Frazer et ses bois sacrés
p. 171-180
Résumés
Cet article considère la place des bois sacrés — particulièrement le bois sacré de Nemi —dans l’œuvre de James Frazer. Tout en admettant que l’œuvre de Frazer contribue peu à l’analyse moderne des luci, l’auteur montre l’importance du bois sacré de Nemi (et de son rameau d’or) non seulement à l’intérieur de la structure littéraire de son livre, mais aussi pour sa contribution à une grande popularité dans le monde anglo-saxon.
This article considers the function of the sacred groves — particularly that of Nemi — in the work of James Frazer. Although Frazer’s work has little to contribute to the modern analysis of the luci, the author tries to show the importance of the sacred grove of Nemi (and its golden bough) in the literary structure of the book, and in its becoming a popular model in the Anglo-Saxon world.
Texte intégral
1In : Les bois sacrés. Actes du colloque international de Naples. Collection du Centre Jean Bérard, 10, 1993, 171-180.
Introduction
2Le bois sacré de Nemi tient une place spéciale dans l’histoire de Γ anthropologie sociale. Pour les historiens de la religion romaine, au sens le plus strict, le culte de Diane dans le bois sacré et les étranges règles attachées aux fonctions du roi-prêtre (Rex Nemorensis) sont de peu d’importance ; les histoires autour du meurtre obligatoire du détenteur de la prêtrise par le prétendant rival sont colorées ou glaciales (cela dépend du point de vue) mais ont peu à apporter à notre compréhension du courant principal des cultes romains et italiens1. Cependant, dans une perspective plus large, le simple fait que Le Rameau d’or de Frazer commence et finit avec le bois sacré de Nemi, et que l’objectif avoué du livre est d’expliquer les particularités de l’étrange prêtrise de Nemi, donne au site et à son culte une importance centrale. En effet, Le Rameau d’or représente l’origine — 1’origine peut-être mythique — de la science de l’anthropologie sociale ; et son auteur, en tant que premier détenteur d’une chaire d’anthropologie dans le monde entier, a revendiqué le titre de premier anthropologue professionnel. Le bois sacré de Nemi, en d’autres termes, fut le cadre non seulement du meurtre du roi-prêtre, mais aussi de la naissance d’une nouvelle discipline.
Edmund Leach et le bois sacré de Nemi
3C’est avec ce contexte comme toile de fond qu’Edmund Leach, un des anthropologues britanniques les plus distingués de ce siècle, professeur pendant de nombreuses années à Cambridge, visita Nemi en 1985. Il était déjà en pleine retraite et ne s’y était jamais rendu auparavant. C’était pour lui (comme il l’appela lui-même, non sans une certaine ironie) un pélerinage. Le résultat de son voyage parut dans un court article intitulé : “Réflexions à propos d’une visite à Nemi : Frazer avait-il tort ?” (“Reflections on a visit to Nemi: did Frazer get it wrong?”)2.
4La réponse de Leach à cette question fut un oui catégorique. Il fut impressionné par l’ampleur et la taille des ruines antiques. Ces ruines, pensa-t-il, ne pouvaient que témoigner d’une grande richesse du sanctuaire, complètement à l’opposé de l’image d’un « lieu sans prétention en pleine forêt » qu’évoquait le compte rendu de Frazer. Frazer avait sous-estimé, selon Leach, la grandeur du site pour soutenir sa thèse que le culte était « une pauvre survivance de la “sauvagerie” ». D’un autre côté, pour lui, la taille des ruines suggérait que le secret de cet étrange culte était à chercher dans le domaine de l’économie pure. Et il analysa les luttes des rois-prêtres pour contrôler le bois sacré comme le signe non d’une sauvagerie primitive, mais comme celui d’un conflit totalement rationnel — le désir de contrôler Γ économie du bois. Ainsi exit Frazer et toute la thèse du Rameau d’or3.
5Le but de cet article n’est pas de prendre parti dans un débat entre Frazer et Leach ; ni de décider quelle interprétation du bois sacré de Nemi (et donc aussi de son culte) était correcte. Il s’agit d’essayer d’examiner l’arrière-plan des violentes attaques de Leach contre Frazer et de comprendre pourquoi, encore dans les années quatre-vingts, quelqu’un comme Leach pouvait se passionner autant contre Frazer à propos du bois sacré de Nemi4.
6Pour discuter de ce problème, je présenterai un paradoxe. Je soutiens que Le Rameau d’or n’est pas un livre sur les bois sacrés — ce qui revient à dire que pour celui qui veut comprendre l’histoire, les caractéristiques et les fonctions du bois sacré en général, Le Rameau d’or n’est pas un texte crucial. Mais parallèlement, on peut retourner le problème et ainsi affirmer que le bois sacré de Nemi constitue le centre de la structure du Rameau d’or, en tant que texte littéraire et théorique. Bref, il est inutile d’aborder les bois sacrés par Le Rameau d’or, mais pour comprendre Le Rameau d’or, son influence extraordinaire ainsi que sa popularité, nous devons comprendre la place privilégiée qu’occupe Nemi en son sein — place que Nemi partage avec le chêne et le réseau de relations avec Virgile.
Nemi et le rameau d’or de Virgile
7Chaque édition du Rameau d’or commence et finit avec le bois sacré de Nemi. Bien sûr, il y a des différences et des extensions. En particulier, la description du bois sacré s’est considérablement allongée au fur et à mesure que le livre passade deux volumes dans la première édition à douze volumes dans la troisième édition. Et pour cela, Frazer dut rassembler plus d’informations archéologiques sur le site et visiter réellement Nemi en 1901. Mais mon propos n’est pas d’examiner en détail cette évolution et ces changements. C’est la place en en-tête que Nemi tient dans toutes les versions qui m’intéresse5.
8Le traitement de Nemi par Frazer dans le chapitre d’ouverture du Rameau d’or est particulièrement réputé pour ses qualités littéraires évocatrices et sa fine prose. Frazer peint une image vivante du roi-prêtre de Nemi, rôdant autour d’un arbre du bois sacré, constamment aux aguets, cherchant le contestataire, qui (selon les règles du culte) couperait d’abord une branche particulière de l’arbre, et puis attaquerait le prêtre lui-même.
9« Dans le bosquet sacré se dressait un arbre spécial autour duquel, à toute heure du jour, voire aux heures avancées de la nuit, un être au lugubre visage faisait sa ronde. En main haute un glaive dégainé, il paraissait chercher sans répit, de ses yeux inquisiteurs, un ennemi prompt à l’attaquer. Le personnage tragique était à la fois prêtre et meurtrier, et celui qu’il guettait sans relâche devait tôt ou tard le mettre à mort lui-même, afin d’exercer la prêtrise à sa place. Telle était la loi du sanctuaire. Celui qui briguait le sacerdoce de Nemi n’entrait en office qu’après avoir tué son prédécesseur de sa main ; dès le meurtre perpétré, il occupait la fonction, jusqu’à l’heure où un autre, plus adroit ou plus vigoureux que lui, le mettait à mort à son tour.
10A la jouissance de cette tenure précaire s’attachait le titre de roi ; mais jamais tête couronnée n’a dû dormir d’un sommeil aussi fiévreux, hanté de rêves aussi sanguinaires, car d’un bout de l’année à l’autre, hiver, été, sous la pluie ou par le soleil, il avait à monter sa garde solitaire. Fermer, pour quelques brèves secondes, sa paupière lassée, c’était mettre sa vie en jeu ; la moindre trêve de vigilance lui créait un danger ; un minime déclin de ses forces corporelles, une imperceptible maladresse sur le terrain, un seul cheveu blanc visible sur son front, auraient suffi pour sceller son arrêt de mort.
11Les troupes de pieux et inoffensifs pèlerins qui visitaient le sanctuaire et qui suivaient des yeux ce prêtre sinistre sans cesse aux aguets, auront cru voir le beau paysage se voiler d’ombre, ainsi qu’il arrive quand une nuée obscurcit soudainement le soleil radieux. Quel singulier contraste avec son ambiance a dû former ce farouche individu, sous le ciel italien bleu de rêve, sous l’ombrage de ta forêt exubérante où le soleil tamisait ses rayons ! En esprit nous voyons plutôt la scène comme l’aurait vue un voyageur surpris par le crépuscule d’une de ces nuits tempêtueuses de l’automne, alors que les feuilles mortes tombent dru et que les vents semblent sonner le glas funèbre de l’année mourante. Tableau de désolation qu’accompagne une mélopée lamentable. Au fond, dans la découpure d’un ciel noir et orageux, la sombre forêt se dessine, tandis que la brise gémit dans les hautes branches, que les pas bruis sent sur les feuilles desséchées, et que les ondes glaciales clapotent sur la berge. Au premier plan, et sans cesse aucune, le veilleur ténébreux va et vient ; tantôt on l’aperçoit dans le clair-obscur, tantôt il se perd dans la pénombre ; mais, lorsque la lune se dégage du jeu des nuées et arrive à percer de ses rayons blêmes les rameaux enchevêtrés, la lame d’acier que le triste individu tient à l’épaule fait jaillir des lueurs comme des éclairs »6.
12Le travail de Frazer dépasse la simple description. Dès la fin du premier chapitre. Frazer a assimilé (grâce à un passage de Servius) la branche de l’arbre sacré au rameau d’or de Virgile— ce fameux rameau qui permit à Énée de voyager en toute sécurité dans le monde souterrain7. De plus, il a associé, grâce maintenant à un passage de Virgile lui-même, le rameau avec le gui et donc l’arbre sacré de Nemi avec le chêne. Ces équivalences sont soutenues, au moins de façon impressionniste, par les images visuelles choisies pour le livre : comme frontispice la peinture de Turner intitulée "Le rameau d’or" qui présente non seulement un lac, qui est bien sûr pour Frazer le lac de Nemi, mais aussi la Sibylle de Virgile porteuse du rameau d’or8 et sur la couverture du livre un dessin de gui rehaussé d’or, commandé spécialement9. En outre, Frazer lui-même met l’accent sur l’importance centrale du culte de Nemi en insistant sur le fait que le but de son livre est de répondre aux questions suivantes : pourquoi le prêtre doit-il tuer son prédécesseur et pourquoi doit-il s’emparer tout d’abord du rameau sacré ?10
13Le problème, c’est que 1’analyse de Frazer ne tient pas. Dès la première parution en 1890, toutes sortes d’objections avaient jailli. Il est évident, par exemple, que la description du prêtre, faisant sa ronde autour de l’arbre, est issue de l’imagination de Frazer. La seule source antique citée à l’appui mentionne que le roi-prêtre de Nemi était armé d’une épée, mais ne dit rien à propos de la garde d’un arbre et de son rameau sacré11. De même, il est clair que Frazer se trompe pour le site représenté par Turner : d’après les traits caractéristiques du paysage, il ne s’agit pas du lac de Nemi, mais du lac d’Averne12. Encore plus frappante est l’absence de base solide pour identifier la branche de Nemi avec le rameau d’or de Virgile. La preuve offerte par Frazer vient de Servius qui, dans un passage compliqué et allusif, semble inclure la branche de Nemi au titre d’une des quatre interprétations possibles du rameau d’or virgilien — bien que les difficultés du passage rendent incertaines quelles connexions précises entre l’arbre de Nemi et le rameau virgilien Servius avait à l’esprit13. Il n’existe pas plus de fondement à l’assimilation de chacune de ces branches avec le gui. Frazer se base sur le fait que Virgile compare son rameau d’or avec du gui ; mais cela n’est pas la même chose que de dire que le rameau d’or est du gui. En fait cela implique plutôt le contraire. Comme Andrew Lang l’avait déjà signalé en 1901, « un poète ne compare pas une chose à elle-même »14.
14Frazer semble avoir été conscient de quelques-unes de ces difficultés. Dans la bibliothèque de Trinity College à Cambridge, sont conservés les propres exemplaires de Frazer des diverses éditions du Rameau d’or, qui sont couverts de notes, de références à de nouvelles sources et de légères corrections pour les éditions futures. Dans son exemplaire de la seconde édition, nous pouvons encore voir Frazer tenter de remanier le passage crucial à propos de l’association de la branche de Nemi avec le rameau d’or de Virgile. Dans cette édition (comme dans la première), la phrase imprimée est la suivante : « La tradition rapporte que la branche fatidique (c’est-à-dire celle de Nemi) était le fameux rameau d’or, qu’Énée, par ordre de la Sibylle, cueillit etc. » Dans la marge, les ratures sont nombreuses. Cependant, elles n’auront pour résultat qu’un léger changement. Dans la troisième édition, Frazer remplace « La tradition rapporte » par : « Selon l’opinion des anciens, la branche etc. », et il ajoute une note renvoyant à Servius et avouant (pour la première fois) que ce dernier était le seul à corroborer cette interprétation. Ses corrections répétées de cette phrase et sa difficulté à s’exprimer montrent, à mon avis, sa prise de conscience du problème de son affirmation15. Ceci est confirmé par le changement de ton dans la troisième édition où il semble parfois (mais pas toujours) se rétracter de ses premières revendications sur le but de son travail. Dans les deux premières éditions, il affirme sans presque aucune équivoque que son but est d’expliquer la prêtrise du bois sacré de Nemi. Dans les derniers volumes de sa troisième édition, Frazer se contente de désigner le prêtre de Nemi comme le soi-disant héros (« nominal hero ») de son œuvre et suggère que son but réel est plus ambitieux que de simples recherches sur un problème particulier de la mythologie ancienne. C’est comme s’il essayait de repousser à l’arrière plan certains des problèmes posés par son interprétation du culte de Nemi16.
Nemi et le rameau d’or : problèmes d’explication
15Pourquoi alors, étant données ces difficultés évidentes, Frazer continua-t-il à insister de cette façon sur le bois sacré de Nemi ? Ce n’est pas, à mon avis, parce que l’idée du bois sacré en elle-même était particulièrement vitale pour le livre. Il est difficile, bien sûr, d’être certain de l’absence d’un quelconque intérêt pour le bois sacré en général de la part de Frazer. Impossible de le prouver. Mais il y a plusieurs omissions frappantes et significatives. Premièrement, bien qu’il donne une description très élaborée de Nemi, il n’offre pratiquement aucune analyse de la fonction du site ou du rôle précis et du caractère de ce bois sacré particulier, ou des bois sacrés en général. Sa très brève discussion des luci et nemora omet quelques-uns des passages les plus pertinents des auteurs classiques ; de plus, il néglige de s’engager dans la complexité des problèmes en jeu. En fait, son assertion confiante (fondée en grande partie sur Lucain et Properce) que nemus signifie au sens le plus strict « une ouverture naturelle ou clairière », tandis que lucus signifie « le bois sacré “boisé” », est probablement l’inverse de la vérité17. Deuxièmement, son manque général d’intérêt pour le bois sacré est révélé par son commentaire du texte de Pausanias, Périégèse de la Grèce, où il ne consacre presque aucune place aux bois sacrés mentionnés par Pausanias — omission improbable s’il avait vu quelque signification spécifique dans ce type de site18. Il est vrai que, en relation avec Nemi, il a revendiqué énigmatiquement, au tout début du Rameau d’or, l’existence d’un « lien subtil » entre le paysage naturel de Nemi et les rituels horribles qu’on y perpétrait. Mais il n’a jamais vraiment exploré cette possibilité d’une connexion entre l’aspect physique du site et sa signification religieuse19. Son insistance sur Nemi doit donc avoir d’autres racines.
16Une façon beaucoup plus séduisante de comprendre la prééminence de Nemi dans Le Rameau d’or a été proposée par Smith 1978. Pour Smith, la discussion de Nemi (et particulièrement l’identification de la branche sacrée avec le rameau d’or de Virgile et avec le gui) est centrale pour toute la structure de l’œuvre, à savoir qu’elle fournit un lien crucial pour le grand schéma comparatif de Frazer. L’argument est assez simple, même si quelquefois il est enseveli sous les détails. Le protagoniste de la seconde partie du livre est le roi-dieu nordique Balder, qui, dit-on, meurt par l’intermédiaire d’une branche de gui provenant d’un chêne. Afin de relier le mythe du roi-mourant dans le monde classique et le mythe tel qu’il apparaissait dans d’autres cultures européennes, Frazer était obligé de montrer que la branche de Nemi, comme la branche de Balder, était du gui. C’était le seul point commun possible entre les deux mythes. Autrement, il n’existerait aucune cohésion dans le livre, le livre ne serait qu’un ramassis de mythes différents. C’est pourquoi, quels que soient les problèmes existants, Frazer devait insister sur Nemi. Et il devait passer par une première identification avec le rameau d’or de Virgile, puisque c’est seulement par la comparaison de Virgile avec le gui qu’une connexion directe pouvait être établie entre la branche de Nemi et la plante qui tua Balder20.
17Smith reconnaît que Frazer devait savoir qu’il était sur un terrain mouvant. En fait, il va même plus loin en affirmant que Frazer était relativement conscient du non-fondement de son interprétation de Nemi et de l’identification de la branche sacrée avec la branche de Virgile. Pour Smith, Le Rameau d’or est une comédie de l’absurde — avec Frazer se moquant de ses lecteurs bernés et qui ne réalisent pas que le lien supposé tenir l’édifice est une illusion. En d’autres termes, selon Smith (1978, 238-239), Le Rameau d’or est un classique de la déconstruction, et Frazer est un héros derridéen. C’est une idée séduisante. Un bon moyen pour sauver Frazer du ridicule, pour lui conserver sa place de grand homme, plutôt que d’en faire le berné de ses propres préoccupations. Mais, en fait, à la lecture du livre, cela est insoutenable. Il est théoriquement possible, bien sûr, que Frazer ait ri constamment sous cape. Mais j’en doute. Rien, ni dans le livre, ni dans aucun autre de ses ouvrages, ni dans ses lettres et notes, ne laisse supposer une telle ironie.
18Cela signifie que nous avons à regarder ailleurs pour découvrir les raisons qui se cachent derrière l’accent mis par Frazer sur le culte de Nemi et le rameau d’or de Virgile. Nous devons regarder au-delà du simple besoin de fournir un parallèle direct au mythe de Balder, bien que cela constitue sans nul doute une partie des raisons. C’est pourquoi je désire maintenant aborder ce problème sous un angle différent. Je veux tout abord réfléchir sur l’extraordinaire succès et la popularité de ce livre.
La popularité de Frazer
19Il est difficile d’estimer l’influence réelle qu’a pu et que peut encore connaître ce livre en Angleterre et dans les pays de l’ancien Empire britannique. Le Rameau d’or est un des rares best-sellers de la littérature universitaire qui ait jamais existé. Ce livre est toujours imprimé (au moins dans l’édition abrégée) et se vend toujours aussi bien21. Ce qui est peut-être moins clair, c’est s’il se lit toujours aussi bien et aussi largement, car il est devenu un des symboles d’un certain niveau de la culture littéraire anglaise, qu’on s’attend à trouver sur les rayons de n’importe quelle bibliothèque privée de la middle-class. C’est le genre de livre que vous recevez maintenant comme prix d’honneur à l’école ; mais vous ne pensez jamais sérieusement à vous installer pour le lire. Cependant dans les premières années de ce siècle, il était lu et étudié avidement. Madame Chamberlain, par exemple, la femme du premier ministre Neville Chamberlain, était connue pour avoir Le Rameau d’or comme livre de chevet l’accompagnant dans la plupart de ses voyages à l’étranger22. Et la presse locale d’Angleterre et de l’Empire britannique (allant du London Evening News et du Glasgow Herald au Nairobi Standard et au Winnipeg Free Press) recommandait et citait constamment Le Rameau d’or. Toutes les fois que la presse choisissait de rendre compte d’une coutume étrange et étrangère, elle trouvait un parallèle fructueux dans Le Rameau d’or. Un exemple typique vient du Melbourne Age du 27 Avril 1940, qui contient un reportage sur la fondation d’une nouvelle association des femmes américaines dont l’un des objectifs était de trouver un nom plus acceptable pour mothers-in-law (belles-mères). L’article en question tentait de montrer la nature plus large du problème, en finissant sur un renvoi du lecteur au Rameau d’or, qui fournissait une ample documentation (sic !) sur 1’« impopularité mondiale de la belle-mère chez les peuples primitifs » 23.
20Frazer lui-même devint un héros national. Il ne reçut pas seulement les honneurs officiels (titre de chevalier, membre du prestigieux Ordre du Mérite, titres honorifiques dans diverses universités en Grande-Bretagne et à l’étranger), mais acquit aussi une célébrité spécifique — celle du chercheur obsédé, retiré du monde, ne sortant de temps en temps de son antre que pour accueillir des visiteurs célèbres. L’un d’eux fut Jesse Owens, ce superbe athlète noir qui déclara, par la suite, avoir été complètement “transporté” par sa rencontre avec le grand homme24. Et dans les années trente, la presse anglaise ne manqua jamais de célébrer l’anniversaire de Frazer et de rappeler sa vie dévouée au travail. Particulièrement bien connues sont les festivités de 1937, données à l’occasion de ses 83 ans. Une soirée réunit à Londres plus de 200 invités ; il y avait un énorme gâteau avec 83 bougies ; une courte opérette fut jouée, dont le livret reposait sur une histoire de Lady Frazer, intitulée (de façon on ne peut plus appropriée) The Singing Wood (Le bois chantant) ; et, comme bouquet final, ce qui enchanta particulièrement le vieil homme, des feux d’artifice d’intérieur25.
21Un des comptes rendus les plus notables26 commence par une description de cette soirée, mais se transforme en une appréciation évocatrice des exploits de Frazer. Sous le titre “Il a découvert pourquoi vous croyez ce que vous croyez”, figure ceci :
22« Des notables de tous pays se rendirent à l’hôtel Grosvenor hier après-midi pour rendre hommage au vieil homme aux cheveux blancs et aux yeux devenus aveugles par la lecture de nombreux livres. Il se tenait sous le rameau d’or de gui, amené spécialement de Norvège, symbole de l’œuvre de sa vie. Son corps vit à Londres, ville civilisée du vingtième siècle, mais son esprit erre dans l’espace et le temps, chez lui autant en Polynésie un millénaire avant J. -C., que dans le Nord glacé non encore envahi par les Vikings... Il a changé le monde non comme l’a changé Mussolini, avec des chemises de couleur et de l’huile de castor ; ni comme Lénine, jetant fièrement le bébé des humanités avec le bain immonde du tsarisme [sic : « boldly emptying out the baby of the humanities with the filthy bath of Tsarism »] ; ni comme Hitler avec la fanfaronnade de la force physique. Il/’a changé en altérant la composition chimique de l’air culturel que tout homme respire ; comme Darwin l’a changé, apportant à une humanité encore enchaînée la liberté par rapport à l’idole responsable de son esclavage... Ce tranquille étudiant sédentaire a un esprit semblable au corps de Francis Drake [explorateur et soldat anglais] parcourant des contrées éloignées et ramenant un précieux butin pour ses compatriotes. Mais Frazer ne dépouilla pas le passé mais rendit infiniment plus riche le présent ».
23La renommée de Frazer se répandit aussi en France où les journaux colportent des comptes rendus similaires sur le grand homme, ses accomplissements et ses habitudes personnelles. Ainsi, par exemple, Les Nouvelles Littéraires du 28 janvier 1928 contenaient un article de Frédéric Lefèvre intitulé : “Une heure avec Sir James Frazer”. Cette heure, en fait, consistait largement à interviewer Lady Frazer, qui divulgait (parfois dans une étrange mixture d’expressions anglaises et françaises) quelques-uns des goûts et dégoûts de son mari (« Sir James, dit-elle, vendrait son âme pour des fruits confits ») et ses attitudes au travail. Elle renvoyait à sa propre tâche, la préparation de la version abrégée du Rameau d’or, et aux “interférences” de Frazer dans le projet : « Je me mets à souligner les passages (sc. de l’édition complète) selon leur degré d’importance. Mon mari ne s’occupe jamais de mon travail, mais Le Rameau d’or c’est son bébé favori, et bientôt il commence à loucher sur mon travail ». La majeure partie de l’article a dû laisser perplexe le lecteur français moyen. Mais de tels comptes rendus ont sans nul doute contribué à la renommée de Frazer en France, qui lui octroya des titres honorifiques traditionnels tels qu’un doctorat honoraire à la Sorbonne et l’admission, en tant que membre correspondant, à l’Institut.
24Dans le monde anglo-saxon, cette sorte d’adulation de l’universitaire est extraordinairement rare — ce qui soulève le problème du fondement de la popularité de Frazer. Je proposerai deux explications de ce succès et parlerai de leurs rapports avec l’insistance de Frazer sur le bois sacré de Nemi et ses liens virgiliens.
Le schéma comparatif de Frazer et le rôle de Nemi
25La caractéristique la plus frappante de l’œuvre de Frazer est son comparativisme extrême. Si vous ouvrez Le Rameau d’or à n’importe quelle page, vous trouverez une série de notes en bas de page qui juxtaposent les informations du monde classique à celles de l’ethnographie de l’Empire britannique et à celles des traditions folkloriques des Iles britanniques elles-mêmes — comme, par exemple, l’arbre de Mai et les poupées de son —, ainsi qu’à toutes sortes de coutumes locales contemporaines dont témoignent Frazer et ses amis27. L’Empire britannique est certainement l’aspect le plus dominateur ici, fournissant les matières premières pour les coutumes "sauvages" discutées par Frazer. Et nul doute qu’en partie le succès du Rameau d’or dépendit de sa représentation acceptable des sujets de l’Empire à leurs maîtres britanniques, légitimant l’impérialisme même, par une conversion nette de la domination britannique en une prose académique. Mais le livre était plus que cela. Car les "sauvages" de l’empire transparaissaient juste comme un élément d’un schéma plus large qui incorporait à la fois le monde ancien et la Grande Bretagne contemporaine28.
26Bien sûr la méthode comparative n’était pas en elle-même nouvelle ; mais elle n’avait jamais encore trouvé une telle expression — expression à la fois si extrême et si sûre d’elle-même — dans un ouvrage réalisé explicitement pour une large audience. Si on regarde, par exemple, l’œuvre de Jane Harrison, contemporaine de Frazer et vivant aussi à Cambridge, on verra immédiatement la différence de ton et de caractère entre ses livres et ceux de Frazer. Bien que son approche repose essentiellement sur une comparaison entre le monde classique et l’ethnographie et l’anthropologie modernes, le produit final se présente comme un livre sur l’histoire religieuse grecque29. Un contraste similaire peut être constaté avec E. B. Tylor, dont Primitive Culture (1871) est l’“ancêtre” le plus direct du Rameau d’or. Le projet de Tylor était essentiellement comparatif, fondé sur la conviction que l’unité de l’humanité était de loin plus importante que les différences culturelles individuelles. Mais il écrivait pour un public académique plus restreint et ne faisait pas appel à un large éventail de comparaisons, particulièrement en ce qui concerne les traditions populaires des Iles britanniques30. Mais, ce qui est encore plus étonnant, c’est le matériel rassemblé par des périodiques ethnographiques et folkloriques à partir du milieu et jusqu’à la fin du dix-neuvième siècle, à la fois en Angleterre et en Europe. Ces journaux contiennent certainement des articles qui passent en revue la plupart des centres d’intérêt de Frazer (articles aussi hétéroclites que “Grossesse en Australie et Nouvelle-Zélande” ou “Les superstitions du Sussex de l’Ouest”). Mais c’est seulement dans des aires très spécifiques (surtout en anthropologie physique et anthropologie du langage) que les contributeurs écrivent des articles explicitement comparatifs. Ces périodiques fournissent la matière première de la comparaison, mais pas la méthode comparative elle-même. Ce qui est rarement dit, c’est comment chaque centre d’intérêt unique et isolé peut se relier aux autres. Quel est le problème intellectuel qui sous-tend cet intérêt à la fois pour l’ethnographie de l’Empire et le folklore britannique31?
27La réussite de Frazer résida dans la réunion de ces différents centres d’intérêt et dans leur intégration à l’intérieur d’un seul et unique programme intellectuel. A la différence de Tylor, Frazer étala plutôt qu’il ne cacha toute l’étendue de son approche comparative. Son “comparativisme” définit le caractère de son travail. Les implications de ceci furent d’une grande portée. La réunion même de ces différents types d’étude souleva de nouvelles questions— sur la nature de l’impérialisme britannique, sur les relations entre les habitants primitifs de l’Empire et les personnes de l’Angleterre rurale, sur la nature du rural et de l’urbain, sur la nature de l’étranger et du familier. Avec son livre (et ceci explique son succès immédiat), Lrazer arrive à tisser ensemble des questions majeures qui circulaient à la fin de l’époque victorienne.
28Mais alors, quel fut le rôle de Nemi et de son culte ? S’agissait-il seulement d’un élément de la partie classique du projet comparatif de Frazer — un culte romain antique à opposer aux rituels de l’Afrique ou des montagnes écossaises ? Ou était-ce juste un cadre astucieux fourni à 1’ensemble de 1’oeuvre, 1’excuse pour un exercice littéraire élaboré au commencement et à la fin du livre ? Le rôle de Nemi est beaucoup plus important et beaucoup plus lié au succès du projet de Lrazer. Le problème de Nemi rassurait très efficacement les lecteurs qui pouvaient avoir raisonnablement trouvé déconcertant le schéma comparatif ambitieux de Lrazer.
29Le secret du Rameau d’or était que, à l’intérieur de ce réseau complexe de vastes comparaisons, il offrait une question simple et une réponse qui de façon surprenante était aussi simple. Présenter dans un livre ouvertement “populaire” une vision intellectuelle qui embrassait l’étranger et le sauvage si étroitement avec le monde familier de l’Angleterre était en soi un pari dangereux. Mais Frazer réussit à rassurer ses lecteurs en même temps qu’il les troubla, les émoustilla, même les choqua. Car enfin, comme Frazer s’efforça de le rendre clair, toute l’érudition dangeureusement peu familière du Rameau d’or était dirigée vers l’élégante solution d’un problème qui ne pouvait être plus qu’un problème issu de l’histoire et de l’érudition classiques. Dans le monde victorien où les études classiques restaient au centre de 1’effort intellectuel traditionnel, Frazer utilisa le problème de Nemi pour légitimer son projet, pour l’habiller de respectabilité. L’exploration de grande envergure et insensée qui courait dans tout le livre recevait ses lettres de noblesse, à savoir un statut et une sécurité académiques, grâce à l’entrée en scène du culte de Nemi au commencement et à la fin de l’ouvrage32.
L’idée de l’exploration. Nemi, le rameau d’or et Le Rameau d’or
30Le Rameau d’or était plus qu’un simple travail d’anthropologie comparée. Une partie de l’engouement du lecteur du dix-neuvième et du début du vingtième siècles vient du fait que ce livre est un voyage. Je ne sous-entends pas par voyage que Frazer propose à ses lecteurs un guide ou un journal de voyage avec description des pays étrangers, description faite sur le terrain. Plutôt l’inverse, en fait. Car nous savons qu’une grande part de l’image populaire de Frazer venait du fait qu’il n’avait jamais visité les lieux dont il parlait avec moult détails. Comme un des journaux des années trente l’avait écrit : « Il [c’est-à-dire Frazer] adore déclarer qu’il n’a jamais vu un sauvage de sa vie ! » 33. Ce que je veux dire, c’est que Le Rameau d’or offre au lecteur un voyage métaphorique dans l’inconnu, le sauvage, l’Autre. Pour une société pour qui voyager en Méditerranée était en train de devenir une réalité bourgeoise, et pour qui les comptes rendus littéraires d’un tel voyage pouvaient être alors remplacés par une expérience directe, Frazer ouvrait une fenêtre sur des rivages bien plus sauvages.
31L’image de voyage transparaît en partie dans le langage même de Frazer. Il parle de son livre comme d’un “voyage” ou d’une “exploration”. Ainsi, par exemple, à la fin du premier chapitre du Rameau d’or, il écrit : « Nous allons donc, dès maintenant, nous consacrer à cet examen qui sera long et difficile ; mais peut-être offrira-t-il l’attrait d’un voyage de découvertes, durant lequel on voit maints pays étrangers, peuplés d’hommes étranges et curieux, aux mœurs encores plus bizarres. Larguons l’amarre, déployons nos voiles et quittons la côte italienne pendant un temps » 34. Mais peut-être plus important est le fait que ce vocabulaire d’exploration était sans cesse repris par les journalistes et commentateurs de Frazer qui parlent de le suivre dans ses voyages autour des aires marginales du monde et même le compare aux célèbres explorateurs anglais — comme Sir Francis Drake dans le passage cité supra35.
32Le développement de cette image trouve son terme le plus frappant dans un roman publié en 1890 qui était basé explicitement sur Le Rameau d’or. C’est Le grand tabou de Grant Allen36. Ce livre est une transposition littéraire de l’image métaphorique du voyage chez Frazer. L’histoire est celle d’un jeune homme, Felix Thurstan, et d’une jeune femme, Muriel Ellis, qui se rencontrent lors d’une croisière dans les Mers du Sud. Malencontreusement, Muriel tombe à la mer et malgré les tentatives de Felix, qui saute chevaleresquement à l’eau, ils ne peuvent être repêchés et doivent se réfugier sur une île nommée Boupari. Les coutumes religieuses de cette île semblent être un mélange de celles décrites par Frazer. A la fin, comme on s’en doute, le jeune Felix doit sauver sa propre vie et celle de la délicieuse Muriel — dont il est entretemps tombé éperdument amoureux — en s’emparant d’abord de la branche d’un arbre sacré puis en tuant le roi-dieu cannibale, et enfin en prenant la place de la divinité elle-même. La scène finale nous renvoie ou plutôt les renvoie en Angleterre, sauvés et jeunes mariés, aux prises avec une vieille tante de Muriel qui trouve à redire sur leur vie passée ensemble sur l’île pendant de nombreux mois sans avoir été mariés. L’épilogue consiste à remarquer que les tabous en Angleterre sont pratiquement identiques à ceux de Boupari37. Inutile de préciser que ce n’est pas de la grande littérature. Mais c’est une bonne illustration, voire une simplification naïve de ce qui reste implicite chez Frazer, à savoir que Le Rameau d’or est un voyage dans l’inconnu.
33Nemi et son culte sont doublement importants en ce qui concerne le voyage métaphorique vers l’Autre. Premièrement, Frazer se sert du monde classique — et par conséquent de sa place traditionnelle dans la culture britannique —comme Γ unique terre ferme de son voyage. Comme il le souligne lui-même dans le passage que j’ai cité, l’Italie (l’évocation même d’un problème classique) est son point de départ du voyage ; et c’est en Italie (aux cloches de Rome, en fait) que le lecteur retourne à la fin de son voyage. Mais de plus, l’équivalence entre la branche de Nemi et le rameau d’or virgilien joue un rôle privilégié pour le lecteur. Qu’apporte le rameau d’or à Énée, devons-nous nous interroger ? Il lui permet de pénétrer dans le monde souterrain et d’en revenir. Je pense qu’en insistant sur l’identité de la branche de Nemi et du rameau d’or, et en s’emparant justement de ce dernier pour désigner son œuvre, Frazer met en avant cette fonction de son livre. Son livre transporte le lecteur dans l’Autre mais le ramène aussi sain et sauf sur la terre ferme.
34Je conclurai par une citation de Jane Harrison38. Dans une référence brève à Frazer dans son autobiographie, elle déclarait que le titre heureux du Rameau d’or fit qu’il arrêta l’attention des universitaires. « Sir James, écrivit-elle, a un génie véritable pour les titres... Au son pur des mots magiques “Rameau d’or”, nous écoutâmes et comprîmes ». Harrison vit très bien, à mon avis, que beaucoup de choses étaient impliquées dans ce titre et notamment dans l’équivalence même entre la branche de Nemi et sa contrepartie virgilienne. Ainsi il ne s’agissait pas uniquement de trouver un lien avec Balder (comme l’a suggéré Smith) : Le Rameau d’orest non seulement un symbole de l’entreprise de Frazer, mais constitue cette entreprise même. En fournissant au lecteur le rameau d’or, Frazer lui garantissait un voyage certes périlleux, mais dont on revenait toujours.
35J’aimerais remercier vivement Olivier de Cazanove et John Scheid pour leur invitation à participer au colloque “Les bois sacrés”, et pour le stimulus apporté à approfondir mon travail sur Frazer. Valérie Huet m’a sérieusement aidée à traduire mon anglais (parfois idiosyncratique), tout d’abord en français parlé, puis en français écrit, améliorant souvent en route l’argumentation. Je suis aussi reconnaissante au personnel de la bibliothèque Wren de Trinity College à Cambridge pour son aide concernant le matériel manuscrit relatif à Frazer, ainsi qu’au Master et aux Fellows de Trinity College pour la permission de faire des citations à partir de ce matériel.
Bibliographie
Abréviations bibliographiques
J’ai cité de longs passages du Rameau d’or tirés de la traduction française de la version abrégée (Paris, 1923) = RO. Elle est due à Lady Frazer elle-même et, selon la préface, « nul autre traducteur... ne pouvait pénétrer si complètement la pensée intime du Maître ». Par ailleurs, j’ai tiré généralement mes références de la troisième édition du Golden Bough (12 vol., Londres, 1911-1915) = GB3 — signalant seulement les différences révélatrices entre les diverses éditions (GB1 (2 vol., Londres, 1890) et GB2 (3 vol., Londres, 1900). Deux études biographiques récentes (Ackerman 1987 et Fraser 1990) fournissent un compte rendu complet des aspects cruciaux des écrits et de la carrière de Frazer ; ils ne sont cités que lorsque leurs propos sont particulièrement appropriés à mon argument.
Ackerman 1987: ACKERMAN (R.), J. G. Frazer, his life and work. Cambridge, 1987.
Beard 1992: BEARD (M.), Frazer, Leach and Virgil: the popularity and unpopularity of The Golden Bough. Comparative studies in Society and History, 34, 1992, 203-224.
Fraser 1990: FRASER (R.), The Making of the Golden Bough: the origins and growth of an argument. Londres, 1990.
Smith 1978: SMITH (J. Z.), When the Bough Breaks, chap. 10 de Map is not Territory: studies in the history of religions. Leiden, 1978 (Studies in Judaism in Late Antiquity, 23).
Notes de bas de page
1 Pour la discussion du culte, voir A. E. Gordon, The Cults of Aricia. 1934 (University of California Publications in Classical Archaeology, 2, 1), l-20 et T. F. C. Blagg, The cult and sanctuary of Diana Nemorensis. In: M. Henig et A. King, Pagan Gods unci Shrines in the Roman Empire, Oxford, 1986 (Oxford University Committee for Archaeology, Monograph 8), 21 1-219. Sur l’archéologie du bois sacré même, voir ci-dessous, passim.
2 Anthropology Today. 1, 1985, 2-3.
3 La cible particulière de Leach est la version abrégée en un seul volume du Golden Rough, Londres, 1922, qui omet la plupart des informations archéologiques sur le site incluses dans la troisième édition de l’ensemble des volumes. Leach préfère de beaucoup le compte rendu donné dans cette version plus longue. En fait, l’inclusion même de ce matériel archéologique fait peu de différences avec Γ image frazérienne du site, qui reste remarquablement identique à travers toutes les éditions, que ce soit avant ou après sa visite. Cet article de Leach fut seulement le dernier d’une série d’articles où il essayait de détruire la base du travail de Frazer. Voir aussi: Golden Bough or Gilded Twig?. Daedalus, 90, 1961, 371-399; On the Founding Fathers: Frazer and Malinowski. Encounter, 25, 1965, 24-36 (discuté entièrement dans Beard 1992). Pour la bibliographie d’autres approches récentes de Frazer, voir Ackerman 1987, 315.
4 Je m’intéresse à l’importance culturelle de Frazer et à l’aspect central de son œuvre dans l’opinion populaire, plutôt qu’aux problèmes plus étroits de son histoire intellectuelle (l’héritage de Hume, la distinction enre la magie et la science, etc.). Pour ceux-ci, outre Ackerman 1987 et Fraser 1990, voir E. Evans-Pritchard, A history of Anthropological Thought. Londres, 1981,132-152; R. Alun Jones, Frazer and Robertson Smith. in G. Stocking, Functionalism Historicized: Essays in British Social Anthropology. Wisconsin, 1984 (History of Anthropology, 2) 31-58. Je ne crois pas pourtant que des questions académiques aussi précises soient à l’origine des préoccupations de Leach pour la position de Frazer, mais plutôt le rôle populaire de Frazer en tant que représentant symbolique de l’anthropologie.
5 Ackerman 1987, comme Fraser 1990, est plus concerné par le développement de la pensée de Frazer au cours des trois éditions du Golden Bough et suggère que des changements apparemment mineurs dans le traitement de Nemi et de son culte peuvent témoigner d’une révision plus fondamentale des théories de Frazer. Voir, par exemple, Ackerman 1987,240-241 ; Fraser 1990, 160-167. Même si ces révisions sont aussi importantes qu’ils le suggèrent, elles n’affectent pas la prééminence de Nemi dans chaque édition.
6 RO, 5-6.
7 Virgile. En., VI, 98-155; 183-21 1. Parmi la nombreuse littérature sur le rameau virgilien, voir C. P. Segal, Aeternum per saecula nomen, The Golden Bough and the tragedy of history, Part 1. Arion, 4, 1965, 617-657; Part 2. Arion, 5, 1966, 34-72; D. West, The Bough and the Gate. Exeter, 1987. Notez mon utilisation de l’italique— Rameau d’or ou Golden Bough — pour une référence au livre de Frazer, et de l’écriture en caractères romains pour désigner la branche de Virgile.
8 Illustration sur la couverture de ce volume.
9 Dessiné par J. H. Middleton (1846-1896), Directeur du Fitzwilliam Museum, Cambridge. Quant aux instructions détaillées de Frazer à l’éditeur sur l’apparence extérieure du livre, voir Fraser 53-54; 118.
10 GB 1 2, 223; GB Préface et 3, 201.
11 GB 3 I, 1 (= vol. 1), 9, n. 1, où est citée, en grec, la description de Strabon (V, 3, 12): «Aussi ce prêtre est-il en tout temps armé d’un glaive et se montre-t-il attentif aux attaques éventuelles et prêt à se défendre». Dans le même passage, Strabon mentionne le bois sacré, mais pas un arbre spécifique avec une branche particulière qui doit être cueillie. La seule source antique à mentionner une telle branche spécifique est Servius (passage cité, n. 13). Même lui ne suggère pas que le roi-prêtre gardait l’arbre mais seulement que le combat prendrait place après la “cueillette” de la branche par l’assaillant.
12 Pour de plus amples détails sur la peinture, voir M. Butlin et E. Joll, The Paintings of J. M. W. Turner. New Haven et Londres, 1984, n° 355 (cat. 204-205; pl. 359). Frazer même ne connaissait pas la peinture de visu. Il note (à tort) sur son propre exemplaire de GB 2 (Trinity College, Adv c 21 69) : « The original is said to be in the Public Gallery at Dublin » (« L’original est censé être dans la galerie publique de Dublin »), En fait, il a toujours appartenu aux Musées de Londres (la National Gallery et la Tate).
13 Servius, Commentaire de l’En. VI, 136 (voir Smith 1978, 215-221).
14 Virgile, En., VI, 201-209. Lang fut un critique de Frazer presque aussi au vitriol que Leach. Cette objection particulière vient de Magic and Religion. Londres, 1901, 215, un livre qui équivaut à une revue critique étendue du Golden Bough. Pour une discussion plus approfondie, voir Smith 1978, 224 et (pour le contexte de l’opposition de Lang), Ackerman 1987, 171-174.
15 GB21,4 (Trinity College, Cambridge Adv c 21 69), modifié dans GB 3 I, 1, (= vol.1), 11. Parmi les amendements répétés, l'ordre des corrections est difficile à démêler. Il envisagea et rejeta (au moins une fois): « Tradition, at least of the learned in the time of Servius, that is about the end of the fourth (?) century... »; « The general opinion of the ancients held that... »; « The general opinion of the ancients, as reported by the old Virgilian commentator Servius, held that... »; « According to the general opinion of the ancients... ». Auparavant, p. 4, il envisagea de changer dans la première phrase de ce paragraphe: « I begin by setting forth the few facts and legends which have come down to us on the subject » par « facts and opinions », bien que plus tard il décida de laisser la phrase telle qu'elle était dans la seconde édition. Pour se faire une idée du caractère des propres annotations de Frazer (parfois submergeant le texte imprimé), voir Fraser 1990, pl. 1, en face de la p. 196.
16 GB3 VII, 1 (=vol. 10), vi, (notez néanmoins que l’édition abrégée de 1922 déclare à nouveau que « the primary aim of this book is to explain the remarkable rule which regulated the succession to the priesthood of Diana at Aricia » [p. v]). Smith 1978, sp. 209-212 montre très clairement ce changement d’emphase tout au long des éditions successives.
17 GB’I, I (= vol. 1), 2, sp. n. 1. Parmi les passages appropriés pourtant non mentionné par Frazer, on notera spécialement Caton, De Agricultura 148.
18 Par exemple, Pausanias II, 11, 4 ; II, 13, 3 ; II, 27, 1 ; III. 4, 5 ; III. 26, 5, etc (Cf Chr. Jacob, dans ce volume).
19 OB’I, 1 ( =vol. 1), 1-2. Une affirmation similaire est faite dans la préface à GB3 IV, 1 ( = vol. 5), v, de nouveau à peine développée. Quant à l’analyse des « scenic passages » dans le Pausanias de Frazer (bien que non concerné par les bois sacrés), voir Ackerman 1987,137-139 ; Fraser 42-43.
20 Smith 1978, sp. 221-234. D’autres critiques ont noté l’importance cruciale de la similitude entre Balder et le roi-prêtre de Nemi ; voir Ackerman 1987, 95-110 et Fraser 1990, 191. Les premiers commentateurs furent frappés (de différentes façons) par le lien entre le mythe de Balder et celui du rameau d’or. Ainsi, par exemple, dans le Glasgow Herald (4. 6. 1890), le journaliste anonyme suggéra que Frazer « does not succeed, unless by straining, in harmonising the art of plucking the bough with the act of striking Balder » (« ne réussit pas, si ce n’est en forçant à harmoniser l’acte de cueillir le rameau avec l’acte de frapper Balder ») ; cependant des reporters de la Pall Mall Gazette (10. 6. 1890) et de The Academy (14. 6. 1890, Isaac Τaylor) étaient convaincus, Taylor croyant même que ce lien était le point le plus fort du livre.
21 Entre 1911 et 1922, 36 000 exemplaires de chaque tome de la troisième édition complète furent imprimés; entre 1922 et 1933, le tirage de l'édition abrégée fut de plus de 33 000 exemplaires (Ackerman 1987, 257; quant aux chiffres des précédentes éditions, cf. Ackerman 1987, 96; 113; 114; 162; 177). En 1990 les éditeurs réimprimèrent l'intégrale du GB 3 pariant sans doute sur un succès commercial.
22 Rapporté dans le London Evening News, 16.4.38.
23 Voir aussi, par exemple, le Daily News, 23.5.1896 (sur les rituels de couronnement); The Times, 14.7.1937 (sur la consommation de la viande de cheval); Cavalcade, 15.3.1941 (sur le vaudou pratiqué contre Hitler). L'index général de la troisième édition (couvrant presque 400 pages) tient compte sans doute de la fréquence de mention du Rameau d'or. Cet index effectivement transforma l'œuvre en une encyclopédie de références faciles aux coutumes mondiales.
24 Rapporté dans le Birmingham Post (3.9.1936).
25 Rapporté, par exemple, dans le Manchester Evening News (21.1.1937); le Daily Express (22.1.1937); le News Chronicle (22.1.1937) et tant d'autres. Les raisons de l'attrait de Frazer (à cette époque complètement aveugle) pour les feux d'artifice ne sont pas évidentes. Il est en général représenté par la presse comme peu intéressé par ces réunions, préférant le plaisir d'une bonne journée de travail. Voir, par
26 Gerald Hay lett, News Chronicle, 27.1.1937. Pour une discussion plus complète de ces célébrations populaires de Frazer, voir Beard 1992.
27 Notez, par ex., GB3 I. 1 (=vol. 1), 148-149, où les 12 notes en bas de page embrassent les coutumes de Java, de l'Inde du Nord, du Mexique, des comtés du Nord de la Grande Bretagne, de l'Allemagne et des Slaves, ainsi que des références à Mrs. Gamp (une sage-femme imaginaire bien connue) et Elien. Bien d'autres consultations offrent un éventail similaire.
28 Quant au rôle de l'Empire britannique chez Frazer et d'autres anthropologues victoriens, cf. G. Beer, Speaking for the Others: Relativism and Authority in Victorian Anthropological Literature. In: Sir James Frazer and the Literary Imagination (R. Fraser éd.), London, 1990, 38-60; C.R. Phillips, Classical Scholarship against its History. AJPh, 1 11, 1989, 636-657 (sp. 646-647); Beard 1992, 216-217.
29 Quant au “background” intellectuel de Harrison, voir R. Ackerman, Jane Ellen Harrison: the Early Work. GRBS, 13, 1972, 209-230, et la thèse de doctorat d'Ackerman: The Cambridge Group and the Origins of Myth Criticism. Ann Arbor, Michigan University microfilms, 1969.
30 La différence entre le travail de Tylor et celui de Frazer consiste en partie dans la présentation et le style (facteurs importants pour la réception populaire des œuvres). Il est frappant de comparer le flamboiement des notes de Frazer (cf. n. 27) avec la réserve de celles de Tylor tout au long de Primitive Culture. De même l'index de Frazer, dans GB3· déploie l'éventail de son schéma comparatif (avec une colonne de références aux traditions de l'Ecosse, et même 11 références aux traditions de Cambridge et du Cambridgeshire), tandis que celui de Tylor tend à le dissimuler (avec moins de 5 références dans l'ensemble de l'index de Primitive Culture aux sujets se référant aux traditions britanniques locales).
31 La liste des contenus des journaux plus ou moins ethnographiques illustre cela clairement. Considérez l'éventail proposé par le Journal of the Ethnological Society of London, n.s. 1 (1868-1869): de On the Pseudo-Cromlech on Mount Alexander, Australia et On some of the Mountains Tribes of the North West Frontier of India à Flint Instruments from Oxfordshire and the Isle of Thanet et On Chinese Charms. De même le Folk-Lore Record 1 (1978), incluant Some West Sussex superstitions lingering in 1868, The Folk-Lore of France (d'Andrew Lang), A Folk-Tale and various superstitions of the Hidatsa Indians (de Tylor lui-même), Divination by the Blade Bone et Wart and Wen cures. Parmi les périodiques européens, notez, par ex., Archivio per le tradizioni populari (depuis 1882), Mémoires de la société d'anthropologie de Paris (depuis 1860), Revue des traditions populaires (depuis 1886).
32 Ce point fut relevé par Warde Fowler dans sa revue critique de GB 1 (Classical Review, 5, 1891, 48-52). En discutant de l'importance de Nemi dans l'œuvre de Frazer, il conclut que Frazer « has provided us with a thread which at once increases both our comfort and our curiosity » (« nous a fourni une trame qui augmente d'un coup à la fois notre confort et notre curiosité ») (p. 49).
33 Rapporté, par ex., par les Northern Daily Mail, West Lancashire Evening Gazette, Portsmouth Evening News, Dublin Evening Mail, Oldham Evening Chronicle, Staffordshire Sentinel, Nottingham Evening Post (tous du 15.4.1936) et bien d'autres.
34 GB' I, I (= vol. 1), 43. Cf. aussi GB' VII, 2 (= vol. I 1), 308, pour une image prise à la voile introduite dans le dernier chapitre du GB' (cf. GB 2 3,462). L'image du voyage dans le Golden Botigli est notée par S.E. Hymans, The Tangled Bank. New York, 1962, 264-265, bien qu'il ne relève pas son importance.
35 Cf. supra, n. 26.
36 Discuté aussi chez Gillian Beer, cité n. 28, pp. 55-57.
37 Curieusement interprété par l'auteur de la critique dans le National Observer du 29.1 1.1890: «The conclusion you reach is that it is better to be Taboo (in the degenerate sense) at home than to be Taboo (in the original sense) and a god in a cannibal island» (« La conclusion à laquelle vous arrivez est que c'est mieux d'être tabou (au sens dégénéré) chez soi que d'être tabou (au sens originel) et un dieu dans une île cannibale »).
38 Reminiscences of a Student's Life. Londres, 1925,82 (repr .Arion, 4, 1965, 312-346 (p. 343). J'aimerais
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