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Les importations de céramique attique du IVe s. av. J.-C. sur la côte centrale de Catalogne

p. 233-241


Texte intégral

1. Introduction : cadre géographique et nature de notre documentation

1La région côtière comprise entre la ville de Tarragone et l’embouchure du Tordera est un des territoires les plus largement explorés de la Catalogne. Effectivement, depuis la fin du XIXe siècle de nombreux sites ibériques ont fait l’objet de fouilles plus ou moins systématiques ; puis, d’importants travaux de prospection menés surtout depuis 1982 ont permis de reconnaître de nombreux gisements, dont quelques uns ont également été fouillés (fig. 1). Il va sans dire que ces recherches, étalées sur près d’un siècle, ont été menées sans unité de critères méthodologiques ; ramassages de surface, fouilles non stratigraphiques sur de grandes extensions – par exemple, à Puig Castellar de Santa Coloma de Gramenet – souvent de petits sondages. En fait, seuls quelques sites (Turó de Mas Boscà, Castell Ruf, Turó del Vent, Penya del Moro, Alorda Park) ont fait l’objet de fouilles stratigraphiques sur des extensions considérables. La quantité et la qualité de notre documentation sont donc très disparates.

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Fig. 1 - Schéma topographique de la région étudiée, avec indications des sites les plus importants mentionnés dans le texte.

2Nous avons recensé dans notre région trois cent quarante-quatre vases attiques du IVe s. av. J.-C. provenant de vingt et un sites, ce qui représente une base statistique non négligeable. La plupart de ces documents sont issus de fouilles menées depuis vingt ans sur trois sites seulement : Turó del Vent (quatre-vingt-cinq individus)1, Penya del Moro (quarante-et-un)2 et Alorda Park (soixante-deux) (Sanmartx/Santacana 1992). Soit, un total de centquatre-vingt-huit vases, ce qui représente à peu près 55 % des trois cent quarante-quatre exemplaires recensés. Toute analyse quantitative devra donc être fondée pour l’essentiel sur les données issues de ces trois gisements. Pourtant, le nombre de vases trouvés dans d’autres sites reste toujours important et cette documentation ne peut être négligée ni du point de vue quantitatif, ni surtout du point de vue typologique et iconographique.

3Le nombre d’individus a été déterminé suivant la méthode mise au point par P. et Ch. Arcelin (Arcelin 1981), puis développée par M. Py et A. Adroher (Py/Adroher 1991). Il s’agit du nombre typologique de vases, obtenu, dans le cas des fouilles non stratigraphiques, à partir de l’ensemble des fragments du IVe siècle morphologiquement significatifs (bords ou fonds). Pour les fouilles modernes on a additionné les chiffres obtenus des unités stratigraphiques – où la pondération par un est éventuellement importante – au nombre de fragments actifs des niveaux superficiels. Dernière remarque, toute notre documentation est issue de sites d’habitat – ou, ce qui revient finalement au même, de silos-, sauf une douzaine de vases qui font partie de la collection Rubio de la Serna du Musée de Barcelone et que l’on croit provenir de la nécropole de Cabrera de Mar (mais les fouilles scientifiques de ce gisement n’ont mis au jour que des tombes du IIIe ou du début du IIe s. av. J.-C.).

2. Analyse de la documentation

4Nous espérons tirer de cette documentation plusieurs informations, dont quelques unes portent intrinsèquement sur le matériel attique (proportion des vases à vernis noir et à figures rouges ; le répertoire des formes et catégories fonctionnelles, ainsi que leur importance relative ; iconographie), tandis que d’autres ont trait à la place de ce type de céramique dans des ensembles plus larges (dans l’ensemble des céramiques fines du IVe s. av. J.-C. ; dans l’ensemble des poteries d’importation) et aux agents de sa diffusion sur nos sites.

2.1. La proportion des vases à vernis noir et à figures rouges

5Les données dont nous disposons sur ce point sont à peu près semblables pour la plupart des sites. À Alorda Park, quarante-sept vases à vernis noir (73,4 %) contre dix-sept vases à figures rouges (26,6 %) ; à Turó del Vent, cinquante-neuf vases à vernis noir (68,6 %) contre vingt-sept vases à figures rouges (31,4 %). Par contre, à Penya del Moro les vases à figures rouges (trois exemplaires) ne représentent que 7 % des importations attiques du IVe siècle. Si l’on considère l’ensemble des vases de notre territoire, il y a deux cent cinquante-neuf exemplaires à vernis noir (76,2 %) contre quatre-vingt-un exemplaires à figures rouges (23,8 %), et le pourcentage reste toujours très semblable si l’on ne tient compte que des vases provenant des sites autres que Alorda Park, Turó del Vent et Penya del Moro (cent treize exemplaires à vernis noir, soit 76,8 % ; trente-quatre exemplaires à figures rouges, soit 23,2 %). On peut donc affirmer que la production à figures rouges représente autour de 25 % des vases attiques importés au cours du IVe s. av. J.-C. Même si faible, ce pourcentage de vases à décor figuré est très considérable par rapport au siècle précédent3 . Cela est probablement dû au fait que ces vases à figures rouges du IVe s. av. J.-C., moins soignés que leurs prédécesseurs, étaient vraisemblablement devenus des produits relativement bon marché.

2.2. Le répertoire des formes et catégories fonctionnelles; leur importance relative

6Nous considérons ici la totalité des individus recensés dans cette étude, qu’il s’agisse de vases à vernis noir ou à figures rouges. Dans le cas de formes existant dans les deux techniques (notamment les skyphos et les kylikes), les chiffres que nous donnons sont le résultat de l’addition des deux groupes. Ce répertoire formel est considérablement varié, car on recense dans l’ensemble du territoire retenu dix-neuf formes différentes appartenant à sept catégories fonctionelles. Cela contraste vivement avec les importations attiques du VIe-Ve s. av. J.-C., période au cours de laquelle on ne constate la présence que de vases à boire à anses.

7L’analyse des données fournies par nos trois sites les plus largement fouillés permet quelques observations intéressantes (fig. 2). On remarquera en premier lieu que les chiffres sont à peu près semblables dans ces différents sites et dans l’ensemble de la région en ce qui concerne les pourcentages d’assiettes et de plats, de vases pour le service du vin, de vases pour le transport et de vases de toilette. Toutes ces catégories sont en outre mal ou très mal représentées, sauf les vases pour mélanger et pour servir le vin. Ce sont effectivement les coupes/écuelles et les vases à boire à anses qui forment les deux groupes les plus largement représentés (39,1 % et 44,6 % des vases respectivement) dans l’ensemble du territoire considéré. Si, toutefois, on considère ces chiffres site par site, on se rend compte tout de suite que les coupes/écuelles sont largement majoritaires à Alorda Park (55,6 % des vases) et à Penya del Moro (70,7 %), mais ne représentent que 16,5 % à Turó del Vent ; dans ce dernier site, par contre, ce sont les vases à boire à anses qui dominent (70,3 %), tandis que cette catégorie est bien plus faiblement représentée dans nos autres sites (17,1 % et 25,4 % à Penya del Moro et à Alorda Park respectivement).

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Fig. 2 - Tableau synoptique montrant le nombre et proportions des vases attiques de Turó del Vent, Penya del Moro, Alorda Park et de l’ensemble de la région étudiée.

8Le faciès des importations attiques de Turó del Vent ressemble donc pour l’essentiel à celui d’Ullastret (Bats 1989, 201, tableau 2) et c’est une impression semblable – mais à partir d’un nombre bien plus petit de vases – que l’on tire de l’analyse de la documentation livrée par d’autres sites de la partie septentrionale de notre région. C’est le cas de Torre dels Encantats (67 % de vases à boire à anses ; 22 % de coupes/écuelles), de Burriac (62 % de vases à boire à anses ; 19 % de coupes/écuelles), et même de Puig Castell de Vallgorguina (46,2 % vases à boire à anses ; 38,462 % coupes/écuelles). On en conclura donc que la partie septentrionale de la zone géographique retenue, plus précisement le territoire compris entre le torrent d’Argentona et le fleuve Tordera, fait partie du faciès d’importations attiques caractéristiques du nord-est de la Catalogne et de la Gaule méridionale, où les vases à boire à anses sont toujours nombreux (Vilà 1979-1980, planche I ; Casas 1989, 40, fig. 22, n° 1 et 4 ; 43, fig. 24, n° 5 ; Martín 1993, 27) Cette prédilection, tout particulièrement pour les skyphos, est probablement à mettre en relation avec l’existence d’imitations de cette forme en céramique ibérique depuis le IVe s. av. J.-C. (Sanmartí et alii 1992, 37, n° 43, 48 ; 141, n° 68, 70, 71 ; 219, n° 444 ; Granados 1988, 36, n° 12, 15, 16, 17 ; Barberà 1968, 122, fig. 15, n° 7153 ; Garcia Rosello et alii 1981, 40, n° 75071 ; Martín 1980, 33, fig. 12.) ; ces imitations ne deviennent véritablement nombreuses que vers la fin du siècle, ce qui coïncide avec la fin de la distribution des céramiques attiques dans notre région.

9Quant à la partie méridionale de notre région, la situation que nous avons décrite pour Alorda Park et Penya del Moro se retrouve aussi dans d’autres sites moins largement explorés, tout particulièrement à Montjuïc (Granados 1982), où les vases à boire à anses ne représentent que 14,3 % des pièces attiques du IVe s. av. J.-C., contre 57,1 % des coupes/écuelles (70,7 % si on y ajoute les petits bols forme Lamb. 24). Dans d’autres gisements par contre (Tarragone, Castell Ruf, Puig Castellar) le nombre de vases à anses est à peu près équivalent ou légèrement supérieur à celui des coupes/écuelles, mais le volume de la documentation issue de ces sites est trop petit pour que l’on puisse en tirer des conclusions raisonnablement sûres. Quoi qu’il en soit, l’existence d’une aire méridionale différenciée à l’intérieur de notre territoire nous semble évidente ; on remarquera aussi en ce sens que les imitations de skyphos, très courantes sur la zone côtière comprise entre Barcelone et les Pyrénées, font absolument défaut au sud du massif de Garraf. La composition du point de vue fonctionnel des importations attiques du IVe s. av. J.-C. découvertes dans cette aire méridionale peut être aisément rapprochée de celle qui caractérise la plupart des sites de la côte ibérique au sud de l’Ebre, où les coupes/écuelles dominent toujours largement sur les vases à boire à anses (Bats 1989, 201, tableau 2 ; 207-208).

10Malgré la ressemblance des groupes fonctionnels de notre zone sud et de ceux que l’on trouve dans le Pays Valencien et en Murcie, on notera l’existence d’importantes différences par rapport aux formes spécifiques. Cela est particulièrement évident en ce qui concerne les vases à boire à anses, car si les skyphos sont toujours très largement majoritaires dans notre région, ce sont les Boisais forme Lamb. 42B4 et les canthares forme Lamb. 40 qui dominent au sud de l’Ebre (Bats 1989, 201 ; Rouillard 1993, 90 ; Morel 1994, 328-329 ; Garcia Cano/Page 1994). On observera également que, en Murcie et dans le Pays Valencien les vases de forme Lamb. 21 sont généralement plus nombreux que ceux de forme Lamb. 22 (Ibidem). Dans notre territoire, par contre, il existe un équilibre entre ces deux formes. Le lien est donc évident entre notre région sud est et l’aire ibérique centrale et méridionale quant aux fonctions des vases attiques, mais elle se rapproche du faciès de la Catalogne nord-orientale et de la Gaule méridionale en ce qui concerne leur typologie.

11En somme, il est possible de distinguer à l’intérieur de la zone géographique retenue l’existence de deux régions caractérisées par des faciès d’importations attiques nettement différenciés par l’importance des deux catégories fonctionnelles principales : coupes/écuelles et vases à boire à anses. L’aire de contact entre ces deux régions se situe entre Barcelone et Mataró. On remarquera d’autre part que ces deux faciès sont proprement indigènes, très différents des faciès helléniques (Bats 1989, 199, tableau 1 ; 201) et carthaginois (Morel 1994, 330-331). En ce qui concerne uniquement la typologie des vases attiques – sans tenir compte des proportions – l’ensemble de la région retenue a des traits homogènes, que l’on retrouve d’ailleurs dans le reste des sites ibériques de la Catalogne côtière, d’Ullastret à Moleta del Remei. De ce point de vue – surtout en ce qui concerne la typologie des vases à boire à anses –, le nord-est de notre Péninsule s’oppose nettement au reste de l’Ibérie.

12Nos différents ensembles reflètent-ils l’existence de différents services dans le sens proposé par J.-P. Morel et par P. Rouillard (Morel 1981, 509 ; Rouillard 1991, 184) ? Rien ne permet de l’affirmer. On peut toutefois envisager la possibilité de la présence à Turó del Vent d’un service formé par un cratère, une ou deux coupes/écuelles et six vases à boire, composition qui nous fait penser au symposion, bien que cette pratique ne soit pas sûrement attestée parmi les Ibères. Si, d’autre part, on considère le répertoire attesté à Alorda Park, un service hypothétique se composerait d’un cratère, d’un ou deux vases à boire et de trois ou quatre coupes/écuelles.

2.3. Iconographie

13Seulement quelques mots pour signaler que, tel qu’on pouvait l’espérer, nos vases n’ont rien d’original du point vue du décor figuré. Les deux cratères dont le décor principal est lisible (fig. 3, n° 1 et 6) sont ornés de scènes dionysiaques (Dionysos chevauchant un griffon, précedé d’une ménade ; deux satyres et une ménade), dont l’importance dans la production du IVe s. av. J.-C., et tout particulièrement dans les vases trouvés dans la Péninsule Ibérique, a été signalée à plusieurs reprises (Olmos 1984 ; Villanueva Puig 1989, 310-311). Quant aux skyphos (fig. 3, n° 8-11), ils peuvent pour la plupart être assimilés au Groupe du “Fat Boy”. Les autres formes sont partout très fragmentaires, même les coupes (fig. 3, n° 12), pourtant relativement nombreuses.

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Fig. 3 - Cratères en cloche de Turó del Vent (2-6) et Alorda Park (1). Skyphos de Turó del Vent (8-11). Lékanis et kylix d’Alorda Park (7 et 12).

2.4. La place des importations attiques dans l’ensemble des céramiques fines du IVe s. av. J.-C

14Sauf pour Alorda Park, nous ne disposons pas de données quantitatives complètes par catégories de céramiques. Nous nous bornerons donc à l’analyse de ce site, dont on peut néanmoins supposer qu’il est représentatif des habitats de la zone géographique retenue (fig. 4). Dans les niveaux du VIe-Ve s. av. J.-C. la céramique fine grecque représente à peu près 21,1 % du total de la vaisselle (18,3 % de céramique attique à vernis noir ; 2,8 % de coupes d’imitation attico-ionienne). Le reste de la vaisselle de ces niveaux anciens (78,9 %) est exclusivement en céramique ibérique.

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Fig. 4 - Nombre et proportion des céramiques fines du site d’Alorda Park.

15Dans les niveaux du IVe s. av. J.-C. la proportion des céramiques fines grecques monte jusqu’à 33,9 % ; il s’agit surtout de vases attiques à vernis noir (26,61 %) et à figures rouges (5,65 %)5, tandis que la céramique grecque d’Occident est très mal représentée (1,61 %). Le reste de la céramique fine est surtout de production ibérique (59,7 %), tandis que les importations d’origine non-grecque sont très peu nombreuses : céramique ébusitaine (3,2 %), vases de l’atelier des Petites Estampilles (1,6 %), autres importations d’origine indéterminée (1,6 %). En somme, même si elle est minoritaire par rapport à la céramique fine indigène, la céramique attique tenait une place importante – autour de 30 % – dans l’ensemble de la vaisselle en usage au site d’Alorda Park au cours du IVe s. av. J.-C. Elle est d’ailleurs le seul type de céramique fine d’importation qui ait atteint notre site en quantité significative avant le milieu du IIIe s. av. J.-C.

2.5. La place des céramiques attiques dans l’ensemble des céramiques d’importation

16La comparaison en termes quantitatifs des différentes catégories de céramique d’importation (céramique fine, amphores, céramique commune) ne peut naturellement pas refléter l’importance économique globale de chacune de ces catégories, puisqu’il n’est pas possible de comparer la valeur individuelle de chacun de ces éléments. Cette comparaison peut toutefois être utile dans la mesure où elle peut donner des indications concernant des formes différenciées de distribution dans le temps et/ou dans l’espace des céramiques fines, les amphores et les céramiques communes.

17Nous ne disposons de données quantitatives précises que pour les sites de Turó del Vent et Alorda Park. Pour éviter les distorsions dues au système de quantification fondé sur la pondération par un, nous n’avons tenu compte que des fragments morphologiquement significatifs. À Alorda Park on constate une importance croissante des amphores et des céramiques communes du VIe-Ve s. av. J.-C. (18,6 % et 4,7 % respectivement) au IVe s. av. J.-C. (25,6 % et 11 %), tandis que les céramiques fines (pour la plupart attiques) deviennent un peu moins nombreuses (76,7 % durant le VIe-Ve s. av. J.-C. ; 63,4 % par la suite).

18Dans le cas de Turó del Vent la situation est bien différente, car il n’y a dans ce site que cinq amphores du IVe s. av. J.-C. contre quatre-vingt-cinq vases attiques et pas du tout de céramiques communes. La céramique fine y représente 94,4 % des importations du IVe s. av. J.-C. Si ces chiffres sont significatifs, on en conclura l’existence de fortes différences dans la distribution des divers types de céramique d’importation. Dans le cas de Turó del Vent le petit nombre d’amphores, dont le transport par voie terrestre est sans doute difficile, reflète probablement le fait qu’il ne s’agit pas d’un site côtier – même si la communication avec la côte est très facile à travers le Torrent d’Argentona–, mais cela ne suffit pas à expliquer l’absence de céramiques communes, qui sont pourtant bien représentées dans d’autres gisements. On peut supposer que les fonctions économiques des différents sites, ainsi que la nature et la hiérarchie des groupes sociaux qui y habitaient ont également influencé la distribution des céramiques d’importation.

2.6. Les agents de la diffusion des céramiques attiques

19Ce problème a été considéré au cours des dernières années par plusieurs auteurs à partir de documents et de points de vue divers (Morel 1994, p. 336-337 ; De Hoz 1987 ; Gracia 1995). Pour notre part, nous ne pouvons que signaler le fait que l’immense majorité des amphores et des céramiques communes d’importation trouvées dans notre région sont originaires de la Méditerranée occidentale, surtout de Marseille et d’Ibiza. Autrement dit, on ne retrouve jamais dans les sites indigènes, le faciès d’ensemble de l’épave de El Sec, c’est à dire d’un grand navire de commerce reliant la Grèce avec la Méditerranée occidentale où la place des amphores orientales ou de Méditerranée centrale est très importante. La conclusion évidente est que seule une partie de la cargaison des grands navires provenant de Méditerranée orientale voyageait au delà des grands ports coloniaux jusqu’aux sites indigènes et que cette partie était formée pour l’essentiel par des céramiques fines. Celles-ci étaient donc distribuées à partir des colonies phocéennes et sans doute aussi à partir d’Ebusus, dont le rôle devait être très important, du moins si l’on en juge par le nombre de produits ébusitains trouvé en Catalogne, le Pays Valencien et les Baléares ; dans toutes ces régions, effectivement, les amphores et céramiques communes ébusitaines dominent largement depuis le IVe s. av. J.-C. sur toute autre production, y compris celles de Marseille (Sanmartí 1990 ; Asensio 1996). Ces observations rejoignent et complètent celles qu’ont faites plusieurs auteurs par rapport au rôle des marchands carthaginois dans la diffusion des céramiques attiques en Méditerranée centrale et occidentale, à partir surtout de la documentation livrée par l’épave de El Sec (De Hoz 1987 ; Sanmartí 1991 ; Morel 1994). Un dernier mot par rapport à ce site, où le petit nombre de skyphos – aussi bien en vernis noir qu’en figures rouges – (douze exemplaires en tout), ainsi que l’abondance de Boisais (quarante-et-un) et de coupes à figures rouges (trente-huit), mènent à penser, en plus des puniques, à une clientèle dans l’Ibérie centrale et méridionale plutôt qu’en Catalogne.

3. Conclusion

20Notre étude rejoint les conclusions de M. Bats (1989) par rapport à l’existence de deux aires de personnalité nettement différenciées en ce qui concerne la nature fonctionnelle des importations attiques du IVe s. av. J.-C. : la Gaule méditerranéenne et une partie de la Catalogne où les vases à boires à anses dominent, tandis que dans le reste de l’Ibérie, on note une préférence marquée pour les coupes/écuelles. Notre travail permet toutefois de préciser la limite entre ces deux grandes aires dans la région de Barcelone. En fait, l’aire géographique retenue dans cette communication est en quelque sorte une zone de contact, et c’est pourquoi elle manque elle même d’unité, sauf en ce qui concerne la typologie stricte des vases (c’est-à-dire, sans tenir compte des proportions). On remarquera d’autre part que ces deux faciès d’importations attiques sont en tant que tels proprement indigènes, très différents aussi bien du faciès hellénique que du faciès carthaginois.

21Cette céramique attique, qui a une place considérable (30 % environ) dans l’ensemble des céramiques fines en usage dans un de nos sites (Alorda Park), est de plus le seul type de céramique fine qui ait été importée en quantité appréciable au cours du IVe s. av. J.-C. Son influence sur les productions indigènes se fait sentir en outre par l’existence d’imitations, parmi lesquelles les skyphos, fréquents surtout dans la moitié nord de l’aire considérée, sont les plus nombreux.

22Quant aux agents de la diffusion enfin, l’intervention dans la redistribution des marchands ébusitains nous semble fort probable, compte tenu du volume très important de matériaux d’Ibiza repérés depuis le IVe s. av. J.-C. dans les sites ibériques de notre région, ainsi que de l’évidence du rôle important joué par les marchands carthaginois dans l’acheminement des céramiques attiques vers l’occident méditerranéen.

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Notes de bas de page

1 Fouilles de 1983 et 1984, toujours inédites et autre matériel issu de fouilles clandestines (Sanmartí et alii, 1995).

2 Nous avons tiré ce chiffre du matériel publié dans les rapports de fouille du site (Barberà et alii, 1979 et Barberà/Sanmartí Grego 1982), les comptages donnés ultérieurement par J. Barberà ne permettant pas de distinguer les matériaux du IVe s. av. J.-C de ceux de la deuxième moitié du siècle précédent.

3 Par exemple, pas un seul vase à décor figuré datable du VIe-Ve s. av. J.-C. n’a été trouvé sur le site d’Alorda Park ; pourtant, ce site a livré de nombreux fragments de vases à vernis noir de cette époque : coupes de la classe Athènes 1104, coupes de Type Bloesch C, “acrocups”, “vicups” et surtout “Castulo-cups” (Sanmartí 1996). Des remarques semblables sont valables pour la majorité des sites de notre région.

4 Cette forme est particulièrement rare en Catalogne ; on ne l’a trouvée qu’à Ullastret, Turó de Can Oliver (Barberà et alii 1962, 154, fig. 4, n° 5) et Castellruf (Asensio 1995, fig. 48, 3).

5 Naturellement, on ne tient pas compte ici des matériaux provenant des niveaux superficiels ; c’est pourquoi le nombre d’individus (quarante) ne coïncide pas avec le chiffre total des vases attiques d’Alorda Park (soixante).

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