Chapitre I. Les vases de Paestum
p. 83-86
Texte intégral
1L’étude technique (ci-dessus, p. 26-27) suffit à situer les trois derniers vases de Paestum: la grande hydrie n° 7, avec des mains aux anses horizontales, et les deux amphores nos 8 et 9. Leur profil (fig. 9 à 11 et 18 à 20) est à peu près le même; leur procédé de fabrication est identique: la lèvre est un anneau fondu, rivé ensuite sur le col martelé. Ni ce profil, ni cette technique ne sont attestés en Grèce propre où, semble-t-il, il n’y a pas d’amphores archaïques en bronze. En revanche, deux ou trois (cf. n. 218) sites d’Illyrie, au Sud-Est de l’actuelle Macédoine yougoslave, ont fourni un nombre important de vases très voisins ou identiques, dans des tombes barbares. Un certain nombre de détails décoratifs indiquent, malgré ces différences, des liens précis entre les fabricants de ces vases, que nous qualifierons de « non grecs » pour simplifier, et ceux des hydries étudiées plus haut, qui étaient des Grecs d’Occident. Les fig. 76 à 111 essayent, par leur rapprochement, de mettre en évidence ces emprunts et ces imitations. Nous avons déjà évoqué une hydrie de Trebenischte, à Sofia (fig. 73 et 181), qui montre, plus nettement encore, que les deux groupes de vases ne peuvent être complètement séparés.
* * *
2L’hydrie n° 7 a un parallèle précis, de Trebenischte, à Belgrade211, qui peut être considérée comme complète (fig. 21, 77, 89, 100, 104, 109). Haut.: 46,5 cm ±; diam. max.: 34 cm; diam. ext. de la lèvre: 12,9 cm; largeur du replat supérieur de la lèvre: 0,75 cm; haut. du col: 8 cm; diam. du col: 9,9 cm en haut, 11,4 cm en bas. Le profil concave du col est sûr, celui du reste du vase approximatif. Le pied, les anses, la lèvre, sont très proches de ceux du vase de Paestum.
3Une autre hydrie de Trebenischte, également à Belgrade212, mais dont il ne reste que la lèvre, l’anse verticale et l’amorce du col (fig. 22, 78, 96, 98, 106), était très proche aussi du vase de Paestum. Diam. ext. de la lèvre: 12,5 cm; largeur du replat supérieur: 0,75 cm. On est tenté par conséquent d’en rapprocher une anse horizontale isolée213, également à Belgrade (fig. 110); longueur: 19 cm.
4Les détails relient très étroitement l’hydrie de Paestum à celles de Trebenischte. L’attache inférieure de l’anse verticale a toujours la même structure, les volutes se terminant en têtes de serpent sommaires214, mais elle est traitée de deux façons: à Paestum (fig. 103), les feuilles de la palmette sont triangulaires, comme sur l’hydrie complète de Belgrade, et le haut d’amphore, également de Trebenischte, ici fig. 105 (cf. n. 218); ce travail rappelle directement les hydries de style grec récentes. L’hydrie fragmentaire, fig. 106, a une palmette plate à feuilles rondes, particulièrement irrégulière, d’allure ancienne, qu’on retrouve à peu près sur l’amphore de Bitola, fig. 107, inséparable d’autre part du haut d’amphore de Trebenischte fig. 105 (cf. ci-dessous, et n. 218). Bref, ces détails ne sont pas significatifs, pas plus que le soin inégal apporté au décor du ruban de l’anse. Car le profil des anses (fig. 76 à 79), leur section et leur attache supérieure sont bien les mêmes. Les têtes de lion du haut, à Paestum et sur la seconde hydrie de Trebenischte (fig. 97 et 98), copient celles des lions couchés au même endroit sur les hydries grecques215. Ce sont ces têtes qui dégénèrent progressivement sur les autres vases du groupe, jusqu’à devenir des singes: amphore n° 71 de Trebenischte à Sofia216 hydrie de Trebenischte à Belgrade (fig. 100), amphore à Bitola (fig. 99). Il n’est pas sûr que, en elle-même, cette transformation des lions en singes soit « barbare » ou périphérique: une anse de la grotte de l’Ida, qui est en fait une anse d’oenochoé (cf. n. 37; c’est le n° Β 3 de DIEHL, qui n’en a compris ni la fonction ni la date), présente des têtes de singe très proches de celles de l’amphore de Bitola. Mais cette anse est assez à part, et on sait que beaucoup d’anses d’oenochoés étrusques ont des têtes de singe encore plus sommaires: en général, le motif est d’Italie217.
5Un dernier détail rapproche l’hydrie de Paestum du vase fragmentaire de Belgrade. Le haut du ruban des deux vases porte (fig. 95 et 96) le même décor, gravé après fonte, qui est une sorte de fleur de lotus, avec la même dissymétrie qui déplace l’axe vers la droite, et la même incertitude du trait. Il est peu douteux que nous avons deux œuvres de la même main; il est en tout cas certain que, s’il s’agit de deux artisans différents, ils étaient assis l’un à côté de l’autre.
6L’amphore n° 8 entre de la même façon dans un petit groupe, étroitement lié au précédent. Nous avons indiqué, en la décrivant, ce qui la rapproche de l’hydrie n° 7. L’élement caractéristique est ici l’anse verticale, surtout la partie principale, de section circulaire, décorée d’un double filet en hélice, interrompu, en réalité, à l’arrière. Cette section, et ce décor, se retrouvent, avec un traitement différent, sur deux amphores d’Illyrie: l’une, incomplète, de Trebenischte (fig. 23, 84, 101, 105), à Belgrade218, l’autre, pratiquement complète, mais déformée par une restauration qui modifie la forme de l’épaule, de « Visoi II » (fig. 24, 81, 83, 94, 107), au musée de Bitola219. Il faut y joindre une amphore des premières fouilles de Trebenischte, à Sofia, n° 71 de la publication220, déjà citée parce qu’aux attaches supérieures simples des exemplaires précédents, celui-ci ajoute des têtes de lions-singes empruntés aux hydries dont nous venons de parler. La différence de traitement est du même ordre que pour les palmettes des attaches inférieures: l’amphore incomplète, à Belgrade, présente une succession de bourrelets très soignés (fig. 84); celle de Paestum porte des filets doubles, réduits sur le vase à Bitola à deux traits gravés avant fonte. Nous avons affaire à un atelier qui ne se soucie guère, dans le détail, de la qualité régulière du travail.
7Ces deux vases conduisent à des comparaisons simples, qui ne posent qu’un problème, important à vrai dire: la supériorité du nombre des exemplaires de Yougoslavie n’empêche-t-elle pas qu’on attribue ces vases à l’Italie du Sud? Les anses horizontales des hydries, que nous avons laissées de côté, ne donnent guère d’indication. Je reproduis ici, fig. 111, deux fragments de Delphes, sanctuaire où les objets de Grande-Grèce semblent rares221; l’un d’eux est, jusque dans le détail, identique aux anses de Paestum. Cette forme d’attache, qui n’est pas très fréquente, ne semble pas correspondre à un centre ou à une région précis222.
8La petite amphore, n° 9, par son profil, entre bien dans cette série. Son pied, à godrons modelés, est celui des hydries nos 1 à 5, et non celui des deux autres vases à lèvre fondue à part: indice supplémentaire de la proximité des deux groupes. Les anses sont originales, par la section du ruban, et surtout par les deux mains fermées qui se dressent au-dessus de la lèvre (fig. 86 et 87). Il n’y a guère de doute qu’elles ont été conçues pour deux anses mobiles: le bronzier avait prévu de faire une « amphore-situle » à deux anses. Le meilleur parallèle, avec une seule anse, est alors un vase de Gela que nous avons déjà évoqué (fig. 121 à 123; cf. n. 24 et 29), qui est à peu près contemporain de ceux de Paestum, ou à peine plus récent. Ses anses verticales s’insèrent exactement dans la série que nous étudions, avec des attaches inférieures à palmette et serpents très soignées, et une section du ruban qui ajoute à celle de l’amphore n° 9 de Paestum les rangs de perles habituels; l’attache supérieure est très voisine. La lèvre est plus ornée que sur nos vases nos 7 à 9. C’est là un produit du même centre que les vases de Paestum et Trebenischte.
9Le rapprochement pose quelques questions. A l’époque archaïque, ce sont des vases étrusques, situles et cistes, qui ont ainsi deux anses mobiles. En revanche, elles sont assez fréquentes dans la vaisselle de Macédoine du IVe siècle qui, nous l’avons noté (n. 24), reprend plusieurs fois des formes et des motifs archaïques de Grande-Grèce. Un amphore de Derveni imite jusqu’à la chaînette — sans le chien — du vase de Gela223. La même anse mobile est articulée de la même façon sur les anses verticales d’une amphore de Karditsa224. Les anses mobiles doubles se trouvent, dans la même région, sur des situles stamnoïdes venues d’Italie du Nord225, et sur des situles de formes diverses, de fabrication locale226. Ces vases trouvés en Macédoine datent tous de la fin du Ve siècle ou du IVe; les situles stamnoïdes à bec verseur prouvent qu’à cette date des vases venaient d’Etrurie en Grèce du Nord (cf. n. 166). Mais de menues variantes distinguent très nettement les produits du IVe siècle de ceux du VIe; les importations du IVe siècle n’expliquent pas l’amphore-situle de Derveni qui semble copier directement celle de Gela. On est donc conduit à supposer que des vases de Grande-Grèce voisins de celui de Gela étaient parvenus en Macédoine à la fin de l’époque archaïque, où les formes et les décors se sont conservés pendant 150 ans. Il est moins étonnant, dans ces conditions, que deux anses de cratères à volutes, trouvées l’une en Cilicie, l’autre en Russie du Sud (cf. p. 66 et n. 165 et 166), paraissent faites en Italie du Sud; et nous pouvons alors utiliser les vases macédoniens de la fin de l’époque classique pour trouver dans le domaine grec des parallèles aux deux anses prévues pour l’amphore n° 9 de Paestum.
Notes de bas de page
211 La bibliographie des fouilles et des trouvailles de Trebenischte, pour ce qui est à Belgrade, est complexe, et pas toujours entièrement cohérente (cf. n. 218); l’illustration est très inégale, et incomplète: pour un certain nombre de détails, les premières photos lisibles, après celles de N. Vulic, ÔJh 1932 et AA 1933, sont celles de Popovic, ArchGreekCult. Je donne ici un large choix des photos que j’ai pu faire à Belgrade en 1979, grâce à Lj.B. Popovic (pas du trépied). - Cette première hydrie: Beograd, Musée National, inv. 199/1. AntBrJugoslaviji, n° 34; Popovic, ArchGreekCult, fig. 7.
212 Beograd, Musée National, inv. 200/1. AntBrJugoslaviji, n° 35.
213 Beograd, Musée National, inv. 187. Popovic, Katalog... Trebenista, 1956, n° 30.
214 Sur ce motif, voir D.K. Hill, AK 10, 1967, p. 39 sq. (ci-dessus, n. 33), avec, p. 40 et 41, le rapprochement des hydries et des amphores de Paestum et de Trebenischte, et, p. 45, avec l’amphore-situle de Gela, ici fig. 121 à 123. Elle note que les anses des amphores ressemblent aux anses torses de quelques oenochoés; il faut compléter cette indication en renvoyant à Vokotopoulou, passim: plusieurs de ces oenochoés à anses torses font partie de la série « à bec » qu’elle étudie, et qui est corinthienne, et, sur telle ou telle de ces oenochoés (ex.: Vokotopoulou, pl. 18, γ) l’attache inférieure est à peu près du type de celles des amphores. Seuls les nos 7 (Carapanos, de Dodone), 12 (Ioannina, de Dodone) sont antérieurs aux amphores; les nos 14 et 15 en sont peut-être contemporains.
215 Deux anses mentionnées par Diehl (nos Β 8 et Β 9) ont des têtes de lion au même endroit, dérivant aussi des lions couchés. Le n° Β 8, à Munich (cf. n. 37), est difficile à dater.
216 Filow, p. 58-59. Voir aussi l’oenochoé n° 72.
217 L’anse Diehl Β 3, à en juger par la tête de lion, n’est pas nécessairement antérieure à nos vases. Les têtes de singe sont fréquentes sur diverses anses ornées en bas de « palmettes à serpents » (Hill, art. cité n. 214).
218 Le vase a été récupéré dans le commerce, comme provenant de Donja Belica, à 10 km au nord de Trebenischte: cf. Vulic, AA 1933, col. 481. Popovic l’inclut dans son Katalog... Trebenista, n° 43, en présentant le vase complet, ou complété, si c’est bien ainsi qu’il faut comprendre le renvoi de AntBrJugoslaviji, n° 36, qui reproduit la même chose que ma fig. 84; le même auteur, ArchGreekCult, p. 101, mentionne une amphore « de Belica » comme parallèle à celle du musée de Bitola citée n. suivante. Diam. ext. de la lèvre: 12,8 cm; largeur du replat supérieur: 1,15 cm; diam. du col: 10,8 cm en haut, 11,4 en bas.
219 Inv. 103. Haut. (approximative): 44,4 cm; diam. max. (id.): 30.9; haut. du col: 10,4 cm. AntBrJugoslaviji, n° 39; Popovic, ArchGreekCult, fig. 59.
220 Filow, p. 57 à 59.
221 Perdrizet, FDelphes V, 1, nos 299 et 300.
222 Le motif des deux mains à plat servant d’attaches d’anses horizontales se retrouve depuis le Ménélaion de Sparte (BSA 15, 1908-1909, p. 149, fig. 14, 1) jusqu’à Pompéi (Pernice, Hellenistische Kunst in Pompeji, IV, fig. 41 à 44), avec un grand nombre d’exemplaires étrusques.
223 Θησαυροὶ τῆς ἀρχαίας Μακεδονίας (expo. Thessalonique, 1979), n° 205.
224 Ibid., n° 1.
225 Cf. n. 166. Ibid., nos 36, de Kozani, 406, de Nikisiani.
226 Ibid., nos 172, de Derveni, 332, de la banlieue de Thessalonique (« fin du Ve s. »).
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