Chefferies et États, une approche anthropologique
p. 19-30
Texte intégral
1Je vais essayer de vous présenter non pas le bilan des recherches en anthropologie politique ou économique sur les processus de formation de l’État parce que je préfère développer des thèmes qui me semblent importants sur le politique et sur différents modèles d’organisation du pouvoir puisque le dialogue entre archéologues, préhistoriens et anthropologues est souvent un dialogue dans lequel on échange des modèles, on échange des faits modélisés qui peuvent prendre place dans des schémas d’évolution possibles; je voudrais faire quelques remarques épistémologiques et ensuite vous présenter quelques modèles de sociétés sans chef, de sociétés à chefferies et de formes d’États que certains anthropologues ont étudiés en Polynésie ou en Afrique précoloniale par exemple. J’aimerais rappeler que si l’histoire éclaire les faits parce qu’elle nous fournit des perspectives spatiales, temporelles de longue durée, il faut aussi expliquer l’histoire. Expliquer l’histoire c’est découvrir dans quelles conditions socio-économiques apparaissent de nouvelles structures, donc mettre en chantier une théorie de l’apparition de ces structures, une théorie qui sera au service de l’anthropologie comme de l’histoire.
2Deuxième remarque, l’histoire est pour moi en même temps évolution car tout n’est pas possible à tout moment pour toute société: il était et il est impossible pour une société d’aborigènes australiens d’engendrer directement une société industrielle dotée des structures politiques modernes. C’est donc qu’il y a des étapes à franchir. Que l’on soit évolutionniste ou pas, l’histoire est aussi évolution. Si des sociétés peuvent éviter de passer par certaines étapes c’est parce que d’autres y sont passées. Donc les raccourcis historiques sont des phénomènes qui surviennent ensuite, faits d’emprunts, de diffusion, de développements originaux. Mais dans tous les cas il faut des transitions, des passages sous formes de transformations des structures, des mentalités.
3Troisième remarque, s’il existe des phénomènes d’évolution, peut-il exister des phénomènes de dévolution? S’il existe des phénomènes irréversibles, des processus irréversibles, existe-t-il certains aspects du réel qui soient réversibles ?
4C’est la question posée par Leach lorsqu’il étudiait les Katchin et était en face de deux formes d’organisation du pouvoir dans la même société et se posait la question de savoir si l’une des deux n’était pas une forme dévoluée de l’autre. Enfin, ce qui est très important pour les anthropologues et je pense pour les historiens, est le fait que les sociétés sont toujours particulières, leurs histoires sont toujours singulières, et pourtant on constate que des processus semblables se reproduisent. Des processus d’apparition de chefferies se reproduisent à des époques différentes et dans des sociétés qui n’ont aucun contact. C’est donc qu’il y a quelque chose dans la logique sociale qui amène ce résultat. C’était la position de Tylor, le fondateur de l’anthropologie avec Morgan. Tylor disait qu’on doit privilégier l’étude des mêmes phénomènes qui apparaissent dans des sociétés qui n’ont aucun contact, parce qu’ils montrent au travail des processus profonds sociologiques, anthropologiques.
5J’ajouterai une remarque qui souvent n’est pas faite. Nous avons des milliers de sociétés humaines, nous avons des milliers de variétés de systèmes de parenté, mais ce sont là les variétés de six systèmes. Il n’y a pas plus de six types de systèmes de parenté dans le monde. Les systèmes de parents européens, français, allemands, anglais par exemple sont des variétés du type de système dit eskimo. Il n’existe pas une infinité de formes sociologiques, il existe des variations multiples de quelques types et il existe des relations de transformations entre ces types. En Europe le système de parenté latin était un système du type soudanais qui s’est transformé au Moyen Age en système cognatique du type eskimo. Les Latins de l’Antiquité avaient un système de parenté du même type que celui des Soudanais d’aujourd’hui, dont la structure est comparable à celle du système chinois. Par ailleurs les rapports de parenté sont organisés selon des principes de descendance patri-, matri-, bilinéaires ou non linéaires. Le système de parenté français est un système non linéaire, cognatique, où l’héritage du nom se fait pourtant souvent par les hommes. Nous disons dans notre jargon que nous sommes dans un système cognatique de type eskimo avec un biais patrilinéaire. Il est important de rappeler ces choses-là, parce que les travaux dès historiens accumulent d’autres variantes, d’autres variétés, et même si nous ne sommes pas des obsessionnels de la typologie, on ne peut progresser qu’en typologisant quand même.
6La question qui se pose dans ce séminaire est double: d’une part quelles sont les conditions d’apparition et quelle est la nature des chefferies et d’autre part quelles sont les conditions d’apparition et quelle est la nature des formes d’État, ceci en contraste avec des sociétés sans chefferies et sans État qui sont dites égalitaires. Les sociétés égalitaires sont classées par les anthropologues en gros en sociétés à “Big Men” (et les effets de concept de “Big Men” chez les archéologues sont parfois dévastateurs) et deuxièmement les sociétés à “Great Man”, à “Grands Hommes”, enfin les systèmes mixtes combinant l’existence de “Big Men” accumulant et échangeant des richesses et acquérant par ce moyen du pouvoir et celle de “Great Men” exerçant des fonctions plus ou moins héritées. L’existence d’une aristocratie tribale pour être significative, doit être celle d’une aristocratie qui exerce des fonctions héréditaires.
7Ce qui caractérise la chefferie est l’existence d’une aristocratie tribale. Ici le concept de tribu est nécessaire mais en même temps ne suffit pas car il existe des sociétés tribales égalitaires, des sociétés tribales à chefferies et toutes les formes d’État qui reposent sur des bases tribales. Ce sont là des différences qui se construisent sur des bases tribales avant que la tribu comme forme d’organisation sociale ne disparaisse.
8Il faut aussi parler de la différence entre ethnie et tribu. De grandes sociétés comme l’empire inca sont poly-ethniques, poly-tribales et étatiques; les grandes sociétés africaines à État sont poly-ethniques, poly-tribales et étatiques; dans l’Antiquité les grandes sociétés impériales sont poly-ethniques, tribales, étatiques et urbaines, etc. Une aristocratie tribale concentre entre ses mains certaines fonctions essentielles à la reproduction de la société comme Tout et il est important de voir que, dans les logiques sociales, dans les pratiques politiques, ce qui est au cœur du politique c’est de pouvoir être les représentants du Tout comme Tout, de la société comme totalité, et d’agir sur le Tout comme Tout en arbitrant entre les intérêts privés et particuliers. Une aristocratie tribale héréditaire qui concentre certaines fonctions essentielles à la reproduction de la société comme Tout, peut donc exercer légitimement la violence, à l’intérieur de la société et à l’extérieur. Dans une société dite égalitaire, à l’exception des rapports entre les hommes et les femmes, aucun des groupes qui composent la société ne possède le droit d’exercer, seul, la violence sur les autres groupes.
9C’est cela l’égalité. Il n’y a pas de “paysan” chez les primitifs. Tout homme est armé, tout homme est à la fois guerrier, agriculteur, chasseur, etc. Un cultivateur n’est pas un paysan. Un paysan est un homme assujetti. Un “primitif” est un homme libre de sa personne qui est, entre autres choses, guerrier, chasseur etc. Donc il n’y a pas de monopole de la violence dans les sociétés égalitaires, la violence n’est pas concentrée, elle est partagée.
10Il n’y a pas de différence de fond entre chefferie héréditaire et État. Il y a une différence d’échelle qui entraîne une série de transformations; c’est ce qui apparaît à travers le beau livre de John Murra The economic organization of the Inka state (Murra 1956) ou celui d’Evans-Pritchard et Fortes African political systems (Evans-Pritchard/Fortes 1940). L’État est une sorte de super-chefferie mais qui s’appuie sur une administration, exerce le même pouvoir à tous les endroits du territoire et délègue une partie de ce pouvoir au personnel d’une administration. Dans l’État vous avez la même concentration du pouvoir mais avec un travail de territorialisation qui entraîne l’apparition d’une administration qui assume les fonctions qui sont, dans une chefferie assumées directement par les clans, les groupes qui composent l’organisation tribale. Il y a une transformation qualitative avec l’État mais c’est une transformation qui est un changement d’échelle car, au départ, ce sont les mêmes fonctions, religieuses, militaires etc. qui sont présentes et concentrées. Donc d’un certain point de vue, chefferie et État correspondent à des changements d’échelle qui entraînent de nouvelles structures mais toujours au service des mêmes fonctions concentrées dans les mains d’une fraction de la société. Cependant il semble qu’avec l’État, l’aristocratie des chefferies soit définitivement coupée de toute production directe. Dans les chefferies polynésiennes étudiées par Raymond Firth, le clan du chef a le monopole des fonctions rituelles mais le chef continue à travailler en partie dans ses jardins. Cependant il ne peut plus porter de charges par exemple car c’est indigne de lui. Il ne peut pas baisser sa tête devant quelqu’un, on doit baisser la tête devant lui etc. Cependant le lien avec la vie productive n’est pas coupé. Avec l’État, nous avons des structures de castes, de classes, l’existence de prêtres, de militaires entièrement coupés de la production, il faut que d’autres produisent pour qu’ils survivent et assurent leurs fonctions.
11Les formes d’État sont multiples: il existe par exemple des États qui reposent sur une division entre castes comme aux Indes où les brahmanes ont le monopole des rites, les guerriers, le monopole de la guerre et le reste de la population divisée en sous castes de barbiers, de commerçants etc. auxquels s’ajoutent finalement les hors-castes. On voit bien la distribution des pouvoirs: l’État est contrôlé par deux castes qui assument deux fonctions, la fonction des sacrifices-rapport aux dieux –, la fonction militaire-le monopole de la violence. Autrefois grâce au “jajmani system”, – un système de prélèvement et de redistribution d’une sorte de rente foncière-les paysans produisaient pour tous, y compris pour les castes de barbiers, de tailleurs qui recevaient en nature une certaine quantité de produits agricoles leur permettant de vivre en échange de tissus, de services, par exemple, raser la barbe. Dans un système idéologique, classant les activités et les personnes qui s’y livrent selon une hiérarchie dans les degrés de pureté et d’impureté, raser est impur donc il faut se faire raser par d’autres etc. Le plus pur étant le brahmane, qui est en contact avec les dieux et porte des vêtements de coton blanc. Le chef d’État, le Radjah, est le seul individu qui peut participer au rite des brahmanes et en même temps faire couler du sang humain. Il est le seul à réunir en lui les deux fonctions du sacrifice et de la guerre. On voit ici qu’il faut que l’économie soit organisée de telle sorte que les conditions matérielles de l’exercice des fonctions rituelles et militaires et autres existent. Il faut des entrepôts, il faut des routes, il faut beaucoup de choses pour qu’un État existe et que des groupes humains exercent de façon séparée, exclusion des fonctions militaires ou rituelles etc. Il faut que les conditions matérielles d’existence de ces groupes humains qui ne produisent pas soient assurées, et il faut aussi que les distinctions entre ces groupes soient montrées, l’essence divine des princes par exemple, manifestée par des vêtements, des bijoux, des objets de prix. Il faut un artisanat de luxe, des objets exotiques, un commerce lointain pour marquer tous les signes de la distinction. Nous avons les conditions matérielles d’exercice des fonctions religieuses, les temples, les sculptures etc., des fonctions militaires, les routes, la production et le stockage des armes, les garnissons. Les Incas par exemple transféraient des milliers de soldats d’une ethnie donnée avec leurs familles dans des colonies militaires qui, ensuite, produisaient sur des terres conquises leurs propres ressources et assuraient le contrôle politique et militaire des tribus autochtones conquises. Donc nous avons là la mise en place d’une économie et en même temps d’une occupation de l’espace. Dans les sociétés plus égalitaires, le guerrier n’a pas les mêmes signes que le chaman, et dans les sociétés sans écriture, la lecture des différences de statut se fait sur les signes du corps, donc la lecture précède l’écriture bien entendu.
12Quelles sont les fonctions du Politique? On ne peut se lancer dans la comparaison entre chefferies et États qui sont des formes d’organisation du pouvoir, sans se donner une définition du pouvoir politique. Je propose la définition suivante: le pouvoir politique est lié à l’exercice de fonctions qui semblent conditionner, pour les gens, la reproduction de la société comme un tout, sur la base d’un territoire déterminé. Une société n’existe pas dans le vide mais dans le cosmos et les hommes ont la prétention de pouvoir intervenir sur les forces cosmiques. Ceux qui vont exercer des fonctions qui apparemment permettent la reproduction de la société comme une totalité sociale dans le cosmos, ceux-là vont exercer un pouvoir politico-religieux (mais c’est nous qui faisons la distinction entre politique et religieux). Deuxièmement, le pouvoir politique est lié à l’exercice de fonctions de reproduction du tout et donne à des individus et à des groupes, la capacité de représenter le tout comme tout. Le prince est celui qui va représenter le tout, vis-à-vis de l’intérieur, vis-à-vis de l’extérieur. Troisièmement, avoir pouvoir politique c’est avoir la capacité d’arbitrer. Entre les groupes qui composent une société, les clans et les tribus mêmes, il faut un lieu où les intérêts de chaque groupe puissent être représentés, confrontés et arbitrés au nom du tout (un arbitrage entre les clans, au nom de la tribu, ou entre les tribus au nom de l’empire). La politique intervient pour que les conflits entre les morceaux, les parties, ne mettent pas en question la reproduction du tout comme tout.
13Quatrièmement, le politique prétend toujours avoir le droit d’exercer la force et la violence contre les membres de la société d’abord et pas seulement contre les ennemis. Partout il faut une légitimité pour exercer la violence. Enfin tout pouvoir politique est articulé avec beaucoup d’autres formes de pouvoir, pouvoir domestique, pouvoir clanique, etc. Donc analyser un pouvoir politique, c’est aussi analyser l’articulation de toute une série de pouvoirs agissant dans différents domaines à la fois et dont le pouvoir politique est un élément.
14Après ces considérations, je vais vous présenter quelques modèles de sociétés égalitaires, les unes à “Big Men” (puisque vous utilisez ce vocabulaire hérité de Douglas Oliver et de Marshall Sahlins), les autres à “Grands Hommes”, ensuite deux modèles de chefferie et un ou deux modèles d’État analysés brièvement comme des petits timbres-poste sociologiques. Prenez une société dite égalitaire (ce n’est pas pour les spécialistes de l’Age du fer, ce sont vos collègues du paléolithique qui viennent chercher auprès des anthropologues des données sur les chasseurs collecteurs). Prenez les Mbuti, une société de chasseurs de la forêt du Zaïre. Ils vivent en bandes sur des territoires fixes, dans la grande forêt équatoriale, mais la composition des bandes change fréquemment car les familles passent d’une bande à l’autre. Au milieu de ce territoire il y a un no man’s land où vit paraît-il la déesse-forêt. La forêt c’est pour les Mbuti à la fois l’amant, le père qui donne les animaux, la mère qui donne l’eau, la fraîcheur etc. La forêt est à la fois une réalité matérielle et une réalité idéelle et spirituelle. C’est totalement interdit de s’approprier ce no man’s land et il est totalement interdit d’y chasser. Si vous êtes chasseur vous savez combien il est important de ménager des réserves pour le gibier. Donc dans les pratiques symboliques des Mbuti sont présents des intérêts matériels. Mais ceux-ci ne sont pas représentés sous cette forme directe. Une bande vit dans un campement et, au milieu du campement, il y a un feu. Ce feu est un feu commun et sacré. Si, au moment de prendre la parole, vous vous tenez près de ce feu central c’est que vous allez parler au nom de l’intérêt général de la bande. Si vous restez près de votre propre feu c’est que vous parlez de vos problèmes particuliers, personnels ou familiaux. Le feu central est composé en rassemblant des braises prises dans les foyers particuliers. Il est la fusion de tous les feux. Les missionnaires pensaient que les Pygmées ne savaient pas faire du feu parce qu’ils emmènent chacun une braise de ce feu central à chaque fois qu’ils déplacent leur campement puis ils refont un feu collectif au centre du nouveau campement. Les missionnaires pensaient avoir à faire à des êtres paléolithiques qui ne savaient pas faire de feu. Ils n’avaient pas compris que les Mbuti s’imposaient de conserver toujours le même feu qui ne devait pas s’éteindre. Ce qui est important dans cet exemple c’est que vous parlez “politique” quand vous êtes debout près du feu commun, un feu qui est fusion de tous les feux particuliers.
15Ce feu c’est la bande et c’est la vie et c’est de là que l’on parle pour exposer et arbitrer des conflits qui menacent la vie de la bande. Dans certaines circonstances, les rites de puberté des filles par exemple, les Mbuti consacrent beaucoup de temps à la chasse pour capturer plus de gibier. La coopération entre tous les membres de la bande est plus intense. Chaque soir le gibier est partagé, consommé et la nuit se passe en chants et en danses. Les conflits particuliers sont oubliés ou laissés de côté. Le groupe se retrouve en union avec lui-même et en communion avec la forêt. Comme les Mbuti ne font pas de sacrifices à la Forêt (ils lui font quelques offrandes), ils consomment tout le gibier qu’ils ont chassé. Le travail dépensé en plus pour célébrer ces rites qui durent parfois plusieurs semaines profite donc directement à eux-mêmes. Le travail en plus (et son produit, le gibier) n’est pas du travail dépensé pour d’autres. Ce n’est pas du surtravail. Or c’est précisément ce qui se passe quand apparaissent et se développent chefferies et États. Du travail en plus devient du surtravail pour ceux qui ne chassent pas, ne pèchent pas, ne pratiquent pas l’agriculture mais qui sont prêtres, militaires, hommes politiques spécialisés. Je reviendrai sur ce point plus tard. Chez les Mbuti il n’y a pas de spécialisation, tous les hommes sont chasseurs, toutes les femmes sont collecteurs et quand on voit apparaître du travail en plus, c’est pour accumuler les moyens de célébrer par des fêtes l’amitié de la bande et son union avec la Forêt. Dans cette société sans prêtre, sans chef, certains individus ont plus d’autorité que d’autres, Grands chasseurs, vieilles femmes etc., mais leur autorité ne leur donne pas le droit à commander aux autres, encore moins à exercer sur eux des violences.
16La force cependant est parfois utilisée contre des individus dont les actions menacent les intérêts communs. Par exemple, alors que les Mbuti chassent habituellement collectivement en mettant bout à bout leurs filets individuels vers lesquels les femmes et les enfants rabattent le gibier, il arrive qu’un individu cache un filet quelque part en avant du filet collectif pour prendre plus gibier que les autres. S’il est découvert, on le déshabille, on lui retire ses armes et on le jette nu dans la forêt. Dès lors c’est la déesse-forêt qui va le punir (et non les hommes) puisqu’il risque de mourir de faim ou d’être victime d’une bête sauvage. Dans les sociétés à chefferie les chefs par contre punissent les hommes au nom des Dieux. Il y a là de grandes transformations sociologiques.
17Prenez maintenant les sociétés à “Great Men” comme les gens avec lesquels j’ai beaucoup travaillé, les Baruya de Nouvelle-Guinée. Cette société est composée de quinze clans dont huit sont des envahisseurs, sept sont autochtones. Comment se présente le pouvoir? Le pouvoir politique apparaît avec la construction d’une force collective de domination des hommes sur les femmes, c’est donc d’abord un rapport, collectif et individuel, entre les sexes. Le pouvoir des hommes se construit et se légitime à travers les cérémonies et les pratiques d’initiation des garçons. A l’âge de 9 ans les garçons sont séparés de force de leur mère et du monde des femmes et vont vivre pendant plus de dix ans dans une maison des initiés. Tous les trois ans ils franchiront un autre stade, un autre degré dans une hiérarchie de statuts et de savoirs. Tous les trois ans la société Baruya se rassemble pour ces cérémonies et se présente à elle-même comme un tout. Une grande maison cérémonielle est construite pour abriter pendant un mois tous les initiés, nouveaux et anciens. Cette maison sera brûlée au terme des cérémonies. (Imaginez qu’à la place d’une maison de bois et de chaume il y ait un temple bâti en pierres taillées. Imaginez quelles conditions matérielles, sociales, idéales sont nécessaires pour une telle transformation). Bref, les Baruya appellent leur maison cérémonielle, le “corps” des Baruya un corps dont chaque os (poteau) représente un initié et qui est recouvert d’une peau (de chaume) apportée par les femmes. Dans cette maison, dans ce corps, vont vivre les initiés et les maîtres des initiations, des hommes qui ont le pouvoir d’initier les jeunes parce que leurs clans possèdent des objets sacrés, des objets pleins des pouvoirs nécessaires à faire des hommes.
18Qu’est-ce qu’un objet sacré?
19Vous allez comprendre pourquoi posséder un objet sacré est fondamental pour posséder le pouvoir. En Baruya cet objet se dit Kwaimatnié, de kwala nyimatnia = “faire pousser les hommes”. Il existe donc des hommes qui ont le pouvoir de faire croître les autres et eux-mêmes, (dans l’imaginaire bien sûr, mais l’imaginaire est fondamental). Les noyaux du pouvoir sont fondamentalement imaginaires. Ouvrez un objet sacré, (si on vous le permet, car c’est absolument interdit), dedans vous trouverez un os de casoar, un os d’aigle, (l’aigle est l’oiseau du soleil), le dieu-soleil, et une pierre noire.
20La pierre noire est le symbole de Venus, l’étoile qui précède et suit le Soleil. Or pour les Baruya Vénus est une femme Baruya qu’ils avaient sacrifiée au Grand serpent Python, dieu de la pluie et des menstrues. La pierre noire contient donc des pouvoirs féminins. Et l’on découvre que les hommes Baruya prétendent s’être emparés de pouvoirs propres aux femmes et les avoir ajoutés à leurs propres pouvoirs qui sont des pouvoirs de guerre et de chasse, des pouvoirs de mort. C’est la réunion de ces pouvoirs qui fait leur pouvoir. Un objet sacré n’est pas beau. Il n’a pas à l’être. Un objet sacré est sublime. Un objet précieux est beau. Un objet sacré, lui peut être n’importe quoi, un os, mais le pouvoir des dieux ou des ancêtres y est présent. Un objet sacré c’est quelque chose que les dieux ont donné aux ancêtres d’un clan donc un monopole, une distinction. L’objet sacré est un rapport aux dieux, aux esprits, et chaque clan peut (et doit) utiliser cet objet au service de toute la tribu, pour faire tomber la pluie, garantir la fertilité des femmes etc. Donc dans ces sociétés égalitaires existe une inégalité profonde entre les clans selon qu’ils possèdent ou non des objets sacrés. Car les objets sacrés on les garde, on ne les donne pas. Ce que l’on donne aux autres ce sont les bienfaits de leur usage. Tous les représentants des clans des envahisseurs possèdent des objets sacrés et comme par hasard ceux des clans autochtones n’en ont pas et n’ont pas d’accès direct au Soleil. Dans cette société existe une double hiérarchie politique, entre les sexes et entre les clans. Les individus qui ont le plus de prestige sont les maîtres des initiations. Leurs fonction est héréditaire mais ce ne sont pas des aristocrates. Ainsi, même dans une société où il n’y a pas d’aristocratie héréditaire, il y a des pouvoirs héréditaires.
21Comparée à la société baruya que je viens de décrire, une chefferie c’est la concentration dans quelques clans de tous les objets sacrés et de toutes les fonctions. La chefferie est une concentration de pouvoirs qui sont dispersés dans les sociétés égalitaires. Ce qui change ce n’est pas la nature des pouvoirs, c’est le fait qu’ils soient désormais rassemblés dans quelques mains, entre quelques clans. Comparons avec une société comme celle des Baruya. Pour qu’un petit Baruya devienne un homme il lui faut passer par 4 stades d’initiation. A chaque stade deux clans différents interviennent parce qu’ils possèdent les objets sacrés et les formules qui leur donnent droit à diriger les rites de ce passage et leur en confèrent la responsabilité aux yeux de tous. Au total huit clans sont impliqués mais le clan des “Baruya”, celui qui a donné son nom à la tribu, intervient à un moment critique, le passage au 3e stade, quand le garçon, devenu adolescent, va pouvoir désormais participer à la guerre et qu’une jeune fille sera “marquée” pour être sa future femme épouse. Donc chacun de ces 8 clans possède une sorte de monopole sur un segment du processus d’initiation, de fabrication d’un homme mais aucun de ces clans ne suffit à lui seul à assurer le déroulement complet de ce processus, à faire d’un garçon un homme, un guerrier, un futur homme mari. Il faut que leurs pouvoirs s’engrènent, se joignent et s’additionnent ou se succèdent pour que le garçon au bout de dix ans devienne un tel homme.
22Dans une chefferie il n’y a plus qu’un ou deux clans qui concentrent en leurs mains les pouvoirs de reproduire la société et d’agir sur les forces extérieures à l’homme qui assurent cette reproduction. C’est ainsi que chez les Indiens Pawnee qui vivaient sur les rives du Missouri et dont l’économie reposait sur la combinaison d’une agriculture de maïs sur les terres inondées lors des crues du fleuve et de grandes chasses collectives au bison quand les troupeaux remontaient vers le nord chaque année, deux clans se partageaient le pouvoir. L’un des clans possédait l’objet magique dont les pouvoirs étaient censés ramener chaque année les eaux du fleuve et les troupeaux de bison. Mais ce clan ne pouvait rien faire sans l’autre clan qui, lui, possédait les formules rituelles qui libéraient les pouvoirs de l’objet. Et il était dit que si, dans une guerre, ce paquet magique venait à être détruit ou capturé par les ennemis, alors la tribu allait se désagréger, disparaître comme telle, ses membres condamnés à périr ou à demander asile et vie dans les tribus voisines.
23Dans d’autres types de chefferie comme en Polynésie où n’existent pas de clans mais des groupes de personnes qui descendent aussi bien par les hommes que par les femmes d’un couple d’ancêtres ou d’une paire de germains de sexe opposé-(on appelle ces groupes cognatiques des dèmes par opposition aux clans, groupes de parenté engendrés par un principe unilinéaire (patri- ou matri-) de descendance)- le chef appartient à la lignée de ceux qui se rattachent le plus directement à cette paire d’ancêtres (aînés des descendants de l’aîné des enfants de ces ancêtres). C’est cette lignée qui possède les formules rituelles, hérite des titres etc. Ici la ligne de partage entre l’aristocratie et les gens du commun ne passe pas entre des clans mais entre des lignées appartenant au même dème, donc entre des parents. Dans ce cas aussi, l’existence d’une chefferie signifie qu’il existe une concentration des pouvoirs dans une partie de la société. Et au cœur de ces pouvoirs existe toujours quelque chose comme un monopole dans l’accès aux dieux, aux ancêtres, aux esprits qui contrôlent la marche de l’univers et les destins des hommes. C’est pour cette raison, qu’à mes yeux, il ne peut y avoir naissance de l’État, passage de la chefferie à l’État (poly-tri-bal) sans qu’il y ait un développement, une complexification des systèmes de croyances religieuses (Panthéons) et des rites.
24L’archéologie semble confirmer cette hypothèse puisque les plus vieilles civilisations étatiques de Mésoamérique, de Mésopotamie et de Mohendjo-Daro ont vu le développement des temples et de grands centres cultuels ainsi que l’apparition de palais et autres demeures où résidaient des “princes” et leurs suites séparément des “prêtres”. La religion me semble avoir constitué en quelque sorte le “milieu” qui a produit activement les légitimations nécessaires à la formation de l’État, qui a ainsi aidé puissamment à la cristallisation de ses structures, bref au passage de la chefferie à l’État. C’est peut-être pour cette raison que dans les guerres entre “États” (entre cités-États comme en Mésopotamie) les vainqueurs ramenaient chez eux prisonniers les dieux des vaincus ou en détruisaient les représentations.
25Revenons en arrière vers le second type de société “égalitaire” que j’avais mentionné, les sociétés à “Big Men” comme on en trouve en Nouvelle-Guinée. Un “Big Man” ne tire pas son pouvoir de ce qu’il hérite d’un objet sacré mais de ce qu’il sait accumuler des richesses et s’en servir par des dons et contre-dons intéressés pour rassembler autour de lui un groupe de gens qui deviennent ses obligés et le suivent, le soutiennent dans ses entreprises du moins pour autant qu’il n’oublie pas ou ne tarde pas indéfiniment de leur rendre ce qu’ils lui ont donné. Ici, à la différence des sociétés à “Grands Hommes”, la richesse est une condition de l’accès au pouvoir. Mais ce pouvoir du “Big Man” n’est pas seulement un pouvoir à l’intérieur de son groupe local. C’est un pouvoir qui exerce son influence bien au-delà, au-delà des limites du clan et de la tribu du “Big Man”, au niveau même d’une région, c’est-à-dire sur toute l’aire et le long de toutes les routes qui lient les uns aux autres un certain nombre de tribus (amies et ennemies) dans un même réseau d’échanges cérémoniels compétitifs. Car un “Big Man” n’est pas grand parce qu’il donne beaucoup aux siens mais parce qu’il donne plus que d’autres à d’autres que les siens. Le “Big Man” est “comme un chef” en ce sens que son nom et son prestige sont connus et reconnus bien au-delà des frontières de son clan et de sa tribu, sur un territoire multi-tribal mais à la différence du chef il n’exerce de pouvoir direct que chez lui, dans son groupe natal et sur le groupe de ses “supporters et clients” appartenant à d’autres clans.
26Pour qu’un tel personnage apparaisse il faut des conditions sociologiques donc historiques particulières. Il faut que l’accumulation de richesses et leur redistribution dans des échanges de dons et contre-dons de caractère agonistique confèrent à l’individu (et à son groupe) qui triomphe (provisoirement) dans cette compétition une autorité et un statut reconnus par tous, du moins par tous ceux qui, au niveau général, étaient impliqués dans ce type de compétition (cf. le Te des Enga et le Moka des Melpa, deux grands groupes de tribus de l’intérieur de la Nouvelle-Guinée). Ce statut peut être “fluide” comme en Nouvelle-Guinée ou “solidifié”, matérialisé dans un titre comme dans les sociétés à potlatch de la côte nord ouest de l’Amérique du Nord, les Kwakiutl, les Tlingit etc. Dans ce dernier cas cela signifie qu’une partie des titres et des statuts qui correspondent à un certain nombre de positions dans une hiérarchie politico-religieuse reconnue par tous les clans d’une même tribu et toutes les tribus d’une même région, sont accessibles par une victoire dans une compétition pour l’accumulation la plus grande et la redistribution de richesses matérielles. Chez les Baruya il ne sert à rien d’accumuler des richesses pour “acheter” un objet sacré. Il n’est pas à vendre et il serait absurde de le donner, de s’en séparer. Chez les Kwakiutl une partie du champ du politique est connecté à la richesse et à la rivalité dans les dons. Mais notons-ce que Mauss n’a pas souligné et que ses commentateurs ont oublié-que, chez les Kwakiutl, les plus beaux cuivres, les plus anciens n’étaient jamais l’objet d’un potlatch, qu’ils étaient considérés comme des objets sacrés, dons des dieux et des esprits et associés aux titres les plus prestigieux qui, eux, se tenaient au-delà de la sphère du potlatch. Les grands titres étaient associés à ces objets sacrés, comme chez les Baruya les objets sacrés étaient associés aux “Grands Hommes”, Maîtres des initiations, Maîtres des shamanes.
27Chez les Baruya la pratique du don et du contre-don existe sous la forme de l’échange réciproque de sœurs entre deux hommes i. e. de l’échange de femmes entre deux lignages. Mais à la différence du potlatch ces dons-contre-dons ne sont pas agonistiques. On ne donne pas deux sœurs pour une seule épouse. Les échanges sont symétriques et “équilibrés”. Mauss avait fait de cette catégorie de dons, non-agonistiques, le point de départ d’une évolution qui menait au potlatch, au don agonistique mais il n’avait pas analysé le fonctionnement, la logique de ce type de don. Car dans l’échange des sœurs la dette contractée en recevant une épouse n’est pas annulée par le don d’une sœur. Les dettes s’équilibrent, elles ne s’annulent pas. A la fin de l’échange chacun est à la fois supérieur à l’autre comme donateur et inférieur comme donataire. Le statut de chacun, de chaque lignage est donc équivalent au statut de l’autre. Au niveau de la société globale, cette pratique aboutit à une répartition relativement égale des ressources. Chacun(e) se retrouvera marié(e). Dans le potlatch au contraire à l’issue des dons et contre-dons, un seul aura gagné, aura remporté le titre en donnant plus que les autres. Mais cette victoire est provisoire. Les clans et les chefs rivaux vont s’efforcer d’accumuler plus pour renverser la situation, annuler leur dette et placer le vainqueur en état de dette. Dans les sociétés à “Grands Hommes”, les dettes ne s’annulent pas mais s’éteignent lentement au fil du temps et des générations. Dans les sociétés à potlatch les dettes s’annulent ce qui incite à faire d’autres dons, plus grands, plus beaux pour mettre les autres en état de dette. Pour n’avoir pas compris les différences entre ces deux types de dons, non-agonistiques et agonistiques, entre ces deux logiques de la dette, une grande confusion a régné parmi les ethnologues qui se réclamaient de Mauss et de l’Essai sur le Don. De même pour n’avoir pas prêté attention au fait que les plus beaux “Cuivres” (Coppers) ne pouvaient être ni donnés, ni vendus, ils n’ont pas vu qu’au-delà des choses qu’on donne ou qu’on vend existent des objets qu’on ne peut ni vendre ni donner, mais qu’il faut garder; les objets sacrés qui composent les trésors des clans ou des tribus. Bref sur le plan théorique on n’a pas vu que toute la vie sociale ne se réduit pas-comme l’affirmait Lévi-Strauss-à des échanges et que pour qu’il y ait échange il faut qu’existent des choses qui ne s’échangent pas et permettent, par leur immobilité, aux autres choses de circuler.
28Comme l’a montré Annette Weiner dans ses articles et son livre Inalienable Possessions (Weiner 1992), il faut toujours garder quand on donne “Keeping while giving”. Il faut aller plus loin et dire “Keeping in order to give”, garder pour donner (voir Godelier 1996). C’est ainsi qu’au XIXe siècle l’or qui servait à mesurer la valeur des marchandises et garantissait leur circulation ne pouvait pas vraiment sortir des banques. Il permettait la circulation d’une monnaie-substitut, d’une monnaie symbolique, le papier monnaie et autres titres fiduciaires mais il était conservé pour l’essentiel dans les banques. Sans être un objet sacré il était investi du caractère de la fixité, de la richesse immuable, échappant aux fluctuation du marché et de l’histoire.
29Ici je voudrais faire une remarque importante: un objet n’est pas sacré “en soi”. Il le devient et il le devient parce qu’on le soustrait, on le retire de la circulation, des échanges, marchands et non-marchands, des sphères du marché et du don. On trouve en Océanie dans les trésors des clans ou des tribus, des coquillages qui ont été péchés et polis à des centaines de kilomètres de la région où vivent ces clans et ces tribus. Les gens ne savent d’ailleurs pas d’où proviennent ces coquillages. Ils pensent que ce sont des Dieux ou des esprits qui les produisent et que ce sont leurs ancêtres qui les ont achetés aux tribus voisines qui, elles aussi, les avaient achetés à d’autres tribus etc. Il arrive donc qu’un objet aujourd’hui sacré soit entré d’abord comme un objet précieux qui avait une valeur d’échange puis son propriétaire (collectif ou individuel) décida de ne plus le laisser circuler comme un objet ayant valeur d’échange et utilisable pour compenser un meurtre ou pour acquérir une épouse, i. e. entrant dans une compensation matrimoniale (bridewealth). L’objet s’enfouit alors dans le trésor du clan et participe désormais à des rituels où les membres du clan se rencontrent avec eux-mêmes, se manifestent à eux-mêmes leur identité, leur solidarité, leur continuité. L’objet précieux, autrefois marchandise, devient objet sacré, investi de pouvoirs et de fonctions dans la reproduction de l’identité du groupe et de sa place dans la société, investi de pouvoirs imaginaires mais qui sont les conditions et les composantes de fonctions et de statuts réels.
30En fait je pense pouvoir démontrer qu’il faut que soient réunies et se combinent deux conditions pour que des sociétés à potlatch (à hiérarchie non matérialisée par des titres comme en Nouvelle-Guinée ou matérialisée par des titres comme en Amérique du Nord) se développent. Il faut d’une part que le mariage ne repose pas ou pratiquement pas sur l’échange direct de femmes mais sur l’échange de richesses (dot) contre des femmes. Et il faut d’autre part qu’existe une compétition dans l’accumulation de richesses et leur redistribution sous forme de dons et contre-dons. Quand ces deux conditions sociologiques sont combinées, la société devient de plus en plus dominée par des institutions de type potlatch. Mais plus les chefferies sont centralisées et, quand l’État existe, plus son fonctionnement s’appuie sur une bureaucratie et des groupes sociaux spécialisés, prêtres, guerriers, commerçants (organisés en castes ou classes), moins il y a de place pour le potlatch c’est-à-dire pour une remise en cause des positions politiques des individus et des groupes par la compétition dans la générosité intéressée, par le don calculé. Pour cette raison les sociétés à potlatch n’ont pas l’extension dans le temps et dans l’espace que Mauss leur prêtait.
31Par ailleurs, il faut noter que les compétitions de dons de type potlatch mobilisaient deux types de ressources, d’une part des biens de consommation (viandes, boissons etc.) distribués avec prodigalité dans les fêtes qui sont le contexte des potlatch, d’autre part des objets précieux, des objets de valeur de provenance locale ou acquis par le commerce ou par le troc. Car l’enjeu de ce type d’échange se situe au-delà de la production des moyens de subsistance bien que faire étalage de ceux-ci, les consommer en abondance et même les détruire de façon ostentatoire, fasse partie de la compétition. Il se situe dans la sphère des biens précieux, coquillages, cuivres etc., objets inutiles dans la vie quotidienne mais qui sont en fait des substituts d’êtres vivants, puisqu’en dehors du potlatch on peut les échanger contre une épouse ou pour compenser le meurtre d’un ennemi. Les objets précieux sont en général rares et “chers”. Ils “équivalent” à un certain nombre de cochons, de peaux etc. Mais leur valeur vient en dernière analyse de leur caractère imaginaire, de leur sens comme substituts de vie.
32Autre remarque, alors que dans les sociétés sans chefferies et sans État, chaque clan et, à la limite, chaque individu, peut commercer librement pour se procurer des objets précieux, des armes, des biens de subsistance auprès des tribus voisines avec lesquelles on est en paix, dans les chefferies centralisées et dans les États l’importation des armes, des objets précieux etc. tend à être contrôlée politiquement et leur usage tend à être réservé à l’aristocratie et à ceux qui servent ou représentent le pouvoir.
33Je voudrais également attirer l’attention sur un fait sociologique important. Il semble que le développement de chefferies fortement centralisées et de certaines formes anciennes d’État ait été accompagné d’un processus de divinisation du chef suprême et de sa lignée, du groupe ou des groupes de parenté qui “régnaient” sur l’ensemble de la société. C’est ainsi que dans le royaume polynésien de Tonga, la lignée du Tu’i Tonga, du “roi”, affirme descendre du Dieu suprême du panthéon polynésien.
34Leur ancêtre, le premier Tu’i Tonga aurait été un fils de ce Dieu et d’une femme de noble origine. Ce fils, mi-dieu, mi-homme, aurait voulu visiter au ciel son père. Mais ses frères, les fils pleinement divins de son père, en le voyant furent jaloux de sa beauté et ils le tuèrent et le mangèrent sauf la tête. Le père découvrant le crime obligea ses fils à vomir le corps de leur frère et, y ajoutant la tête, il le ressuscita. Dès lors le Tu’i Tonga fut à la fois aussi divin que ses frères puisqu’il s’était mêlé dans leur corps à leur substance divine mais supérieur à eux d’être en même temps un humain. Sa double essence en fit le médiateur obligé entre les dieux, sa parenté céleste, et les hommes. C’est lui qui, par les rites et les sacrifices qu’il célébrait, assurait la prospérité et la protection des habitants de son royaume. Et c’est à lui que normalement ceux-ci donnaient (et donnent encore) chaque année les prémices de leurs récoltes et offraient les services de leur force de travail. On peut citer d’autres exemples de “divinisation” des chefs. C’était le cas du Pharaon qui n’était pas pensé comme un homme mais comme un dieu vivant parmi les hommes. Il était le fils d’Isis et d’Osiris, le produit d’un inceste divin que chaque pharaon répétait en épousant sa sœur. C’était également le cas à Hawaii mais aussi au Pérou où l’Inca, fils du Soleil, épousait sa demi-sœur.
35Un fait essentiel accompagne la formation des chefferies centralisées et des États et devient un élément essentiel de leur existence, de leur structure. C’est la transformation des formes traditionnelles de travail-en-plus destiné à célébrer les rites, les sacrifices destinés à assurer la reproduction de la Société comme un tout au sein d’un univers contrôlé par des forces et des puissances supérieures à celles des hommes en surtravail, c’est-à-dire en ce que nous appelons des “corvées” (l’obligation de mettre sa force de travail à la disposition d’autrui) et des tributs (l’obligation de prélever une partie de ses ressources et/ou des produits de son travail pour les mettre à la disposition d’autrui). Bref le développement des grandes chefferies centralisées et des États s’accompagne de formes diverses d’exploitation de la majorité des sujets par la minorité qui les dirige. Et comme cette minorité est entièrement détachée de toute forme de travail matériel productif des moyens de subsistance et des richesses et se consacre exclusivement à des tâches religieuses, politiques, militaires, administratives, la société se divise en castes (voire même en classes) séparées qui unissent certains groupes de parenté à l’exclusion des autres mais sur des bases et pour des raisons qui n’ont plus rien à voir avec la parenté. Car le fait que les classes dominantes ne “travaillent pas” ne signifie en rien qu’elles ne contrôlent pas activement les processus de “production”, de circulation et de répartition des conditions matérielles de la vie sociale (la terre, les biens de subsistance, les armes, les objets précieux etc.).
36Une des conditions non pas nécessairement de la formation des États mais de leur développement fut, me semble-t-il, l’apparition de grands centres cérémoniels et résidentiels pour les castes et élites qui dirigeaient ces sociétés. Bref ces processus firent naître des villes et transformèrent les autres formes de résidences plus anciennes qui devinrent par rapport aux villes des villages. A Hawaii il n’existait pas de ville mais une série de sites cérémoniels, de temples, de statues de pierre ou en bois, bref de monuments autour desquels résidaient les prêtres et les nobles. Mais en Mésopotamie, en Mésoamérique, au Pérou ancien, en Afrique, les villes se sont succédées et multipliées. Des populations urbaines se sont peu à peu radicalement distinguées par leurs activités (commerce, artisanat spécialisés etc.) et leur modes de vie du reste de la population. De tout cela l’archéologie témoigne mais aussi l’histoire et l’ethnologie.
37Pour terminer il nous semble important de revenir sur la notion de pouvoir politique et de rappeler que tout pouvoir repose sur deux éléments qu’il combine, disons plutôt qui se retrouvent combinés, selon les contextes, en proportions diverses, deux éléments qui s’opposent jusqu’à un certain point, mais sans jamais totalement s’exclure et qui donc se complètent pour une large part. Ces deux composantes du pouvoir politique sont la violence et le consentement: la violence exercée, réellement ou potentiellement en tant que menace, par les groupes sociaux qui dominent la société et le consentement du reste de la société à ce que ces groupes sociaux exercent le pouvoir et fasse usage de la violence à condition que cet usage soit légitimé.
38Il me semble que vous ne serez pas surpris si j’avance l’idée que, des deux forces qui composent le pouvoir politique, la force la plus grande dans le long terme, est le consentement des dominés à leur domination. Mais pour cela il faut plusieurs conditions. Il faut que les dominants apparaissent comme servant, par leurs actions, ceux qui les servent, comme assurant pour tous la prospérité, la paix etc. bref jouant un rôle irremplaçable dans la reproduction de la société et de la place de celle-ci dans l’univers, au sein des forces cosmiques. Il faut que ces représentations soient partagées par tous, dominants et dominés, pour qu’un ordre social inégalitaire ait des chances de durer longtemps et de durer sans le recours permanent à la violence directe, bien que la menace du recours à la violence physique puisse être présente en permanence. Cette hypothèse en entraîne deux autres: l’hypothèse que le partage des mêmes représentations entre dominants et dominés n’est possible que si la domination et surtout l’exploitation de ceux-ci par ceux-là n’apparaissent pas comme telles mais comme un échange réciproque où, à la limite, ce sont des dominants qui perdent parce qu’ils donnent plus (prospérité, bienfaits des Dieux etc.) qu’ils ne reçoivent (travail, bien de subsistance, richesses, marques de respect, de dévouement etc.) et où les dominés se pensent et se vivent en dette permanente vis-à-vis de ceux qui les dirigent, une dette pratiquement inextinguible. On voit que dans toute société un formidable travail de la pensée est nécessaire pour représenter la réalité des rapports sociaux de telle sorte que ce que cette réalité implique de négatif pour ceux qui les vivent et les subissent (un négatif qui ne soit pas de circonstances mais impliqué par la structure même de ces rapports) soit passé sous silence ou métamorphosé, transfiguré en condition du Bien Commun.
39Deuxième hypothèse. On peut, sans paradoxe, avancer l’idée que le monopole des moyens imaginaires de reproduction de la vie, de la société, de l’univers a précédé l’apparition de diverses manières de monopoliser les moyens matériels de reproduction de la vie et de la société (i. e. la terre, la force de travail des individus et des groupes etc.). Nous avons vu chez les Baruya certains clans avoir le monopole de la propriété et de l’usage des Kwaimatnié, des objets sacrés, dons du Soleil aux ancêtres de ces clans, aux “hommes du temps de rêve”, objets et rites qui construisent la domination des hommes sur les femmes et la légitiment. Mais dans cette société le monopole des objets sacrés n’a pas d’effet sur l’appropriation de la terre et sur la propriété des autres moyens de production ainsi que des produits du travail de chacun. La question se pose donc de savoir dans quelles conditions le monopole des moyens imaginaires (pour nous) de reproduction de la vie et de la société s’est trouvé associé au développement d’inégalités sociales dans l’appropriation des conditions matérielles de l’existence sociale. Même si on doit avoir des réserves vis-à-vis de l’idée que le monopole de l’imaginaire a pu engendrer, entraîner directement le monopole des conditions matérielles d’existence, on peut sans réserves avancer l’idée qu’il a accéléré le développement de ce type de rapports matériels et sociaux inégaux entre les individus et les groupes et a contribué à leur donner forme, une forme qui les légitimait. C’est pour cela que, sans vouloir être provocateur de la part de quelqu’un qui s’est beaucoup inspiré de Marx, j’avancerai l’idée que la naissance des castes et des classes ne pouvait être qu’un processus qui devait apparaître à ceux qui le vivaient, c’est-à-dire le promouvaient ou le subissaient comme légitime, normal (jusqu’à un certain point). Dans cette perspective la violence n’est pas et ne peut pas être la force historique dernière qui aurait présidé à la naissance des castes, des classes et de l’État et en serait “responsable”.
40Enfin dernière remarque sur les rapports entre tribu, ethnie, État. De nouveau je partirai de l’exemple des Baruya de Nouvelle-Guinée. C’est une tribu, ce qui veut dire dans ce cas, un certain nombre de clans, de groupes de parenté occupant un territoire qu’ils revendiquent comme le leur et défendent les armes à la main et qui agissent de telle sorte qu’en même temps qu’ils se reproduisent ils reproduisent leur société, la totalité à laquelle ils appartiennent, ceci en se soumettant à des valeurs, des représentations et des principes d’action qui leur sont communs. Mais une tribu n’est pas une ethnie. Une ethnie, c’est un ensemble de groupe locaux (tribus ou autres) qui se reconnaissent une origine commune lointaine, parlent la même langue ou des langues apparentées (ou dérivées d’une protolangue commune), suivent en gros les mêmes principes pour organiser la vie sociale et partagent des normes et des valeurs semblables ou divergentes mais à l’intérieur de ou à partir d’un même système. Appartenir à une même ethnie c’est reconnaître que l’on partage un même ensemble de réalités culturelles et idéelles. Mais cela ne suffit pas pour vivre. Pour cela il faut quelque chose de plus que des réalités idéelles et culturelles. Ou du moins il faut que celles-ci agissent en tant que composantes d’un processus d’appropriation réelle d’une partie de la nature. C’est ce que fait la tribu. Une tribu, c’est une société réelle qui vit en s’appropriant et en transformant les ressources d’un territoire, d’une portion de la nature qu’elle revendique comme sienne (pour en avoir hérité ou pour l’avoir conquise) et qu’elle est prête à défendre par la force, la violence armée. Ce qu’on appelle “tribu”, c’est une société qui fonctionne réellement et exerce sa “souveraineté” sur un territoire déterminé. C’est donc une entité politique qui naît à la jonction des composantes matérielles et idéelles de la vie sociale, sort de leur fusion et en gère la “reproduction”. Pour résumer, appartenir à une ethnie vous donne une identité culturelle et linguistique mais ne vous donne ni terre ni femme ni pain. C’est seulement l’appartenance à une tribu qui vous les donne. C’est donc là que se situent les enjeux les plus importants de l’existence sociale des individus et des groupes. Et c’est la raison pour laquelle en Nouvelle-Guinée, des tribus appartenant à la même ethnie, partageant la même langue et la même culture se font régulièrement la guerre.
41Avec l’apparition et le développement des premières formes d’État, ethnies et tribus continuent d’exister et s’intègrent plus ou moins facilement dans le cadre d’États qui souvent, par conquête, deviennent des Empires pluriethniques et multi-tribaux. Le pouvoir politique passe alors de la tribu à l’État, i. e. aux groupes sociaux qui le contrôlent et l’incarnent. Ces groupes sociaux peuvent d’ailleurs être eux-mêmes des tribus. Celles-ci se mettent alors à fonctionner comme des sortes de castes assumant les diverses fonctions religieuses, militaires, bureaucratique de l’État autour et au nom de l’un de leurs membres élevé au statut de Dieu vivant parmi les hommes, tel l’Inca qui régnait sur un empire où les tribus de langue quechua dominaient les autres groupes ethniques et tribaux.
42Mais très souvent le développement de l’État entraîne la disparition des organisations tribales dans la mesure où la tribu est une organisation politique qui a besoin d’une certaine autonomie d’action, de décision pour continuer d’exister. Les tribus disparaissent mais les ethnies subsistent en tant que communautés culturelles et linguistiques coexistent au sein d’un même État ou d’un même empire. Au niveau local, restent ou se développent les communautés villageoises ou autres qui exercent un pouvoir local mais n’exercent pas de pouvoir politique sur toute une région ou sur d’autres communautés voisins du même type.
43En Europe dès la fin de l’Antiquité et plus encore après les “invasions germaniques”, les organisations sociales de type tribal avaient disparu mais pas les groupes ethniques, basques, bretons, slovaques etc. Aujourd’hui des groupes ethniques de plus en plus nombreux revendiquent de se constituer en États autonomes à la suite de la décomposition de l’empire russo-soviétique ou de la désagrégation de l’ancienne fédération de Yougoslavie. Car exister comme État c’est exister internationalement, devenir un partenaire avec lequel d’autres États vont signer des alliances ou auquel ils apporteront différentes formes d’assistance. Bref aujourd’hui où toutes les activités économiques des sociétés qui coexistent à la surface de notre planète tendent à s’intégrer dans un système unique, l’économie de marché capitaliste, ou lui sont de plus en plus subordonnées, on assiste, sur le plan politique, à un mouvement opposé, à la revendication par de nombreux groupes ethniques du droit de se séparer des ensembles politiques au sein desquels ils s’étaient trouvés, pendant des siècles parfois, en situation inférieure et le droit de se constituer des États séparés. Mais avec ces remarques nous ne sommes plus dans la préhistoire, au temps des princes de l’Age du fer, mais dans l’histoire d’aujourd’hui et probablement de demain.
44Pour en terminer à propos de l’État, de la diversité de ses formes et de la diversité de ses conditions d’apparition et de développement, je rappellerai un fait souvent laissé dans l’ombre. Sur les dix mille sociétés qui coexistent aujourd’hui à la surface du globe, la majorité d’entre elles au début du siècle dernier n’avait pas encore vu se développer en leur sein des formes de castes, de classes ou d’État et si elles se trouvaient intégrées dans des États ou des Empires, c’était plus souvent le résultat d’un rapport de forces que d’une adhésion volontaire. Pensez aux dizaines de tribus indiennes d’Amazonie qui vivaient à l’intérieur du Brésil ou aux sept cents tribus de Nouvelle-Guinée qui se sont retrouvées au début de ce siècle partagées entre trois puissances coloniales européennes, la Grande-Bretagne, la Hollande et l’Allemagne. Partout il y a eu des résistances et elles continuent. Mais résister ne signifie pas comme le prétendait Clastres que les sociétés primitives se sont efforcées par tous les moyens de conjurer la naissance de l’État dans leur sein, l’État Leviathan. Ce raisonnement téléologique manifestait certainement les désirs et les angoisses de son auteur, mais ne peut en rien rendre compte des transformations historiques des sociétés humaines qui ont toujours un sens même si elles ne servent à aucun fin.
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EHESS, Paris
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