Paysage et bois sacré : ἅλσος dans la Périégèse de la Grèce de Pausanias
p. 31-44
Résumés
L’ἅλσος est un élément récurrent du paysage religieux dans la Périégèse de la Grèce de Pausanias. Les descriptions qui en sont données ne permettent guère de conclure à une identité forte du “bois sacré” par rapport à d’autres types de sanctuaires : ni les divinités concernées, ni l’aménagement, ni les rituels, ni les espèces végétales, ni la localisation ne constituent des critères spécifiques. Le bois n’est pas sacré en lui-même. Il doit son statut aux divinités qu’il abrite. Les auteurs grecs évoquent souvent la beauté et l’agrément de ce type de paysage boisé.
The ἄλσος is a recurrent element of religious landscape in the Description of Greece of Pausanias. But the descriptions that he gives hardly permit formulating a strong identity of the “sacred grove” in comparison to othertypes of sanctuaries : neither the gods concerned, nor the arrangement of the forest, nor the rituals, nor the kind of vegetation, nor the localization constitute specific criteria. The grove is not sacred in itself. It owes its status to the gods that protect it. The Greek authors often evoke the beauty and amenity of this type of wooded landscape.
Texte intégral
1In : Les bois sacrés. Actes du colloque international de Naples. Collection du Centre Jean Bérard, 10, 1993, 31-44.
2Lieu cultuel, le “bois sacré”, ἄλσος est aussi une composante du paysage grec et, à ce titre, peut constituer un objet de description pour les géographes et les périégètes comme pour les poètes et les romanciers. Nous nous proposons d’étudier le bois sacré comme objet de discours plus que comme réalité de terrain, relevant d’une archéologie des monuments et des rites. Nous dépasserons la singularité des situations locales pour tenter de dégager les constantes et les variations observables dans les textes qui les mentionnent ou les décrivent. Quels sont les termes employés pour décrire un bois sacré, quels sont les traits pertinents pour esquisser ce paysage, et comment apparaît sa spécificité par rapport à d’autres types d’établissements cultuels ? Telles sont les questions que nous poserons à partir de la Périégèse de la Grèce de Pausanias et de la Géographie de Strabon, corpus de base que nous enrichirons de références complémentaires à l’ensemble de la littérature grecque pour relativiser ou généraliser nos observations1.
3L’ἄλσος est un mélange de nature (arbres, eau) et d’artifices (édifice, statues, mur, autel). Il est un lieu de culte, mais le terme se rencontre aussi dans des contextes qui ne sont pas directement religieux. Il est parfois difficile de faire la part entre le stéréotype paysager et le sens technique du lexique religieux. Un ἄλσος peut être un “bois d’agrément” comme un “bois sacré”, dans certains cas les deux à la fois.
L’ἄλσος dans la typologie des paysages boisés
4L’ἄλσος désigne un type de paysage boisé qui, dans l’usage grec, est plus ou moins nettement différencié de la ὕλη, du δρυμός, de la νάπη ou du παράδεισος. Théocrite, évoquant les paysages où règnent les bouviers, cite les ἄλσεα sur le même plan que les deux premiers termes, suggérant ainsi qu’ils ne recouvrent pas exactement le même type de paysage végétal2. Procope rapporte les usages religieux de peuples barbares qui, de son temps encore, vénéraient les ἄλση et les ὕλαι : ils croyaient que les arbres étaient des dieux3. Aristote, dans l’Histoire des Animaux, décrit le cadre de vie des différentes espèces d’aigles. L’un d’eux, le pygargos, aigle à queue blanche, se rencontre dans les régions de plaines, de cités et d’ἄλση. En raison de son intrépidité, il vole aussi vers les montagnes et la ὕλη : le texte suggère un clivage entre espace cultivé et humanisé et espace sauvage, mais aussi entre un bois d’extension limitée et la forêt qui recouvre les montagnes4. L’ἄλσος est ici un paysage proche des plaines et des cités, tandis que la ὕλη est associée aux montagnes. L’Hymne homérique à Apollon Pythien oppose également ces types de paysages boisés. La ὕλη est une forêt primordiale, d’avant la culture, qui recouvre ce qui sera la plaine fertile de Thèbes : ni sentiers ni chemins ne permettent d’y pénétrer. En revanche, l’ἄλσος est déjà un bois consacré à Poséidon, auquel on peut accéder en char, et où l’on est accueilli par le personnel du sanctuaire5. Dion Chrysostome indique, dans l’une des descriptions de bois sacré les plus précises que nous possédions, qu’un ἄλσος peut faire partie d’une ὕλη : si la forêt est à nouveau l’espace où l’on se perd, le bois sacré, situé sur une hauteur, se présente sous la forme d’un bosquet de chênes6. Pour Strabon, ἄλσος comme παράδεισος désignent des lieux, tandis que ὕλη renvoie à une matière première, la forêt qui fournit le bois7. Il évoque aussi sur l’îlot d’Ortygie un très beau bois à la végétation variée, διαπρεπὲς ἄλσος παντοδαπῆς ὕλης8. Plutarque distingue le fait de couper du bois dans une ὕλη et un ἄλσος9.
5On rencontre souvent les termes ἄλσος et δρυμός employés parallèlement, ce qui suggère qu’ils n’ont pas exactement le même sens10. Dans un discours de Libanios, l’ἄλσος est inséré dans une série de termes qui décrivent les paysages sauvages et déshumanisés d’Artémis et de la chasse : montagnes, vallons et forêts11. De même, dans le vocabulaire cynégétique, νάπη et ἄλσος suggèrent deux types de paysages boisés où le gibier pourchassé peut se mettre à couvert, quand il n’a pas le courage de certains lièvres qui préfèrent défier les chiens en courant dans la plaine12.
6Un ἄλσος n’est pas non plus l’équivalent d’un παράδεισος, comme en témoignent Longus, Strabon et Grégoire de Naziance qui évoquent parallèlement ces deux paysages13. Mais un ἄλσος peut faire partie d’un παράδεισος14. Les deux termes sont néanmoins très proches. Pour Achille Tatius, le παράδεισος de la maison vers laquelle se dirige son héros était un ἄλσος15. Grégoire de Nysse considère les deux substantifs comme synonymes et invoque l’usage pour en témoigner16. L’ἄλσος n’est pas non plus exactement un jardin, un κῆπος, même si Eustathe le définit comme un κήπος très boisé17. Pour le savant commentateur d’Homère, les deux termes sont d’ailleurs presque synonymes : ἄλσος dérive selon lui du verbe ἄλλεσθαι, qui signifie “s’élancer, bondir”, car les bois « s’élancent vers leur croissance » sous l’effet du vent et de l’humidité. Le mot “jardin” dérive de κάπος qui signifie « le souffle amenant aux végétaux l’humidité nourricière »18. Pour Longus, il ne manque qu’une haie à un très beau jardin pour ressembler tout à fait à un “bois sacré”19.
7Ce rapide parcours définit la place particulière de l’ἄλσος, entre le jardin cultivé et le bois sauvage. Il apparaît le plus souvent comme un paysage humanisé ou, du moins, aménagé par rapport à la forêt proprement dite. Ce qui constitue son identité dans ce lexique du paysage boisé et des jardins, c’est peut-être sa fonction religieuse et un critère d’étendue et de localisation, proche des cités ou facilement accessible, plus que la nature des arbres qu’il renferme.
Les bois sacrés dans la Périégèse de Pausanias : localisations et attributions religieuses
8Dans la Périégèse de la Grèce, texte écrit sous le règne des Antonins, nous avons une description topographique de la Grèce continentale découpée en grandes régions, l’Attique, la Corinthie, la Laconie, l’Elide, etc. La description souvent minutieuse des villes, des routes et des monuments est entrecoupée d’un ensemble de digressions mythologiques et historiques, de paradoxa et de curiosités diverses. Archéologie, certes, mais pas seulement des sites, plus généralement des mythes et des usages religieux, dans une entreprise littéraire qui tient à la fois de l’ekphrasis, des histoires variées et de l’ouvrage d’antiquaire20.
9Pour Pausanias, l’ἄλσος figure en bonne place parmi l’ensemble des lieux ou des monuments jugés « dignes d’être vus », θέας ἄξιον21 ou « méritant d’être mentionnés », ές μνήμην τάδε ἀξιολογώτατα22. A l’intérieur même de l’ἄλσος il ne mentionne que τὰ δὲ επιϕανέστατα, « ce qu’il y a de plus remarquable »23. Cette phraséologie est typique du genre périégétique, et définit une forme de curiosité particulière, une certaine distance par rapport à des établissements qui ne sont plus seulement considérés pour les cultes que l’on y rend effectivement, mais aussi pour leur intérêt esthétique, historique ou religieux. On trouve 241 occurrences d’ἄλσος dans la Périégèse de Pausanias, qui interviennent pour décrire 86 bois sacrés différents. A titre de comparaison, on trouve 441 occurrences de ναός et 58 de τέμενος.
10On relève 241 occurrences du substantif ἄλσος, mais seulement 7 de ὕλη, la forêt. Cette disproportion est significative du manque d’intérêt général de Pausanias pour la géographie du paysage naturel : seul le paysage humanisé et culturel l’intéresse. Ce qui définit le lieu, dans sa Périégèse de la Grèce, le τόπος ou le χωρίον, ce sont moins des qualités spatiales intrinsèques que des modalités particulières d’appropriation, par le biais de la toponymie (et du mythe étiologique) ou du récit historique, où le lieu est le cadre d’une action humaine. Même la nature est perçue à travers une grille culturelle : elle est un théâtre de la mémoire où s’inscrivent les traces visibles des épisodes mythiques.
11Les bois sont pris dans la syntaxe du voyage et de l’écriture périégétique, entre cités et montagnes, sanctuaires et rivières. Ils sont rapidement mentionnés ou sommairement décrits, et lorsque Pausanias nous donne des précisions sur les monuments et les espèces d’arbres d’un ἄλσος, nous pouvons supposer qu’il y a fait une brève halte. Si on utilise son texte comme source documentaire sur les bois sacrés dans la Grèce du iie siècle de n. è., il peut être intéressant d’y rechercher des renseignements sur la localisation de l’ἄλσος dans le paysage : en plein centre d’une cité (un bois sacré autour du sanctuaire des Cabires dans la cité béotienne d’Anthédon)24, au pied d’une cité25 ou devant une cité26, au pied d’une montagne27, sur une grande montagne, à côté (ou à l’intérieur) de la cité de Cyrtônes28, en pleine montagne29, sur une colline (ἐπὶ λόφου)30, dans un espace délimité par le pied d’une montagne, deux rivières et la mer31, au bord d’une route reliant deux cités importantes, dans la campagne32, au carrefour de deux routes dans la campagne33, à proximité ou au bord d’un fleuve34, au bord de la mer35, dans un village36 ou dans une cité37, séparé de la cité par une rivière38. La localisation spatiale ne semble pas constituer un trait pertinent pour la définition de l’ἄλσος, puisqu’on peut le rencontrer dans une cité comme à la campagne, au bord d’un fleuve ou de la mer comme sur une montagne.
12A six reprises, le substantif ἄλσος est accompagné de l’épithète ἱερόν : nous sommes ici en présence d’un “bois sacré” au sens strict du terme. Les lieux ainsi désignés sont le bois sacré d’Argos le Niobide, le bois sacré au pied du mont Pontînos, le bois sacré d’Asklépios à Epidaure, le bois sacré nommé Puraia, l’Altis de Zeus, le bois sacré de Despoïna en Arcadie39. Dans l’usage grec, l’expression ἄλσος ἱερòν n’est d’ailleurs pas très fréquente. On en trouve douze autres occurrences dans le corpus du ΤLG40, dont deux se réfèrent vraisemblablement au lucus latin. On ne trouve pas chez Pausanias l’expression ἄλση ἀνειμένα θεoῖς41, ni le terme λούκους qui est la transcription grecque du latin lucus42.
13Généralement, les bois sacrés de Pausanias ne sont pas nommés comme des “lieux dits” ordinaires. Parmi les exceptions, les bois Kranéion, Puraia, Titthios et Kynortion. Karnasion. Pontînos et, bien sûr, l’Altis d’Olympie43. Nous avons le plus souvent une expression sur le modèle suivant : nom du dieu au génitif + ἄλσος. Le bois sacré est alors désigné par la ou les divinités qu’il abrite :
- Apollon (I, 21,7 ; III, 13,5 ; VII, 5, 10 ; VIII, 38, 2 ; IX, 24, 4 ; X, 33, 12)
- Apollon Karnéios (IV, 31, 1)
- Apollon Sminthée (X, 12, 6)
- Arès (III, 22, 7)
- Argos, fils de Niobè (II. 20, 8 ; III, 4, 1) : bois désigné comme ἄλσος ἱερòν, mais cette insistance sur la sacralité peut se justifier par le contexte dans lequel il est mentionné : elle met en valeur l’impiété de Cléomène qui fait incendier le bois où des suppliants se sont réfugiés.
- Artémis (II, 30, 7 ; VII, 27, 3 ; VIII, 23, 6)
- Asklèpios (II, 27, 1) : τò δὲ ἱερòν ἄλσος τοῦ ’Ασκληπιοῦ
- Athéna (Χ, 32, 10)
- Déméter (VIII, 10, 2 ; VIII, 36, 6)
- Déméter et Coré (IX. 8, 1 ; IX, 25, 5)
- Despoïna (VIII, 37, 9) : la nature sacrée du bois est explicitée : ἄλσος τῆς Δεσποίνης ἱερόν
- Dieux bienveillants (Meilichioi) (X, 38, 8)
- Dionysos et Artémis (II, 28, 8 ; II, 29, 1)
- Dioscures (VII, 22, 5)
- Eros (III, 26, 5)
- Héra (VII, 23, 9)
- les Muses (Hélikon) : (IX, 29,4-5 ; voir aussi IX, 31,3)
- Perséphone (X, 30, 6) : à noter qu’il s’agit d’un bois sacré représenté sur les peintures de Polygnote qui ornent la Lesché des Cnidiens à Delphes.
- Poséidon (I, 30,4 ; VII, 24, 12 ; VII, 27, 3 ; IX, 26, 6)
- Trophonios (IX, 39, 2)
- Zeus (Altis : V, 10, 1) : la nature sacrée du bois est explicitée : τὸ δὲ ἄλσος τὸ ἱερὸν τοῦ Διὸς
14Dans d’autres cas, le bois sacré est une composante parmi d’autres dans un ensemble cultuel, qui est identifié par le nom de la divinité tutélaire ou la cité dont il dépend. Il y a dans ce cas là une ambiguïté : le bois est-il lui-même un élément du dispositif religieux ou un simple décor, un paysage pour les monuments ? En l’absence d’un culte explicitement rendu aux arbres et au bois lui-même, l’ἄλσος reste de toute façon un espace naturel qui contient des monuments ou des édifices religieux. Il y a sans doute une différence entre l’άλσος explicitement attribué à une (ou plusieurs) divinité(s) et l’ἄλσος qui renferme des temples ou des statues dédiés à ces mêmes divinités. Mais comment interpréter par exemple cette phrase de Pausanias : έκ δὲ Κυρτώνων ὑπερβάλλοντι τὸ ὄρος πόλισμά ἐστι Κορσεία. ὑπὸ δὲ αύτω δένδρων ἄλσος ὀύχ ήμερων πρῖνοι τὸ πολύ εἰσιν. Ἑρμου δὲ ἄγαλμα οὐ μέγα ἐν ὑπαίθρῳ τοῦ ἄλσουςἕστηκε44. Bois sacré d’Hermès ? Ou simple bosquet d’arbres abritant une statue d’Hermès ? Cette dernière ne suffit-elle pas alors à transformer l’ἄλσος en bois sacré ? On ne trouve pas trace, dans la Périégèse, de culte des bois en tant que tels. Il ne semble pas que la nature sacrée du bois préexiste à l’installation d’un sanctuaire, d’une statue ou d’un simple enclos. On peut simplement supposer qu’un bosquet d’arbres offrait un cadre approprié, pour la fondation d’un sanctuaire. Dans le poème d’Apollonios de Rhodes, les Argonautes, lors des dernières étapes de leur périple, font escale dans un îlot des Sporades : « pour Apollon, ils aménageaient dans un bosquet ombragé (ἄλσει ἐνὶ σκιερῷ) un splendide enclos et un autel de cailloux... »45. L’ἄλσος préexiste à la fondation. Mais ce n’est qu’après elle qu’il devient “bois sacré”.
15Nous pouvons recenser les bois qui entourent des statues et des temples et compléter ainsi le tableau des occupants divins et héroïques de l’ἄλσος chez Pausanias :
- bois Kranéion près de Corinthe : abrite un τέμενος de Bellérophon, un ναóς d’Aphrodite et un tombeau de Laïs (II, 2, 4)
- ἄλσος Puraia : sanctuaire de Déméter Prostasia et de Corè (II, 11, 3)
- à Sicyone, ἄλσος entourant un sanctuaire des Euménides (II, 11, 4)
- à Phliunte : ἄλσος et sanctuaire de Ganyméda ou Hébè (II, 13, 3)
- à Némée : ἄλσος autour du sanctuaire de Zeus (II, 15, 2)
- à Epidaure : dans l’ἄλσος, ναóς d’Artémis, ἄγαλμα d’Epionè et ἱερὸν d’Aphrodite, stade, etc.
- à Lerne : ἄλσος avec αγάλματα de Déméter, de Dionysos (II, 37, 1)
- à Karnasion : ἄλσος : statues d’Apollon et d’Hermès (IV, 33, 4)
- à Patras : ἄλσος avec deux ναοί d’Apollon et d’Aphrodite (VII, 21, 11)
- le Mysaïon, près de Pelléné : ἄλσος avec fête à Déméter (VII, 27, 9)
- à Mégalopolis en Arcadie : ἄλσος avec sanctuaires des Grandes déesses et d’Aphrodite (VIII, 31, 5)
- à Tricolônoï : un ἄλσος autour du ἱερòν de Poséidon (VIII, 35, 6)
- Mont Lycée : sanctuaire de Pan entouré par un ἄλσος (VIII, 38, 5)
- route de Tégée à Argos : un ναός de Déméter dans un ἄλσος (VIII, 54, 5)
- à Anthédon : au cœur de la cité, un ἱερòν des Cabires entouré par un ἄλσος (IX, 22, 5)
- à Cyrtônes s : un ἄλσος avec des ἀγάλματα d’Artémis et d’Apollon (IX, 24, 4)
- à Cyrtônes s : un ἱερòν des Nymphes et un ἄλσος (IX, 24, 4)
- à Corséia : un ἄλσος avec un ἄγαλμα d’Hermès (IX, 24, 5)
- à Lébadée : un ἄλσος avec un ναός et une statue de Trophonios (IX, 39, 4)
- à Oianthéia d’Achaïe : un ἄλσος avec un ναός d’Artémis (X, 38, 9)
16Il peut être difficile de clairement déterminer les occupants d’un ἄλσος. Pausanias mentionne, par exemple, à Mégalopolis un bois de petite étendue, entouré d’un muret. Devant lui, se trouvent des ἀγάλματα de Déméter et de Coré, à l’intérieur, un sanctuaire des Grandes Déesses et d’Aphrodite et, devant l’entrée, d’antiques ξόανα de Héra, Apollon et les Muses46. A qui appartient le bois ?
17L’expression : ἄλσος καὶ ἱερόν47 / ἄλσος καὶ ναός48 peut à nouveau susciter une légère incertitude : s’agit-il d’un bois entourant le sanctuaire, ou le bois est-il lui-même partie intégrante du sanctuaire ? Notation paysagère ou description d’un complexe religieux ? Lorsque Pausanias écrit qu’à Cyrtônes, il y a un sanctuaire des Nymphes près de la source et un de petite taille, avec seulement des arbres cultivés, s’agit-il d’un simple bois ou d’un bois associé au culte ? On ne peut que relever le fait que ces arbres ne sont pas sauvages, et que le site a été aménagé intentionnellement49. Dans certains cas, l’ambiguïté sur ce dispositif topographique est levée : au milieu de la cité des Anthédoniens se trouve un sanctuaire des Cabires et un ἄλσος autour de celui-ci50 de même un ἄλσος d’arbres entoure le sanctuaire de Pan sur le mont Lycée en Arcadie51 et celui de Poséidon à Tricolônoï52. Mais, dans ces cas là, le bois fait-il partie du sanctuaire ou est-il un simple cadre paysager ? Nous ne pouvons qu’indiquer, sans pouvoir nous engager ici dans cette enquête, l’intérêt qu’il y aurait à interpréter, pour la géographie religieuse du monde grec, le jeu des repérages topographiques, des rapports de proximité et d’inclusion qui sont explicités par Pausanias au fil de ses parcours et de sa description : par exemple, en suivant la route de Τégée à Argos, on rencontre d’abord un temple et une statue d’Asklépios, puis en tournant à gauche, à un stade de distance, un temple en ruines d’Apollon Pythien. Tout droit, ensuite, on rencontre un temple de Déméter dans un ἄλσος de chênes : dans le voisinage, un autre sanctuaire de Dionysos Mystos. On se trouve alors au pied du mont Parthénion, sur lequel on montre un sanctuaire de Télèphe. Un peu plus loin, un sanctuaire de Pan53. Quelle est la part de logique religieuse ou de pure coïncidence topographique dans un tel enchaînement ? Au-delà de la linéarité de Γ itinéraire de Pausanias, on est conduit à réfléchir sur les parcours qui reliaient ces sanctuaires, sur l’ordre de visite de ces lieux de culte, sur le calendrier de leurs manifestations respectives, sur la signification de leur répartition spatiale le long d’une route, répartition qui est, d’une certaine manière, déjà un discours et un savoir théologique, une mise en forme du panthéon local, distribué dans le paysage.
18Cette énumération montre que les bois sacrés de Pausanias concernent à peu près tout le panthéon olympien. Cela confirmerait le fait que l’ἄλσος n’est pas associé à une divinité unique, régnant sur les arbres et les forêts. Comme le souligne Louis Robert54, “le dieu, Zeus ou Apollon, est le propriétaire de l’alsos, non le dieu des forêts”. Présent dans dix bois, Apollon semble être l’une des figures divines les plus étroitement associées à cette forme d’espace sacré. Parmi les absents, figurent Hestia, Hadès et Héphaïstos. Hermès n’est représenté que par une statue. L’ἄλσος permet aussi d’étudier les associations de divinités dans les lieux de culte. Certains couples sont classiques : Déméter et Coré, Apollon et Hermès, d’autres suggèrent des liens thématiques intéressants, comme l’association d’Artémis et de Dionysos, de Déméter et de Dionysos, Apollon et Aphrodite, des Grandes déesses et Aphrodite. Pausanias apparaît comme une source privilégiée pour comprendre la logique organisatrice du panthéon grec, et les bois sacrés relèvent, de ce point de vue, d’un système plus général, celui des associations de divinités dans les lieux de cultes. On ne trouve que trois fois des bois sacrés associés à un culte héroïque, Argos le Niobide, Trophonios et Bellérophon.
Composantes architecturales et mobilier religieux de l’ἄλσος
19Pour dissiper l’ambiguïté entourant la nature exacte de l’ἄλσος, bois consacré à une divinité, à laquelle il appartient au même titre qu’un ναός (ἄλσος + nom de la divinité au génitif), ou bois servant de décor naturel à un sanctuaire, sans qu’il y ait un lien direct entre la divinité et ce paysage boisé, on pourrait comparer les composantes architecturales et le mobilier religieux dans les trois groupes que nous avons distingués sur la seule base de la phraséologie de Pausanias.
20Une catégorie particulière est constituée par les bois sacrés à propos desquels Pausanias ne mentionne aucun monument. Ce silence pose un problème d’interprétation : oubli, manque d’intérêt ? Sans être à exclure totalement, ce seraient alors d’étranges manquements à la passion de Pausanias pour l’inventaire archéologique des curiosités. Il peut aussi s’agir de bois sacrés qui ne renferment effectivement aucun monument, simple espace boisé, délimité ou non par un mur, défini par les cultes que l’on y rend, les règlements religieux qui y sont en vigueur :
- bois sacré d’Apollon sur l’Ida : Pausanias ne mentionne aucun monument, seulement la végétation (III. 13, 5)
- bois sacré d’Argos le Niobide : ne semble pas contenir de monuments, simple cadre d’un récit dramatique où Pausanias s’inspire d’Hérodote (III, 4, 1)
- bois consacré à Déméter Cabéira et à Coré, non loin de Thèbes : c’est le règlement cultuel plus que le mobilier ou les constructions qui définit la nature sacrée de ce bois (IX, 25, 5)
- bois sacré d’Artémis Sôtéira, délimité par un mur, d’accès interdit à tous les hommes sauf aux prêtres : aucune précision sur les éventuelles constructions (VII, 27, 3)
- bois sacré d’Apollon à Colophon : Pausanias ne mentionne que les arbres (VII, 5, 10)
- bois sacré de Despoïna : ne renferme que des arbres dans un espace entouré d’une clôture (VIII, 37, 10)
- bois sacré d’Éros à Leuctres : i 1 y a aussi un ναός, mais Pausanias n’évoque, pour le bois, que la végétation (II, 26, 5)
- bois sacré d’Apollon à Grynéion : Pausanias insiste surtout sur la végétation, mais évoque aussi des armes exposées dans le ἰερòν (I, 21, 7)
21Le bois comme paysage et espace englobant peut renfermer :
- un τέμενος
- un ναός (ou des ναοί)
- un tombeau
- un ἱερòν
- un ἄγαλμα (ou des ἀγάλματα)
- un βόθρος (IX, 37, 7)
- une στήλη (IX, 37, 7)
- des δρόμοι (VII, 21, 11)
- un βωμός (II, 11, 5)
- un τάϕος héroïque (II, 2, 4), ces différents éléments se combinant le plus souvent.
22Le bois comme espace consacré à une (ou plusieurs) divinité(s) peut renfermer :
- des ἀγάλματα (IX, 24,4 : un bois d’Apollon renferme des statues d’Apollon et d’Artémis ; IX, 24, 8)
- un βωμός (VII, 22, 5 : à noter que ce bois des Dioscures contenait aussi un ναός et des ἀγάλματα) ou des βωμοί (X, 33, 12)
- un μνήμα (X, 12, 6 : tombeau de la Sibylle)
- un stade (IL 27, 5 : Epidaure)
- une source aménagée (II, 27, 5 : Epidaure)
23Les détails les plus précis sur les monuments renfermés dans un ἄλσος concernent les bois qui ne sont pas explicitement attribués à une divinité, mais sont présentés comme le cadre paysager d’un ensemble d’édifices et de statues. Les deux catégories se recoupent néanmoins sur un certain nombre de points, et Pausanias désigne parfois le même lieu comme un ἄλσος générique et comme l’ἄλσος d’une divinité particulière : par exemple l’ἄλσος d’Asklépios à Epidaure (II.27.1 et II.27.5). La spécificité de l’ἄλσος ne réside sans doute pas dans la présence de statues, de temples, d’autels, de tombeaux ou de sanctuaires, qui constituent le décor familier de tout complexe cultuel en Grèce. Elle se trouve plutôt dans la conjonction de ces édifices et de ce mobilier religieux avec un paysage boisé, souvent associé à une source. Il existe d’ailleurs de nombreux bois dans lesquels Pausanias ne mentionne aucune construction ou statue.
24Si l’on ne peut guère trouver la spécificité de l’ἄλσος grec dans les divinités qui lui sont associées — l’éclectisme est de règle et à peu près tout le panthéon est concerné—, ni dans son aménagement monumental, on doit revenir sur le statut même de cet espace et de ce paysage.
25L’ἄλσος est avant tout un enclos, un espace délimité ou non par une clôture matérialisée. Cet aspect entraîne, comme nous le verrons, des règlements cultuels divers sur les modalités d’accès à cet espace. Le terme περίβολος, enclos, est parfois synonyme d’ἄλσος55. Cet enclos peut être matérialisé par la présence de bornes qui entourent de tous côtés le bois : tel est le cas du sanctuaire d’Asklépios à Epidaure56. Les ὅpot de l’ἄλσος peuvent être des fleuves et une montagne, c’est-à-dire des limites naturelles, qui suggèrent le franchissement ou la transgression57. L’ἄλσoςἱεpòv de Despoïna, en Arcadie, est entouré par un muret de pierres (θριγκῷ λίθων)58. A Mégalopolis, derrière le temple de Zeus, se trouve un petit bois qui est lui aussi entouré d’un muret (θριγκῷ περιεχόμενον)59. Un mur est construit tout autour du bois d’Artémis Sôtéira60.
26Le bois étant un espace clos, on peut dès lors distinguer ce qui se trouve à l’intérieur de cette enceinte et ce qui est en dehors. Pausanias détaille les arbres qui se trouvent à l’intérieur (ἐντòς) du bois arcadien de Despoïna, délimité par un mur61, il identifie les statues et monuments qui se trouvent à l’intérieur d’un ἄλσος62. Dans les Histoires d’Hérodote, Cléomène fait incendier un bois sacré dans lequel se sont réfugiés les Argiens : de l’intérieur, ceux-ci ne pouvaient voir ce que les Lacédémoniens préparaient à l’extérieur, mais l’opposition résulte de la densité de la végétation plus que d’une clôture artificielle63.
27Il est significatif de noter que, dans un discours de Thémistius, ἄλσος se trouve intégré dans une série de termes qui évoque la clôture : περιβóλοι, θριγκία (mais aussi : λειμῶνας)64. Strabon, décrivant le sanctuaire oraculaire d’Apollon construit par les Branchides à Didymes, précise que l’ἄλσος se trouve à la fois à l’intérieur et à l’extérieur du περιβóλος65. Achille Tatius, dans Leucippe et Clitophon, prend aussi soin de décrire le « petit mur » (τειχίον), de hauteur suffisante et en forme de quadrilatère, surmonté de colonnes, qui entoure le « paradis », qui était en fait un ἄλσος. Nous ne sommes plus ici dans un “bois sacré”, mais dans un “bois d’agrément” ; il est intéressant de voir que le thème de la clôture s’impose cependant dans ce contexte66.
28Nous ne trouvons que très rarement des indications sur la superficie couverte par le bois. Strabon, dans sa description du bois de Daphnè. près d’Antioche, indique qu’il est grand et que son périmètre est de 80 stades67. A propos d’un bois associé à un sanctuaire des Nymphes, Pausanias précise : « Il n’est pas grand » (οἐ μέγα)68. L’ἄλσος est un espace sacré qui peut varier d’une aire renfermant trois statues de dieux à un complexe monumental très étendu, comme les grands sanctuaires d’Olympie et d’Epidaure.
Lois sacrées, gestes rituels et mythes
29Dans la Périégèse de Pausanias, les bois se prêtent à des notations sur les rituels, les fêtes, les restrictions d’accès, comme tous les autres sanctuaires. Il est difficile, ici encore, de dégager une spécificité de 1’ἄλσος, d’autant plus que les usages décrits par Pausanias ne permettent pas de différencier ce qui concerne spécifiquement le bois ou les temples et autels qu’il renferme. Il décrit souvent les rituels qui lui paraissent étranges, relevant d’usages locaux. Il faut donc utiliser avec prudence son témoignage pour entreprendre une archéologie religieuse de la Grèce au iie siècle de n.è.
30Le bois est le théâtre de fêtes, de sacrifices, d’offrandes, comme tout autre sanctuaire grec. Pausanias mentionne le rituel sacrificiel dans le bois qui abrite le temple des Euménides, près de Sicyone : lors d’une journée de fête annuelle, on sacrifie des brebis pleines, on fait des libations de lait et de miel mélangés, on se sert de fleurs à la place des couronnes. On accomplit un rituel semblable sur l’autel des Moires, qui se trouve dans la partie dégagée du bois69. Les branches du bois se prêtent à suspendre des offrandes, comme les entraves de prisonniers libérés70.
31L’ἄλσος, comme espace entouré par une clôture, se prête à toutes les interdictions qui s’appliquent au περιβóλος religieux : interdits relatifs à l’enfantement et à la mort71, obligation de consommer les viandes du sacrifice à l’intérieur de l’enceinte sacrée72, accès interdit à l’un ou l’autre sexe. Dans le bois d’Héra à Aïgion, il n’est permis à personne de voir la statue de la déesse sinon à la femme qui exerce la prêtrise73. Les femmes n’ont pas le droit d’entrer dans le bois d’Arès lors de la fête annuelle que lui consacrent les habitants de Géronthrai74 ; en revanche, elles sont seules autorisées à pénétrer dans le bois de Déméter, à cinq stades de la cité arcadienne de Mégalopolis75. Dans un bois qui se trouve sur la route qui mène de Sicyone à Phliunthe, se trouve un sanctuaire de Déméter Prostasia et de Coré : les hommes célèbrent une fête entre eux, et laissent les femmes célébrer leur propre fête dans le Nymphôn76. Dans le sanctuaire de Déméter Musia, non loin de Pellène, se trouve un bois où l’on célèbre en l’honneur de la déesse une fête qui dure six jours : le troisième jour, tous les hommes (et les chiens mâles !) sortent du sanctuaire et les femmes sont libres d’accomplir leurs rituels nocturnes77. Le bois d’Artémis Sôteira, à Pellène, est entouré d’un mur : seuls les prêtres ont le droit d’y pénétrer78. Dans les environs de Thèbes, Pausanias mentionne un bois de Déméter Cabéiria et Coré : seuls les initiés ont le droit d’y pénétrer79.
32Si l’ἄλσος occupe une place importante dans la Grèce de Pausanias, force est de constater le caractère relativement décevant des informations qu’il nous donne sur les cérémonies religieuses qui s’y déroulent. L’identité des divinités joue un rôle plus grand que la spécificité du paysage, et le bois sacré des Grecs est de ce point de vue différent du lucus latin. On peut simplement remarquer que le caractère souvent extra-urbain de ce type de sanctuaire se prête à des rituels à la périodicité annuelle, et que le bois est souvent associé aux grands cultes panhelléniques (Némée, Epidaure, Olympie) et aux rituels oraculaires (Trophonios). Un autre trait sans doute pertinent est que les bois sont l’un des lieux où se déroulent les cultes féminins, avec leurs lois d’exclusion pour le monde des hommes.
33Le tableau est-il sensiblement différent si nous élargissons l’enquête à l’ensemble de la littérature grecque ? Le lexicographe Harpocration, par une trop brève remarque, suggère une forme particulière de religiosité associée aux terres grasses et aux ἄλση : il propose en effet comme l’une des étymologies du mot Ὀργεῶνας, le fait d’accomplir les rites ἐν τάῖς ὀργάσι καὶ τοῖς ἄλσεσι80.
34Le cycle argonautique offre un des bois sacrés les plus célèbres de la littérature grecque, puisque c’est sur un chêne de l’ἄλσoς d’Arès qu’Aiétès suspend la toison d’or du bélier sacrifié à Zeus par Phrixos : le sacrifice lui-même ne s’est pas déroulé dans le bois81. On retrouve dans la poésie l’arbre porteur d’offrande attesté notamment par Pausanias. Le bois est toujours le théâtre de fêtes religieuses, comme dans la description parodique, chez Lucien, d’un ἄλσος indien consacré à Dionysos82.
35Les restrictions d’accès aux bois sacrés sont bien attestées par ailleurs. Dans les Thesmophories d’Aristophane, le Chœur in voque les deux Thesmophores : « Venez, souveraines, bienveillantes et propices, dans ce bois qui est le vôtre, où les saintes orgies des deux déesses qu’il est interdit aux hommes de regarder, vous les montrez à la lueur des torches... »83. L’ἄλσος apparaît comme l’un des cadres de l’activité religieuse des femmes. Un fragment du poète tragique Diogène (ves. av. J.-C.) décrit les manifestations bruyantes des fidèles de Cybèle et le culte rendu par les femmes à l’Artémis du Τ môle, dans un bois ombragé de lauriers84. On trouve, dans Leucippe et Clitophon, un bois sacré avec une grotte consacrée à Artémis. On y trouve une flûte déposée par Pan lui-même. Son accès est interdit aux femmes sauf à celles qui sont ou se prétendent vierges : ce lieu est le théâtre d’une mystérieuse et dangereuse épreuve imposée aux femmes85. Lorsqu’il y a transgression de cet interdit, et que des femmes pénètrent, ou même approchent de 1’ἄλσος, il s’ensuit une série de prodiges redoutables : séismes, sécheresses et signes célestes. Plutarque en a fait le sujet de l’une de ses Questions romaines et grecques86.
36La description la plus précise et la plus pittoresque d’un bois sacré grec se trouve dans le Premier Discours sur la Royauté de Dion Chrysostome. Souvenir autobiographique ou élaboration littéraire, nous n’en discuterons pas ici. Dion l’exilé erre comme un vagabond dans les campagnes du Péloponnèse, préférant aux cités les espaces sauvages parcourus par les bergers et les chasseurs. Sur le chemin d’Héraïa à Pise, Dion longe le cours de l’Alphée. Il s’engage dans une forêt au terrain accidenté, sillonnée de sentiers de bergers, sans rencontrer âme qui vive. Il se perd. Sur une hauteur, il remarque un bosquet de chênes qui ressemble à un ἄλσος. Il se dirige vers ce bois, dans l’espoir de s’orienter depuis ce point d’observation et de retrouver sa route. Il trouve, au sommet des blocs de pierre grossièrement assemblés, des peaux de victimes sacrificielles suspendues et des bâtons de bergers qu’il identifie comme des offrandes. Non loin, une femme âgée, aux vêtements rustiques. Dion l’interroge sur ce bois, elle lui répond en dialecte dorien que le lieu est consacré à Héraklès. Elle a un fils, un berger, et elle garde elle-même les moutons. La Mère des Dieux lui a donné le pouvoir de la divination, et tous les bergers et fermiers alentour viennent la consulter sur la sauvegarde et le développement de leurs troupeaux. Elle se met alors à prophétiser, annonce à Dion que le temps de ses errances touche à sa fin, et évoque en termes allégoriques la venue d’un nouveau souverain, qui n’est autre que Trajan, devant lequel ce discours est prononcé87. Plusieurs traditions se rejoignent dans ce texte : celle qui associe le bois sacré à la divination oraculaire ; celle qui se développe autour de l’ἄλσος bucolique, domaine des bergers et des cultes agrestes. Ce lieu ne correspond pas à l’image du bois sacré que nous trouvons chez Pausanias : perdu en pleine campagne, inaccessible sinon aux bergers qui connaissent tous les sentiers, ce bosquet de chênes n’ombrage aucun monument, temple, statue ou mur. Lieu de culte pastoral, qui abrite une religion primitive par son dépouillement, sacrifice animal et offrandes de bâtons, ce bosquet de chênes témoigne de l’interférence du bois sacré et du bois littéraire, et peut-être aussi de l’ἄλσος grec et du lucus latin.
37Les lieux de cultes sont le théâtre des pratiques religieuses comme des traditions légendaires. On trouve relativement peu de récits mythiques, dans la Périégèse de Pausanias, se rapportant à des bois sacrés. C’est un indice pertinent, en comparaison d’autres éléments du paysage, chargés de la mémoire des temps mythiques. Cette situation s’explique sans doute par le fait que le bois n’est que très rarement un “lieu dit” et ne se prête donc pas au récit étiologique qui s’attache par prédilection aux toponymes.
38Les quelques récits associés à l’ἄλσος n’en sont que plus intéressants. C’est dans le bois sacré de Zeus à Némée qu’Opheltès, déposé sur l’herbe par sa nourrice, a été mordu par un serpent88. C’est dans le bois sacré d’Apollon, sur l’Ida, que les Grecs ont coupé les bois de cornouiller pour fabriquer le fameux cheval de Τroie. Ils apaiseront la colère du dieu par des sacrifices89. Le bois d’Artémis Kondyléatis en Arcadie est le théâtre d’une dramatique histoire : des enfants qui jouaient autour du sanctuaire découvrirent une corde et la passèrent au cou de la statue en disant qu’Artémis avait été étranglée. Les enfants furent lapidés par les habitants. Dès lors les femmes mirent au monde des enfants morts nés. Sur les conseils de la Pythie, les habitants enterrent les enfants et leur offrent un sacrifice annuel pour se réconcilier avec la déesse90.
39Il est difficile de saisir la spécificité de l’ἄλσος dans ces récits étiologiques qui reprennent des motifs connus pour d’autres formes de sanctuaires. Plus typiques sont les récits qui relèvent de l’histoire plus que du mythe, où la violence et l’impiété de certaines formes de guerre se manifestent par la violation des sanctuaires en général, et l’incendie des bois sacrés en particulier. Le récit fondateur se trouve sans doute dans les Histoires d’Hérodote : dans le bois sacré (ἅγιον άλσος) d’Argos le Niobide, des suppliants se sont réfugiés, après la victoire de Cléomène et des Spartiates dans leur pays. Or le roi Spartiate fait brûler le bois sacré et tous ceux qu’il abrite91. Pausanias reprend ce récit à deux reprises, en insistant sur l’impiété du roi92. Il rappelle aussi que, lors du sac d’Athènes, Antigonos a fait incendier le bois et le temple de Poséidon93.
40Cette image du bois incendié ou rasé est récurrente dans la littérature grecque. Elle est associée aux images de la guerre, de la conquête et de la destruction94. Elle apparaît aussi de manière implicite, lorsqu’Hérodote, racontant la bataille de Platées, considère comme une merveille que le bois sacré de Déméter, situé à côté du champ d’opérations, n’ait pas été détruit ni souillé : la déesse elle-même a protégé son ἄλσος. Le bois sacré est parfois mutilé pour construire des machines de guerre, jusqu’à ce qu’un mauvais rêve contraigne le commandant à épargner les arbres95. Sylla à Athènes s’en prit aux bois sacrés comme aux arbres de l’Académie96. Chez les auteurs Juifs et Chrétiens, la destruction de l’ἄλσος prend une autre signification et s’inscrit dans le processus global de subversion des cultes et des sanctuaires païens97.
Arbres et sources : du bois sacré au paysage littéraire
41Pour Strabon, les poètes embellissent tout : ils nomment “bois sacrés” tous les sanctuaires, même s’ils sont dépouillés de végétation, comme le sanctuaire béotien de Poséidon à Oncheste ou le sanctuaire d’Achille à l’embouchure du Borysthène98. Mais ce sont là des exceptions qui confirment la règle : l’ἄλσος se différencie des autres types de sanctuaires par la présence d’arbres, entre le bosquet et la forêt. Le “bois sacré” peut se composer d’une partie boisée et d’une partie dégagée. Ainsi Pausanias mentionne-t-il les espèces végétales d’un bois à Kytôné en ajoutant aussitôt après qu’il y a une petite statue d’Hermès ἐν ὑπαίθρῳ τοῦ ἄλσους, « dans la partie dégagée du bois »99. Il emploie la même expression à propos de l’autel du bois sacré des Euménides sur la route de Titanè100.
42Pausanias précise parfois les espèces végétales renfermées dans le bois : cyprès101, mélange de cyprès et de pins102, chênes verts (πρῖνοι)103, frênes (μελίαι)104, platanes105, chênes (δρῦς)106, cornouillers (κράνειαι)107, lauriers (δάϕναι)108, olivier (ἐλαία)109. Il mentionne aussi la présence d’arbres (δένδρα)110 sans les identifier, ou en notant simplement la diversité des espèces111.
43Tous ces arbres se retrouvent dans les bois sacrés décrits dans la littérature grecque, même si Pausanias s’avère être l’un des auteurs qui attachent le plus d’importance à l’identification des essences végétales de l’ἄλσος. Le mélange des essences végétales semble de règle, et correspond sans doute pour une large part à la réalité des paysages méditerranéens112. Dans sa description du bois sacré de Déméter à Dôtion, en Thessalie, Callimaque évoque la richesse de la végétation : pins, ormes, poiriers et pommiers113. Les Argonautiques Orphiques nous offrent sans doute l’une des descriptions les plus détaillées de la végétation d’un ἄλσος114 : il s’agit du bois où se trouve la Toison d’or, près du palais d’Aiétès en Colchide. Ce lieu est entouré d’une clôture très haute défendue par des tours. Au-dessus se tient une reine que les Colques invoquent comme une Artémis gardienne des portes. Au fond de l’enclos se trouve un bois composé de lauriers, de cornouillers, de grands platanes, tandis que le sol est couvert de fleurs et de plantes diverses (vingt-six espèces nommées !).
44D’un point de vue quantitatif, l’une des espèces végétales le plus souvent attestée dans le cadre de l’ἄλσος est le laurier. Dans le bois des Argonautiques Orphiques, il y a « de nombreux lauriers »115 c’est encore dans un bois ombragé de lauriers que parvient Héraklès au terme de sa navigation océanique sur le « gobelet » d’Hélios116. Arrien rapporte la présence du laurier dans le bois sacré d’Apollon à Daphnè, près d’Antioche, et évoque un mythe étiologique117. Diodore évoque aussi un bois consacré aux Nymphes. Là serait né le fils d’Hermès et d’une Nymphe, Daphnis, ainsi nommé d’après l’abondance des lauriers118. C’est encore un paysage de bois ombragé par les lauriers qu’évoque un fragment du poète tragique Diogène, décrivant le culte rendu à Artémis du Tmôle par les femmes lydiennes et bactriennes119.
45Qu’il y ait une symbolique végétale nous est attesté par Pausanias lui-même qui, en décrivant les fresques de Polygnote à Delphes, repère un bois qu’il attribue à Perséphone, car il y a des peupliers noirs et des saules, conformément au texte homérique120. Mais au fil des relevés, on s’aperçoit que les divinités se partagent les diverses essences végétales. Apollon aime le cyprès, le cornouiller comme le frêne...
46Un partage plus significatif semble s’établir entre les arbres sauvages et les arbres cultivés, partage recoupant peut-être celui des arbres fruitiers et des arbres odoriférants. Evoquant la végétation du bois sacré d’Apollon, au Grynéion, Pausanias prend soin de distinguer les arbres cultivés des arbres sans fruits, agréables par leur parfum ou leur aspect121 : les deux catégories sont représentées dans le même ἄλσος. Ce mélange des espèces, du sauvage et du cultivé, apparaît sans doute de la manière la plus frappante dans le bois sacré de la Despoïna arcadienne, où, parmi d’autres arbres, se trouvent un olivier et un chêne vert qui poussent à partir de la même racine : ce n’est pas là le résultat de l’habileté de quelque cultivateur, précise Pausanias qui veut insister sur le caractère naturel de ce prodige122. Philon témoigne aussi de cette association du sauvage et du cultivé dans le paysage boisé connu sous le nom d’ἄλσoς : ἐν ἄλσει γὰρ καὶ ἀγρίας ὕληςἐστὶ καὶ ημέρου δένδρα123. Cette végétation mixte donne à l’ἄλσος une connotation négative par rapport à un verger où l’on ne cultive que les arbres fruitiers. Fleurs, feuilles et fruits se mêlent aussi dans le bois “paradisiaque” décrit par Achille Tatius124. Les “arbres cultivés” sont sans doute les arbres fruitiers, comme en témoigne Xénophon à propos de son domaine de Scillonte : autour du temple d’Artémis, il a fait planter un ἄλσος d’arbres cultivés, qui donnent des fruits comestibles ; ce domaine mêle la chasse et l’élevage, les paysages de montagnes boisées et de vergers, le cultivé et le sauvage125. Cette végétation mixte, où se mêlent le naturel et le cultivé, est à l’image de la maîtresse des lieux, Artémis, que l’on rencontre fréquemment parmi les occupants des ἄλση de la Périégèse de Pausanias. Strabon est sans doute l’auteur qui a su le mieux exprimer cette interférence étrange de deux univers, brouillant le clivage traditionnel qui organise le monde naturel, en nous rapportant les mythes relatifs aux deux bois d’Héra Argéia et d’Artémis Etolienne à l’embouchure du Pô : dans ces deux ἄλση, les bêtes sauvages s’apprivoisent d’elles-même, les cerfs vivent avec les loups dans le même troupeau et se laissent approcher par l’homme. Dans ces bois, le gibier se réfugie et fait aussitôt cesser la poursuite des chiens126.
47Toutefois, les cas où l’ἄλσος apparaît comme un jardin fruitier sont exceptionnels. A Cyrtônes, le Périégète mentionne un sanctuaire et un petit bois des Muses, où tous les arbres sont cultivés127. Un ἄλσος fruitier sera porteur de significations particulières, paysage exotique et oriental, parfois associé à Dionysos. Par exemple, dans le Bacchus de Lucien, nous avons la description d’un bois sacré en Inde, entouré d’une clôture, où se trouvent du lierre en abondance et des vignes qui répandent l’ombre : paysage dionysiaque, arrosé par les sources des Satyres, de Pan et de Silène128. Entre autres merveilles, l’Histoire d’Alexandre le Grand renferme des descriptions de bois où poussent des arbres odoriférants aux fruits variés129, L’ἄλσος est parfois proche d’un jardin fleuri130. La description que donne Sozomène du bois sacré d’Apollon à Daphnè laisse imaginer un très beau parc, planté d’arbres divers sur un parterre de fleurs131.
48L’ἄλσος est plus souvent associé à une végétation sauvage et qui ne produit pas de fruits, comme en témoignent les différentes espèces végétales énumérées par Pausanias. Non loin de Cyrtônes, selon notre auteur, se trouve une autre cité au pied de laquelle se situe un bois d’arbres non cultivés, renfermant une statue d’Hermès132.
49Pour Origène, les arbres de l’ἄλσος ne portent pas de fruit : quand on y plante des pousses, ce ne sont ni le figuier ni la vigne, mais des arbres sans fruits, qui n’ont d’autre raison d’être que le plaisir offert par leur aspect133. Théophraste apporte sur ce point une confirmation intéressante, dans un développement consacré aux différences entre les καρπίμα et les ἄκαρπα : ces derniers vi vent plus longtemps que les arbres fruitiers, de même que les arbres qui produisent peu de fruits vivent plus longtemps que ceux qui n’ont pas de fruits à cause de leur faiblesse ou de l’humidité, comme ceux qui poussent au bord de l’eau ou dans les bois, ou encore comme le laurier, à cause de sa mollesse et de l’humidité qui le pourrit134.
50L’ἄλσος, comme paysage boisé d’arbres non fruitiers, devient, dans le discours apologétique chrétien, le paradigme d’une arboriculture stérile et non productive, tout entière orientée vers le plaisir des sens, de même que certains discours ne veulent que charmer les auditeurs sans leur être utiles : « ceux qui, dans le travail de la terre, plantent seulement des bois de platanes épais et de cyprès, et négligent les blés et les vignobles, visent davantage le plaisir que la nourriture... »135. La thématique de l’ἄλσος dans le discours chrétien mériterait d’ailleurs une étude autonome. « Tu ne planteras pas n’importe quelle espèce d’arbre à côté de l’autel du Seigneur ton Dieu et tu ne feras pas un ἄλσος », écrit Origène en citant le Deutéronome136. Il est révélateur de voir que les beaux bois (καλὰ δὲ ἄλση) sont l’un des exemples choisis par Dion Chrysostome pour défendre l’idée que l’agréable n’est pas forcément utile...137.
51Une autre composante récurrente du paysage de l’ἄλσος est la présence de sources et de fontaines : les bois, les sources et les prairies verdoyantes délimitent depuis Homère le domaine de prédilection des Nymphes138. Le bois sacré des Muses dans lequel débute le roman de Longus, Daphnis et Chloè, est un lieu très boisé, fleuri, bien arrosé : une source nourrit fleurs et arbres139. Dans sa description du bois d’Apollon à Daphné, Strabon précise qu’il est arrosé par des eaux de sources140. L’expression « arrosé d’eau » (περικλυζόμενον) se rencontre d’ailleurs à plusieurs reprises pour décrire un bois141. Procope indique d’ailleurs, à propos du même sanctuaire syrien, que l’ἄλσος et les sources sont des objets de θαῦμα, d’émerveillement142. Cette association apparaît aussi dans les paysages décrits par Pausanias : il évoque, par exemple, une source d’eau froide qui jaillit du rocher et, à proximité, un sanctuaire des Nymphes et un petit bois143. Non loin de Pelléné, se trouve le sanctuaire du Mysaïon, consacré à Artémis : il renferme un bois, avec toutes sortes d’arbres et l’eau jaillit en abondance de multiples sources144. A Phigalie, Pausanias a vu le bois de chênes, la grotte et l’eau froide qui jaillit de la terre145.
52Il n’y a pas de fraîcheur véritable sans ombre : celle-ci est une composante naturelle et prévisible de ces petits massifs boisés. Le bois d’Apollon, à Daphnè, près d’Antioche, est recouvert d’un véritable plafond végétal, tant sont denses les branches et les feuilles qui s’entrecroisent : il ne laisse pas les rayons du soleil parvenir jusqu’au sol146. Le « bois ombragé » est une expression quasi-proverbiale147. L’alsine est d’ailleurs une plante qui, selon Dioscoride, se plaît dans les lieux ombragés et boisés (σκιεροὺς και άλσώδεις ϕιλεῖν τόπους)148. Cette connotation d’ombre et de fraîcheur est si forte que l’on a parfois appelé les bois sacrés “les rafraîchissants” (ψυκτήρια). Nous devons cette indication à Athénée : « Nicandre de Thyateires dit que l’on appelle ψυκτήρια les lieux boisés et ombragés dédiés aux dieux (τοὺς ἀλσώδεις καὶ συσκίους τόπους τοὺς τοῖς θεοῖς ἀνειμένους), dans lesquels il est possible de se rafraîchir»149. Eschyle et Euripide sont également cités pour appuyer cet usage150. Pour Aristote, les bois ombragés relèvent de la catégorie des lieux froids : voilà pourquoi on n’y trouve pas les cigales151.
53Lieu boisé et fleuri, frais et ombragé, traversé de ruisseaux où il fait bon se rafraîchir, peuplé d’oiseaux chantants ou de cigales mélodieuses, malgré l’assurance d’Aristote152, l’ἄλσος devient un locus amoenus, un topos littéraire dont la description se fixe autour de ces quelques traits récurrents. Si les connotations religieuses du paysage s’atténuent, voire disparaissent, c’est que l’accent est désormais mis sur l’agrément du lieu, sur le plaisir qu’il offre au promeneur avide de solitude ou au voyageur en quête de repos. Jean Chrysostome évoque ainsi l’homme qui aime la solitude, qui se met à l’ombre des arbres, dans un lieu boisé (ἔν τινι τóπῳ ἀλσώδει) et se laisse aller à méditer, bercé par le chant des oiseaux et le murmure des eaux153. Une épigramme de Satyros décrit en quatre vers les plaisirs de l’ἄλσος : beauté des lauriers, beauté de l’eau qui jaillit entre les souches, ombre dense, souffles du zéphyr ; pour les voyageurs, le bois est le meilleur secours contre la soif, la fatigue et le feu du soleil154. Les interlocuteurs des Lois de Platon évoquent aussi l’agrément des bois de cyprès, des prairies et de l’ombre des arbres, au plus fort de la canicule, pour faire des haltes fréquentes sur la route qui conduit de Cnossos à la grotte de Zeus155. Le bois sacré, au bord des routes, peut ainsi recevoir les offrandes des passants, tel l’autel des Nymphes dans le bois de peupliers, à Ithaque156.
54Le plaisir est donc une composante essentielle de la perception grecque de l’ἄλσος. Plaisir des yeux157, plaisir de l’odorat158, agrément d’un parc qui se prête aux promenades et au repos au plus fort de l’été159. La fraîcheur, l’ombre, les parfums végétaux des bois peuvent même avoir des vertus thérapeutiques, et dans le récit d’Hérodien, Commode fuit Rome, où sévit une épidémie de peste, pour se réfugier à Laurentum, à l’ombre des lauriers160. Dans les attaques menées contre la religion païenne, la critique de l’ἄλσος comme décor végétal du lieu de culte vise précisément ce plaisir des sens : il n’y a pas de bois dans l’enceinte sacrée, parce qu’un sanctuaire tourné vers la vérité ne recherche ni le plaisir ni le charme161.
55L’ἄλσος peut aussi s’intégrer dans le paysage urbain et devenir un lieu social : telle est l’Académie, aménagée par Cimon, qui, de lieu aride et desséché, devient un bois bien irrigué, avec des allées et des promenades ombragées162. Dans sa description de Rome, Strabon évoque également l’ἄλσος situé derrière le Mausolée, qui offre d’admirables promenades (περιπάτους θαυμαστοὺς ἔχον)163. Pour les Pythagoriciens, sanctuaires et bois sacrés étaient des lieux de promenades, en raison de leur beauté, de leur solitude et de leur calme164. Le roi Numa, dans la biographie de Plutarque, quitte la ville pour la solitude des bois des dieux, des prairies sacrées et des lieux déserts165. Le bois devient ainsi le cadre naturel de la narration romanesque. Achille Tatius installe Clitophon et le narrateur dans un ἄλσος où les platanes poussent drus. Une rivière froide et limpide le traverse : « L’endroit est tout à fait charmant et convient admirablement à une histoire d’amour »166. Le topos littéraire semble influer sur la perception que l’on peut avoir des bois sacrés proprement dits, qui se voient louer pour les mêmes qualités esthétiques, pour le même charme : le bois de Daphnè est agréable et tout à fait charmant, s’exclame Sozomène167.
Conclusion
56Le “bois sacré”, dans la Périégèse de Pausanias, est un objet qui relève de la curiosité touristique, du topos littéraire, et de l’archéologie religieuse, L’ἄλσος est une composante familière du paysage religieux dans la Grèce du iie siècle de n. è. Lorsque les auteurs juifs et chrétiens invitent à renverser le paganisme, ils évoquent la mutilation des bois sacrés au même titre que la destruction des temples, témoignant par là même de la diffusion importante de ce cadre cultuel. Si les bois sont régulièrement mentionnés au fil de l’itinéraire de Pausanias, il est difficile de saisir dans la description des traits spécifiques, une identité propre de ce lieu de culte. Tout nous suggère que l’ἄλσος est davantage un cadre paysager qu’une manifestation de la présence du divin, un décor végétal entourant le sanctuaire proprement dit plus qu’un lieu sacralisé dans son essence même. Rien ne permet de conclure à un culte de l’ἄλσος pour lui-même ou à un culte de l’arbre dans le cadre de l’ἄλσος. Il n’en reste pas moins que le bois correspond à une forme de sanctuaire, urbain ou extra-urbain, présentant certains critères typologiques : diversité des occupants, même si Apollon et Artémis apparaissent assez régulièrement ; enclos sacré souvent matérialisé par un mur, et régi par des règlements cultuels bien attestés pour toutes les formes de sanctuaires ; possibilité de suspendre des offrandes aux branches d’arbres ; décor boisé, mêlant les arbres sauvages et les arbres cultivés, et ne se prêtant pas à une interprétation symbolique globale, vu que l’on y trouve des paysages aussi différents qu’un bosquet d’arbres sauvages ou un parc de fleurs et d’arbres fruitiers ; présence de sources. Un thème largement récurrent est l’agrément offert par l’ἄλσος. Des Hymnes homériques aux Pères de l’Église, le bois est un lieu parfumé, ombragé et rafraîchissant. Le topos littéraire et le contexte religieux sont étroitement associés, grâce à la poésie alexandrine et au roman grec en particulier. Le plaisir des sens est un aspect important de la conscience que les Grecs ont de cette forme de paysage : l’histoire des lieux et des institutions de la vie religieuse pourrait ainsi déboucher sur une histoire de la sensibilité et de la perception culturelle de la nature.
Notes de bas de page
1 Cette enquête aurait été inconcevable sans l’utilisation du CD-ROM du Thesaurus Linguae Graecae, créé dans le cadre de l’Université d’Irvine (USA) et exploité à l’aide des logiciels Pandora 2.0 et Phrasea 1.01. Nous remercions le Prof. T. Brunner et l’équipe du TLG, E. Mylonas et C. Poveda. qui a modifié son logiciel d’analyse et recherche de données en texte intégral pour qu’il puisse s’adapter à l’alphabet grec. Nos remerciements également au Département Nouvelles Technologies de la Bibliothèque de France, dans le cadre duquel le présent travail a été rédigé sous sa forme définitive, et à Marcel Détienne qui a bien voulu lire une première version de ce texte et nous faire part de plusieurs suggestions utiles.
2 Théocrite, Idylle, I, 116-117 :
ὁ βουκόλος ὔμμιν έγώ Δάϕνις οὐκετ’ἀν’ὕλαν, ούκέτ’ἀνὰ δρυμώς, ούκ άλσεα.
Sur la différence entre ἄvλσος et ὕλη, voir L. Robert, Bulletin épigraphique, 1981, 467, § 597 : « alsos ne signifie pas une forêt, c’est un groupe d’arbres, qui peut être un bouquet d’arbres isolé dans une contrée sans arbres, juste autour d’un petit sanctuaire, et cela frappe d’autant plus... ».
3 Procope, De Bellis, I, 8, 3, 14, 2. Voir aussi Procope, De Aedificiis, III, 6, 2 : peuples sauvages qui vénèrent les bois.
4 Aristote, Histoire des Animaux, 618b, qui reprend dans le même développement cette opposition de paysages.
5 Hymne homérique à Apollon, 230. Autres exemples d’emploi parallèle des termes ὕλη et ἄλσος : Eutecnius, Paraphrasis in Nicandri theriaca, ad v. 21-34 (Gualandri, p. 23) ; Clément de Rome, Homélies, XI, 14 (éd. Rehm) ; Pausanias (III, 26,6) distingue nettement l’ἄλσος cultuel de Leuctres et une ὕλη, simple forêt ravagée par un incendie. Appien (Mithridatica, XXVII (106) (éd. Vierecket Roos), à propos du même lieu, distingue le bois sacré comme lieu cultuel de la forêt comme réserve de bois. Dans les Histoires d’Hérodote (VI, 80,4), Cléomène fait entasser de la ὕλη autour d’un ἄλσος pour mieux l’incendier. Voir aussi Nonnos, Dionysiaques, XXI, 333-336 ; Basilius, Orationes sive Exorcismi [Sp.], Patr. Gr., 31, 1681, 36.
6 Dion Chrysostome, Discours, I, 52.
7 Strabon. XVI. 1, 11.
8 Strabon, XIV, 1, 20. Sur une distinction équivalente, voir : Philon, Legum allegoriarum libri I-III, 49,6 ; Nonnos, Dionysiaques, XLIV, 99 : ἧχι Διὸς πέλεν ἄλσος ὀρειάδος ἔμπλεον ὕλης ; XIV, 211. Autre opposition entre bois sacré et forêt : Strabon, XIII, 1,51.
9 Plutarque, Sylla, XII, 3, 5.
10 Voir par exemple Philon, De Abrahamo, 138, 3 ; Jean Chrysostome, De eleemosyna [Sp.], Patr. Gr., 60, 708,61.
11 Libanius, Discours, V, 11, 4.
12 Arrien, Cynégétique, 16. 2. Les deux termes sont employés parallèlement par Moschos, Chant funèbre en l’honneur de Bion, v. 1-3 ; Jean Chrysostome, De eleemosyna [Sp.], Patr. Gr. 60, 708, 6 ; Eusèbe, Commentaire des Psaumes, Patr. Gr., 23, 221, 21.
13 Longus, Daphnis et Chloè, II, 12, 2 ; Strabon, XVI, 1, 11 ; Grégoire de Naziance. Epistulae, 1. 26. 1 ; Clément d’Alexandrie, Stromates, VII, 18, 1 11,2.
14 Procope, De Bellis, III, 17, 10.
15 Achille Τatius, Leucippe et Clitophon, I, 15, 1.
16 Grégoire de Nysse, lu Canticum canticorum (homiliae 15) (éd. Langerbeck, VI ; 282, 7) : τò δὲ κατάϕυτον καὶ συνηρεϕες τοῖς δένδροις ἄλσος παράδεισον εἴωθε καλεῖν ἡ συνήθεια.
17 Eustathe, Commentaire à l’Odyssée d’Homère, vol. 1, p. 334, 1.25 (Van der Valk).
18 Eustathe, Commentaire à l’Iliade d’Homère, vol. 4, p. 139, 1.3 sq (Van der Valk).
19 Longus, Daphnis et Chloè, II.3.5.
20 Pour une présentation générale de ce texte, voir Chr. Jacob, Paysages hantés et jardins merveilleux : la Grèce imaginaire de Pausanias, L’Ethnographie, 1980-1981, 35-67 ; Id., Voyages dans le Musée : un itinéraire archéologique dans la culture grecque. In : Claquemurer pour ainsi dire tout l’univers. La mise en exposition (dir. J. Davallon). Paris, Centre Georges Pompidou, 1986, 23-83.
21 Pausanias, II, 15, 2 et VIII, 10, 1.
22 Pausanias, II, 28, 8.
23 Pausanias, IX, 39, 4.
24 Pausanias, IX, 22, 5.
25 Pausanias, IX, 24, 5.
26 Pausanias, II, 2,4 (devant Corinthe). Voir aussi VIII, 36, 6 : le bois sacré se trouve à cinq stades de la cité ; VII, 22, 5 : à quinze stades de la cité de Phares. Pratique d’arpentage courante dans la description périégétique de l’itinéraire. Autres bois sacrés en dehors de la cité : IV, 31, 1 ; X, 38, 9.
27 Pausanias, II, 27, 7.
28 Pausanias, IX, 24, 4.
29 Pausanias, VIII. 10. 2 ; VIII, 38, 2.
30 Pausanias, VIII, 35, 6.
31 Pausanias, II, 37, 1.
32 Pausanias, II, 11, 3 ; II, 11, 4 ; VIII, 54, 5.
33 Pausanias, X, 33, 12.
34 Pausanias, VII, 5, 10 ; VII, 22, 1.
35 Pausanias, VII, 21, 11 ; VII, 24, 12 : bois sacré de Poséidon à Hélikè.
36 Pausanias, III, 22, 7 ; III, 22, 8.
37 Pausanias, II, 29, 1 ; IX, 8, 1 ; IX, 26, 6 ; X, 32, 10 ; X, 38, 8 (cité sur une montagne).
38 Pausanias, IX, 39, 2.
39 Respectivement, Pausanias, III, 4, 1 ; II, 36, 8 ; II, 27, 1 ; II, 11, 3 ; V, 10, 1 ; VIII, 37, 10. A noter que l’on ne rencontre jamais chez Pausanias l’épithète ἅγιον appliquée au bois.
40 Strabon, V, 3, 6 : bois sacré en aval de Minturnes « et vénéré au-delà de toute expression par ses habitants » ; Ibid., XVII, 1,42 : bois sacré d’Apollon en Égypte ; Plutarque, Tibérius et Gains Gracchus, XXXVIII. 3, où la mention du bois sacré intervient dans une histoire de violation d’asile ; Hésiode, Bouclier, 99 (bois sacré d’Apollon) ; Eustathe, Comm. Iliade, p. 42, 1. 17 (Van der Valk) ; Eustathe, Comm. Iliade, vol. 3, p. 401 : reprend Hérodote et la violation du bois sacré d’Eleusis incendié par Cléomène ; Denys d’Halicarnasse, Antiquités Romaines, I, 77, 1 ; Appien, Mithridatica, XXVII (106) (éd. Viereck et Roos) (bois sacré de Létô à Patare : Mithridate commence à couper les arbres du bois jusqu’à ce qu’un rêve le lui interdise) ; Apollonios de Rhodes, Argonautiques, IV, 100-123 : le bois sacré où se trouve la Toison d’or ; Anthologie Grecque, VII, 407. La seule occurrence de ἅγιον ἅλσος se trouve dans Hérodote, V, 119 : à nouveau un récit de fugitifs qui se réfugient dans un bois sacré ; Arrien, Bithynicorum fragmenta, Frg. 40 (bois sacré d’Apollon à Daphnè près d’Antioche).
41 Plutarque, Aetia Romana et Graeca, 285D, où l’expression est présentée comme l’équivalent de λούκους ; Flavius Josèphe, Antiquités Juives, X, 52 ; Diodore de Sicile, Bibliothèque Historique, IV, 84, 2 et V, 66, 1 ; Athénée, Deipnosophistes, XI, 503a (109).
42 Plutarque, Romulus, XX, 2 : τὰδ’ ἄλση λούκους ὀνομάζουσιν.
43 Respectivement, Pausanias, II, 2, 4 ; II, 11, 3 ; II, 27, 7 ; IV, 33, 4 ; V, 10. 1.
44 Pausanias, IX, 24, 5.
45 Apollonios de Rhodes, Argonautiques, IV, 1714-1716.
46 Pausanias, VIII, 31, 5.
47 Pausanias, II, 13, 3 ; IX, 24, 5.
48 Pausanias, VIII, 23, 6 : « et un temple dans cet endroit » ; X, 32, 10 ; X, 38, 9 (dans ce dernier cas, il est précisé : « un bois sacré et un temple et une statue d’Artémis dans le bois sacré »),
49 Pausanias, IX, 24, 4.
50 Pausanias, IX, 22, 5.
51 Pausanias, VIII, 38, 5.
52 Pausanias, VIII, 35, 6. Voir aussi III, 22, 8 : un sanctuaire commun à tous les dieux et autour un ἄλσος. Un bois de cyprès autour du temple de Zeus Néméen : II, 15, 2.
53 Pausanias, VIII, 54, 5 ; voir aussi VII, 27, 3.
54 Bulletin épigraphique, 1981, 468, § 597.
55 Pausanias, II, 27, 1 ; II, 30, 7, où « enclos sacré » est l’équivalent de bois ; VIII, 31, 5.
56 Pausanias, II, 27, 1 : τò δὲ ἱερόν ἄλσòς τοῦ Ἀσκληπιοῦ περιέχουσιν ὅροι πανταχόθεν.
57 Pausanias, II, 37, 1.
58 Pausanias, VIII, 37, 10.
59 Pausanias, VIII, 31, 5.
60 Pausanias, VII, 27, 3.
61 Pausanias, VIII, 37, 10.
62 Pausanias, II, 37, 1 ; II, 27, 5.
63 Hérodote, VI, 79, 10.
64 Thémistius, Πρòς τοὺς αἰτιασαμένους ἐπὶ τῷ δέξασθαι τὴν ἀρχὴν, VI. 28.
65 Strabon, XIV, 1, 5.
66 Achille Tatius. Leucippe et Clitophon, I. 15, 1.
67 Strabon, XVI, 2, 6. Voir aussi V, 3, 8. Indication sur la grandeur du bois : voir aussi Procope, De Aedificiis, II, 5, 1 ; Argonautiques Orphiques, 1193 : εὐρύ τε καὶ μέγα ἄλσος ; Hérodote, V, 119.
68 Pausanias, IX, 24, 5. Même expression en VIII, 31,5, ainsi que dans Philostrate, Vie d’Apollonios de Tyane, VI, 6, 8.
69 Pausanias, II, 11, 5.
70 Pausanias, II, 13, 4.
71 Pausanias, II, 27, 1 : Epidaure.
72 Pausanias, II, 27, 1 : Epidaure.
73 Pausanias, VII, 23, 9.
74 Pausanias, III, 22, 7.
75 Pausanias, III, 36, 6.
76 Pausanias, II, 11, 3.
77 Pausanias, VII, 27, 9.
78 Pausanias, VII, 27, 3.
79 Pausanias, IX, 25,5. Voir aussi : VIII, 31, 5 : bois interdit aux êtres humains.
80 Harpocration, Lexicon in decem oratores Atticos, s.ν. Ὀργεώνας.
81 Apollodore, Bibliothèque, I. 83, 7.
82 Lucien, Bacchus, VI.
83 Aristophane. Thesmophories, 1149-1150.
84 Diogène, Fragm. 1 (Snell, I, p. 185)(ap. Athénée, Deipnosophistes, XIV. 636ab).
85 Achille Tatius, Leucippe et Clitophon, VIII, 6, 1. Sur ce rituel d’ordalie de la virginité, voir G. Sissa, Le Corps virginal. Paris, 1987. 107-109.
86 Plutarque, Questions grecques, 300 D-F : bois et hérôon d’Eunostos, à Tanagra.
87 Dion de Pruse, Discours, I, 52-55.
88 Pausanias, II, 15, 2.
89 Pausanias, III, 13, 5.
90 Pausanias, VIII, 23, 7.
91 Hérodote, V, 119 ; VI, 75 ; VI, 78.
92 Pausanias, II, 20, 8 ; III, 4, 1.
93 Pausanias, I, 30, 4.
94 Hérodote, VII, 8,30 : temples et bois incendiés à Sardes ; voir aussi Polybe, XVI, 1,6. Sur les lois sacrées qui protégeaient parfois les arbres de l’ἄλσος et fixaient les amendes infligées à ceux qui les coupaient ou les incendiaient, voir B. Jordan et J. Perlin. On the protection of sacred groves, In : Studies presented to Sterling Dow. Duke University, Durham, 1984 (Greek, Roman and Byzantine Monograph, 10), 153-159.
95 Appien, Mithridatica, XXVII (106) (éd. Viereck et Roos).
96 Plutarque, Sylla, XII, 3, 5.
97 Clément de Rome, Epitome prior (Dressel), 1, 170, 7 ; Flavius Josèphe, Antiquités Juives, IV, 192 ; Χ, 52 ; Eusèbe, Commentaire à Isaïe, I, 90, 88 ; Ignatius, Epistulae interpolatae et epistulae suppositiciae (recensio long.), III, 3, 4 ; XIII, 4, 1 ; Septante, Paralipomenon II sive Chronicon II, XXXI, 3 ; Deutéronome, VII, 5 ; XII, 3 ; Jean Chrysostome, Synopsis scripturae sacrae [Dub.], Patr. Gr., 56, 356, 2 ; Athanase, Synopsis scripturae sacrae, Patr. Gr., 28, col. 320 et 324.
98 Strabon, IX, 2, 33 et VII. 3, 19.
99 Pausanias, IX, 24, 5.
100 Pausanias, II, 11, 5.
101 Pausanias, IV, 33, 4 (Bois Karnasios) ; II, 2, 4 (Bois Kranéion à Corinthe) ; II, 13,3 (bois d’Hébé-Ganyméda sur l’acropole de Phliasæ) ; II, 15, 2 (bois autour du temple de Zeus à Némée).
102 Pausanias, X, 38, 8 (à Oianthéia, Phocide).
103 Pausanias, I, 11,4 (sanctuaire des Semnaï) ; VIII, 37, 10 (bois sacré de Despoïna) : IX, 24, 5 (au pied de la cité de Korséia, bois avec statue d’Hermès).
104 Pausanias, VII, 5, 10 (bois d’Apollon à Colophon).
105 Pausanias, II, 37, 1 (Déméter, Dionysos) ; VII, 22, 1 : à Pharae, en Achaïe, un ἄλσος de platanes au bord d’une rivière ; certains de ces arbres ont été creusés par l’âge : on peut festoyer et même dormir à l’intérieur des trous ! Ce bois ne semble pas avoir de fonction religieuse.
106 Pausanias, VIII, 54, 5 (route d’Argos à Tégée : ἄλσος de Déméter).
107 Pausanias, III, 13, 5 (bois sacré d’Apollon sur l’Ida ; les Grecs auraient utilisé ce bois de cornouiller pour construire le cheval de Troie).
108 Pausanias, VII, 22, 5 (bois des Dioscures à Pharae).
109 Pausanias, VIII, 37, 10.
110 Pausanias, II, 13, 4 ; III, 26, 5 ; VII, 24, 12 ; VII, 27, 9 ; VIII, 31, 5 ; VIII, 38, 5 ; VIII, 35, 6.
111 Pausanias, I, 21, 7 ; VIII, 37, 10 ; IX, 24, 4.
112 Cyprès dans un bois appelé Ortygia, près d’Ephèse, traversé par une rivière dans laquelle Létô se serait baignée après ses couches : Strabon, XIV, 1, 20 ; dans le bois d’Apollon à Daphnè, près d’Antioche : Sozomène, Historia ecclesiastica, I, 5, 19, 5 ; frênes dans les bois d’Apollon à Claros : Nicandre, fragm. 31, 2 ; platanes : Hérodote, V, 119 ; Achille Tatius, Leucippe et Clitophon, I, 2, 3 ; Anthologie Grecque, IX, 669, 1-3 (sans contexte religieux) ; platanes et peupliers noirs : Thémistius, Περὶ τοῦ μὴ δεῖν τοῖς τόποις ἀλλὰ τοῖς ἀνδράσι προσέχειν, 339b (ἄλσος sans contexte religieux) ; platanes et cyprès : Thémistius, Ἐπιτάϕιος ἐπὶ τῷ πατρί, 237c (ἄλσος sans contexte religieux) ; chêne : bois sacré d’Arès ; Aiétès suspend la toison d’or à un chêne : Apollodore, Bibliothèque, I, 83, 7 ; peupliers noirs : Homère, Odyssée, VI, 291-292 : bois d’Athéna ; Odyssée, XVII, 208 : à Ithaque, bois avec autel des Muses ; palmiers : Strabon, XIV, 1, 35 : bois de palmiers sur l’île de Chios, mentionné avec un temple d’Apollon ; XVI, 4, 18 : en Arabie, d’après le périple de Diodore (le contexte n’est pas explicitement religieux) ; Plutarque, Artaxerxès, XVIII, 8 : un ἄλσος « merveilleux » de palmiers pousse sur la tombe de Cléarque ; Grégoire de Nysse, De vita Mosis, I, 34 ; olivier : Grégoire de Naziance, Carmina moralia, p. 630, 1 (sans référence religieuse explicite).
113 Callimaque. Hymne à Déméter, VI. 25.
114 Argonautiques Orphiques, 911 sqq.
115 Argonautiques Orphiques, 911-913. Voir aussi Anthologie Grecque, X, 13, 2 ; Histoire d’Alexandre le Grand, recension L, I, 37, 25 ; Arrien, Anabased’Alexandre, V, 2,5 ; Thémistius, Περὶ Φιλίας, 280d.
116 Stésichore, Frg. 185 Page (ap. Athénée, Deipnosophistes, XI, 469e).
117 Arrien, Bithynicorum fragmenta, Frg 40.
118 Diodore de Sicile, Bibliothèque Historique, IV, 84, 2. On notera que Daphnis est le nom de l’un des bouviers de Théocrite, qui hante forêts, vallons et ἄλσεα (Idylles, I, 116-117).
119 Diogène, Frg. 1, v. 8 Snell (ap Athénée, Deipnosophistes, XIV, 636a).
120 Pausanias, X, 30, 6.
121 Pausanias, I, 21, 7.
122 Pausanias, VIII, 37, 10.
123 Philon, Legum allegoriarum libri I-III, I, 49, 5 ; voir aussi : De specialibus legibus, I, 74, 1 : Philon explique pourquoi il n’y a pas d’ἄλσος dans l’enceinte du temple et justifie l’absence d’arbres sauvages, « fardeau de la terre » et d’arbres cultivés.
124 Achille Tatius, Leucippe et Clitophon, I, 15, 1.
125 Xénophon, Anabase, V, 3, 12.
126 Strabon, V, 1, 9.
127 Pausanias, IX, 24, 4 : ἥμερα δὲ ὁμοίως πάντα ἐν τῷ ἄλσει δένδρα.
128 Lucien, Bacchus, VI.
129 Histoire d’Alexandre le Grand, Recension L, I, 46, 8 ; I, 35, 1 (éd. Van Thiel, Bonn, 1959).
130 Aristophane, Grenouilles, 441-442 ; Achille Tatius, Leucippe et Clitophon, I, 15, 6 ; Longus. Daphnis et Chloè, I, 1, 1 ; Anthologie Grecque, XII, 256, v. 12.
131 Sozomène, Histoire Ecclésiastique, V, 19, 5.
132 Pausanias, IX, 24, 5 : δένδρων ἄλσος οὐχ ἡμέρων πρῖνοι τὸ πολύ εἰσιν.
133 Origène, In Jeremiam (homiliae 1-11), 4, 4, 42.
134 Théophraste, Sur les causes des plantes, II, 11, 1.
135 Themistius, Ἐπι τάϕιος επὶ τῷ πατρί, 237c, 10 : τοὺς τὰ ἄλση μόνα ϕυτευομένους πλατάνων άμϕιλαϕῶν ἢ κυπαρίττων, πυρῶν δὲ καὶ ἐμπέλων ἐξαμελοῦντας, πλέον στοχάζεσθαι τέρψεως ἢ τροϕῆς.
136 Origène, In Jeremiam (homiliae 1 -11), 4, 4, 42. Développement comparable dans Philon, Legum allegoriarum I-III, I, 48 : pourquoi, alors qu’il est saint d’imiter les œuvres de Dieu et que Dieu a planté le paradis, est-il interdit de planter un ἄλσος à côté de l’autel ? Voir aussi ibid., I, 49. Voir Septante, Deutéronome, XVI, 21.
137 Dion Chrysostome, Discours, III, 93.
138 Homère, Iliade, XX, 8 ; Hymne homérique à Aphrodite, 97-99.
139 Longus, Daphnis et Chloè, I, 1, 1. Autre bois sacré romanesque mêlant arbres, fleurs et eau reflétant le tout : Achille Tatius, Leucippe et Clitophon, I, 15, 7. On trouve trois sources dans le bois dionysiaque décrit par Lucien, Bacchus, VI, 9. Tableau représentant un ἄλσος autour d’une source : Philostrate le Jeune, Imagines, III. 1. Sur le rôle nourricier de la source dans l’ἄλσος, voir aussi Platon, Lois, VI, 761c et les commentaires de Grégoire de Nysse, In Canticum canticorum, VI. 275, 9, Procope, De œdiftciis, II, 5, 10 : sources d’eau potable et bois planté d’arbres qui montent jusqu’au ciel.
140 Strabon, XVI, 2, 6.
141 Athénée, Deipnosophistes, XII, 542a (59).
142 Procope, De Bellis, II, 11, 5.
143 Pausanias, IX, 24, 5.
144 Pausanias, VII, 27, 9. Voir aussi III, 22, 8 ; IV, 31, 1 ; IV, 33, 4.
145 Pausanias, VIII, 42, 12.
146 Sozomène, Histoire Ecclésiastique, V, 19, 5.
147 Homère, Odyssée, XX, 278 ; Hymne homérique à Aphrodite, v. 20 ; Stésichore, Frg. S17, 8 ; 8, 5 ; Théognis, Elégies, II, 1252 ; Eschyle, Fragm. Tetralog. 1l, Frg. 103, 7 : Apollonios de Rhodes, Argonautiques, II, 404 ; IV, 1715 ; Argonautiques Orphiques, 912 ; Théocrite, Idylles, II, 1252 ; Phanocles, Fragments, 3 ; Athénée, Deipnosophistes, XI, 469f (38) ; Grégoire de Naziance, Carmina Moralia, p. 755, 13 ; p. 765, 12 ; Clément de Rome, Homélies, XI. 14 (éd. Rehm) ; Nonnos, Dionysiaques, XIII, 399.
148 Dioscoride, De materia medica, IV, 86, 1.
149 Athénée, Deipnosophistes, XI, 503a (109).
150 Eschyle, Neaniskoi, Frg. 146 ; Euripide, Phaéton, Frg. 782.
151 Aristote, Histoire des animaux, I Bekker 556a.
152 Grégoire de Naziance, Carmina Moralia, p. 756, 9.
153 Jean Chrysostome, In saltationem Herodiadis, 59, 521. Même thème de la méditation solitaire dans le bois ombragé chez Grégoire de Naziance, Carmina Moralia, p. 755, 13.
154 Anthologie Grecque, X, 13, 2 ; variante sur le même thème du bois comme providence du voyageur : ibid., IX, 669.
155 Platon, Lois, I, 625b.
156 Homère, Odyssée, XVII, 208-211.
157 Strabon, III, 2, 3 ; Achille Tatius, Leucippe et Clitophon, I, 15, 1.
158 Pausanias, I, 21, 7.
159 Pausanias, VII, 21. 11 ; Flavius Josèphe, Antiquités Juives, VIII, 138
160 Hérodien, Ab excessu divi Marci, I, 12, 2.
161 Philon, De specialibus Legibus, I, 74.
162 Plutarque, Cimon, XIII, 7.
163 Strabon, V, 3, 8.
164 Porphyre, Pythagore. I, 32 ; lamblique, De vita pythagorica, I, 96.
165 Plutarque, Numa, IV, 1.
166 Achille Tatius, Leucippe et Clitophon, I, 2, 3.
167 Sozomène, Histoire ecclésiastique, V, 19, 5.
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