Les origines de l’État dans le sud-est de la Péninsule Ibérique à l’époque pré-romaine
p. 107-114
Texte intégral
1Il s’agit, dans les pages qui suivent, d’aborder le sujet proposé à propos du cas concret de la culture ibérique du Sud-Est espagnol entre les VIe et IIIe siècles av. n. è., à partir de l’archéologie dite de la Mort. La question de base à laquelle nous devons répondre est de savoir si des relations de classes ont existé au sein de ces communautés, et, s’il en est ainsi, comment on peut les mettre en évidence d’après les données archéologiques funéraires.
2Lors de ma publication, il y a quelques années, de l’étude sociologique de la nécropole de El Cigarralejo, Murcia (Santos Velasco 1989), j’établissais trois critères pour notre approche de la structure sociale ibérique du bassin du Segura:
- Les monuments funéraires
- Les céramiques d’importation
- L’armement
- La plupart des monuments funéraires de la région correspondent à la Phase Ibérique Ancienne (550/525-450/425 av. n. è.). Il existe la preuve d’une destruction de ceux-ci déjà au début du Ve ècle n. è. (Ruano 1987, 207), moment à partir duquel l’architecture funéraire monumentale commence à disparaître.
- Les vases d’importation isolés, documentés dans la Phase Ancienne, plus qu’à un commerce systématique, semblent répondre à un échange de dons entre les membres éminents des communautés indigènes et des agents coloniaux; dans la phase suivante ou Phase Pleine (450-325 av. n. è.), le volume des importations est substantiellement plus grand, se concentrant dans un secteur minoritaire de la population, d’une ampleur néanmoins relative (30 % des tombes de El Cigarralejo, ainsi que 17 % de celles de Baza contiennent des vases grecs [Santos Velasco 1989, 83]).
- De leur côté, les armes en général, les épées en particulier, sont moins abondantes dans les nécropoles anciennes que dans les nécropoles de la Phase Pleine (Santos Velasco 1989, 88).
3Il y aurait un quatrième critère, qui apparaît d’une façon implicite chez des auteurs comme Almagro Gorbea. D’après ces chercheurs, l’espace funéraire et sacré des anciennes nécropoles aurait été réservé à très peu d’individus, et il serait même formé par des enterrements isolés, comme c’est le cas des tombes monumentales de Pozo Moro (Albacete) et de El Prado (Murcia). Néanmoins, depuis la fin duVe siècle av. n. è., l’occupation de cet espace s’élargit, ce qui fait apparaître les grandes nécropoles de la Phase Pleine, formées par des centaines de tombes (El Cigarralejo, La Albufereta, El Cabecico del Tesoro, Baza). Ce fait trouve sa confirmation dans des études récentes, comme celle de Cabezo Lucero, où seulement 14 sépultures sont datées du Ve siècle av. n. è., alors que 71 le sont du IVe (Uroz 1992, 656).
4En 1989, j’ai proposé que ces changements, qui sont attestés dans le monde ibérique du bassin du Segura, répondraient au passage d’une organisation tribale (une Chefferie complexe, selon la terminologie anglo-saxonne) à une société de classes au caractère aristocratique. Car ces phénomènes peuvent être interprétés comme un contraste très marqué entre un ou plusieurs personnages d’élite qui seuls, dans la Phase Ancienne, sont enterrés sous des monuments, ont accès aux rares biens exotiques d’origines gréco-punique, et ont le droit de porter des armes, face au reste d’une communauté qui n’a accès ni à l’espace funéraire, ni au marché des importations, ni à l’emploi des armes. Faute d’autres données, à titre d’hypothèse, nous nous trouverions devant des groupes dans lesquels un individu émerge, comme Chef, face à un ensemble social plus ou moins homogène. Au contraire, pendant la Phase Pleine, l’accès de plus d’individus aux espaces funéraires, aux marchés des céramiques d’importation et au droit de porter des armes, serait le reflet d’une société plus structurée et plus complexe, où l’on ne serait plus en présence d’une dichotomie tranchée individu (Chef?)/reste de la population, mais où une nouvelle dichotomie apparaît entre le groupe aristocratique dominant et, peut-être, ses clients/reste de la population dépendante. Autrement dit, les différences quantitatives observées dans le matériel archéologique entre les Phases Ancienne et Pleine, prises dans leur ensemble, ont un tel relief qu’elles en deviennent des différences qualitatives, autant dire la preuve du changement culturel et social qui se produit entre les deux périodes. Changement qui est résumé dans l’apparition et la consolidation d’une aristocratie armée dominante qui se présente, pendant la Phase Pleine, comme classe sociale dominante, avec toutes les connotations économiques et politiques que ce terme comporte. Nous disposons encore d’autres données appartenant au domaine funéraire, qui nous aident à pousser plus loin notre argumentation concernant la définition de cette société de classes. À partir de la fin du VIe siècle av. n. è. apparaissent donc ces membres éminents de la société qu’on enterre sous des tombeaux monumentaux et qu’on représente à cheval, comme symbole de leur statut, depuis au moins les débuts du Ve siècle av. n. è. C’est ce que montrent les monuments de Porcuna de 500-450 av. n. è. (Negueruela 1990) et l’ancien cavalier de Los Villares de 490 av. n. è. (Blánquez 1992, 253). Ils sont le précédent immédiat de l’aristocratie qui s’affirme dans la période suivante, la Phase Pleine, moment où sont documentées les tombes dites princières, dans les mobiliers desquelles apparaissent des mors de cheval. Cette identification va dans le même sens que ce nous pouvons considérer comme des cortèges de cavaliers, équités, que l’on mentionne à El Cigarralejo (Santos Velasco 1989, 92), au Cabecico del Tesoro (Quesada 1989) et à Baza (Ruiz et al. 1992, 416). Au IVe siècle av. n. è., le princeps ne se trouve pas isolé, mais il est appuyé sur un groupe secondaire de cavaliers qui font partie de la classe dominante ou qui y sont rattachés par des liens de dépendance.
5D’un autre côté, dans la majorité des tombes du IVe siècle av. n. è., la complexité extrême de leurs mobiliers et des accumulations d’éléments riches qui y ont été faites reflète une société très complexe, structurée à plusieurs niveaux et ayant plusieurs possibilités d’accès à-et d’accumulation de-la richesse. Il est probable, d’après certaines don- nées archéologiques que, dans le même temps, un petit segment social intermédiaire soit apparu, formé par des artisans et des commerçants enrichis (Santos Velasco 1989). C’est là un sujet que je ne fait que signaler, afin de pouvoir pousser plus loin le sujet central de cette communication.
6D’après ce qui a été exposé jusqu’ici, il semble justifié de proposer que la Phase Pleine, moment d’apogée de la culture ibérique, se fonde sur une structure sociale complexe, que nous pouvons déjà considérer comme une sociétés de classes. A nouveau, c’est le registre funéraire qui nous aide à compléter cette hypothèse.
Qui enterre-t-on dans les nécropoles? Le développement d’une société de lignée gentilice
7Le fait que toute la population n’est pas représentée dans les nécropoles ibériques est accepté unanimement par toute la recherche espagnole. Néanmoins, il est encore trop tôt pour décider si ceux qui ont eu le droit d’utiliser cet espace sacré ne sont autre chose que les propriétaires, comme le suggèrent certains auteurs (Placido et al. 1991, 192): entre autres raisons-et ce sont les mêmes auteurs qui le signalent-parce que nous ignorons quel genre de propriété pouvait exister parmi ces peuples. Quoi qu’il en soit, bien que nous ne sachions pas avec exactitude quels individus constituaient ces groupes enterrés dans les nécropoles que nous connaissons, nous trouvons dans ce fait même la première grande différenciation sociale qui s’établit au sein des communautés ibériques: d’un côté les groupes dominants et leurs attachés, des clients peut-être, qui ont le droit d’utiliser cet espace sacré; d’un autre côté, les groupes dépendants ou dominés, qui ne laissent pas de traces dans le registre archéologique funéraire. Si telle est en effet la situation, nous serions devant la première évidence que le monde ibérique se structure comme une société de classes, car s’il s’agissait d’une société de "pré-classes", les exclusions auraient été établies par groupes d’âge et de sexe, ce qui n’est pas notre cas d’après les résultats des analyses anthropologiques réalisées dans trois de nos nécropoles.
8Il faudrait bien cependant nuancer l’affirmation selon laquelle, à cette période, il n’y a que la classe dominante qui soit représentée dans les nécropoles, car à côté des riches tombes des membres de l’élite, nous trouvons un fort pourcentage de sépultures que nous pouvons considérer comme pauvres, à Cabecico del Tesoro (Quesada 1986-87), à Baza (Ruiz et al. 1992), à Castellones de Ceal (Chapa/ Pereira 1992), à Coimbra del Barranco Ancho (Garcia Cano 1992) et à El Cigarralejo (Santos Velasco 1989). Le problème est de savoir à quel secteur social appartiennent ces tombes, question pour laquelle, aujourd’hui, on ne peut pas fournir une réponse sûre.
9Ces tombes pauvres pourraient correspondre:
- soit à certains membres des classes dépendantes;
- soit aux membres les moins favorisés des groupes dominants, ou bien à ceux des lignages secondaires, qui auraient acquis le droit d’être enterrés dans l’espace sacré grâce à leurs liens, plus ou moins proches, avec les lignées de l’élite;
- soit à des individus ou à des lignées qui auraient établi des rapports de dépendance militaire ou religieuse avec des membres de la classe dominante;
- soit à des groupes d’âge/sexe, comme c’est le cas pour la nécropole de Cabezo Lucero à Alicante (Aranegui analyses de laboratoire ont montré que dans ce cas les tombes les plus riches appartiennent à des individus mâles adultes, les tombes des femmes et d’enfants étant majoritairement moins riches. Dans une première lecture, cela nous indiquerait un stade de "pré-classes" où les groupes d’âge et de sexe seraient socialement dominants.
10Néanmoins, dans ce cas, nous devrions tenir compte de plusieurs circonstances. Car, pour l’instant, c’est un cas exceptionnel:
- la nécropole de Cabezo Lucero est fort singulière; pendant la période 425-375 av. n. è., 37 % des tombes présentent des armes, ce qui, bien qu’il reste encore dans des proportions connues, constitue un chiffre élevé, à rapprocher des chiffres fournis par d’autres sites, comme El Cigarralejo (31 %), Cabecico del Tesoro (21 %), Los Nietos (38 %), Coimbra del Barranco Ancho (24 %), (Sanchez Meseguer/Quesada 1992, 370); dans la période suivante (375-300 av. n. è.), les armes sont présentes dans 60 % des sépultures, et la céramique attique dans 74% des tombes. La richesse des mobiliers qui présentent des vases grecs est telle qu’on ne peut la qualifier autrement que de "spectaculaire" et, à nouveau, de "singulière"; l’interprétation donnée par ses fouilleurs (Aranegui de écropole écialisée militaire dominant, semble la plus juste;
- une fois établi que le problème n’a pas de rapport avec l’existence constante de relations parentales comme lien de cohésion, le fait que des armes et des vases attiques soulignent, dans cette nécropole, la position sociale différente des hommes adultes pourrait bien avoir des explications alternatives, mise à part la singularité déjà signalée du site; la question est de savoir si les relations parentales sont, ou non, les relations sociales dominantes au IVe siècle av. n. è. ; en fait, dans toutes les sociétés précapitalistes la parenté constitue un lien social de base, car c’est la naissance au sein des lignées dominantes ou dominées qui détermine l’appartenance des individus à l’une ou à l’autre classe; une explication alternative pour cette nécropole pourrait être fournie par le fait qu’on y met en évidence l’importance de la continuité des liens de parenté, au sein d’une société de classes au caractère de lignée familiale;
- nous devons tenir compte aussi des données provenant d’autres sites; pour ce qui est de la nécropole de Los Villares (Blánquez 1990), on n’y met pas en évidence l’existence d’un lien direct entre la richesse du mobilier funéraire et le binôme sexe/âge; d’un autre côté, nous savons qu’il existe de riches tombes féminines, comme celui de la Dama de Baza (Presedo 1982), une femme jeune de haut rang enterrée avec une panoplie complète de guerrier, symbole de son appartenance à la classe dominante; ou encore la tombe 22b de Los Villares (Blânquez 1990, 434), qui contient deux probables anneaux-bride de ce qui a pu être un poignard ou une épée courte, et qui est datée à la deuxième moitié du VIe siècle av. n. è. Nous comptons aussi des riches tombes d’enfant, avec des armes, comme la tombe 36 de Los Villares datée 500-450 av. n. è. (Blánquez 1990, 180); ou encore la tombe 91 de Cabezo Lucero datée de 450-425 av. n. è. (Aranegui et al. 1992).
11Dans ces cas, ce qui est mis en évidence à nos yeux est l’importance prise par l’appartenance à une lignée dominante, et non à un groupe d’âge ou de sexe. Ce sont des termes que nous pouvons interpréter comme le dépassement de la parenté et l’apparition d’un nouveau genre de relations sociales plus complexes: celles de "classe". Dans ce sens, si la circonstance de base qui concourt à l’apparition de l’État est bien l’existence d’une société de classes, car "quand une société de classes est consolidée, l’État l’est lui aussi" (Bromlei/Pershits 1985, 62), dans le monde ibérique, au moins dans sa Phase Pleine, c’est bien à cela que nous avons affaire.
12Il est difficile de discerner pendant la Phase Ancienne (550/525-450/425 av. n. è.) si nous sommes également devant une structure sociale de classes, car les données dont nous disposons, autant pour cette période que pour la précédente, sont très pauvres. C’est là un point de discussion suggestif, mais il faudra attendre que des nouvelles fouilles nous fournissent encore des données concernant le monde funéraire entre les siècles VIIIe-VIe av. n. è. Néanmoins, nous ne pouvons pas écarter la possibilité que des classes sociales aient déjà pu exister pendant la Phase Ancienne, comme nous le suggèrent des données encore isolées, comme les tombes 22b (femme adulte riche) et 36 (enfant avec des armes) de Los Villares, ou encore la tombe 91 de Cabezo Lucero (riche enfant avec des armes).
13Si nous ajoutons à cela le fait que, dans l’archéologie des nécropoles, les transformations sociales sont moins rapides que celles appréciées à travers la culture matérielle, à cause des profondes racines qu’ont les composantes idéologiques de la mort dans n’importe quelle société (Morris 1987, 209), il serait possible qu’en effet nous ayons sous nos yeux, depuis la fin ou le milieu du VIe siècle av. n. è., une société à classes, bien que, dans les mobiliers funéraires, celle-ci ne soit représentée comme telle que dans des cas isolés. A cet égard, nous ne pouvons pas plus ignorer que nous nous trouvons devant un processus de "transition", menant d’un "mode de production" communautaire à un autre, de classes, où il pourrait apparaître des situations intermédiaires, non clairement définies.
14Or, les riches tombes de femmes et d’enfants non seulement nous rapprochent de la question de la division de la société en des lignées dominantes et dominées, autrement dit en classes antagonistes, mais aussi, implicitement, elles nous renseignent sur la reproduction du système social. Reproduction qui se fonde sur deux piliers: la propriété et l’héritage.
15Déjà le chercheur français Nicolini a noté que l’or n’était pas documenté dans les nécropoles ibériques, sauf dans des rares occasions et jamais en abondance, ce qui montre qu’il n’aurait pas été un simple symbole de statut; son emploi continu aurait joué un rôle essentiel dans la transmission héréditaire des biens de caractère familial. Chapa et Pereira (1991), abondant dans cette idée, sont d’avis qu’on aurait essayé de faire disparaître des pièces d’or et d’argent dans les tombes, car la structure sociale aurait été fondée davantage sur l’appartenance à une lignée que sur la compétition personnelle. L’élite ibérique aurait donc fondé son pouvoir sur le contrôle des moyens de production (bétail, terres, commerce et mines) tandis que les liens familiaux auraient assuré la transmission héréditaire du pouvoir, et donc de la reproduction de l’élite comme groupe différencié. Ainsi s’expliquerait la profusion d’objets chers (mais remplaçables) dans les sépultures, et l’absence d’autres objets comme l’or, dont la valeur réelle l’aurait emportée sur la valeur symbolique, le rendant indispensable pour maintenir le niveau de richesse des descendants.
16Nous nous trouverions donc devant une aristocratie héréditaire qui transmettrait sa fortune de père en fils, facilitant ainsi l’accumulation des richesses dans les mains de certaines familles, ce qui non seulement consoliderait la différenciation entre lignées riches et pauvres, mais aussi la reproduction, au fil du temps, des lignées dominantes (Engels 1884, 1980, 121), ce qui soulignerait le caractère de lignée familiale de la société ibérique.
17Sur ce point, nous disposons d’autres données, encore du domaine funéraire. Je veux parler des monuments et des nécropoles de Pozo Moro et de Porcuna, tous les deux vestiges de formes d’organisation par lignée familiale. On peut le déduire d’un élément: autour des monuments est organisée, après un hiatus, une nécropole de la Phase Pleine.
18Dans le cas de Pozo Moro, un petit cimetière est articulé autour de la tour (500 av. n. è.), à partir de 450 av. n. è. Le groupe enterré à ce moment rappelle dans ce grand monument un individu, à mi-chemin entre l’héroïque et le sacré (aspect qui s’exprime dans l’iconographie des reliefs de la tour), un Chef ou un monarque, fondateur de la lignée dominante qui y est enterrée plus tard. D’après Almagro, les nouveaux enterrés garderaient des liens de parenté ou de filiation sociale avec le personnage du monument (1983, 280).
19A Porcuna, ce phénomène se produit deux fois consécutives. Il existe une nécropole d’époque orientalisante(VIIe-VIe siècles av. n. è.). Suit un hiatus: le monument est élevé et détruit. Suit un deuxième hiatus, puis la nécropole du IVe siècle av. n. è. est documentée. La communauté installée dans ces lieux semble avoir gardé un souvenir historico-mythique de cet endroit, génération après génération, quatre siècles durant. C’est là que les ancêtres ont été enterrés et les groupes qu’on y enterre ultérieurement descendraient, de façon réelle ou fictive (mythique), d’un ancien groupe dominant, qui, par l’emploi du terrain sacré du cimetière, rend légitimes les nouveaux groupes dominants, ainsi que leur pouvoir et leurs formes de contrôle social (Saxe 1970, dans Arnold 1991, 439).
20Nous disposons d’un cas similaire, associant cette fois le village de El Oral et sa nécropole de El Molar (Alicante). Cette dernière est un petit cimetière (dont on connaît environ 30 sépultures), pour l’essentiel de la Phase Ancienne, dont les mobiliers, récupérés dans une fouille ancienne, ont été réétudiés et permettent dater le lieu entre 580-375 av. n. è. environ, c’est-à-dire entre la fin de la Période Orientalisante et un moment central de la Phase Ibérique Pleine. Les mobiliers montrent une grande richesse: de la sculpture monumentale, des coupes de Siana et d’autres vases grecs (cratères, amphores), des scarabées, des aryballes de faïence, des boucles de ceinture, etc. (Monraval 1992). Tout cela suggère l’interprétation du cimetière comme celui de l’élite émergente, aux débuts du VIe siècle, qui aurait poursuivi son occupation jusqu’à la première moitié du IVe siècle av. n. è., période de consolidation des aristocraties locales.
21Cette nécropole correspond à l’habitat de El Oral, d’une superficie d’un hectare et pouvu de remparts. On y a mis au jour plusieurs unités domestiques, parmi lesquelles se détache, grâce à la qualité des trouvailles, la IIIL (qui présente des fragments d’oeufs d’autruche, un rôtisseur et une olpè de bronze, ainsi que des fragments de vases grecs). Les fouilleurs datent cet habitat entre la fin duVIe siècle et 450 av. n. è. environ, moment où il est abandonné et où sa population se déplace vers le site tout proche de La Escuera (Abad/Sala 1993, 91).
22Devant ces objets domestiques et funéraires, la question qui vient à l’esprit est de savoir si nous nous trouvons devant l’habitat et la nécropole d’une lignée dominante de la Phase Ancienne, qui plongerait ses racines dans la Période Orientalisante, et qui aurait utilisé en exclusive l’espace sacré de El Molar durant plusieurs générations. Même après l’abandon de El Oral, au milieu du Ve siècle av. n. è., les descendants et les membres de cette lignée d’élite auraient continué à se faire enterrer là où leurs ancêtres l’avaient été, jusqu’à un moment compris entre 375 et 350 av. n. è. Hypothèse qui conviendrait bien à une société au caractère de lignée familiale marqué et dotée de forts liens de dépendance.
23Ces derniers sont encore un sujet à considérer à propos de la complexité sociale du Sud-Est ibérique. D’après les sources écrites, nous savons qu’il existe la devotio et la fides, qui créent des situations de dépendance militaire, en dehors de la parenté (Prieto Arciniega 1978, 142). Dans le registre archéologique, nous ne possédons aucune documentation, aussi mince soit-elle, qui nous permette de percevoir l’existence et l’articulation des formes de dépendance, hormis cette suite d’équités qui apparaît dans la Phase Pleine, et qui pourrait être constituée par des individus liés aux lignées dominantes, soit par des liens de parenté, soit par de liens de dépendance militaire. Ce qui n’exclut pas une troisième possibilité, à savoir, la coexistence de deux situations en même temps.
24Après avoir passé en revue ces données, l’étape suivante consisterait à essayer de définir chaque période de l’ibérisme du point de vue de sa structure sociale. Ruiz Rodriguez a proposé pour l’Andalousie orientale un modèle qui est très probablement similaire à celui du Sud-Est espagnol, tout en considérant néanmoins des nuances culturelles et chronologiques. Si nous acceptons l’hypothèse d’une structure tribale bien développée à la Phase Ancienne, c’est-à-dire un stade d’organisation avancé précédant immédiatement celui de la société de classes, qui ne se définit que dans la Phase Pleine, nous nous trouverions devant une forme d’organisation centralisée supra-familiale (comme peuvent nous le suggérer les grands monuments du type Pozo Moro), mais fondée sur des communautés dont la base de cohésion resterait encore la parenté.
25Pendant la Phase Pleine, la consolidation des aristocraties locales et le remplacement de la parenté par des relations sociales de classes entreraient en contradiction avec l’ancien pouvoir centralisé de la tribu qui se briserait, s’atomisant en une pluralité de pouvoirs locaux marqués par une certaine iso-nomie entre les différentes lignées aristocratiques. Ce modèle est en accord avec la proposition de Ruiz Rodriguez et Molinos (1993), pour le Haut Guadalquivir: un modèle aristocratique pluri-nucléaire.
26Dans les époques ibériques Ancienne et Pleine ont surgi deux des éléments de base pour une organisation d’État: les classes sociales et la coercition.
27Nous avons déjà consacré les pages précédentes à la première composante. Pour ce qui est de la seconde, la coercition, nous signalerons seulement qu’elle se déduit de l’importance de l’armement dans les nécropoles, des habitats fortifiés et des destructions d’habitats et de cimetières.
28A la fin de la Phase Pleine, à la fin du IVe siècle av. n. è., une période de crise est attestée, dont témoignent la destruction et l’abandon de beaucoup de villes et de nécropoles, ainsi que la disparition des céramiques d’importation et l’appauvrissement général des vestiges archéologiques. Cette situation se maintient jusqu’en 275-250 av. n. è., moment où nous disposons à nouveau d’une abondante documentation, aussi bien archéologique que littéraire. Nous retrouvons alors une réorganisation des habitats, l’existence de rois comme Culchas ou Edecon, et des institutions que les Romains estiment similaires à un Sénat, par exemple dans la ville de Sagunto. L’archéologie et l’iconographie céramique mettent en évidence la continuité d’une société aristocratique. Mais la grande nouveauté est que, d’après les sources littéraires, on est retourné à des larges pouvoirs régionaux, centrés dans des villes homonymes de leurs peuples respectifs (Basti est la capitale des Bastetans et de la Bastetanie; Oretum l’est des Oretans et de l’Oretanie; Edeta des Edetans et de l’Edetanie). On en déduit qu’une fois la crise dépassée, s’est poursuivi le long processus de formation et de consolidation des organisations d’États aristocratiques, auxquels se heurtent les Carthaginois et les Romains pendant les Guerres puniques.
29Pour conclure, nous signalerons seulement que l’existence de classes sociales antagonistes a été le critère employé pour caractériser la société ibérique, au moins pendant la Phase Basse(IIIe-IIe siècles av. n. è.), en tant que société dotée de formes archaïques d’État. Néanmoins, il convient de laisser le débat ouvert car, même dans une optique matérialiste, on peut considérer l’apparition de l’État seulement au moment où celui-ci se définit politiquement, et non seulement après la définition de ses structures économiques et sociales.
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Auteur
Universidad de La Rioja
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