1re Lettre
p. 27-33
Texte intégral
1Larose le 17 novembre 1787
2Monseigneur,
3vous savez les motifs de mon voyage en Italie, avant de vous donner mon Journal il me paroît convenable de communiquer à Votre Grandeur les préliminaires de mon départ, et lorsque j’aurai exécuté mon dessein, je serai à même de vous faire passer tous les quinze jours une lettre qui vous fera part de tout ce que j’ai remarqué. Vous n’exigez pas de moi un détail historique de l’Italie. Vous connoissez des auteurs à qui presque rien n’a échappé. Ce sont mes avantures et mes réflexions que vous désirez de savoir. Je serai fidèle à vous rendre compte de tout, en me retraçant à moi-même le voyage le plus instructif et le plus agréable que j’aie fait.
4Il y avoit un an que j’avois pris mes arrangemens avec notre respectable Général1. Deux eclésiastiques de Bordeaux, l’un directeur du petit séminaire, l’autre, chanoine semiprébendé de la collégiale, m’avoient donné leur parole depuis six mois, et devoient se rendre ici le dix-huit juillet afin de se trouver aux thèses que cinq de vos diocésains devoient soutenir en présence de messieurs les curés et autres eclésiastiques des environs. Cette assemblée devoit m’aider à célébrer les premières vêpres de St Vincent de Paul et passer avec nous le jour de la fête2. Le chanoine devoit prêcher le panégyrique, et nous devions partir le jour même à cinq heures du soir pour nous rendre à Valence3 par des chemins de traverse, afin d’en partir dès la pointe du jour.
5Tout arriva comme je l’avois projette. Le plus ancien d’entre messieurs les curés fit l’ouverture et celui de notre parroisse la clôture. On permit de faire argumenter deux élèves pour et contre les idées innées. Chacun soutint dans le second assaut le contraire de ce qu’il avoit défendu dans le premier et l’un d’eux conclut d’après l’événement qu’il arrivoit quelquefois que deux opinions contradictoires pouvoient se deffendre avec le même succès et que les docteurs dont on apportoit l’autorité ne décidoient que les vérités qu’on présupposoit dans la dispute. On applaudit à ce coup d’essai et l’acte fut terminé par une invitation à la fête de St Vincent de Paul. Nous passâmes du lycée au sanctuaire et après que notre esprit et notre corps y eurent fait leurs fonctions nous allâmes prendre un repas dont la Providence avoit fait presque tous les fraix.
6Je ne pouvois pas me donner le ton de mettre un surtout sur table. J’avois cependant besoin de remplir un vuide assez considérable. J’imaginai de préparer un caisson ouvert, dans lequel nous arrangeâmes plusieurs grandes thèses que nous avions destinées pour les convives. Nous en fîmes des rouleaux qui furent pyramidés par des fleurs. Notre fête fut assez modeste pour y appeller un de nos confrères qui après avoir servi plus de soixante ans dans votre diocèse et dans celui-ci, jouit d’un repos que ses longs travaux et son âge lui ont mérité. Les voisins de votre château auraient été surpris de la beauté des fruits qui firent honneur à notre dessert et Madame la Marquise aurait aperçu dans les étiquettes du vin qu’on nous servit de quoi s’amuser, comme elle le fait quelquefois à l’arrivée de Mercure4. On avoit attaché à chaque bouteille un petit rouleau. Dans le premier étoit écrit un madrigal, dans le second un[e] énigme, dans le troisième une charade, et dans le quatrième un longogryphe. Les voici. Vous trouverez dans une autre1 lettre ce que l’on entendoit par ces petites rimes : en voici une copie fidèle.
Madrigal
J’ai pris naissance au-delà du tropique ;
porté, puis raporté des isles d’Amérique,
je devois être bu par un prince du sang,
mais un mortel du plus bas rang
me jetta dans le coin d’une vieille boutique
où je fus reconnu par un moine mystique
qui me rendit l’honneur dont j’étois dépouillé,
échapé du manoir, où j’eusse été souillé
je viens pour honorer votre fête comune,
profitez, chers amis, de la bonne fortune.
Énigme
Mon nom ne manque pas de lustre ;
un Concile, et des Empereurs,
un lac, une Cité, la vertu des grands cœurs
pourront toujours le rendre illustre.
Charade
Je suis dans la France, un Duché,
dans l’hébreu, je suppose un père
de mon premier, voilà tout le Mystère
et mon second ne peut être caché.
Je suis pris à la letre au moulin, au ménage,
l’école au figuré peut me metre en usage.
Si p[ou]r me deviner vous êtes aux abois,
lecteur, laissez mon nom, gouttez-moi plusieurs fois.
Logogryphe
Retournez-moi latins, je donne des étrennes,
disséquez-moi françois et, p[ou]r prix de vos peines,
je vous donne le point sur qui tout doit rouler
je sépare et j’unis lorsque je fais parler :
voilà deux fois ce qui fait tout mon être
Si vous voulez encore mieux me connoître
je dirai que je suis l’ancien nectar des dieux
j’en dis assez et ne veux dire mieux.5
7Notre réfectoire ne manqua pas des convives le lendemain, et notre église fut fréquentée par plusieurs personnes dévotes ; St Vincent fut mieux célébré dans le chœur et2 la chaire qu’il ne le fut à table.
8Nous partîmes précisément à cinq heures du soir comme nous l’avions projetté, nous arrivâmes à trois heures du matin à Valence et au lieu de prendre notre route par Toulouse et Béziers,6 nous passâmes pour des bonnes raisons par Montauban7 et Castres.8 J’aurois à dire bien des choses sur la superbe place du Peyrou,9 la merveille de Montpellier, un des plus beaux points de vue du monde.
9Je ne dis rien des arènes, de la maison quarrée, et de la fontaine de Nîmes. Je passe sous silence les fontaines et les promenades d’Aix, vous connoissez tout cela ; c’est vers l’Italie qu’il faut m’acheminer.
10Votre Grandeur me permettra cependant de m’arrêter un instant à Fréjus. Je voulois y faire des observations de mon état, j’avois ouï dire plusieurs fois à nos naturalistes que la mer avoit occupé toutes les parties de notre continent. Ils ne se contentoient pas de donner leur opinion comme vraisemblable, ils prétendoient en venir jusqu’à la démonstration. Ils partoient des lieux les plus éloignés de la mer, dans lesquels l’on trouve des formes de coquillages et des poissons pétrifiés, et comme ils ne pouvoient en deviner les causes, la mer, disoient-ils, possédoit autrefois les lieux qui fixent nos regards. Ce n’est qu’après une longue progression de tems qu’elle s’est éloignée. Ils appelloient au tems auquel Fréjus étoit battu par les eaux de la mer, et disoient : il a fallu cinq cens ans afin que la mer s’éloignât de cette ville de deux lieues ; il en a donc fallu vingt mille pour s’éloigner autant qu’elle l’a fait du lieu que nous fixons, donc le monde a plus de six mille ans ; donc le récit de la Genèse est faux, donc etc., donc etc.
11Je n’avois jamois été frappé de leur raisonnement et j’imaginois que je pourrois expliquer les causes naturelles de l’éloignement successif des eaux de la mer plus facilement que nos naturalistes ne peuvent expliquer les pétrifications en voulant contester le déluge universel. J’examinai le terrein et je m’aperçus que les pointes de deux montagnes, au milieu desquelles se trouve Fréjus, prenoient les bords de la mer et faisoient comme l’extrémité d’un arc dont3 cette ville détermine le milieu. J’appris des habitans du pays que la rivière d’Argens10 avoit opposé4 peu à peu une digue à la mer en charriant une grande quantité de pierres et de sable, ainsi qu’il arrive dans plusieurs ports ; ainsi la mer ne s’est pas retirée d’elle-même. Je continuai mon chemin et je vis sur le bord de Cannes, petit lieu situé sur la même ligne que Fréjus, que la mer, au lieu de se retirer dans le sens de nos naturalistes, creuse toujours dans un sens contraire et qu’il n’est pas une bonne femme dans ce païs qui ne le certifiât à Messieurs B. et C. ; donc on écrit avec des renseignements évidemment faux.
12Je ne sçais pourquoi ceux qui répondent à ces Messieurs négligeroient une solution aussi facile, et puisqu’on nous trompe sur des faits incontestables qu’on peut vérifier dans notre France merite-t-on beaucoup d’être cru sur tant d’expériences et tant de témoignages qu’on ose nous porter des régions lointaines ?
13Après avoir fait mes observations, je partis pour aller coucher au milieu d’un bois sur la montagne de l’Estrel, dans une auberge isolée, mais gardée par quelques archers de la Maréchaussée qui veilloient par ordre du gouvernement à la sûreté des voyageurs qui revenoient de la foire de Beaucaire11. Nous logeâmes le lendemain à l’Aigle d’or, le meilleur hôtel d’Antibes12. Le maître de cette maison facilite tous les moyens pour les divers embarquements. Il indique des felouques pour toute la coste de Gênes, pour Livourne, Civita-vecchia et le Royaume de Naples ; des commodités pour les isles de Sardaigne, de Corse et de Malthe. C’est le port le plus fréquenté par les petites barques qui portent les lettres du Levant. Il a quelque défense, mais la ville qu’on a nommée Antipolis, pour signifier qu’on veut l’opposer à Nice, qu’elle voit en perspective, n’a d’autre rivalité que son nom.
14Nous demandâmes une felouque pour nous rendre seulement à Gênes, douze homme pour nous conduire et une place suffisante pour notre voiture. Nous fûmes d’accord pour cinq louis. Nous serions partis dès le même jour, mais un jeune négotiant de Marseille, qui devoit nous servir d’interprète et qui devoit partir avec nous, vouloit voir Nice. Nous fîmes donc encore quatre lieues par terre afin de nous embarquer tous ensemble. Nous craignions plus de passer le Var13 que de nous mettre en pleine mer, mais le fleuve étoit extrêmement maigre. Les trois quarts de son lit étoient à sec ; il étoit divisé en dix petits torrents. Aussitôt que nous passâmes des hommes vinrent de l’autre bord afin de nous guider. Le gué change tellement que les postillons les plus pratiques ne se hazardent pas. Les indigènes qui nous dirigeoient5 avoient constament les yeux sur nos cochers, de crainte qu’ils ne suivissent pas la route des premières voitures. Après qu’ils eurent fait leur commission, nous dîmes adieu aux bords de la Provence afin d’errer pendant deux mois et demi dans les belles contrées d’Italie. Je m’arrête ; permettez-moi, Monseigneur, de prendre haleine. Je reprendrai bientôt la plume afin de continuer. J’ai l’honneur d’être etc.
Notes de bas de page
1 In quell’epoca era superiore generale il padre Antoine Jacquier, che morì nel novembre di quello stesso anno.
2 La festa di s. Vincenzo si celebra il 19 luglio.
3 Si riferisce probabilmente a Valence d’Agenois, capoluogo dell’attuale dipartimento di Tarn-et-Garonne, distretto di Moessac, sulla riva destra della Garonna.
4 Allusione non chiara.
5 La soluzione di questi « giochi » è indicata alla fine della seconda lettera.
6 La « ligne de la poste » costituiva una via essenziale di comunicazione tra le diverse parti del Languedoc, unendo Pont-Saint-Esprit a Toulouse, attraverso Nîmes, Lunel, Montpellier, Pézenas, Béziers, Narbonne, Carcassonne.
7 Montauban, a nord di Toulouse, capoluogo dell’attuale dipartimento del Tarn-et-Garonne, sul Tarn ; prima del 1808 capoluogo di un circondario del Lot. Sede di un grande e di un piccolo seminario diretto dai padri della Congregazione della Missione.
8 Castres, capoluogo dell’attuale dipartimento del Tarn, sede di una casa della Missione.
9 La piazza di Peyrou, iniziata dal Daviler nel 1689 fu terminata nel 1766 dal Girai e dal Donnat. La statua di Luigi XIV, che la orna attualmente, ha sostituito l’opera di Mazaline e Hurtrelle distrutta nel 1792 ; l’arco di trionfo o « porte » di Peyrou, costruito in onore di Luigi XIV, è stato eretto nel 1691-92 dal Daviler sui disegni di Dorbay e scolpito dal Bertrand.
10 Argens, fiume della Provenza; si getta nella baia di Fréjus, parzialmente colmata dai suoi detriti.
11 Beaucaire, nell’attuale dipartimento del Gard, sulla riva destra del Rodano. Era assai nota la fiera che vi si teneva dal 21 al 28 luglio.
12 Il nome dell’albergo de « l’Aigle d’or », oggi scomparso, è ricordato da André Sella nella prefazione che egli scrisse per una riedizione del volume : Guide des étrangers à Antibes, del 1885. Esso era situato probabilmente all’angolo della rue Thuret e della rue des Palmiers, nella vecchia città.
13 Il Var ha regime torrentizio con forti piene e grande potenza erosiva. Il suo corso inferiore ha separato fino al 1861 l’Italia dalla Francia.
Notes de fin
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