185, n. 20 et pl. LXXXI.
5 Le références à Munsell, Soil Color Chart, Baltimore, n’ont été indiquées que lorsque la comparaison est précise.
6 Haut. : 6,4 cm. Diam. embouchure : 3,8 cm Diam. panse : 6,8 cm. Cet aryballe était décoré à l’origine d’une bande vernie sur le plat de l’embouchure et de deux (?) bandes sur la panse (elles sont à peine lisibles). Plusieurs aryballes analogues sont conservés au musée de Crotone; leur provenance est la nécropole de Carrara; parmi les mieux conservés celui de la T. 448.
7 C’est un agréable devoir que de remercier E. Lattanzi, Surintendante des Antiquités, R. Spadea, Directeur du Musée de Crotone, Cl. Sabbione, Directeur du Musée de Locres, qui m’ont confié la responsabilité de cette recherche.
On trouvera ici la publication de l’essentiel des mobiliers funéraires découverts au cours de cette campagne. Plusieurs objets toutefois n’ont pu être restaurés car ils étaient trop fragmentaires. Je remercie Monsieur Screnci, magasinier du musée de Crotone, qui a pris la peine de rechercher ce matériel, alors que l’ensemble des collections étaient en cours de réinstallation; grâce à son aide les lacunes ont pu être presque toutes comblées.
8 E. Haspels, Attic Black-Figured Lekythoi. Paris 1936, p. 137, "Chimney mouth Lekythoi".
9 large espace libre dans une tombe bien construite et presque dépourvue de mobilier fait penser que des offrandes périssables ont pu y être déposées.
10 Pour cette dénomination voir B. SHEFTON, Madrider Beiträge 8, 1982, p. 404. fig. 24.
11 J. de La Genière, La colonisation grecque en Italie méridionale et en Sicile et l’acculturation des non Grecs, RA 1978, p. 257-276. EAD., C’è un modello Amendolara? ASNP S. III, VIII, 1978, p. 335-354; Grecs et non Grecs en Italie du sud et en Sicile, in Forme di contatto e processi di trasformazione nelle società antiche, Atti del Convegno di Cortona 1981, Pise-Rome 1983, p. 257-272. P. G. Guzzo, Città scomparse della Magna Grecia, Rome 1982, p. 298-322.
12 Ce problème des effets de la fondation de Crotone sur les populations voisines est examiné par M. GIANGIULIO, Ri- ccercherchcerche su Crotone arcaica, Pisa 1989, p. 225-226.
13 AMSMG 1983-84, Pl. LXXXII-LXXXIII, N. 21-32. CL. SABBIONE, art. cit. à la note 2 supra. M. GIANGIULIO, op. cit., p. 227 : «si deve ammettere che i contatti indiziati dalla presenza di manufatti greci si collegassero a processi di interazione tra le economie agro-pastorale e silvestre indigena da un lato, cerealicola ed artigianale della colonia dall’altro».
14 Ainsi les tombes 1-4 du sondage SE de 1983.
15 D. C. KURTZ et J. BOARDMAN, Greek Burial Customs, Londres 1971, p. 73-74, pour Gela, P. ORSI, Mon. Ant. XVII, col. 287, T. 28, col. 371, T. 12....
16 AMSMG 1983-84, pl. LXXVII.
17 CL. SABBIONE, L’artigianato artistico, Atti Taranto 1983, p. 245-301, pl. XL-XLVIII.
18 proposée par P. G. Guzzo, I brettii, Milan 1989, p. 35.
19 1983-84, n. 45-46, pl. LXXXVI.
20 Une coupe ionienne de type B. 2 a été trouvée dans une strate recouverte par la muraille.
21 Diod., XVI, 15. STR., VI, 1,4 = 255.
22 Ig. XIV, p. 156. C. I. L. X, p. 15 sqq.
23 Pour Petelia, cf. P. G. Guzzo et S. Luppino, Per l’archeologia dei Brezi. Due tombe fra Thurii e Crotone, MEFRA 92, 1980, p. 821-914. S. Luppino, Una statua equestre da Strongoli, in Studi Arias, Pise 1982, p. 661-666.
24 La prospérité de Petelia se manifeste particulièrement dans les monuments des nécropoles et dans la richesse des mobiliers funéraires.
25 AMSMG 1983-84, p. 177-179.
26 PS. -Arstt., De mir. ausc., 107.
27 Lycophr., 911-913, 919-929.
28 Les récentes discussions sur la localisation de Macalla sont résumées par M. Giangiulio, op. cit., p. 279 et n. 51, p. 290 et n. 57.
Notes de fin
* Les dessins illustrant cet article ont été réalisés par M. Pierobon (Centre Jean Bérard), A. Rizzo, G. Scicchitaro, E. Lazzarin (Soprintendenza Archeologica per la Calabria)
Auteur
Université de Lille-III
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Recherches sur les cultes grecs et l’Occident, 2
Ettore Lepore, Jean-Pierre Vernant, Françoise Frontisi-Ducroux et al.
1984
Nouvelle contribution à l’étude de la société et de la colonisation eubéennes
Centre Jean Bérard (dir.)
1982
La céramique grecque ou de tradition grecque au VIIIe siècle en Italie centrale et méridionale
Centre Jean Bérard (dir.)
1982
Ricerche sulla protostoria della Sibaritide, 1
Pier Giovanni Guzzo, Renato Peroni, Giovanna Bergonzi et al.
1982
Ricerche sulla protostoria della Sibaritide, 2
Giovanna Bergonzi, Vittoria Buffa, Andrea Cardarelli et al.
1982
Il tempio di Afrodite di Akrai
Recherches sur les cultes grecs et l'Occident, 3
Luigi Bernabò Brea
1986