9ème Lettre
p. 79-86
Texte intégral
1Toulouse le 8 mars 1788
2Monseigneur,
3Je n’avois besoin de personne pour faire ma visite au prince des apôtres, mais j’étois bien aise d’être accompagné pour voir la bibliothèque du Vatican, le musée et l’appartement du pape. Parmi ceux qui nous étoient affectionés nous pouvions compter le secrétaire1 du Cardinal Bibliothécaire. Ce monsieur porta jusqu’à l’excès la complaisance pour nous. Nous vîmes dans le plus grand détail tout ce que nous voulûmes voir. Nous nous contentâmes de jetter un coup d’œil sur l’extérieur des appartemens ; sur quelques coridors2 qui conservent encore des peintures assez fraîches. Nous examinâmes les aboutissans du palais, d’un côté à l’église de St Pierre et de l’autre au château St Ange ; nous vîmes de quelle manière on adapte des chambres à l’usage des cardinaux pendant le tems du conclave3. Je ne sais trop comment certains conclavistes peuvent s’y trouver à leur aise. Les jardins du Vatican sont beaux et bien tenus. Le terrein est irrégulier, je ne fus pas curieux d’y entrer. La seule chose qui m’intéressoit m’occupa.
4J’allai vers la bibliothèque ; les avenues ne m’en parurent pas majestueuses. Le salon4 qui la précède est orné des portraits des cardinaux bibliothécaires. Son vaisseau annonce et l’art et le bon goût. Elle a tout au plus soixante-dix pieds de long sur trente-cinq de large ; elle est haute de vingt-quatre pieds. Au reste je ne détermine ses proportions qu’après six mois, et je vois le Vatican à la distance de trois cent[s] lieues, ainsi je pourrois bien me tromper. Ce vaisseau faisoit autre fois toute la bibliothèque, mais la riche collection des manuscrits et des imprimés du Vatican s’étend beaucoup plus aujourd’huy et l’accessoire est devenu plus grand que le principal. Ce principal, tout petit qu’il est, est bien précieux. Les grandes armoires dont il est garni même au tour des piliers sont remplies d’excellens ouvrages, et le reste des murailles est couvert d’excellentes peintures à fresque, dont tout le coloris a la fraîcheur de la nouveauté. A la droite on a représenté les Conciles Généraux, à gauche les bibliothèques de l’antiquité. On est surpris lorsqu’on apprend que ces ouvrages sont dus aux soins de l’immortel Sixte-Quint. On ne peut s’empêcher d’admirer la solidité, la beauté, l’utilité de ses entreprises, et comment il a pu se porter à tout dans le peu de tems qu’il a régné.
5Des plaisans disent qu’il faut faire un acte de foi sur cette bibliothèque, parce qu’on n’y voit pas de livres. S’ils avoient eu le tems de les voir ou si l’on avoit cru devoir les leur montrer, ils auroient pu certifier comme nous que ces armoires sont pleines d’excellens ouvrages qu’on tient dans le meilleur ordre, et qu’on préfère la conservation de plusieurs manuscrits ou imprimés qui paroissent essentiels au vain étalage d’une longue suite de reliures1 qui satisfairoient l’œil du curieux. J’ai vu entr’autres ouvrages ceux de Virgile5 et de Dante, d’écriture de main, enjolivée de mignatures. J’ai remarqué que l’Enéide commence par ces mots arma virumque cano. J’etois libre de voir et de revoir ; mais nous ne voulûmes point abuser de la complaisance du secrétaire.
6Nous passâmes dans un coridor6 le plus long que j’aie vu. Nous y remarquâmes des deux côtés une longue suite d’armoires qu’on achevoit de remplir de livres. Dans le fond, l’œil appercevoit à peine des salons après lesquels on voyoit une porte de fer7 qui communique au musée. Nous laissâmes ce coridor à notre droite pour entrer à la gauche dans deux petits salons, dont l’un renferme plusieurs instrumens qui servoient à différens cultes8 et l’autre de papyrus9 et de très an riens papiers manuscrits qu’on a mis sous des glaces. Il est peu de morceaux plus agréables, plus riches que cette pièce. Elle est toute composée en marbre violet jaspé et verd antique ; à l’autre extrémité de ce même coridor sont encore deux salions, l’un d’antiquité, l’autre de pierres précieuses10. Il y a dans celle-ci [sic] des beautés qu’on ne rencontre pas une part tant en vases qu’en colonnes.
7Il fallut revenir sur nos pas pour aller au musée. Le directeur ne se trouvoit pas de ce côté. Je revis donc pour la seconde fois ce long coridor mis en bibliothèque, et j’eus véritablement de la peine de voir qu’on fût tellement borné par le terrein qu’il fût impossible de réunir dans un seul lieu convenable le plus précieux dépôt dont les lettres pussent se vanter. Un jour peut-être quelque pontife pourra trouver quelque ressource pour rendre la bibliothèque du Vatican aussi parfaite que l’église de St Pierre. La bibliothèque Angélique chez les Augustins, la Casanate à la Minerve, sont dignes d’être vues. Plusieurs communautés et plusieurs particuliers en ont de très jolies ; mais pas une n’a la gloire du nombre et du choix comme celle du pape.
8Nous arrivâmes au musée par un coridor parallèle à celui de la bibliothèque. Il devoit paroître il y a quelques années fort inutile et ridicule ; mais on saura bien le rendre agréable et instructif, car on incorpore, par ordre du pape, dans ses murailles tout ce qu’on trouve d’inscriptions anciennes. Ce sera une espèce de prélude à la belle collection de sculpture11 qu’on augmente tous les jours ; car le pape fait recueillir plusieurs excellens morceaux répandus dans l’Italie et dans Rome même12. Le tombeau d’Hélène13, mère de Constantin, vient d’être transporté du cloître de St Jean de Latran. Les cendres14 de cette princesse n’étoient plus dans le lieu de leur repos, et ses marbres rouges étoient sans honneur. On y a peut-être porté depuis mon départ un excellent morceau de sculpture du temps de Domitien qui etoit exposé aux insultes des passans sur la place de Monte-Citorio15. Ainsi les curieux n’auront pas besoin de chercher les beautés de Rome dans tous les coins ; ils verront plusieurs excellens morceaux rassemblés et classés dans différentes salles contiguës.
9Nous avons vu tout ce qu’on pouvoit y voir ; plusieurs parties dans toute leur perfection. Ce sont diverses statues antiques de divers marbre, des animaux, des vases16 placés2 dans des lieux faits exprès. La peinture moderne qui décore le plafond est digne de ce monument, que Pie VI laissera à la postérité savante. Elle est de l’invention et de l’exécution du fameaux Men[g]s. On fabrique dans les atteliers contigus à ce musée plusieurs morceaux qui doivent l’enrichir. On s’occupoit d’un bassin immense de granite à peu près de neuf pieds de diamettre17. L’antique et le moderne inviteront les curieux, ceux-là seront cependant toujours plus respectés. Pourquoy borner les hommages qu’on leur rend à leurs chef-d’oeuvres de pierre, pourquoy ne pas les imiter dans leurs vertus ?
10Assez près du Vatican, derrière l’église de St Pierre, on voit la belle manufacture d’ouvrages en mosaïque18. On vient de bâtir exprès un endroit commode ; le déplacement des matières destinées à la composition de ces travaux a suspendu quelque tems l’activité de cette fabrique. Elle venoit de se ranimer lorsque nous y allâmes ; on y travailloit deux q[u]adrans, l’un à la françoise, l’autre à l’italienne pour être placés aux deux extrémités de la façade de St Pierre ; on y copioit aussi un tableau de sept pieds qui représente la Sainte Famille. La copie devoit surpasser le modèle. Cette pièce étoit demandée de Florence. On ne peut se figurer, en voyant les petits morceaux destinés au tableau, qu’ils puissent représenter si bien les carnations, les nuances, les ombres. C’est de cet établissement que sont sortis les grands tableaux qui font si bien dans l’église du Vatican. On ne peut concevoir comment ces morceaux de pierre, qui n’ont aucune valeur d’eux-mêmes, peuvent faire des ouvrages si précieux. On est étourdi lorsqu’on entend demander cent sequins, c’est-à-dire plus de cent pistoles, d’un assez petit tableau. Il vous seroit facile de faire concevoir et la nature de la chose et son prix en faisant voir le tableau que vous avez dans votre chambre à coucher au château de Mercuès, et qui représente une tête de St Jean l’évangéliste.
11Le pape entretient les ouvriers de cette maison lorsqu’ils n’ont pas d’ouvrage de commande. Il s’assure par là des hommes précieux aux arts et les curieux pourront trouver dans la suite des ouvrages tous [sic] prêts, si les talens de ces hommes industrieux sont encouragés. C’est le seul endroit auprès du Vatican dans lequel on travaille pour le public dans le genre des arts agréables ; car s’il étoit question des arts de la première nécessité, on trouverait d’excellentes ressources dans la boulangerie du pape. La Calcographie19 apostolique est excellente. Elle est, ainsi que l’imprimerie, dans une autre partie de Rome, près la fontaine de Trevi. On trouve dans celle-là toutes sortes de gravures propres à l’histoire, une suite de tous les souverains d’Europe, plusieurs de généraux d’ordre et d’hommes illustres. Celle-ci travaille sur un nombre prodigieux de caractères de toutes les langues connues. Le plus bel ouvrage que j’aie vu sortir de sa presse fut imprimé au sujet du mariage de Madame Clotilde de France20. On avoit exécuté un épitalame à la gloire du Prince son beau-père21 dans autant de langues différentes que de ville[s] de sa domination, je crois qu’il y en avoit 32. J’ai vu dans ce voyage ces presses admirables qui s’expriment sous tant des formes. Rome est donc la seule chez qui les arts qui parlent aux yeux se montrent avec plus de distinction. Elle anime le ciseau pour animer le marbre, elle emploie le pinceau lorsqu’elle veut peindre : maîtresse de le quitter lorsqu’elle le voudra, elle substituera, si elle veut, pour faire ses fonctions, les pierres, les coquillages, les sables. Elle possède elle seule ce qu’on ne trouve qu’en partie chez les autres nations, et ce qu’elle offre en détail est au-dessus de tout ce que les autres peuvent représenter en général.
12Un homme de lettres sans connaissance et sans ressource aura l’usage de tous les livres qu’il voudra. Les bibliothèques lui sont toujours ouvertes, non seulement dans tous les monastères et chez certains cardinaux, mais encore chez plusieurs prélats et plusieurs orateurs. L’artiste trouvera plusieurs fois même dans chaque rue des maisons honnêtes qui se feront gloire de le laisser jouir de la vue de quelque bon morceau pour le copier et l’émulation appellera toujours de tous les coins de l’Europe ceux qui voudront se distinguer dans les arts. Rome seule a plus d’anciens obélisques que tout l’univers.3 Ses colonnes Trajane et Antonine sont des morceaux supérieurs. La nature lui a donné les plus fécondes sources, l’art s’est réuni pour rendre ses fontaines les plus parfaites du monde. Celles de Trevi, de Montorio et de la place Navone sont très belles, lorsqu’on les voit d’après le burin ; mais elles sont plus belles encore lorsqu’on les voit au naturel. Presque tous les quartiers de la ville ont des jolis morceaux, ils sont tous bien arrosés ; un curieux a de quoi se distraire, il est plusieurs objets qu’il peut voir plusieurs jours sans que personne puisse le trouver mauvais. On aime ordinairement à les lui indiquer avant qu’il les cherche. Voilà, Monseigneur, bien du beau dans le profane. Je cours vite à la fin pour arriver au sacré. J’ai l’honneur d’être etc.
Notes de bas de page
1 Domenico Calebrisi. Cfr. J. Bignami Odier, La Bibliothèque Vaticane de Sixte V à Pie XI, Città del Vaticano 1973.
2 Si riferisce alle gallerie della Biblioteca. Cfr. C. Pietrangeli, I Musei Vaticani al tempo di Pio VI, in Rendiconti della Pontificia Accademia Romana di Archeologia, XLIX, 1976-77, pp. 195-223.
3 Cfr. F. Ehrle-H. Egger, Die Conclavepläne, Città del Vaticano 1933.
4 Riferimento alla sala degli scrittori. I plutei, sui quali erano incatenati i manoscritti, erano in numero di 77 ed occupavano, a gruppi di sette, tutto lo spazio delle due navate. Cfr. J. Ruysschaert, La Biblioteca Apostolica Vaticana, in Il Vaticano e Roma cristiana, Città del Vaticano 1975, pp. 307-333.
5 Probabilmente il Virgilio vaticano del V sec., ricco di miniature.
6 L’antico ‘corridore della Libreria’, oggi diviso tra la Galleria Lapidaria e il Museo Chiaramonti.
7 La porta è su disegno di D. Fontana.
8 Il Museo Sacro della Biblioteca, creato da Benedetto XIV nel 1756. Cfr. G. Morello, Il museo cristiano di Benedetto XIV, in Boll. dei Musei Vaticani, Città del Vaticano 1981, p. 53 sgg.
9 La Sala dei Papiri, adiacente al Museo Sacro, è stata affrescata tra il 1773 e il 1775 dal Mengs e dall’Unterberger.
10 Riferimento alla raccolta lapidaria iniziata fin dal tempo di Benedetto XIV, che costituisce l’attuale Museo Chiaramonti.
11 Si tratta della Galleria delle Statue. Sotto Clemente XIV la Loggia del Belvedere fu trasformata in galleria di scultura. Pio VI la ampliò nel 1776.
12 Fino al 1770 non esisteva in Vaticano un vero e proprio museo; Pio VI, come già Clemente XIV, avendo incrementato attraverso acquisti e scavi la raccolta vaticana di antichità, adattò alcuni locali e ne costruì di nuovi per quello che costituirà il Museo Pio dementino.
13 Il sarcofago di s. Elena si trova attualmente al Museo Pio dementino. Nel momento in cui fu trasferito dalla basilica Lateranense al Vaticano, sotto Pio VI, esso fu affidato ad una équipe di 25 restauratori, i quali vi lavorarono 9 anni (1778-1787). Cfr. Cabrol-Leclerq, Dictionnaire d’archéologie chrétienne, Paris 1925, p. 2138 sgg.
14 Alcune reliquie di S. Elena si trovano nella chiesa dell’Aracoeli.
15 La base della colonna di Antonino Pio, tornata alla luce nel 1703 nel giardino dei Signori della Missione, presso Montecitorio, fu collocata per ordine di Benedetto XIV sulla piazza di Montecitorio. Per ordine di Pio VI fu portata in Vaticano, dove ebbe varie collocazioni. Cfr. C. Pietrangeli, La base della colonna di Antonino Pio, in L’Urbe, 1982, pp. 11-13.
16 L’autore si riferisce alla Galleria dei Candelabri, allora detta ‘dei vasi e candelabri’ o ‘delle miscellanee’.
17 Si riferisce forse alla colossale tazza monolitica (m. 13 di circonferenza) di porfido (e non di granito), che è stata collocata nel 1792 al centro della Sala Rotonda.
18 Lo Studio del Mosaico, istituito nel 1727, esiste ancor oggi alle dipendenze della Fabbrica di S. Pietro. Cfr. A. Busiri Vici, Roma. Il celebre Studio del Mosaico della Rev. Fabbrica di S. Pietro, Roma 1901 ; L. Hautecoeur, I mosaicisti sanpietrini del Settecento, in L’Arte, 13, 1910, pp. 450-460 ; D. Petochi-M. Alfieri-M. G. Branchetti, I mosaici minuti romani, Roma 1981.
19 La Calcografia Camerale romana fu istituita da Clemente XII nel 1739. Cfr. E. Ovidi, La calcografia romana e l’arte dell’incisione in Italia, Roma-Milano 1955 ; L. Salerno, La calcografia nazionale, in Musei e Gallerie d’Italia, 39, 1969, pp. 37-48.
20 Maria Adelaide Clotilde di Francia (1759-1802), sorella di Luigi XVI, andò sposa a Carlo Emanuele di Savoia, principe di Piemonte, poi re di Sardegna.
21 Vittorio Amedeo III, re di Sardegna (1726-1796).
Notes de fin
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