IV. Les Grecs en Égypte
p. 135-194
Texte intégral
1Dans beaucoup d’études consacrées aux Grecs d’outremer, et particulièrement dans celles à caractère archéologique, l’Égypte est regroupée avec les états du Proche-Orient en un seul “bloc” oriental dont les relations avec les civilisations égéennes et ses influences sont traitées comme partie intégrante d’une même histoire. Ce qui a pour seul effet de rendre les choses plus confuses et plus compliquées. Car quels qu’aient été dans leur passé les rapports entre ces deux grandes civilisations de vallée – de la Mésopotamie et du Nil –, leur histoire et leur développement ont été par la suite tout à fait distincts, comme ont été complètement différents les récits et le destin des Grecs entraînés vers l’est en Syrie et vers le sud en Égypte, ou encore la nature des influences réciproques de l’Orient et de l’Égypte sur les Grecs eux-mêmes. La seule source de confusion et d’erreur pourrait résulter du fait que l’une des principales routes de l'Égypte vers la Grèce suivait la côte de Palestine, de Phénicie et d’Asie Mineure et donc que les objets égyptiens atteignaient la Grèce en effectuant une grande partie du chemin par l’intermédiaire de marchands orientaux. L’influence égyptienne était également forte en Phénicie dont l’art fut profondément teinté de manières égyptiennes, tandis que, comme on l’a vu au chapitre précédent, même les monuments néo-hittites de Syrie du Nord empruntèrent des motifs à l’art égyptien. Il est évident, par conséquent, que beaucoup d’éléments, qui, en Grèce, paraissent d’origine égyptienne, ont pu dériver de seconde main de modèles proche-orientaux, particulièrement phéniciens. Mais il est également certain que beaucoup furent directement puisés en Égypte par les Grecs et on peut assez souvent individualiser ces emprunts directs. Notre propos concerne cependant d’abord la présence grecque en Égypte même. Au cours de l’Age du bronze, c’est seulement la phase finale de l’histoire qui retiendra notre attention. Nous avons vu comment, au Proche-Orient, l'expansion de la culture ou des peuples mycéniens avait fourni un modèle aux établissements grecs postérieurs. En Égypte, le caractère des contacts avec les Grecs mycéniens fut complètement différent et ceux-ci n’influèrent en rien sur le cours des intérêts que les Grecs y manifestèrent par la suite. De la céramique du Mycénien récent a certes été retrouvée en petite quantité sur plus d’une douzaine de sites égyptiens le long du Nil jusqu’à Thèbes, et des trouvailles isolées ont été signalées au sud jusqu’à Assouan et en Nubie. Les récipients sont en général des amphores à étriers de type péloponnésien. Ces vases ne prouvent rien de plus qu'un actif commerce de l’huile, et ne sauraient être utilisés à l’appui de l’existence de communautés grecques régulières, même s’il n’est pas douteux que de nombreux marchands grecs ont dû résider temporairement dans le pays1.
2Les “Peuples de la mer” qui, à la fin du XIIIe s., s’abattirent sur les régions de la Méditerranée orientale et qui comprenaient peut-être des Grecs, furent refoulés, difficilement, mais complètement, du territoire égyptien2. Mais en dépit de son succès à endiguer les troubles qui annonçaient, dans l’Égée et au Proche-Orient, les débuts de l’Age du fer, l’Égypte connut elle aussi une longue période de décadence relative après la splendeur des dynasties du Nouvel Empire. Une brève reprise à la fin du Xe s. porta de nouveau une armée égyptienne en Palestine, mais, en Égypte même, on se trouve face à un vide archéologique.
3Ce n’est qu’à la fin du VIIIe s. que l’histoire égyptienne retrouve un cours moins anecdotique. Tout au sud prospérait le royaume de Nubie (Soudan), adonné au culte d’Amon comme les autres grandes cités d’Égypte, et dont les rois étaient apparentés à la dynastie royale égyptienne. En 730, le roi nubien Piankhi envahit l’Égypte qui, quinze ans plus tard tombait sous la domination de la dynastie éthiopienne (25e dynastie). Les rois nubiens gouvernèrent l’Égypte jusqu’en 664, sous la menace permanente du pouvoir grandissant des rois d’Assyrie dont les flottes d’invasion étaient en partie composées de Chypriotes. Ce fut le roi nubien Shabaka qui livra à Sargon le Grec Yaman qui avait suscité une révolte contre les Assyriens à Ashdod en 712. En 671 la Basse Égypte tomba aux mains des Assyriens et les rois nubiens ne purent jamais reprendre complètement le contrôle du delta du Nil. Nous entendons parler à nouveau d’une Égypte libre sous Psammétique Ier (Psamtik 664-610), fondateur de la nouvelle dynastie (26e), et en même temps, pour la première fois, de la présence d’un certain nombre de Grecs en Égypte.
4Avant cette date, l’intérêt des Grecs pour l’Égypte semble avoir été limité, mais quelques objets égyptiens avaient atteint la Grèce et cela peut révéler l’existence de contacts plus directs, quoiqu’épisodiques, entre les deux pays. Nous pouvons brièvement passer en revue ces importations, avant d’en venir à la véritable question des Grecs en Égypte, mais malheureusement, dans la plupart des cas, nous devrons nous contenter de signaler qu’ils datent d’avant le milieu du VIIe s. Les objets les plus anciens – perles, statuettes, vases, scarabées de faïence et quelques sceaux de pierre – apparaissent sporadiquement sur des sites grecs, durant le Premier Age du fer, comme des importations aléatoires, peut-être par l’intermédiaire du Proche-Orient. On en a trouvé en Crète, à Sparte, Argos, Sounion, Athènes, Égine, Théra, Éleusis (certains dans des tombes géométriques), Corinthe (dans une tombe du VIIIe s.), Pérachora (en contexte géométrique) et, en Grèce de l’Est, à Rhodes et Chios3. Il est possible, cependant, que dès le début du VIIe s., un atelier de Rhodes, actif à coup sûr quelques décennies plus tard, ait produit de petits objets de faïence très semblables4. Quelques objets mineurs ont même été transportés en Occident ; dans la colonie eubéenne de Pithécusses (Ischia) et en Etrurie, à Tarquinies, on a découvert un sceau et un vase en faïence portant le nom du roi égyptien Bocchoris (720-715 av. J.-C.)5. Parmi les trouvailles isolées de bronzes égyptiens, on peut signaler un miroir à Pérachora, certainement antérieur à 6506 (fig. 129), une figure d’Horus à l’Héraion d’Argos7, deux statuettes féminines et un élément de décor à Rhodes8 et une statuette d’ibis à Milet9 (fig. 130).
5De petits pendentifs en forme de fleur, appartenant peut-être à des boucles d’oreilles ou à des diadèmes égyptiens, ont été retrouvés sur divers sites de Grèce de l’Est, où ils inspirèrent à leur tour des pendentifs en forme de fleur ou de fruit de production locale10.
6Il y a cependant deux centres du monde grec qui accueillirent directement d’Égypte, sans intermédiaire oriental, des objets d’une autre qualité, notamment des bronzes : ce sont la Crète et Samos. Ce qui n’étonnera pas : la Crète constituait la première étape sur la route maritime directe vers la Grèce et nourrissait un intérêt bien attesté pour l’Afrique du Nord, particulièrement la Cyrénaïque ; et c’est un Samien qui passe pour avoir ouvert la voie du commerce avec l’Égypte tout de suite après le milieu du VIIe s. En Crète, à côté de petits objets de faïence, on a trouvé aussi des vases de bronze, dont une coupe et de belles œnochoés à anses ajourées en forme de lotus égyptien : cinq d’entre elles proviennent de la grotte de l’Ida, deux de tombes proches de Cnossos et une d’Amnisos11. Les trouvailles de Cnossos semblent suggérer une datation de peu antérieure au milieu du VIIe s., mais un exemplaire retrouvé récemment en Eubée, à Lefkandi12 (fig. 131), indique que le type aurait atteint la Grèce dès le IXe s. La grotte de l’Ida et Cnossos ont également livré des plaques d’ivoire égyptiennes13. Des lions accroupis tenant un bassin entre leurs pattes antérieures ont été retrouvés, soit en faïence (dans la grotte de l’Ida), soit en versions locales de tene cuite, comme l’exemplaire d’Afrati datable du milieu du VIIe s. (fig. 132), dont le type est égyptien, mais a été imité aussi en Palestine14. A Samos, plusieurs des riches groupes de bronzes (fig. 133) et d’ivoires égyptiens appartiennent à cette même période, mais aucun n’est antérieur à 70015.
7Le premier témoignage littéraire de la présence de Grecs en Égypte se trouve chez Hérodote16. Il s’agit d’abord de l’histoire d’un marchand samien, Colaios, dérouté vers l’Occident alors qu’il faisait route vers l’Égypte. Le récit laisse supposer que le trajet lui était habituel et que l’aventure dont il allait être le protagoniste (cf. ci-dessous p. 257-258) se situait vers 638. Ainsi peut-on déduire l’existence de contacts commerciaux au moins occasionnels entre l’Égypte et la Grèce de l’Est vers le milieu du VIIe s.
8Un autre épisode relaté par Hérodote concerne non des marchands, mais des soldats grecs – des mercenaires. Psammétique Ier avait été encouragé par un oracle à faire appel à des “hommes d’airain” pour reconquérir son trône. Peu de temps après, des pirates ioniens et cariens furent poussés par la tempête sur la côte d’Égypte. Ils portaient des armures de bronze, soit peut-être le corselet hoplitique en tôle de bronze, soit peut-être la cuirasse à écailles, faite d'une multitude de pièces en forme d’écailles cousues sur du cuir à la mode orientale. Avec leur aide, Psammétique l’emporta sur ses ennemis et, pour les récompenser, leur donna des terres – connues sous le nom de Stratopéda, c’est-à-dire les Camps – situées à cheval sur la branche Pélusienne du Nil (le site n’a pas été identifié avec certitude). Hérodote raconte que ces mercenaires furent traités avec largesse et respect par le roi, qui fonda même une “école d’interprètes”. Et il ajoute : « c’est par suite de leur établissement en Égypte et grâce aux relations qu’ils ont avec eux que les Grecs savent exactement, à partir du règne de Psammétique, tout ce qui se passe depuis dans ce pays ; car ils sont les premiers hommes de langue étrangère qui s’y sont établis »17. L’historien Diodore de Sicile ajoute que Psammétique encouragea aussi les Grecs à commercer avec l’Égypte18. Chez Hérodote, Cariens et Ioniens débarquent accidentellement, mais il est possible qu’ils aient été envoyés par le roi lydien Gygès19.
9Sous le règne de Nékao (610-595), nous n’avons pas de témoignage direct sur l’emploi de mercenaires grecs, mais le roi lui-même consacra à Apollon dans le sanctuaire des Branchides, près de Milet, l’armure qu’il avait portée lors de sa campagne victorieuse de Syrie en 60820, et ce fait pourrait impliquer la participation appréciée de soldats grecs. Plus tard, en 605, Nékao fut battu par les Babyloniens à Karkémish. Or, au milieu des ruines de Karkémish, dans une maison riche en objets égyptiens21, dont des sceaux au nom du roi Nékao, on a trouvé un bouclier de bronze grec (fig. 20) ; le lieu de la trouvaille pourrait suggérer qu’il appartenait à un soldat grec à la solde du roi égyptien. Nékao fit aussi construire des trières de guerre pour servir en Méditerranée et en Mer Rouge22 et il se peut que nous ayons là, comme sous le règne de Psammétique II (cf. infra), la trace de l’utilisation de l’expérience navale grecque, dans un domaine qui n’avait jamais constitué un point fort pour les Égyptiens.
10En ce qui concerne l’activité ultérieure de mercenaires grecs en Égypte, nous sommes par chance en mesure d’élargir considérablement la brève notice d’Hérodote selon laquelle Psammétique II (595-589) « fit une campagne en Ethiopie »23. Les monuments égyptiens montrent qu’il s'agit d’une expédition considérable menée en 591 contre le royaume de Nubie, qui menaçait de nouveau la Basse Égypte24. Un témoignage éloquent du rôle joué par les mercenaires étrangers est fourni par les inscriptions gravées sur les jambes des statues colossales rupestres d’Abou-Simbel (fig. 134) à plus de mille kilomètres de l’embouchure du Nil. Ces inscriptions sont celles de soldats grecs et cariens qui accompagnaient le roi et qui, semble-t-il, y occupaient d’importantes fonctions25. La plus longue inscription grecque (fig. 135) rapporte : “Quand le roi Psammétique vint à Éléphantine, ceux qui naviguèrent avec Psammétichos, fils de Théoklés, écrivirent cela ; ils arrivèrent au-dessus de Kerkis, aussi loin que le permettait le fleuve ; Potasimto commandait les hommes de langue étrangère et Amasis les Égyptiens. Ont écrit pour vous Archon, fils d’Amoibichos et Pélékos, fils d’Eudamos”.
11Nous ne connaissons pas le statut du grec Psammétichos, mais il y avait des généraux égyptiens à la tête aussi bien de la “légion étrangère” que des troupes égyptiennes. Potasimto (Pedisamtoui) est qualifié de “Général des Grecs” sur les monuments égyptiens26. Les autres inscriptions ne sont que de simples graffiti comme en font encore aujourd’hui les soldats (et les autres) sur les murs ou les monuments ; cependant certaines sont importantes car elles révèlent la cité d’origine des scripteurs. Ainsi, nous avons un Élésibios de Téos et un Pabis de Colophon, tous deux Ioniens, mais aussi un Dorien de Rhodes, Téléphos de Ialysos. Nous ne sommes pas sûrs de pouvoir conclure de la forme égyptienne de certains noms qu’il s’agissait d'hommes nés en Égypte, par exemple des enfants de mercenaires au service de Psammétique Ier. A la même époque nous trouvons, sur des inscriptions égyptiennes, mention d’un amiral égyptien Hor, “commandant des étrangers et des Grecs” (peut-être des Chypriotes) et nous connaissons la présence de Grecs dans la forteresse d’Éléphantine, établie par Psammétique Ier et qui abritait aussi une garnison juive27.
12Le récit d’Hérodote ne nous apprend pas grand-chose de plus sur les mercenaires grecs. Le roi Apriès (Ouahibré 589-570) conduisit une armée de 30 000 mercenaires cariens et ioniens contre Amasis (Ahmosé) en 570 : malgré leur conduite courageuse, ils furent battus et Amasis devint roi (570-526) – une autre version de l’épisode se trouve sur une stèle aujourd’hui conservée au Caire28. En dépit de ce choc avec les mercenaires grecs d’Apriès, Amasis à son tour favorisa les Grecs et il semble qu’il les ait utilisés au début de son règne pour s’opposer à une attaque du roi de Babylone, Nabuchodonosor29. Il épousa même une princesse grecque de Cyrène. Selon Hérodote, il transféra les mercenaires des Stratopeda à Memphis, « en faisant ses gardes du corps de préférence à des Égyptiens »30, mais il y a aussi des preuves archéologiques (cf. infra) de l'existence d’un fort en partie occupé par des Grecs, tout au long de son règne à Daphnae, c’est-à-dire dans la zone de Stratopeda. Cependant le plus important des privilèges qu’Amasis ait accordé aux Grecs, toujours d’après Hérodote31, concerne la concession de Naucratis :
13« Aux Grecs qui venaient en Égypte, Amasis concéda pour y habiter la ville de Naucratis ; à ceux qui ne voulaient pas habiter là, mais que la navigation y amenait, il concéda des emplacements pour y élever des autels et des sanctuaires à leurs dieux. Le plus grand de ces sanctuaires, le plus célèbre et le plus fréquenté, appelé Hellénion, a été fondé en commun par les cités que voici : les cités ioniennes de Chios, Téos, Phocée et Clazomènes ; les cités doriennes de Rhodes, Cnide, Halicarnasse, Phasélis ; et une seule cité éolienne, celle de Mytilène. Telles sont les cités à qui appartient le sanctuaire, celles qui fournissent aussi les préfets du marché (prostatai) ; toutes les autres cités qui prétendent y avoir part prétendent y avoir part sans y avoir aucun droit. Indépendamment de ce sanctuaire, les Éginètes en leur particulier ont fondé un sanctuaire de Zeus ; les Samiens, un autre d’Héra ; les Milésiens, un d’Apollon. Autrefois, Naucratis seule était un port ouvert au commerce, et il n’y en avait pas d’autre en Égypte ; si quelqu’un pénétrait dans une autre bouche du Nil, il lui fallait jurer qu’il n’était pas venu de son plein gré, et, ce serment prêté, faire voile avec son navire pour la bouche Canopique ; ou, si les vents contraires lui rendaient impossible cette navigation, il devait transporter sa cargaison sur des barques du pays en faisant le tour du Delta jusqu'à ce qu’il arrivât à Naucratis. Telles étaient les prérogatives de cette place ».
14Signalons également ici la mention par Strabon d'un raid des Milésiens, suivi de la construction d’un fort dans le Delta, avant la fondation de Naucratis, et d’un poste égyptien à Rhakotis (la future Alexandrie) destiné à s’opposer aux pirates grecs32.
15Le témoignage archéologique montre assez clairement que Naucratis fut fondée bien avant le règne d'Amasis et nous pouvons interpréter le texte d’Hérodote comme la référence à quelque réforme ou régularisation du statut de la concession. Mais il est temps de voir en détail ce que nous savons de cette grande ville commerciale grecque dans le Delta du Nil.
NAUCRATIS
Le site
16La ville de Naucratis se situe sur la rive est de la branche canopique du Nil, à moins de 80 km de la mer et de la capitale hellénistique, Alexandrie, et à seulement 15 km de Sais, capitale de la 26e dynastie. Petrie découvrit le site sur les collines de Kôm Gi’eif, à quelque 3 km du village d’El-Niqrâsh, dont le nom conserve la trace du nom antique. Il le fouilla en 1884-85, et ses travaux furent poursuivis par Gardner, Griffith et Hogarth en 1899 et 190333. Les fouilles ne furent pas conduites dans les meilleures conditions (fig. 136). Bien souvent les fouilleurs se contentèrent de creuser autour ou à travers des emplacements déjà explorés par leur prédécesseur ; quant à la technique de publication de Petrie (pour ne pas parler de sa technique de fouille), on découvre combien elle est peu fiable chaque fois qu’il est possible de contrôler la datation de la céramique décorée ou des petits objets par des comparaisons avec d’autres trouvailles du monde grec. Des tentatives récentes pour ressusciter la stratigraphie de certains secteurs du site se sont révélées peu concluantes34.
17Les principaux édifices de la ville furent ainsi explorés morceau par morceau, tandis que les maisons furent négligées et que les nécropoles de la phase la plus ancienne ne furent pas localisées. La situation pour le chercheur d’aujourd’hui se trouve en outre compliquée par la dispersion des trouvailles dans des musées et des collections privées à travers le monde ; cependant un travail est en cours pour tenter d’en faire une étude complète.
18Les deux-secteurs les plus intéressants de la ville telle qu'elle a été fouillée se trouvent respectivement dans la zone septentrionale et dans la zone méridionale. L’historique des principaux édifices a été repris et clarifié par W. von Bissing, mais il reste encore des problèmes d’identification et de datation, qui demeureront peut-être à jamais obscurs (fig. 137).
19Dans la partie sud de la ville, l’un des bâtiments les plus imposants est une construction massive que Petrie prit pour un fort et que von Bissing a interprété comme un trésor ou un entrepôt de type égyptien édifié sans doute avant la fin du VIIe s. Juste au nord, à l’intérieur d’un petit téménos délimité par un mur, se trouve le temple grec d’Aphrodite, un simple édifice à deux pièces précédé d’un autel à degrés. Le temple lui-même a été reconstruit au moins deux fois, mais toujours avec les mêmes dimensions (env. 14x8 m), sur le même plan et avec le même matériau de briques crues35. Les offrandes recueillies dans le temple au cours des fouilles appartiennent clairement à la phase la plus ancienne. Parmi elles, on peut relever tout particulièrement la masse de vases chiotes, dont certains datables vers 600 av. J.-C. Pour le reste, on note, à partir du début du VIe s., une bonne proportion de céramique de Grèce de l’Est et d'Athènes et quelques objets de type chypriote. Les dédicaces peintes (fig. 141) ou gravées (fig. 139) sur les vases nous révèlent le nom de la déesse, Aphrodite. Hérodote ne parlait pas d’un temple d’Aphrodite, mais une mention plus tardive, attribuée à un écrivain local, laisse entrevoir une certaine ancienneté du culte et affirme que la statue de culte avait été apportée de Chypre. Quant aux trouvailles, elles pourraient suggérer une participation des Chiotes à la fondation du temple36. L’autel à degrés représente une construction intéressante et importante s’il date réellement des toutes premières années du sanctuaire. Il consiste en un escalier de quatre degrés, d’environ 2,80 m de large, menant à la plate-forme pour les sacrifices. Ce type offre quelque ressemblance avec les autels à degrés égyptiens, qui sont cependant généralement plus hauts et avec des degrés plus étroits, et on a pensé que les architectes ioniens avaient pu l’adopter sur place37.
20A l’est du temple d’Aphrodite se trouvait un petit atelier de scarabées de faïence, actif surtout au début du VIe s. et dont nous reparlerons plus loin.
21Les temples du secteur nord de la ville sont à peine mieux connus. L’existence d’un temple d’Héra – sans doute l’Héra samienne – est attestée par des inscriptions sur des fragments de céramique du VIe s., par les vestiges du téménos et peut-être par ceux du temple lui-même. A proximité se trouve le temple milésien d’Apollon, lui aussi à l’intérieur d’un téménos. Les dédicaces sur céramique qu’on a recueillies indiquent que le culte remonte aux temps de la fondation de la ville. Des édifices eux-mêmes ne subsistent que quelques fragments architectoniques, dont certains connus seulement par leur description. Par exemple, l'unique fragment de chapiteau en pierre vu par Petrie fut brisé avant d’avoir pu être photographié. Plusieurs éléments semblent appartenir à un beau temple en calcaire, construit vers le milieu du VIe s. ou un peu avant, à colonnes ioniques pourvues d’un astragale à motifs floraux de type samien. Le premier temple fut remplacé par un autre, en marbre, comportant des moulures également élaborées, peut-être vers le début du Ve s.38.
22Les temples d’Héra et d’Apollon étaient mitoyens. Plus au nord, tout proche, mais à l’intérieur d’un enclos séparé, s’élevait un temple plus petit, consacré aux Dioscures d’après les dédicaces inscrites sur céramique à partir de la première moitié du VIe s., mais qui n’est mentionné par aucun auteur ancien.
23A l’est de ces trois sanctuaires, Hogarth en avait retrouvé, en 1899, un autre, plus grand, qui pourrait être identifié avec l’Hellénion mentionné par Hérodote comme fondation conjointe de plusieurs cités de Grèce de l’Est. Encore une fois, le site est architecturalement décevant, mais les inscriptions sur vases céramiques nomment un certain nombre de divinités : l’une des plus significatives mentionnent tout simplement “les dieux des Grecs”. Comme aucun de ces vases votifs n’est à dater obligatoirement avant le règne d’Amasis, on peut penser que la fondation de l’Hellenion fut la conséquence de la réorganisation par ce roi du statut de Naucratis, tandis que les sanctuaires indépendants – d’Apollon milésien, d’Héra samienne, d’Aphrodite de Chios (si l'identification par la céramique chiote est correcte) et de Zeus éginète (mentionné par Hérodote) – appartenant aux premiers temps de la ville, trahiraient l'identité des principales puissances qui y étaient engagées. Malheureusement, le sanctuaire éginète n’a pas été retrouvé ; si l’on pouvait lire “Dioskourôn” (“des Dioscures”) au lieu de “Dios” (“de Zeus”) dans le texte d’Hérodote, on pourrait l’identifier avec le temple des Dioscures, mais les dieux jumeaux ne sont pas attestés sur l'île, alors qu’il y a au contraire un sanctuaire important de Zeus Hellénios, rencontré aussi à Naucratis dans l’Hellénion.
Les trouvailles
24Le mobilier archéologique de Naucratis fournit pour la première installation grecque une date qui réfute celle du règne d’Amasis donnée par Hérodote. La céramique la plus ancienne datable avec certitude est, comme d’habitude, corinthienne : un fragment du style de transition du protoco-rinthien au corinthien datable vers 630-62039 (fig. 138) et surtout des fragments du corinthien ancien de la fin du VIIe et du début du VIe s. Dans la mesure où la fondation de Naucratis fut avant tout une affaire de Grecs orientaux, la plus ancienne céramique devrait être originaire de Grèce de l’Est et sans doute est-ce réellement le cas pour beaucoup des fragments de ce type appartenant à la fin du VIIe s. : mais, dans l’état actuel de nos connaissances sur la chronologie des vases, nous ne savons pas préciser l’antériorité des pièces les plus anciennes et le corinthien reste notre témoignage le plus sûr. Cela signifie que, s’il est certain qu’il y avait des Grecs à Naucratis en 620, il n’est pas impossible qu’ils aient pu y arriver 20 ans auparavant. Remarquons cependant que von Bissing avançait une date un peu plus tardive – sous le règne de Psammétique II (595-589) – en s’appuyant sur l’absence de scarabées portant le nom de rois égyptiens antérieurs40. Le témoignage concret de la céramique, qui atteste l’existence d’un établissement grec appréciable avant 600, semble devoir l’emporter sur cet argument e silentio, mais le champ reste ouvert pour un rajustement.
25On aurait aimé pouvoir attribuer les catégories de céramique de Naucratis à chacun des différents états connus pour y être intervenu. On y parvient seulement dans une certaine mesure. Selon Hérodote, les Ioniens étaient représentés par Chios, Téos, Phocée et Clazomènes ; les Doriens, par Rhodes, Cnide, Halicarnasse et Phaselis ; les Éoliens, par Mytilène (Lesbos). Il s’agit de ceux qui se partageaient l’Hellénion, mais il y avait à côté les sanctuaires édifiés par les Éginètes, les Samiens et les Milésiens. Hérodote parle de la période d’Amasis, mais il est probable que tous ces états, ou la plupart d’entre eux, furent présents à Naucratis dès les premiers temps de son histoire grecque.
26La plus grande partie des vases et fragments recueillis par les fouilleurs sont des ex-voto finement décorés, déposés dans les sanctuaires41. Passons d’abord en revue les céramiques de Grèce de l’Est.
271- Beaucoup de vases, y compris des pièces datables de la fin du VIIe s., sont d’origine ou de type rhodien. Il s’agit, semble-t-il, d'une catégorie de céramique en usage dans toutes les cités doriennes de Grèce de l’Est en général et il est probable que Milet aussi a utilisé et produit des céramiques du même type : nous avons déjà évoqué le problème de la céramique milésienne de cette période à propos d’Al Mina. Ces vases “rhodiens” étaient également en usage dans les villes grecques orientales plus septentrionales, mais la plupart d’entre elles avaient leurs propres productions, soit dans un style que nous avons encore du mal à distinguer du rhodien, soit dans un style local particulier que, par chance, nous pouvons identifier parmi les trouvailles de Naucratis : tels sont les vases de Chios, Samos, Clazomènes et Lesbos.
282- La céramique chiote est facilement reconnaissable à partir de ses formes les plus populaires (en particulier les calices et les canthares), de son bel engobe blanc et d’un style de dessin très particulier. On en a retrouvé une telle quantité à Naucratis, avant que l’atelier ait été identifié sur l’île de Chios, qu’elle fut longtemps qualifiée de naucratite. Un tel qualificatif est évidemment faux pour une indication d’origine et de style, mais n’est peut-être pas totalement inadéquat comme nous allons le voir. Les plus anciens vases chiotes de Naucratis appartiennent encore au VIIe s. comme l’indiquent tant les formes précoces de certains calices que le type de décor. Quelques-uns des plus beaux vases de Naucratis font partie de cette catégorie (fig. 139), qui pour ne s'être jamais imposée sur les marchés de la céramique grecque, figure cependant en bonne place parfois loin de son lieu d’origine, en Étrurie par exemple. Parmi les vases chiotes de Naucratis, il en est qui, jusqu’à présent, ne sont pas attestés par les fouilles à Chios même42, et on peut légitimement se demander s’ils ne pourraient pas avoir été fabriqués à Naucratis par des potiers chiotes. Il s’agit essentiellement de vases votifs, qui auraient pu facilement être exécutés pour le marché local, voire même avec de l’argile importée transportée comme lest sur les navires céréaliers. Les exemplaires les plus caractéristiques sont de fins calices dont le décor polychrome (fig. 140) rappelle plus les peintures murales égyptiennes qu’un quelconque décor de vase grec contemporain – c’est-à-dire du second quart du VIe s.43. Ces vases succédaient à d’autres beaux calices décorés de scènes animales avec aussi un sens très vif de la couleur. Un peu plus tard, vers le milieu du siècle, on trouve une quantité de petites coupes (surtout des canthares), à surface unie à l’exception d’une dédicace peinte qui a dû être commandée par le client avant la fabrication du vase44 (fig. 141). En dehors de Naucratis, ces types de vases n’ont été retrouvés qu’à Cyrène45, Égine (avec la dédicace d’un homme que nous connaissons par des offrandes semblables à Naucratis) et à Athènes (un seul vase). Souvenons-nous que Cyrène devait être en relation étroite avec Naucratis et qu’Égine était la seule cité non grecque orientale à avoir des intérêts à Naucratis. L’éventualité d’une production de céramique grecque à Naucratis est à rapprocher d’une autre production grecque intervenue, un siècle plus tôt, dans des circonstances semblables à Chypre et peut-être en Syrie. Dans la seconde moitié du VIe s., d’autres fragments peuvent encore être identifiés comme chiotes, mais leur décoration est alors très influencée par les modèles attiques46. Il faut noter enfin, depuis le début du VIe s., la présence aussi d’amphores vinaires chiotes.
293- La céramique samienne ne peut encore être identifiée avec certitude pour la phase la plus ancienne de Naucratis. Au milieu du VIe s. apparaît une petite catégorie de kylix à figures noires de belle facture probablement originaire de Samos47. C’est aussi vraisemblablement le cas de quelques coupes à une anse, à surface unie portant des dédicaces à Héra (l’Héraion de Naucratis était une fondation samienne), dont certaines, peintes avant cuisson, pourraient représenter des productions faites sur commande48. Il est possible que, comme les canthares chiotes-naucratites, elles aient été fabriquées en Égypte ; mais elles portent uniquement le nom de la déesse, et non celui du dédicant, si bien qu’elles peuvent aussi être d’un atelier samien produisant pour les fidèles de l’Héraion de Samos. Naucratis a également livré des amphores à huile samiennes49.
304- Divers centres de production – Rhodes, Samos, Milet – ont été proposés pour la céramique dite de Fikellura50, dont le nom dérive de celui d’une nécropole rhodienne51. Il s’agit en général de grands récipients, amphores et hydries décorées dans un style qui se rapproche beaucoup de celui de Rhodes et un peu de l’école samienne à figures noires. Son floruit se situe au milieu et au troisième quart du VIe s., et bien qu’il se prolonge jusque vers 520, sa dernière phase n’est pas représentée à Naucratis.
315- Une importante école de peintres de vases à figures noires a été attribuée à la ville de Clazomènes en Ionie du Nord52. Ses vases sont bien attestés à Naucratis au troisième quart du VIe s. Leur style semble originaire des principaux centres continentaux d’Ionie du Nord et certains des exemplaires naucratites – du moins ceux, nombreux, qui semblent en rapport avec la production “clazoménienne” – pourraient provenir tout aussi bien de cités comme Phocée ou Téos, mentionnées par Hérodote, parmi les commerçants présents dans la ville égyptienne.
326- Les vases les plus typiques de l’Éolide, et particulièrement de Lesbos, sont en bucchero gris clair uni. Plusieurs exemplaires figurent à Naucratis, indatables avec précision, mais vraisemblablement pour la plupart du VIe s.
33Restent à examiner trois autres catégories importantes de céramique grecque ne provenant d’aucune des cités nommées par Hérodote :
347- La céramique laconienne. Il s’agit d’un nombre non négligeable de vases à figures noires, en général des coupes, attribuées aujourd’hui avec certitude à des ateliers Spartiates, de la première moitié du VIe s. Par leur grande qualité, ces vases ont pu, sur certains marchés, celui de l’Étrurie par exemple, rivaliser avec les productions corinthiennes et attiques. Leur nombre à Naucratis est appréciable et le fait que Samos représente pour eux un autre grand marché étranger pourrait y expliquer en partie leur popularité. Mais ils pourraient, par ailleurs, refléter les intérêts de Sparte pour cette autre région de l’Afrique du Nord, où ils sont nombreux, la Cyrénaïque (proposée autrefois comme leur lieu de production)53.
358- La céramique corinthienne. On a déjà signalé sa présence dès la fin du VIIe s., mais elle continue à arriver à Naucratis jusqu’au milieu du VIe s., en faible quantité.
369- La céramique attique. La plus ancienne recueillie à Naucratis date de vers 620-600 av. J.-C. (fig. 142) ;au VIe s. elle apparaît en quantité notable et de la meilleure qualité54. Quantité et qualité se maintiennent ainsi jusque vers 525, date à laquelle se produit une chute sensible, mais les importations reprennent au début du Ve s. Au VIe s. arrivent également quelques amphores de transport du type SOS.
37Reste à expliquer la présence de ces vases corinthiens et attiques. En fait, ils constituent à cette époque des articles de qualité qui pouvaient être transportés pour leur propre valeur de céramique décorée ; les monnaies corinthiennes et athéniennes retrouvées à Naucratis pourraient y suggérer de la part des cités émettrices un intérêt commercial important quoiqu’indirect. Or il reste dans la liste d’Hérodote une cité dont la présence archéologique à Naucratis n’a pas encore été vérifiée. Il s’agit d’Égine. On a déjà eu l’occasion de noter qu’Égine n’avait pas eu de production propre de vases peints, mais qu’elle avait utilisé de la céramique corinthienne tout au long du VIIe s. et au début du VIe. Si l’on ajoute maintenant qu’elle avait commencé dès le VIIe s. à utiliser les meilleurs produits attiques, on aura peut-être l’explication de l'apparition à Naucratis d’un nombre important de vases attiques, quelque temps avant qu’ils n’apparaissent en quantité comparable sur aucun autre marché d’outre-mer.
38Il y a d’autres catégories de trouvailles susceptibles de jeter quelque lumière supplémentaire sur les échanges à Naucratis et sur l’identité des marchands qui y vivaient ou la fréquentaient. On trouve ainsi une série de statuettes en pierre, la plupart en calcaire, quelques-unes en albâtre ou en marbre, de type chypriote évident, dont en réalité les exemplaires les plus anciens et les meilleurs ne sont manifestement pas d’origine chypriote, mais créés par des artistes de Grèce de l’Est à partir des nombreux et médiocres modèles sortis des ateliers chypriotes. Le matériau de certaines d’entre elles, comme l’albâtre (fig. 143), suggère même une possible production sur place55. Cependant il existe aussi des statuettes en piene ou en terre cuite d’origine chypriote certaine56. Elles sont en général plus récentes et n’impliquent pas nécessairement l’existence d’une composante chypriote très importante parmi les marchands présents à Naucratis. Toutes doivent en fait dater des années pendant lesquelles l’île de Chypre se trouva sous la domination égyptienne, aux deuxième et troisième quarts du VIe s. D’autres statuettes en pierre, représentant un cavalier ou une femme allongée sur un lit, révèlent un style égyptien assez grossier et une vraisemblable signification cultuelle locale57 (fig. 144-145).
39Dans la partie sud de la ville, Petrie avait fouillé un atelier de scarabées de faïence, actif au cours du VIe s. Ces scarabées font partie d’une catégorie d’objets, regroupés autour de leur matériau plutôt que de leurs formes et qui soulèvent un certain nombre de questions importantes sur les relations gréco-égyptiennes dans le domaine de l’art – si l’on peut employer ce terme – aux VIIe et VIe s. Il faut d’abord avoir clairement en tête que ce que l’archéologue appelle faïence n’a rien à voir avec les célèbres productions de la Faenza de la Renaissance italienne. La “faïence” antique est une poterie lustrée à épais vernis de texture siliceuse (et non stannifère), utilisée depuis longtemps en Égypte pour des perles et des objets mineurs à usage décoratif et, au cours de notre période, le plus souvent, pour des scarabées, de petits pendentifs figurés, des perles et des vases miniatures. Ces objets connurent une large diffusion dans le monde antique. Peu avant le milieu du VIIe s., un atelier de production fut installé à Rhodes, peut-être par des Égyptiens, en tout cas pour approvisionner les marchés grecs58 ; certains des objets qui y furent fabriqués ont une forte connotation égyptienne : petits vases en forme de figure humaine ou de singe tenant un pot (fig. 146), flacons à corps lenticulaire et bols à motifs figurés59. Vers la fin du siècle, à ces séries viennent s’ajouter les productions naucratites, dont les plus typiques sont de petits pendentifs à vernis blanchâtre rehaussé de légères touches de couleur (fig. 147). Certains sujets sont égyptiens – chats, femmes nues, divinités –, d’autres grecs – joueurs de flûte et de lyre60. Ils envahissent le monde grec oriental, particulièrement Rhodes (où ils furent aussi sans doute fabriqués) et Samos, et atteignirent également l’Italie méridionale.
40Les ateliers rhodio-naucratites connurent encore une certaine prospérité au VIe s., produisant des flacons et des vases plastiques élaborés, de formes déjà connues dans le monde grec – à Corinthe et en Grèce de l’Est – en versions de terre cuite61. Un exemplaire exceptionnel, un flacon en forme de tête du dieu-fleuve Acheloos (fig. 148), a été retrouvé au fin fond de l’Égypte, en Nubie62 ; les traits du visage, quelque peu égyptien ou négroïde, interpellent sur son origine, mais d’autres flacons de ce type révèlent son style purement grec. Certains de ces vases de faïence portent le nom de rois égyptiens et pourraient provenir aussi bien de Rhodes que de Naucratis. Un exemplaire conservé à Paris, mais retrouvé à Corinthe ( ?), paraît plus vraisemblablement d’origine greco-orientale : il revêt la forme purement grecque d’une tête casquée et affiche le cartouche d’un roi, probablement Apriès63 (fig. 149). D’autres exemplaires présentent une forme d’aryballe hybride entre le profil du flacon à parfum grec et celui du pot à khôl ou à mascara égyptien64 : ils sont probablement originaires de Naucratis et offrent une distribution intéressante, deux en Égypte, deux à Rhodes, un à Chypre, à Ibiza, à Lipari (fig. 150) et dans la colonie milésienne de Panticapée, en Russie méridionale. Les cartouches qu’ils portent, pas toujours facilement lisibles, nomment les rois Apriès et Amasis.
41La production en Grèce de faïence égyptianisante subit à la fin du VIIe s. la concurrence de la production de masse des ateliers de Naucratis, eux-mêmes stimulés par les facilités offertes par la présence de marchands grecs. Les sceaux-scarabées de forme traditionnelle égyptienne, avec le dos gravé comme le coléoptère sacré du même nom, y étaient les plus populaires, mais ils prenaient aussi la forme de têtes d’homme ou de bélier65, et des centaines de petits moules d’argile de ces amulettes magiques (car c’est de cela qu’il s’agit) ont été retrouvés dans la fouille de l’atelier naucratite66 (fig. 151). Les emblèmes qu’ils portent sont généralement des devises ou des noms en hiéroglyphes grossiers. L’atelier de Naucratis produisit aussi au VIe s. des vases-hérissons et des petites statuettes67. Ils représentent une production de masse, de bien moindre qualité que les faïences rhodiennes, diffusées dans tout le monde grec. Ils sont aussi, bien sûr, largement représentés dans les trouvailles de Naucratis où ils furent probablement fabriqués pendant la plus grande partie du VIe siècle. Leurs qualités artistiques sont faibles et leur diffusion trop ample pour fournir une information sérieuse de type commercial : c’est là où on s’y attendrait qu’ils sont effectivement les plus abondants, c’est-à-dire en Grèce de l’Est, à Égine, sur les marchés occidentaux (notamment l’Étrurie) fréquentés par les Grecs de l’Est et jusque dans les colonies grecques orientales de la Mer Noire. Ils constituent en somme un commentaire intéressant de l’opportunisme commercial d’une ville dont la fonction première était de servir d’entrepôt, non de centre de production artisanale.
42Parmi les autres objets produits sur place, mais destinés aussi à l’approvisionnement des marchés grecs, il convient de mentionner des sceaux-scarabées en pierre et des vases d’albâtre68. On a retrouvé également des fragments de tridacnes dont cinq décorés ; nous avons déjà rencontré ces produits orientaux (fig. 58), particulièrement populaires en Grèce de l’Est au VIIe s. et au début du VIe s. En Égypte ils sont attestés seulement sur les sites fréquentés par les Grecs, à Naucratis, Daphnae et Memphis69. Un autre objet oriental est un sceau cylindrique assyrien70 qui, déjà vieux de plusieurs siècles et usé, fut apporté à Naucratis sans doute comme porte-bonheur. Petrie, enfin, a laissé la description d’un cylindre d’ivoire (un sceau ?) décoré d’un homme, de chèvres et d’un arbre71.
Commerce et vie quotidienne
43Le du commerce grec à Naucratis rend nécessaire celle du commerce grec avec le reste de l’Égypte et donc l’analyse des trouvailles en dehors de Naucratis. Comme établissements grecs en Égypte, nous devons d’abord penser aux communautés de mercenaires, mais l’histoire de Colaios et les trouvailles de bronzes égyptiens dans certaines régions de Grèce (notamment en Crète et à Samos) sont les indices d’un intérêt commercial qu’une installation effective ne pouvait que préserver et renforcer. Le seul produit important recherché par les Grecs en Égypte était les céréales, même si l’on pouvait aussi se procurer du papyrus et du lin72. Les cités grecques orientales avaient connu une forte croissance au VIIe s., mais leur expansion sur place était freinée à la fois par leurs voisins grecs et par les pressions de la Phrygie, puis de la Lydie. Pour s’en sortir, elle eurent recours à deux solutions. D’une part, de nouvelles colonies – en général fondées en tenant compte de leur valeur comme comptoirs commerciaux- permirent d’absorber une partie de leur surpopulation. D’autre part, ceux qui restaient, incapables de développer suffisamment leurs ressources locales ou victimes d'une économie déjà trop spécialisée (comme à Chios où l’on produisait du vin et de l’huile plutôt que des céréales), ceux-là devaient partir à la recherche de sources extérieures d’approvisionnement en blé, qu’ils trouvèrent soit sur la Mer Noire (cf. chap. 6), soit en Égypte. Égine apparaît ainsi sur la scène comme la patrie de marchands-transporteurs pour ravitailler la Grèce centrale, où prévalaient des conditions économiques semblables.
44Le paiement des céréales semble s’être effectué de diverses façons. On pouvait, par exemple, les échanger contre de l'huile d’olive – comme l’attestent quelques amphores athéniennes et samiennes. Ou encore souvent contre du vin : à Naucratis et à Daphnae figurent différents types d’amphores vinaires du VIe s. dont les plus facilement identifiables sont celles de Chios. A Daphnae, une amphore chiote, réutilisée, a été scellée avec le cartouche du roi Amasis73 (fig. 152). Le poète grec Hipponax d’Éphèse, connaît le nom égyptien du vin, mais cela ne signifie pas l’existence de quelque trafic de retour74.
45La marchandise la plus précieuse apportée par les Grecs en Égypte était l’argent. Le pays ne frappait pas de monnaie et son intérêt concernait donc le métal en tant que tel, même s’il était naturellement apporté par les Grecs sous forme de pièces de monnaie. Aussi, durant toute la période archaïque, c’est-à-dire avant 480, les trésors d’argent retrouvés en assez grand nombre en Égypte contiennent à la fois des pièces (parfois rayées pour tester leur pureté) et des lingots de métal brut. L’origine des pièces donne des indications sur les cités qui en assuraient le transport ou du moins sur l’origine de l’argent transporté par les marchands. Les faits correspondent bien à ce que l’on pouvait attendre en fonction du commerce naucratite : Égine occupe la première place, avec Athènes (qui vers la fin du siècle s'était mise à frapper des monnaies d’argent comme produit d’exportation) et Corinthe. Parmi les cités de Grèce de l’Est, on trouve Milet et Chios, avant Samos, Phocée et Téos – tous états dont l'engagement à Naucratis est mentionné par Hérodote. Un trait remarquable, cependant, est la très forte proportion de monnaies d’argent frappées dans le nord de la Grèce, en Thrace et en Macédoine. Ce sont des zones importantes de production de ce métal, mais ces monnaies auraient pu aussi bien être transportées en qualité de lingots par d’autres cités liées à la Grèce du Nord par des relations commerciales pour effectuer leurs paiements dans des pays tels que l’Egypte ou l’Orient (cf. p. 69) plutôt que pour leur propre circulation interne. Corinthe, par exemple, avait des intérêts en Grèce du Nord, mais les cités ioniennes et éoliennes en avaient aussi et on a même pensé que certains Grecs de l’Est, en l’absence de ressources propres d’argent, exploitaient leurs contacts avec la Thrace pour s'y approvisionner en métal nécessaire à leur monnayage75.
46Il n'est pas facile de préciser les modalités du commerce qui se développait à travers Naucratis. Les vestiges archéologiques nous renseignent sur les sanctuaires, non sur les entrepôts, bien qu’on ait pu faire l’hypothèse que chaque cité représentée avait non seulement son propre sanctuaire, mais aussi son propre quartier commercial. Les grands sanctuaires "indépendants” fondés par Samos et Milet – et aussi, semble-t-il, par Chios et Égine –, appartiennent probablement à la phase la plus ancienne de la ville ; or, la diversité d’origine des dédicaces et des dédicants qu’ils ont livrés montre clairement qu’ils étaient des lieux de culte non pas cloisonnés, “nationaux”, mais ouverts à l’ensemble de la communauté grecque. L’Hellénion, édifié peut-être sous le règne d’Amasis, constituait une plus vaste aire sacrée pour accueillir d’autres édifices, les uns sans doute érigés par les cités impliquées dans le commerce naucratite, les autres par la communauté grecque des résidants. En outre, Naucratis n’était pas tout à fait une cité grecque ordinaire avec ses propres “citoyens”, comparable aux colonies de Sicile et d’Italie. Son existence dépendait de la permanence de la faveur (et de l'intérêt) du roi égyptien à ce que leur monopole sur le marché égyptien ne fut pas remis en question. Ce qui impliquait entre elles une certaine entente, pas nécessairement d'ailleurs au niveau des métropoles, mais plutôt entre les diverses catégories de marchands résidant à Naucratis même. C’est parmi eux que devaient certainement être désignés les prostatai mentionnés par Hérodote, magistrats responsables de la gestion de l’emporion, même si l’historien paraît sous-entendre que cette nomination était faite par les métropoles. Il est clair aussi que fondateurs de l’Hellénion et promoteurs des sanctuaires indépendants étaient associés dans l’organisation, commerciale et autre, de la vie urbaine. Les prostatai ont pu jouer à la fois le rôle de magistrats de la ville et de “consuls” pour les familles et les marchands de leurs métropoles respectives.
47La vie de cette vaste et riche communauté grecque, dans un pays qui s’était longtemps défié des étrangers et préférait maintenant encore les tenir dans des limites strictes d’activité et d’installation, devait présenter des aspects étranges et variés à la fois. C’était différent de tout ce que les Grecs avaient expérimenté ailleurs. Ce n’était ni une colonie, c’est-à-dire une ville indépendante, autosuffisante et parvenue à une entente avec la population locale, ni un simple poste de commerce, comme Al Mina, où, les premiers temps, il n’a pas dû y avoir une véritable vie civique organisée à la grecque, avec sanctuaires et autres structures du même genre. Naucratis attira les plus entreprenants des marchands de Grèce de l’Est et leurs collègues éginètes, maîtres du commerce avec la Grèce centrale, mais aussi des poètes, des artistes, des hommes d’état et des historiens, et, en période de danger, elle a pu offrir un refuge aux professionnels de Grèce de l’Est désireux de reprendre leur activité. Surtout, elle ouvrit les yeux des Grecs sur les œuvres d’une grande civilisation, plus impressionnante d’ailleurs par ses “antiquités” que par ses productions artistiques et artisanales contemporaines, qui demeurent, malgré tout, fortement “archaïsantes”. On examinera plus loin comment les Grecs furent influencés par ce qu’ils virent, mais voyons d’abord ce que l’on peut glaner, à partir des historiens et de l’archéologie, sur la vie urbaine de Naucratis elle-même.
48Il est vraisemblable que, lorsque les Grecs arrivèrent, il y avait déjà sur le site une ville ou un village égyptiens76. C’est du moins ce que l’on devrait escompter. Son nom ancien pourrait avoir été perdu, car les Égyptiens connaissaient la ville sous le nom de Piemro, qui a été présenté comme la traduction “savante” du grec, bien que l’inverse, je suppose, puisse aussi s’envisager. Car il est certain que les Égyptiens vécurent toujours à Naucratis aux côtés des Grecs, sans doute dans un quartier indigène fournissant la main d’œuvre nécessaire ; mais les misérables fondations en brique crue, qui ont été fouillées dans une zone humide, ne nous apportent guère d’information exploitable sur ces maisons, grecques ou égyptiennes.
49Les dédicaces, inscrites sur les vases retrouvés dans les sanctuaires, nous renseignent quelque peu sur les fidèles. On trouve, par exemple, un Aristophanès qui, vers le milieu du VIe s., passa commande de plusieurs coupes chiotes, qu’il consacra à Aphrodite, et qui en transporta d’autres à l’occasion d’un voyage d’affaires à Égine, où il les dédia dans le temple d’Aphaia77. Le Rhoikos qui, dans le deuxième quart du siècle, consacra une double coupe à yeux (fig. 153) à Aphrodite, pourrait être identifié à l’architecte samien qui, à la même époque, élaborait les plans de celui qui fut, en son temps, le plus grand de tous les temples grecs, l’Héraion de Samos78 – nous avons déjà eu l’occasion de noter la présence de détails architectoniques d’origine samienne à Naucratis. Le Phanès, qui offrit une coupe, pourrait être le mercenaire d’Halicarnasse, au service du roi Amasis, qui, selon Hérodote, déserta chez les Perses79. Beaucoup plus tard, ignorée seulement par les sceptiques les plus obstinés, on trouve une coupe attique consacrée par un Hérodote80, à peu près au moment où le grand historien a pu visiter l’Égypte. La plupart des autres dédicaces ne nous livrent que des noms, avec parfois, cependant, l’indication de la patrie du dédicant. Plusieurs sont faites par des femmes. Une Dôris offrit une amulette d’amour à Aphrodite81. Naucratis avait une certaine réputation pour la beauté et les mœurs légères de ses femmes. La célèbre Rhodopis, conduite dans la ville par un proxénète samien, Xanthès, y fut rachetée et libérée par Charaxos, marchand de vin trafiquant à Naucratis et frère de la grande poètesse Sappho de Lesbos ; demeurée en Égypte, elle y amassa une petite fortune, dont elle consacra le dixième à Apollon de Delphes sous la forme de broches de fer – considérées comme des signes prémonétaires ; une partie de la base inscrite qui portait sa consécration a été récemment découverte82. « C’est une sorte de tradition qu’à Naucratis les courtisanes soient pleines de charme », écrit Hérodote, qui poursuit en citant la fameuse Archidiké83, dont nous lisons le nom sur une autre dédicace sur un vase retrouvé dans la ville. Un autre visiteur éminent, mais plus sérieux, fut, au VIe s., le législateur athénien Solon84, qui vint en “voyage d’affaires touristique”. Et il faut citer aussi le poète Alcée et le philosophe Thalès de Milet85.
50Ces années qui précédèrent l’invasion perse de Cambyse (525) ont dû représenter l’âge d’or de Naucratis : La ville retrouva plus tard une certaine prospérité, mais la domination perse sur l’Égypte, les caprices de la politique grecque et une conscience civique plus développée se combinèrent pour ternir le brillant de sa vie cosmopolite – un peu comme pour la Changhaï d’avant et d’après la seconde guerre mondiale. Lorsqu’Alexandre le Grand conquit l’Égypte, Naucratis fut éclipsée par sa nouvelle capitale, Alexandrie ; mais elle eut encore une activité artisanale florissante durant la période romaine et elle fut le lieu du naissance du célèbre érudit Athénée.
LES AUTRES GRECS D’EGYPTE
51Parmi les autres centres d’Égypte qui accueillirent des Grecs ou des objets grecs, le plus important pour notre période est daphnae (Tell Defenneh)86. Le site, localisé entre l’extrémité orientale de la zone cultivée du Delta et le canal de Suez, sur la principale voie menant vers la Palestine et la Syrie, a été fouillé en 1886 par Petrie. La structure principale, de plan grossièrement carré, construite par Psammétique Ier, avait été logiquement interprétée par Petrie comme un fortin. Elle est très semblable au grand bâtiment du quartier sud de Naucratis, qui lui est à peu près contemporain (fig. 156). On a supposé qu’il s’agissait de trésors ou d’entrepôts plutôt que de constructions militaires et finalement les trouvailles faites vont dans ce sens. On peut cependant difficilement mettre en doute le rôle incontestable de la ville comme forteresse ou poste-frontière et, selon Hérodote, une garnison était stationnée, sous le règne de Psammétique, dans la Daphnae Pélusienne face aux Arabes et aux Assyriens87. Au temps du roi Apriès, la ville offrit refuge aux Juifs (dont le prophète Jérémie) chassés de Judée par les Babyloniens – « ils se rendirent en terre d’Égypte, désobéissant ainsi à 1'ordre de l’Éternel et ils arrivèrent à Tahpanhès (= Daphnae) » (Jérémie, 43, 7). Aussi les ruines du fort sont-elles connues sous le nom de Kasr el Bint el Yehudi, le “Palais de la fille du Juif”.
52Le témoignage le plus ancien d’une présence grecque à Daphnae est constitué par des fragments de céramique de Grèce de l’Est, dont certains de la fin du VIIe s. Mais cela ne suffit pas évidemment à nous renseigner sur l’importance des forces grecques, voire même sur leur existence. En outre le fait que la plus grande partie de la céramique grecque du site appartienne aux années du règne d’Amasis (570-526) va à l’encontre de l’identification avec les Stratopeda concédés aux Grecs par Psammétique Ier et évacués précisément par Amasis. La céramique provient de l’ensemble du site, mais il y en avait une certaine concentration dans deux pièces sud-ouest du “fort”, qui ont été qualifiées de “sorte de cellier ou d’office” – sans doute pour le mess des officiers. La quantité de céramique est évidemment très inférieure à celle de Naucratis et on trouve quelques différences significatives dans les catégories représentées88 :
531- vases rhodiens : attestés seulement parmi les fragments les plus anciens dans la mesure où le style caractéristique des chèvres sauvages (Wild Goat Style) disparaît vers le début des années du règne d’Amasis. On note par contre la présence de :
542- vases de Fikellura ; comme à Naucratis (cf. ci-dessus p. 150)
553- vases-situles , dont Daphnae est d’ailleurs le principal lieu de découverte. Leur forme renflée (fig. 154) paraît dériver de celle de vases en bronze égyptiens et certains de leurs motifs décoratifs sont purement égyptiens – comme le faucon dans une corbeille (neb) (fig. 155), qui dans le système hiéroglyphique fait partie d’un titre royal. Une demi-douzaine de vases de ce type ont aussi été trouvés à Rhodes, mais il est vraisemblable que la plupart de ceux de Daphnae aient été fabriqués par des potiers grecs, sans doute rhodiens, en Égypte même, probablement à Daphnae ou à proximité, puisqu’aucun n’a été recueilli à Naucratis.
564- amphores de transport de Samos et de Lesbos, respectivement à huilé et à vin89.
57Les deux catégories suivantes sont de loin les plus abondantes :
585- vases de Clazomènes à figures noires, comme à Naucratis. Ici aussi on ne peut pas exclure la possibilité de l’existence d’un peintre de vases grec travaillant en Égypte, car presque tous les vases attribués à l’un des artistes clazoméniens, le peintre de Petrie, proviennent de Daphnae, le reste venant de Naucratis.
596- vases à figures noires et amphores de transport attiques , présents à peu près dans les mêmes proportions que ceux de Clazomènes.
60La comparaison avec les trouvailles de Naucratis révèle l’absence notable de céramique chiote-naucratite (un seul fragment a été signalé dans le voisinage, alors que des amphores vinaires chiotes proviennent du fort même) et de céramique laconienne et celle moins notable de céramique corinthienne ; Naucratis de son côté n’a livré aucun vase-situle. Ces différences me semblent devoir être liées aux opportunités des marchés plutôt qu’à une diversité d'origine ou de goût des clients grecs.
61Parmi les autres objets, on peut signaler des armes et une armure à écailles en fer et, comme à Naucratis, un fragment de tridacne incisé – objet oriental apporté en Égypte par quelque Grec, sans doute avant 600 – et des statuettes en pierre de médiocre facture, alors que les scarabées de l’atelier de Naucratis sont rares (2 ou 3 exemplaires).
62Les apports grecs sur le site s'arrêtent en 525, sans doute comme conséquence de l’invasion perse de Cambyse.
63Daphnae ne fut pas le seul fort égyptien à l’est du Delta à accueillir des Grecs. Des chercheurs israéliens ont récemment localisé dans le Sinaï, à une vingtaine de kilomètres de Daphnae et un peu au sud de Pelusium, une imposante forteresse, de plan carré, d’une superficie de 4 ha (fig. 156). On n’y a pas trouvé de céramique fine, mais une grande quantité d’amphores grecques du VIe s. et, à noter, les premières tombes grecques archaïques à incinération découvertes en Égypte. L’histoire du site et de ses occupants grecs est certainement parallèle à celle de Daphnae et on a tenté de l’identifier à l’antique Migdol/Magdolos90.
64Des trouvailles sporadiques de céramique grecque du VIe s. ont été signalées ailleurs dans le Delta. Plus au sud, à memphis, où, selon Hérodote, Amasis avait transféré les mercenaires grecs des Stratopeda, on a trouvé des fragments de céramique grecque – corinthienne (fig. 157) et greco-orientale – et de tridacnes décorés, aussi anciens que ceux de Naucratis91. Tout au long du VIe s., la céramique grecque arrive à Memphis, surtout des vases de Grèce de l’Est, de Rhodes, de Fikellura, de Clazomènes, semblables à ceux de Naucratis – et il est très vraisemblable qu’en effet un camp de mercenaires y ait fonctionné sous le règne d’Amasis. On y trouvait aussi des mercenaires cariens comme l’attestent des stèles à reliefs, de type grec, mais avec des inscriptions cariennes (fig. 158) découvertes à Memphis (à Saqqara)92. A partir de 500 environ, les vases attiques à figures noires remplacent ceux de Grèce de l’Est, qui vont bientôt cesser d’être fabriqués. Les trouvailles proviennent de Memphis même – du Palais d’Apriès et du Temple de Ptah – et des nécropoles suburbaines d’Abousir et de Saqqara. Parmi les découvertes sporadiques signalons une statuette en bronze égyptienne du VIe s. dédiée par un Grec avec une inscription bilingue et d’autres bronzes égyptiens portant des dédicaces en grec93. La trouvaille, à Saqqara, d’une pièce grecque très ancienne, une protome de griffon en bronze du milieu du VIIe s., reste tout à fait isolée. Quelques statuettes archaïques en albâtre, de facture grecque médiocre, rappellent la présence d’artisans grecs dans les villes égyptiennes94 ; de même un petit bronze grec oriental représentant un homme vêtu d’un pagne égyptien est-il peut-être arrivé d'Égypte jusqu’à son lieu de découverte en Acarnanie (Grèce de l’Ouest)95.
65Dans le temple funéraire de Sahouré, à Abousir, on a découvert un élément singulier, vraisemblablement du VIe s. ; il s’agit d’une dalle de calcaire (fig. 159), apparemment une pierre tombale, décorée en bas-relief d’une scène de prothésis (c’est-à-dire d’exposition du défunt). La nature de la scène, les gestes, les éléments du mobilier sont parfaitement grecs, mais l’exécution des figures a quelque chose d’égyptien et le disque solaire ailé et les uraei, gravés au-dessus, s’ils sont fréquents au sommet des stèles égyptiennes, ne paraissent pas particulièrement à leur place ici ; car sur l’un des côtés figure une inscription, endommagée, en carien, qui nomme le défunt (qu'on avait pris pour un milésien à partir d’une lecture précédente fautive)96. Notre information sur les Cariens vivant aux côtés des Grecs dans ces villes de garnison égyptiennes s’est notablement enrichie ces dernières années97 et la stèle d’Abousir, par son style et son sujet, se rattacherait bien au travail d’un artiste local, formé à la grecque mais déjà fortement influencé par les formes et les techniques égyptiennes. De Saqqara provient une statuette de chaouabti (“répondant”) en faïence (fig. 160), simulacre en réduction de la momie, déposé habituellement en Égypte dans les tombes et qui, animé par la magie, devait travailler à la place du défunt dans les champs d’Osiris ; mais celle-ci possède une tête de type grec tardo-archaïque, sans doute réalisée spécialement pour la sépulture d’un Grec converti aux croyances égyptiennes sur l’au-delà98. De Memphis encore il faut signaler : une statue féminine en calcaire, semblable à première vue à une korè grecque orientale de la fin du VIe s., mais avec des traits indubitablement égyptiens99 (fig. 161) ; un intéressant cachet de terre cuite portant en même temps le cartouche du roi Amasis et l’empreinte d’un sceau grec archaïque représentant un Triton100 ; enfin, la base en bronze d’une statuette avec une double inscription en grec et en égyptien, nommant respectivement “Zeus thébain” et “Amon”101. A abydos, des Grecs ont gravé leurs noms sur ce qu’ils croyaient être le temple du héros Memnon (en réalité le temple funéraire de Séthi Ier)102.
66Encore plus au sud, à thèbes et dans les grands sanctuaires de Louxor et de Karnak, nous trouvons aussi de la céramique grecque – corinthienne et gréco-orientale – des deux premiers tiers du VIe s. On notera particulièrement les restes d’une amphore à figures noires de Karnak, aujourd’hui conservés à Oxford103, représentant le navire sacré de Dionysos porté et accompagné par des hommes, dont certains avec les attributs des satyres, serviteurs du dieu (fig. 162), mais affublés de pagnes pour couvrir leurs queues, brandissent des phallus ou jouent de la flûte. Il existait des processions de ce type à Athènes lors des Anthestéries, où le navire était muni de roues, et en Grèce de l’Est, à Smyme, où le navire était porté. Mais on les connaissait aussi en Égypte, notamment à Karnak et à Louxor, où chaque année, lors de la fête d’Opet, le navire d'Amon était porté de Karnak à Louxor (fig. 163). De telles processions se rencontraient aussi à l'oasis de Siwah, dans le désert libyen, où se trouvait un sanctuaire d’Amon identifié et vénéré par les Grecs sous la forme de Zeus Ammon, dont l’image rendait des oracles pendant le transport du navire104. Il se pourrait alors que ce ne soit pas une simple coïncidence que l’unique représentation grecque d’une scène de ce type ait été découverte à Karnak où elle avait pu trouver parfaitement sa place comme consécration. On peut même se demander si elle n’a pas été peinte en Égypte, comme le révèlent ses affinités avec d’autres vases déjà mentionnés dans une problématique analogue. L’autre face du vase offre une représentation de vignoble avec des chiens, semblable à une peinture d’une tombe légèrement postérieure de l’oasis de Siwah105. Le succès de ces céramiques grecques en Égypte constitue un élément remarquable de la prospérité des communautés grecques dans ce pays, car on peut douter qu’elles aient directement intéressé les Égyptiens, alors qu’elles étaient bien à leur place sur les tables grecques. On a vu en outre comment, à Naucratis, les ateliers de potiers avaient produit des vases pour les consécrations dans les temples de la ville et comment dans les situles de Daphnae, le vase de Kamak et d’autres d’origine plus incertaine, on trouvait sans doute le témoignage de l'activité d’artistes grecs immigrés, chassés d’Ionie par la conquête perse des années 540. A ces vestiges, on peut ajouter les fragments d’un remarquable vase grec oriental, provenant d’Égypte, portant une scène figurée banale sur la panse, et un cartouche peint au nom du roi Apriès sur le col106 (fig. 164).
67Au-delà de Thèbes, on a signalé de la céramique grecque (rhodienne des environs de 600 av. J.-C.) à Edfou107 et encore plus au sud, à Kawa, en Nubie, le flacon rhodien en faïence reproduit à la fig. 148.
68Voilà tout ce qu’on peut dire aujourd’hui des trouvailles grecques du VIe s. en Égypte. Après 500, les importations de vases grecs, à présent tous attiques, prennent un nouvel essor, mais leur étude nous amènerait au-delà des limites chronologiques que nous nous sommes fixées. Je n’en signalerai que deux exemples remarquables par leur qualité artistique et leur intérêt, deux rhytons à figures rouges, l’un en forme d’amazone à cheval, provenant de la lointaine Méroé en Nubie (fig. 165), l’autre, de Memphis, en forme de chameau conduit par un Perse et un Noir108 (fig. 166). Tous deux sont des œuvres du potier Sotadès, un peu avant le milieu du Ve s.
69Encore un mot sur les Cariens qui servaient aux côtés des Grecs et sur les Grecs chypriotes présents en Égypte. Les Cariens se dévoilent eux-mêmes à travers leurs inscriptions, que ce soit sur les stèles funéraires déjà mentionnées ou par leurs nombreux graffites rupestres et céramiques. Les inscriptions les plus frappantes sont celles que des mercenaires ont gravées, aux côtés des Grecs, sur les statues colossales d’Abou Simbel lors de l’expédition nubienne de 591. Mais il y a aussi des inscriptions cariennes en Nubie même, où ces mercenaires semblent avoir tenu garnison109. Quant aux Chypriotes, nous avons déjà eu l’occasion de signaler leur présence à Naucratis. On a trouvé de la céramique chypriote du VIe s. à Daphnae et Memphis et, en Nubie, à Sanam, et des inscriptions à Gizeh, Abydos, Karnak et, en Nubie, à Bouhen, pour nous en tenir aux plus importantes110.
70Les Égyptiens ne furent jamais très accueillants envers les étrangers et cette attitude rend d’autant plus remarquable la longue présence des Grecs dont les qualités guerrières, fort appréciées des pharaons, expliquent leur permanence et le succès de leur installation. Les Égyptiens, selon Hérodote, veillèrent à ne rien assimiler des coutumes grecques qu’ils semblaient même mépriser : « Ni Égyptien, ni Égyptienne ne voudrait baiser un Grec sur la bouche, ni se servir du couteau d’un Grec ou de ses broches ou de son chaudron, ni manger de la chair d’un bœuf exempt des signes [qui le rendraient impropre au sacrifice] si elle a été découpée avec un couteau grec ». Lorsqu’une bête a été sacrifiée, le corps est dépouillé mais « la tête coupée est emportée, chargée de malédictions ; là où il y a un marché et des commerçants grecs fixés dans le pays, on la porte au marché et on leur vend ; s’il n’y a pas de Grecs présents, on la jette dans le fleuve »111. On a présenté comme un “fait saugrenu”, que « les Grecs aient pu être à la fois indispensables aux rois égyptiens et haïs de la population locale ». N'oublions pas que l’Égypte décrite par Hérodote était alors en plein déclin, sous la domination perse, alors que la Grèce se trouvait à l’apogée de la période "classique”. L’Égypte allait retrouver une embellie, mais comme membre de l’empire grec fondé par Alexandre le Grand.
LES PERSES EN EGYPTE
71Cambyse, roi des Perses, se mit en marche contre l’Égypte en 525. Son armée comprenait des Grecs d’Ionie et d’Éolide et des Chypriotes, sujets d’un empire qui englobait alors aussi les îles grecques au large de l’Asie Mineure. En Égypte, ils se trouvèrent face aux mercenaires ioniens et cariens du pharaon, dont l'un d’entre eux, Phanès d’Halicarnasse, avait déjà déserté au profit des Perses (ses compagnons en tirèrent une horrible vengeance sur ses fils). L’armée égyptienne fut vaincue et, à Memphis, ce fut d’un navire grec de Lesbos que le héraut perse invita les Égyptiens à se rendre. Les Grecs enrôlés dans l’armée perse furent ensuite associés à des expéditions avortées contre l’oasis de Siwah (le sanctuaire de Zeus Ammon) et la Nubie, avant d’être renvoyés chez eux112.
72Les témoignages archéologiques trahissent clairement les effets de l’invasion perse sur les Grecs d’Égypte. Le fort de Daphnae est abandonné et les importations de céramique grecque à Naucratis et dans le reste de l’Égypte connaissent une chute brutale. Cependant ce reflux fut de courte durée et, à partir de 500, à Naucratis et ailleurs, céramique et monnaie athéniennes commencent à affluer. Ce qui ne signifie pas nécessairement la fin du rôle commercial des Grecs de l’Est en Égypte, mais plutôt qu'Athènes n’a pu s’y intéresser comme source d'approvisionnement en céréales qu’après les guerres médiques.
73Des Perses eux-mêmes, nous avons, par exemple, à Memphis, des empreintes de beaux gemmes achéménides, et sur de nombreux sites des armures à écailles de fer et de bronze, dont certains pourraient d’ailleurs avoir appartenu à des mercenaires ioniens et cariens. De Memphis toujours, provient une stèle funéraire décorée d’un scène de prothésis, semblable à celle signalée à Abousir (fig. 159), mais d’un type moins égyptien dans l’exécution et signalant clairement une sépulture perse113. Mais ni l’archéologie de l’Égypte perse, ni même les Grecs qui y vécurent, ne concernent notre propos.
INFLUENCE ET OBJETS ÉGYPTIENS EN GRÈCE
74Les Grecs ne découvrirent l’Égypte que près de deux siècles après la réouverture de leurs relations avec le Proche-Orient. L’impression qu’ils retirèrent de la civilisation nilotique ne fut pas moins vive que celle de l’Orient, mais, à ce moment-là, ils avaient atteint la plénitude de la phase “orientalisante” de leur culture et de leur art, si bien qu’ils étaient en état de sélectionner motifs et idées à emprunter ou à assimiler. Ainsi le modèle égyptien les incita-t-il à explorer deux nouveaux domaines jusque-là ignorés par les peuples de l’Égée, mais destinés à donner naissance aux œuvres les plus caractéristiques de la Grèce classique, la sculpture monumentale et l’architecture de pierre.
75En dépit du rôle joué par les mercenaires grecs en Égypte à partir de la fin du VIIe s., ce n’est qu’avec Amasis que nous voyons un roi égyptien accorder un sérieux intérêt à la Grèce même. Avant lui, Nékao avait consacré une armure au sanctuaire des Branchides à Milet, vraisemblablement en reconnaissance des services rendus par ses mercenaires grecs, et le frère du tyran Périandre de Corinthe avait donné à l’un de ses fils le nom de Psammétique en l’honneur du roi égyptien ; ce nom est d’ailleurs attesté encore plus tôt, gravé sur une coupe de l’agora d’Athènes du milieu du VIIe s.114. Amasis fut encore plus généreux envers les cités grecques et on connaît ses consécrations à Cyrène, Lindos (Rhodes) et Samos et la cuirasse (ou la ceinture) tissée en lin et décorée de figures, dont il fit cadeau à Sparte, mais qui fut, comme d’habitude, interceptée par les Samiens. Amasis semble avoir conclu, à un moment donné, une alliance avec le tyran de Samos, Polycrate, et entretenu des liens d’amitié avec Cyrène dont il épousa une princesse. Il alla même jusqu’à participer à la construction du nouveau temple d’Apollon à Delphes115.
76Quant aux importations d’objets égyptiens en Grèce après la fondation de Naucratis (on a déjà parlé de celles de la période antérieure), elles sont constituées d’une masse d’objets mineurs, probablement fabriqués à Naucratis et donc à moitié grecs plutôt que purement égyptiens. Les sceaux et les scarabées de faïence naucratites apparaissent en quantité sur les sites de Grèce de l’Est116 et ils sont à peine moins nombreux en Grèce centrale, particulièrement à Égine, Sounion (sur la route d’Athènes) et Pérachora (près de Corinthe) ; ils parvinrent enfin dans les colonies occidentales et en Étrurie. Leur diffusion recoupe en fait grossièrement la carte de répartition des cités les plus engagées dans le comptoir de Naucratis. Aux petits objets de faïence, il faut peut-être ajouter les flacons de verre et les vases d’albâtre, de plus en plus populaires en Grèce, et dont nous connaissons un atelier à Naucratis. Comme objet à caractère plus individuel, on peut signaler la statuette de figure assise, en basalte, apportée au milieu du VIe s. à Camiros (Rhodes) par un Grec qui en fit la consécration après y avoir inscrit son nom en grec117 (fig. 167). Enfin, la forme caractéristique de l’alabastre égyptien en pierre fut très vite imitée en terre cuite par les potiers de Grèce de l’Est (fig. 168) et d’Athènes (fig. 194, 195)118.
77Si, après avoir parlé des objets, nous en venons à évoquer l’influence de l’Égypte, sa réalité matérielle est aussi évidente. Dans le domaine de la vie intellectuelle, cette influence fut faible ou du moins est-elle difficile à évaluer. Sur la religion grecque, elle fut négligeable, malgré les affirmations d’Hérodote, bien qu'on puisse la reconnaître, comme nous le verrons, dans les mythes et leurs représentations ; et les processions dionysiaques avec des navires portés ou montés sur roues ressemblent beaucoup aux processions égyptiennes (cf. ci-dessus, p. 166). Les parodies animales d’actions héroïques – comme la Batrachomyomachie – existaient depuis longtemps en Égypte119. Dans le domaine de la géométrie et de la médecine, les Grecs trouvèrent aussi des nouveautés, mais c’est dans celui de l’architecture et de la sculpture qu’ils furent le plus impressionnés et amenés à puiser de nouvelles idées et que l’archéologue se doit d’enquêter.
78C’est en visitant l’Égypte que les Grecs découvrirent des constructions colossales tout en pierre, dotées de moulures et de colonnes en pierre avec des bases et des chapiteaux travaillés. Ils étaient habitués chez eux à des édifices de briques crues et de bois et à des techniques de constructions moins prétentieuses. Au Proche-Orient aussi où la brique constituait le principal matériau, les colonnes n’étaient jamais en pierre et jouaient un rôle bien moindre, tandis que moulures et chapiteaux y étaient à peu près inconnus. Vers la fin du VIIe s., des architectes grecs entreprirent de construire à la manière égyptienne, sans chercher à l’imiter dans le détail, mais en l’adaptant aux formes architecturales traditionnelles locales. En Grèce continentale cela donna naissance à l’ordre dorique120. La colonne y est surmontée d'un chapiteau en coussin rond aplati dont la forme rappelle au moins autant des chapiteaux grecs mycéniens que des égyptiens. Des détails de la partie supérieure des édifices apparaissent plutôt comme un simple transfert du bois à la pierre, mais au moins un type de moulure, le cavet, représente un emprunt direct à l’Égypte et fut utilisé aussi dans le couronnement des stèles funéraires attiques121 En Grèce de l’Est, se manifesta le même intérêt pour la construction de temples entièrement en pierre, mais ici les formes décoratives retenues pour les chapiteaux, bases et fleurons furent empruntées au répertoire artistique orientalisant et non égyptien, et la plupart d’entre elles avaient déjà, apparemment, été utilisées en Orient pour le mobilier, dans une taille plus petite et un matériau différent. Après quelques essais, l’ordre ionique fut mis au point dans le deuxième quart du VIe s., sans rien d’égyptien, si l’on excepte l’idée directrice qui avait inspiré sa création122. Le seul élément architectonique qui pourrait avoir été emprunté à l’Égypte, le chapiteau en palmier (fig. 169), trouva en fait peu d’applications. On en trouve un exemple au VIIe s. en Crète123 (fig. 170) et d’autres, du VIe s. ou plus tardifs, en Grèce de l’Est124. Sur l’éventuelle origine égyptienne de l’autel ionique à degrés nous avons déjà attiré l’attention ci-dessus.
79A peu près au même moment, ou un peu plus tôt que leurs premiers essais d’architecture monumentale en pierre, les Grecs se lancèrent aussi dans la sculpture monumentale en pierre. Ils en trouvèrent aussi l’inspiration en Égypte où la statuaire colossale de pierre était courante125. Jusque-là les Grecs avaient seulement produit des figures de petite taille, en pierre tendre et dans un style orientalisant (“dédalique”) et ce n’est qu’en Crète que l’on trouvait quelques statues de personnages assis, grandeur nature ou presque, datables autour du milieu du VIIe s. L’exemple égyptien de la statuaire colossale en pierre dure poussa les Grecs à exploiter leurs ressources en marbre blanc de qualité et à créer des figures en taille réelle ou plus grandes. Les premiers à le faire furent bien sûr les Grecs des îles, où le marbre était facilement accessible, et non ceux de Crète où il est absent. Si quelques figures, telle la korè consacrée à Artémis par Nicandrè à Délos, se rattachent encore aux anciens canons stylistiques, tout en utilisant le nouveau matériau et les nouvelles dimensions, d’autres, les grandes statues de jeunes hommes nus (kouroi), se révèlent beaucoup plus proches des modèles égyptiens. Mais là encore, l’artiste grec, tout en acceptant une idée neuve et une nouvelle technique, se refuse à une simple copie. Les figures égyptiennes, inspiratrices des kouroi, se tiennent en appui sur leurs talons, une jambe en arrière et le dos bien droit, souvent soutenu par un pilier, et ils sont vêtus (fig. 171). Les kouroi, les bras collés au corps et les poings fermés comme leurs homologues égyptiens, s’appuient solidement sur leurs pieds, communiquant une sensation de vie immanente, et ils sont nus (fig. 172). Dès le début, ils révèlent une qualité artistique plus élevée et une étude de l’anatomie humaine plus sensible (bien que moins précise) que n’importe quelle œuvre égyptienne, même si certains observent jusque dans le détail le nouveau canon des proportions élaboré par les artistes égyptiens126. Les Grecs se libérèrent vite de ce canon, mais on en trouve la trace dans le passage de Diodore relatif aux fils de Rhoikos de Samos (cf. p. 160) qui, ayant sculpté séparément les deux moitiés d’une statue d’Apollon en observant le canon égyptien des proportions, furent en mesure de les joindre parfaitement127. D’autres types d’expression sculpturales grecques, notamment dans les arts mineurs du VIe s., paraissent tributaires de modèles égyptiens. La grande allée des lions de marbre de l’île sacrée de Délos128 (fig. 173) s’inspire sûrement des allées égyptiennes de lions, sphinx ou béliers (fig. 174) et à Didymes, près de Milet, c’est vraisemblablement dans le même esprit qu’a été conçue la voie processionnelle flanquée de lions et de figures humaines assises129. Hérodote lui-même comparait le lac sacré circulaire devant la terrasse des lions à Délos aux lacs sacrés égyptiens130. Parmi les petits objets, il en est qui dérivent manifestement des formes favorites des Égyptiens : par exemple, la jeune fille nue nageant, utilisée comme manche de cuiller en faïence (fig. 175), transposée en terre cuite à Rhodes au VIe s.131 (fig. 176). Ou encore, la jeune fille figurée comme poignée de miroir en bronze (fig. 177), devenue un des motifs les plus familiers de l’art grec à partir du milieu du VIe s. et apparue pour la première fois à Sparte132 (fig. 178). Certains de ces éléments ont pu transiter par le Proche-Orient, mais pas tous et, en tout cas, pas ceux qui furent acquis au VIe s., alors que tous sont en dernière analyse d’origine clairement égyptienne. En examinant les représentations de lions dans l'art grec, on a précédemment noté leur lien avec des types orientaux ; au VIe s., c’est un type de lion spécifiquement égyptien qui fut adopté par des bronziers laconiens pour décorer les anses de vases en bronze133. Des éléments d’origine égyptienne – et non proche-orientale – se retrouvent dans des statues et des statuettes de lion en pierre de Grèce de l’Est (fig. 179)134 et même dans des œuvres de Grèce continentale de la fin du VIIe s. et du VIe s.
80Les nombreux trait d’origine égyptienne déjà relevés dans l’art laconien du VIe s. (et il y en aurait d’autres !) sont peut-être liés aux relations étroites entretenues par Sparte avec Cyrène, mais n’oublions pas aussi le cadeau d’Amasis, les vases laconiens de Naucratis et le fait qu’à une certaine période Sparte fut en bons termes avec la philo-égyptienne Samos.
81Les petits objets de faïence – vases et statuettes –, produits à Rhodes et sans doute aussi ailleurs, présentent beaucoup d'éléments typiques du pays où avait été empruntée la technique de fabrication135. Les figures grotesques du dieu Bès, un cousin éloigné du satyre grec, en sont peut-être l’exemple le plus typique136, mais il y a aussi des figures de terre cuite de nains grassouillets (fig. 180) qui rappellent l’égyptien Ptah137 et, toujours à Rhodes, des statuettes en calcaire, semblables à celles de Naucratis mais représentant ici des figures assises à tête de bélier – l’égyptien Amon138 (fig. 181).
82Au cours du VIe s., on voit apparaître en Grèce de nouvelles formes de meubles en bois copiant très étroitement des modèles égyptiens, connus vraisemblablement à travers des importations de pièces originales. Les exemples les plus significatifs sont les trônes à pattes d’animal représentés sur des vases à reliefs votifs laconiens139 (fig. 182), dont le sujet même – un héros et sa parèdre recevant des offrandes140 – se retrouve sur des reliefs égyptiens.
83Aussi étonnant que cela puisse paraître, il semble que la peinture murale égyptienne ait fait sur les artistes et les visiteurs grecs une impression au moins aussi profonde que la sculpture et l’architecture. Il s’agissait pourtant d’une forme artistique virtuellement inconnue en Grèce et certainement peu courante au Proche-Orient. Les plus beaux exemples de peinture égyptienne qui nous restent appartiennent au Nouvel Empire, quelque 500 ans avant la fondation de Naucratis, mais le conservatisme de la technique et de la thématique est tel dans l’art égyptien qu’il n’est pas déraisonnable de se tourner vers eux pour avoir une idée de ce que les Grecs virent aux VIIe et VIe s., époque pour laquelle les vestiges de peintures sont plutôt rares. La grande peinture égyptienne eut un triple impact, par les couleurs, par les styles et par les thèmes, peut-être même dès le milieu du VIIe s., lorsque les Grecs commencèrent à se rendre régulièrement en Égypte. Déjà sur quelques vases corinthiens, mais surtout sur des vases attiques ou insulaires, on trouve des essais de polychromie et l’utilisation, à la manière égyptienne, d’aplats de couleurs en grandes zones délimitées par des contours peints. A une date encore plus ancienne, on trouvait peut-être une allusion à un motif égyptien dans les petites palmettes qui pointent sur le front de certaines figures de vases orientalisants protoattiques ou insulaires, à la manière des bandeaux égyptiens à fleurs de lotus141
84En matière de style, l’influence fut plus subtile. L’artiste grec s’était attaché avant tout à la représentation d’hommes, de dieux et d’animaux, et peu à celle du cadre naturel ou du paysage. Lorsqu’apparaissent un arbre ou une vigne, ils se retrouvent au mieux à l’arrière-plan ou à côté des figures. En Égypte, les proportions réelles sont plus souvent respectées ; cette vision est reprise sur certains vases grecs du VIe s., en contraste flagrant avec les conventions normalement admises en Grèce. C’est le cas de la coupe grecque orientale représentant un homme dansant entre deux arbres142 (fig. 183) ou de la scène se déroulant dans un vignoble sur un vase de Kamak déjà mentionné143, ou encore de scènes de vendanges144 et de récolte des olives145, ou enfin, sur une amphore attique, de l’épisode héracléen du lac Stymphale où le vol des oiseaux devant Héraclès pourrait être celui d’une partie de chasse d’un noble égyptien sur les bord du Nil146 (fig. 184).
85Ce sont parfois des scènes singulières qui sont copiées ou adaptées. Sur une coupe laconienne (fig. 185), le roi grec de Cyrène, Arcésilas, surveille la pesée et l’emballage de laine dans une scène très proche des représentations égyptiennes du contremaître supervisant la pesée et le stockage de denrées147. Sur un vase fabriqué par un Grec de l’Est en Étrurie (une “hydrie de Caeré”, fig. 186), le héros grec Héraclès affronte une mêlée d’Égyptiens effrayés au service du roi Busiris qui avait l’habitude de sacrifier tous les étrangers rencontrés sur son chemin : le héros saisit et piétine ses adversaires, comme les pharaons célébrés sur les peintures et les reliefs égyptiens en train d’accomplir des exploits personnels contre des hordes d’ennemis148. Aux attitudes égyptianisantes s’ajoute, aussi bien sur la coupe d’Arcésilas que sur l’hydrie de Caeré, la volonté de situer des scènes dans un environnement nord-africain. Un autre emprunt plus anecdotique est la façon dont Héraclès et, à l’occasion, d'autres personnages, sont représentés au combat sur un char, posant le pied sur le timon (fig. 187) – attitude couramment figurée en Égypte mais impossible sur un char de type grec (par ailleurs depuis longtemps abandonné sur les champs de bataille)149. On peut enfin noter un détail secondaire mais durable dans l’art grec à partir du VIIe s., la représentation de serpents affublés d’une barbiche de chèvre (fig. 188), copie évidente des serpents divins dans l’art égyptien150. Il n’est pas facile de deviner pourquoi les Grecs adoptèrent un attribut aussi peu réaliste (en Égypte il s’agit d’une barbe postiche semblable à celle portée par les dieux), encore que dans l’art grec la plupart des serpents aient une connotation supraterrestre.
86D’autres scènes ou figures se présentent comme inspirées par les contacts avec l’Égypte plutôt que copiées. Ainsi en est-il du combat des Pygmées et des Grues, déjà connu d’Homère. Une célèbre version, peinte sur le vase François vers 570, montre les Pygmées se précipitant sur les Grues armés de gourdins et montés sur des chèvres151 (fig. 189). Sur une curieuse représentation d’un lécythe attique, trois hommes s’inclinent devant ce qui semble être une momie152 (fig. 190) : leur attitude, qui n’a aucun parallèle dans l’art figuré grec, est typiquement égyptienne et se rattache à une scène de deuil. La “momie” ressemble plutôt à un hermès grec (pilier surmonté d’une tête d’Hermès), mais pas – complètement : elle ne possède ni bras tronqués, ni phallus et son décor réticulé évoque le bandage d’une momie. Bien qu’il existe des témoignages littéraires sur la coutume de s’incliner devant les hermès, il est peut-être préférable de voir ici la copie grecque d’une scène égyptienne courante plutôt que la version isolée d’une cérémonie grecque. Ces scènes sporadiques de type égyptien ne doivent évidemment pas être interprétées comme le reflet ni d'une connaissance, ni d’une influence profonde des pratiques et des croyances égyptiennes.
87A la même époque, les représentations de Noirs153 (fïg. 191) (sans doute pris souvent par les Grecs pour des Egyptiens), de singes154 et même de chameaux155 (fig. 192) apparaissent plus souvent dans l’art grec. Les compagnons éthiopiens de Memnon à Troie sont figurés comme des Noirs sur les vases peints. Le grand peintre de vases athénien, Exékias, en représente deux qu’il nomme Amasis (fig. 193) et 4masos : peut-être d’après le nom du roi égyptien, pourrions-nous penser ; mais il y avait aussi à Athènes un Amasis, potier et peintre, collègue et rival d’Exékias, qui pourrait avoir adopté ce nom étranger (bien que grécisé) parce qu’il avait la peau foncée et était né en Égypte156. Dans une cité comme Naucratis, Amasis aurait pu voir les meilleures œuvres des potiers et peintres de Grèce de l’Est et de Grèce propre et puiser là-bas les éléments quasi exotiques de son style qui rendent ses vases si fascinants. On retiendra aussi que c'est lui qui, avec l’un de ses vases les plus anciens à avoir survécu (fig. 194), introduisit à Athènes la version en terre cuite de l’alabastre de pierre égyptien157. D’autres alabastres attiques plus récents rappellent également l’origine de leur forme par les figures de Noirs qui y sont peintes158 (fig. 195).
88Les scènes empruntées à l’Égypte que nous avons mentionnées auparavant doivent être, elles aussi, l’œuvre d'artistes qui avaient eux-mêmes visité le pays, car on ne voit pas quels objets transportables auraient pu les transmettre facilement. Les Grecs, et aussi les artistes, sont des voyageurs invétérés, et certainement pas moins dans l’antiquité que de nos jours.
LES GRECS EN LIBYE ET EN CYRÉNAÏQUE
89Les Grecs s’installèrent en Cyrénaïque aussi précocement qu’en Égypte, mais tandis que les Grecs de Naucratis étaient des marchands, les Grecs de Cyrène étaient des agriculteurs, poussés à chercher de nouvelles terres outre-mer par une grave sécheresse dans leur patrie d’origine. Leur migration fut facilitée par le fait que des marchands avaient déjà ouvert la route vers l’Afrique septentrionale et l’établissement de colonies dans cette région avait un intérêt commercial considérable. Mais l’attrait primordial résidait dans la fertilité des terres du plateau et des rivages de la Cyrénaïque, dont le climat et la situation géographique constituaient une zone d’expansion logique pour n’importe quelle culture égéenne. La Crète est aussi proche de Cyrène que d’Athènes.
90Le passage d’Hérodote159 relatif à la colonisation de Cyrène représente un exemple intéressant sur la façon dont ces communautés s’expatrièrent, pas toujours volontairement (dans ce cas, un homme adulte tiré au sort par famille), mais, pour notre étude, l’arrière-plan institutionnel de l’expédition compte moins que ses raisons matérielles et ses résultats.
91Les colons venaient de Théra, une petite île plutôt aride, formée par le bord du cratère d’un grand volcan. Elle était habitée par des Grecs doriens et située au sud du groupe principal des Cyclades, face à la Crète. Elle avait connu une certaine prospérité à la fin du VIIIe s. et au VIIe s., comme le montre l’archéologie, mais elle ne fut jamais en état de subvenir aux besoins d’une population nombreuse. Peu après le milieu du VIIe s., le groupe de colons théréens fit voile vers l’Afrique septentrionale sous la conduite d’Aristotélès, plus tard appelé Battos, et, guidé par un Crétois, aborda à l’île de Platée, face au continent, qui avait peut-être déjà joué le rôle de point d’échanges avec les tribus de terre ferme et reste encore de nos jours un lieu de prédilection pour les pêcheurs d’éponge grecs. Un installation temporaire y fut établie et c’est là que le navigateur samien Colaios aborda lors de son fameux voyage. Selon Hérodote, deux ans après, les colons théréens se transférèrent sur le contient, en face de File, à Aziris, que « de très beaux vallons boisés enferment de part et d’autre et qu'un fleuve borde d’un côté ». Le site, aujourd’hui désolé et balayé par les vents160 (fig. 196), a été localisé avec certitude et a livré de la céramique rapportable à sa brève occupation. Au bout de six ans en effet, soit vers 630 av. J.-C., les indigènes libyens persuadèrent les colons de s’installer vers l’intérieur, sur un site plus accueillant, à Cyrène, une colline bien pourvue en eau et facilement défendable, dans une zone fertile du haut plateau161 (fig. 197). Les hommes épousèrent des femmes indigènes et, au temps d’Hérodote, la population féminine observait encore des restrictions relatives à la consommation de certaines viandes, prescrites par les traditions indigènes.
92La communauté prospéra et, au VIe s., fit appel à de nouveaux colons du Péloponnèse et des îles doriennes. Un peu avant le milieu du siècle, sous Arcésilas II, des dissidents fondèrent Barcè, à une centaine de kilomètres à l’ouest de Cyrène. Pour la date de fondation des colonies de la côte, depuis Apollonia, le port de Cyrène, jusqu’à Euhespéridès (Benghazi) à l’ouest, il faudra en revanche faire appel à l’archéologie (cf. infra). La prospérité atteinte par les nouveaux venus inquiéta les indigènes libyens qui demandèrent contre eux l’aide des Égyptiens. En 570, l’armée de secours envoyée par le pharaon Apriès subit une grave défaite. Son successeur Amasis fut plus bienveillant : il épousa une princesse cyrénéenne et consacra des offrandes dans la ville. Plus tard, des troubles au sein de la famille royale de Cyrène provoquèrent des heurts avec les Libyens, dont les Grecs ne se tirèrent pas à leur avantage. Quand les Perses conquirent l’Égypte en 525, la population de Cyrène et de Barcè se soumit et envoya des présents, mais des désaccords ultérieurs amenèrent l’intervention du gouverneur perse d’Égypte, qui prit Barcè et s’avança jusqu’à Euhespéridès avant de battre en retraite sous la pression des Libyens. Des hommes de Barcè furent emmenés comme esclaves en Bactriane (à la frontière actuelle russo-afghane) et établis dans une ville à laquelle ils donnèrent le nom de leur ancienne patrie et où leurs descendants vivaient encore à l’époque d’Hérodote162. A partir de 515 environ, Cyrène fit partie de l’empire perse, mais les témoignages archéologiques montrent que sa prospérité n’en pâtit pas, bien au contraire, car c'est précisément à cette période qu’il faut attribuer les sculptures les plus belles et les tombes les plus riches, le plus grand de ses temples et probablement son premier monnayage.
93Les témoignages matériels sur la phase ancienne des cités grecques de Cyrénaïque sont plutôt fragmentaires, mais les fouilles italiennes de Cyrène et celles britanniques récentes d’Euhespéridès et Taucheira (Tocra) nous fournissent quelques informations.
94A Cyrène, la cité archaïque se dressait sur les hauteurs qui dominent la source sacrée, appelée par les Grecs “fontaine d’Apollon”163. En face, et donc en dehors d’une éventuelle enceinte, s’étendait l'espace des sanctuaires. L’édifice le plus ancien reconnu à ce jour, peut-être du début du VIe s., est un petit temple carré de 8,50 m de côté avec deux colonnes intérieures. Les offrandes du VIe s. qui y ont été recueillies comprennent quelques beaux bijoux et bronzes ainsi que de la céramique décorée. A proximité et près de la fontaine s'élevait le temple d’Apollon : son état le plus ancien est celui d’un bel édifice dorique, de 27 m sur 37 m, daté du milieu du VIe s. ou un peu avant et reconstruit au IVe s. sur les mêmes fondations. Le premier temple bâti sur les hauteurs, mais toujours en dehors de la vieille cité, est celui de Zeus (Zeus Ammon, en hommage au sanctuaire oraculaire du désert libyen, que les Grecs avaient quasiment annexé), immense édifice dorique de 69 m sur 30 m, édifié avant la fin du VIe s. et qui accueillera plus tard une copie en marbre de la fameuse statue chryséléphantine de Zeus faite par Phidias à Olympie. A la périphérie de la cité se trouvait un des sanctuaires les plus anciens, celui de Déméter, dont la phase la plus archaïque vient juste d’être explorée164. En somme, aux alentours de 500, Cyrène était aussi bien pourvue en temples majeurs que n’importe quelle autre cité grecque importante, avec qui elle aurait pu aussi rivaliser sur le plan de la richesse.
95Parmi les tombes les plus anciennes, les principales – en dehors de la probable tombe du fondateur devenue un lieu de culte – sont taillées dans la roche avec des façades architecturales à deux ou plusieurs colonnes. Les premières peuvent appartenir au dernier quart du VIe s.165. Le type n’est pas grec, mais de telles tombes à façades sont connues en Orient et peut-être ont-elles été connues des Grecs après leur soumission aux Perses, bien que les gouverneurs perses de l’Égypte se soient peu préoccupés des affaires de la cité.
96Les sculptures des sanctuaires et de l’habitat ne sont pas plus impressionnantes que l’architecture. C’est le cas de plusieurs œuvres qui, vers le milieu du VIe s., font apparaître un style grec insulaire très marqué, parfois manifestement samien, telle l’offrande d’un sphinx sur une colonne, mais d’autres figures, kouroi et korai, de la fin du VIe s. ou du début du Ve s., révèlent plutôt un style proche de productions du Péloponnèse dorien166.
97Le peu de céramique recueillie à Cyrène reflète cependant l’histoire de la cité et de ses relations outre-mer. La trouvaille la plus ancienne censée provenir de Cyrène est une coupe du VIIIe s., aujourd’hui à Berlin, de production attique ou peut-être laconienne, mais sa provenance n’est pas sûre167, et aucune autre pièce aussi ancienne n’a été signalée dans les fouilles récentes. D’autres trouvailles plus sûres montrent une bonne représentation du Péloponnèse et une plus faible de Grèce de l’Est. Les plus anciens fragments, originaires de Corinthe et de Rhodes, sont de la fin du VIIe s, tandis qu’au VIe s., ils proviennent d’Athènes, de Sparte (qui paraît avoir eu d’étroits contacts avec la Cyrénaïque) et de Chios (dont un fragment qui pourrait être en fait naucratite)168. Notons enfin de nombreuses "Island Gems”169, probablement de Mélos, et des tridacnes décorés170.
98Cyrène commença à frapper ses propres monnaies au dernier quart du VIe s.171 selon l’étalon utilisé par Athènes, Corinthe et Samos. L’un de ses emblèmes fut le silphion (fig. 198), plante sauvage qui, rebelle à toute tentative de transplantation, fleurissait uniquement en Cyrénaïque. Le silphion disparut au début de l’époque romaine, sans doute à la suite d’erreurs de culture. Ses feuilles pouvaient être consommées comme celle du chou et ses racines mises en conserve, mais sa principale qualité résidait dans son suc utilisé comme médicament ou comme condiment172. Il représentait certainement un élément d’exportation important et intervenait pour beaucoup dans la prospérité des Grecs en Cyrénaïque, sans être cependant l’unique ressource d’une région riche en céréales, fruits et chevaux.
99Grâce à des travaux récents nous connaissons mieux les autres cités grecques de Cyrénaïque. A Barcè, dont la fondation au VIe s. est rapportée par Hérodote, on n’a rien trouvé d’antérieur au milieu du Ve s., bien que sur le territoire de la cité (à Aslaia) une tombe un peu plus ancienne ait livré des vases attiques, une coupe en verre perse et un grand alabastre de pierre173. Mais il est évident aujourd’hui que les villes côtières ont été occupées par les Grecs très tôt après Cyrène, sans doute bien avant 600, à l’exception d’Euhespéridès, dont la céramique la plus ancienne date du début du VIe s. A Apollonia et dans la cité rebaptisée plus tard Ptolémaïs, on a seulement quelques tessons de céramique. A Taucheira (Tocra), les fouilles britanniques174 ont exploré le riche dépôt votif du sanctuaire de Déméter et Coré qui doit remonter à l’époque de la fondation de la ville dans les années 620175. Le répertoire céramique y est instructif. Pour la phase initiale les céramiques rhodienne et corinthienne sont prédominantes. Au VIe s., les trouvailles rendent compte à la fois d’intérêts doriens spécifiques – de la part de Corinthe, Sparte, la Crète et Mélos – et de la popularité des catégories “internationales”, attiques et chiotes. Un élément d'orfèvrerie ne trouve de parallèle qu’à Théra, patrie d’origine des colons de Cyrène, mais on a aussi un élément de harnais de type “européen”. Les productions locales concernent seulement des terres cuites et des ex-voto communs. Le grand nombre de vases de céramique commune de formes courantes et l’absence d’autres formes que l’on attendrait peuvent illustrer un type particulier de commerce céramique et ses effets sur un marché probablement situé à l’extrémité d’un courant commercial176.
100Les indigènes libyens, organisés en tribus nomades, sont archéologiquement inconnus parce que difficilement accessibles et leur culture, par ailleurs décrite par Hérodote177, n’eut guère d’influence matérielle sur les Grecs qui s'étaient établis parmi eux. Le héros grec Héraclès avait, dit-on, combattu le géant libyen Antée. Un beau cratère en calice attique, peint par Euphronios vers 510 av. J.-C. (fig. 199), représente Antée à la manière dont les Libyens le sont souvent dans l’art égyptien, en contraste frappant avec l’aspect policé du civilisé Héraclès178.
101Peut-être y a-t-il un soupçon d’influence indigène dans la vénération de Zeus Ammon à Cyrène179. Son culte provenait du célèbre sanctuaire d’Amon de l'oasis de Siwa, dans le désert libyen180, dont l’oracle atteignit une réputation propre à rivaliser avec celle de Dodone ou de Delphes. La tête de Zeus affublée des cornes de bélier d’Amon apparaît sur des monnaies de Cyrène (fig. 198). L’une des plus belles tombes découvertes à Siwa, datable sans doute du Ve s., pourrait être celle d’un Grec qui avait pris le nom de Si-Amon, “homme d’Amon”, car une peinture murale le montre en compagnie de son fils, dans une pose égyptienne, mais lui-même doté d’une barbe et son fils vêtu à la manière grecque181 (fig. 200) ; d’autres motifs décoratifs de la tombe se réfèrent aussi à des modèles grecs. On trouve enfin chez Hérodote la mention d’une autre oasis, probablement l’oasis d’El Khargeh, occupée vers 525 par des Samiens182. Elle s’appelait en langue grecque Ile des Bienheureux (Makarôn Nêsos). C’était probablement des mercenaires vétérans qui avaient choisi de s’y établir pour y finir tranquillement leur vie, constituant certainement une des plus insolites et des plus attachantes communautés grecques établies en terre étrangère à cette époque.
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Bibliographie générale
Austin, pour une bonne étude générale ; CAH 32. 1, ch. 13 ; 32, 2, ch. 35, 36a (Braun).
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Drioton, E. et Vandier, J., L'Égypte, 1952-1969.
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Kienitz, F. K., Die politische Geschichte Ägyptens, 1953.
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[Les Grecs et l’Égypte, Actes du colloque de Beaulieu-sur-mer (Fondation Kerylos, oct. 1994), à paraître].
Notes de bas de page
1 CAH 23. 2, 182 s. ; Lloyd, Introduction, ch. 1.
2 N. K. Sandars, The Sea Peoples, 1978.
3 Références dans Austin, 50 s. ; une courte étude ancienne mais utile in J. Pendlebury, Aegyptiaca, 1930, et cf. B. Porter et R. Moss, Topographical Bibliography, 7, 1951, 401 ss. R. Brown, Provisionai Cat. of and Commentary on Egypt and Egyptianising Artefacts (Diss., 1975).
4 V. Webb, Levant 4, 1972, 150 ss. et Archaic Greek Faience, 1978. Un vase à vernis brun retrouvé à Athènes et datable dans le deuxième quart du VIIe siècle : E. Brann, Athenian Agora 8, 1962, 58, no 287 (où il est aussi proposé d’en voir un exemplaire métallique peint sur un vase de Théra du Géométrique récent).
5 S. Bosticco, PdP 12, 1957, 218, no 102 ; Coldstream, GGP, 316 ; GG, 229 ; H. Hencken, Tarquinia, Villanovans and Etruscans, 1968, 366 s.
6 Perachora 1, pl. 46.
7 AJA 43, 1939, 437 s., fig. 24, et cf. un Horus de l'Acropole d’Athènes : Pendlebury, op. cit. (n. 3), pl. 4, 159 ; une statuette de Tégée, BCH 45, 1921, 358 s., fig. 18, 57. La situle de Pherae en Thessalie (Pendlebury, op. cit. (n. 3), pl. 3, 227) pourrait être bien plus tardive selon l’information que m’a donnée R. V. Nicholls.
8 G. Roeder, Ägyptische Bronzefiguren, 1956, 320, 322 ; Clara Rhodos 6/7, 1932/3, 345 et pl. 13 (XI. 19) ; cf. C. Blinkenberg, Lindos 1, 1931, no 800 (situle).
9 Ist. Mitt. 7, 1957, pl. 40, 2. La pièce utilisée comme comparaison à la fig. 130 est dans Roeder, op. cit., pl. 57e.
10 Boardman, Greek Emporio, 1967, 227.
11 Boardman, CCO, 152. Culican étudie les versions phéniciennes in Rev. de la Univ. Complutense, 25, 1976, 83 ss.
12 Archaeology 25, 1972, 18; Lefkandi 1, pl. 187 (33, 15), 243a-c.
13 AM 60/61, 1935/6, pl. 84A, 8 ; BSA 57, 1962, 30 s. (plaque d’Hathor, probablement plus ancienne ; cf. Rept. Dept. Ant. Cypr., 1977, 83 s., pl. 18).
14 D. Levi, Annuario 10-12, 1927-9, 240, 461, pl. 19 ; Hesperia 14, 1945, pl. 25 ; Boardman, CCO, 62, et BSA 57, 1962, 33 s.
15 Samos 8, 5 ss. (pl. 15, 2-3 = notre fig. 133) ; AM 68, 1953, 127 ss. ; 74, 1959, 35 ss. ; 83, 1968, 292 s. ; AA, 1964, 81 s., 228 ss. ; 1965, 439 ; B. Freyer-Schauenburg, Elfenbeine ans dem samischen Heraion, 1966, 111 ss.
16 Sur Hérodote en Égypte, T. S. Brown, Amer. J. Phil. 86, 1965, 60 ss. ; Lloyd, Introduction, ch. 2.
17 Hdt., 2, 152-4; Austin, ch. 2; Lloyd, Introduction, 14 ss.
18 Diodore, 1, 67.
19 Gardiner, Egypt of the Pharaons, 359 s.; Lloyd, Introduction, 14 ss.
20 Hdt., 2, 161.
21 Woolley, Carchemish 2, 1921, 123 ss., House D.
22 Hdt., 2, 159 ; Lloyd, J. Eg. Arch. 58, 1972, 268 ss. et Introduction, 32 ss.
23 Hdt., 2, 161.
24 Gardiner, Egypt of the Pharaons, 359 s.
25 A. Bernand et O. Masson, Rev. Et. Gr. 70, 1957, 1 ss. ; Meiggs – Lewis, no 7.
26 A. Rowe, Ann. du Service, 38, 1938, 157 ss. ; Austin, 57 ; S. Pernigotti, Stud. Class, e Or. 17, 1968, 251 ss.
27 Kienitz, op. cit., 43 s.; J. H. Breasted, Anc. Records of Egypt, 4, 1906, 506-8; Austin, 19 s.
28 Hdt., 2, 163, 169; Gardiner, op. cit., 361 s.
29 Ibid., 362.
30 Hdt., 2, 181, 154; Austin, 20 s.
31 Hdt., 2, 178-9.
32 Strabon, 801, 792.
33 W. M. F. Petrie, Naukratis 1, 1886 ; A. E. Gardner, Naukratis 2, 1888 ; D. G. Hogarth, BSA 5, 1898-9, 26 ss., JHS 25, 1905, 105 ss. Études générales : Austin, 22 ss. ; F. W. von Bissing, Bull. Soc. Roy. Arch. Alex. 39, 1951, 33 ss. sur la ville et ses bâtiments ; R. M. Cook, JHS, 57, 1937, 227 ss. A. Bernand, Le Delta égyptien d’après les textes grecs 2, 1970, 575 ss.
34 E. Gjerstad, Acta Arch. 30, 1959, 147 ss ; Austin, 59 s.
35 Naukratis 2, 11 ss., 33 ss.
36 C. Roebuck, Class. Phil. 45, 1950, 241 ss.
37 H. Hoffmann, AJA 57, 1953, 189 ss.
38 Naukratis 1, 11 ss. ; BM Cat. Sculpture 1, 1, 171 ss.
39 A. Fairbanks, Cat. Boston Vases, 1928, pl. 37, 340 ; H. Payne, Necrocorinthia, 1931, 340 (la provenance n’est pas tout à fait sûre).
40 Op. cit. (n. 33).
41 La plupart des céramiques sont à Londres, mais il y a aussi de riches collections à Cambridge, Oxford et Boston, ainsi que de plus petites dans d’autres musées. Une tentative est en cours pour rassembler ces témoignages. Les publications anciennes sont très sommaires et sélectives, mais il est utile de consulter E. M. Price, JHS 44, 1924, 180 ss. Les catégories que j’ai retenues ont été définies par Cook, GPP et je me limiterai à citer les pièces ou les études spécifiques. De nombreux fragments de Grèce de l’Est ont été étudiés et attribués par E. Walter-Karydi in Samos 6. 1, 1973, mais pas toujours de manière convaincante. Les analyses d’argile, en cours, pourront peut-être offrir un jour quelques réponses.
42 R. M. Cook, BSA 44, 1949, 154 ss. pour la distribution ; Boardman, Greek Emporio, 1967, 119 ss., 156 ss. pour les principales catégories. Notre fig. 139 = Naukratis 2, pl. 6.
43 Ceci est argumenté par l’auteur in BSA 51, 1956, 55 ss. Des versions du style polychrome sont maintenant connues dans le monde égéen, à Pitanè, mais aucune de la qualité de celles de Naucratis. Les analyses d’argile suggèrent que, s’il y avait des potiers chiotes à Naucratis, ils importaient de chez eux leur argile – une pratique qui est attestée pour des époques plus tardives de l’histoire de la céramique et suggérée aussi pour l'antiquité ; l’argile égyptienne ne convenait d’ailleurs pas à la production de céramiques à parois fines cuites à température élevée. Notre fig. 140 = Price, op. cit., pl. 6, 11, 15.
44 Sur les inscriptions, R. M. Cook et A. G. Woodhead in BSA 47, 1952, 159 ss. ; Boardman, BSA, 51, 1956, 56 ss. ; Austin, 61 s.
45 Aussi bien représenté ailleurs en Cyrénaïque, Boardman and Hayes, Tocra 1, 1966, 57 ss., 2, 1973, 24 ss.
46 Boardman, Greek Emporio, 1967, 168.
47 Coupes des “Petits Maîtres” : E. Kunze, AM 59, 1934, 81 ss., Samos 6. 1, pl. 49-49-53 ; 57, passim.
48 H. Prinz, Funde ans Naukratis, 1906, 83.
49 V. Grace, Hesperia 40, 1971, 68 s. 79 s.
50 Toujours irremplaçable : R. M. Cook in BSA 34, 1933-4, 1 ss.
51 In Samos 6. 1, ils étaient attribués à différents centres. Les analyses d’argile par les Français à Dijon suggèrent que Milet est la source, ce qui semble tout à fait plausible.
52 R. M. Cook, BSA 47, 1952, 123 ss. et CVA British Museum 8, 14 ss.
53 Austin, 63 s. ; sur l'hérésie de Cyrène, E. A. Lane, BSA 34, 1933-4, 182 ss.
54 J. D. Beazley et H. Payne, JHS 49, 1929, 253 ss. Notre fig. 142 est un fragment de cratère, probablement par le peintre de Nessos ; CVA Toronto 1, pl. 39, 1.
55 Richter, Kouroi, 1970, no 28, 59-61, 81-5 (84 = notre fig. 143).
56 Cf. ci-dessus, p. 91.
57 Naukratis 1, pl. 19 ; BSA 5, 1898-9, pl. 14 ; JHS 25, 1905, 127 ss.
58 Cette production est étudiée en détail et avec une illustration complète par V. Webb, Archaic Greek Faience, 1978.
59 Ibid., pl. 1-11 ; notre fig. 146 = no 1.
60 Ibid., pl. 12-16.
61 Ibid., pl. 19-21.
62 Ibid., pl. 19, 845.
63 Ibid., pl. 19, 840.
64 Ibid., pl. 18, 763-779 (no 766 = notre fig. 150).
65 Boardman, Archaic Greek Geins, 1968, 161.
66 Naukratis 1, 37, pl. 38 en bas.
67 Webb, op. cit., pl. 22.
68 Naukratis 1, 15.
69 Cf. ci-dessus, ch. 3, n. 139.
70 Naukratis 1, 41.
71 Ibid.
72 Austin, 35 s.
73 W. M. F. Petrie, Tanis 2, 1888, pl. 36, 5.
74 O. Masson, Rev. de Phil. 36, 1962, 46 ss.
75 J. G. Milne, J. Eg. Arch. 25, 1939, 177 ss.; C. Roebuck, Class. Phil. 45, 1950, 236 ss.; Austin, 37 ss.; Lloyd, Introduction, 30 s.; H. Sutherland, Amer. J. Phil. 64, 1943, 143 ss.
76 Von Bissing, op. cit. (n. 33) 33 ss. Sur Naucratis comme ville d’asile, D. van Berchem, Mus. Helv. 17, 1960, 26 ss.
77 BSA 47, 1952, 161 s. ; 51, 1956, 59.
78 Naukratis 2, 65, pl. 7, 1 ; 21, 778; Hoffmann, op. cit. (n. 37); Boardman, Antiquaries Journal 39, 1959, 203 s.
79 Naukratis 1, 55, pl. 33, 218; Hdt., 3, 4.
80 JHS 25, 1905, 116, no 6.
81 Naukratis 2, 66, pl. 21, 798.
82 Hdt., 2, 134-5 (Rhodopis) ; Strabon, 808 (Rhodopis = Doricha) ; D. L. Page, Sappho and Alcaeus, 1955, 45 ss. (Doricha) ; Jeffery, LSAG, 102 (Rhodopis à Delphes) ; Ath., 596b-c (Rhodopis, pas Doricha).
83 Hdt., 2, 134-5 ; BSA 5, 1898-9, 56, no 108.
84 Solon fr. 28 (West) ; Plutarque, Solon, 26.
85 Strabon, 37.
86 Petrie, Tanis 2, 1888; R. M. Cook, JHS 57, 1937, 229 ss., CVA British Museum 8, 57 ss.; Austin, 20, 56; Weinberg, op. cit. (ch. 3, n. 55), 15 ss.
87 Hdt., 2, 30.
88 Cook, op. cit. (n. 86).
89 Pour les situles : CVA British Museum 8, 29 ss. (pl. 1,1= notre fig. 154 ; pl. 2, 2 = fig 155). Les analyses d’argile suggèrent cependant qu’ils ont pu être importés de Rhodes. Pour les amphores samiennes, cf. ci-dessus, n. 49. Pour l’amphore lesbienne, Miss Grace me renvoie à Londres UC 19247.
90 Je dois au Dr E. Oren les informations sur ce site ainsi que les photographies. Pour la grecque Magdolos, Hdt., 2, 159 ; Jérémie, 44, 1.
91 Hdt., 2, 154. La céramique trouvée n’est pas publiée de façon exhaustive ; voir Austin, 20-2, 56 s. Notre fig. 157 = Berytus 11, 1955, pl. 22, 8 (non naucratite). Cf. aussi A. Swiderek, Eos 51, 1961, 55 ss.
92 J. Eg. Arch. 56, 1970, pl. 10 ; ARepts, 1970/1, 76. O. Masson, G. T. Martin et R. V. Nicholls, Carian Inscriptions from North Saqqara and Buhen, 1979, no 3.
93 Jeffery, LSAG, 355, 358, no 50 ; O. Masson, Rev. d’Ég., 29, 1977, 53 ss.
94 K. Parlasca in Wandlungen (Fest. HomannWedeking), 1975, 57 ss.
95 Ibid., pl. 10, d-f.
96 Masson, Martin et Nicholls, op. cit. (n. 92), 64 ss.
97 Cf. ci-dessus, n. 92.
98 Parlasca, op. cit. (n. 94), pl. 10 b, c.
99 C. C. Edgar, Cat. Cairo Greek Sculpture, 1903, pl. 1, 27431.
100 Boardman, Island Gems, 1963, 52, no 185.
101 Jeffery, LSAG, 355, 358, no 49.
102 Jeffery, LSAG, 314 ; Strabon, 813 ; A. et E. Bernand, Les inscriptions du Colosse de Memnon, 1960.
103 Boardman, JHS 78, 1958, 4 ss. Les analyses d’argile révèlent une différence marquée avec le vase éponyme du groupe de Northampton, mais aussi une similitude avec la figure noire clazoménienne.
104 H. W. Parke, The Oracles of Zeus, 1967, ch. 9 ; H. M. Schenke, Das Altertum 9, 1963, 72 s.
105 A. Fakhry, Siwa Oasis, 1944, 167.
106 Coll, privée suisse.
107 CVA Oxford 2, IID, pl. 4, 17.
108 Boston 21.2286 (Beazley, ARV2, 772 s., 1669 ; L. Kahil, RA, 1972, 283). Paris CA 3825 (Beazley, Paralipomena, 416 ; Kahil, op. cit., 271 ss.).
109 O. Masson et J. Yoyotte, Obj. phar. à ins. carienne, 1956 ; Masson, Bull. Soc. Fr. Ég. 56, 1969, 25 ss. Sur les mercenaires cariens, Austin, 17 s.
110 Gjerstad, Swed. Cypr. Exped. 4. 2, 240 ss.; Masson, Inscr. Chypriotes, 1961, 353 ss.
111 Hdt., 2, 41; 2, 39
112 Hdt., 3. 1, 4, 11, 13, 25-6.
113 Von Bissing, Zeitschr. Deutsch. Morgenl. Gesellsch. 84, 1930, 226 ss., pl. 1; Führer durch das Berliner äg. Museum, 1961, pl. 56.
114 J. M. Cook, Gnomon, 1962, 823.
115 Hdt., 2, 180-2; 3. 47 (Sparte).
116 C'est le sujet d'une étude d’A. Gorton, en cours de publication.
117 Clara Rhodos, 6/7, 1932/3, 288; Jeffery, LSAG, 348.
118 H. E. Angermeier, Das Alabastron, 1936 ; K. Schauenburg, JdI, 87, 1972, 259, avec références. Notre fig. 168 = CVA Oxford 2, IID, pl. 1, 27.
119 Ph. Bruneau, BCH 86, 1962, 193 ss. ; S. Morenz in Fest. Schweitzer, 1954, 87 ss. ; sur Ésope et l'Orient : I. Trencsényi-Waldapfel, Untersuch. zur Religionsgesch., 1966, 181 ss.
120 J. J. Coulton, Greek Architects at Work, 1977, ch. 2.
121 Boardman, GSAP, 1978, 162.
122 Boardman, Antiquaries Journal, 39, 1959, 212 ss. ; Coulton, loc. cit.
123 Annuario 10/12, 1927/9, 187, 451 ; Boardman, op. cit., 211s.
124 B. Wesenberg, Kapitelle und Basen, 1971. 43 ss.
125 Boardman, GSAP, 18 ss., B. S. Ridgway, Archaic Style, 1977, ch. 2; K. Levin, AJA 63, 1964, 13 ss.
126 E. Iversen, Mitt. Inst. Kairo, 15, 1957, 134 ss. Une étude (limite) des canons égyptiens appliqués aux kouroi archaïques par E. Guralnik in Computers and Humanities 10, 1976, 153 ss. Notre fig. 172 = Boardman, GSAP, fig. 107.
127 Diodore, 1, 98, 5-9; Iversen, J. Eg. Arch. 54, 1968, 215 ss.
128 Boardman, GSAP, fig. 269; EADélos, 24, 1959.
129 K. Tuchelt, Die arch. Sk. aus Didyma, 1970; Boardman, GSAP, fig. 94-5.
130 Hdt., 2, 170.
131 N. Breitenstein, Cat. Terracottas Danish Nat. Mus., 1941, pl. 11. Cf. Liverpool Annals 10, 1924, pl. 23 (Sanam) ; pour l’ivoire trouvé sur l’Acropole d’Athènes, JHS 68, 1948, 5, fig. 3 ; fragments en pierre à Samos : AA, 1965, 845-8.
132 Sur les miroirs Spartiates : T. Karagiorgha, ADelt 20, 1965, 96 ss. Égyptiens : Roeder, op. cit. (n. 8), 319 s. et copies en ivoire trouvées à Samos : Freyer-Schauenburg, op. cit. (n. 15), 111 s.
133 W. L. Brown, The Etruscan Lion, 1960, 119 et cf. 71 s., 112. H. Gabelmann, Stud. zum frühgr. Löwenbild, 1965, 69 ss.
134 Gabelmann, op. cit., 84 ss.; Boardman, GSAP, fig. 270.
135 V. Webb, op. cit. (n. 58). Cf. un vase en faïence à relief, d'époque tardo-archaïque avec un sujet très grec ; BABesch, 46, 1971, 100 ss.
136 Voir aussi V. Wilson, Levant 7, 1975, 77.
137 C. Blinkenberg, Lindos 1, 1931, 559 ss. Notre fig. 180 = Boardman et Hayes, Tocra 1, pl. 100, 48.
138 C. Blinkenberg, op. cit., n° 1793-5 (n° 1795 = notre fig. 181).
139 G. M. A. Richter, Furniture of the Greeks, Etr. and Rom., 1966, 17. Notre fig. 182 = Boardman, GSAP, 165, fig. 253.
140 Boardman, GSAP, 165.
141 G. Mylonas, Protoattike Amphoreus, 1957, 105, fig. 57d.
142 Samos 6. 1, pl. 46; Simon – Hirmer, pl. 35.
143 Cf. ci-dessus, n. 103.
144 B. A. Sparkes, BABesch 51, 1976, 47 ss.
145 Boardman, ABFH, fig. 186.
146 Ibid., fig. 95.
147 Simon – Hirmer, pl. XV.
148 Cf. F. Matz, AA, 1921, 11 ss. ; W. Wrede, AA, 1923/4, 11 ss. ; J. M. Hemelrijk, Caeretan Hydriae, 1983.
149 M. A. Littauer, AIA 72, 1968, 150 ss. ; notre fig. 187 = Boardman, ABFH, fig. 206.
150 M. T. Derchain-Urtel, Stud. Altäg. Kultur, I, 1974, 89 ss. (je dois cette référence à Jody Maxmin). Notre fig. 188 = Boardman, ABFH, fig. 65.
151 A. Furtwangler et K. Reichhold, Gr. Vasenmalerei, pl. 3; Boardman, ABFH, fig. 46, 8; B. Freyer-Schauenburg in Wandlungen (Homann-Wedeking, 1975), 76 ss.
152 Arch. Rel. Wiss. 12, 1909, 195; E. Haspels, Attic Black-figured Lekythoi, 1936, 67 s.; Beazley, ABV, 470, 103.
153 F. M. Snowden, Blacks in Antiquity, 1970. Notre fig. 191 = Beazley, ABV, 614.
154 W. C. McDermott, The Ape in Antiquity, 1938.
155 K. Schauenburg, BonnerJb. 155/6, 1955/6, 59 ss. ; 162, 1962, 98 ss. Notre fig. 192 = BSA 60, 1965, 123.
156 Boardman, JHS 78, 1958, 1 ss. Boardman, ABFH, fig. 99.
157 S. Karouzou, Amasis Painter, 1956, pl. 11 (notre fig. 194) ; Beazley, ABV, 155, 64. Cf. ci-dessus n. 118.
158 Beazley, ARV2, 267 ss. ; Boardman, ARFH, fig. 208 (notre fig. 195).
159 Hdt., 4, 150-8.
160 Boardman, BSA 61, 1967, 149 ss.
161 Hdt., 4, 186.
162 Hdt., 4, 159-67, 200-5.
163 R. G. Goodchild, Cyrene and Apollonia, 1970, pour une bonne étude générale. F. Chamoux, Cyrène sous la monarchie des Battiades, 1953 ; H. Büsing in Thiasos (éd. T. Lorenz, 1978), 51 ss. sur l’héroon du fondateur.
164 D. White, Expedition, 17, 4, 1975, 2 ss. ; AJA 79, 1975, 33 ss. [D. White (éd.), The extra-mural sanctuary of Demeter and Persephone at Cyrene, I-IV. Philadelphia, 1984-1990],
165 J. Cassels, BSR 23, 1955, 1 ss.; Kurtz-Boardman, 324-6.
166 E. Paribeni, Cat. delle Sc. di Cirene, 1959; J. G. Pedley et D. White, AJA 75, 1971, 39 ss.
167 AM 52, 1927, 53; Coldstream, GGP, 214, n. 4.
168 Africa Italiana 4, 1931, pl. 3, 12 (cf. BSA 51, 1956, 61). Les nouvelles fouilles du sanctuaire de Déméter ont livré une bonne quantité de céramique archaïque, cf. n. 164.
169 BSA 63, 1968, 41 ss. et provenant du sanctuaire de Déméter.
170 Cf. ci-dessus, ch. 3, n. 139.
171 Kraay – Hirmer, 380 s.; Kraay, 296 ss.
172 Hdt., 4, 169; Théophraste, Hist. Plant. 6, 3; Pline, NH, 22, 23; H. Schafer, Rhein. Mus. 95, 1952, 159 ss.
173 M. Vickers et A. Bazama, Libya Antiqua, 8, 1971, 149 ss.
174 Boardman, BSA 61, 1967, 149 ss.
175 Boardman et Hayes, Tocra 1, 1966 ; 2, 1973, 3-5 pour une brève analyse de la céramique.
176 Boardman in Libya in History (éd. F. F. Gadallah, 1968), 89 ss.
177 Hdt., 4, 168-99.
178 Simon – Hirmer, pl. 104-5 ; Chamoux, op. cit. (n. 163), pl. 1, 1-2.
179 H. W. Parke, Oracles of Zeus, 1967, 202 ss.
180 A. Fakhry, Ann. du Service 40, 1940, 779 ss. et Siwa Oasis, 1944 ; Parke, op. cit.
181 Fakhry, Ann. du Service 40, 1940, 793 ss.; Siwa Oasis, 1944, 140.
182 Hdt., 3, 26.
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