Les voix oraculaires
p. 77-90
Résumés
Pour les Romains toute forêt était le lieu d’une présence divine. Celle-ci était susceptible de donner lieu à des manifestations vocales à caractère prophétique, qui étaient rapportées au dieu Faunus ou à des entités mal définies comme Aius Locutius. Mais ces manifestations du sacré renvoient à un stade primitif, préculturel, et ne correspondent pas au mode normal de communication entre les hommes et les dieux établi dans le cadre de la cité.
For the Romans the whole forest was a place of a divine presence, which was susceptible of giving place to vocal manifestations of prophetic character, related to the god Faunus or to badly defined entities such as Aius Locutius. But these manifestations of the sacred reflect a primitive, pre-cultural state, and do not correspond in the normal way to communication between men and gods established in the framework of the city.
Texte intégral
1In : Les bois sacrés. Actes du colloque international de Naples. Collection du Centre Jean Bérard, 10, 1993, 77-90.
2Pour les Romains, une forêt, quelle qu’elle fût, était sentie comme une sorte de lieu sacré. Il existait bien sûr en Italie des bois sacrés reconnus comme tels, et certains fort célèbres — comme ce bois de 1’Averne dont on nous parle par ailleurs dans ce colloque. Mais dans tout bois les Romains ressentaient l’impression d’une présence divine. Comme le dit Sénèque à propos d’une forêt qui n’a de remarquable que la vétusté de ses arbres et l’aspect touffu de ses branchages : « illa proceritas silvae et secretimi loci et admiratio umbrae in aperto tam densae atque continuae fidem dei numinisfacient »1. Ou comme le dit encore plus directement Ovide à propos de l’Aventin du temps où il n’était qu’une colline sauvage couverte de chênes noirs : « quo posses viso dicere : numen inest »2. Gardons nous de réduire cette perception immédiate du sacré à quelque vision romantique née de l’ombre mystérieuse des bois. D’une manière on ne peut plus terre à terre Caton, dont on connaît le sens aigu de l’économie, prend bien soin dans son traité d’agriculture de rappeler qu’il faut procéder au sacrifice d’un porc chaque fois qu’on doit procéder à des abattages d’arbres pour créer une clairière dans une forêt3. C’est que cette forêt est habitée par un dieu, qu’il convient d’apaiser. Et même s’il emploie le terme de lucus, il est bien certain qu’il s’agit d’un bois on ne peut plus normal, celui où n’importe quel paysan peut être amené à jouer de la hache.
3La forêt est donc un lieu naturel de rencontre avec le divin, se prête naturellement à une hiérophanie. Or, pour Rome comme pour les civilisations antiques en général, un des points de contact essentiels entre l’homme et le divin concerne la divination, c’est-à-dire tout ce vaste domaine des phénomènes par lesquels les hommes peuvent recevoir des dieux des indications portant sur leur avenir, allant des simples avertissements aux présages les plus explicites. Étant donné le caractère immédiatement senti comme lié à la sphère du sacré de la forêt, on peut donc s’attendre à ce qu’elle soit un lieu où l'homme romain reçoive des révélations sur ce qui l’attend, soit un lieu à fonction divinatoire.
4Il est de ce fait parfaitement normal que nous ayons des attestations claires du rôle divinatoire, ou plus exactement prémonitoire de la forêt à Rome. Et on notera que cette qualité on peut dire “numineuse” de la forêt se traduit pat-un type de phénomène qui n’est pas habituel dans les pratiques divinatoires romaines. Celles-ci reposent normalement sur des procédés induits, sur l’observation et l’interprétation des signes4. La divinité ne fait pas connaître directement aux hommes ce qu’elle veut leur faire savoir, et on sait combien la notion de prophète elle-même était suspecte aux yeux des instances officiellement chargées des choses de la religion à Rome5. Or, dans la forêt, au contraire de ce qui est ailleurs la règle, le dieu se donne directement à entendre.
5On a des attestations illustres de cet état de fait qui peut paraître étranger à la norme romaine. L’exemple le plus célèbre est sans doute le cas d’Aius Locutius, soit de la “voix parlante” puisque le nom de cette entité divine qui faisait l’objet d’un culte à Rome, près du temple de Vesta, se réduit à deux composés de verbes signifiant « dire », aio et loquor6. Peu avant l’invasion gauloise, un simple plébéien, M. Caedicius, avait entendu, la nuit, une voix mystérieuse qui l'avertissait de la menace qui pesait sur la cité7. Mais les magistrats, prévenus par M. Caedicius, refusèrent de prendre garde à un avertissement transmis par un personnage d’aussi peu de relief. Ce n’est qu’après coup qu’ils comprirent leur tort, et établirent un culte de cette voix inconnue, Aius Locutius8.
6L’événement s’était produit en pleine ville. Cicéron, Tite-Live, Plutarque le localisent au bord de la Nova via, par laquelle s’en retournait M. Caedicius lorsqu’il bénéficia de cette révélation divine. Mais Cicéron ajoute une précision capitale, dont F. Coarelli a souligné récemment l’importance9. Cette voix ne venait pas d’un édifice construit, par exemple de l’intérieur d’un temple comme c’est le cas pour le prodige qui a donné naissance au culte de Juno Moneta, dont Cicéron rapproche le cas de celui d’Aius Locutius10. Elle sortait d’un bois, le lucus Vestae, que longeait la Nova via. Le prodige n’était pas cependant lié à Vesta, comme celui de Juno Moneta l’était à Junon. Ce lucus était distinct du temple proprement dit, et sans doute séparé de lui par la rue. Le prodige était lié à la forêt en tant que telle, et non à la déesse titulaire de ce bois sacré : à aucun moment les Romains n’ont songé à mettre en rapport cette voix avec la déesse du foyer11.
7Ce type de manifestation vocale du divin est en effet caractéristique des zones forestières. Et l’histoire de la Rome primitive, ou si l’on préfère sa légende, en fournit un autre exemple typique avec un second cas, celui de la voix qui s’était élevée le soir de la bataille de la forêt Arsia, en 509. Cette rencontre avait vu s’affronter les forces de la jeune république romaine, conduites par Brutus et Publicola, et les armées coalisées de Véies et de Τarquinia, tentant de rétablir sur le trône de Rome Tarquin le Superbe. Elle devait marquer la fin de la première tentative du roi déchu, qui sera ensuite obligé de recourir à l'aide de Porsenna puis des Latins — toujours avec le même insuccès. Mais la bataille avait été sanglante, et le “père fondateur” de la république lui-même, Brutus, devait y trouver la mort. Si bien qu’à la nuit tombée le résultat semblait indécis, et chaque armée campait sur ses positions, en proie au désarroi et à la crainte. C’est alors que — toujours dans un cadre nocturne, comme dans le cas d’Aius Locutius — une voix se serait fait entendre des profondeurs du bois : les vainqueurs étaient les Romains, qui comptaient un mort de moins dans leurs rangs12. Ce que le décompte des cadavres fait ensuite devait confirmer, nous précise Valère Maxime13.
8On a rapproché ce récit de la “guerre des champions”, menée entre Sparte et Argos pour la possession de la Thyréide, où se retrouve le motif du camp considéré comme vainqueur parce qu’il a perdu un combattant de moins que son adversaire14. L’origine de l’anecdote peut être grecque. Mais l’intervention de la voix divine est un élément strictement romain, sans rien de comparable dans le récit d’Hérodote. Elle est cohérente avec le cadre forestier de l’épisode, et fait appel à cette perception d’une présence divine liée aux bois qui nous est apparue comme fondamentale dans l’approche romaine de la forêt. Et cette fois, — ce qui n’était pas le cas avec Aius Locutius —, le rapport est explicitement posé entre voix et forêt : cette voix était celle du dieu des bois. Denys l’appelle ici Faunus, alors que Tite-Live parle de Silvain : mais on sait que sous ces deux appellations distinctes, dont l'une semble avoir eu un caractère plus officiel, et l’autre correspondre plutôt à un culte privé, c’est une seule et même identité divine qui est désignée15. C’est bien le silvicola deus Faunus16 qui se manifeste à travers cette voix, et révèle aux Romains leur victoire qu’ils ignorent encore17. Le cas de la voix de la forêt Arsia est la plus célèbre manifestation de ce type du dieu forestier Faunus / Silvanus. Et c’est sans doute à lui, et à lui seul, que se réfère Cicéron lorsqu’il écrit : saepe etiam et in proeliis fauni auditi18. La généralité de la formule risque de n’être qu’effet rhétorique : l’histoire romaine ne semble connaître que cet unique exemple d’intervention vocale du dieu Faunus au cours d’une bataille, et il importe donc de souligner qu’elle a lieu dans le cadre précis d’un paysage forestier.
9Mais pour être unique cet exemple n’en correspond pas moins à un caractère reconnu du dieu Faunus — ou des faunes en général selon une généralité sur laquelle nous allons revenir. Cette divinité est capable de révéler aux hommes l’avenir, et de le leur faire connaître par le processus mis en oeuvre dans le cas de la forêt Arsia, c’est-à-dire par révélation directe, par la voix. C’est ce qu’exprimait l’étymologie de son nom avancée par Servius : ἀπò τῆς φωνής. Il aurait été appellé ainsi « parce qu’il annonce l’avenir par la voix, non par les signes »19. La même idée faisait faire appel au verbe latin fari. Là encore quand cette explication est avancée, c’est l’aspect divinatoire de cette voix qui est souligné20. Va dans le même sens l’épithète de faitidicus, que lui attribue Virgile21, ou le fait qu’on le désignait aussi sous le nom de Fatuus22 ou Fatulcus23, termes pour lesquels le rapport avec fari était effectivement plus justifié : là encore les textes soulignent qu’il s’agit d’une parole spécifiquement liée à la révélation du destin24. On peut encore faire une remarque parallèle à propos de la tradition qui met ce dieu en rapport avec les vers saturniens et les formes les plus anciennes de poésie connues à Rome. Ce que chantaient les faunes en de tels vers, explique Verrius Flaccus, était les fata des hommes25, et l’’alliance des mots Fauni et vates dans un vers d’Ennius évoquant d’antiques poésies peut déjà être un indice du caractère prophétique reconnu au chant des faunes — aspect auquel se réfère expressément l'auteur de l’O. G. R. quand il cite ce vers26.
10Assurément toute voix entendue dans la forêt, et donc considérée comme émise par la divinité qui l’habite, n’a pas nécessairement un caractère prophétique. Lorsque Cicéron fait dire à un des personnages qu’il met en scène dans le De natura deorum, « Saepe Faunorum voces exauditae », tout comme lorsque, dans le livre suivant, il met dans la bouche d’un autre l’affirmation opposée, « Fauni vocem equidem numquam audivi »27, il peut s’agir d’une manifestation plus générale de la présence du dieu par la voix. Celui-ci est susceptible de se manifester par des cris divers comme il le fait par des apparitions fantomatiques au milieu des ténèbres nocturnes28. Cela est en accord avec le caractère inattendu, éventuellement agressif de cette divinité, qui surgit à l’improviste des profondeurs de la forêt : il se plaît à surprendre l’homme, et à lui faire peur par des voix mystérieuses autant que par des visions. C’est ce que précise bien Denys lorsqu’il caractérise brièvement le dieu à propos de l’épisode de la Silva Arsia29. C’est aussi de ses manifestations vocales dans le sens le plus général que fait état Lucrèce, mais, en bon rationaliste, lui les explique par l’effet de l’écho se propageant dans les montagnes et les bois30
11Il n’en reste pas moins que cette capacité de révélation par la voix appartient en propre au dieu Faunus, et apparaît avec des caractères qui correspondent étroitement à la nature de ce dieu. Nous avons déjà souligné le cadre spécifiquement forestier de ces phénomènes et on peut relever que même la tradition sur les origines du vers saturnien insiste sur le cadre boisé dans lequel les faunes chantaient ces vers31. Cette forme de prédiction de l’avenir participe donc de ce monde mystérieux qu’est la forêt, en marge des zones habitées, de la cité proprement dite, comme des secteurs de la campagne les plus directement touchés par la civilisation, ceux où s’exerce l’activité agricole. Avec la forêt nous sommes dans un au-delà du monde où s’exerce normalement l’activité humaine, dans le domaine des franges extérieures, des ἐσχατία pour reprendre le terme grec32. C’est là — et l’affirmation est valable pour le monde italien autant que pour le monde grec — que se déroule l’existence d’êtres qui sont eux-mêmes en marge par rapport à la vie normale dans le monde civilisé des cités et des champs cultivés, comme les jeunes en cours d’initiation ou les brigands ou pasteurs dont ils partagent le mode de vie33.
12Dans cette révélation par la voix, l’aspect de mystère est évident. Le phénomène se produit la nuit. La voix surgit des profondeurs de la forêt. On ne peut pas vraiment lui assigner un locuteur. Le nom d’Aius Locutius le montre bien, c’est une voix sans véritable sujet parlant, c’est une voix qui se réduit à elle-même. Il en va de même dans le cas de certaines fictions poétiques ou littéraires, qui ne proposent aucune identité pour de telles “voix parlantes”. Dans la liste des prodiges qui, selon Virgile, auraient accompagné la mort de César, il est question de voix qui se seraient alors fait entendre per lucos34 elles ne sont rapportées à aucun être défini. Il en va de même dans une version de la légende de l’établissement d’Énée à Lavinium rapportée par Denys où c’est une voix surgissant, la nuit, d’un bois qui lui révèle le sens du prodige de la truie aux trente gorets — c’est-à-dire que la cité d’Albe sera fondée trente ans après cet événement35 : il est à noter que cette voix forestière reste anonyme, alors que dans la version rapportée immédiatement ensuite où le héros reçoit cet avertissement par un songe, c’est alors un dieu clairement défini, un de ses dieux ancestraux de Troie, qui se manifeste36.
13On peut certes attribuer à cette voix le nom de Faunus. Mais ce nom lui-même risque de n’être qu’un masque pour essayer de rendre compte d’une réalité qui continue à nous échapper. Faunus est en quelque sorte au-delà de sa propre définition. Il y a une incertitude sur le sexe du dieu qui parle : est-ce Faunus, est-ce Fauna ? Les sources mettent la divinité masculine et la divinité féminine sur le même plan pour la question qui nous concerne, et si, souvent, on a insisté sur les capacités prophétiques de Fauna, son parèdre masculin est loin d’en être dépourvu37. Il n’y a même pas de véritable répartition des rôles : si Lactance réserve les révélations de Faunus aux hommes et celles de Fauna aux femmes, c’est un essai de rationalisation que ne vient confirmer aucune donnée de fait. En fait nous sommes dans le domaine classique d’application de la formule par laquelle les Romains se tiraient d’affaire devant une telle situation d’incertitude : ils adressaient alors leurs prières et leurs offrandes à un être divin dont le sexe était laissé incertain par la formule « sive deus sive dea ». Il est significatif que parmi les occurrences de ce type de désignation laissée dans le vague, deux concernent précisément des dieux forestiers. C’est le cas dans la prière de Caton lors de 1’abattage des arbres et dans une formule des frères Arvales pour l’année 18338.
14Parallèlement, on notera l’incertitude portant sur le nombre des êtres divins à qui de telles paroles sont à rapporter. Les textes mentionnent indifféremment Faunus et les faunes, la voix de Faunus et celle des faunes. Là encore l’explication du pluriel Fauni par l’existence d’un dieu masculin Faunus et de sa parèdre féminine Fauna est une rationalisation sans portée réelle39. En fait on parle aussi bien de Faunus que de faunes en général, et ces termes sont sentis comme féminins aussi bien que masculins. On se trouve en présence d’une indistinction totale, d’un sentiment diffus de présence divine que l’on peut traduire aussi bien par une pluralité que par la référence à une entité unique. Finalement Faunus, à l’image du mystère de la forêt obscure, participe de l’insaisissable, de l’au-delà de toute définition qu’en puisse donner l’homme. La formule de Cicéron « Faunus omnino quid sit nescio »40 va au-delà de la simple affirmation de scepticisme qu’elle est dans la construction de son dialogue : elle exprime tout ce qu’on peut dire du dieu.
15Nous avons également déjà évoqué la brutalité du phénomène, son caractère dérangeant, là encore conforme à la nature du dieu Faunus. Rien ne prédisposait Caedicius à être l’objet d’une révélation, et celle-ci ne lui vaut que des ennuis, tout en mettant les instances officielles dans l’embarras. A propos de la forêt Arsia, nous l’avons vu, Denys fait expressément référence à l’aspect effrayant des interventions, vocales ou autres, de Faunus. Chez Virgile, la consultation oraculaire de Faunus — sur laquelle nous aurons à revenir en détail — s’accompagne de tout un environnement susceptible de faire peur — fantômes, cris et évocations des enfers. On retrouve donc clairement dans les manifestations prophétiques des voix de la forêt un trait caractéristique du dieu Faunus : le danger potentiel qu’il peut représenter. Faunus est un dieu sauvage, éventuellement dangereux. Il est aussi cet Inuus ou Incubus qui agresse les femmes41. Et il faut dresser autour de la maison de la jeune accouchée une sorte de rideau protecteur à l’aide d’objets domestiques représentant la civilisation pour écarter de la mère et de l’enfant la menace constituée par Silvanus, le dieu sauvage qui rôde au dehors42. D’autre part il faut tenir compte des connexions de Faunus avec le loup — qui sont telles que la meilleure explication pour son nom est sans doute celle qui le rapproche de 1’illyrien θαῦνον, et y voit une désignation de cet animal43. Et on sait que ce dieu a des liens avec le monde des morts : il est le dieu des Luperques, et W. F. Otto en particulier a bien souligné l’importance de la position calendaire de la fête de ce dieu, qui, le 15 février, tombe dans la série des dies parentales, qui sont les fêtes des ancêtres décédés, des dii parentes, allant du 13 au 21. C’est à juste titre que Servius le qualifie de dieu infernal44. La rencontre d’un tel dieu, dût-elle apporter une révélation, n’est pas de tout repos !
16Avec tous les exemples que nous avons pris en considération nous avons eu affaire à une révélation apportée par le dieu de la forêt, ou le enumen indistinct qui l’habite. Mais ce n’est pas une divination à proprement parler, soit un mode de relation que les hommes peuvent établir avec les dieux pour apprendre d’eux des données les concernant. Dans la forêt Arsia ou dans des cas analogues, c’est le dieu qui se donne de lui-même à entendre ; il le fait là où il veut, quand il veut : tout dépend de sa propre décision. On est donc très loin du cas d’un oracle, où une consultation répétée et régulière est possible, où 1’homme peut solliciter de son propre chef la réponse du dieu aux questions qu’il se pose sur son avenir. Cicéron a beau jeu, dans la contrepartie sceptique aux affirmations du livre I du De divinatione que représente le livre II, de faire remarquer qu’Aius Locutius n’a fourni en tout et pour tout qu’une révélation45. Autrement dit ces manifestations verbales du dieu, ou des dieux, de la forêt ne sont pas susceptibles de se développer en une procédure régulière, de donner lieu à un mode de contact institutionnalisé entre l’homme et le divin.
17Du point de vue de la divination nous sommes en dehors de toute règle. Nous en sommes à un stade qui représente une régression par rapport à celui où vit normalement l’homme. Dans le monde normal d’une cité comme Rome, les rapports entre hommes et dieux se font selon une norme déterminée, qui leur assure régularité et efficacité : pour connaître la volonté des dieux, les hommes disposent de toutes les catégories des auspices, et on sait combien étaient précises les règles que les Romains avaient développées à ce sujet. Mais pour les manifestations que nous avons évoquées, on est dans un tout autre univers. Il n’y a pas de rituel qui règle la prise de contact entre les deux parties, les hommes et les dieux. Il n’y a pas de règle calendaire qui fixe dans le temps, ni de lieu déterminé comme peut l’être un templum qui fixe dans l’espace ces manifestations (en dehors bien sûr de leur caractère génériquement forestier). Nous avons ici affaire à un type de relation archaïque, pré-culturel, où l’humain et le divin peuvent entrer directement en contact, mais où cela se fait au hasard, en dehors de toute norme.
18On connaît les liens de Faunus avec le monde des temps primitifs, avec la période d’avant la fondation de l’Urbs pour se situer dans une perspective romaine. Nous rappellerons simplement la définition que Cicéron donnait des Luperques, qui appartiennent aussi à cet univers faunesque et forestier : fera quaedam sodalitas, et plane pastoricia atque agrestis germanorum Lupercorum, quorum coitio illa silvestris ante est instituta quam humanitas atque leges46. Dans le cas qui nous concerne ici des voces Faunorum, on retrouve ce même stade pré-culturel, dépassé à l’époque où la cité est régie, y compris dans ses rapports avec le divin, par des lois. L’homme ne peut pas s’en remettre pour avoir des indications d’ordre prophétique au bon vouloir aléatoire du dieu forestier. Et celui-ci n’est plus à sa place dans le cadre organisé de la cité et de ses règles. Significativement Aius Locutius se tait à partir du moment où, comme le note Cicéron, on lui a donné une identité précise, on lui a affecté un culte déterminé avec autel et rituel47.
19Les révélations faites par le dieu forestier sont donc liées à un cadre silvestre qui, dans la perception des Romains, est inséparable de tout un ensemble de représentations opposées à ce qui fait le cadre normal de leur existence. Elles semblent donc a priori devoir être rejetées dans un passé irréductible au temps présent, représenter un mode de prophétisme dépassé et qui n’a plus à exister dans le monde actuel de la cité, qui ne laisse plus guère de place au surgissement spontané du dieu dans les affaires des hommes et cherche au contraire à encadrer les relations entre hommes et dieux dans des formes soigneusement définies et délimitées. Pour prendre la terminologie romaine, les exemples que nous avons évoqués appartiennent tout au plus au domaine des prodiges, des signes librement envoyés par les dieux aux hommes. Et encore présentent-ils ce caractère remarquable qu’ici le dieu se manifeste directement et personnellement, et non à travers des modifications de l’ordre normal des choses de la nature, comme c’est le cas pour les prodiges habituels. Mais de toutes façons, même si on les ramène au cas des prodigio, ces interventions divines forestières ne permettent pas, sous cette forme, l’établissement d’une procédure de consultation du dieu par l’homme, l’établissement d’une véritable divination.
20Le problème qui se pose concrètement est donc de savoir si, à côté de ces manifestations où l’initiative reste entièrement du côté divin, la forêt a également permis, de par son caractère numineux, de développer une divination, de permettre une consultation des dieux, cette fois à l’initiative des hommes, en fonction des besoins ressentis par ceux-ci.
21A cette question le mythe semblerait donner une réponse positive. Il relate un cas célèbre de consultation des dieux de la forêt par l’homme48 l’épisode du règne du roi Numa Pompilius où celui-ci a interrogé, sur l’Aventin qui était alors une hauteur boisée49, les deux dieux silvestres Faunus et Picus50, afin d’apprendre d’eux la manière dont il convenait de procéder à la procuration des foudres. C’était sur le conseil de son inspiratrice, la nymphe Egérie, que le roi avait décidé de recourir aux lumières de ces divinités que Plutarque compare aux Satyres (ou aux Titans) et qu’Ovide qualifie de di nemorum. Mais ils ne se laissent pas aborder facilement : il lui faut les capturer poulies forcer à lui révéler ce qu’ils savent. Et c’est par la ruse que Numa parvient à ses fins. A ces dieux qui ne connaissent comme boisson que l’eau, et viennent s’abreuver à une source de l'Aventin, il offre l’appât du vin, ou plus exactement du mulsum, vin au miel51. Faunus et Picus boivent, s’enivrent, s’endorment : il suffit alors au roi et à ses compagnons de sortir de leur cachette et de s’emparer d’eux.
22On se trouve en présence d’un thème légendaire bien connu, celui de la capture du devin. Comme Protée qu’Ulysse maîtrise dans l’Odyssée, le forçant à lui dire ce qu’il sait, comme Nérée maîtrisé par Héraclès, comme Silène capturé par Midas, comme le devin troyen Hélénos pris par Ulysse et Diomède, les di nemorum Faunus et Picus ne délivrent leur révélation que contraints et forcés. On sait que le motif, d’origine grecque, s’était largement répandu en Italie : en sont témoin des histoires comme celles de la capture de l’haruspice étrusque par les Romains lors du siège de Véies, celle de Cacus par les frères Vibenna connue par des représentations figurées étrusques, en attendant celle de Protée par l’Aristée des Géorgiques.52. L’histoire est donc d’un type banal.
23Mais ce qui nous intéresse plus directement ici est ce qui, dans cette légende, traduit la perception de la forêt comme lieu sacré. Déjà nous y retrouvons, à travers l’utilisation du topos de la capture du devin, le caractère fuyant, insaisissable du contact avec le divin qu’il permet. Il faut forcer les dieux de la forêt à parler, puisque cette fois ce ne sont plus eux qui prennent l’initiative. Et il est remarquable que soit transposé à Rome dans un cadre forestier un type de légende qui semble avoir plutôt été au départ lié à des divinités marines53. D’autre part, la nature de la ruse employée est caractéristique. Elle n’a plus rien à voir avec celle utilisée par Ulysse, se déguisant en phoque pour approcher de Protée ! Les dieux Faunus et Picus appartiennent à un univers pré-culturel, pré-agricole : on notera ainsi qu’on offrait à Silvanus des libations de lait, donc d’un produit naturel, pastoral, et non de vin54. Numa attire donc ces dieux par cette innovation due à l’apparition de l’agriculture, d’un stade de développement qui n’est plus celui auquel ils se situaient, qu’est le vin. Ils se laissent tenter par ce produit emblématique de la culture, qui leur est inconnu — et fondamentalement étranger : vetustioribus anteposuisse res novas, dit à juste titre Valerius Antias55.
24L’anecdote est donc clairement bâtie sur l’opposition nature / culture — ce qui n’était pas le cas pour les parallèles grecs, ou les autres récits italiens analogues. Elle montre nettement la supériorité de la seconde sur la première. Et, pour la question du rôle prophétique de la forêt, elle marque le passage de la parole librement jaillie des profondeurs des bois à une forme de divination véritable, où le dieu répond à une question posée par l’homme. Mais nous sommes bien évidemment dans le domaine du mythe, et non celui des réalités concrètes. Un détail comme celui des XII casti juvenes, qui chez Valerius Antias assistent Numa, a sans doute des résonnances rituelles56 mais il ne s’agit assurément pas de l’étiologie d’une procédure oraculaire existant réellement.
25Une autre direction serait envisageable pour un développement des capacités prêtées au dieu Faunus, ou plus généralement aux êtres divins qui peuplent les bois, dans un sens proprement oraculaire. Nous avons vu que Varron, Verrius Flaccus et sans doute déjà avant eux Ennius rapportaient aux faunes l’origine de la poésie et que le second au moins référait explicitement cette versification des temps primitifs à une valeur prophétique57. On pourrait rechercher cette fois dans la ligne de cette poésie dont Varron souligne l’aspect forestier (in silvestribus locis) une utilisation du cadre offert par la forêt à des fins divinatoires. Après tout, le thème du poète-devin, selon les deux sens du terme vates, est un lieu commun dans la littérature latine. Les Latins auraient pu développer une forme de prophétisme poétique, le dieu de la forêt transmettant son inspiration à un vates dont les vers exprimeraient la révélation dont il est gratifié.
26Le motif du poète inspiré chantant des vers à caractère prophétique dans le cadre spécifique d’un bois n’est pas inexistant en Italie, et il apparaît donc que les Italiens n’ont pas ignoré cette liaison entre poésie, prophétie et forêt dont témoignait déjà la tradition sur l’origine du vers saturnien. L’exemple le plus net en est fourni par un thème de légende étrusque que nous avons déjà évoqué, et où se retrouve encore le motif de la capture du devin : la capture de Cacus par les frères Vibenna58. Sur les documents figurés toscans qui nous font connaître cette histoire, Cacus est représenté à la manière d’un Apollon ou d’un Orphée, qui chante en s’accompagnant de sa lyre des vers que le petit Artile, à ses pieds, transcrit soigneusement. Or la scène est située dans un paysage nettement forestier : sur le miroir de Bolsenaen particulier, qui est le document le plus ancien de la série, remontant encore au IVe siècle, les arbres — derrière lesquels se sont dissimulés les frères Vibenna — sont soigneusement dessinés.
27Mais cette fois encore nous sommes dans le domaine des représentations intellectuelles, non des pratiques effectives. L’Étrurie pas plus que Rome ne connaît dans ses usages réels la divination inspirée, dans laquelle le dieu s’exprime par le truchement de prophètes que ce type de représentation suggère59. Nous sommes toujours dans le domaine du mythe, et même ici du mythe grec. F. -H. Massa-Pairault a en effet fort suggestivement proposé de rapprocher cette scène, où l’on voit un devin qui apparaît par ailleurs lié à Rome, Cacus, capturé par les frères Vibenna, — qui sont des Étrusques de Vulci que la tradition étrusque, reflétée dans ce même IVe siècle par les fresques de la tombe François, présentait comme des héros toscans qui avaient pris Rome —, d’un épisode de la guerre de Troie : la capture du devin troyen Hélénos par Ulysse et Diomède, dont on avait fait une des conditions de la prise de Troie par les Grecs. On retrouve la mise en parallèle des Grecs et des Étrusques, de Rome, nouvelle Troie, et de Troie elle-même, mise en oeuvre, selon l’analyse de F. Coarelli, dans la tombe François. Et elle apparaît ici dans le cadre de ce thème de la capture du devin dont on constate qu’il a joué un rôle dans la sorte de guerre de propagande que se sont alors livrés Étrusques et Romains, puisqu’à cette utilisation dans un sens toscan du motif fait pendant celle, dans un sens romain, offerte par l’histoire de la capture de l’haruspice étrusque à Véies60. Ce n’est donc pas ici non plus que nous rencontrerons les traces de pratiques oraculaires effectives.
28On peut encore dire la même chose du prétendu oracle décrit par le poète du Ier siècle ap. J. -C., Calpurnius Sicu I us, dans sa première églogue61. Dans le nemus consacré au dieu Faunus, que fréquentent ses bergers-poètes, ceux-ci découvrent, à proximité d’une grotte, un hêtre sur lequel ils lisent, gravés, des vers à caractère prophétique : c’est le dieu lui-même qui, dit le poète, se plaît à dévoiler ainsi aux hommes les destins. Parce biais se trouvent réconciliées la tradition ancienne sur les vers que chantait le dieu des forêts et la forme purement littéraire et écrite qu’avait prise la poésie à l’époque où vivait Calpurnius Siculus. Mais il n’y a bien sûr aucune trace d’utilisation réelle de la poésie à des fins divinatoires à chercher derrière cette ingénieuse fiction.
29En revanche il existe une attestation bien connue, et beaucoup plus sûre à notre avis au moins, d’un oracle du dieu Faunus et donc de l’utilisation en Italie de la forêt et des possibilités de contact avec le divin qu’elle offre dans un sens divinatoire : l’oracle de Faunus dans le bois sacré d’Albunea auprès duquel Virgile fait se rendre son roi Latinus au moment de l’arrivée d’Énée sur le sol italien, et qu’évoquera à son tour Ovide qui lie dans les Fastes 1’institution des Fordicidia à une consultation de cet oracle par le roi Numa Pompi lius62.
30On connaît les nombreuses controverses suscitées par cette question, tant sur le plan de la localisation de l’oracle que sur celui de son existence même. Mais on nous permettra de considérer que l’article fondamental de M. Guarducci sur le problème, paru en 1955, a apporté une solution satisfaisante à la question topographique, et a donné de bons arguments à la thèse de l’authenticité des données fournies par les poètes latins63.
31A l’exemple de Servi us on avait généralement placé dans le passé cet oracle dans la région de Tibur, prenant donc l’expression virgilienne sub alta Albunea comme signifiant au pied de la hauteur de Tibur64. Les liens de la figure d’Albunea avec Tibur sont en effet bien attestés dans la tradition. Horace y évoque ce qui semble être une grotte d’Albunea, à proximité des flots de l’Anio et du bois sacré dédié au fondateur mythique de la ville. Tiburnus65. On retrouve un paysage analogue à celui impliqué dans l’Enéide, associant bois et eaux. D’autre part, alors qu’Albunea ne se laisse définir chez Virgile que comme une forêt et une source66, les données tiburtines permettent de donner une stature plus concrète à cette figure. Les scholiastes d’Horace en font une nymphe ou une déesse67. On a des traces épigraphiques de son culte68. Et surtout une légende en faisait la dixième Sibylle, celle de Tibur, dont la statue, tenant dans sa main le livre où étaient mises par écrit ses prédictions, aurait été miraculeusement découverte dans les eaux de l'Anio69. F. Coarelli a récemment proposé de reconnaître dans la cella pourvue d’une niche du temple dit de Vesta qui s’élève au bord de l’Anio à Tibur le lieu où aurait été placé le recueil prophétique — avant du moins son transfert à Rome décidé par le sénat après l’incendie du Capitole en 8270.
32Mais à cette localisation tiburtine généralement acceptée par ses prédécesseurs, M. Guarducci a préféré celle, lavinate, que proposait Probus71. Outre sa plus grande convenance au cadre général de l’Enéide, cette localisation permet seule de rendre compte de la présence d’émanations méphitiques. Dans la région de Tibur il existe bien les aquae Albulae, mais elles sont en dehors de la zone envisageable pour les données concernant Albunea, puisque situées au pied de la hauteur de Tibur et non sur elle, et elles se rapportent non pas à une Albunea, mais à une Albula, identifiée à Isis. En revanche il y avait bien près de Lavinium des eaux sulfureuses, qui existent encore (la Solfatara) et que mentionne Vitruve, les distinguant clairement de l’Albula de la région de Tibur72. Certes il n’y a pas de hauteur près de Lavinium qui soit comparable à la colline de Tibur. Mais il est probable que l’expression sub alta Albunea ne renvoie nullement à une idée de hauteur escarpée : ainsi que le notait Servius73 sub équivaut ici simplement à in et alta ne se réfère qu’à la profondeur de la forêt, selon un emploi courant à propos de bois. Et M. Guarducci voit, à juste titre, une confirmation de la valeur de la localisation lavinate pour cet oracle révélant aux hommes le destin qui les attend, dans la découverte à Tor Tignosa, à proximité de la Solfatara, des trois cippes du I Ve siècle dédiés à Neuna Fata et Parca Maurtia, se référant vraisemblablement à la doctrine des trois Parques74.
33Mais cette découverte vient aussi appuyer l’existence même de cet oracle que décrivent Virgile et Ovide75. Certes on ne peut ajouter foi à tout ce qu’en disent ces poètes lorsqu’ils évoquent le rituel de consultation. Un détail comme l’offrande76 d’une victime non seulement à Faunus, mais aussi au dieu du Sommeil — qui est le grec Hypnos —, qui apparaît chez Ovide, est bien suspect. Mais déjà la question du sexe des victimes — féminines dans l’Enéide autant que dans les Fastes — ne constitue sans doute pas une difficulté aussi importante qu’on a pu le dire. Assurément le principe romain est : dis feminis feminas, mares maribus hostias sacrificare (decet)77. Mais G. Capdeville a bien mis en valeur le caractère tout à fait relatif de ce principe78. Quant aux règles de purification et de présentation détaillées évoquées par Ovide, qui auraient été imposés aux consultants (chevelure non coupée, aspersions d’eau, port d’une couronne de feuillage, absence de tout anneau, port d’un costume spécifique, qualifié de rudis vestis), elles évoquent sans doute des pratiques analogues existant dans les sanctuaires oraculaires grecs79.
34Mais cela ne veut pas dire qu’elles n’aient pas existé aussi en milieu latin, et d’ailleurs certaines y sont bien attestées80. On sera sensible d’ailleurs à des traits qui correspondent bien à l’aspect sauvage, pré-culturel du dieu Faunus : absence d’un lien comme l’anneau, chevelure laissée à l’état naturel, vêtement primitif.
35Assurément l’essentiel du rite, c’est-à-dire la procédure de consultation par oniromancie, apparaît isolé pour le Latium et même pour toute l’Italie centrale et septentrionale. Le fait que le consultant s’endorme dans la peau de l’animal sacrifié, acquérant de ce fait une proximité avec le dieu qui a été celle de la victime qui lui a été adressée, renvoie indiscutablement à des parallèles grecs, ou au moins susceptibles d’avoir été influencés par des pratiques grecques : on retrouve ce point précis du rituel tant dans l’oracle d’Amphiaraos à Oropos que dans celui des hèrôa de Podaleiros et de Calchas en Daunie81. L’hypothèse d’une origine hellénique de la coutume attestée à Lavinium n’a rien d’invraisemblable, et ne saurait certes surprendre pour cette cité pour laquelle l’ancienneté de l’influence religieuse de la Grèce n’a plus besoin d’être démontrée. Mais il n’y a certainement pas lieu de tirer argument de la proximité des faits grecs en faveur de la thèse de l’inexistence de l’oracle décrit par les poètes latins. Il y a plus d’un siècle déjà, A. Bouché-Leclercq concluait au terme de son étude : « à côté de fictions et d’expressions empruntées à la mythologie grecque, on retrouve des vestiges d’authentiques habitudes des Romains,... des usages encore existants »82. Nous ne sommes donc pas de ceux qui nieraient l’existence de cet oracle par incubation de la forêt de Lavinium par lequel les fidèles auraient demandé au dieu Faunus de les éclairer sur leur avenir. Nous aurions donc là, cas unique dans l’Italie centrale83, un exemple d’utilisation réellement oraculaire des capacités reconnues au dieu Faunus, des virtualités offertes par la forêt. Mais il convient de noter que, par rapport aux révélations “faunesques” que nous avions évoquées précédemment, cet oracle se présente avec des traits qui le mettent nettement à part.
36Déjà on constate une sorte de surdétermination du lieu qui fait qu’on ne peut ramener les voix qu’y entendent en songe les consultants à une simple nouvelle occurrence des voix de la forêt que nous avons rencontrées ailleurs. On se trouve certes dans un bois, et le varias audit voces de Virgile rappelle la théologie exprimée par le saepe Faunorum voces auditae de Cicéron84. Mais il y a aussi une source, et les émanations sulfureuses : le cadre rappelle par là un cas comme celui de l’oracle sicilien des Paliques, associant eau et phénomènes d’émanations gazeuses, sans qu’il s’agisse d’un oracle forestier85. Dans un sens, ce sont ces données, beaucoup plus exceptionnelles que la simple présence d’un bois, qui déterminent le choix du lieu, plus que la forêt en elle-même. En est le signe le fait que, si l’oracle est assurément celui du dieu Faunus, il est rendu dans un site qui ne porte pas son nom, mais celui d’Albunea. Celle-ci ne joue sans doute pas un rôle aussi direct qu’à Tibur dans le processus prophétique. Il n’en reste pas moins que c’est sa présence, c’est-à-dire celle de la source sulfureuse et couverte de vapeurs dont la blancheur explique son nom, qui a déterminé l’orientation oraculaire du lieu. Au reste, les dédicaces de Tor Tignosa sont peut-être un signe de ce que des divinités féminines de la prophétie et du destin — comme l’était Albunea elle-même — ont pu jouer un rôle plus grand dans le culte que ne le laissent entendre les sources littéraires86.
37Ce n’est pas seulement que Faunus n’est pas isolé dans le cas de l’oracle lavinate comme il pouvait l’être dans une forêt quelconque, où il n’y avait pas d’Albunea pour l’accompagner. La présence de la source, et surtout des émanations méphitiques donnent une composante chthonienne, voire infernale, à l’oracle, qui semble essentielle. Virgile évoque l’Averne et les enfers. Et Servius insiste à ce propos sur la valeur d’infernus deus du dieu87. Il est évident que cet aspect particulier de Faunus a joué ici, et qu’il ne se réduit pas à une simple manifestation du numen des bois. Le rite est orienté dans un sens clairement chthonien sinon infernal. Il fait intervenir le sommeil, image de la mort, et le songe est présenté par Virgile comme une sorte de descente aux enfers. Le consultant s’étend par terre, et sur la peau de la victime. D’ailleurs avec Amphiaraos, Podaleiros ou Calchas, les parallèles concernent des cultes héroïques, de nature chthonienne et où la forêt ne joue pas de rôle.
38Un autre trait vient confirmer cette orientation particulière de Faunus dans le cas de l’oracle d’Albunea. Nous sommes à Lavinium, et il ne faut pas oublier que dans cette cité Faunus joue un rôle de héros ancestral. Certes il est le père précisément de Latinus qui vient consulter son fatidicus genitor dans l’Énéide. Mais à Lavinium, d’une manière plus générale, loin de se perdre dans l’indistinction des démons de la forêt, Faunus reçoit la stature précise d’un des premiers rois de la cité, celui qui dans la généalogie des premiers souverains a succédé à Picus et a précédé Latinus88. Il s’inscrit dans une histoire déterminée, qui est celle de la naissance de la cité, et il n’y a pas vraiment à s’étonner si Probus, à propos justement de cet oracle, lui donne les traits d’un héros civilisateur — ce qui surprenait fort A. Brelich89. Assurément un tel développement est inattendu pour le dieu sauvage des forêts, de la vie pré-culturelle. Mais il est bien dans la ligne de ce qu’il est devenu dans la tradition particulière des Lavinates, qui en ont fait au contraire un de ceux qui ont permis la naissance de leur cité, ont marqué pour elle le passage de l’état sauvage à la civilisation. Ainsi Faunus fait figure d’ancêtre commun des Lavinates, et non de parens du seul Latinus. Nous sommes dans le domaine des dii parentes, des dieux des morts que sont les ancêtres décédés, et on voit que par là aussi les connotations de Faunus, dans ce cas spécifique, sont loin d’être uniquement forestières.
39On voit donc combien le cas de l’oracle de Faunus du bois sacré d’Albunea apparaît exceptionnel dans l’ensemble des faits latins. On peut sans doute parler, avec cet exemple, d’une mise en œuvre oraculaire des dons prophétiques attribués au dieu Faunus. Mais cela se fait dans un environnement tellement complexe, tellement surdéterminé qu’on ne peut plus dire que ce soient les virtualités offertes par la forêt en tant que telles qui ont donné lieu à ce développement.
40Le caractère exceptionnel de ce cas serait au contraire un indice de ce que, normalement, l’homme ne peut guère compter sur la forêt et ses numina pour établir, à sa demande, une communication avec les dieux. Une divination proprement forestière n’est pas vraiment possible à Rome : la puissance divine qui préside à la forêt garde un caractère trop incertain, trop insaisissable pour que ce lieu puisse rentrer dans le champ des procédures normales de consultation des dieux.
41Nous avons un signe net de cette difficulté persistante qu’éprouve l’homme devant les êtres divins qui peuplent la forêt, quand bien même il en reconnaît les capacités prophétiques, dans la procédure qui pose les formes essentielles de consultation de la volonté des dieux à Rome que sont les auspices90. Dans la hiérarchie des auspices, classés selon les endroits où ils étaient pris, les Romains mettaient en tête ceux qui étaient pris sur leur territoire proprement dit, l’ager Romanus (auquel était assimilé, par privilège spécifique, l’ager Gabinus, second dans la liste des cinq territoires auspiciaux donnée par Varron)91. Mais cet ager Romanus, qui entourait directement la ville et donnait lieu à des auspices comparables en importance et en valeur aux auspicia urbana, pris sur le site de la ville elle-même, avait avec le sol de l'Urbs ceci de commun d’être un locus effatus et liberatus. Il avait fait l’objet d’une définition, d’une délimitation par la parole de l’augure — effatio — et surtout d’une désacralisation — ce qui est le sens de la liberatio impliquée ici. Celle-ci avait principalement pour but, comme l’ont souligné K. Latte92 et A. Magdelain, de débarrasser le sol de tous les êtres surnaturels, potentiellement dangereux et malfaisants, qui pouvaient le peupler.
42A plus forte raison cette condition de libération préalable jouait-elle dans le cas du territoire intra-pomérial, sur lequel se prenaient les auspicia urbana. Pour que l’homme puisse habiter sans risque sur le sol de la cité, il fallait préalablement que soient expulsés les démons encombrants qui pouvaient s’y trouver. Cette libération était une condition nécessaire de la naissance de la cité, de l’émergence de la civilisation. Elle représentait un des aspects du passage du monde sauvage au monde civilisé. Mais cette condition jouait aussi pour l’instauration d’un processus normal de consultation des dieux, par le procédé ritualisé de la prise d’auspices : sur le territoire de la cité, désormais débarrassé de toute interférence divine qui aurait pu être gênante, peut s’exercer le régime des auspicio urbana, où les dieux répondent aux demandes de l’augure.
43Désormais il n’y a plus d’indistinction entre terre des hommes et terre des dieux, les deux catégories, humaine et divine, sont nettement séparées. Les hommes habitent sur un territoire désacralisé, et si les dieux y ont leur place, c’est dans le cadre de tempia — voire de luci (comme celui que nous avons évoqué à propos d’Aius Locutius) — bien délimités ; et on sait que les tempia ont fait l’objet d’une procédure de consécration de sens inverse de la liberatio, mais strictement définie et qui leur affecte une portion précise du territoire urbain.
44On voit que par là des manifestations comme celles qui caractérisent le dieu Faunus ou les faunes en général ne sont plus de mise dans l’univers de l’Urbs, ni même dans celui péri-urbain de l’ager Romanus antiquus. La procédure de liberatio a justement pour but d’éviter les risques du genre de comportement dont Faunus était coutumier — lui dont nous avons rappelé le danger qu’il faisait courir aux jeunes mères ou aux femmes en général. Certes Faunus pourra avoir son lieu de culte sur le territoire de la cité : on lui édifie en 196 un temple dans l’Ile Tibérine. Mais ce sera selon la procédure classique, par l’affectation d’un templum, qui n’a plus rien à voir avec son mode primitif de présence, diffuse et échappant à toute saisie précise par l’homme.
45Cette mise à l’écart des formes anciennes de la présence du dieu au monde a pour conséquence que des révélations comme celles que dispensait le vieux numen forestier ne sont plus guère pensables à Rome. Certes la voix d’Aius Locutius se fait entendre en plein espace urbain : mais cette manifestation reste exceptionnelle, on peut même dire en dehors de la norme. Elle concerne un Incus, soit un lieu tout à fait particulier du sol de la cité, comme F. Coarelli le souligne par ailleurs dans ce colloque. Et le scepticisme des magistrats à l’égard des déclarations de M. Caedicius apparaît assurément religieusement fondé ! On n’attend plus de tels phénomènes sur l’ager liberatus de la cité. Une cité organisée comme Rome ne pouvait plus, ne devait plus s’en remettre pour connaître les décisions des dieux quant à son avenir à un procédé aussi incertain, aussi dérangeant. Rome a su ériger tout un droit augurai, a su définir les auspices auxquels elle subordonnait toute décision importante par des règles précises, qui n’ont plus rien à voir avec l’irruption soudaine de la révélation dans le monde des humains que patronnait Faunus. Les prophéties forestières appartiennent à un stade dépassé à l’âge des auspicio urbana et il est significatif que, même dans le cas d’Aius Locutius, on ne se réfère plus au dieu du monde sauvage, mais on crée une entité spécifique. Or on sait que la vieille formule d’établissement du templum minus d’où se fait l’observation des signes qui se produisent dans l’espace pomérial mentionne des arbres93. Mais ces arbres ne représentent plus que la limite de ce poste d’observation, et de même le terme de tesca, désignant des lieux sauvages, éventuellement forestiers, dont il est ressenti qu’un dieu y est présent94, qui apparaît également dans la formule, ne concerne que le terrrain extra-pomérial de l’arx. d’où se fait l’observation des auspices, non celui, pomérial, où ceux-ci se situent95. Ce n’est plus auprès de ces arbres, dans ces tesca que les Romains cherchent des indications de la volonté divine, qu’ils demandent aux dieux de leur envoyer des signes. Corrélativement, ce n’est plus à Faunus qu’ils s’adressent, mais à Jupiter : dans la fameuse scène de l’inauguration du roi Numa, c’est au dieu souverain que l’augure demande des signa certa96.
46Le point d’observation des auspices est à Rome situé sur la citadelle, en dehors du pomerium, et entouré d’arbres. A Tibur aussi on a des arbres auprès de l’auguraculum : la tradition parle des trois chênes auprès desquels avait été inauguré le fondateur Tiburnus97, ce qui renvoie clairement à un poste d’observation analogue à celui connu pour Rome, et lié au lucus Tiburni d’Horace98. Mais on voit, ce qui n’était pas dit pour Rome, que cet exemple tiburtin est explicitement mis en relation avec la fondation de la cité, et donc par delà avec le stade qui l’a précédé — auquel renvoyaient ces arbres, plus vieux qu’elle, comme le souligne Pline à cette occasion —, c’est-à-dire avec l’époque où la fixation des limites d’un pomerium n’avait pas encore retiré à Faunus le pouvoir de se mouvoir librement et d’agir à sa guise dans les lieux alors sauvages et silvestres où allait s’établir la ville. La citadelle a une situation extra-pomériale qui la rattache encore à cette époque ancienne — et on sait combien le dieu Faunus est présent dans la conception de ces temps d’avant la fondation, au moins pour Rome.
47Corrélativement, on trouve encore des bois sur cette citadelle, on peut parler pour elle de teseci, ces lieux sauvages où un dieu comme Faunus affirme sa présence. Mais la vie des citoyens de la cité se passe normalement dans les limites du pomerium, sur une terre désacralisée, et où il n’y a plus de place pour la forêt d’autrefois ; et les auspices par lesquels la cité communique avec ses dieux n’ont plus grand chose à voir avec les voix que les faunes faisaient entendre le soir au fond des bois.
Bibliographie
Abréviations bibliographiques
Bouché-Leclercq 1880 / 1881 : Bouché-Leclercq (Α.), Histoire de la divination dans l’antiquité, III. Paris, 1880 ; IV. Paris, 1881.
Brelich 1955 : Brelich (Α.), Tre variazioni romane sul tema delle origini. Rome, 1955.
Torelli 1984 : Torelli (M.), Lavinio e Roma. Rome, 1984.
Wissowa 1912: Wissowa (G.), Religion und Kultus der Romer. Munich. 1912 (2e éd.).
Notes de bas de page
1 Sen., Ep. ad Luc., 4. 12 (41). 3; pour d’autres références, P. de Francisci, Primordia civitatis. Rome, 1959, 228-231.
2 Ον., F., III, 296.
3 Cat., Agr., 139.
4 Nous pouvons renvoyer pour cette question à l’’ouvrage de R. Bloch, Les prodiges dans l’antiquité classique. Paris, 1963; nous n’avons pas à distinguer ici le cas de Rome de celui de l’Étrurie: les pratiques d’origine étrusque font partie intégrante de la religion romaine officielle (voir sur la question B. Mac Bain. Prodigy and Expiation. Bruxelles. 1982).
5 Voir notre article: La prophétie en Étrurie, ou les dangers de la parole inspirée. In: La puissance de la parole (dir. Ν. Fick). Dijon, 1987, 33-50.
6 Les sources sont Cic., Dir., 1. 45. 101 et II, 32, 69; Li v., V, 32, 6-7, et courte allusion en V, 50, 5; Plut., Cam., 14 et 30; Fort. Rom., 319 a; allusions plus rapides dans Varr., ap. Gell., XVI, 17, et Arn., Inst., 1, 28 (parlant d’Aios Locutios). Cicéron emploie la forme Aius Loquens, Tite-Live Aius Locutius, et Plutarque rend en grec 1’expression par Φήμη καὶ Κληδών.
7 En Cic., Div., 1, 45, 101, l’avertissement est d’avoir à procéder à la réfection des murailles de la cité pour éviter qu’elle soit prise, sans que l’adversaire soit précisé; chez Tite-Live, Plutarque et dans le second passage de Cicéron il est expressément question des Gaulois.
8 Tite-Live, V, 50, 5, et Plutarque, Cam., 30, parlent de temple (templum, νεών); mais il faut penser à un simple autel: Cicéron emploie dans les deux passages ara, ainsi que Varron, tandis que Plutarque, dans Fort. Rom., utilise ἔδη.
9 Voir F. Coarelli, Il Foro Romano. I. Periodo arcaico. Rome, 1983, 234-236.
10 Lors d’un tremblement de terre, une voix se fit entendre à partir du sanctuaire de Junon sur le Capitole, demandant que l’on procédât à une procuration au moyen d’une truie pleine. Ce prodige donna naissance au culte de Juno Moneta, c’est-à-dire “Junon l’Avertisseuse”.
11 Il n’est pas non plus mis en rapport avec Faunus, dont nous verrons cependant qu’il est le dieu qui patronne normalement ce genre de phénomènes. Mais le caractère urbain, intra-pomérial de cette manifestation pouvait sembler faire difficulté et amener à écarter ici le dieu qui se manifeste dans les terres sauvages, hors de la ville et de son ager liberatus et effatus.
12 D. H., V, 16, 2-3; Liv„ II. 7, 2; Val. Max., I, 8, 5; Plut., Publ., 9, 6.
13 Voir Val. Max., 1, 8, 5; Denys et encore plus Plutarque donnent une suite militaire à la scène, faisant se succéder au moment d’abattement, auquel met fin la révélation nocturne, une attaque des Romains revigorés par le prodige, qui reprennent le combat, s’emparent du camp ennemi et mettent les Étrusques en déroute. Cet enjolivement peut être laissé de côté.
14 Voir RM. Ogilvie, A Commentary on Livy, I-V. Oxford, 1965, 250; mais le reste du récit d’Hérodote (en I, 82) est très différent.
15 Sur ce point (encore contesté par R. M. Ogilvie, op. cit. à la n. 14, ibid., nous pouvons renvoyer à Wissowa 1912, 263, ou à Brelich 1955, 57-58.
16 Verg., Aen., X, 551.
17 II est vrai que cette voix a été interprétée alternativement par Denys comme étant celle du héros Horatius, probable héros gentilice des Horatii, dont l’hèrôon se trouvait en ce lieu (V, 16, 2· cf. 14, 1). Mais cette interprétation, liée à la topographie particulière de l’endroit, et non à la forêt en tant que telle, n’a pas à nous retenir ici. Plutarque pour sa part reste dans le vague (Publ, 9, 7 : ἦν δ’ἄρα θεῖον τι τò φθεγξάμενον).
18 Cic., Div., 1, 45, 101; la formule se poursuit par: et in rebus turbidis veridicae voces ex occulto missae esse dicuntur. Et c’est à ce second cas que se rapportent les deux exemples, évoqués ensuite (et repris en II, 32, 69), de Juno Moneta et d’Aius Locutius.
19 Serv., ad Verg., Aen., VII, 81 : Faunus ἀπò τῆς ɸωvῆς dictus quod voce, itoti signis futura ostendit. Dans le même sens, Plutarque, QR., 20, qualifie Faunus de μάντις.
20 Serv., ad Verg., Aen., VIII, 314: quiafando, quod futura praediceret, Faunus appellatus est: quorum etiam responso ferebantur, ad Verg., Buc., VI, 27: Fauni ab effatione dicti, quod voces de sacris reddebant, O. G. R., 4, 5: post Picum... Faunus quem a fando dicunt volunt, quod is solet praecinere versibus quos Saturnios dicimus, sans référence explicite aux prédictions; Varr., L. L., VII, 36: Fauni his versibus quos vocant Saturnios in silvestribus locis traditum est solitos fari, a quo Faunos dictos (repris en Serv., ad Verg., Buc., VI, 11, mais avec la fin solitos fari futura atque inde Faunos dictos); Serv., ad Verg., Georg., I, 10: Faunus, qui dictus est afando.
21 Verg., Aen., VII, 82: fatidicigenitoris (à propos de Latinus, fils de Faunus).
22 22 Serv. auct., ad Verg., Aen., VIII, 314: hos Faunos etiant Fatuos dicunt, quod per stuporem divina pronuntiant, Mart. Capella, II, 167: Fatui Fatuaeque vel Fantuae vel etiam Fanae a quibus fana dicta quod soleant divinare; Just., XLIII, 1, 8: Fauno uxor fuit nomine Fatua, quae adsidue divino spiritu impleta velati per furorem futura praemonebat; Lact., Inst., 1, 22, 9, citant Gavius Bassus: Faunam... Fatuam nominatam tradii quod mulieribus fata canere consuevisset, ut Faunus viris; Isid., Orig., X, 104 (jouant sur le sens de “stupide” de l’adjectif): Fatuos origine duci qui damputant e miratoribus Fatuae, Fauni uxoris fatidicae, eosque primumfatuos appellatos, quod praeler modum obstupefactis sunt vaticinis illius usque ad amentiam. Cf. Donat., in Terent., Fun., V, 8, 48: inde Fauni Fatui et Nymphae Fatuae vocatae sunt... Fatui di quoque sunt.,. non stulti, sedmultumfantes.
23 Serv., rut Verg., Aen., VI, 776: idem Faunus, idem Fatuus, Fatulcus’, VII, 47 : quidam deus est Fatulcus, huic uxor est Fatua, idem Faunus et eadem Fauna.
24 On voit aussi les noms de Fantua et Fana (Mart. Cap., II, 167) ou l’épithète de fanaticus expliqués par la révélation par la voix liée au dieu Faunus ou à sa compagne (dans le premier cas Serv., ad Verg., Georg., I, 10: Faunus, qui dictus estafando... ex eo qui futura praecinerent fanaticos dici).
25 Fest., 472 L: versus quoque antiquissimi, quibus Faunus fata cecinisse hominibus videtur, Saturnii appellantur. Dans le même sens, Serv., ad Verg., Georg., 1, 10, reprenant Varr., L. L., VII, 36 (voir n. 20) et O. G. R., 4, 5, cité à la n. 20.
26 Ennius, Ann., fr. 214 V2 cité par Varr., L. L., VII, 36, et O. G. R., 4, en rapport avec le dieu Faunus: versibus quos olim Fauni vatesque canebant.
27 Cic., Nat. deor., Il, 6; III, 15.
28 Cic., Nat. deor., 11, 6: saepe visaeformae deorum. La formule est générale. Mais la référence spécifique aux visions nocturnes envoyées par Faunus se retrouve dans la description de son oracle par oniromancie dans V Enéide, VII, 89: multa modis simulacra videi volitantia miris, où les visions sont toujours associées à la parole (90: et varias audit voces), et dans la présentation de ce dieu en D. H., V, 16, 3 (voir n. 29).
29 D. H., V, 16, 3: τούτο γὰρ ἀνατιθέασι τῷδαίμονι ‘Ρωμαίοι τὰ πανικά, καὶ ὅσα ϕάσματα μορφὰς άλλοτε ἀλλοίας ἴσχοντα εἰς ὄψιν ἀνθρώπων ἕρχεται δείματα φέροντα, ἢ φωναί δαιμόνιοι ταράττουσι τάς άκοάς, τούτου ϕασὶν εἶναι τοῦ θεοῦ τò ἔργον.
30 Lucr., IV, 583-585: Faunos esse loquuntur / quorum noctivago strepitu ludoque jocanti / adfirmant vulgo taciturna silentia rumpi.
31 Varron (L. L., VII. 36) à propos des vers saturniens chantés par les faunes précise bien in silvestribus locis. Cf. aussi Pline, XII, 3: Faunos silvanosque silvis... ac sua numina tamquam ex caelo attributo credimus.
32 II suffira de renvoyer ici aux études réunies par P. Vidal-Naquet dans Le chasseur noir. Paris, 1981.
33 Nous avons eu l’occasion d’analyser ce point dans divers articles consacrés à la légende de Romulus: Les jumeaux à la chèvre, à la vache, à la jument, à la louve. In: Recherches sur les religions de l’Italie antique (dir. R. Bloch), Paris-Genève, 1976, 73-97; Rémus élu et réprouvé. In: Recherches sur les religions de l’antiquité classique (dir. R. Bloch), Paris-Genève, 1980, 267-298; Les enfances de Romulus et Rémus. In: Hommages à R. Schilling. Paris, 1983, 55-68.
34 Verg., Georg., I, 476-477: vox quoque per lucos vulgo audita silentes / ingens.
35 D. H., 1, 56, 3: φωνή τις ἐκ τῆς νάπης ἀφανοῦς ὄν τος.
36 D. Η., 1, 56, 5; la vision nocturne est un motif habituel, remontant à Fabius Pictor (H. R. R., fr. 4 = Euseb., Chron. Arm., p. 214; cf. Diod., ap. Syncell., 366; Verg., Aen., VIII, 72-78, fait intervenir le dieu Tiberinus); mais le contexte est différent de celui évoqué par Denys, qui insiste sur la déception d’Énée d’avoir à s’établir sur un site si peu favorable.
37 Pour les références, voir n. 20-24.
38 Cf. Cat., Agr., 139: si deus, si dea est quorum illud sacrum est: act. Arv., adann. 183 : sive deo sive deae cujus tutela hic lucus locusve est. Pour d’autres cas, Gell., II, 28, 3 (piaculum après un tremblement de terre); Liv., VII, 26, 4 (épisode de Valerius Corvus et du Gaulois). Pour la critique de l’utilisation de cette formule dans le cadre de la théorie de la conception d’un numen / mana indistinct comme forme primitive de la représentation divine des Romains, G. Dumézil, La religion romaine archaïque. Paris, 1966. 57-58.
39 Varr., L. L. /... VII, 36: Fauni dei Latinorum, ita ut et Faunus et Fauna sit.
40 Cic., Nat. deor., III, 15.
41 Sur ce point, voir spéc. Serv., ad Verg., Aen., VI, 776; voir Brelich 1955, 60-64.
42 Voir notre article: Le pilon de Pilumnus, la hache d’Intercidona, le balai de Deverra. Latomus, 42, 1983, 265-276.
43 Sur cette question, et ses connexions avec le mythe de la louve romaine et la confrérie des Luperques, bonne présentation dans Brelich 1955, 69, η. 49.
44 Serv., ad Verg., Aen., VII, 91. Voir sur la question W. F. Otto, RE, VI, 1909, s. v. Faunus, c. 2057; Brelich 1955, 71-72.
45 Cic., Div., II, 32, 69: Aius iste Loquens, cum eum nemo norat, et aiebat et loquebatur et ex eonomen invenit ; posteaquam et sedem et aram et nomen invenit, obstupuit.
46 Cic., Pro Cael., 16.
47 Voir n. 45.
48 Le récit que faisait Valerius Antias de l’épisode a été conservé par Arnobe (Νat., V, 1, 12); autres récits dans Ον., F., III. 275-328; Plut., Numa, 15, 3-8.
49 Cf. Ον., F., III, 295-296: Incus Aventino suberat niger ilicis umbra, / quo posses viso dicere “Numen inest”.
50 Cette dualité répond d’une part à la pluralité que recouvre la référence à la divinité des bois, et d’autre part, plus spécifiquement, à la gémellité des divinités pastorales que l’on rencontre dans le culte (les deux Pales) ou les légendes latins (frères Depidii ou Digidii dans la tradition sur la fondation de Préneste, à Rome même, allusions à un Faustinus à côté de Faustulus).
51 La précision apparaît chez Valerius Antias, alors qu’Ovide emploie le terme mero : la valeur du renseignement est confirmée par l’expression «vin et miel» de Plutarque. Sur le sens spécifique de ce vin au miel (qui intervient dans le rituel des Arvales), voir en dernier lieu: I. Paladino, Fratres arvales. Rome, 1988, 170-171. On pourrait penser ici à une alliance de ce produit culturel qu’est le vin et ce que la nature offre de plus approchant par sa douceur et son aspect séduisant, le miel. Mais il faut aussi peut-être tenir compte de ce que le mulsum est la forme de vin la plus raffinée qui soit, donc représente une sorte de quintessence du breuvage.
52 Pour ces parallèles, voir nos articles : Vieux de la mer grecs et descendant des eaux indo-européen. In : D’Héraklès à Poseidon. Mythologie et protohistoire (dir. R. Bloch). Paris-Genève, 1985, 141-158; Ancora sulla cattura dell’aruspice veiente. In: Atti del IV Convegno della Fondazione per il Museo C. Faina, Orvieto, 1987, à paraître.
53 Le thème, d’origine nettement marine, de la métamorphose reparaît chez Plutarque, alors qu’il est absent des autres récits. Mais il n’est pas en désaccord avec la nature d’un dieu comme Faunus: on souligne le caractère mouvant, fuyant des fantômes qu’il suscite (Verg., Aen., VII, 89; D. H., V, 16, 3).
54 Cf. Hor., Carm., II, 1, 143: Silvanum lactepiabant, ce détail renvoie dans l’ensemble de la tradition à un stade ancien, parfois rapporté à Romulus, le prédécesseur de l’organisateur de la religion romaine, Numa (Pline, XIV, 88).
55 II s’agit d’un vieux conte, comme ledit Wissowa 1912, 212, et on peut évoquer le motif folklorique du diable attiré par le vin (S. Eitrem, RE, XV, 1932, c. 1328-1529). Mais il prend ici une coloration spécifique du fait de la claire opposition entre nature et culture.
56 Pour l’oracle d’Albunea, Ovide, F., IV, 658, fait état de prescriptions de chasteté rituelle. Les douze jeunes gens font penser à une confrérie du genre de celle des Arvales.
57 Outre Varr., L. L., VII, 36; Fest., 472 L; Serv., ad. Verg., Georg., I, 11, on peut évoquer les expressions faunius versus dans Mar. Victorin., GLK, VI, p. 139, faunii modi dans Corp. Gloss., V, 22, 8; 69, 3; Horace invoque Faunus comme protecteur des poètes en Carm.. II, 17, 28. Sur l’églogue de Calpurnius Siculus, voir plus loin.
58 Pour cette légende et ses attestations figurées, voir p. ex. : F. Messerschmidt, Problème der etruskischen Malerei des Hellenismus. JDAI, 45, 1930, 67-90; J. Heurgon, La vie quotidienne chez, les Étrusques. Paris, 1957, 64-68; J. Penny Small, Cacus and Marsyas. Princeton, 1982. En dernier lieu: F. -H. Massa-Pairault, Recherches sur l’art et l’artisanat étrusco-italiques à l’époque hellénistique. Rome, 1985 (BEFAR, 257), 47-49.
59 Voir notre article: La prophétie en Étrurie, ou les dangers de la parole inspirée, In: La puissance de la parole (dir. N. Fick). Dijon, 1987, 33-50.
60 Voir respectivement: F. -H. Massa-Pairault, Recherches sur l’art et l’artisanat étrusco-italiques à l’époque hellénistique. Rome, 1985 (BEFAR, 257); F. Coarelli, Le pitture della Tomba François di Vulci, una proposta di lettura. DArch, III, 2, 1983, 43-69, et notre article: Ancora sulla cattura dell’aruspice veiente. In: Atti del IV Convegno della Fondazione per il Museo C. Faina, Orvieto, 1987, à paraître.
61 La prédiction commence par (v. 43-45): Qui fuga, qui silvas tueor, satus Aethere Faunus, / haecpopulis ventura cano; juvatarbore sacra / laeta patefactis incidere carmina fatis.
62 Voir Verg., Aen., VII, 81-95; Ον., F., IV, 649-666.
63 Voir: M. Guarducci, Albunea. In: Studi in onore di G. Funaioli. Rome, 1955, 120-127; on trouvera dans cet article 1’essentiel de l'abondante bibliographie antérieure.
64 On a chez Virgile (Aen., VII, 82-85): at rex sollicitus monstris oracula Fauni / fatidici genitoris adit lucosque sub alta / consulti Albunea, nemorumque maxima sacro / fonte sonat saevamque exhalat opaca mephitim. Servius tire de l’expression une localisation à Tibur: Alta, quia est in Tiburtinis altissimis montibus. Dans le même sens Porphyr., adi Hor., Carni., I, 7. 12, cité à la n. 67. Le passage des Fastes ne donne pas de localisation précise (silva vetus nullaque diu violata securi / stabat Maenalio sacra relicta deo : / ille dabat tacitis animo responso quieto noctibus). Mais il est gratuit de poser une localisation sur l’Aventin d’après l’anecdote de Faunus et Picus (dans ce sens Bouché-Leclercq 1881, 122).
65 Hor., Carm., 1, 7, 12-14: domus Albuneae resonantis / et praeceps Anio ac Tiburni lucus et uda / mobilibus pomaria rivis. Le Pseudo-Acron attribue en propre un nemus à Albunea (voir n. 67).
66 Servius a bien conscience de cette double portée de la désignation d’Albunea: sciendum sane unum esse nomenfontis et silvae. Il estime que le nom est d’abord celui de la source et de ses eaux, dont la blancheur explique cette dénomination: et Albunea dicta est ab aquae qualitate, quae in illo fonte est. Unde etiam nonnulli ipsam Leucotheam volunt. La valeur de l’explication est corroborée par le cas des Aquae Albulae de Tibur, blanchies par le gaz sulfureux qui s’y exhale. M. Guarducci, Albunea. In: Studi in onore di G. Funaioli. Rome, 1955, 125, estime que cette blancheur est celle des vapeurs gazeuses sortant du sol de la forêt (saevam... exhalat mephitim de Virgile, glosé par Servius Mephitis proprie terrae est putor, qui de aqttis nascitur sulphuratis: et est in nemoribus gravior ex densitate silvarum) plus que de celle des eaux. Mais au départ les émanations devaient provenir de la source elle-même (dans ce sens Claud. Donat., ad Verg., Aen., VII, 80: illic fuerat fons luci numinibus sacer, sedqui exhalabat mephitim saevam, i. e. odorem gravissimum — mais il peut se borner à paraphraser Virgile).
67 Ps. Acro, ad Hor., Carm., 1, 7, 12: delectabile nemus est, consecratum Albuneae nymphae, a qua etnomen accepit; Porphyr., ad Hor., Carm., I, 7, 12: Albuneam deam esse in regione Tiburtina fontis praesidens et Vergilius testis est.
68 Inscription CIL, XIV, 4262, sur la quelle Torelli 1984, 184, n. 18 : on y lit (s)ac(erdos)Albun(eae).
69 Varr., ap. Lact., Inst., 1, 6, 12: Varro in libris rerum divinarum... ait... decimam Sibyllam fuisse Tiburtem nomine Albuneam, quae Tiburi colaturut dea juxta ripas amnis Aniensis, cujus in gurgite simulacrum ejus inventum esse dicitur, tenens in manu librum cujus sortes senatus in Capitolium abstulerit. Cf. Isid., Orig., III, 8, 6 : decima Sibylla Tiburtina nomine Albunea; I. Lyd., Mens., 4, 47: δεκάτη ή Τι<β>ουρτ<ία> ονόματι’A<λ>βουναία; et, sans le nom, Tib., II, 5, 69-70: quasque Aniena sacras Tiburs perflumina sortes portant sicca pertuleritque sinu.
70 F. Coarelli, I santuari del Lazio e della Campania tra i Gracchi e le guerre ci vili. In: Les bourgeoisies municipales italiennes aux IIe et Ier s. av. J. -C. Naples, 1983, 221-232.
71 Prob., ad Verg., Georg., I, 10: Faunus... rexAboriginum, qui cives suos mitiorem vitam docuerit. Ipse autem receptus in deorum numerum creditur. Itaque etiam oraculum ejus in Albunea, Laurentinorum silva, est. La localisation lavinate est maintenant généralement admise (p. ex. Torelli 1984; cependant F. -H. Massa-Pairault, Recherches sur l’art et l’artisanat étrusco-italiques à l’époque hellénistique. Rome, 1985 (BEFAR 257), 154-5, préfère encore Tibur).
72 Vitr., VIII, 3, 2: in Tiburtina via flumen Albula. et in Ardetttino fontesfrigidi eodem odore qui sulphurati dicuntur.
73 Serv., ad Verg., Aen., VII, 83: SUB ALBUNEA: in Albunea.
74 Inscriptions ILRP, 10, 11, 12; voir surtout Torelli 1984, 181-183.
75 Dans ce sens encore F. Borner, Die Fasten, II. Heidelberg, 1958, 265-267. Rappelons que c’était là, entre autres, la position de Wissowa 1912, 21 1.
76 Virgile parle d’une offrande de cent brebis (Aen., VII, 93: centum lanigeras bidentis) et Ovide de deux victimes féminines (F., IV, 653: geminasoves).
77 Cf. Arn., VII, 21. Sur la question, G. Capdeville, Substitution de victimes dans les sacrifices d’animaux à Rome. MEFRA, 83, 1971, 283-323.
78 Voir surtout pp. 302-304; dans le cas de Faunus — dieu souvent indistinct par rapport à sa parèdre Fauna — le principe peut ne pas avoir été pertinent; cf. Hor., Carm., 1, 4, 11-12: nunc et in umbrosis Fauno decet immolare lucis/, seu poscat agna, sive malit haedo.
79 Ainsi F. Borner, Die Fasten, II. Heidelberg, 1958, 265-267, évoque pour les rites de purification (aspersions, jeûne, absence de soins des cheveux, abstinence sexuelle) le jeûne imposé dans le rituel de consultation d’Amphiaraos à Oropos (données dans Bouché-Leclercq 1880, 335-337), les ablutions prescrites dans le cas de l’oracle de Trophonios (id., ibid., 321 -328; surtout Paus., IX, 39, 7), le port de la couronne à Delphes (p. ex. Liv., XXIII, 11, 4), celui d’un costume spécifique dans le cas de Trophonios (Paus., IX, 37. 8; mais il s’agit d’un vêtement de lin, très différent de la tenue d’allure sauvage qui apparaît pour Faunus ici).
80 Des prescriptions de chasteté, le port d’une couronne sont des faits relativement courants: même le premier point n’est pas absolument exclu dans le cas de Faunus, comme le voudrait F. Borner: nous avons rencontré un détail allant dans le même sens chez Valerius Antias (voir n. 56). L’absence d’un lien comme un anneau, ou la chevelure dénouée, le vêtement primitif sont également des prescriptions qui se rencontrent ailleurs à Rome et cadrent bien avec la figure du dieu sauvage Faunus (elles correspondent p. ex. à l’accoutrement des Luperques).
81 Pour le premier cas, Paus., II, 34, 5 (et Bouché-Leclercq 1880, 335-337): le consultant passe la nuit allongé sur la peau du bélier sacrifié; pour le second, sur lequel Bouché-Leclercq 1880, 346, il dort de la même manière sur la peau du bélier noir qu’il a offert. Le rite est rapporté à l’hèrôon de Podaleiros par Lycophron (1047-1051), mais à celui de Calchas, voisin mais situé en haut de la colline qui domine le précédent, chez Strabon, V, 3, 9 (284).
82 Voir Bouché-Leclercq 1881, 124.
83 On ne peut rien tirer de précis pour notre sujet de l’allusion de l'Énéide à un bois sacré de Silvain près de Caeré (VU, 597-602). On n’a aucune preuve de son éventuel caractère oraculaire, et on ne peut pas non plus attribuer une valeur de ce type aux données qui nous sont saisissables concernant le dieu étrusque Selvans (voir A. J. Pfiffig, Religio Etrusco. Graz, 1975, 297-301, et surtout G. Colonna, Selvans Sanchuneta. SE, 34, 1966, 165-172; cf. aussi C. de Simone, Etrusco Sanchuneta. PdP, 39, 1984, 49-53). Même si l’inscription CII, 92, portant son nom, est peut-être une sors, cela prouve une utilisation du nom de ce dieu dans une procédure de cléromancie, sans que l’on soit en droit de conclure que c’est lui qui y présidait. On ne peut pas non plus tirer argument pour l’existence d’un autre oracle forestier de la tradition sur le bois sacré des Camènes à Rome, où Numa allait retrouver Egérie (Liv., I, 21, 3; Plut., Numa, 13; encore celui-ci parle-t-il de la source et de prairies, sans mentionner le bois). Un caractère prophétique est certes reconnu aux Camènes, comme le montre l’explication de leur nom a carminibus (Varr., VII, 28; P. Fest., 38 L), a vanendo (Macr., II, 3, 4) ou a canin (Serv., ad Verg., Buc., III, 59). Mais on n’a nulle trace d’oracle, ni même d’une simple prédiction du genre de celles de la forêt Arsia ou d’Aius Locutius en cet endroit. D’ailleurs les Camènes, comme Egérie, sont liées à l’eau des sources autant — sinon plus — qu’à la forêt, et on se trouve dans un cas de surdétermination du lieu analogue àcelui que nous avons constaté dans le cas de l'Albunea lavinate.
84 Verg., Aen., VII, 90; Cic., Nat. deor., II, 6.
85 Sur la question des Paliques, voir p. ex. E. Ciaceri, Culti e miti nella storia dell’antica Sicilia. Catane, 191 1, 23-37; L. Bello, Ricerche sui Palici. Kôkalos, 6, 1960, 71-97; E. Manni, Sicilia pagana. Palerme, 1963, 173-181; R. Schilling, La place de la Sicile dans la religion romaine. Kôkalos, 10-11, 1964-1965, 260-265.
86 Sur le rôle des divinités féminines dans les procédures de divination, qui est souvent lié à leur rôle par rapport à la naissance, on pourra se reporter à L. L. Tels de Jong, Sur quelques divinités romaines de la naissance et de la prophétie. Amsterdam, 1960.
87 Verg., Aen., VII, 90-91 : fruiturque deorum / conloquio atque imis Acheronte adfertus Avernis, avec Serv. ad loc.: hoc autem ideo quia Faunus infernus dicitur deus, et congrue.
88 Sur la question, nous pouvons renvoyer à Brelich 1955, 57-74.
89 Prob., l. c. à la n. 71 ; Brelich 1955, 68-70.
90 Sur cette question, voir en particulier les études de A. Magdelain, L’auguraculum de l’arx à Rome et dans d’autres villes. REL, 47, 1969, 253-269; Le pomerium archaïque et le mundus. REL, 54, 1976, 71-109; L’inauguration de l’Urbs et l’imperium. MEFRA, 89, 1977, 11-29.
91 Varr., L. L., V, 33.
92 Voir K. Latte, Römische Religionsgeschichte. Munich, 1960, 42.
93 Varr., L. L., VII, 8: ollaner arbor quirquir est quam me sentio dixisse templum tescumque mea finis esto in sinistrum; ollaner arbor quirquir est quam me sentio dixisse templum tescumque mea finis esto in dextrum. La formule est ainsi explicitée par Varron: in hoc tempio faciundo arbores constimi fines apparet et intra regiones qua oculi conspiciant.
94 Sur le sens des tesca, A. Magdelain, L’auguraculum de l’arx à Rome et dans d’autres villes. REL, 47, 1969, 263-267, avec discussion des opinions discordantes émises par les anciens à ce sujet. La définition la plus complète figure dans Varr., L. L., VII, 10: loca quaedam agre stia, quod alicujus dei sunt, dicuntur tesca. Dans ce sens, plus rapidement, Hor., Ep., I, 14, 14; Fest., 488 L, parlant de (loca) deserta et inhospita, ou loca aspera, difficilia aditu (d’après Cicéron).
95 Bien entendu, dans le cas de l’observation des oiseaux, les signes sont observés dans le ciel, et le templum pris en considération par 1’augure n’est plus terrestre; mais la visée se fait dans la direction de l’espace urbain, et en tenant compte de ses limites.
96 Voir Liv., 1, 18. 9.
97 Cf. Pline, XVI, 237.
98 Hor., Carm., 1, 7, 13; cf. Suet., vit. Hor., 17: circa Tiburniluculum. Sur la question, S. Weinstock, RE, VIA, 1935, c. 835;Torelli 1984, 184-186.
Auteur
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Les bois sacrés
Actes du Colloque International (Naples 1989)
Olivier de Cazanove et John Scheid (dir.)
1993
Énergie hydraulique et machines élévatrices d'eau dans l'Antiquité
Jean-Pierre Brun et Jean-Luc Fiches (dir.)
2007
Euboica
L'Eubea e la presenza euboica in Calcidica e in Occidente
Bruno D'Agostino et Michel Bats (dir.)
1998
La vannerie dans l'Antiquité romaine
Les ateliers de vanniers et les vanneries de Pompéi, Herculanum et Oplontis
Magali Cullin-Mingaud
2010
Le ravitaillement en blé de Rome et des centres urbains des début de la République jusqu'au Haut Empire
Centre Jean Bérard (dir.)
1994
Sanctuaires et sources
Les sources documentaires et leurs limites dans la description des lieux de culte
Olivier de Cazanove et John Scheid (dir.)
2003
Héra. Images, espaces, cultes
Actes du Colloque International du Centre de Recherches Archéologiques de l’Université de Lille III et de l’Association P.R.A.C. Lille, 29-30 novembre 1993
Juliette de La Genière (dir.)
1997
Colloque « Velia et les Phocéens en Occident ». La céramique exposée
Ginette Di Vita Évrard (dir.)
1971